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UN MAGISTRAL BRONZE D'IMHOTEP DATÉ DE L'ÉPOQUE DE L'INSTITUTIONNALISATION DE SON CULTE? De la nature du respect des savants et des sages « The errors of a wise man make your rule, rather than the perfections of a fool. »' Passant en revue les conclusions de l'épistémologie de notre siècle démontrant la valeur relative et instable des enunciations scientifiques d'une part et le sérieux de l'humeur joueuse et de la fiction, d'autre part, on doit admettre que souvent les résul- tats partiels sont plus faciles à discerner que la réalité dans sa totalité. Il n'existe donc pas de problèmes dont la solution puisse être considérée comme définitive et même les méthodes les plus adéquates ainsi que les approches sous multiples aspects peuvent aboutir à de fausses conclusions. Or le caractère spécifique de la « course de relais » des scientifiques réside justement dans le fait que les échecs des prédécesseurs peuvent contribuer au progrès de la science aussi bien que leurs succès. 2 La remise en question des conclusions de certaines études écrites sur le même sujet n'amoindrit en rien les mérites de leurs auteurs. 3 C'est dans cet esprit que nous nous sommes posé des ques- tions à propos (et non pas contre) des études publiées sur une superbe statuette en bronze d'Imhotep conservée dans le Musée des Beaux-Arts (fig. I). 4 En essayant d'y répondre, nous espérons pouvoir la dater avec plus de précision et la lier à l'évolution chronologique du culte d'Imhotep. Imhotep, en tant que personnage historique, devait occuper de hautes fonctions civiles et religieuses sous plusieurs pharaons de l'Ancien Empire. Ses activités liées à la construction en pierres ne contribuèrent qu'en partie à sa popularité postérieure dont parlent, non sans lacunes, les sources à notre disposition. 5 A sa réputation due originel- 1 William Blake, On Art and Artists, VIII. 2 Peut-être le «juste milieu » n'existe-t-il même pas, voir Ankhchéchonqi (18,2): « Un échec honnête vaut mieux qu'un succès médiocre. » 3 Autrement notre hommage n'est qu'un geste prudent sans message aucun. Voir l'expression visuelle de ce geste sur un dessin de Paul Klee représentant deux hommes complimenteurs: Zwei Männer, einander in höher Stellung vermutend, begegnen sich (1903). 4 No. d'inv.: 51.2313. 5 Pour son culte, cf. Sethe, K., Imhotep, der Asklepios der Aegypten Leipzig 1902; Hurry, J. B.. Imho- tep, the Vizier and Physician of King Zoser..., Oxford 1928; Kákosy, L., Imhotep and Amenhotep son of Hapu as Patrons of the Dead, AO 21 (1968) p. 109 et suiv. (= Studia Aegyptiaca VII [1981] p. 175-83; Wildung, D., Imhotep und Amenhotep. Gottwerdung im alten Ägypten, Berlin 1977.

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Un Magistral Bronze d'Imhotep

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UN MAGISTRAL BRONZE D'IMHOTEP DATÉ DE L'ÉPOQUE

DE L'INSTITUTIONNALISATION DE SON CULTE?

De la nature du respect des savants et des sages

« The errors of a wise man make your rule,

rather than the perfections of a fool. »'

Passant en revue les conclusions de l'épistémologie de notre siècle démontrant la valeur relative et instable des enunciations scientifiques d'une part et le sérieux de l'humeur joueuse et de la fiction, d'autre part, on doit admettre que souvent les résul­tats partiels sont plus faciles à discerner que la réalité dans sa totalité. I l n'existe donc pas de problèmes dont la solution puisse être considérée comme définitive et même les méthodes les plus adéquates ainsi que les approches sous multiples aspects peuvent aboutir à de fausses conclusions. Or le caractère spécifique de la « course de relais » des scientifiques réside justement dans le fait que les échecs des prédécesseurs peuvent contribuer au progrès de la science aussi bien que leurs succès. 2 La remise en question des conclusions de certaines études écrites sur le même sujet n'amoindrit en rien les mérites de leurs auteurs.3 C'est dans cet esprit que nous nous sommes posé des ques­tions à propos (et non pas contre) des études publiées sur une superbe statuette en bronze d'Imhotep conservée dans le Musée des Beaux-Arts (fig. I ) . 4 En essayant d'y répondre, nous espérons pouvoir la dater avec plus de précision et la lier à l 'évolution chronologique du culte d'Imhotep.

Imhotep, en tant que personnage historique, devait occuper de hautes fonctions civiles et religieuses sous plusieurs pharaons de l'Ancien Empire. Ses activités liées à la construction en pierres ne contribuèrent qu'en partie à sa popularité postérieure dont parlent, non sans lacunes, les sources à notre disposition.5 A sa réputation due originel-

1 William Blake, On Art and Artists, VIII . 2 Peut-être le «juste milieu » n'existe-t-il même pas, voir Ankhchéchonqi (18,2): « Un échec honnête

vaut mieux qu'un succès médiocre. » 3 Autrement notre hommage n'est qu'un geste prudent sans message aucun. Voir l'expression visuelle

de ce geste sur un dessin de Paul Klee représentant deux hommes complimenteurs: Zwei Männer, einander in höher Stellung vermutend, begegnen sich (1903).

4 No. d'inv.: 51.2313. 5 Pour son culte, cf. Sethe, K., Imhotep, der Asklepios der Aegypten Leipzig 1902; Hurry, J. B.. Imho­

tep, the Vizier and Physician of King Zoser..., Oxford 1928; Kákosy, L., Imhotep and Amenhotep son of Hapu as Patrons of the Dead, AO 21 (1968) p. 109 et suiv. (= Studia Aegyptiaca VII [1981] p. 175-83; Wildung, D., Imhotep und Amenhotep. Gottwerdung im alten Ägypten, Berlin 1977.

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lement à son talent dans l'architecture et dans les lettres s'ajoutèrent par la suite de nouveaux éléments et i l finit par devenir un héros puis un dieu médiateur. Au Nouvel Empire i l fut considéré comme l'auteur d'un recueil d'Enseignements6 - œuvre dont rien ne subsiste aujourd'hui - et une nouvelle coutume est née parmi les scribes qui ont versé sur le sol quelques gouttes d'eau de leur palette en l'honneur de leur patron.7 Le sage finit par être élevé au rang d'une divinité. Un élément important de sa déification fut sa filiation au dieu Ptah de Memphis sous les Ramessides. Son statut de demi-dieu lui a valu sa fonction de médiateur entre les dieux et les hommes et de nouvelles « com­pétences » (médecin, magicien, astrologue, etc.) lui ont été attribuées. Son intervention fut sollicitée dans les affaires les plus variées ici-bas (accouchement d'enfants, guéri-sons, mariages) et dans l'au-delà (régénération des morts).

Quant à l'établissement et aux institutions de son culte ainsi qu 'à l'origine de son iconographie religieuse, les sources dans la période allant de la fin du Nouvel Empire à l 'époque saïte ( 2 6 è m e Dynastie) sont devenues de moins en moins nombreuses. I l faut donc prêter une attention particulière à une statue datée de la Première domination perse (27 e m e Dynastie) dont l'inscription semble confirmer que ce processus a eu lieu à l 'époque saïte au plus tard. En effet le propriétaire de la statue, un certain Iahmès, a hérité de son trisaïeul (vécu sous Psammétique I I ) un de ses titres lié au culte d'Imho­tep.8 Ce moment renvoie indirectement non seulement à l'existence d'un temple (pr 'Imhtp) et d'un clergé consacrés au culte d'Imhotep mais aussi à l'éventualité selon laquelle ce fut la famille de Iahmès - des gens de lettres et membres du clergé - qui a élevé au rang du culte la vénération d'Imhotep. Ce sanctuaire existant dès le V I I e m e

siècle devait être construit à proximité de la tombe d'Imhotep historique dans la nécro­pole de Memphis, dans la région du nord de Saqqara.9 Le culte d'Imhotep a pris de l'ampleur sous les Ptolémées. A cette époque, les monuments y relatifs se sont multi­pliés et son culte, encouragé notamment par la Dynastie régnante, fut diffusé aussi en Haute-Égypte. 1 0

Quoiqu'un inventaire monographique des sculptures représentant Imhotep sous l'as­pect de homo legens fasse toujours défaut, en raison des difficultés de datation11 et du

6 Posener, G., Les richesses inconnues de la littérature égyptienne, RdE6 (1951) p. 31, no. 1 ; Wildung, op. cit. §8-11.

7 Gardiner, A. H., Imhotep and the Scribe's Libation, ZÄS 40 (1902-03) p. 146. 8 Statue naophore de Iahmès (jadis Berlin 14765). Elle aurait fait partie de la collection du pape Urbain

VIII (1623-44). Plus tard elle a orné le Palazzo Schiarra à Rome, cf. Erman, A., Geschichtliche Inschriften aus dem Berliner Museum, ZÄS 38 (1900) pp. 114 et suiv.; Wildung, op. cit. § 13.

