Transcript

Revue de synthèse : tome 132, 6e série, n° 1, 2011, p. 1-25. DOI: 10.1007/s11873-010-0142-z

Le marché au cœur de L’invention muséaLe ?Jean-Baptiste-Pierre Lebrun au Louvre (1792-1802)

Charlotte Guichard *

résumé : Avant la figure tutélaire de Denon, le marchand Jean-Baptiste-Pierre Lebrun joue un rôle crucial dans la création des collections du Louvre, en dépit du discours révolutionnaire qui oppose le marché au musée. Cet article part de sa position de polémiste pour éclairer les stratégies identitaires qui rendirent possible la naissance controversée du statut de l’expert dans le milieu muséal et pour montrer comment le Louvre s’impose comme lieu public d’expertise, en important des valeurs venues du marché de l’art, telles l’attributionnisme, la matérialité et l’authenticité.

mots-clés : connoisseurship, musée, expertise, matérialité, authenticité.

the market at the heart of the invention of the museum ? Jean-Baptiste-Pierre Lebrun at the Louvre (1792-1802)

AbstrAct : Before Vivant Denon, the dealer Jean-Baptiste-Pierre Lebrun played a crucial role in the creation of the Louvre collections, despite the revolutionary discourse which opposed the market to the museum. Lebrun’s position as a polemicist is interpreted here as a strategy of self-presentation which made possible the contro-versial birth of the figure of the museum expert. With Lebrun, the Louvre imposed itself as a public space of artistic expertise, where values imported from the market – such as attributionism, materiality, and authenticity – became prominent in the evaluation of paintings.

Keywords : connoisseurship, museum, expertise, materiality, authenticity.

* Charlotte Guichard, née en 1974, est chargée de recherches au CNRS, à l’Institut de recherches historiques du Septentrion. Ses travaux portent sur l’histoire du connoisseurship, le marché de l’art et les savoirs artistiques en Europe à l’époque moderne. Elle a notamment publié Les Amateurs d’art à Paris au xviiie siècle (Seyssel, Champ Vallon, 2008). Adresse : Université Lille-3, CNRS, UMR 8529, BP 60 149, F-59653 Villeneuve d’Ascq Cedex ([email protected]).

السوق في قلب االختراع المتحفيجان باتيست ليبورن في متحف اللوفر )2081-2971(

شارلوت كيشار

ملخص : قبل ظهور صورة دينون الحارس، لعب التاجر جان باتيست ليبورن دورا حاسما في إنشاء مجموعات متحف اللوفر، على الرغم من الخطاب الثوري الذي عارض المبيعات في المتحف أنداك. تنطلق هذه المقالة من موقع التشابك لتسليط الضوء على استراتيجيات الهوية التي جعلت ممكنا والدة حالة مثيرة للجدل لموقع الخبير في الوسط الفني و إظهار كيف أن متحف لوفر اخذ موقفا معارضا انطالقا من كونه مكان عام للخبرة، من خالل

استيراد قيم أتت أساسا من منطلق التجارة في عالم الفن، كادراج الجوائز، الفكرة المادية و التفرد. كلمات البحث : التذوق ، متحف ،والخبرة ، الفكرة المادية ، التفرد.

2 REVUE DE SyNthèSE : tOME 132, 6e SÉRIE, N° 1, 2011

der markt im herzen der erfindung des museums ? Jean-Baptiste-Pierre Lebrun im Louvre (1792-1802)

ZusAmmenfAssung : Noch vor der vorherrschenden Figur Denon spielt der Händler Jean-Baptiste-Pierre Lebrun eine entscheidende Rolle bei der Entstehung des Samm-lungen des Louvre, allem revolutionären Diskurs zum Trotz, der sich gegen den Markt im Museum richtete. Der Artikel geht von seiner Stellung als Polemiker aus, um die identitätsstiftenden Strategien zu erhellen, die die kontroverse Entstehung des Exper-tenstatus im musealen Milieu ermöglichen, und um zu zeigen, wie der Louvre sich als öffentlicher Ort der Expertise durchsetzt, indem er die vom Markt kommenden Werte des Attributionismus, der Materialität und der Authentizität übernimmt.

schlüsselwörter : Kennerschaft, Museum, Expertise, Materialität, Authentizität.

eL mercado en eL corazón de La invención museística ? Jean-Baptiste-Pierre Lebrun al Louvre (1792-1802)

resumen : Antes de la figura tutelar de Denon, el mercader Jean-Baptiste-Pierre Lebrun juega un rol crucial en la creación de las colecciones del Louvre, a pesar del discurso revolucionario que opone el mercado al Museo. Este artículo parte de su posición de pole-mista para esclarecer las estrategias identitarias que hicieron posible el controvertido nacimiento del estatuto de experto en el entorno museístico, y para mostrar cómo el Louvre se impone como espacio público de conocimiento experto, importando los valores venidos del mercado del arte, tales como el atribucionismo, la materialidad y la autenticidad.

PAlAbrAs clAve : connaisseurship, museo, conocimiento experto, materialidad, autenticidad.

市場是創建博物館的關鍵?讓·巴蒂斯特·皮埃爾·勒柏翰在

盧浮宮 (1792-1802)

夏洛特·吉夏爾

摘要:儘管大革命時期的觀點將博物館和市場交易對立起來,在德農成為盧浮宮守護神之前,商人讓·巴蒂斯特·勒柏翰在藏品的建立中扮演了關鍵的角色。本文以論戰者的姿態出發,試圖勾勒出在備受爭議的情況下,得以確立博物館專業人員職業認同的各項策略;同時也說明透過引進藝術市場的價值判斷機制,如作者判定、實品鑒定和真偽辨識,盧浮宮逐漸被認可為一個彙聚專門技能的公共領域。關鍵詞:鑒定家身份,博物館,專門技能,實品鑒定,真偽辨識。

美術館創意における市場?ルーブルのジャン=バプティスト·ルブラン(1792-1802)

シャルロット·ギシャー

要約:デノンという中心人物以前に、商人であった、ジャン=バプティスト·ルブランはルーブルのコレクションの制作において、美術館市場に反対する革新的発言にもかかわらず、重要な役割を果たす。本文は彼の論戦家としてのポジションから、美術館において、鑑定人の身分を誕生させるに至った戦略を明るみにし、また、どのように、ルーブルが、芸術市場から生まれた帰属性、物質性、真実性という価値を導入しながら、鑑定の公共の場所として必要になるに至ったかについてとりあげる。キーワード:鑑定業、美術館、鑑定、物質性、真実性。

3C. GUIChARD : LE MARChÉ AU CœUR DE L’INVENtION MUSÉALE ?

« Il est temps d’abandonner la routine française ; cette routine monarchique, qui asser-vissait les arts au caprice du faux goût, de la corruption et de la mode, avait rétréci leur génie, maniéré leurs procédés, et dénaturé leur but ; il est temps de substituer aux enlu-minures lubriques qui paraient les appartements luxueux des satrapes et des grands, les boudoirs voluptueux des courtisanes, les cabinets des soi-disant amateurs. Ce n’est point en introduisant dans les galeries du Muséum national les tableaux érotiquement maniérés de Boucher et de ses imitateurs, les toiles peintes des Vanloo, ou les produc-tions compassées de Pierre, qu’on formerait des peintres républicains […]. Un goût inflexiblement sévère doit présider à la formation du Muséum républicain 1. »

L e musée patriotique doit faire table rase du passé : ainsi s’exprime Gabriel Bouquier devant le Comité d’instruction publique en 1794. La rupture entre le

musée du Louvre et les mondes de l’art d’Ancien Régime, marqués par le « despo-tisme » des institutions monarchiques et de la commande privée, est consommée 2. Pourtant, au-delà de ce partage idéologique du passé, le rapport des révolutionnaires avec un système des arts devenu obsolète est bien plus ambivalent qu’il n’y paraît. Les pratiques muséales de l’objet révèlent une recomposition des savoirs artistiques, venus du marché et du collectionnisme, qui bien loin d’être mis à l’Index, sont réinvestis dans le colossal travail d’inventaire, d’identification, de classification et de restauration des œuvres auquel se livrent les hommes du Muséum national, inauguré le 10 août 1793 3.

C’est ce que révèle la controverse qui entoure la première exposition publique orga-nisée par le Muséum national le 18 novembre 1793. À cette occasion, un catalogue des tableaux exposés est rédigé par les membres de la Commission du Muséum – pour la plupart des artistes de l’ancienne Académie royale de peinture. Dans ses Observations sur le Muséum national qu’il publie en réponse à ce catalogue, le marchand de tableaux Jean-Baptiste-Pierre Lebrun met violemment en cause la compétence des artistes appelés à inventorier les œuvres et à diriger la nouvelle institution 4. Pour cela, il dresse publique-ment dans sa brochure une liste d’une quarantaine d’erreurs d’attribution, de confusions entre des copies et des originaux, des œuvres d’atelier et des œuvres autographes. Il ouvre sa longue liste par une copie du Christ au tombeau de Raphaël, que la Commission des monuments a inventoriée comme originale : « Les membres de cette Commission firent porter à la tribune de la Convention cette découverte, valant plus de 300.000 livres. […] Cette superbe découverte, tant vantée, n’est qu’une copie de l’original peint sur bois, qui est au palais Borghese, à Rome 5. » Devant une telle démonstration publique, le ministre de l’Intérieur, en dépit du désaveu constant des artistes de la Commission, ne peut faire autrement que de confier au marchand le plus célèbre du règne de Louis XVI le premier inventaire du Muséum national, rédigé au mois de novembre 1793, et contresigné par les artistes qu’il venait ainsi d’humilier publiquement.

1. Bouquier, 1794, ici Guillaume, 1901, p. 687.2. Pommier, 1991 ; mcclellan, 1994 ; Poulot, 1997 ; chaPPey, 2002.3. Le Muséum national est ouvert au public en août 1793 ; il prend le nom de Musée central

des arts en 1797, et celui de musée Napoléon en 1803.4. leBrun, 1793b, p. 2 : « Je voulois prouver que les artistes seuls n’étoient pas doués des

connoissances pratiques nécessaires pour en diriger l’établissement. »5. leBrun, 1793b, p. 4-5.

