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Publications de la Sorbonne V iolence et harmonie sociale, homicide et pardon, vengeance et réconciliation : toutes ces dichotomies font clairement référence aux deux faces de la même médaille. Cette médaille est l’une des plus impor- tantes réalités de l’histoire humaine, à savoir le conflit inhérent aux relations sociales 1 . Dans une perspective historique, on peut affirmer sans réserve qu’en ces dernières années les questions relatives aux systèmes de résolution des conflits privés entre le bas Moyen Âge et l’époque moderne, l’étude de la paix et des pacifications, avec toutes les questions qui y sont reliées – le pardon, l’amitié, la grâce royale, la concorde sociale, l’honneur nobiliaire, etc. –, ont attiré l’attention de beaucoup de chercheurs, non seulement d’historiens, mais aussi d’anthropologues, de sociologues, d’historiens du droit, de politolo- gues 2 . L’historiographie positiviste du xix e siècle a sans doute fortement mar- qué la perspective sur la base de laquelle on a continué pendant des décennies à considérer la violence. Jacob Burkhardt 3 , Johan Huizinga 4 , jusqu’à l’œuvre majeure de Norbert Elias – Über den Prozeß der Zivilisation –, publiée à 1. Voir la belle introduction écrite par Stuart Carroll dans le recueil d’articles qu’il a dirigé, Cultures of Violence. Interpersonal Violence in Historical Perspective, Houndsmills/New York, Palgrave/ MacMillan, 2007, p. 1-43. Voir aussi J. Bossy (dir.), Disputes and Settlements. Law and Human Relations in the West, Cambridge, Cambridge University Press, 1983 ; C. Povolo, « Introdu- zione », Acta Histriae, 10/1, 2002, p. XVII-XXXIII. 2. La bibliographie sur le sujet comprend un nombre considérable de titres. D’un point de vue général pour le bas Moyen Âge, on pourra se référer à R. M. Dessì (dir.), Prêcher la paix et discipliner la société : Italie, France, Angleterre (XIII e -XV e siècle), Turnhout, Brepols, 2005 ; pour l’époque moderne, voir J. Bossy, Peace in the Post-Reformation. The Birkbeck Lectures 1995, Cambridge, Cambridge University Press, 1998. 3. J. Burkhardt, Die Kultur der Renaissance in Italien, Leipzig, Verlag von EA Seemann, 1860 [trad. fr. La civilisation en Italie au temps de la Renaissance, Paris, Plon-Nourrit, 1906]. 4. J. Huizinga, Herfsttijd der Middeleeuwen, Haarlem, 1919 [trad. fr. Le déclin du Moyen Âge, Paris, Payot, 1932, réimprimé sous le titre L’automne du Moyen Âge en 1975]. Paolo Broggio Justice, vengeance et légitime défense dans les traités juridiques et théologico-moraux de l’époque moderne

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réconciliation : toutes ces dichotomies font clairement référence aux deux faces de la même médaille. Cette médaille est l’une des plus impor-tantes réalités de l’histoire humaine, à savoir le conflit inhérent aux relations sociales1. Dans une perspective historique, on peut affirmer sans réserve qu’en ces dernières années les questions relatives aux systèmes de résolution des conflits privés entre le bas Moyen Âge et l’époque moderne, l’étude de la paix et des pacifications, avec toutes les questions qui y sont reliées – le pardon, l’amitié, la grâce royale, la concorde sociale, l’honneur nobiliaire, etc. –, ont attiré l’attention de beaucoup de chercheurs, non seulement d’historiens, mais aussi d’anthropologues, de sociologues, d’historiens du droit, de politolo-gues2. L’historiographie positiviste du xixe siècle a sans doute fortement mar-qué la perspective sur la base de laquelle on a continué pendant des décennies à considérer la violence. Jacob Burkhardt3, Johan Huizinga4, jusqu’à l’œuvre majeure de Norbert Elias – Über den Prozeß der Zivilisation –, publiée à

1. Voir la belle introduction écrite par Stuart Carroll dans le recueil d’articles qu’il a dirigé, Cultures of Violence. Interpersonal Violence in Historical Perspective, Houndsmills/New York, Palgrave/MacMillan, 2007, p. 1-43. Voir aussi J. Bossy (dir.), Disputes and Settlements. Law and Human Relations in the West, Cambridge, Cambridge University Press, 1983 ; C. Povolo, « Introdu-zione », Acta Histriae, 10/1, 2002, p. XVII-XXXIII.

