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Ann Pathol 2007 ; 27 : 257-9 © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 257 Cas pour diagnostic Accepté pour publication le 14 août 2006 Tirés à part : M. Peoc’h, Service d’Anatomie et de Cytologie Pathologiques, CHU Hôpital Bellevue, 42055 Saint-Étienne cedex 02. e-mail : michel.peoch@chu-st- etienne.fr Une lésion rare du col utérin A rare lesion of the uterine cervix Delphine Raoux (1) , Alix Clémenson (1) , Bertrand Felloni (2) , Abir Khaddage (1) , Brigitte Vaunois (1) , Anne Gentil Perret (1) (1) Service d’Anatomie et de Cytologie Pathologiques CHU — 42055 Saint-Étienne. (2) Service de Gynécologie, CHU — 42055 Saint Étienne. Raoux D, Clémenson A, Felloni B, Khaddage A, Vaunois B, Gentil Perret A. Une lésion rare du col utérin. Ann Pathol 2007 ; 27 : 257-9. Observation Une femme de 42 ans, d’origine occi- dentale, consultait pour des ménomé- trorragies. Une échographie montrait la présence d’un fibrome utérin responsable des saignements, ainsi qu’un kyste de 6 cm développé aux dépens de l’ovaire gauche. Une hystérectomie totale avec annexectomie gauche sous coelioscopie était réalisée. L’ovaire gauche mesurait 8 × 4 cm et présentait un kyste corres- pondant histologiquement à un cystadé- nofibrome papillaire séreux. L’utérus comportait par ailleurs, un léiomyome bien limité du myomètre et un ectropion du col utérin. Macroscopiquement, il n’existait pas d’aspect pigmenté du col utérin. La muqueuse endocervicale était le siège de foyers d’hyperplasie microglandulaire et micropapillaire dans un contexte inflam- matoire. Il s’y associait une métaplasie malpighienne, sans signe d’infestation virale ni de dysplasie. Au sein du chorion, sous l’épithélium endocervical, plusieurs foyers mal limités de cellules le plus sou- vent fusiformes ou étoilées, comportant des prolongements dendritiques, étaient observés (figure 1). Leur cytoplasme comportait parfois un pigment brunâtre, grossier et diffus, positif pour la colora- tion de Fontana et négatif pour la colora- tion de Perls. Il n’y avait pas de cellules pigmentées au sein de l’épithélium endocervical. L’étude immunohistochimique montrait une positivité de ces cellules avec l’anti- corps anti PS100 (figure 2) et soulignait le caractère disséminé et mal limité de ces foyers. Quel est votre diagnostic ? FIG. 1. — Foyer mal limité de cellules pigmentées sous l’épithélium endocervical (HES, grossissement × 5). FIG. 1. — Nest of pigmented cells poorly defined in the superficial endocervical stroma (HES, magnification ×5). FIG. 2. — Positivité des cellules dendritiques pigmentées avec l’anticorps anti-PS 100 (grossissement × 40). FIG. 2. — Positivity of dendritic pigmented cells for S-100 protein (magnification ×40).

Une lésion rare du col utérin

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Page 1: Une lésion rare du col utérin

A n n P a t h o l 2 0 0 7 ; 2 7 : 2 5 7 - 9

© 2 0 0 7 . E l s e v i e r M a s s o n S A S . T o u s d r o i t s r é s e r v é s .

Cas pour diagnostic

257

Accepté pour publication le 14 août 2006

Tirés à part : M. Peoc’h, Service d’Anatomie et de Cytologie Pathologiques, CHU Hôpital Bellevue, 42055 Saint-Étienne cedex 02.e-mail : [email protected]

Une lésion rare du col utérin

A rare lesion of the uterine cervix

Delphine Raoux(1), Alix Clémenson(1), Bertrand Felloni(2), Abir Khaddage(1), Brigitte Vaunois(1), Anne Gentil Perret(1)

(1) Service d’Anatomie et de Cytologie Pathologiques CHU — 42055 Saint-Étienne.(2) Service de Gynécologie, CHU — 42055 Saint Étienne.