4 REVUE DE SyNthèSE : tOME 132, 6e SÉRIE, N° 1, 2011

Au sein de la nouvelle administration muséale, les compétences artistiques spécifi-ques nécessaires à la gestion matérielle de ces nouvelles peintures font donc l’objet de polémiques, qui vont se cristalliser autour de la genèse institutionnelle de l’expert. Créé en 1797, le titre de « commissaire expert » au Musée central sera attribué au marchand Jean-Baptiste-Pierre Lebrun, qui joue un rôle fondateur dans la réflexion politique et esthétique qui entoure la naissance du Louvre. La trajectoire exceptionnelle de Lebrun pendant la Révolution française ne laisse pourtant pas d’étonner. Figure emblématique du marchand d’art d’Ancien Régime 6, lié à une clientèle d’aristocrates et de financiers souvent émigrés, marié à Élisabeth Vigée-Lebrun, la portraitiste préférée de Marie-Antoinette, Lebrun participe activement à la création du musée, au point de devenir, avant Dominique-Vivant Denon, l’œil du Louvre pendant dix ans, entre 1792 et 1802. Comment Lebrun est-il parvenu à concilier son rôle dans la constitution des collections aristocratiques et royales avec son engagement nouveau dans l’institution muséale ? Autrement dit, comment les pratiques de l’expertise commerciale ont-elles été réinves-ties dans l’expertise publique et savante de l’art ? La trajectoire singulière de Lebrun nous invite à interroger la généalogie de la figure de l’expert au moment où les nouvelles administrations étatiques se mettent en place. Dans cette perspective, les talents de polé-miste et de publicateur de Lebrun ont, nous le verrons, joué un rôle crucial pour inventer et imposer la fonction de l’expert, venu du marché, à l’administration muséale, alors constituée d’artistes, en utilisant constamment l’opinion publique comme porte-voix, et en mobilisant dans la sphère publique ses compétences et ses savoirs artistiques.

Si Lebrun s’impose ainsi, c’est que l’afflux des objets d’arts et de sciences accu-mulés à Paris entraîne une demande considérable et inédite d’expertise au sein du musée. Grâce au nouveau Louvre, Paris s’affirme désormais comme « la capitale des Arts […] l’école de l’Univers, la métropole de la science humaine, et exerç[ant] sur le reste du monde cet empire irrésistible de l’instruction et du savoir 7 ». transformé en un gigantesque entrepôt, comment le Louvre parvient-il à s’affirmer comme le lieu légitime de classification, d’identification et de présentation des œuvres ? L’accumula-tion inouïe d’œuvres provenant de toute l’Europe transforme la hiérarchie des valeurs dans les mondes de l’art. Elle produit un retour de la matérialité dans leur appréciation, contre la prééminence des discours narratifs ou formels sur les tableaux qui caractéri-sait la période précédente. Ce moment de la matérialité s’accompagne de la promotion au sein du musée d’autres valeurs artistiques, comme l’originalité et l’authenticité des œuvres. Ces valeurs, déjà bien établies dans le monde du collectionnisme privé et du marché de l’art, s’imposent au Louvre, devenu le lieu du « trésor » des arts : « Voici Paris orné des plus glorieuses dépouilles de la Grèce et de l’Italie ; voilà les prodiges des arts entassés sur le même point : il est devenu le dépôt de ce que la terre contient de curieux. Imaginez tout ce que les productions de la nature ont de plus rare, vous l’y trouverez. Voulez-vous admirer celles du goût, de la science, de la littérature ? tous ces miracles sont sous vos yeux ; vous êtes invité à jouir chaque jour de ces merveilles 8. »

6. Pomian, 1987.7. Boissy d’anGlas, 1794, p. 333. Sur l’émergence de Paris comme capitale culturelle à l’époque

moderne, voir Van damme, 2005.8. mercier, 1800, p. 82-83.

5C. GUIChARD : LE MARChÉ AU CœUR DE L’INVENtION MUSÉALE ?

En rupture complète avec le discours patriotique des révolutionnaires qui avaient mis en avant la fonction savante et pédagogique du Louvre, fidèles en cela à la tradition acadé-mique d’enseignement par le moulage et la copie, ce type de description renvoie plutôt aux collections privées, caractérisées par la rareté et la richesse des œuvres conservées. Les peintures entreposées au Louvre sont prises dans des dispositifs d’attribution et d’authentification qui valorisent leur singularité et leur originalité. On retrouve alors la question qui ouvrait notre propos : comment le musée a-t-il intégré dès l’origine ces valeurs, venues du marché de l’art, au cœur même de son fonctionnement ?

DES COLLECtIONS PRIVÉES AU MUSÉUM LEBRUN : L’œIL DU LOUVRE

Entre 1792 et 1802, date à laquelle Denon est nommé directeur du Musée central des arts, Lebrun va jouer un rôle essentiel dans la constitution de la collection du premier Louvre 9. Il est en première ligne lors de la grande période d’inventaire des œuvres d’art qui marque le début de la Révolution à Paris (1792-1794). tantôt envoyé par la Commission temporaire des arts, tantôt missionné par l’Agence du domaine national du département de Paris chargée d’estimer les objets d’art des « maisons des émigrés condamnés ou déportés 10 », Lebrun arpente inlassablement tous les lieux de la ville susceptibles de conserver des œuvres d’art, papier et plume à la main. En octobre 1794, dans un rapport adressé à la Commission, il compte qu’il a personnellement dressé cent cinquante-cinq inventaires depuis septembre 1793, soit un total extraordinaire de 15 476 objets d’art expertisés 11. Il visite toutes les grandes collections des aristocrates et des financiers émigrés, en particulier celles qu’il avait lui-même contribué à former : le prince de Conti, le maréchal de Noailles, le financier Boutin, le notaire Duclos- Dufresnoy, etc. 12 Il dresse les inventaires de toutes les anciennes institutions culturelles et artistiques de l’Ancien Régime qu’il avait personnellement fréquentées (corporation des maîtres peintres, Académie royale de peinture, Bibliothèque nationale). Il visite enfin seize églises parisiennes (notamment Saint-Denis), les palais royaux (tuileries, Louvre, Versailles), et les dépôts nationaux (Nesle, etc.) 13.

C’est aussi en raison de ses réseaux d’informations et de ses connaissances, tissés dans le cadre des sociabilités prérévolutionnaires, que Lebrun est chargé de conduire les opérations de confiscations des objets d’art menées à l’étranger 14. En juillet 1794, il envoie un mémoire de près de trente pages à l’abbé Grégoire relatif aux tableaux

9. émile-mâle, 1957.10. Bibliothèque nationale de France, cabinet des manuscrits, NAF 20157, fol. 80. Agence du

domaine national du département de Paris, 13 Vendémiaire an III (4 octobre 1794) : « Le Bureau nomme pour son commissaire provisoire le citoyen J. B. Lebrun md de tableaux rue du Gros Chenêt pour l’estimation et prisée de tous les objets relatifs à la peinture et sculpture provenant des maisons des émigrés condamnés ou déportés. »

11. Archives nationales, F/17/1231, dossier 4, pièce 188.12. Archives nationales, F/17/1231, dossier 4, pièce 65. 13. Archives nationales, F/17/1231, dossier 4, pièce 74. État des inventaires faits par la section de

Peinture, Sculpture et Gravure, par Le Brun et Naigeon 10 ventôse 2 : bâtiments nationaux ; paroisses, collèges et églises ; biens d’émigrés.

14. Sur la confiscation des œuvres d’art, voir saVoy, 2003.

6 REVUE DE SyNthèSE : tOME 132, 6e SÉRIE, N° 1, 2011

conservés dans les Pays-Bas autrichiens défaits à la bataille de Fleurus 15. En octobre 1794, il donne également aux commissaires envoyés sur place des indications sur les objets conservés en hollande, dans les Électorats et dans les régions rhénanes, et suscep-tibles d’être envoyés à Paris 16. Jusqu’en février 1795, il dresse l’inventaire des œuvres confisquées en Belgique et dans les régions rhénanes, et qui sont envoyées au Louvre 17. Enfin, en septembre 1795, il inventorie plus particulièrement les caisses provenant de la galerie du Stathouder de La haye, ramenées à Paris suite à ses instructions 18. Le rôle central de Lebrun dans les spoliations artistiques menées dans les régions du Nord s’explique par sa connaissance reconnue des peintres des écoles du Nord, sur laquelle nous reviendrons. Mais ses compétences ne sont pas seulement savantes : Lebrun bénéficie de solides réseaux d’informations, bâtis avant la Révolution, qui vont jouer un rôle essentiel dans la confiscation des œuvres : à Leyden et à Düssel-dorf, il propose comme alliés potentiels pour les commissaires envoyés à la suite des armée ses propres correspondants peintres ou marchands : « On trouvera […] à Leyden [Louis-Bernard] Coclers peintre patriote qui se réfugia en France lors du 1er Parti du Stathouder qui l’emporta par l’appui du tyran de Prusse. Ce Coclers se réfugia donc en France et est retourné en hollande. Il donnera de grands renseignements sur toutes les maisons où il peut y avoir des chefs-d’œuvre 19. »

En 1798 enfin, il sort de son premier champ de compétences en inventoriant les caisses qui proviennent d’Italie. Avant l’arrivée de Denon à la tête du Louvre en 1802, le bilan de Lebrun est donc considérable : il a personnellement inventorié les œuvres confisquées en Belgique, en hollande et dans les régions rhénanes et italiennes. L’activité de Lebrun montre que les collections privées et la collection muséale sont constituées dans une réelle continuité, en dépit du discours révolutionnaire qui tend à introduire entre elles une opposition morale et politique radicale. Lebrun ne cesse d’ailleurs jamais d’exercer son métier de marchand 20 et il achète des œuvres en vente

15. Bibliothèque nationale de France, cabinet des manuscrits, NAF 20157, fol. 325 v° : « J’ai de plus remis au Citoyen Grégoire des détails des descriptions et renseignements sur la Belgique montant à 29 pages. » L’abbé Grégoire fait partie, avec Lebrun, Varon et Besson, de la commission nommée le 8 juillet 1794 par la Commission temporaire des arts afin de donner des instructions aux agents envoyés en Belgique. Voir mcclellan, 1994, p. 31.

16. Archives nationales, F/17/1231, dossier 4, pièce 191. État des objets de sciences et arts qui peuvent se trouver dans la hollande et les Électorats. Par J.-B-.P Lebrun peintre adjoint à la Commission temporaire des arts, 10 Brumaire an III (31 octobre 1794).

