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Annales de pathologie (2013) 33, 138—140 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com CAS POUR DIAGNOSTIC Une tumeur ovarienne trompeuse chez une jeune femme A misleading tumor of the ovary in a young woman Fatma Khanchel-Lakhoua a,, Rim Dhouib a , Raoudha Doghri a , Lamia Charfi a , Maha Driss a , Samia Sassi a , Imen Abbes a , Fethi Ben Amara b , Karima Mrad a , Khaled Ben Romdhane a a Service d’anatomie et de cytologie pathologiques, institut Salah Azaiez, Tunis, Tunisie b Service B, centre de maternité et de néonatologie de Tunis, Tunis, Tunisie Accepté pour publication le 11 evrier 2013 Disponible sur Internet le 19 mars 2013 Observation Une jeune femme âgée de 21 ans, sans antécédents médicaux particuliers, consultait pour des douleurs pelviennes. L’examen clinique a trouvé une masse abdominopelvienne, indolore, ferme, bien limitée, de 20 cm de grand axe. À l’échographie abdominale, l’utérus était de taille normale et la masse abdominopelvienne était mixte solide et kystique mesurant 22 × 15 cm. Il s’y associait une ascite de moyenne abondance. L’imagerie par résonance magnétique montrait une masse abdominopelvienne mesurant 18 × 16,5 × 11,5 cm. Cette masse était kystique multiloculaire prédominante et charnue bourgeonnante en périphérie. Il s’y associait un épanchement de moyenne abondance dans le Douglas. La radiographie du thorax ainsi que le dosage du CA125 étaient normaux. La laparotomie a révélé une volumineuse masse ovarienne ; une salpingoovariectomie gauche a alors été réalisée. À la macroscopie, l’ovaire était entièrement tumoral, mesurant 20 × 14 × 7 cm avec rupture capsulaire. La tumeur était mi-solide mi-kystique, sans végé- tation exophytique. Au sein de la tumeur, il existait une zone solide végétante, brunâtre de 19 × 9 × 5 cm. L’examen extemporané réalisé concluait à une tumeur maligne non épithéliale, probablement de type granulosa juvénile. Après fixation, l’examen microscopique mettait en évidence une prolifération densément cellulaire, largement nécrosée. Elle se disposait en travées et massifs cel- lulaires de petite taille au sein d’un stroma fibreux, focalement myxoïde et réalisait par places des structures pseudofolliculaires contenant un matériel faiblement basophile (Fig. 1). Il s’y associe des foyers de cellules de grande taille (Fig. 2). Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Khanchel-Lakhoua). 0242-6498/$ see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2013.02.004

Une tumeur ovarienne trompeuse chez une jeune femme

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nnales de pathologie (2013) 33, 138—140

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

AS POUR DIAGNOSTIC

ne tumeur ovarienne trompeuse chez une jeuneemme

misleading tumor of the ovary in a young woman

Fatma Khanchel-Lakhouaa,∗, Rim Dhouiba,Raoudha Doghri a, Lamia Charfia, Maha Drissa,Samia Sassi a, Imen Abbesa, Fethi Ben Amarab,Karima Mrada, Khaled Ben Romdhanea

a Service d’anatomie et de cytologie pathologiques, institut Salah Azaiez, Tunis, Tunisieb Service B, centre de maternité et de néonatologie de Tunis, Tunis, Tunisie

Accepté pour publication le 11 fevrier 2013Disponible sur Internet le 19 mars 2013

Observation

Une jeune femme âgée de 21 ans, sans antécédents médicaux particuliers, consultaitpour des douleurs pelviennes. L’examen clinique a trouvé une masse abdominopelvienne,indolore, ferme, bien limitée, de 20 cm de grand axe. À l’échographie abdominale,l’utérus était de taille normale et la masse abdominopelvienne était mixte solideet kystique mesurant 22 × 15 cm. Il s’y associait une ascite de moyenne abondance.L’imagerie par résonance magnétique montrait une masse abdominopelvienne mesurant18 × 16,5 × 11,5 cm. Cette masse était kystique multiloculaire prédominante et charnuebourgeonnante en périphérie. Il s’y associait un épanchement de moyenne abondancedans le Douglas. La radiographie du thorax ainsi que le dosage du CA125 étaient normaux.La laparotomie a révélé une volumineuse masse ovarienne ; une salpingoovariectomiegauche a alors été réalisée. À la macroscopie, l’ovaire était entièrement tumoral, mesurant20 × 14 × 7 cm avec rupture capsulaire. La tumeur était mi-solide mi-kystique, sans végé-tation exophytique. Au sein de la tumeur, il existait une zone solide végétante, brunâtrede 19 × 9 × 5 cm.