Raoux D, Clémenson A, Felloni B, Khaddage A, Vaunois B, Gentil Perret A. Une lésion rare du col utérin.Ann Pathol 2007 ; 27 : 257-9.

Observation

Une femme de 42 ans, d’origine occi-dentale, consultait pour des ménomé-trorragies. Une échographie montrait laprésence d’un fibrome utérin responsabledes saignements, ainsi qu’un kyste de6 cm développé aux dépens de l’ovairegauche. Une hystérectomie totale avecannexectomie gauche sous coelioscopieétait réalisée. L’ovaire gauche mesurait8 × 4 cm et présentait un kyste corres-pondant histologiquement à un cystadé-nofibrome papillaire séreux. L’utéruscomportait par ailleurs, un léiomyomebien limité du myomètre et un ectropiondu col utérin. Macroscopiquement, iln’existait pas d’aspect pigmenté du colutérin.La muqueuse endocervicale était le siègede foyers d’hyperplasie microglandulaireet micropapillaire dans un contexte inflam-matoire. Il s’y associait une métaplasiemalpighienne, sans signe d’infestationvirale ni de dysplasie. Au sein du chorion,sous l’épithélium endocervical, plusieursfoyers mal limités de cellules le plus sou-vent fusiformes ou étoilées, comportantdes prolongements dendritiques, étaientobservés (figure 1). Leur cytoplasmecomportait parfois un pigment brunâtre,grossier et diffus, positif pour la colora-tion de Fontana et négatif pour la colora-tion de Perls. Il n’y avait pas de cellulespigmentées au sein de l’épithéliumendocervical.L’étude immunohistochimique montraitune positivité de ces cellules avec l’anti-corps anti PS100 (figure 2) et soulignaitle caractère disséminé et mal limité deces foyers.

Quel est votre diagnostic ?

FIG. 1. — Foyer mal limité de cellules pigmentées sous l’épithélium endocervical (HES, grossissement × 5).

FIG. 1. — Nest of pigmented cells poorly defined in the superficial endocervical stroma (HES, magnification ×5).

FIG. 2. — Positivité des cellules dendritiques pigmentées avec l’anticorps anti-PS 100 (grossissement × 40).

FIG. 2. — Positivity of dendritic pigmented cells for S-100 protein (magnification ×40).

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Diagnostic : Naevus bleu du col utérin ou mélanocytose stromale du col utérin

Le naevus bleu du col utérin est une lésionmélanocytaire bénigne située dans lamuqueuse utérine, contrairement au naevusbleu commun qui est une lésion mélano-cytaire dermique. Il correspond à une lésionmal limitée faite de cellules fusiformes ouétoilées dont la charge pigmentaire estvariable, parfois accompagnées de mélano-phages. Les dendrites peuvent être trèsdéveloppés et bien visibles lorsqu’ils sontpigmentés. La cellularité est faible. Cettelésion peut s’observer dans d’autres sitesextra-cutanés comme les ganglions, le vagin,la prostate et le palais [1].Le naevus bleu du col utérin est une lésionrarement décrite dans les populations occi-dentales avec, dans certaines études, uneprévalence de seulement 0,12 % soit 3 cas sur2 500 pièces d’hystérectomie [1], alors que safréquence est plus importante dans la popu-lation féminine japonaise avec une préva-lence de 8,6 %, soit 42 cas sur 486 piècesd’hystérectomie [2]. Dans ces deux études,les lésions ont été diagnostiquées par uneétude systématique en coupes étagées ducol utérin, en microscopie optique standard,avec colorations spéciales et immunohisto-chimie, alors qu’aucune lésion pigmentéen’avait été observée macroscopiquement.En effet, le naevus bleu du col utérin est pres-que toujours de découverte fortuite. À notreconnaissance, le seul cas de naevus bleucellulaire rapporté dans la littérature étaitune lésion de plus grande taille, de plusd’1 cm, étendu macroscopiquement au vagin[3]. Son aspect clinique a d’ailleurs été lasource d’une erreur diagnostique avec unmélanome malin, d’où l’importance d’infor-mer les cliniciens et les pathologistes desdivers aspects de cette lésion bénigne.L’histogénèse du naevus bleu reste inconnue.Plusieurs hypothèses ont été avancées :pour certains [1-4], il s’agirait d’une tumeurd’origine schwanienne, pour d’autres [5], ils’agirait d’un accident de l’embryogenèse.L’origine schwanienne avait déjà été proposéepar Masson en 1951. Les études en micros-copie électronique [1, 4] ont retrouvé au seindes cellules tumorales du naevus bleu, denombreuses caractéristiques identiques auxcellules de différenciation schwanienne tellesque des expansions cytoplasmiques allongées,des jonctions cellulaires desmosome-like,une membrane basale proéminente, ainsi que