17. émile-mâle, 1994.18. Archives nationales, F/17/1276, dossier 6. Pluviôse an IV. Bureau des musées. Rapport

présenté au ministre de l’Intérieur. 19. Archives nationales, F/17/1231, dossier 4, fol. 191. État des objets de sciences et arts

qui peuvent se trouver dans la hollande et les électorats. Par J. B. P. Lebrun peintre adjoint à la Commission temporaire des arts, 10 Brumaire an III (31 octobre 1794) : « 4. Düsseldorf. […] Lambert Krahe habile connoisseur est le Directeur de cette galerie, il est né dans cette ville, et y réside. […] On pourrait en général prendre dans cette ville des renseignements d’un nommé Levigneur qui a beaucoup voyagé en France et qui indiquera les principales maisons de la ville, ou des particuliers pourroient posséder quelques morceaux précieux sur lesquels la République pourrait avoir des droits. »

20. Bailey, 1984.

7C. GUIChARD : LE MARChÉ AU CœUR DE L’INVENtION MUSÉALE ?

pour le Louvre 21. Il est lui-même à l’origine du décret de la Convention, promulgué le 27 juillet 1793, qui décide l’affectation d’une somme annuelle de 100 000 livres pour l’acquisition de tableaux destinés au Muséum 22.

Cette activité d’intermédiaire entre les institutions publiques et le marché n’est pas nouvelle : il achetait déjà des tableaux dans les ventes publiques pour la collection royale, comme il l’écrit en 1801, après la vente Coclers : « J’ose espérer que l’ad-ministration sera satisfaite de ma conduite. C’est la seule récompense à laquelle je prétende puisque je partage avec elle le bonheur qu’elle éprouve à compléter la plus belle collection de l’univers, et que c’est avec un égal désintéressement que j’ai rempli la même mission sous les ministres de Louis XV et de Louis XVI et sous les ministres de la République 23. » Cet éloge du musée s’inscrit dans une continuité historique : « la plus belle collection de l’univers » a commencé à se constituer bien avant 1793. Elle révèle la permanence de la politique d’achat entre l’ancienne administration des Bâtiments du roi, incarnée par le comte d’Angiviller 24, et la nouvelle institution muséale. En particulier, Lebrun continue à défendre les peintres des écoles du Nord, dont les peintures de genre sont pourtant très éloignées de la peinture d’histoire, patrio-tique et davidienne, promue par les révolutionnaires 25. À la Société populaire et répu-blicaine des arts, fondée en septembre 1793 à la place de la Commune des arts, il n’a pas peur d’affirmer : « Pour moi, je le déclare, je ne connais pas de genre à la Peinture, lorsqu’elle me montre des traits qui n’avilissent pas l’homme. Je les contemple sous deux aspects, ou comme l’image du Citoyen vertueux occupé des soins de sa famille, ou comme l’imitation parfaite de la nature, seul but de l’Art 26. » tout en faisant une concession au vocabulaire civique de l’époque, Lebrun réfute une lecture trop strictement politique de la peinture, « comme si la peinture se bornait à peindre des héros 27 », et réaf-firme au contraire sa fonction mimétique, comme imitation de la nature, l’inscrivant

21. Il fait l’acquisition de dix toiles pour le Louvre au cours de cinq ventes publiques, dont certaines sont organisées par lui. En 1793, lors de la vente Choiseul Praslin, il achète trois tableaux (Pierre Paul Rubens, Portrait de Suzanne Fourment ; Rembrandt Van Rijn, Sainte Famille ; Jacob Jordaens, Le Roi boit) : Archives nationales, F/17/1059/9. En 1795, à la vente Donjeux, il recommande trois autres tableaux (Jan Victors, Isaac bénissant Jacob ; Johannes Glauber, Paysage avec berger et joueur de flûte ; Mathias Stomer, Pilate se lavant les mains) : Archives nationales, F/21/570, plaquette 6/63. En 1797, il intervient à la vente Buldet. Enfin, en 1801, à la vente tolosan, il recommande un tableau, non identifié, de Gerbrand Van den Eeckhout (Bibliothèque nationale de France, NAF 20157, fol. 148) et à la vente Coclers en 1801, il achète Adrian Van Ostade, Le Marché aux poissons ; Jan Victors, Jeune fille à la fenêtre ; Jan Weenix, Nature morte au paon et au chien, 1696 (Bibliothèque nationale de France, cabinet des manuscrits, NAF, 20157, fol. 44).

22. Archives nationales, AN, F/17/1059/9, lettre du ministre de l’Intérieur à Lebrun : « La Convention nationale vient de décréter le 27 de ce mois Citoyen un fonds de 100.000 livres et de le mettre à ma disposition pour subvenir aux frais d’achat et aux dépenses relatives au Muséum. Ce fonds que je sollicitais me donne la possibilité d’acquitter les 36 480 livres dus à la succession Praslin pour l’acquisition que je vous avais chargé de faire en mon nom à la vente de ses tableaux. »

23. Bibliothèque nationale de France, cabinet des manuscrits, NAF, 20157, fol. 44, lettre du 10 Fructidor an IX.

24. Sur le patriotisme monarchique du directorat du comte d’Angiviller et sur sa politique d’achat, voir JoBert, 1987 ; edwards, 1996.

25. crow, 2000 ; Bordes, 1983. Pour une réflexion sur la peinture de genre, voir ledBury, 2000.26. Journal de la Société populaire et républicaine des arts, séance du 13 Germinal, an III

(2 avril 1794), p. 323.27. Journal de Paris, 17 septembre 1798.

8 REVUE DE SyNthèSE : tOME 132, 6e SÉRIE, N° 1, 2011

ainsi dans une tradition classique bien plus ancienne 28. Cette défense de la peinture de genre s’inscrit parfaitement dans la structure du marché de l’art de la seconde moitié du xViiie siècle et montre que l’adhésion de Lebrun au musée patriotique résiste au nouvel ordre politique des formes de l’art.

LA FONCtION DU COMMISSAIRE EXPERt AU MUSÉE

La place centrale que Lebrun a occupée dans le premier Louvre est restée méconnue et l’historiographie s’est surtout intéressée à Dominique-Vivant Denon, en lui consacrant une grande exposition rétrospective 29. Cette absence de visibilité historiographique s’explique sans doute par le long refus, de la part de l’administra-tion muséale, de le voir occuper toute fonction permanente et de reconnaître ainsi officiellement son rôle. Malgré ses demandes réitérées, Lebrun n’est pas intégré au sein de la Commission du Muséum 30. Il obtient ensuite le titre d’adjoint à la Commis-sion temporaire des arts, mais il lui est bien spécifié qu’il n’en est pas membre à part entière : « [Elle] vient de nous assurer que tu n’es pas précisément attaché à la Commission temporaire des arts] 31. »

Il n’est toujours pas membre de l’administration muséale lorsqu’en 1797, il reçoit le titre de Commissaire expert auprès du Musée, un titre qui est créé pour lui et qu’il conserve jusqu’en 1802. Ses prérogatives sont clairement définies et limitées dans l’article 10 du règlement du Louvre de 1797 :

« Les fonctions du commissaire expert consisteront à faire sur les demandes du Ministre ou de l’administration du Musée central toutes les évaluations, les reconnaissances, tant pour le musée central lui-même, que pour celui de l’École française à Versailles ou celui des monuments français aux petits Augustins. Il sera consulté pour le classement et le placement des objets dans le Musée central et dans celui de l’École française à Versailles. toutes les fois que l’administration du Musée central des arts appellera le commissaire expert, il aura voix consultative dans le conseil 32. »

L’expert au musée est donc appelé par le conseil d’administration ou directement par le ministre de l’Intérieur pour donner un avis dans des opérations spécifiques et ponctuelles qui concernent l’évaluation et la disposition des œuvres dans les différents

28. saint-Girons, 1990.29. Dominique-Vivant Denon, l’œil de Napoléon, 1999. 30. Archives nationales, F/17, 1058, dossier 2, lettre de Lebrun du 23 octobre 1792 aux membres

de la Commission et leur refus dans une lettre du 17 novembre 1792 adressée au ministre de l’Intérieur (Archives nationales, F/17, 1059, dossier 17).

31. Bibliothèque nationale de France, cabinet des manuscrits, NAF 20157, fol. 83. La Commission des revenus nationaux, au Citoyen Lebrun, adjoint à la Commission temporaire des arts, 28 Pluviôse an III (16 février 1795). Il a bien appartenu pendant quelques mois à la Commission temporaire des arts, entre septembre 1793 et février 1794, mais il en démissionne, à la suite des attaques dont il fait l’objet.

32. Archives nationales, F/17/1059, organisation du Musée central des arts, 3 Pluviôse an V, pièce 1 : Lebrun demande ensuite au ministre de l’Intérieur d’obtenir une voix délibérative, ce qui lui est accordé.

9C. GUIChARD : LE MARChÉ AU CœUR DE L’INVENtION MUSÉALE ?

musées parisiens (Musée central, musée de Versailles et Musée des monuments fran-çais dirigé par Lenoir) et les reconnaissances de dette. Autrement dit, l’expert est défini par des fonctions à la fois savantes et administratives. Ses compétences artistiques sont étendues puisque « l’évaluation » signifie l’estimation des peintures, tandis que leur « classement » au sein des musées engage une vision globale de la mission des établis-sements et de la place des œuvres au sein du dispositif muséal.

La reconnaissance de l’expert au musée s’inscrit dans le cadre d’une lente émer-gence de cette figure dans les mondes de l’art. Soit la définition du dictionnaire de l’Académie française en 1694 : « exPert. Fort versé, fort expérimenté en quelque art qui s’apprend par expérience. […] Il se met quelquefois au substantif, & signifie, Des gens nommés par autorité de justice, pour examiner, pour estimer certaines choses & en faire leur rapport. » Le terme souligne le rapport à l’expérience et le rôle primordial de l’institution judiciaire dans la définition de l’expert. Dans l’espace artistique, l’expert intervient au tribunal, lorsque des artistes sont appelés pour trancher dans des conflits entre un peintre et son commanditaire 33. L’expert intervient également au moment des inventaires après décès, en assistant l’huissier priseur pour la prisée et l’estimation des œuvres rassemblées dans une collection ; il est alors « expert nommé par toutes les parties qui a promis donner son avis sur lad[ite] prisée en son âme et conscience 34 ». L’importance du contexte juridique explique que l’expert nommé soit longtemps issu des institutions artistiques monarchiques, souvent membre de l’Académie royale de peinture ou de l’académie de Saint-Luc, attachée à la corporation des maîtres-peintres. Formé à la pratique artistique, l’expert est convoqué dans des configurations précises, au moment de la commande, de la cession ou de l’acquisition d’un tableau. Ses compé-tences sont artistiques, puisqu’il doit attribuer et décrire des œuvres, et économiques, puisqu’il connaît la valeur des artistes sur le marché de la commande ou de la revente.