9 Après plusieurs campagnes de fouilles à Saqqara-Nord, W. B. Emery prévoyait, dès le milieu des années 60, la découverte imminente de la tombe...

1 0 Le culte d'Imhotep fut lié à cette époque au culte de l'architecte-homme de lettres Amenhotep-Fils-de-Hapou déifié à Thèbes. La vénération d'Imhotep peut être démontrée jusqu' à la frontière méridionale de l'Egypte, notamment à Elephantine, cf. Laskowska-Kusztal. E., Imhotep d'Eléphantine, BSAK 3, München 1985, p. 281-87; dans l'île de Philae: Török, L., The Travels of an Ancient Egyptian Sage. The Imhotep Statue of the Fejérváry-Pulszky Collection, in Ferenc Pulszky ( 1814-1897) Memorial Exhibiton, Budapest 1997, p. 148 (n. 46).

1 1 Surtout en cas des pièces datées de la période allant de l'époque saïte à la 30 e m e Dynastie, cf. Varga, E., BullMusHongrBA 58-59 (1982) p. 141—46.

S

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1. Statuette d'Imhotep - côté droit. Budapest, Musée des Beaux-Arts

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manque d'inscriptions et de références indiquant la provenance,12 i l serait utile de pu­blier au moins les pièces épigraphiques susceptibles de fournir des repères d'onomas­tique, paléographiques et grammaticaux. Du point de vue de leurs aspects religieux, les pièces antérieures à l 'époque ptolémaïque sont particulièrement importantes car elles peuvent fournir des informations précieuses sur les débuts toujours vagues de l'institu­tionnalisation du culte. On verra plus bas que notre statuette semble appartenir à cette dernière catégorie.

Un peu d'épistémologie consacrée à Imhotep: l'étude des hiéroglyphes en Hongrie

« ...qu'il donne accès aux écritures » 1 3

En été 1853, deux savants hongrois fréquentaient régulièrement le British Museum pour y consulter des livres et des experts sur les aspects de la civilisation et de l'art de l'Egypte ancienne. L'un d'entre eux, le jeune Balázs Orbán (1830-1890), émigré poli­tique, fréquentait la bibliothèque du British Museum pour préparer l'édition de son livre écrit sur ses voyages à l 'Orient 1 4 et, peut-être, pour y trouver des références sur les objets qu ' i l avait achetés en Egypte. 1 5 L'autre, Imre Henszlmann, fondateur de l'historiographie d'art en Hongrie, travaillait à l'organisation de l'exposition (dans les salles du Museum of Archaeological Institute) de la Collection du feu Gábor Fejérváry que l'héritier Ferenc Pulszky, lui-même émigré politique, avait fait transférer à Lon­dres. A l'exposition thématique, présentant l 'évolution et l 'interdépendance des diffé­rentes civilisations, l'Egypte, point de repère de la chronologie universelle à l 'époque, fut représentée par des monuments variés. Dans l'interprétation des inscriptions hiéro­glyphiques, dont celle de la statuette de notre Imhotep, Henszlmann a fait appel à la compétence de l 'égyptologue S. Birch, collaborateur du British Museum. 1 6 Vu les dé­buts relativement tardifs de la science de l 'égyptologie en Hongrie, la description dé­taillée des importants aegyptiaca fut confiée, jusqu ' à la fin du X I X e m e siècle, à des

1 2 Wildung, op. cit. Exkursus I . 1 3 Barta, W., Aufbau und Bedeutung der altägyptischen Opferformel, Glückstadt 1968, requête no.

143, (exemples du Nouvel Empire et d'époque saïte). 1 4 Orbán, B., Utazás Keleten I - V I , Kolozsvár 1861. 1 5 Le point de départ et d'arrivée de son voyage fut Constantinaplc où sa famille vivait à l'époque. C'est

de cette ville qu'il envoie ses dons au Cercle du Musée de Transylvanie (Erdélyi Múzeumi Egylet) en 1859 quand, ayant été gracié, il a pu regagner son pays. La caisse contenant les objets aurait été égarée pendant le transport maritime, cf. Kolozsvári Közlöny 1859, no. 90, p. 361 ; Orbán, B., Sztambultól Szejkéig. Válogatott írások, (réd. A. Balázs), Debrecen 1990, p. 20. Des indications figurées sur la liste (provenance: « parois intérieures des catacombes » et « parois des salles intérieures ») laissent supposer que la caisse fut retrouvée et les pièces sont parvenues à la collection du Cercle du Musée. Elles documentent le patriotisme engagé du « plus grand des Sicules » ainsi que sa visite dans la tombe de Bakenrenef à Saqqara. Cf. Cihó, M., Collec­tions of Kolb and Orbán Balázs from Oradea and Cluj-Napoca, GM 81 (1984) p. 74. n.2.

1 6 Henszlmann, I . , Catalogue of the Collection of the Monuments of Art Formed by the Late Gabriel Fejérváry of Hungary, London 1853, p. 6, no. 33.

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savants étrangers. I l nous semble cependant de plus en plus confirmé que la clé « unique » de interprétation de l'inscription de notre pièce n'existe pas: c'est au prix des efforts faits à l'occasion de différentes expositions que la solution finale semble approcher.

La statuette fut présente dès 1842 dans la Collection de Gábor Fejérváry à Eperjes17

et fut accessible, en partie, aux amateurs d'art de l'époque. Les objets de la Collection ont été regroupés de façon qu'ils représentent les grandes civilisations de l 'humanité. La Collection et la bibliothèque du collectionneur furent destinées à « raffiner » le goût des visiteurs et à les aider à se faire une idée de synthèse de l'histoire de l 'humanité. C'est dans ce sens que la vie du jeune Henszlmann a pris un tournant autour de 1830, époque où son « penchant » pour l'art est devenu une passion. 1 8 I l en était de même pour Ferenc Pulszky, élevé par son oncle Gábor Fejérváry, qui a pris les « munitions » von Haus aus lui permettant de jeter les bases de l'archéologie en Hongrie. Aspirant à l'universalité, Pulszky et Henszlmann cherchaient à devenir polygraphes et, vu leur rôle dans l'introduction en Hongrie des sciences citées ci-dessus, ils ont eu toute la chance de devenir fondateurs des recherches égyptologiques en Hongrie.

Dans la première moitié du X I X e m e siècle, l'intérêt porté vers les monuments de l'Egypte ancienne fut plus grand que l 'on ne s'y attendrait.1 9 Malheureusement i l ne s'est manifesté qu'au niveau de l'amateurisme. Pourtant les occasions ne manquaient pas: l'historiographie aurait pu y jouer son rôle mais elle s'est limitée à chercher à l'Orient, de façon plutôt romantique, les origines du peuple hongrois. I l en était de même pour la linguistique essayant de remonter l'origine de la langue hongroise à l'Antiquité, on l'a même mise en rapport avec la langue égyptienne! Les premiers orientalistes qui auraient pu encourager le progrès des recherches égyptologiques ont souvent été incapables d'élargir les cadres mêmes de leurs disciplines. 2 0 Quant aux jeunes diplômés hongrois de l 'Académie Orientale de Vienne, ils furent motivés de faire plutôt carrière dans la diplomatie et dans les échanges commerciaux avec l'Orient. 2 1

Leur mentalité tranche nettement avec la largeur de vue et l'esprit critique de Pulszky et Henszlmann et avec leur penchant pour le positivisme. 2 2 Quoique de larges connais-

1 7 Elle est figurée parmi les dessins du Liber Antiquitatis exécutés par les peintres viennois J. Bûcher et W. Böhm en 1842.

1 8 Détails écrits par Henszlmann dans la partie biographique d'une requête, cf. Tímár, A., Adalékok Henszlmann életrajzához, Ars Hungarica 8 (1990) 1, p. 134.

1 9 Les gazettes publiées dès 1810, dans la deuxième vague de publication de périodiques, y ont offert un forum idéal. Cf. notamment Hasznos Mulatságok publiant des articles en 1818 et en 1821 sur l'écriture égyptienne. Horváth, J., A magyar egyiptológia története, Budapest 1985, p. 43^t5.

