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Page 1: Une tumeur sous-cutanée chez un jeune homme

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© M a s s o n , P a r i s , 2 0 0 5

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Cas pour diagnostic

Accepté pour publication le 18 janvier 2005

Tirés à part :

P. Gaulard, voir adresse en début d’article. e-mail : [email protected]

Une tumeur sous-cutanée chez un jeune homme

A subcutaneous tumor in a young man

Sandy Azoulay

(1)

, Christiane Copie-Bergman

(1,3)

, Catherine Claret-Tournier

(4)

, Valérie Molinier-Frenkel

(2,3)

, Philippe Gaulard

(1,3)

(1) Département de Pathologie,(2) Service d’Immunologie Biologique,(3) Inserm U617, Hôpital Henri Mondor, 94010 Créteil.

(4) Cabinet de Pathologie, 80 allée Albert Sylvestre, BP 309, 73003 Chambéry Cedex.

Azoulay S, Copie-Bergman C, Claret-Tournier C, Molinier-Frenkel V, Gaulard P.

Une tumeur sous-cutanée chez un jeune homme.

Ann Pathol 2005 ; 25 : 337-9.

Observation

Un homme de 29 ans consultait pourune lésion isolée de la cuisse gauche. Latuméfaction était dure, indolore et étaitapparue depuis trois mois. L’IRM mon-trait une lésion proliférative des partiesmolles, adhérente au grand fessier. Uneexérèse chirurgicale a été décidée. Lapièce opératoire comportait 3 fragmentsde tissu adipeux indurés, brunâtres de8 cm, 5 cm et 4,5 cm. L’examen histologi-que montrait une infiltration diffuse dutissu sous-cutanée par des élémentsd’allure lymphoïde, associés à quelqueshistiocytes, sans atteinte du derme et del’épiderme. L’infiltrat se distribuait encouronne autour des adipocytes, réali-sant des lésions de panniculite. Au fortgrossissement, les cellules lymphoïdesétaient discrètement pléomorphes, avecun noyau de taille petite à moyenne. Il s’yassociait de nombreuses figures d’apop-tose avec présence de débris cellulaires,épars ou retrouvés dans le cytoplasmed’histiocytes

(figure 1)

. L’étude immuno-histochimique montrait le profil phéno-typique particulier de la prolifération.Les éléments lymphoïdes atypiquesexprimaient les antigènes CD3

(figure 2)

,CD2, CD7 et CD5. Les marqueurs deslignées B (CD20, CD79a) étaient totale-ment négatifs. Les cellules tumoralesexprimaient exclusivement CD8 et pré-sentaient un profil cytotoxique activé,TiA 1+ et Granzyme B+. Il n’existait pasd’expression détectable de CD56, ni deCD30. La recherche d’une association auvirus Epstein-Barr (EBV), par une techni-que d’hybridation in situ avec les sondesEBERs, était négative. Un clone T étaitdétecté par l’étude en PCR du réarrange-

ment de la chaîne

γ

du récepteur T (TCR),sans réarrangement de la chaîne

δ

,témoignant d’une population clonaled’origine cellulaire T

αβ

.

Quel est votre diagnostic ?

FIG. 1. — Aspect caractéristique avec prolifération lymphoïde atypique entourant les adipocytes et présence de nombreux corps apoptotiques (Hématoxyline-éosine -safran, × 200).FIG. 1. — Characteristic pattern with atypical lymphoid cells surrounding fat cells and numerous apoptotic bodies (Hematoxylin-eosin-safran, × 200).

FIG. 2. — Cellules atypiques CD3+ entourant les adipocy-tes (Immunopéroxydase indirecte × 400).FIG. 2. — Atypical CD3-positive cells rimming fat spaces (Indirect immunoperoxidase × 400).

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Diagnostic : Lymphome T

sous-cutané de type panniculite

Le lymphome T sous-cutané de type pannicu-lite est une entité anatomo-clinique distinctede la classification OMS des tumeurs héma-topoiétiques [1]. Ce lymphome est rare,représentant moins de 1 % des lymphomesnon-hodgkiniens. Son diagnostic est souventdifficile et requiert une étude immunohisto-chimique appropriée. Il atteint préférentiel-lement l’adulte jeune avec un sex-ratio à 1.Cliniquement, il se présente sous la forme demultiples nodules sous-cutanés, érythéma-teux, mesurant de 5 mm à plusieurs cm dediamètre, touchant les extrémités et le tronc.Il n’y a pas d’atteinte ganglionnaire, sauf dansles stades disséminés tardifs. Un syndromed’activation macrophagique, avec pancyto-pénie, fièvre et hépatosplénomégalie, peuts’observer [2]. Histologiquement, les signesévocateurs sont l’atteinte massive du tissusous-cutané avec respect du derme et del’épiderme, l’aspect caractéristique des cellu-les tumorales entourant les adipocytes, lepléomorphisme des éléments lymphoides etla présence de corps apoptotiques. L’aspectcytologique est variable, avec des formes àprédominance de petites cellules et des for-mes à grandes cellules. Ainsi, certaineslésions peuvent présenter des aspects trom-peurs, lorsque les cellules sont de petitetaille, peu atypiques ou dans les cas associésà une réaction granulomateuse. L’étudeimmunohistochimique permet de confirmer