Dès 1793, soit l’année même de l’ouverture du Muséum national, Lebrun tente d’importer cette figure de l’expert, issue du fonctionnement juridique des insti-tutions d’Ancien Régime, dans l’administration muséale. Mais il l’associe aux connaisseurs et non plus aux artistes : « De nos jours même, lorsque les tribunaux ont besoin d’experts, lorsqu’il s’agit de faire un inventaire ou une estimation, a-t-on recours aux artistes ? Non, mais aux connaisseurs 35. » Il vise en fait la politique du ministre de l’Intérieur, Jean-Marie Roland, qui tente au même moment « de faire du Louvre un instrument de la reconquête du connoisseurship par les artistes 36 » en leur redonnant une place importante au sein de la Commission du Muséum. En effet, à l’Académie royale, depuis le milieu du xViiie siècle, les artistes ont perdu leur monopole dans la production des jugements artistiques, face à la légitimité nouvelle

33. wildenstein, 1921.34. Archives nationales, minutier central, et LVI/369, inventaire après décès de Joseph Vernet, 2

mars 1790.35. leBrun, 1793a, p. 8.36. Poulot, 1996, p. 141. Joseph Lavallée, secrétaire de l’administration, sera encore plus direct

quelques années plus tard. Dans les Observations sur l’administration du Musée central des arts, Paris, an VI, p. 11, il évoque les risques « de confier la garde d’un immense dépôt de tableaux d’un grand prix à tout homme dont l’unique profession est d’en faire le commerce » (cité par Poulot, 1996, p. 198).

10 REVUE DE SyNthèSE : tOME 132, 6e SÉRIE, N° 1, 2011

des amateurs 37. Au même moment, le développement du marché de la peinture, et en particulier des ventes publiques, a favorisé l’émergence d’une figure nouvelle, celle du « marchand expert », dont les liens avec les institutions artistiques d’Ancien Régime ne sont pas toujours avérés 38. Dans ses Réflexions sur le Muséum, Lebrun réactive ces anciens débats entre artistes et marchands, afin de bâtir la position de l’expert au musée, qu’il arrime à des compétences spécifiques, bien distinctes du milieu des artistes professionnels. Il défend en fait sa propre position de connaisseur, fondée sur ses publications savantes, sur sa formation de praticien et sa maîtrise du marché. Lebrun va imposer cette nouvelle position, impure aux yeux des artistes et des politiques, par un appel constant à l’opinion publique.

LEBRUN POLÉMIStE : L’INVENtION D’UNE POSItION

Pour s’imposer à l’administration muséale, Lebrun se livre à une intense activité de publication, relayée aussi par sa participation aux séances de la Société popu-laire et républicaine des arts, lors desquelles il prononce plusieurs discours. Dans ses Observations sur le Muséum national, Lebrun s’attache à prouver l’incompétence des artistes dans l’attribution et l’authentification des œuvres. Pour la première exposition des objets conservés au Muséum, il dresse la liste des erreurs faites par les artistes de la Commission dans le catalogue qui s’y rapporte 39, et il demande au public de juger « le livre d’exposition à la main, les tableaux sous les yeux […] entre Roland, Carra, les directeurs du Muséum, et moi ». Au total, ce catalogue rédigé par les artistes de l’administration ne compte pas moins de quarante-cinq erreurs d’attribution ; les administrateurs ont pris « des copies pour des originaux, [se sont] tromp[és] sur les noms des maîtres, des écoles 40 ». Ce texte polémique est un coup de maître. Suite à cette publication, les administrateurs ne peuvent faire autrement que d’appeler Lebrun à dresser le premier inventaire du musée du Louvre en novembre 1793 41. En attaquant publiquement les artistes de l’administration, il construit sa propre légitimité, fondée sur la démonstration en acte de ses propres compétences.

Ces opuscules marquent l’entrée de Lebrun dans l’espace polémique des débats muséographiques, qu’il va largement contribuer à structurer pendant toute la période. En effet, à l’exception de sa grande publication savante, la Galerie des peintres flamands (1792-1796), ses modes d’intervention dans l’espace public sont toujours polémiques : il continue à publier de petits opuscules et il intervient dans des périodiques comme la Décade philosophique en 1795 et le Journal de Paris en 1796. Dans tous ces textes, il ne cesse de remettre en cause les choix muséographiques du Louvre et les compétences

37. Guichard, 2008.38. Par exemple, on ne sait pas avec certitude si Jean-Baptiste Lebrun était membre de l’Académie

de Saint-Luc. Inscrit comme élève à l’Académie royale de peinture en 1769, il échoue au Grand Prix. Il expose aux Salons de 1782, 1783, 1793, 1795 et 1796. Voir camus, 2000.

39. Catalogue des objets…, 1793.40. leBrun, 1793b, p. 4.41. Guiffrey et tuetey, 1910, p. 379 : « Inventaire des objets contenus dans le Muséum et

dans les dépôts sous la surveillance des gardiens du Muséum. Commencé le 15 du 2e mois et fini le 12 Frimaire, an II. » L’inventaire est contresigné par Jollain, Vincent, Regnault et Bossut.

11C. GUIChARD : LE MARChÉ AU CœUR DE L’INVENtION MUSÉALE ?

en matière d’attribution des artistes administrateurs. Ces nombreuses publications lui permettent de se construire une réputation, fondée sur des savoirs artistiques situés, toujours associés aux œuvres elles-mêmes, et montrent sa capacité à s’imposer à l’institution, comme publiciste, par la production de controverses et par l’appel au public 42. Cette activité de publicateur s’accompagne d’une forte adhésion à l’institution muséale, sans laquelle Lebrun pourrait être suspecté d’un manque de patriotisme. Dans le Journal de Paris, il défend avec vigueur le bien-fondé du déplacement des chefs-d’œuvre d’Italie, contre la pétition signée par une cinquantaine d’artistes emmenés par Jacques-Louis David, Dominique-Vivant Denon, Joseph-Marie Vien, etc. 43 Il dédicace son catalogue des œuvres confisquées en Lombardie « à l’armée d’Italie », livret qu’il présente au ministre de l’Intérieur, comme « une sorte de pyramide que j’ai élevée en l’honneur de la brave armée d’Italie 44 ».

Dans ses publications, Lebrun ne cesse jamais de se présenter, de présenter son parcours : ces rappels personnels ne sont pas de simples préalables biographiques, mais des éléments de légitimation de son discours et de sa position. La Galerie des peintres en particulier joue un rôle fondamental dans cette autopromotion : tirée de la reproduc-tion des tableaux vendus par le marchand, elle est publiée une première fois dans les années 1770 sous forme de lots d’estampes, en vente dans la boutique de Lebrun. Elle est ensuite republiée pendant la Révolution sous la forme d’un ouvrage plus ambitieux – une Galerie – qui s’inscrit dans la tradition des prestigieuses publications savantes de la fin de l’Ancien Régime 45. Cette seconde publication change la nature de l’ouvrage : d’abord simple publication commerciale, elle devient un ouvrage savant qui fonde la réputation de Lebrun comme connaisseur. Dans le discours préliminaire, ses savoirs artistiques sont présentés comme des connaissances pratiques et non pas comme des savoirs théoriques ; ils sont fondés sur l’expérience :

« Peu m’importe de passer pour auteur. J’ai eu dès ma tendre jeunesse un goût décidé pour la peinture ; je me suis vu le condisciple de la plupart des artistes qui honorent aujourd’hui le siècle et la nation française. Des circonstances particulières m’ont forcé d’abandonner l’atelier des Boucher et des Deshays, pour me mettre à la tête d’un commerce dans lequel mon père s’était distingué par ses connaissances et par sa probité 46. »

Si Lebrun insiste d’abord sur sa formation artistique auprès de François Boucher, qui anima l’un des ateliers les plus importants du siècle, il montre aussi que l’essentiel de son apprentissage s’apparente à une autodidaxie, hors des cadres institutionnels. La culture de la mobilité et du voyage associée à la formation visuelle est constamment mise en avant : « J’ai vu beaucoup, j’ai beaucoup voyagé ; il est peu de galeries, de

42. lilti, 2007. 43. Journal de Paris, 30 thermidor an IV (21 juillet 1796).44. Archives nationales, F/21/570, plaquette 2, pièce 60. Lettre de Le Brun au ministre,

1er Pluviôse an VI.45. Parmi de nombreux exemples, voir PiGaGe, 1778 ; Von mechel, 1784 ; couché,

1786-1808. 46. leBrun, 1792-1796, vol. 1, p. i.

12 REVUE DE SyNthèSE : tOME 132, 6e SÉRIE, N° 1, 2011

cabinets de tableaux même que je n’aie eu le loisir d’examiner et d’apprécier : c’est le résultat de mon expérience, c’est celui des connaissances que j’ai pu acquérir que je me propose de donner 47. » Dans une lettre au Premier consul Bonaparte, il parle même de « quarante-trois voyages chez l’Etranger ». Ces voyages ne sont pas anecdotiques. Ils font preuve du contact matériel avec les œuvres : « Les connaisseurs à qui des milliers de tableaux ont passé par les mains, ont acquis une habitude du faire de tous les maîtres, qui ne les trompe jamais 48. » L’expertise repose sur « un art de la prise 49 », un rapport matériel et tactile – et plus seulement visuel – avec l’objet. Le réglage sensoriel de l’expert repose donc sur un faisceau de compétences qui diffère de celui des artistes. Soit la lettre de candidature de Lebrun à Bonaparte pour le poste de directeur général des musées, qui sera finalement attribué à Denon :

« Qu’un Lacépède préside au Cabinet d’histoire naturelle, un thouin au Jardin des Plantes, rien de mieux ; mais l’habile David et nos plus fameux artistes ne seraient pas en état de veiller sur les tableaux de la République. Ils n’ont pas la connaissance pratique des anciens maîtres. Ils n’ont ni nettoyé, ni réparé des tableaux. Ils ne pour-raient pas garantir les originaux, que l’on déroberait pour y substituer des copies 50. »

La comparaison entre les beaux-arts, l’histoire naturelle et la botanique met en valeur ce qui est en train d’être construit comme la spécificité des savoirs artisti-ques par rapport aux savoirs savants : ils reposent sur l’unicité et l’exceptionnalité de l’œuvre d’art. tandis que la science moderne se développe parallèlement à la naissance du laboratoire et repose sur le caractère répétitif de l’expérience 51, les savoirs artisti-ques deviennent tributaires du caractère unique de l’œuvre d’art : ils se développent selon des processus locaux, fondés sur la collection. Dès lors, dans l’expertise muséale, la supériorité du connaisseur, issu du marché, sur l’artiste vient de sa capacité à pouvoir garantir l’originalité des œuvres, grâce à sa familiarité technique et matérielle avec le tableau, contre la connaissance formelle et iconographique des artistes formés à l’ancienne Académie royale de peinture (« tout le monde sait que les études des pein-tres n’ont point été dirigées vers ces connaissances 52 »).