2 0 On a reproché notamment à Sándor Körösi Csorna, fondateur de la tibétologie, d'avoir abandonné la recherche du pays primitif des tribus magyar, cf. Kazinczy, G., Az oroszok. Társalkodó 1841, no. 64, (Pest 11 août) p. 253-54.

2 1 L'Orientalische Akademie fut fondée en 1753 par l'impératrice Marie-Thérèse, selon le modèle français, cf. Satzinger, H., Das Kunsthistorische Museum in Wien, Die Ägyptisch-Orientalische Sammlung, Mainz am Rhein 1995, p. 16. La liste des diplômés hongrois dans la première moitié du siècle dernier à ma disposition est assez lacunaire.

2 2 Széles, K., Henszlmann Imre művészetelmélete és kritikusi gyakorlata, Irodalomtörténeti Füzetek 126, Budapest 1992.

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sances des civilisations orientales lui aient été attribuées, Pulszky n'a jamais appro­fondi ses recherches dans ce domaine. 2 3 C'était plutôt vrai pour Henszlmann qui a prêté plus d'attention à l'art et à l'architecture de l'Egypte pharaonique dans ses re­cherches visant à faire une synthèse de l'histoire universelle des civilisations. I l fut suffisamment motivé par la Collection Fejérváry: la première description de la Collec­t i o n 2 4 ainsi que la rédaction du Catalogue de l'exposition à Londres (1853) ont été faits par lui. D'autre part, dans sa thèse traitant des principes généraux du canon dans l'art, i l remonte ses recherches jusqu 'à l'histoire de l'architecture de l'Egypte ancienne.25

Quoiqu'il n'ait jamais cessé de porter son intérêt vers l'Egypte, 2 6 i l n'a pas cherché à élargir ses connaissances de la langue égyptienne.

Près de cinquante ans après le déchiffrement des hiéroglyphes, étape décisive de la naissance de l'égyptologie, l 'Académie des Sciences de Hongrie a fait des efforts pour rattraper le retard dans ce domaine: sans résultat concret.2 7 Par contre, l'Exposition Universelle de 1873 à Vienne, capitale de l'État dualiste, a eu un effet plus important sur le progrès de l'orientalisme tout entier: l'Expo, une sorte de « ville-musée », visait notamment à « reconstruire » l'histoire de l 'humanité, dans l'ambiance d'un tourbillon­nement total, 2 8 rendant possible de voir de près le monde oriental et créant des contacts entre les objets et les savants de même qu'entre les savants eux-mêmes. Dans l'espace «archéologie» du pavillon hongrois fut exposée la statuette d'Imhotep, ce qui a permis à l'égyptologue allemand G. Ebers de l'étudier de près. Celui-ci a envoyé à Henszlmann la traduction allemande, peu exacte, de l 'inscription. 2 9 Un autre moment illustre bien la nécessité de former des égyptologues en Hongrie : 3 0 une pièce maîtresse du Musée

2 3 En tout cas, selon certains, il a bien connu la littérature sur l'art égyptien au milieu du siècle dernier. Voir son étude «Iconographie Researches on Human Races and their Art», in Maury, A - Pulszky, F -Meigs, J. A..,Indigenous Races of the Earth, or New Chapters of Ethnological Enquiry, London-Philadelphia 1857, p. 87-202. Par contre, les vers suivants exaltant Pulszky sont exagérés: «T« connais l'ancien, les secrets des catacombes et des pyramides te sont ouverts, tu connais Persepolis et Ninive... etc.: Tóth, L., Pulszky Ferenc, Hazánk 4 (1885) p. 403-24. Pulszky s'intéressa à l'art de Egypte ancienne pour se faire une idée plus précise de l'évolution des civilisations. Il en était de même dans son étude sur les caractéris­tiques de l'écriture hiéroglyphique: Pulszky, F, Az írás eredete, Budapesti Szemle 20 (1864) p. 207-21.

2 4 Henszlmann, L, in A Magyarföld és népei (1846) fasc. I I I , p. 7-12. 25 Théorie des proportions appliquées dans l'architecture depuis la XIIe dynastie des rois égyptiens

jusqu 'au XVIe siècle (...), Paris 1860. Il est donc le premier savant hongrois cité par un répertoire consacré aux livres écrits sur l'Egypte ancienne. Cf. Jolowicz, H., Bibliotheca Aegyptiaca, Suppl. IX, Leipzig 1861.

2 6 A cette époque, i l a publié des revues des livres égyptologiques ainsi qu'une étude sur l'art égyp­tien: Az ó-egyiptomi művészetről, Archaeologiai Értesítő ( (N.S.) 1888, prem. fasc. p. 1-10.

2 7 L'Académie a lancé un concours sur «l'état de l'égyptologie aujourd'hui» (Az egyiptomi régiségtan mai állása), Magyar Újság 1871 (5 e m e année) no. 127, p. 3. L'appel semble être resté sans écho.

2 8 Hoffmann, W., A földi paradicsom. 19. századi motívumok és eszmék. Budapest 1987, p. 86-110.(Das irdische Paradies, Motive und Ideen des 19. Jahrhunderts, München 19742).

2 9 Henszlmann, L, A bécsi 1873. évi világtárlatnak magyarországi kedvelőinek régészeti osztálya, in Monumenta Hung. Arch. Magyarországi Régészeti Emlékek I I , Budapest 1875-6, p. 28.

3 0 A l'époque, seul l'islamologue Ignác Goldziher connaissait quelque peu l'écriture hiéroglyphique. Dans l'année académique 1870-71 il a fréquenté, à côté des cours d'arabe, de turc et de perse du Profes­seur H. L. Fleischer, les cours de langue de G. Ebers. Il a pris vite connaissance avec les hiéroglyphes mais l'apprentissage de l'écriture hiératique lui a posé des problèmes, cf. Goldziher, L, Napló, Budapest 1984, p. 63; Blumenthal, E., ZÄS 117 (1990) p. 102.

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National de Hongrie, la statue naophore du prince héritier Chéchonq 3 1 fut inventoriée en 1862 sous la mention de «statue de femme». C'était l 'égyptologue allemand H. Brugsch qui, séjournant à Budapest aux derniers jours de l 'Expo, 3 2 a reconnu l'impor­tance historique de la pièce grâce à l'inscription gravée sur le pilier dorsal. 3 3 Le tour­nant dans le domaine de la formation déjeunes orientalistes a eu lieu au moment de la clôture de l'Expo: on a annoncé que l'empereur François-Joseph a eu enfin autorisé l'enseignement des civilisations orientales à l 'Université de Budapest selon le modèle de l 'Académie Orientale de Vienne. 3 4 La création de la Chaire de Philologie sémitique fut une étape décisive dans le progrès des recherches scientifiques35 permettant notam­ment à Edouard Mahler (1857-1945) de faire une carrière d'égyptologue en Hongrie.

L'historique de cette pièce maîtresse de l'ancienne Collection Fejérváry-Pulszky est inséparablement lié à la « renaissance » des recherches sur la famille Pulszky, no­tamment sur ses deux membres éminents, Ferenc et son fils Károly pour mieux mettre en lumière le rôle qu'ils ont joué dans le domaine de la vie sociale et scientifique ainsi que leur talent multiple. A propos de l'exposition de 1988 consacrée à la mémoire de Károly Pulszky, premier directeur au destin tragique du Musée des Beaux-Arts, lui assurant une réhabilitation posthume, János György Szilágyi a fait une étude de syn­thèse de l'histoire de la Collection Fejérváry-Pulszky et a découvert de nouveaux dé­tails sur l'origine de notre statuette.36 Grâce à cette étude et au travail soigneux de notre restauratrice Mlle Irén Vozil, la pièce - délivrée de la couche de corrosion plu­sieurs fois millénaire - a révélé, en 1989, de nouveaux aspects iconographiques et philologiques. La première étude de synthèse de cet objet a été faite par Vilmos Wessetzky.37 S'appuyant sur des critères paléographiques, Wessetzky a daté la sta­tuette de l 'époque ptolémaïque sans l'avoir étudiée en détail du point de vue d'ono­mastique et stylistique. A l'occasion de l'exposition de 1997, organisée à la mémoire de Ferenc Pulszky, László Török a consacré une étude à cette pièce et l'a datée, d'après des critères de style, de l 'époque ptolémaïque. 3 8 A l'encontre de ces deux opinions concordantes, i l nous paraît que l'examen de l'inscription, dont l'onomastique, ne con­firme pas la date proposée.