L’examen extemporané réalisé concluait à une tumeur maligne non épithéliale,probablement de type granulosa juvénile.

Après fixation, l’examen microscopique mettait en évidence une proliférationdensément cellulaire, largement nécrosée. Elle se disposait en travées et massifs cel-lulaires de petite taille au sein d’un stroma fibreux, focalement myxoïde et réalisaitpar places des structures pseudofolliculaires contenant un matériel faiblement basophile(Fig. 1). Il s’y associe des foyers de cellules de grande taille (Fig. 2).

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (F. Khanchel-Lakhoua).

242-6498/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.ttp://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2013.02.004

Une tumeur ovarienne trompeuse chez une jeune femme 139

Les cellules tumorales de petite taille avaient un cyto-plasme très peu abondant et un noyau irrégulier non incisurécontenant un petit nucléole. L’index mitotique était trèsélevé. Dans d’autres territoires, elles étaient de grandetaille. De nombreux emboles vasculaires étaient observés.

À l’étude immuno-histochimique, l’anticorps anticyto-kératine présente un marquage cytoplasmique en dotpérinucléaire (Fig. 3). Les cellules tumorales étaient foca-lement positives pour l’EMA et la calrétinine (Fig. 4). Aucunmarquage n’a été observé en utilisant l’inhibine, la chromo-granine et l’anti-CD30. L’évolution spontanée a été marquéepar le décès de la patiente deux mois après le diagnosticdans un tableau de récidive pelvienne avec une carcinose

Figure 1. Prolifération tumorale densément cellulaire qui se dis-pose en nappes et forme des pseudofollicules à contenu basophile.Les cellules tumorales de petite taille ont un cytoplasme basophiletrès peu abondant et un noyau irrégulier (HE ×200).Small cells closely packed showing solid growth with admixedfollicule-like structures filled with basophilic fluid. The smalltumor cells have scant basophilic cytoplasm and irregular nuclei(HE ×200).

Figure 2. Un deuxième contingent fait de cellules volumineusesau cytoplasme clair. Le noyau est excentré à chromatine mottée etau nucléole unique proéminent (HE ×400).A second component made of large cells with clear cytoplasm.Nuclei have irregularly clumped chromatin with prominent nucleoli(HE ×400).

Figure 3. Les cellules tumorales expriment la cytokératine avec

un marquage cytoplasmique en dot périnucléaire (×400).Tumor cells are positive for keratin in a paranuclear dot-like pat-tern (×400).

Figure 4. L’anticorps anticalrétinine marque quelques cellulestumorales (×400).Calretinin is focally expressed (×400).

péritonéale, des métastases hépatiques et musculaires ainsique des métastases sous-cutanées.

Quel est votre diagnostic ?

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iagnostic

arcinome à petites cellules de l’ovaire de type hypercal-émique.

Individualisée en 1982 par Dickersin et al., le carcinome àetites cellules de l’ovaire de type hypercalcémique (CPCO)st un carcinome rare, hautement agressif de la femmeeune [1]. Habituellement révélé par un syndrome de massebdominopelvienne, le CPCO est exceptionnellement révéléar des épisodes de pancréatite ou d’encéphalite. Uneypercalcémie, le plus souvent asymptomatique, accompa-nait les deux tiers des cas rapportés dans la littérature.l s’agit dans la quasi-majorité des cas d’une tumeur uni-atérale [2]. Macroscopiquement, le CPCO est une tumeurolide de grande taille de couleur blanchâtre ou beige avece vastes remaniements nécrotiques et/ou hémorragiquest fréquemment une composante kystique. Microscopique-ent, et contrairement à ce que pourrait faire entendre

on nom, le CPCO n’est pas fait uniquement de petitesellules mais peut également comporter des cellules derande taille. Ce dernier contingent peut d’ailleurs être leeul composant cellulaire du CPCO. Ainsi, trois variantesistologiques sont identifiées : variante à petites cellules,ariante mixte associant avec des proportions variableses deux contingents cellulaires et la variante à grandesellules. Dans une série de 150 cas de CPCO répertoriés paroung et al., la variante la plus commune est la variante

petites cellules représentant 50 % des CPCO [2]. Leseux contingents cellulaires sont associés dans 48 % desas. Deux tumeurs parmi les 150 examinées sont composéesxclusivement de grandes cellules.