Logiquement donc, la Galerie des peintres flamands repose sur une connaissance aiguë de la géographie du collectionnisme en Europe. Elle est le produit d’une série de situations d’expertise marchande, puisque les œuvres présentées dans la Galerie sont souvent rapportées à leur dernier propriétaire, à qui Lebrun rappelle qu’il les a lui-même vendues 53. Ce type de littérature s’attache uniquement aux œuvres, dont elle reconstitue le contexte local, et s’intéresse à ce que les historiens de l’art appellent leur

47. leBrun, 1792-1796, vol. 1, p. i.48. leBrun, 1793a, p. 12.49. Bessy et chateauraynaud, 1995.50. Bibliothèque nationale de France, ms 20157, fol. 43, lettre au général Premier consul, s. d.51. shaPin et schaffer, 1993. 52. leBrun, 1793a, p. 11.53. Par exemple, à propos d’un tableau de Rubens : « Le tableau que nous avons fait graver,

représente le Centaure Nessus venant d’enlever Déjanire. Il est passé à Pétersbourg, dans la collection du comte de Stroganoff, à qui je l’ai vendu » (leBrun, 1792-1796, vol. 1, p. 15).

13C. GUIChARD : LE MARChÉ AU CœUR DE L’INVENtION MUSÉALE ?

provenance et les anthropologues leur biographie 54. La littérature du connoisseurship se constitue donc dès l’origine, dans le milieu du marché et du musée, comme un savoir local, éclaté, un savoir de l’œuvre dans sa matérialité. Elle se distingue à la fois du modèle vasarien, fondé sur la biographie des artistes, et de la mise en récit de l’histoire de l’art, inaugurée en 1764 par Johann Joachim Winckelmann avec la publication de son Histoire de l’art chez les Anciens 55. Cette focalisation sur l’œuvre dans sa matéria-lité prend une ampleur sans précédent pendant la Révolution et l’Empire, lorsque Paris devient le lieu où s’articulent des savoirs locaux et une prétention à l’universel de l’art, qui s’exprime à travers l’afflux d’œuvres venues de toute l’Europe.

LE MOMENt DE LA MAtÉRIALItÉ : PARIS, « VILLE DE tABLEAUX 56 »

Pendant la période révolutionnaire, la cour du Louvre devient un gigantesque entrepôt, les ateliers des artistes du Louvre sont mobilisés 57 et la Grande Galerie est transformée en atelier de restauration, en raison de la taille parfois gigantesque des œuvres. Voici le rapport au sujet de l’arrivée des tableaux provenant de Lombardie à l’été 1797 :

« Le 3 thermidor les tableaux d’Italie du second envoi arrivèrent, ils étaient au nombre de 112. Il fallut les décaisser, les dérouler avec le plus grand soin, les inventorier, on a fait le procès-verbal le plus minutieux de l’état dans lequel ils étaient sortants de la caisse ou de dessus le rouleau. On a même tenu compte lorsque la chose a été possible du nombre d’écailles qui étaient tombées 58. »

Le gigantisme des opérations de confiscations à travers l’Europe est illustré de manière exemplaire par la saisie en 1797 du tableau de Paolo Veronese, Les Noces de Cana, aujourd’hui encore le plus grand tableau conservé au Louvre. D’une surface de 67 m2 (6,67 m x 9,9 m), il avait été réalisé pour le réfectoire du couvent de San Giorgio Maggiore à Venise. Après la chute de la république de Venise, il est démonté, roulé, mis en caisse et transporté à Paris où il arrive le 27 juillet 1798, avant d’être recousu et retendu sur un châssis. L’exposition de ce tableau dans l’antichambre de la galerie du Musée central des arts va nécessiter une opération technique de grande envergure qui illustre les manipulations que subissent les tableaux nouvellement arrivés 59. Cet afflux inces-sant d’œuvres parfois gigantesques a des conséquences concrètes : les lettres de l’admi-nistration attestent le besoin croissant de châssis, de toiles et de cadres pour les œuvres qui arrivent roulées dans des caisses. Le besoin est tel que d’autres administrations

54. aPPadurai, 1988. 55. décultot, 2000 ; Pommier, 2003.56. mercier, 1800, vol. 6, p. 84.57. Archives nationales F/21/570, plaquette 4, fol. 46-47 : ateliers d’Antoine Giroust et de

François topino Lebrun.58. Archives nationales, F/21/570, plaquette 3, pièce 103. Rapport du ministre de l’Intérieur au

Directoire, 9 Nivôse an VI.59. Les dimensions spectaculaires du tableau seront l’argument avancé pour empêcher son retour

à Venise après la chute de Napoléon en 1815 : « le déplacement et le transport de cette machine colossale [sont], sinon impraticables, du moins très difficiles » (duPuy, le masne de chermont et williamson, dir., 1999, vol. 2, p. 1125 : lettre de Denon au comte de Pradel, 29 septembre 1815.

14 REVUE DE SyNthèSE : tOME 132, 6e SÉRIE, N° 1, 2011

sont mobilisées : l’agence de l’habillement des troupes – qui dépend de l’armée – est autorisée à fournir de la toile pour les peintures 60, les dépôts nationaux doivent donner les bois 61 pour faire les châssis, les caisses utilisées pour le transport des œuvres depuis la Belgique sont réutilisées pour faire les châssis 62.

Ces détails administratifs nous mettent sur la voie pour comprendre un des effets importants de cette accumulation des œuvres d’art, sans doute unique dans l’histoire : la prise en compte de leur matérialité. Après un grand moment d’intellectualisation de la peinture qui triomphe avec le classicisme, la période révolutionnaire initie un autre moment historique, celui de la matérialité de l’œuvre, lié aux questions de conservation et de restauration, et qui va se pérenniser grâce à l’essor de l’administration muséale au xixe siècle. L’introduction au catalogue des œuvres confisquées en Lombardie et expo-sées au public parisien en 1798 témoigne de ce nouveau vocabulaire de la matérialité des tableaux : « L’Administration du Musée a senti la nécessité de répondre à l’impa-tience du Public, en lui procurant la prompte jouissance des chefs-d’œuvre déjà en notre possession. [… Elle] a fait rentoiler, nettoyer et remettre en état ceux de ces tableaux qui par la fumée, la crasse, et les vieilles huiles dont ils étaient recouverts, étaient absolument hors d’état d’être vus 63. » La description de l’état matériel de l’œuvre, avec son cortège de mots techniques (vernis, gerçures, repeints, chancis, écailles, huiles, mastic, châssis, etc.) succède à la fascination pour les aspects formels des tableaux, que l’on décrivait d’après leur composition, le nombre des figures et leur ordonnance-ment, l’invention du peintre, etc. Non que le vocabulaire classique de la description de l’œuvre, définie au xViie siècle par Félibien dans les conférences de l’Académie royale de peinture, disparaisse 64. Mais, désormais, la matérialisation du tableau devient l’objet de débats polémiques et politiques, qui mettent en cause la responsabilité du gouver-nement et sa capacité à faire honneur aux chefs-d’œuvre confisqués en les exposant dignement. Soit un extrait d’une lettre de Lebrun au ministre de l’Intérieur :

« L’état des tableaux est affligeant […]. Plusieurs de ces tableaux sont vernis par-dessus les chancis et sont si mal repeints qu’on voit les écailles et les mastics de dessous à travers. D’autres s’élèvent et tombent par écailles, malgré cet état de destruction, on les a nettoyés vernis et accrochés au lieu de les avoir fait enlever ou rentoiler ; d’autres encore sont fraîchement raccommodés quoiqu’ils soient couverts de crasse ou de vieux vernis jaune. Il semble qu’on leur ait donné une fausse parure pour les vendre et tromper les acheteurs 65. »

Ces considérations matérielles rappellent les indications sur les pigments et les couleurs qui ponctuaient les contrats des peintres de la période médiévale, étudiés par Michael Baxandall. Mais elles ne sont plus des supports de valeur économique et ne

60. Archives nationales, F/21/570, plaquette 4, fol. 25.61. Archives nationales, F/21/570, plaquette 4, fol. 54 : arrêté du 22 brumaire.62. Archives nationales, F/21/570, plaquette 4, fol. 55.63. Notice des principaux tableaux recueillis dans la Lombardie…, 1798, p. iii. 64. rosenBerG, 1997 ; lichtenstein et michel, dir., 2006.65. Archives nationales, F/17/1059, dossier 14, lettre du 1er avril 1793.

15C. GUIChARD : LE MARChÉ AU CœUR DE L’INVENtION MUSÉALE ?

relèvent pas seulement des « conditions du marché 66 », elles sont constitutives de la valeur esthétique de l’œuvre. Désormais, la présentation matérielle des tableaux doit satisfaire les attentes des institutions patrimoniales. Elle est devenue un enjeu public dans l’institu-tion muséale, et plus seulement une exigence privée du propriétaire. Dépositaire universel des œuvres, le Louvre doit « satisfaire à l’attente du public et de l’Europe éclairée qui ne verrait pas sans indignation Apollon logé dans une cabane après qu’il lui a été élevé des temples et que tout récemment il a quitté le Vatican 67 ». La présentation matérielle des œuvres se déploie dans un nouveau genre de publications, la littérature artistique de conservation et de restauration. Ce type d’écrit circulait déjà au sein de l’administration des Bâtiments du roi, mais désormais, il participe aux polémiques. Le discours prononcé par Jacques-Louis David devant la Convention en 1794 est exemplaire de l’importance nouvelle des qualités matérielles de l’œuvre dans son appréciation critique :

« Vous détournerez vos regards de ce fameux tableau de Raphaël, que n’a point craint de profaner une main lourde et barbare. Entièrement retouché, il a perdu tout ce qui le distinguait, non seulement des maîtres de son école, mais de Raphaël même, j’entends son coloris sublime. Vous ne reconnaîtrez plus Antiope. Les glacis, les demi-teintes, en un mot tout ce qui caractérise particulièrement le Corrège et le met si fort au-dessus des plus grands peintres, tout a disparu 68. »

La description formelle du tableau et son appréciation esthétique à travers la manière des maîtres anciens, comme Raphaël ou le Corrège, intègrent pleinement la matérialité de la peinture. Le rapport demandé par le ministre de l’Intérieur sur la restauration des tableaux conservés au Louvre, suite à la mise en cause de l’administration muséale par le député Marin, le 11 Nivôse an VI (1er janvier 1798) confirme l’importance politique de la restauration. Soixante exemplaires de ce rapport seront distribués à toutes les chancel-leries d’Europe et aux diplomates étrangers en poste à Paris, à la demande du ministre de l’Intérieur lui-même : « Cette dénonciation accusant devant l’Europe entière le Gouver-nement de vandalisme, je pense que la justification ne saurait être trop publique. » Lebrun rédige le rapport, signé par le peintre Joseph-Marie Vien et les administrateurs du Musée central. Il y propose une réflexion sur la matérialité de l’œuvre, défend l’intégrité des dimensions du tableau dans les processus de restauration et réfléchit à l’action du temps sur les œuvres, c’est-à-dire à la temporalité historique du tableau.