3 1 Nagy, I . , BullMusHongrBA 82 (1995) p. 11-19; Gaboda, P., lot. cit. 21-30. 3 2 Brugsch, H., Mein Leben und mein Wandern, Berlin 1894, p. 321-22. 3 3 Sur les expériences favorables de Brugsch quant à sa visite en Hongrie cf. Fővárosi Lapok 10

(1873), no. 273 (27 nov.), p. 1 \ %l,ArchaeológiaiÉrtesítői (1873) p. 316. Le texte de la statue de Chéchonq fut reproduit dans le «Thesaurus» de Brugsch (p. 1450, no. 79).

34 Fővárosi Lapok 10 (1873) no. 253 (4 nov.) p. 1101 et no. 254 (5 nov.) p. 1105. 3 5 Cf. Horváth, op. cit. p. 94-96. 3 6 Les étapes du trajet européen de la statuette: le trésor de l'Abbaye de Saint Denis - collection d'A.

Lenoir, ancien directeur du Musée des Monuments Français (ayant compris des objets religieux), après la Révolution Française - collection Fejérváry-Pulszky (avant 1842). Cf. Szilágyi, J.Gy., in Pulszky Károly Emlékének, Budapest 1988, p. 33 et 65.

3 7 Wessetzky, V., BullMusHongrBa 72 (1990) p. 7-14. 3 8 Török, op.cit., p. 37^14 et 146-154.

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Étude de l'inscription: prosopographie, onomastique, paléographie

L'inscription gravée sur la plinthe de la statuette contient une invocation à Imhotep lui demandant le « don de la vie » c'est-à-dire la survivance dans l'au-delà. Quatre personnes y sont mentionnées (voir dossier no. 1 ): le dédicateur, ses parents et sa grand-mère (probablement du côté maternel). Avant de passer à l 'étude des noms, nous de­vons préciser que leur étude détaillée sous l'aspect de la prosopographie n'était pas possible jusqu'ici à cause de la la lecture incertaine de deux d'entre eux.

1. hlm-hnsw La couche de corrosion a longtemps rendu impossible la lecture de ce nom. 3 9 Grâce

au travail soigneux de Mlle Vozil, les signes sont maintenant visibles mais leur inter­prétation pose toujours des problèmes. L'hésitation de V. Wessetzky - ayant proposé la lecture hl-m-hnsw,40 absent dans le répertoire de H. Ranke - a été due à l'incertitude des égyptologues quant aux noms propres composés de « hlm+nom de divinité » . 4 1 Le déterminatif figuré dans l'écriture du nom semble faciliter l'interprétation:

0

I l s'agit d'une paume tournée vers le bas :

Le sens figuré du verbe him, ayant d'ailleurs plusieurs valeurs phonétiques, 4 2 vient d'être précisé . 4 3 En effet, les significations « courber » (le bras/le dos) ou bien « se courber» (avec les prépositions n ou r. « devant, vers ») ont revêtu un sens nouveau: « rendre hommage à qqn » (emploi transitif), 4 4 ce qui explique la création de noms propres théophores dont le premier élément est him.45 Or les noms propres rares of­frent souvent d'excellents critères de datation. Ayant examiné les noms sous cet as-

3 9 En 1853 Birch n'y a vu que les signes « ...m-Khonsou ». 4 0 Sans l'expliquer dans le détail il l'a interprété «il se lève Qf) comme (m) Khonsou». 4 1 Le nom$>hlm-hr (PN I . 262, 29) elhJm-hnsw (PNI. 263,1) ont échappé à l'attention de V. Wessetzky.

Dans son livre, Die spätägyptischen Totenstelen (Glückstadt 1975), P. Munro propose la transcription h3c-m tandis que dans l'Index du livre (de Meulenaere, H.-Limme, L., - Quaegebeur, J., Index et addenda, Bruxelles 1985) on trouve him. Depuis, les deux formes sont souvent citées parallèlement, cf. notamment les répertoires annuels de J.-L. Chappaz publiés dans le BSEG.

4 2 L'alternance des signes h et h ont abouti assez tôt à une variante h'm tandis que l'alternance phoné­tique m:b a donné lieu à la forme h3b.

4 3 Cf. Meeks, D., Année Lexicographique I I (1978), Paris 1981, 78.2944 et III (1979), Paris 1982, 79.2147.

4 4 Cf. notammment Assmann, J., RdE 20 (1978) p. 33: emploi transitif à l'époque Ramesside ayant le sens « verehren ».

4 5 Donc « celui qui se courbe / courbe les bras devant la divinité X» > «celui qui rend hommage à la divinité X ».

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pect, on peut préciser que leur usage fut le plus fréquent aux 2 5 e m e - 2 6 e m e Dynasties.4 6

Les gestes de salutation, dont l'inflexion du corps et la pose des mains sur les ge­

noux, 4 7 furent rangés par les Égyptiens parmi les formes spécifiques de la langue des

gestes 4 8 L'existence de ces gestes dans un contexte religieux est illustrée notamment

dans la sculpture de Basse époque: les figures agenouillées posant les mains tournées

vers le bas sur les genoux expriment, selon Bothmer, le geste d'adoration le plus sim­

ple par lequel l'adorant offre soi-même à la divinité. 4 9 L'inventaire des noms «Véné­

rant Khonsou » (Kham Khonsou) ainsi que l 'établissement de dossiers généalogiques

nous aident à mieux définir l 'époque où ces noms furent en usage.

Dossier no. 1

Plus d'une vingtaine de statuettes funéraires portant le nom du « scribe royal »

Horemakhbiî sont conservées dans de différents musées . 5 0 Dans leur inscription, les

noms des parents - Kham Khonsou et Néfer-Neith - sont mentionnés sans l'indication

de leurs titres. L'usage de la matière - de la fritte glacée - fut une caractéristique de

l 'époque saïte 5 1 de même que l'exécution très soignée, la fine gravure des signes ainsi

4 6 him-hr, cf. Ranke PN I . 262, 29 et le répertoire informatisé de J. Hallof énumérant surtout des références datées des 25 e m e -26 e m e Dynasties. Cf. encore Munro, op. cit. p. 189 (Cairo A 9447) - le père du propriétaire d'une stèle en bois- et p. 200 (Le Caire A 9417) - grand-père d'une dame mentionnée sur une stèle datée du milieu ou de la fin de l'époque saïte; Aston, D. A., OMRO 74 (1994) p. 34: caisse des statuettes funéraires de Khamhor (B), prêtre de Montou. Dans la famille de Montouemhat, quatrième prophète d'Amon (fin de la 25 e m e Dyn.) plusieurs ascendants portent ce nom, cf. Legrain, G., Statues et Statuettes ... I I I , Le Caire 1914, p. 81 sk.

him -Jmn - le père d'une dame vivant autour de 620 av. J.-C. (Bruxelles E 6253),cf. Munro, op. cit. p. 196;

him.t Rict-ih3w: nom féminin, qui n'est pas encore répertorié, porté par une prêtresse de Riat-ihaou (une épithète d'Isis) qui exprime aussi de cette façon son attachement à la déesse - stèle datée de la 26 e m e

Dynastie, Hodjash, Sv. - Berlev, O., The Egyptian Reliefs and Stelae in the Pushkin Museum of Fine Arts at Moscow, Leningrad 1982. No. 121.

4 7 Brunner-Traut, E., Gesten, in LÀ I I , 577-85 et Hérodote I I , 80. 4 8 Dominicus, B., Gesten und Gebärden in Darstellungen des Alten und Mittleren Reiches, Heidelberg

1994, p. 178. Parmi les termes égyptiens exprimant « Ehrfurcht, Respekt », le mot hím ne peut être relevé que dès le Moyen Empire, cf. encore p. 23, 35-36.

4 9 Bothmer, B.V., ESLP, New York 1960, p. 60-64. Bothmer a inventorié 35 références datées de la période allant de l'époque pré-saïte jusqu'à la 3 l e m e Dynastie. Sur ce geste au début de l'époque saïte, cf. Clère, J.J., Une statuette du vizir Bakenrénef, in Artibus Aegypti. Studia in honorem B. V. Bothmer, Bruxelles 1983, p. 30.

