LE MiPROBAMATE EN TOXICOLOGIE D’URGENCE
Michel Lavit a,b,*, Sylvie Saivin a,b, Georges Houin alb
R&urn6 I represent&e par le mkprobamate. Cintoxication par ce produit reste un
Le mkprobamate, chef de file de la famille des carbamates primaires,
reste encore t&s utilisb comme anxiolytique en France. II est impli-
qu6 dans environ 5 % des surdosages par les psychotropes. Les
intoxications sont graves et parfois fatales par insuffisance circula-
toire aigug. Ainsi, tout laboratoire sp&cialise dans la toxicologic d’ur-
gence doit proposer des methodes fiables d’identification et de
dosage de ce mbdicament dans les milieux biologiques. La chroma-
tographie en phase gazeuse avec detection FID est aujourd’hui
consid&e comme la technique de r&f&ence.
Mbprobamate - intoxication - analyse.
SutAmary
Meprobamate is the file leader of carbamates and is still very used
in France as anxiolytic agent. It is implicated in about 5 ‘J/o of over-
dosages due to psychotropic drugs. The intoxications are often
serious and sometimes fatal with acute circulatory failure. For all
these reasons, reliable identification and quantitation of this drug
in biological fluids must represent classical operations in emer-
gency toxicology. In this context, gas chromatography with F/D
detection is today considered as the reference method.
Meprobamate - intoxication - analysis.
1. Introduction
probleme toxicologique. En effet, la pbrennite et I’importance de son
utilisation sont &. I’origine d’intoxications de frequence relativement
importante (enwon 5 O/o des intoxications par les psychotropes) et
potentiellement graves du fait de complications cardiovasculaires [5].
D’ailleurs, plusieurs dizaines d’intoxications mortelles au meprobamate
sont d&rites dans la littbrature. Dans ce contexte, I’analyse toxicolo-
gique constitue un outil interessant pour le diagnostic et la prise en
charge d’un tel surdosage. Aussi, I’identification et le dosage du m&pro-
bamate font partie du panel d’analyses que tout laboratoire de toxi-
cologie se doit de rbaliser en urgence.
Aprbs une breve presentation des produits, le present expose d&rira
la symptomatologie et le traitement d’une intoxication aigue pour enfin
aborder I’aspect analytique.
2. Principales caracbkristiques
Les carbamates primaires, composes aliphatiques relativement
simples, sont des esters de I’acide carbamique (NH,COOR). Ils furent
synth&tis& dans les an&es 1950 et marquerent le d&but des
recherches sur les molecules anxiolytiques. Leur utilisation fut rapi-
dement limitbe par le d6veloppement des benzodiazbpines, mol&ules
aux propri&s voisines mais presentant une toxicit moindre. Ace jour,
le meprobamate reste quasiment le seul representant de cette classe
commerciali& en France : EquaniP, Bgalement en association dans
de nombreuses sp&ialit& (MBpronizine8, par exemple). II est pr&
coni& dans le traitement des anxi&s et des contractures doulou-
reuses r&flexes. Mais, il est aussi couramment utilise comme sbdatif-
hypnotique et est pr&f&& aux benzodiazepines par les patients
presentant un historique d’abus m&dicamenteux. Citons egalement le
difbbarmate et le fbbarbamate (composi! hybride &structure barbitu-
rique et carbamate) entrant dans la composition de I’Atrium”, m&di-
cament propos& dans le sevrage alcoolique. Concernant ces deux der-
nieres mol&cules, les rbf&ences bibliographiques sont rares. Carticle
est, par cons&quent, limit6 & la toxicologic du mbprobamate [2, 61
L es carbamates sont des mbdicaments presentant des propri&%
sedatives et anxiolytiques. Cette classe, B I’instar des barbituriques,
est largement tomb&e en dr%u&ude avec la decouverte et le d&e-
loppement des benzodiaz&pines. Elle est, en France, essentiellement
a Laboratoire de pharmacocin&que et de toricologie clinlque Centre hospitaller universitaire Rangueil 1, av. Jean-Poulhks 31403 Toulouse cedex 4 b Laboratoire de cinktique des xbnobiotiques Fault& des sciences pharmaceufiques 35, chemin des Mar&hers 31062 Toulouse cedex
* Correspondance
article re$u le 24 novembre 1999, accept& le 22 mars 2000.
C Elsevier, Paris.
2.2. Tox~coc~~~etkpe
Certaines propri&s du meprobamate meritent d’&tre soulign&es car
elles conditionnent directement la prise en charge therapeutique d’une
intoxication aigu&
La dose toxique de meprobamate est de 4 g chez I’adulte et de
50 mg/kg chez I’enfant. La litterature fait &at de quantitb ing&e par-
fois consid&rable (40 g).