2. La bibliographie sur le sujet comprend un nombre considérable de titres. D’un point de vue général pour le bas Moyen Âge, on pourra se référer à R. M. Dessì (dir.), Prêcher la paix et discipliner la société : Italie, France, Angleterre (xiiie-xve siècle), Turnhout, Brepols, 2005 ; pour l’époque moderne, voir J. Bossy, Peace in the Post-Reformation. The Birkbeck Lectures 1995, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.

3. J. Burkhardt, Die Kultur der Renaissance in Italien, Leipzig, Verlag von EA Seemann, 1860 [trad. fr. La civilisation en Italie au temps de la Renaissance, Paris, Plon-Nourrit, 1906].

4. J. Huizinga, Herfsttijd der Middeleeuwen, Haarlem, 1919 [trad. fr. Le déclin du Moyen Âge, Paris, Payot, 1932, réimprimé sous le titre L’automne du Moyen Âge en 1975].

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la fin des années 19305, ont placé la question de la limitation du recours à la violence privée au centre même du processus de sortie de la barbarie (le Moyen Âge) et de construction de la modernité occidentale, devenue progressivement rationnelle. Tous ces travaux ont sans doute représenté un tournant fondamental en ce qui concerne l’évaluation de la genèse sociale de l’État moderne occidental et de l’évolution des comportements individuels à partir de la perspective de la société de cour, qui avait eu le mérite de transfor-mer le chevalier médiéval en courtisan. Selon la perspective de Norbert Elias le mouvement était clair : la société européenne avait marché en direction de la discipline, de la rationalité, du contrôle des passions individuelles, de la « politesse », en laissant graduellement de côté le recours à la violence privée et à la vengeance, caractéristiques des sociétés au pouvoir étatique faible. On célébrait ainsi le triomphe du progrès de la civilisation occidentale où la violence se voulait exclusivement monopolisée par l’État.

La plupart des études les plus récentes sur le thème du conflit et de la paix se sont développées en tentant de se libérer de la lourde hypothèque positi-viste découlant de la vision de Norbert Elias, profondément évolutive, et de mettre en relief la persistance des systèmes vindicatoires, très souvent liés aux relations de parenté, tout au long de l’époque moderne et jusqu’au xxe siècle. Comme Andrea Zorzi l’a récemment souligné, considérer la vengeance comme un élément négatif, automatiquement associé à une couche sociale précise – la militia urbaine étudiée, pour ce qui concerne l’Italie communale, par Jean-Claude Maire Vigueur6 – relève probablement davantage d’une distorsion liée au type de sources étudiées que du reflet d’une dynamique sociale concrète7. Lorsqu’on analyse les mécanismes complexes de vengeance

5. N. Elias, Über den Prozeß der Zivilisation. Soziogenetische und psychogenetische Untersuchun-gen, vol. I,Wandlungen des Verhaltens in den Weltlichen Oberschichten des Abendlandes, Bâle, Hans zum Falken, 1936, et vol. II,Wandlungen der Gesellschaft. Entwurf zu einer Theorie der Zivilisation, Bâle, Hans zum Falken, 1939 (trad. fr. Sur le processus de civilisation, publiée en deux parties : La civilisation des mœurs, Paris, Calmann-Lévy, 1974, et La dynamique de l’Occident, Paris, Calmann-Lévy,1975).