5 0 Pour leur enumeration, cf. Schneider, H. D., Shabtis I , Leiden 1977, p. 225-226 (mentionnant aussi un miroir en bronze à Leyde). Depuis: Seipel, W., Ägypten. Götter, Gräber und die Kunst. 4000 Jahre Jenseitsglaube I , Linz 1989, p. 17, No 200 (^Bruxelles, Musées Royaux d'Art et d'Histoire Inv. E 5554); Pernigotti, S., Personaggi di epoca tarda negli usciabti del Museo di Bologna, in Studi in onore di Edda Bresciani, Bologna 1985, p. 403—412; \á.,Una nuova collezione egiziane al Museo Civico Archaeologico di Bologna, Pisa 1994, p. 97; Cesaretti, M.P., Bologna 1990, p. 223-5 No. 174; Vassilika, E., Egyptian Art (Fitzwilliam Museum), Cambridge 1995 no.50 p. 108 ; Schlick-Nolte, B., in Liebieghausmuseum Alter Plastik Bd 11, Frankfurt am Main 1991, cat.No. 84, p. 175-181 ; Haslauer, E., in Seipel, W.,Das Vermächtnis des Pharaones.Meisterwerke aus den ägyptisch-orientalischen Sammlungen des Kunsthistorischen Museums, Wien-Zürich 1994, 280-1 no.206; Moorey, P. R. S., Ancient Egypt (Ashmolean Museum), Oxford 1988, p. 57, No 44.

5 1 Cooney, J. D., Glass Sculpture in Ancient Egypt, Journal of Glass Studies 2 (1960) p. 10^3.

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que la forme ovale du visage. Les plis « koushites » sur le visage aident à les dater de la première période de l 'époque saïte. Dans l'inscription du socle fragmentaire d'une statue de Vienne, E. Rogge suppose découvrir les noms de la famille du même Horemakhbit portant les titres « connu du roi » et « scribe royal » . 5 2 La statue en basalte de la figure agenouillée posant les mains sur les genoux (geste him?) fut datée, aussi d'après le style, du début de l 'époque saïte par E. Rogge. Quoique la provenance soit inconnue, la titulature du père semble indiquer le lieu de l'activité des membres de la famille: « le connu du roi, hm hn (?), celui qui façonne les membres de mains habiles dans smnw-hr, le serviteur d'Amon ». Èmnw-hr (« les oies d'Horus ») fut la capitale du 2 1 e m e nome de Haute-Egypte, mentionnée la première fois au Moyen Empire. 5 4

Seule sa nécropole est connue aujourd'hui à Kafr Ammar/Tarkhan situé entre les pyra­mides de Médoum et Lisht.

Après le Moyen Empire, les premières références datent de l 'époque des 2 5 e m e -2 6 e m e Dynasties: dans les inscriptions de deux tombes 5 5 peut être relevé le titre «celui qui façonne les membres» qui est devenu plus fréquent à l'époque gréco-romaine. Ce titre se rapporte à Khnoum, dieu principal de Kafr Ammar, et à son clergé. Le dieu créateur Khnoum a façonné, bâti (kd) les dieux et les hommes et, prenant part à l'acte de la régénération, ses bienfaits furent sollicités aussi dans l 'au-delà. 5 6 I l façonne no­tamment les membres d'Osiris. Ne pouvant pas exclure l'existence de liens entre les monuments réunis dans le dossier no. 1 et la statuette de Budapest, nous devons relever un nouvel élément qui les met encore en rapport. En sa qualité de dieu créateur, accom­plissant l'acte de la création par des méthodes « artisanales », Khnoum peut être mis en rapport avec Ptah (Ptah-Tatenen), le dieu artisan-créateur de Memphis et - par son intermédiaire - avec Imhotep. 5 7

Dossier no. 2 Un autre Kham-Khonsou né de Tacherit-net-Iah est connu par ses statuettes funé­

raires soigneusement exécutées qui peuvent être datées, d'après leur style, de la 2 6 e m e

Dynastie. 5 8 Des vases canopes portent aussi son nom. 5 9

5 2 Rogge, E., Statuen der Spätzeit (750-ca.300). CAA Wien Kunsthist.Mus.9,36-. No d'inv.: KhM ÄS 8573.

5 3 rh nswt; hm hn; kdw hc.w rwd r.wj m smn-hr; hm-ntr 'Imn. 5 4 Gomaà, F., Die Besiedlung Ägyptens während des Mittleren Reiches I . , Wiesbaden 1986, 371 et

suiv. 5 5 Yoyotte, J., Études géographiques I . La « cité des acacias » (Kafr Ammar), RdE 13 ( 1961 ) §9, p. 72. 5 6 Abou-Ghazi, D., Favours to the King from Khnum in the Pyramid Texts, in Fs Kákosy, Budapest

1992, p. 27-32. D'après les Textes des Pyramides, c'est Khnoum qui construit la barque montant le roi défunt au ciel (var.: l'échelle) et c'est également lui qui «re-façonne», rassemble les membres du roi.

5 7 Cf. Laskowska-Kusztal, op. cit. 5 8 Les pièces conservées à Como, Florence et Braunschweig ne nous ont pas été accessibles. Pour

d'autres, cf. Schlick-Nolte, B., - von Droste zu Hülshoff, V., Ushebtis aus den Sammlungen Hessisches Landesmuseums in Darmstadt I , Mainz am Rhein 1984, p. 225-226; Depaw, M., Egypte onomwenden. Egyptische oudheden van het museum Vleeshuis, Antwerpen 1995, p. 154. No. 218; Thirion, M., Notes d'onomastique, RdE 39 (1988) No 2.

5 9 CGC 4165, 4167-69 (cf. encore Thirion, M., RdE 45 [1994] 187).

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Dossier no. 4

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Dossier no. 3 Une stèle du Museo Nacional de La Havane, de provenance inconnue (Héliopo­

lis?), porte également ce nom. Le propriétaire Kham-Khonsou fut, de son vivant, «le serviteur d'Amon et prêtre-sm», à la 2 6 e m e Dynastie et la stèle fut érigée à sa mémoire sous Psammetique I I . 6 0

On peut donc conclure que la chronologie de l'usage des noms composés avec l'élément kham, dont surtout la forme Kham-Khonsou, suffirait, à elle seule, à fournir des repères importants permettant de dater de l 'époque saïte la statuette de Budapest. Un autre élément à l'appui pourrait être le nom du père (2) hr-î.ir-dj-s(w) documenté dans le même intervalle de temps. 6 1 Le nom de la mère (3) Néfer-Sekhmet - ainsi que ses variantes grammaticales revêtues d'une connotation religieuse6 2 - est moins élo­quent sur ce point: quoique rarement, i l fut en usage à la Basse é p o q u e 6 3 et à l 'époque gréco-romaine. 6 4 Du point de vue topographique, les indications sont plus précises: les recherches menées par Hoenes65 ont démontré qu'après le Nouvel Empire le nom de Sekhmet dans l'onomastique peut être relevé surtout dans la région de Memphis, centre principal du culte de la déesse. Deux noms féminins sont particulièrement intéressants pour nous. L'un fut porté par la mère d'un certain Iahmès dont la statue naophore datée de la 2 7 e m e Dynastie fut mentionnée plus haut. 6 6 Elle faisait partie d'une lignée sacer­dotale au service du culte d'Imhotep ayant peut-être joué un rôle important dans l'éta­blissement même de ce culte. Le deuxième est mentionné sur un fragment de papyrus démotique découvert dans la nécropole des animaux sacrés à Saqqara-Nord - lieu de

6 0 Cf. Lipinska, J., CAA Cuba 1, Mainz am Rhein 1982, 101-2. 6 1 Ranke PN I . 246,7 (stèle d'Apis au Louvre, no. d'inv. 227 - ultérieurement, la lecture proposée est

Hr-ir-aA (?); statue de bois à Berlin, no. d'inv. 8814). Compte tenu de la variante religieuse (hr-P-i.ir-dj-sw: sur deux statues de Basse époque - Le Caire CGC 665 et 712) et de la forme féminine du nom (hr-i.ir-dj-st: stèle du début ou de la fin de l'époque saïte, cf. Munro, op. cit. p. 256) on arrive au même résultat chronologique.

6 2 Hoenes, S.-E., Untersuchungen zu Wesen und Kult der Göttin Sachmet, Bonn 1976, p. 29-33. (enu­meration des noms théophores composés avec le nom de Sekhmet d'après le seul répertoire de Ranke).

6 3 n3-nfr-shm.t: 26 è n i e Dyn.(!) - cf. Ranke PN I . 200,2 (groupe de statues, Louvre Inv. 30/3); Munro, op. cit. p. 298 (mère du propriétaire d'une stèle du Caire T.28/10/24/5 datée de 600 av. J-C).

shm.t nfr.t: 27 è m e -30 è m e Dyn. - dans la filiation d'un ouchebti, cf. Pernigotti, S., Antichita' egiziane nei Musei di stato délia Repubblica di S. Marino, BSEG 13 (1989) no. 10, 138. Cette enumeration des références datées de la 26 e m e Dyn., y compris le monument de Budapest, pourrait peut-être dissiper les réserves formulées à propos de la datation des vases canopes de Kapès, fille de Nefersakhmet. La typolo­gie renvoie aux 2 1 è m e - 26 è m e Dyn., quoique le nom Kapès soit documenté dès la 26 e m e Dynastie, Ranke (PN) ne mentionne qu'une référence de la 27 e m e Dyn. (la statue de Iahmès jadis à Berlin), ce qui peut être à l'origine de l'hésitation de Laurent, V., Antiquités égyptiennes. Inventaire des collections du Musée des Beaux-Arts de Dijon, Dijon 1997, p. 69-70.