Le contingent à petite cellules est densément cellu-aire fait de cellules monomorphes atypiques, regroupéesn amas, en travées ou en cordons. Des structuresseudofolliculaires sont observées dans 80 % des cas [2].

lles contiennent typiquement un matériel éosinophile ouasophile. Le rapport nucléo-cytoplasmique est augmenté.es figures de mitose sont nombreuses.

La forme à grandes cellules est faite de nappes de cellulesu cytoplasme abondant éosinophile avec un noyau par placeésiculeux, souvent muni d’un nucléole proéminent donnantn aspect épithélioïde ou rhabdoïde. Des globules hyalinsosinophiles intracytoplasmiques peuvent être observés.

Dans 10 % des cas, on peut observer des structures glandu-iformes, bordées de cellules mucineuses, en bague à chatonu très atypiques contenant du mucus [2].

À l’étude immuno-histochimique, les cellules tumo-ales coexpriment typiquement les marqueurs épithéliauxEMA, cytokératine et le WT1) et la vimentine. L’anticorpsnticalrétinine, marqueurs des cordons sexuels, marqueuelques cellules tumorales, tel qu’illustré dans notre cas3]. L’inhibine alpha n’est cependant pas exprimée.

Le diagnostic des CPCO est particulièrement difficile.n effet, dans la série de 11 cas de CPCO rapportée paristelmaier, le diagnostic était initialement erroné dansuit cas. Le premier diagnostic différentiel des CPCO esta tumeur de la granulosa, notamment de type juvénileont le pronostic est nettement plus favorable que celuiu CPCO. L’absence de corps de Call et Exner, les cellulesumorales de petite taille au cytoplasme peu abondant,

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F. Khanchel-Lakhoua et al.

’absence d’incisures nucléaires et parfois la présence deellules de grande taille oriente vers le diagnostic de CPCO.e diagnostic est conforté par l’expression des marqueurspithéliaux et l’absence d’expression de l’inhibine. Le CPCOoit être également distingué du dysgerminome, survenantans la même tranche d’âge mais présentant des cellulesumorales claires au cytoplasme riche en glycogène au sein’un stroma inflammatoire.

Selon la variante cellulaire, le CPCO peut faire discutern lymphome non Hodgkinien à petites cellules ou à grandesellules plus particulièrement un lymphome de Burkitt.’apport de l’immuno-histochimie est capital. Le CPCO avecn contingent à grandes cellules peut mimer un mélanome,ependant, il est négatif pour la protéine S100 et l’HMB-45.

Uniquement un tiers des patientes avec un stade Ia deIGO va survivre à cinq ans [2]. Pour les autres, le pronosticst très réservé. Les facteurs de bon pronostic sont l’âgeupérieur à 30 ans, une calcémie préopératoire normale, uneaille inférieure à 10 cm et l’absence de grandes cellules [2].

La prise en charge optimale des CPCO n’est pas stan-ardisée. Distelmaier et al. considèrent que le traitementhirurgical, notamment chez l’enfant et l’adolescente, peute limiter à une annexectomie unilatérale suivie par unehimiothérapie [4]. Pour d’autres auteurs, un traitementhirurgical plus agressif est recommandé [5].

Ainsi, une étude morphologique attentive et un panel’anticorps qui inclut cytokératine, EMA, WT1, inhibine etalrétinine est nécessaire pour établir le diagnostic d’unPCO. L’avis d’un anatomopathologiste spécialisé est par-iculièrement conseillé pour les tumeurs ovariennes deiagnostic difficile chez l’adolescente et la femme jeune.

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

emerciements

ous remercions pour son avis le Pr Jaime Prat.

éférences

1] Dickersin GR, Kline IW, Scully RE. Small cell carcinoma of theovary with hypercalcemia: a report of eleven cases. Cancer1982;49:188—97.

2] Young RH, Oliva E, Scully RE. Small cell carcinoma of the ovary,hypercalcemic type. A clinicopathological analysis of 150 cases.Am J Surg Pathol 1994;18:1102—16.

3] McCluggage WG, Oliva E, Connolly LE, McBride HA, Young RH. Animmunohistochemical analysis of ovarian small cell carcinoma ofhypercalcemic type. Int J Gynecol Pathol 2004;23:330—6.

4] Distelmaier F, Calaminus G, Harms D, et al. Ovarian small cellcarcinoma of the hypercalcemic type in children and adoles-cents: a prognostically unfavorable but curable disease. Cancer2006;107:2298—306.

5] Wakabayashi MT, Lin PS, Hakim AA. The role of cytoreduc-tive/debulking surgery in ovarian cancer. J Natl Compr CancNetw 2008;6:803—10.