6. Voir J.-C. Maire Vigueur, Cavaliers et citoyens. Guerre, conflits et société dans l’Italie communale xiie-xiiie siècles, Paris, Éditions de l’EHESS, 2003.

7. « Vi è da chiedersi, in primo luogo, quanto non concorra la documentazione a condizionare tale interpretazione : l’analisi di Maire Vigueur, per esempio, ha necessariamente dovuto fare ricorso a « cronache duecentesche per fare luce su realtà dell’epoca precedente ». Il rischio però è quello di rilevare delle pratiche da quelli che sono in realtà dei racconti delle fonti. Se si analizzano le cronache cittadine italiane – che sono in larga misura opera di notai, mercanti e uomini di chiesa – si può rilevare come esse elaborino una rappresentazione orientata della realtà sociale: i milites e poi i magnates sono infatti rappresentati in termini negativi come portatori di uno stile di vita violento e responsabili delle divisioni politiche, mentre le vendette ad opera delle famiglie « popolari » sono quasi sempre taciute. Più che uno stile di vita, la vendetta appare un attributo della reputazione sociale », A. Zorzi, « La legittimazione delle pratiche della vendetta nell’Italia comunale », e-Spania, décembre 2007 (http://e-spania.revues.org/2043).

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et de pacification présents dans les sociétés européennes au bas Moyen Âge et tout au long de l’époque moderne, il apparaît clairement que parler de « résidus » d’un passé pré-étatique est insuffisant, surtout si on se place dans une perspective interdisciplinaire.

Une question de fond particulièrement importante, qui émerge à partir de la documentation et sur laquelle la recherche s’est toujours interrogée, est celle du rôle des pouvoirs publics dans le contexte des mécanismes de régulation de la vengeance et donc de la pacification, mécanismes que l’histo-riographie traditionnelle a toujours considérés comme étant principalement ou presque totalement de nature privée. Nul besoin d’évoquer ici les études qui, surtout en France, se sont développées sur la base du paradigme de l’« infrajudiciaire », notion utilisée par Benoît Garnot et ses élèves notam-ment8, mais mise en question par Mario Sbriccoli dans un important article paru en 2001 et, très récemment, par Eric Wenzel9. Par le biais de l’infra-judiciaire on a voulu éclairer le décalage entre la « criminalité réelle » et la « criminalité enregistrée », ce que Benoît Garnot appelle « le chiffre noir de l’impunité », un ensemble de pratiques qui permettaient aux communautés rurales et urbaines de « défendre leur autonomie contre la puissance de l’État et de sa justice »10. De ce point de vue, on serait tenté de décrire le passage du Moyen Âge à l’époque moderne comme une lente mais inexorable pro-gression de la présence des pouvoirs publics à l’intérieur des mécanismes de résolution des disputes privées. Mais la lecture du livre récent de Christiane Klapisch-Zuber sur la Florence de la fin du xive et du début du xve siècle complique, en ce qui concerne la gestion de la violence (surtout considérée du point de vue des rapports entre les magnats florentins et le peuple), la vision traditionnelle des pacifications. Alors qu’on tendait à ne leur reconnaître qu’une nature privée, on découvre un système géré, contrôlé et imposé par les autorités de la Seigneurie, ayant peu à voir avec l’informalité des écritures notariales et des accords privés. Un système de pacification « par le haut » qui, du reste, avait du mal à se distinguer des logiques de la vengeance : dans

8. Voir B. Garnot, « L’ampleur et les limites de l’infrajudiciaire dans la France d’Ancien Régime (xvie, xviie et xviiie siècles) », dans Id. (dir.), L’infrajudiciaire du Moyen Âge à l’époque contem-poraine, actes du colloque (Dijon, 5-6 octobre 1995), Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 1996, p. 69-76 ; E. Wenzel, « La paix par la justice. Les modes alternatifs de règlement des conflits dans la France d’Ancien Régime », dans P. Broggio, M. P. Paoli (dir.), Stringere la pace. Teorie e pratiche della conciliazione nell’Europa moderna (secoli xv-xviii), Rome, Viella, 2011.