64 Nfr-shm.t: dans la filiation d'un ouchebti du début de l'époque ptolémaïque, cf. Schneider, op. cit. p. 170. Pour l'époque gréco-romaine: la fille du propriétaire d'un socle de statue (BM 512), cf. Wildung, op. cit. § 47.

6 5 Hoenes, op. cit. p. 29. 6 6 Pour les ouchebtis (représentant 3 types) de lahmes, fils de Nefersakhmet, cf. Schneider, op. cit. p.

228-29; Bourriau, J., JEA 72 (1986) p. 182, no. 240 (= nouvelle acquisition du Musée de Birmingham: A 2 1984); et surtout récemment Piacentini, P., BSEG 16 (1992) p. 69-79.

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provenance de nombreuses statuettes votives d'Imhotep. Ce texte littéraire raconte une histoire embrouillée dont le protagoniste porte le nom Nanoufesakhmet (N3-nfr-shmt).67

L'action se déroule dans la première période de l 'époque saïte: 6 8 après la mort de son mari, grand prêtre de Létopolis, - causée par des intrigues dans la Cour - Nanou-fesekhmet fut obligée de se cacher, pendant six ans, dans la nécropole (!) de Memphis.

Datant notre statuette de l 'époque saïte, époque où le culte à peine instauré d'Imho­tep n'a pas encore été diffusé au-delà de la région memphite, la question se pose de savoir si l'onomastique étudiée ci-dessus se rapporte à une famille rattachée, dès le début, au culte d'Imhotep à Memphis. Comme nous l'avons vu, le nom de la mère (Nefersakhmet) indique nettement l'origine memphite de la famille et les noms théophores des autres membres ne contredisent pas cette hypothèse. 6 9

Quant au nom de la grand-mère ^ (4), i l fut longtemps illisible sur notre monument. Grâce aux efforts de notre restauratrice, quelques signes ont pu être lus dès 1989, notamment le signe Ç hr ainsi que le terme « juste de voix » écrit avec l'hiéro­glyphe représentant une gerbe de fleurs, graphie typique employée en cas de femmes défuntes. 7 0 La lecture de cette graphie insolite proposée par V. Wessetzky fut tij-hr(r).11

La solution de l 'énigme dépend nécessairement de l'interprétation du signe tj(f)

compte tenu des changements phonétiques et graphiques survenus dans l'évolution de

la langue. Après l'examen de plusieurs hypothèses, 7 2 nous croyons y voir le phéno-

6 7 Smith, H. S., - Tait, W. J., Saqqâra Demotic Papyri /., London 1983, No. 1 {Histoire de Djedseshep, Nanoufesakhmet et Hormakherou).

6 8 L'action se situe au début de l'époque saïte tandis que la rédaction du texte date du I V è m e siècle av. J-C, cf. op. cit. p. 61.

6 9 Khamkhonsou: le centre du culte de Khonsou fut Thèbes mais le dieu fut vénéré dans plusieurs autres temples d'Egypte: « Khonsou l'enfant » avait des prêtres dans le temple de Ptah à Memphis, cf. Vercoutter, J., Textes biographiques du Sérapéum de Memphis, Paris 1962, Texte M, ligne 1 (27 e m e Dyn.). Dans le cas des ouchebtis, de provenance incertaine, énumérés dans le dossier I , Thèbes et Memphis sont indiqués comme lieu de provenance notamment à cause de la mention du nom de Khonsou. Horirdisou: la figure d'Horus fut liée au Delta; il suffirait d'évoquer ses rapports avec Ptah et « son aimée » Sekhmet. Par suite du synchronisme Osiris-Ptah, Horus, fils d'Osiris, devint aussi le fils de Ptah, ce qui explique l'épi-thète « rejeton de Sakhmet » portée par Horus.

7 0 Cf. Geßler-Löhr, B., Zur Schreibung von m3c-hrw mit der Blume, GM 116 (1990) p. 25-43. Cette graphie peut être relevée d'abord au 18 e m e Dyn. en cas de noms masculins dans la région de Memphis et Heliopolis. Dès l'Epoque Ramesside son usage devient plus fréquent, cette fois seulement en cas de noms féminins.

7 1 Wessetzky, op. cit. La forme tjj - hrr étant inconnue, il devait penser au nom féminin t3-hrr «fleur». Les graphies de ce nom diffèrent cependant de celle figurée sur notre statuette, cf. Ranke PN I . 366,3.

7 2 Le terme tjj (rejeton) s'imposerait, mais le nom tj-(n)-hr «le rejeton d'Horus» ne fut porté que par des hommes, cf. Thirion, RdE 46 ( 1995) p. 185. La composition «tjj (sa/si>)+dieu+objet (les/le pays, etc.)» doit également être rejetée faute d'objet direct quoique ce nom de caractère belliqueux fût porté aussi par des femmes, cf. Munro, op. cit. p. 283 (BM 809) et Thirion, RdE 37 (1986) p. 132-33. On pourrait encore penser à un nom féminin (à cause de tj>t3) dont le premier élément est ß (article défini ou adjectif possessif) comme p.ex. t3-hrr ou t3-(n.t)-hr.w (Ranke PN I . 362) mais cette hypothèse est peu plausible.

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mène de «Mischschreibung». A notre avis, i l s'agirait d'une confusion due à la pro­nonciation analogue de deux mots différents où les consonnes fortes furent analogues: cette analogie devait être le résultat d'un changement phonétique reflété dans la forme écr i te . 7 3 I l en résulte une intéressante variante graphique des noms composés de «tjj (« saisir »)+divinité X+objet » ayant suivi la coïncidence intervenue dans la position articulatoire des consonnes t et d due à des changements phonétiques respectifs:7 4 la

consonne forte dans le verbe t(Jy) fut désignée par la graphie du verbe d(d).15

I l importe de souligner que l'emploi de d(d) à la place du signe j ^ s , t(3) peut être

observé dans l'onomastique à la 2 6 e m e Dynastie 7 6 - et plus d'une fois en cas de noms féminins! 7 7 I l est fort probable que ce phénomène de « Mischschreibung » se manifesta

aussi à sens inverse, c'est-à-dire le signe t(3j) fut employé pour désigner le verbe

d(d) « dire » . 7 8 Ainsi la graphie t(3j)-Hr du nom de la grand-mère pourrait désigner le nom d(d)-hr (grec: Teos).79 Le nom d(d)-hr fut porté surtout par des hommes dès la Basse époque et jusqu 'à l'époque gréco-romaine. 8 0 Quoique plus rarement, i l dési­gnait aussi des femmes,8 1 notamment à l'époque saï te . 8 2 Le nom d(d)-hr « a dit le visage » décrit l'acte de l'oracle 8 3 et peut comprendre, dans sa forme complète, aussi le nom de la divinité ainsi que l'oracle qu'elle donne: « a dit le visage de la divinité X: <qu'il/elle vive> » . 8 4 De même que les noms théophores des autres membres de la famille renvoient à des divinités donnant l'oracle, celui de la grand-mère désigne un tel rapport.

7 3 Ce phénomène est surtout fréquent à l'époque gréco-romaine, cf. Felber, H., Mischschreibungen, in Edfu Studien l (éd. Kurth, D.) p. 42-45 quoique des exemples antérieurs soient également connus, cf. Jansen-Winkeln, K., Spütmittelägyptische Grammatik der Texte der 3. Zwischenzeit, Wiesbaden 1996, p. 38-39.

7 4 L'alternance phonétique_t>t et d>d peut être observée dès la fin de l'Ancien Empire et le début de la Première Période Intermédiaire, ce qui a eu un effet aussi sur l'orthographe à l'époque saïte, cf. der Manuelian, P., Living in the Past. Studies in Archaism of the Egyptian Twenty-Sixth Dynasty, New York 1994, p. 98, §20.

7 5 La structure consonnantique du verbe dd « dire » s'est réduite à la seule consonne d dans la pronon­ciation aussi selon les sources démotiques et coptes.