« Le temps amène des changements dans les productions des peintres ; ces change-ments sont, en général, d’abord favorables aux ouvrages, en donnant à la couleur plus de fonte, de douceur et d’accord ; mais après ce premier effet, il est constant que le temps agit en destruction, soit provenant de la nature des toiles ou des bois. Ainsi la restauration répare […] les désordres que le temps amène, et par conséquent, donne une nouvelle vie à l’ouvrage 69. »

66. Baxandall, 1985. 67. Archives nationales, F/21/570, plaquette 3, pièce 17, « Inventaire des peintures du 2nd envoi

d’Italie avec état et nécessité de les restaurer, par Lebrun ».68. daVid, 1794, p. 5.69. Musée central des arts…, 1798, p. 28.

16 REVUE DE SyNthèSE : tOME 132, 6e SÉRIE, N° 1, 2011

Lebrun décrit ailleurs « ces tableaux qui, cachés sous la fumée, sous la poussière, sous le mauvais vernis, sous des repeints mal entendus, dès qu’ils sont dégagés de cette enveloppe perfide ou ignominieuse, laissent voir un chef-d’œuvre 70 ». Ce type de récit, qui emprunte son vocabulaire à la fouille archéologique qui connaît un deuxième âge d’or au xViiie siècle 71, marque la renaissance de l’œuvre, enfouie sous la poussière des bougies des clercs et abîmée par les collectionneurs privés. C’est une métaphore de l’art, rendu au public. Mais cette réflexion invite aussi à une nouvelle perception du tableau. Lebrun n’oppose pas l’état original du tableau avec son devenir. Bien au contraire, pour continuer à exister, à être présentée et exposée, une peinture doit être encadrée, nettoyée, parfois restaurée, déplacée d’un lieu à l’autre. L’origina-lité du tableau n’existe pas en soi : les peintures nécessitent une écologie spécifique pour subsister, autrement dit leur matérialité est une composante essentielle de leur essence 72. Cette thématique s’affirme nettement dans les discours sur la restauration des peintures : « La base fondamentale de cet art […] est de savoir, pour un artiste nettoyeur, lorsqu’il enlève des repeints, ne pas les confondre avec le vrai du maître, ou, pour donner un éclat passager, enlever les accords et les glacis. […] Il faut encore que sa main soit légère, j’oserais dire presqu’autant que celle d’un oculiste, en traitant le plus délicat de nos organes 73. » En comparant le restaurateur à un « oculiste » et en assimilant la délicatesse de l’œil à celle de la main, Lebrun réaffirme la matérialité du tableau et revient sur la prééminence des savoirs pratiques dans les processus de l’expertise muséale.

L’œUVRE À L’ ÉPREUVE

Avec cet afflux d’œuvres venues de toute l’Europe, Paris s’affirme comme capitale mondiale des arts : « Eh ! dans quel autre lieu du monde pourrait-on voir réunis le Carton de l’École d’Athènes, la transfiguration et la Communion de S. Jérôme 74 ? » Cet imaginaire de la capitale parisienne, nourri d’une nouvelle prétention à l’universel grâce au Muséum, n’a rien d’évident à la fin du xViiie siècle : comme l’ont montré les travaux d’Édouard Pommier et de Bénédicte Savoy, le musée de Vienne polarisait alors davantage le travail des savoirs muséographiques 75. En fait, le pouvoir du musée imaginé par Lebrun et ses contemporains réside dans sa double nature : il est à la fois un lieu d’accumulation de chefs-d’œuvre, qui s’inscrit dans la tradition des collections princières, et une institution savante qui travaille à la promotion des hiérarchies et des valeurs artistiques. Lieu patrimonial, le Louvre est aussi un lieu où les savoirs sont

70. Archives nationales, F/17/1058, dossier 2, lettre de Lebrun aux commissaires du Muséum, 23 octobre 1792.

71. schnaPP, 1993.72. Pour une relecture de l’originalité du tableau, voir latour (Bruno) et lowe (Adam), « the

Migration of the Aura – Exploring the Original through its Facsimiles », dans Bartscherer (thoma), éd., Switching Codes, University of Chicago Press, sous presse (voir http://www.bruno-latour.fr/, site consulté le 4 février 2009).

73. leBrun, 1794, p. 21.74. Notice des principaux tableaux recueillis en Italie…, 1798, p. Vi.75. Pommier, 2000 ; saVoy, éd., 2006 ; Guichard et saVoy, 2009.

17C. GUIChARD : LE MARChÉ AU CœUR DE L’INVENtION MUSÉALE ?

activement questionnés et construits. Soit l’introduction de 1797 à l’exposition des œuvres confisquées en Lombardie :

« Disséminées jusqu’à ce jour dans différents lieux, séparées la plupart par de grandes distances, ces productions des grands maîtres italiens n’ont pu encore être jugées qu’iso-lément, c’est-à-dire, incomplètement. Mais aujourd’hui que la valeur de nos armées les a, comme d’un coup de baguette, réunies sous un même coup d’œil dans le grand Salon du Muséum, elles vont enfin subir l’épreuve de la comparaison, dont l’heureux effet sera de remettre chacune d’elles à sa place, en faisant redescendre celles qu’on a trop élevées, et, au contraire, remonter celles qui peuvent avoir été trop déprimées : les véri-tables chefs-d’œuvre seuls resteront à leur rang 76. »

Les œuvres subissent une épreuve lors de leur entrée au musée : elles sont évaluées en termes esthétiques. Cette épreuve de la comparaison fonde le musée comme insti-tution savante : « Ne vous y trompez pas, citoyens, le Muséum n’est point un vain rassemblement d’objets de luxe ou de frivolité, qui ne doivent servir qu’à satisfaire la curiosité. Il faut qu’il devienne une école imposante. Les instituteurs y conduiront leurs jeunes élèves ; le père y mènera son fils. […] Il en est temps, législateurs, arrêtez l’ignorance au milieu de sa course 77. » Le musée va donc défendre de nouveaux choix muséographiques, proposés par Lebrun dans ces premiers écrits. S’inspirant à la fois des choix du musée de Vienne et des nomenclatures diffusées dans les catalogues de vente, il défend une exposition des œuvres par écoles et par ordre chronologique 78. On sait qu’il s’oppose ainsi à la démarche plus esthétisante du ministre Roland qui défend une disposition des tableaux sous la forme d’« un parterre de fleurs variées à l’infini 79 ». En avril 1799, lors de la réouverture du Louvre suite aux réaména-gements de la Grande Galerie, l’exposition des œuvres flamandes et françaises ne résulte plus d’une démarche esthétique, mais d’une démarche de connaissance. Les œuvres sont exposées par écoles, par maître et de manière chronologique : « Dans l’une et dans l’autre de ces Écoles, les Peintres, ceux d’histoire particulière-ment, ont été rangés suivant l’ordre chronologique de leur naissance, et les tableaux de chaque maître ont été réunis, autant qu’il a été possible. Cette méthode ayant l’avantage de faciliter la comparaison d’École à école, de Maître à Maître, et du Maître avec lui-même 80. »

En accordant aux noms des maîtres une place primordiale dans l’exposition des œuvres, la disposition des tableaux fonde aussi l’attributionnisme comme une pratique constitutive de l’histoire de la peinture. Les tableaux doivent porter sur leur cadre le nom de celui qui les a peints, comme le recommande Lebrun dans La Décade philosophique en 1795 : « Nous proposons d’écrire, au bas de chaque tableau, son

76. Notice des principaux tableaux recueillis dans la Lombardie…, 1798, p. Viii.77. daVid, 1794, p. 4.78. leBrun, 1793a, p. 9 : « tous les tableaux doivent être rangés par ordre d’école, et indiquer,

par la manière dont ils seront placés, les différentes époques de l’enfance, des progrès, de la perfection, et enfin de la décadence des arts. »

79. Cité dans Poulot, 1997, p. 201.80. Notice des tableaux des écoles française et flamande…, 1799, p. ii.

18 REVUE DE SyNthèSE : tOME 132, 6e SÉRIE, N° 1, 2011

sujet et le nom du peintre 81. » Cet avis est appuyé par la lettre d’un représentant du peuple adressée au ministre de l’Intérieur : « Comme l’immense majorité des spec-tateurs n’est composée ni d’amateurs ni d’artistes et que cependant dans les gouver-nements républicains, c’est surtout le plus grand nombre des citoyens, qu’il faut chercher à intéresser, qu’on s’occupe d’établissements publics, je crois qu’il est à la fois urgent et indispensable de faire place pour chaque tableau au nom du peintre 82. » Cette proposition de nommer les tableaux et de les attribuer s’inscrit dans la mission didactique et républicaine du musée et elle est rapidement adoptée par le ministre de l’Intérieur 83.