des agrégats de mélanosomes tels qu’on peutles observer dans les cellules de Schwann etles mélanocytes normaux. Un argument his-tologique a été avancé [2] selon lequel lesnaevus bleu sont essentiellement observés auniveau du col utérin, en particulier au niveaudu mur postérieur de l’endocol, région oùles filets nerveux sont en très grand nombrealors que les naevus bleu sont inexistantsdans le corps utérin, pauvre en filets nerveux.De plus, comme dans notre observation, desfilets nerveux ont été observés proches desfoyers de cellules tumorales, formant parfoisdes images d’encerclement. D’autres pensentque le terme de naevus bleu n’est pas appro-prié puisqu’il serait la conséquence d’uneanomalie de la migration cellulaire à partirde la crête neurale [5]. Le naevus bleu du colutérin s’observant à l’âge moyen, certainsauteurs évoquent le rôle d’un contrôle hor-monal qui pourrait favoriser la différenciationmélanocytaire des cellules de Schwann [2].Le diagnostic différentiel est surtout d’ordreclinique lorsqu’un examen macroscopiqueminutieux retrouve des zones pigmentéesqui peuvent évoquer une endométriose, fré-quente dans cette localisation, un héman-giome, une hémorragie autour des kystesde Naboth, ou encore un mélanome malin.Histologiquement, le naevus bleu du colutérin ne pose pas vraiment de problème dediagnostic différentiel puisque la colorationde Perls élimine les dépôts d’hémosidérine,et un mélanome malin se différencie par laprésence d’une activité jonctionnelle et decellules atypiques.Enfin, certains auteurs [2] proposent d’employerle terme de mélanocytose stromale du colutérin, par analogie à la mélanocytose der-mique, qui regroupe les taches mongoliques,les naevi de Ito et de Ota, et l’hamartomeneurocristique. Leur argument repose sur ladéfinition du naevus bleu cutané commeétant une lésion nodulaire solide de couleurbleu, opposée à celle de mélanocytose quicorrespond à une lésion non palpable etinvisible, faites de cellules dendritiques pig-mentées sans formation nodulaire. ■

Key words: blue nevus, melanocytosis, uterine cervix.

Mots-clés : naevus bleu, mélanocytose, col utérin.

Références

[1] Patel DS, Bhagavan BS. Blue nevus of the uterin cer-vix. Hum Pathol 1985 ; 16 : 79-85.

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Une lésion rare du col utérin

[2] Uehara T, Takayama S, Takemura T, Kasuga T.Foci of stromal melanocytes (so-called blue nevus) ofthe uterin cervix in Japanese women. Virchows ArchA Pathol Anat 1991 ; 418 : 327-31.

[3] Majmudar B, Ross RJ, Gorelkin L. Benign blue nevus ofthe uterin cervix. Am J Obstet Gynecol 1979 ; 134 : 600-1.

[4] Kudo M, Nagayama T, Miura M, Fukunaga N. Bluenevus of the uterin cervix. Arch Pathol Lab Med 1983 ;107 : 87-90.

[5] Martin PC, Pulitzer DR, Reed RJ. Pigmented myo-matous neurocristoma of the uterus. Arch Pathol LabMed 1989 ; 113 : 1291-5.

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