7 6 Thirion, RdE 37 (1986) p. 132-33. 7 7 P. ex. Munro, op. cit. p. 278 - nom du propriétaire de la stèle JE 20240 du Caire datée de 630-600

av. J.-C-: tjj-'ls.t-im.w; p. 223 (Quibell, Ramesseum XXI, 15) - nom de la mère du propriétaire d'une stèle datée de 620-560 av. J.-C: tjj-hthr-im.w (Le premier élément de ces noms fut encore transcrit par Munro sous la forme dd, l'Index contient déjà les formes correctes.)

7 8 I1 ne s'agit pas ici que de la valeur d du signe ^ t, cf. notamment l'épithète « p3-cdr » d'Amon:

Fairman, H. W., ASAE43 (1943) p. 227, no. 188. Exemples d'époque saïte: Vermis, P., Amon P3-Cdr. de la piété « populaire » à la spéculation théologique, Fs Sauneron I I I , Le Caire 1979, p. 463, no. 3.

7 9 Le nom d(d)-hr, démotique: d-hr, grec: Teos, cf. Ranke / W L 411,12. 8 0 A l'époque saïte: p. ex. van Haarlem, W. M., Shabtis, in CAA, Allard Pierson Museum I I , Amster­

dam 1990. p. 165-66, etc. 8 1 Kamal, A.,ASAE 16 (1916) p. 83; Rogge, op. cit. p. 9, 131. 8 2 P. ex. Munro, op. cit. p. 226-27 (Bologna 1952, mère du propriétaire d'une stèle d'époque saïte). 8 3 Fecht, G., Wortakzent und Silbenstruktur, Glückstadt-Hamburg-New York 1960, p. 84, § 161, n.

254.

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Du point de vue de la paléographie, les signes gravés sur la plinthe et sur le rouleau de papyrus sur les genoux d'Imhotep furent utilisées déjà avant l 'époque ptolémaïque et aucun d'entre eux ne peut être considéré comme spécifique à cette époque. Les hiéroglyphes soigneusement gravés sur la plinthe rappellent le style de l'époque saïte. Seul le signe de l 'oeil ( -^Q^- ) dans le nom du âédicateurMm-hnsw paraît être un intrus

car i l n'a rien à voir avec la graphie du mot him. ^/<s>[ 8 5 H est plus probable qu ' i l

s'agisse d'une transposition graphique motivée par un souci esthétique ou d'économie de surface et sa place devait être devant le nom. En effet, i l pourrait s'agir du i.ir souvent documenté à l'époque saïte introduisant le nom du dédicateur. « /. ir » peut être considéré comme la forme relative du verbe irj (« qui a été fait I donné par ») ou comme une préposition (« par, du côté, de la part de ... » ) . 8 6 Par rapport à la stricte orthographie traditionnelle, la graphie du nom Néfer-Sekhmet est irrégulière et semble

correspondre à la forme de la prononciation contemporaine de ce mot (nfr>nf):

Dans ce cas, on peut observer une tendance qui se manifesta parallèlement avec le souci d'archaïsme de l'époque saïte: i l s'agit de l'écriture dite « alphabétique » dési­gnant de façon nouvelle des termes habituels.87 I l en est de même pour le texte gravé sur le rouleau: écrit dans le style classique, ce texte comprend des éléments grammati­caux dont l'usage fut déjà abandonné 8 8 d'une part et, d'autre part, l'orthographe ren­voie à des variantes de prononciation contemporaines contredisant les règles classi­ques. 8 9 Comme nous l'avons indiqué plus haut, les signes sont conformes aux valeurs phonétiques caractérisant l 'époque saïte, 9 0 seuls les trois hiéroglyphes du texte reli-

8 4 L'interprétation du nom «_d(d)-hr+d\vinité » fut facilitée dernièrement par l'étude des cas où la divinité se manifeste sous forme d'un animal sacré. En effet il s'est avéré que le nom du dieu oraculaire Teephibis mentionné dans le temple ptolémaïque de Qasr el-Aguz consacré à Thot et sur quatre papyrus démotiques de la Collection Michaelides peut être traduit comme suit: « a dit le visage de l'ibis ». I l ne s'agit pas d'une divinité autonome mais d'une manifestation de Thot sous forme d'ibis. Cf. Zauzich, K.-Th., Enchoria 4 (1974) p. 163; Quagebeur, J., OLP 4 (1973) p. 85-100; Id., BSFJ 70-71 (Juin et Octobre 1974) p. 37-55; Id., Enchoria 5 (1975) p. 19-24; Enchoria 7 (1977) p. 103-8.

8 3 Cf. de Wit, C, Les valeurs du signe de l'oeil dans le système hiéroglyphique, in Es Edel, Bamberg 1979, p. 446^47. (Il est peu probable qu'il s'agisse ici de la lecture cn ou cm sous forme de 3m).

8 6 Cf. Munro, op. cit. p. 157; Vernus, P., GM 29 (1978) p. 139; Id. RdE 34 (1982-83) p. 125; Id., RdE 41 (1990) p. 202; de Meulenaere. H., RdE 44 (1993) p. 13-14.

8 7 der Manuelian, op. cit. p. 81, § 10; p. 98, § 20. L'écriture dite « alphabétique » à l'époque saïte ne contredisait pas les traditions car il ne s'agissait pas d'une influence grecque (l'alphabet grec) cet usage ayant été caractéristique dès les Textes des Pyramides. Cf. encore Ray, J., DE 36 (1993) p. 137—43. En raison de la coexistence de plusieurs tendances, on ne peut pas parler d'une paléographie spécifiquement saïte.

8 8 P. ex. la préposition mj, cf. Smith, M., Remarks on the orthography of some archaism in Demotic religious texts, Enchoria 8 (1978) no. I I I .

8 9 Le verbe dd-f Ï\A régulièrement écrit sous forme de d(d)-f. 9 0 Voir notamment l'emploi du signe de la pièce de viande désignant le suffixe-/que l'on observe ici

dans les verbes_d(d)=f, mrj=f, en cas du nom 3ht=f et dans la préposition n-f. Cet usage n'est pas étrange à la paléographie saïte suivant des modèles classiques. Dans les inscriptions royales on ne le rencontre pas mais il est fréquent, par contre, en cas de textes de particuliers, cf. der Manuelian, op. cit. p. 69.

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gieux (plume-chacal-boucle de cheveux) laissent perplexe et on est tenté de leur attri­buer un caractère cryptographique.91 D'après la valeur Jj(-m-htp) de la figure du cha­cal et wr de la boucle de cheveux, Vilmos Wessetzky a proposé la lecture « grand Imhotep » . 9 2 Nous pourrions maintenant proposer une nouvelle lecture du signe de la plume. Vu la ressemblance entre la forme de la plume et celle du roseau fleuri, on pourrait y voir l'emploi de l'interjection j (« Oh »), solution envisagée d'ailleurs par Wessetzky. Ainsi invoqué, Imhotep devait transmettre à t3-tnn, personnification de l'Au-delà ou d'une région céleste , 9 3 la demande formulée dont le sens peut être mieux précisé par la correction de l 'un des signes. En effet, Wessetzky a interprété comme l'expression du verbe ck (« entrer ») le groupe de la vipère et son antre quoiqu'il s'agisse ici d'un mouvement en sens inverse (prj = sortir). Quelque peu modifiée, la demande se lit comme suit: «(...) Ta-tenen puisse lui permettre (litt.: donner) de monter (prj) au ciel pour (y) voir Rê sur son horizon et de descendre (h3j) sur terre pour (y) voir Osiris dans l 'Au-delà ». C'est donc Ta-tenen qui accorde au défunt le libre déplacement selon le cycle solaire vivificateur. I l peut ainsi sortir journalièrement de sa tombe, rejoindre le Soleil levant puis, la nuit tombante, descendre dans l 'Au-delà avec le Soleil cou­chant.9 4 Le proscynème renvoie donc aux liens syncrétiques entre Rê et Osiris. A notre avis, dans ce cas Osiris n'est pas que le dieu de l'Au-delà car dans ce contexte on trouve d'habitude, à côté de Rê, les noms de divinités solaires: Amon-Rê, Atoum, etc. Conformément au syncrétisme de l'idéologie solaire et osirienne, particulièrement ac­centué à la Basse époque, Osiris revêt ici l'aspect du Soleil nocturne.

9 1 Un exemple intéressant de l'usage de l'écriture cryptographique à l'époque saïte peut être observé dans l'inscription d'une stèle datée antérieurement de l'époque ptolémaïque mais qui date, d'après l'ono­mastique, de l'époque saïte: il s'agit du nom et de la titulature du scribe royal Ramose, cf. Jansen-Winkeln, K., BSEG 21 (1997) p. 13-20. Dans l'inscription de la statue de Vienne du scribe royal Horemakhbit fils de Kham-Khonsou (voir dossier no. 1) on rencontre aussi des signes cryptographiques, cf. Rogge, op. cit. p. 9,3.