Dès lors, le partage attributif devient une fonction essentielle du musée et s’im-pose comme pratique savante. Jésus-Christ dans les cieux après sa résurrection, un tableau alors donné à Raphaël, est publiquement désattribué par Lebrun dans son catalogue des œuvres exposées en 1797 au Louvre 84. L’attribution de l’œuvre prélude à son entrée au Muséum : la distinction entre la copie et l’original devient un lieu commun dans les compétences nécessaires de l’administration muséale 85. Pourtant, cette valorisation de l’attributionnisme est un phénomène relativement nouveau, qui est d’abord apparu dans le marché de l’art, en même temps que le jugement attributif l’emportait sur le jugement esthétique dans les catalogues de vente 86. Elle s’impose donc comme pratique savante, après s’être développée dans le commerce de l’art comme une compétence spécifique des marchands experts. Cette promotion muséale de l’attributionnisme ne va pas de soi : parce qu’elle vient du commerce de l’art, elle est d’abord critiquée et qualifiée de « tactique de marchand, qui recon-naît au grain de la toile, au ton des couleurs, de quel auteur est l’ouvrage, bon ou mauvais, talent bien inférieur à cette connaissance des beautés d’une production qui fait admirer l’ouvrage, sans considérer si c’est un Maître Flamand ou Italien, copie ou original 87 ». Les valeurs constitutives des mondes de l’art du xixe siècle, comme l’authenticité et l’originalité des œuvres, s’imposent donc au Louvre, où elles sont institutionnalisées après avoir été importées du marché, avant de s’imposer à travers

81. Cité dans Pommier, 2002, p. 55.82. Archives nationales, F/21/567, plaquette 6, fol. 64, 4 Nivôse an IV : lettre de Félix Faulcon,

représentant du peuple, au ministre de l’Intérieur.83. Archives nationales, F/21/569, plaquette 6, pièce 65. Lettre du ministre aux membres du

conservatoire du Museum, 29 Nivôse an IV : « Il est indispensable pour la jouissance du public de mettre sur chaque bordure le nom du peintre et l’indication du sujet. Occupez-vous donc citoyens à terminer sur le champ ce travail que vous avez déjà commencé. »

84. leBrun, 1797, p. 21 : « Ce tableau a toujours été attribué à Raphaël, c’est pourquoi je l’ai placé sous le nom de cet artiste ; mais ne serait-il pas de quelqu’un de ses élèves ou de ses imitateurs ? C’est ce que nous allons examiner. »

85. Par exemple, martin, s. d., p. 11 : « Je vais hasarder de faire connoître les talents qui sont propres et nécessaires pour conduire à une perfection les travaux de peinture qui doivent orner notre célèbre Muséum. D’abord, il faut professer la peinture, savoir restaurer les tableaux des anciens maîtres, pour diriger les mains qui y seront employées : connaître toutes les écoles et tous les maîtres, pour pouvoir les classer ; ne pas ignorer les procédés qu’ils ont employés pour faire leurs travaux, afin de s’en servir pour parvenir à les réparer avec succès ; ne pas confondre les copies avec les originaux. »

86. Pomian, 1987.87. Journal de la Société populaire et réoublicaine des arts, 1794, p. 60.

19C. GUIChARD : LE MARChÉ AU CœUR DE L’INVENtION MUSÉALE ?

l’Europe comme un élément clef du dispositif muséal. En devenant un lieu unique en Europe d’exposition de chefs-d’œuvre, durablement associés à des noms prestigieux, le Louvre promeut des savoirs qui valorisent le régime de singularité. La pratique attributive trouve dans le musée une force de légitimation qui nourrit en retour la fascination pour les noms propres, qui structure durablement l’écriture de l’histoire de la peinture.

L’INVENtION D’UNE ADMINIStRAtION ?

L’historiographie a souvent insisté, à juste titre, sur « l’impossible naissance du conservateur expert […] due à la crainte de voir les marchands gouverner le patri-moine de la République 88 ». Pourtant, pendant une dizaine d’années, malgré les refus de l’administration muséale, Lebrun va parvenir à imposer à l’institution la figure de l’expert, venu du marché, au sein du musée. Cette position institutionnelle est forte-ment liée à sa trajectoire personnelle, nourrie par une stratégie intense de publication et d’autopromotion. Dans son magnifique autoportrait, réalisé en 1795, Lebrun tente de mettre en scène cette fonction de l’expert au musée (voir ci-contre l’illus-tration 1) 89. Cette position nouvelle, qu’il ne va jamais cesser de construire et de mettre en scène dans ses écrits, est fondée sur la maîtrise de compétences multiples : Lebrun s’est « peint […] jusqu’aux genoux, appuyé de la main droite sur son traité des peintres et tenant sa palette de l’autre 90 ». Sa capacité de praticien est signifiée par la palette et la grande toile sur laquelle il peint une figure d’inspiration néoclassique. Sa collection personnelle d’objets étrusques et égyptiens est évoquée à travers une énigmatique statue égyptienne, présentée dans l’arrière-plan à gauche 91. Ses publi-cations savantes sont également mises en exergue grâce à la Galerie des peintres flamands, hollandais et allemands, parue à partir de 1792, négligemment ouverte, et sur laquelle il pose sa main dans un geste qui semble inviter à un rapport tactile avec les œuvres. Enfin, son engagement muséal est soigneusement indiqué par la double signature du tableau. À côté d’une première signature, qui correspond en fait à la page de titre de sa Galerie des peintres (Par J.B. Leb…/tome seco…/179…), il y a une autre signature « Du/muséum national/par J. B. P. Lebrun », qui reproduit également la fin du titre d’un de ses opuscules et qui laisse croire qu’il appartient pleinement à l’administration muséale (voir ci-contre l’illustration 2). Cette soigneuse présentation de soi, alors que Lebrun ne peint que de manière très occasionnelle, participe donc à sa stratégie personnelle de représentation : l’autoportrait, comme ses nombreuses publications, mobilise encore toutes les ressources identitaires sur lesquelles Lebrun fonde la fonction de l’expert au musée.

Pendant dix ans, Lebrun est au cœur du premier Louvre, qui va importer des valeurs et des pratiques qui prévalaient en fait dans le monde marchand. Cette parenthèse, au

88. Poulot, 1997, p. 206.89. L’autoportrait de Lebrun est reproduit en couleurs, avec le détail, dans Bailey, 2002, p. 18.90. Collection des livrets des anciennes expositions…, 1869-1872, ici 1871, t. 38, p. 41

(il s’agit du livret de 1795, n° 310).91. chamPy, 2008.

20 REVUE DE SyNthèSE : tOME 132, 6e SÉRIE, N° 1, 2011

Illustration 1 – Jean-Baptiste-Pierre Lebrun, Autoportrait, 1795, 131 x 99 cm, collection privée

21C. GUIChARD : LE MARChÉ AU CœUR DE L’INVENtION MUSÉALE ?

cours de laquelle le Louvre utilise les compétences du marchand le plus célèbre de son temps 92, permet de consacrer au cœur du musée des valeurs comme l’originalité, l’authenticité et la singularité des œuvres, dont témoignent les débats sur la muséo-graphie, la restauration et l’attribution des œuvres. L’expertise muséale et patriotique réutilise des savoirs construits sous l’Ancien Régime dans des situations d’expertise marchande. Avant l’invention des musées de copies ou de moulages, directement issus de la tradition académique et des écoles de dessins et qui révèlent l’importance de la copie au xixe siècle 93, le Louvre devient un « trésor », une institution qui consacre comme valeur suprême l’originalité et qui promeut l’attributionnisme comme pratique savante dans les mondes de l’art.

L’administration muséale va clore rapidement cette parenthèse Lebrun, même si son héritage persiste : en 1802, Denon est nommé directeur du Musée central des arts et il reprend à son compte les prérogatives du commissaire expert, dont la fonction devient alors secondaire. Denon, comme ses successeurs à la direction du Louvre le comte de

92. de marchi et Van mieGroet, 2008. 93. Boime, 1964.

Illustration 2 – La double signature du tableau, détail de Jean-Baptiste-Pierre Lebrun, Autoportrait, 1795, 131 x 99 cm, collection privée

22 REVUE DE SyNthèSE : tOME 132, 6e SÉRIE, N° 1, 2011

Forbin, puis à la fin du siècle le comte de Nieuwerkerke (1849-1871), sont beaucoup plus proches du modèle de l’amateur, qui s’était mis en place sous l’Ancien Régime 94. Ils appartiennent aux élites aristocratiques et mondaines, sont associés à l’Académie des Beaux-arts, et ce sont tous des artistes amateurs. Leur nomination témoigne d’un refus des professionnels et des experts, au profit d’une valorisation des formes de l’amateurisme plus légitime dans les mondes de l’art, attachés au modèle aristocratique du goût diffusé, sous l’Ancien Régime, par l’Académie royale de peinture.

Liste des références

I – Sources

Boissy d’anGlas (François-Antoine de), 1794, Quelques idées sur les arts, sur la nécessité de les encourager, sur les institutions qui peuvent en assurer le perfectionnement, & sur divers établissemens nécessaires à l’enseignement, an II, Paris, Impr. Nationale.

Bouquier (Gabriel), 1794, Rapport et projet de décret relatifs à la restauration des tableaux et autres monuments des arts formant la collection du Muséum national, 6 Messidor an II (24 juin 1794), dans Guillaume (James), éd., Procès-verbaux du Comité d’instruction publique de la Convention nationale, Paris, Impr. Nationale, 1901, t. IV.

Catalogue des objets contenus dans la galerie du Muséum français, décrété par la Conven-tion nationale, le 27 juillet 1793 l’an second de la République Française, 1793, Paris, C. F. Patris.

Collection des livrets des anciennes expositions depuis 1673 jusqu’en 1800, 1869-1872, Paris, Leipmanssohn et Dufour, 42 vol.

couché (Jacques), 1786-1808, La Galerie du Palais-Royal gravée d’après les différentes écoles qui la composent, Paris, Jacques Couché et al.

daVid (Jacques-Louis), 1794, Second rapport sur la nécessité de la suppression de la Commis-sion du Muséum, fait au nom des Comités d’instruction publique et des finances, Imprimé par ordre de la Convention nationale, Paris Imprimerie nationale, an II.

duPuy (Marie-Anne), le masne de chermont (Isabelle) et williamson (Elaine), dir., 1999, Vivant Denon : directeur des musées sous le Consulat et l’Empire. Correspondance (1802-1815), Paris, Réunion des musées nationaux, 2 vol.

Guiffrey (Jean) et tuetey (Alexandre), 1910, La Commission du Muséum et la création du musée du Louvre, Paris, Nogent-le-Rotrou.

Journal de la Société populaire et républicaine des arts, 1794, éd. Athanase détournelle, Paris, Détournelle.

leBrun (Jean-Baptiste-Pierre), 1792-1796, Galerie des peintres flamands, hollandais et alle-mands, ouvrage enrichi de deux cent unes planches gravées d’après les meilleurs tableaux de ces maîtres, par les plus habiles artistes de France, de Hollande et d’Allemagne : avec un texte explicatif pouvant servir à reconnaître leur genre et leur manière, et faire prononcer sur le mérite et la valeur de leur production ; des notes instructives sur plusieurs peintres dont aucun auteur n’avait jamais parlé ; et une table alphabétique des noms des maîtres, la plus complète et la plus étendue qui est parue à ce jour, Paris/Amsterdam, Poignant /Pierre Fouquet junior, 3 vol.