Le meprobamate est bien et rapidement absorb& par le tractus gas-
tro-intestinal. Les concentrations sanguines sont dbtectables 15
minutes apr&s I’ingestion du m6dicament et les pits plasmatiques sont
atteints en 1 & 3 heures. Cependant, une caractbristique importante
Revue Fran&e des Laboratoires, avril/mai ‘2000. N” 322 61
Toxicologic
de I’intoxication au meprobamate est la possibilite de formation de
conglomerats intragastriques ou bezoards form& par des comprimes
non dissous. Ce phenomene est a I’origine d’une evolution triphasique
de type coma, reveil franc mais de courte duree (< 12 heures) avec
reprise du transit puis reapparition du coma, traduisant un processus
de reabsorption du toxique.
Le taux de liaison aux proteines plasmatiques est de I’ordre de 20 a/o
et le volume de distribution inferieur a 1 I/kg. Compte tenu de ces cri-
t&es et de la masse moleculaire (218.25) le meprobamate peut etre
efficacement epure par hemodialyse ou hemoperfusion.
Le meprobamate subit une importante metabolisation hepatique par
hydroxylation et glucuronconjugaison de la chaine aliphatique. Moins
de 10 ‘J/o sont elimines par le rein sous forme inchangee. Les proce-
des de diurese osmotique ne presentent done pas d’interet significatif.
La demi-vie plasmatique est de 6 a 17 heures et peut Btre augmen-
tee au tours d’administration chronique, meme si cette molecule est
inductrice des enzymes microsomiales hepatiques. La cinetique d’eli-
mination s’avere dose-dependante.
II existe une relation etroite entre le taux plasmatique et le degre de gra-
vite de I’intoxication. Le seuil de toxicite est d’environ 40 mg/l. Le coma
est leger pour des concentrations comprises entre 60 et 120 mg/l et
profond au dela de 120 mg/l. Le risque de complications cardiaques
est important a partir de 150 mgll.
3. Toxicologic clinique
3.1. lntoxtcatlon aigu@
Les premiers signes d’intoxication aigue sont une somnolence avec
etat ebrieux et une hypotonie musculaire avec diminution ou abolition
des reflexes osteo-tendineux [l , 1 11.
La semiologie est ensuite caracterisee par un coma generalement
calme de type barbiturique (90 O/o des cas), hypotonique, hypore-
flexique (syndrome de myorelaxation), de longue duree (24 a 72
heures), avec mydriase et parfois hypothermie. Rarement, il s’agit d’un
coma hypertonique avec signes pyramidaux (10 % des cas).
Le probleme dominant est la possibilite de troubles hemodynamiques
souvent graves. En effet, de fortes doses de meprobamate entrainent
un collapsus toxique dont I’origine est double. Pour des intoxications
de moyenne importance (taux inferieur a 150 mg/l), le mecanisme
repose sur une hypovolemie par vasoplegie, temoin d’une depression
directe des centres vasoconstricteurs hypothalamiques et bulbaires.
Lors d’intoxications plus severes, le meprobamate exerce une toxicite
cardiaque directe par effet inotrope negatif. Le collapsus est alors car-
diogenique ; le remplissage vasculaire devoilant une defaillance myo-
cardique aigue. Ce tropisme cardiaque a et6 mis en evidence par Kintz
et al. [9]. En effet, I’autopsie realisee chez un patient de&de a la suite
de I’ingestion de 36 g de meprobamate a revele des taux au niveau
cardiaque de 708 uglg de tissu alors que les concentrations sanguines
et cerebrales n’etaient respectivement que de 205 ug/ml et 118 ug/g
de tissu.
3.2. Conduite A tenir
Une intoxication aigud au meprobamate impose une hospitalisation
en soins intensifs avec mesures d’intubation et de ventilation assis-
tee. II n’existe pas d’antidote specifique. Des lors, divers traitements
peuvent etre mis en ceuvre.
3.2.1. Traitement Bvacuateur
Un lavage gastrique est indispensable, meme pour des intoxications
decouvertes tardivement. Cependant, &ant don&e I’absorption rapide
62
du meprobamate, il doit etre entrepris dans les meilleurs delais. Les
quantites ingerees, parfois considerables, imposent des volumes liqui-
diens importants (10 a 40 I). Un tel lavage doit etre renouvele en cas
d’intoxication massive et de formation de bezoards. Dans ce cas, une
fibroscopie gastrique peut s’averer utile pour fragmenter les conglo-
merats. Cadministration de charbon active, 40 a 50 g puis 20 g toutes
les 6 heures, est aussi recommandee.
3.2.2. Traitement des perturbations cardiovasculaires
La therapeutique consiste, dans un premier temps, en un remplissage
vasculaire a I’aide de fluides macromoleculaires. Elle est suspendue
avec la normalisation de la tension arterielle et la reprise dune diurese
satisfaisante. Cechec du traitement, apres un remplissage de 1.5 I,
pose le probleme d’une insuffisance cardiaque aigue. Des mesures
rep&es de la pression veineuse centrale permettent alors, dans la majo-
rite des cas, de faire la part entre composante cardiogenique et vaso-
plegique du collapsus. Si cette pression est basse, l’epreuve de rem-
plissage est poursuivie. Dans le cas contraire, ou si elle s’eleve rapidement,
le recours a des agents inotropes positifs (dobutamine) s’avere indis-
pensable. Le risque d’cedeme aigu du poumon est alors important.