9. Voir M. Sbriccoli, « Giustizia negoziata, giustizia egemonica. Riflessioni su una nuova fase degli studi di storia della giustizia criminale », dans M. Bellabarba, G. Schwerhoff, A. Zorzi (dir.), Criminalità e giustizia in Germania e in Italia. Pratiche giudiziarie e linguaggi giuridici tra tardo medioevo ed età moderna/Kriminalität und Justiz in Deutschland und Italien. Rechtpraktiken und gerichtliche Diskurse in Spätmittelalter und Früher Neuzeit, Bologne, Il Mulino, 2001, p. 345-364.

10. B. Garnot, « L’ampleur et les limites de l’infrajudiciaire… », art. cité, p. 69.

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la provision de 1326 par laquelle on attribuait à Carlo, duc de Calabre, l’autorité de « contraindre à faire la paix », on prévoyait que, dans le cas où l’auteur de l’offense avait fait verser du sang, la demande de pardon serait conditionnée à ce que la victime obtienne vengeance de façon symétrique. Au duc ou à son vicaire la tâche de décider de la valeur et de la mesure de cette vengeance11. Des systèmes tout semblables de « contrainte à la paix » furent du reste utilisés dans la république de Venise dans la seconde moitié du xvie siècle par rapport aux territoires sujets à la Dominante, comme l’a montré Claudio Povolo12. Mais dans ce cas-là, l’intervention de Venise et le recours direct des factions en lutte aux institutions pénales centrales (comme le « Consiglio dei Dieci ») semblent entretenir la faida davantage qu’elle ne restaure l’équilibre social.

Même en ce cas-là, il est de toute façon possible de reconnaître aux lan-gages politiques un rôle central dans la construction du concept d’honneur qui devenait prépondérant dans l’image offerte par les lignages aristocratiques. C’est précisément à partir de cette perspective que je me suis personnellement penché sur la question de la vengeance. Les mécanismes de pacification (ce que l’on appelle « paix », les paci, au pluriel) et les artifices discursifs utilisés par les acteurs sociaux qui promouvaient les paix « privées » (et aussi par les juristes et les moralistes politiques qui les théorisaient) montrent à quel point le langage religieux a pu pénétrer de façon évidente dans les discours de la paix. Il contribue à forger une véritable idéologie de la paix et du bien commun qui devint le noyau dur des régimes de popolo déjà à partir des xiiie et xive siècles13.

La « paix » a pourtant graduellement acquis une valeur symbolique et identitaire qui allait bien au-delà du caractère concret des conflits auxquels elle devait mettre théoriquement fin. Cette rhétorique du binôme paix-justice, qui s’inspirait grandement de la philosophie aristotélicienne et à laquelle les ordres mendiants contribuèrent à travers la prédication14, connut une

11. C. Klapisch-Zuber, Retour à la cité. Les magnats de Florence, 1340-1440, Paris, Éditions de l’EHESS, 2006.

12. C. Povolo, L’intrigo dell’onore. Poteri e istituzioni nella Repubblica di Venezia tra Cinque e Seicento, Vérone, Cierre edizioni, 1997, p. 293 et suiv. Sur le territoire de la république de Venise, voir aussi M. Marcarelli, « Pratiche di giustizia in età moderna: riti di pacificazione e mediazione nella Terraferma veneta », dans G. Chiodi, C. Povolo (dir.), L’amministrazione della giustizia penale nella Repubblica di Venezia (secoli xvi-xviii), Vérone, Cierre Edizioni, 2004, t. 1, p. 259-309.

13. Sur cette évolution je me permets de renvoyer le lecteur à P. Broggio, « Linguaggio religioso e disciplinamento nobiliare: il “modo di ridurre a pace le inimicitie private” nella trattatistica di età barocca », dans F. Cantù (dir.), I linguaggi del potere nell’età barocca, t. 1, Politica e religione, Rome, Viella, 2009, p. 275-317.