94. Guichard, 2008.

23C. GUIChARD : LE MARChÉ AU CœUR DE L’INVENtION MUSÉALE ?

leBrun (J.-B.-P.), 1793a, Réflexions sur le Muséum national : 14 janvier 1793, dans Pommier, éd., Réflexions sur le muséum national : 14 janvier 1793, Paris, Réunion des musées natio-naux, 1992.

leBrun (J.-B.-P.), 1793b, Observations sur le Muséum national, Paris, Charon.leBrun (J.-B.-P.), 1794, Quelques idées sur la disposition, l’arrangement et la décoration du

Muséum national, par Le citoyen Lebrun, peintre et marchand de tableaux, adjoint à la Commission temporaire des arts, Paris, Didot, an III.

leBrun (J.-B.-P.), 1795, Essai sur les moyens d’encourager la peinture, la sculpture et la gravure, Paris, chez l’auteur, an III.

leBrun (J.-B.-P.), 1797, Examen historique et critique des tableaux exposés provisoirement, venant des premier et second envois de Milan, Crémone, Plaisance, Modène, Cento et Bologne, auquel on a joint le détail de tous les monumens des arts qui sont arrivés d’Italie, Paris, Desenne, an IV.

martin (Guillaume), s. d., Avis à la nation, sur la situation du Muséum national, Paris.mercier (Louis-Sébastien), 1800, Le Nouveau Paris, Brunswick, chez les nouveaux libraires,

6 vol.Musée central des arts. Pièces relatives à l’administration de cet établissement, imprimées par

ordre du Directoire exécutif, 1798, Paris, Imprimerie de la République, an VI.Notice des principaux tableaux recueillis dans la Lombardie par les Commissaires du gouver-

nement français, dont l’exposition provisoire aura lieu dans le grand salon du Muséum, les Octidi, Nonidi, et Decadi de chaque Décade, à compter du 18 Pluviôse jusqu’au 30 prairial an VI, 1798, Paris, Imprimerie de la République, an VI.

Notice des principaux tableaux recueillis en Italie par les commissaires du gouvernement fran-çais comprenant ceux de l’Etat de Venise et de Rome, dont l’exposition provisoire aura lieu… à compter du 18 Brumaire an VII, 1798, Paris, Imprimerie des sciences et des arts.

Notice des tableaux des écoles française et flamande, exposés dans la grande Gallerie du Musée central des Arts, dont l’ouverture a eu lieu le 18 Germinal an VII, 1799, Paris, Imprimerie des sciences et des arts, an VII.

PiGaGe (Nicolas de), 1778, La Galerie électorale de Düsseldorff ou Catalogue raisonné et figuré de ses tableaux, etc., Bâle, Méchel.

Von mechel (Christian), 1784, Catalogue des tableaux de la galerie impériale et royale de Vienne, Bâle, chez l’auteur.

II – Études

aPPadurai (Arjun), 1988, The Social Life of Things. Commodities in Cultural Perspective, Cambridge, Cambridge University Press.

Bailey (Colin B.), 1984, « Lebrun et le commerce d’art pendant le blocus continental. Patrio-tisme et marge bénéficiaire », Revue de l’art, n° 63, p. 35-46.

Bailey (C. B.), 2002, Patriotic Taste. Collecting Modern Art in Pre-Revolutionary Paris, New haven/Londres, yale University Press.

Baxandall (Michaël), 1985, L’Œil du Quattrocento. L’usage de la peinture dans l’Italie de la Renaissance, trad. franç. yvette delsaut, Paris, Gallimard.

Bessy (Christian) et chateauraynaud (Francis), 1995, Experts et faussaires. Pour une sociologie de la perception, Paris, Métailié.

Boime (Albert), 1964, « Le Musée des Copies », Gazette des Beaux-Arts, vol. LXIV, p. 237-247.

24 REVUE DE SyNthèSE : tOME 132, 6e SÉRIE, N° 1, 2011

Bordes (Philippe), 1983, Le Serment du Jeu de Paume de Jacques-Louis David : le peintre, son milieu et son temps, Paris, Réunion des musées nationaux.

camus (Fabienne), 2000, Jean-Baptiste-Pierre Lebrun peintre et marchand de tableaux (1748-1813), thèse de doctorat, Université Paris IV.

chamPy (Cécilie), 2008, « Curieux idolâtres et acheteurs de statues ». Le marché de la sculpture sous la Révolution et l’Empire à Paris, thèse de l’École des Chartes, Paris.

chaPPey (Jean-Luc), 2002, La Société des Observateurs de l’homme (1799-1804). Des anthro-pologues sous Bonaparte, Paris, Société des études robespierristes.

crow (thomas), 2000, La Peinture et son public à Paris au xviiie siècle, trad. franç. André Jacquesson, Paris, Macula.

de marchi (Neil) et Van mieGroet (hans), 2008, « the Rise of the Dealer-Auctioneer in Paris. Information and transparency in a Market for Netherlandish Paintings », dans tummers (Anna) et Jonckheere (Koen), dir., Art Market and Connoisseurship in the Dutch Golden Age, Amsterdam, Amsterdam University Press, p. 149-174.

décultot (Élisabeth), 2000, Johann Joachim Winckelmann. Enquête sur la genèse de l’histoire de l’art, Paris, Presses universitaires de France.

Dominique-Vivant Denon, l’œil de Napoléon, 1999, Catalogue d’exposition, Paris, Musée du Louvre.

edwards (JoLynn), 1996, Alexandre-Joseph Paillet : expert et marchand de tableaux à la fin du xviiie siècle, Paris, Arthéna.

émile-mâle (Gilberte), 1957, « Jean-Baptiste-Pierre Lebrun (1748-1813). Son rôle dans l’his-toire et la restauration des tableaux du Louvre », Mémoires de Paris et d’Ile-de-France, t. 8, p. 371-417.

émile-mâle (G.), 1994, Inventaires et restauration au Louvre de tableaux conquis en Belgique, septembre 1794-février 1795, Bruxelles, Classe des Beaux-Arts, Académie royale de pein-ture.

émile-mâle (G.), 2008, Pour une histoire de la restauration des peintures en France, Paris, Institut national du patrimoine/Somogy.

Gerin-Pierre (Claire), 2008, « Les commissaires-experts au musée du Louvre, de la révolution à la monarchie de Juillet », Technè, n° 27-28, p. 60-70.

Guichard (Charlotte), 2008, Les Amateurs d’art à Paris au xviiie siècle, Seyssel, Champ Vallon. Guichard (Charlotte) et saVoy (Bénédicte), 2009, « Le pouvoir des musées. Patrimoine artis-

tique et naissance des capitales culturelles (1720-1850) », dans charle (Christophe) et roche (Daniel), Naissance des capitales culturelles, Seyssel, Champ Vallon, p. 103-135.

JoBert (Barthélémy), 1987, « the “travaux d’encouragements”. An Aspect of Official Arts Policy in France Under Louis XVI », Oxford Art Journal, n° 10, p. 3-14.

lichtenstein (Jacqueline) et michel (Christian), dir., 2006, Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture, I : Les conférences au temps d’Henry Testelin, 1648-1681, Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts.

ledBury (Mark), 2000, Sedaine, Greuze and the Boundaries of Genre, Oxford, Voltaire Foundation.

lilti (Antoine), 2007, « Querelles et controverses : les formes du désaccord à l’époque moderne », Mil neuf cent, revue d’histoire intellectuelle, n° 25, p. 13-28.

mcclellan (Andrew), 1994, Inventing the Louvre : Art, Politics, and the Origins of the Modern Museum in Eighteenth-Century Paris, Cambridge, Cambridge University Press.

Pomian (Krzysztof), 1987, Collectionneurs, amateurs et curieux, Paris-Venise : xvie-xviiie siècle, Paris, Gallimard.

25C. GUIChARD : LE MARChÉ AU CœUR DE L’INVENtION MUSÉALE ?

Pommier (Édouard), 1991, L’Art de la liberté : doctrines et débats de la Révolution française, Paris, Gallimard.

Pommier (É.), 2000, « Vienne 1780-Paris 1793 ou le plus révolutionnaire des deux musées n’est peut-être pas celui auquel on pense d’abord... », Revue germanique internationale, n° 13, p. 67-86.

Pommier (É.), 2002, « L’administration du musée du Louvre entre pouvoir politique et opinion publique (1795-1799) », dans Mélanges à Françoise Cachin, Paris, Gallimard/Réunion des musées nationaux, p. 46-61.

Pommier (É.), 2003, Winckelmann, inventeur de l’histoire de l’art, Paris, Gallimard.Poulot (Dominique), 1996, Surveiller et s’instruire : la Révolution française et l’intelligence de

l’héritage historique, Oxford, Voltaire Foundation.Poulot (D.), 1997, Musée, nation, patrimoine. 1789-1815, Paris, Gallimard.Poulot (D.), 2005, Une histoire des musées de France, Paris, La Découverte.rosenBerG (Raphaël), 1997, « André Félibien et la description de tableaux. Naissance d’un genre

et professionnalisation d’un discours », dans La Naissance de la théorie de l’art en France, 1640-1720, numéro spécial de la Revue d’esthétique, n° 31-32, p. 149-159.

saint-Girons (Baldine), 1990, Esthétiques du xviiie siècle. Le modèle français, Paris, Philippe Sers Éditeur.

saVoy (Bénédicte), 2003, Patrimoine annexé. Les biens culturels saisis par la France en Allemagne autour de 1800, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2 vol.

saVoy (B.), éd., 2006, Tempel der Kunst. Die Entstehung des öffentlichen Museums in Deutschland, 1701-1815, Mayence, Philipp von Zabern.

schnaPP (Alain), 1993, La Conquête du passé. Aux origines de l’archéologie, Paris, Carré. shaPin (Steve) et schaffer (Simon), 1993, Léviathan et la pompe à air : Hobbes et Boyle entre

science et politique, Paris, La Découverte.Van damme (Stéphane), 2005, Paris, capitale philosophique, Paris, Odile Jacob.wildenstein (Georges), 1921, Rapports d’experts 1712-1791. Procès-verbaux d’expertises

d’œuvres d’art extraits du fonds du Châtelet aux Archives nationales, Paris, Les Beaux-Arts.