3.2-3. Traitement kpurateur
Le meprobamate &ant dialysable, une epuration extra r&ale est envi-
sageable devant un &at clinique gravissime, I’absorption d’une quan-
tite massive et un taux serique superieur a 200 mg/l. Cette technique
necessite un etat hemodynamique satisfaisant, imposant la correction
prealable des perturbations cardiovasculaires.
4. Toxicologic analytique
Dans le cadre d’une intoxication au meprobamate, I’analyse toxicolo-
gique en urgence constitue une aide precieuse au diagnostic. Tout
laboratoire de toxicologic doit au moins avoir a sa disposition une tech-
nique de depistage dans les liquides biologiques permettant une orien-
tation qualitative dans les meilleurs delais (1 heure). Une quantifica-
tion precise apparait toute aussi importante &ant don&e la relation
entre les taux plasmatiques et les signes cliniques. Elle est en outre
indispensable pour discuter les indications d’epuration extra renale.
Malgre le developpement des techniques chromatographiques et des
moyens de detection, les methodes colorimetriques conservent un inte-
r& certain. En effet, utilisees dans des conditions operatoires stan-
dardisees, elles generent rapidement des resultats fiables, a un moindre
coat.
Le meprobamate peut btre mis en evidence et dose dans le plasma
ou le serum, le liquide gastrique et I’urine. Quelles que soient la matrice
et la technique analytique employees, une extraction prealable s’avere
indispensable. En general, cette extraction est de type liquide-liquide
et s’effectue en milieu alcalin avec du dichloromethane ou du chlo-
roforme.
4.1. Techniques colorim6triques
Ces techniques sont fond&es sur la combinaison des carbamates pri-
maires avec les aldehydes, plus particulierement le furfural et le para-
dimethylaminobenzaldehyde 13, 4, 71. La revelation est effect&e sur
papier ou en milieu liquide. Les diverses methodes d&rites dans la
litterature satisfont aux criteres requis en termes de sensibilite et de
specificite. II convient toutefois de rappeler que le metabolisme hepa-
tique du meprobamate ne concerne pas la fonction ester carbamique.
Aussi, le metabolite hydroxyle participe egalement a la reaction colo-
rec. Certaines techniques exigent des conditions particulieres : milieu
anhydre et basse temperature.
Revue Fran&e des Labotatoires, avrillmal 2000, No 322
4.2. Techniques chromatographiques
Aucune methode nest disponible en chromatographie liquide, du fait
de I’absence, sauf derivation appropriee, d’absorption du meproba-
mate dans I’UV. Pour memoire, la chromatographie sur couche mince
peut etre utilisee pour reveler la presence de meprobamate dans un
milieu biologique. A I’heure actuelle, la chromatographie en phase
gazeuse (CPG) est consideree comme la methode de choix pour le
dosage du meprobamate. Lamiable et al. [lo], sous l’egide de la
Societe francaise de toxicologic analytique, recommandent une
methode parfaitement adaptee a la pratique quotidienne. Cette der-
niere, basee sur une detection FID (Flame lonisation Detector), allie
de nombreux avantages : pas de derivation ni d’hydrolyse necessaire,
pas de decomposition thermique, sensibilite de 1 mgll et rapidite d’ob-
tention d’un resultat. En pratique, de nombreux laboratoires ont adopte
la strategie suivante : recherche et identification par colorimetrie puis
dosage en CPG en cas de positivite. Le couplage a la spectrometrie
de masse [8] constitue, evidemment, la meilleure solution en termes
de sensibilite et de specificite, mais sa mise en ceuvre en toxicologic
d’urgence est plus delicate.
5. Conclusion
1 incidence des intoxications medicamenteuses impliquant le mepro- L bamate se maintient, en France, a une frequence non negligeable.
Elle traduit un probleme de Sante publique lie a notre rang de premier
consommateur mondial de medicaments psychotropes. De plus, les
larges conditionnements (50-l 00 cornprimes) du meprobamate et son
faible coiX constituent des facteurs favorisants.
Eu egard a leur gravite potentielle, la toxicologic d’urgence joue un
role fondamental lors d’intoxications au meprobamate. Elle permet tout
d’abord le diagnostic, souvent encore par la mise en aauvre de
methodes colorimetriques qui conservent leur inter&t car rapides, sen-
sibles et relativement specifiques. Elle offre ensuite la possibilite dune
determination quantitative visant a assurer le suivi de I’intoxication et,
surtout, a decider du recours a l’epuration extra r&ale. A ce titre, la
chromatographie gazeuse, developpee d&s les annees 1970, fait
aujourd’hui I’objet d’un consensus general. La Societe francaise de
toxicologic analytique propose d’ailleurs un programme de controle
de qualite externe devant permettre d’ameliorer les performances des
laboratoires.
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