14. Voir encore R. M. Dessì (dir.), Prêcher la paix, op. cit., et aussi A. Vauchez, « Une campagne de pacification en Lombardie autour de 1233. L’action politique des Ordres mendiants d’après la réforme des statuts communaux et les accords de paix », Mélanges d’archéologie et d’histoire,

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évolution importante au xvie siècle (en particulier dans la seconde moitié du siècle). L’abandon progressif des systèmes vindicatoires fut permis, d’une part, par le renforcement de l’action des pouvoirs publics, avec l’érection de tribunaux ; et il fut, d’autre part, facilité, sur le plan des normes, par la promo-tion de conduites plus conformes à la morale religieuse et à la conservation de l’État. Ce déclin de la vengeance coïncida avec une crise profonde de l’idéo-logie nobiliaire. Celle-ci, fondée sur une idée de l’honneur qui imposait la vengeance comme seule réponse possible à l’offense reçue, a dû s’adapter à un contexte de remise en question parfois radicale du pouvoir des lignages aris-tocratiques ; le rôle médiateur des institutions pénales locales, par le moyen des actes de paix, connut pourtant, dans certaines situations, des moments de grande difficulté. À la fin du xvie siècle, toujours sur le territoire de la Sere-nissima, l’intervention des institutions centrales se traduisit par exemple par un recours plus répandu à l’instrument du bando (bannissement)15. Dans de tels cas, la paix prolongeait plus qu’elle n’interrompait la faida, étant donné l’impunité quasi totale accordée aux tueurs des banditi (bannis)16.

Il s’agit là d’une phase cruciale pour l’adaptation de l’idéologie nobiliaire à l’action synergique des pouvoirs politiques centraux et des Églises chrétiennes européennes. Celle-ci a autorisé longtemps les historiens, et surtout ceux de l’école allemande, à parler de Sozialdisziplinierung17. Cette catégorie a été récemment remise en question par une partie du monde scientifique, une fois questionné le paradigme de la formation de l’État moderne, grâce aux tenants de la « nouvelle histoire politique » qui a mis au centre des discussions les « langages politiques », ou « langages du pouvoir », et les mécanismes de médiation entre instances locales et instances centrales18. Dans ce contexte,

78, 1966, p. 503-549, repris dans Id., Ordini mendicanti e società italiana, xiii-xv secolo, Milan, Il Saggiatore, 1990, p. 119-161 ; D. A. Brown, « The Alleluia. A Thirteenth Century Peace Movement », Archivum Franciscanum Historicum, 81, 1988, p. 3-16 ; A. Thompson, Revi-val Preachers and Politics in Thirteenth-Century Italy. The Great Devotion of 1233, Oxford, Clarendon Press, 1992.

15. Pour la période médievale voir G. Milani, L’esclusione dal Comune. Conflitti e bandi politici a Bologna e in altre città italiane tra xii e xiv secolo, Rome, Istituto Storico Italiano per il Medio Evo, 2003.

16. C. Povolo, L’intrigo dell’onore…, op. cit., p. 295.

17. La catégorie de Sozialdisziplinierung a été introduite par les historiens allemands, puis reprise et développée par des historiens italiens, en particulier par Paolo Prodi et Pierangelo Schiera. Un point de référence classique de la production italienne est P. Prodi (dir.), C. Penuti (col-lab.), Disciplina dell’anima, disciplina del corpo e disciplina della società tra medioevo ed età moderna, Bologne, Società editrice il Mulino, 1994 ; pour un bilan historiographique au milieu des années 1990, voir G. Alessi, « Discipline. I nuovi orizzonti del disciplinamento sociale », Storica, 4, 1996, p. 7-37.