le diagnostic en montrant un phénotype TCD8+ cytotoxique activé. Dans les cas diffici-les, la biologie moléculaire peut être utile enmontrant un réarrangement clonal du gène

γ

du TCR. L’origine cellulaire est le lympho-cyte T mature cytotoxique, habituellementde type

αβ

(75 % des cas), plus rarement detype g

δ

(25 %). Les cas dérivés de cellules T g

δ

présentent des particularités immunomor-phologiques (extension de l’infiltrat sous-cutané vers le derme et l’épiderme, phéno-type T CD56+, CD4- et CD8-) qu’il est impor-tant de connaître car ces formes seraient depronostic plus sévère [3-5]. La panniculitebénigne (infectieuse, lupique…) est le granddiagnostic différentiel de cette entité. Toute-fois, il faut penser à évoquer le lymphome Tsous-cutané devant toute panniculite présen-tant des éléments lymphoïdes atypiques,sans follicule lymphoïde visible, ni polynu-cléaires éosinophiles ou neutrophiles. Unpanel d’anticorps simple permet alors deconfirmer le diagnostic en mettant en évi-dence un infiltrat massif T CD8+, sans élé-ments lymphoïdes B. Les autres diagnosticsdifférentiels sont les autres lymphomes Tpouvant s’accompagner d’une localisationsous-cutanée, habituellement non exclusive,voire marginale

(tableau I)

. Ce lymphomereste aujourd’hui d’étiologie inconnue, sansanomalie cytogénétique spécifique et n’estpas liée au virus d’Epstein-Barr. Il présenteune évolution agressive qui semble bénéfi-cier des polychimiothérapies modernes [4].Deux facteurs pronostiques péjoratifs ont étédécrits : la présence d’un syndrome d’activa-

TABLEAU I. — Lymphomes T avec localisation sous-cutanée possible.TABLE I. — T lymphoma with possible subcutaneous involvement.

CD3CD4/CD8

CD30 CD56Cytotoxicité

activéeEBV

Origine cellulaire

L.T sous cutané de type panniculite

CD3+ CD30–(+)* CD56-sauf Tγδ

T1A1+ Néga-tif

Tαβ (75 %)

CD8+ Granzyme B+

Tγδ (25 %)

L.NK/T de type nasal sCD3–/cCD3+

CD30–(+)* CD56+ T1A1+ Positif NK

CD4-/CD8- Granz B+

L.T périphérique sans spécification

CD3+ CD30–(+)* CD56– Négatif Néga-tif

Tαβ

CD4+

L. anaplasique CD3– CD30+ (100 %)

CD56– T1A1+ Néga-tif

Tαβ

CD4-/CD8– Granz B+

Mycosis Fongoïde (°) CD3+ CD30– CD56– Négatif Néga-tif

Tαβ

CD4+

L.= Lymphome.(°) Atteinte hypodermique exceptionnelle (sauf dans des formes tumorales).* Présence possible d’un marquage hétérogène de CD30 dans ces entités.

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tion macrophagique (qui peut apparaître ini-tialement ou lors des récidives) et l’origineT

γδ

du lymphome [5].

Key words:

subcutaneous panniculitis-like T celle lymphoma.

Mots-clés :

lymphome T sous-cutané de type panniculite.

Références

[1] Jaffe ES, Harris NL, Stein H, Vardiman J. (Eds):World Health Organisation Classification of Tumors.Pathology and Genetics of Tumors of Haematopoiec-tic and Lymphoid Tissues. IARC Press: Lyon 2001.

[2] Gonzalez CL, Medeiros LJ, Braziel RM, Jaffe ES. T-cell lymphoma involving subcutaneous tissue. A clinico-pathologic entity commonly associated with hemopha-gocytic syndrome.

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Subcutaneous pannicu-litic T-cell lymphoma is a tumor of cytotoxic T lym-phocytes.

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Gamma-delta T-cell phenotype isassociated with significantly decreased survival in cuta-neous T-cell lymphoma.

Blood

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101 :

3407-12.


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