9 2 Par suite de l'alternance phonétique r:n, le mot wr a pu remplacer la boucle-wnw à l'époque saïte, cf. Verhoeven, U., Das saitische Totenbuch der Iahtesnacht. P. Colon. Aeg. 10207,1, Bonn 1993, p. 7.2.1. Dans le sens inverse, la boucle a pu avoir la valeur phonétique wr (« grand »).

9 3 D'après les chapitres 15h (1.5) et 180 (1. 7) du Livre des Morts, le défunt est admis dans l'empire des morts par son père Ta-tenen. Dans la douzième heure du Livre de la Nuit, le défunt descend de la région céleste nommée ta-tenen. Sur la mention d'une référence juste avant l'époque saïte, cf. Roulin, G., Le Livre de la Nuit... I I , Göttingen 1997, p. 335-36. La popularité de Ta-tenen à l'époque saïte est illustrée notamment par le pectoral de la statue de Neferibrê-men représentant la figure du dieu portant les deux plumes sur la tête, cf. Stewart, H. M., Egyptian stelae, reliefs and paintings from the Pétrie Collection I I I , Warminster 1983, no. 132 (UC 14663).

9 4 Dans le proscynème à structure parallèle le verbe prj est toujours mentionné avec le verbe h3j, cf. Barta, op. cit., requête no. 67. (Le verbe aq va de pair avec prj, cf. loc. cit., requête no. 115). Ce désir de circuler librement dans l'Au-delà est exprimé dans plusieurs chapitres du Livre des Morts, dont le chap. 178. Sur une variante saïte de ce dernier, cf. Sadek, A. L, GM 115 (1990) p. 85-98. La traduction des lignes 3-4: « que tu ailles et que tu viennes (prj=k h3j=k) dans la Terre sacrée, selon le désir de ton coeur » (et la fin correctement: « journalièrement »).

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Les résultats des examens d'onomastique et paléographiques corroborent-ils les critères selon lesquels L . Török a daté notre pièce du début de l 'époque ptolémaïque? 9 5

En fait, les deux approches ne se diffèrent pas. A l'examen de plusieurs éléments iconographiques, Török a tenu compte du fait que les caractéristiques du souci d'ar­chaïsme d'époque sa ï t e 9 6 avaient pu inspirer l'art «archaïsant» de la 3 0 e m e Dynastie qui avait inspiré, à son tour, l'art du début de l'époque ptolémaïque. Pourtant nous ne croyons pas qu'il s'agisse ici d'un terminus post quem qui puisse confirmer la date si tardive de la transmission d'autant plus que toutes ces caractéristiques peuvent être observées dans l'art d 'époque saïte. Ainsi on peut contester les deux critères de data­tion avancés par Török - à savoir la forme de la jupe longue portée par la figure et la manière dont cette jupe est enroulée autour du corps.9 7 Quant à la forme du crâne, celui-ci fut copié sur des modèles du Moyen Empire ( 1 2 c m e D y n . ) . 9 8 Dans l'iconogra­phie de la figure, la calotte - portée d'habitude par le dieu Ptah - est un élément aussi important que la pose de scribe. Peut être ne faut-il pas y voir une simple caractéristi­que de homo legens: i l s'agit d'un vrai scribe qui met en écrit les sollicitations (voir la palette de scribe dans la main gauche) pour les transmettre vite (s'envolant) 9 9 au desti­nataire. La pose même de la figure est plus importante que la forme du siège sur lequel celle-ci est assise d'autant plus qu'il ne s'agit pas d'un élément constant de l'iconogra­phie d'Imhotep: le trône cubique peut éventuellement être remplacé (comme dans no­tre cas) par un siège d'une forme différente. Les riches ornements de notre figure, dont les incrustations, rappellent la qualité exceptionnelle des bronzes d'époque sa ï t e . 1 0 0 I l

9 5 Nous n'examinons pas ici le problème de la chaise, de qualité moins remarquable, jetée - selon notre restauratrice Mlle Irén Vozil, dans une moule d'un autre atelier.

9 6 Cf. Nagy, [., Remarques sur le souci d'archaïsme en Egypte à l'époque saïte, Acta Antiqua Acad. Scient. Hung. 21 (1973) p. 53-64. Les débuts de cette tendance remontent à la Dynastie précédente mais son épanouissement fut lié au règne des rois de souche égyptienne. Plusieurs formes de la transmission existaient parallèlement comme le constate der Manuelian d'après des analyses de textes: des copies directes; emploi de « Musterbuch « ou par voie de prototypes indirects (Vorlage).

9 7 Török y voit un «fringed skirt». Selon Bianchi, qui a étudié cette jupe comme l'élément d'un ensem­ble de 3 pièces, elle fut souvent portée dès l'époque saïte et cette «jupe saïte» fut populaire parmi les membres du clergé et les particuliers à l'époque ptolémaïque, cf. Bianchi, R. S., The striding draped male figure of Ptolemaic Egypt, in Das Ptolemäische Ägypten, Mainz 1978, p. 95-100. Nous avons découvert un vêtement analogue sur d'autres statuettes d'Imhotep, sans indication de date précise: Morenz, S., Gott und Mensch im alten Ägypten, Leipzig 19842, fig. 73 («Basse époque» - Berlin, Staatliche Museen, Ägyptisches Museen); Leca, A.-P, La médecine égyptienne, Paris 1971, pl. I I , p. 465 (« époque saïte? » -Louvre).

9 8 Crâne analogue: statue assise de Reneseneb-Dag, 12 e m e Dyn., cf. Finneiser, K., Das Ägyptische Museum Berlin, Berlin 1991, p. 63, no. 40; Delange, E., Catalogue des statues égyptiennes du Moyen Empire, Paris 1987, p. 130 (E 10914 - 12 è m e Dyn), 192 (E 22747 - 12 è m c Dyn.). Cette forme rappelle en même temps les têtes rondes de la 25 è m e Dyn. Datée du début de l'époque saïte (Psammétique I e r ) , elle est antérieure à la mode des «têtes d'oeuf» observées dès la deuxième moitié du V I è n i e siècle av. J.-C.

9 9 Aux sources décrivant Imhotep sous forme d'un oiseau-ba on peut ajouter un fragment de papyrus démotique ( I V e m e siècle av. J.-C.) découvert récemment où Imhotep est mentionné comme un scarabée ailé «qui est incapable de revêtir sa forme devant la foule» et qui ne devient visible que dans sa forme humaine. Assis sur un bloc de rocher (voir le trône cubique), il écoute - pendant une heure - la requête d'une femme. Cf. Smith-Tait, op. cit. p. 79 sk.

1 0 0 Cf. notamment la technique exceptionnelle de la statuette de Neith à Berlin (No. d'inv.: 15446).

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faut souligner le rôle des sandales d'argent - des sandales blanches hd.tj d'usage cul­tuel - indiquant le rôle médiateur d'Imhotep entre les sphères céleste et terrestre.101

Ce superbe bronze d'Imhotep date donc de la période de l'institutionnalisation du culte d'Imhotep, au début de l 'époque saïte (sous Psammétique I e r ) . I l s'agirait d'une pièce votive offerte par une famille dont les membres furent des prêtres et des gens de lettres. S'il se confirmait - ce qui n'est aujourd'hui qu' une hypothèse - que le dédicateur Kham-Khonsou fut identique au père de famille mentionné dans le dossier no. 1, i l serait possible de mettre en rapport cette famille, dont un membre (Horemakhbit) fut scribe royal, avec les débuts de l'instauration du culte d'Imhotep, patron des scribes.

PÉTER GABODA

Traduit par István Nagy

1 0 1 Staehelin, E., Untersuchungen zur ägyptischen Tracht im Alten Reich, Berlin 1966, p. 100: un homme récitant une formule magique doit porter des sandales blanches en cuir (Maystre, Ch., BÍFAO 40 ( 1941) p. 98 - Himmelskuh SI, 77/78). Pour le port de sandales à l'époque saïte, cf. Goffoet, J., Notes sur les sandales et leur usage dans l'Egypte Pharaonique, in Amosiadès. Mélanges offerts au Prof. Claude Vandersleyen, Louvain-la-Neuve 1992, p. 123 (sarcophage d'Ankhnesneferibrê: Osiris avec ses attributs portant les sandales) et Bresciani, E.,Le stele egiziane del Museo Civico Archeologico de Bologna, Bologna 1987, no. 33, tav. 47 KS 1941 - stèle en calcaire: sandales portées par le prêtre-ouâb Nesparê.