18. Sur les langages politiques voir les trois numéros monographiques de la revue Quaderni Storici (« Conflitti locali e idiomi politici », 1986 ; « Conflitti, linguaggi e legittimazione », 1997 ; et « Linguaggi politici », 1999), mais aussi deux volumes récents : A. Gamberini, G. Petralia (dir.),

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l’étude de la conflictualité a été l’un des piliers d’une nouvelle approche des configurations politiques d’Ancien Régime. Je pense en particulier au courant de la micro-histoire qui, avec l’aide de l’anthropologie, a posé son regard sur un ensemble de sources qui ont permis de décrire de façon inédite les phénomènes de communication entre centre et périphérie, interprétés comme des formes d’interactions entre cultures et pratiques locales et politiques de légitimation (avec élaboration d’idiomes politiques et de rituels spécifiques)19.

La limite principale de cette approche a été la tendance plus ou moins implicite à faire disparaître l’État sous des réseaux serrés d’échanges, reliant clientèles, patronages, etc. Elle a aussi presque totalement rejeté la dimen-sion doctrinale de la construction de la modernité politique (si de modernité politique on peut vraiment parler) ; ce niveau serait incapable, selon les his-toriens, de nous faire saisir la réalité de ces échanges. La doctrine – juridique, politique, théologico-morale – a pourtant été trop expéditivement sous-esti-mée, sinon carrément écartée, par ce courant historiographique, qui a préféré se concentrer uniquement sur les traces documentaires conservées dans les archives judiciaires ou notariales locales. Mais une analyse plus fine de cette même documentation permet d’observer qu’un certain degré de communi-cation entre pratiques judiciaires et doctrines était possible. Ottavia Niccoli, par exemple, nous a montré récemment à quel point les indications contenues dans un traité comme le Del modo di ridurre a pace le inimicitie private (Rome, 1583)20 de Fabio Albergati sont identifiables dans la documentation judiciaire ou notariale qui nous raconte les pardons, les actes de renoncement

Linguaggi politici nell’Italia del Rinascimento, Rome, Viella, 2007 ; F. Cantù (dir.), I linguaggi del potere nell’età barocca, Rome, Viella, 2009, 2 vol.

19. Voir surtout O. Raggio, Faide e parentele. Lo stato genovese visto dalla Fontanabuona, Turin, Einaudi, 1990. Le conflit inhérent aux relations sociales est clairement au centre des intérêts des micro-historiens, comme le souligne un des pères fondateurs de ce courant historiographique, Giovanni Levi : « Gli storici [écrivait Levi il y a quelques années] che si sono rifatti alla micros-toria avevano di solito matrici marxiste, un atteggiamento politico orientato a sinistra, poca tendenza alla metafisica e un radicale laicismo. Tutte cose, credo, che per quanto vissute in modo straordinariamente diverso, tuttavia li tenevano strettamente ancorati all’idea che la ricerca sto-rica non fosse un’attività estetizzante e puramente retorica, che al centro del loro lavoro ci fosse la ricerca della verità relativa al modo conflittuale ed attivo degli uomini di agire nel mondo, al di là – e non al di fuori – dei vincoli dei sistemi normativi ed oppressivi che li governano », G. Levi, « A Proposito di microstoria », dans P. Burke (dir.), La storiografia contemporanea, Rome/Bari, Editori Laterza, 2001, p. 112, l’italique est de ma main.

20. Sur Albergati, voir E. Fasano Guarini, Albergati, Fabio, dans Dizionario Biografico degli Italiani, Rome, Istituto della Enciclopedia Italiana, 1960, vol. 1, p. 617-619. Sur sa pensée politique, voir A. E. Baldini, « Albergati critico di Bodin: dall’Antibodino ai Discorsi politici », dans Id. (dir.), Jean Bodin a 400 anni dalla morte: bilancio storiografico e prospettive di ricerca, actes du congrès international (Turin, 6-7 décembre 1996), Florence, Olschki, 1997, p. 287-310. Sur le traité dont nous nous occupons, voir surtout G. Angelozzi, C. Casanova, La nobiltà discipli-nata. Violenza nobiliare, procedure di giustizia e scienza cavalleresca a Bologna nel xvii secolo, Bologne, CLUEB, 2003 ; mais aussi P. Broggio, « Linguaggio religioso… », art. cité.

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à la vendetta et les paix conclues dans l’Italie de la première époque moderne, surtout en ce qui concerne le rôle des médiateurs dans la conclusion des actes de paix. Dans ces documents, c’est non seulement l’application concrète d’un ensemble de préceptes ou de conseils qui se donne à voir, mais aussi une communication effective entre d’une part les pratiques sociales et judiciaires, et de l’autre les doctrines :

Si nous exposions à la lumière du jour quelques-unes des anecdotes que nous avons rapportées, nous pourrions y reconnaître comme en filigrane les conseils d’Albergati, sous la forme de leur application concrète : ou même, nous pour-rions dire que ces conseils venaient élaborer et raffiner un matériau qui était déjà l’objet de pratiques et de sentiments communément répandus à l’époque où vivait leur auteur21.

Mais si nous quittons Bologne, qui était le point d’observation d’Ottavia Niccoli, pour la Madrid du xviie siècle, étudiée récemment par Olivier Capo-rossi, qui s’est intéressé à la pratique du pardon privé, l’impression d’une communication effective entre pratiques et doctrines se trouve considéra-blement renforcée. Caporossi traite de l’apartamiento, un pardon accordé par la partie offensée, qui servait de condition préalable au pardon royal du vendredi saint. Caporossi montre d’abord dans son étude que l’autorité politique se situait au centre du mécanisme de déroulement de la négociation – à mon avis improprement qualifiée par l’auteur d’infra-judiciaire –, qui pouvait durer des mois ou parfois des années et qui entraînait aussi une négociation financière. Il montre ensuite que l’écriture du pardon était sujette à une censure rigoureuse de la part d’une série de personnages (surtout des juristes et des théologiens) qui assumaient la tâche de contrôler l’« ortho-doxie » des discours concédant le pardon. Celui-ci devait mettre en exergue l’analogie parfaite entre la grâce du roi et le pardon du Christ, les deux modèles de référence.

Pourtant cette négociation [de l’apartamiento] n’appartient pas qu’aux parties en litige. Elle est l’objet d’un débat entre juristes, moralistes et théologiens, pour lesquels une censure doit s’exercer sur les conditions économiques et sociales du discours de l’apartamiento. La question est alors de savoir comment les Madrilènes réussissaient à intégrer, dans ce discours, les résultats de la négociation et à y faire sentir l’intervention de certains acteurs (l’influence des avocats et des réseaux de parentèle et d’amis). Et ceci malgré une censure orchestrée par les juristes et la monarchie, afin que

21. « Guardando in controluce alcune delle piccole vicende che abbiamo raccontato potremmo leggervi quasi in filigrana l’applicazione concreta dei consigli dell’Albergati : o meglio, potremo dire che essi elaboravano e raffinavano una materia oggetto di una pratica comune e di un comune sentire nell’età in cui egli viveva », O. Niccoli, Perdonare. Idee, pratiche, rituali in Italia tra Cinque e Seicento, Rome/Bari, Laterza, 2007, p. 112.

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le pardon de la partie offensée soit une analogie parfaite de la grâce du roi et du pardon du Christ. Les pouvoirs judiciaires et le pouvoir monarchique sont ainsi amenés à négocier avec la société madrilène, dont ils espèrent une acculturation des mentalités judiciaires plus conforme à la police chrétienne de la cour d’Espagne. Cette politique du pardon débouche sur la mise en place de véritables modes de censure du discours de l’apartamiento22.

Dans l’Espagne du xviie siècle, toute une littérature commence à fleurir : des livres de pratique judiciaire qui proposent un modèle de discours du pardon « à mi-chemin entre l’expérience professionnelle de son auteur (qui est un juriste) et la volonté des tribunaux de standardiser l’ensemble des actes judiciaires pour renforcer leur identité juridictionnelle23 ». La production juridico-politico-morale qui se développe, surtout dans les pays catholiques méditerranéens, à partir de la seconde moitié du xvie siècle devient de ce point de vue un excellent prisme pour comprendre la façon dont les exigences « idéologiques » divergentes des couches nobiliaires et des pouvoirs publics ont pu s’adapter les unes aux autres et pour saisir aussi dans quelle mesure les premières ont pu gagner des marges de tolérance par rapport à la norme officielle. Celle-ci était inspirée par la doctrine canonique et théologique de l’époque, qui interdisait de façon stricte le recours à la violence privée, c’est-à-dire à la vengeance, telle qu’elle se réalise en particulier dans le duel24. L’histoire de la limitation progressive de la vengeance tout au long de l’époque moderne – ce que Olivier Caporossi appelle, de façon évocatrice, « une véritable politique de l’exorcisme de la violence25 » – est en effet l’histoire des grandes difficultés rencontrées par les autorités civiles et religieuses à influencer des modèles de comportement individuels enracinés depuis des siècles, voire des millénaires.

Dans cette littérature, le nœud gordien réside dans le lien ambigu qui s’instaure entre vengeance et légitime défense, un point sur lequel la doctrine se penche avec une extrême attention. L’Italie a donné de ce point de vue une contribution importante au processus de « civilisation de la violence », pour reprendre l’expression de certains historiens de la justice. Une série de

22. O. Caporossi, « Les madrilènes face à la violence : la pratique du pardon privé au xviie siècle », Hispania Sacra, LX, 121, 2008, p. 231-266, ici p. 240.

23. Ibid.

24. Voir G. Angelozzi, « La proibizione del duello: Chiesa ed ideologia nobiliare », dans P. Prodi, W. Reinhard, Il Concilio di Trento e il moderno, Bologne, Il Mulino, 1996, p. 271-308. Sur la France, voir surtout F. Billacois, Le duel dans la société française des xvie-xviie siècles. Essai de psychosociologie historique, Paris, Éditions de l’EHESS, 1986 ; P. Brioist, H. Drévillon, P. Serna (dir.), Croiser le fer. Violence et culture de l’épée dans la France moderne (xvie-xviiie siècle), Seyssel, Champ Vallon, 2002. Sur le cas espagnol, voir C. Chauchadis, La loi du duel. Le code du point d’honneur dans l’Espagne des xvie-xviie siècles, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1997.

25. O. Caporossi, « Les madrilènes face à la violence… », art. cité, p. 236.

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traités y virent en effet le jour, manuels dédiés à l’usage de la noblesse, édic-tant les règles grâce auxquelles la paix avec l’ennemi est possible sans que le recours au duel s’impose. L’intérêt de ce type de traités a été souligné par la plupart des études sur l’idée de noblesse, de Claudio Donati jusqu’à Gian-carlo Angelozzi : ils découlent surtout de la prohibition du duel décrétée par la xxve session du concile de Trente, renforcée par la bulle pontificale Illius vices, promulguée par Clément VIII en 1592, qui condamnait sans appel non seulement le duel judiciaire, ad probationem veritatis, mais aussi le duel more cavalleresco. Donati a surtout vu dans ces traités des systèmes souples, produits par la noblesse pour perpétuer une idéologie nobiliaire qui se heur-tait de plus en plus à la volonté publique de s’arroger le monopole de la vio-lence26. Personnellement, je considère ce courant littéraire comme un temps important de la production doctrinale, qui réunit science juridique, doctrine politique et théologie morale. Il représente une tentative de médiation entre le centralisme monarchique et le désir d’autonomie des classes privilégiées. De ce point de vue, la région méditerranéenne est un cas particulièrement intéressant. Premièrement, parce que c’est là qu’une conception très forte de l’honneur (honneur non seulement nobiliaire mais aussi honneur masculin, qui se reflète sur le corps féminin) devait se mesurer avec l’imposition de l’autorité étatique. Deuxièmement, parce qu’en Espagne, à la différence de l’Italie, il n’existe pas de littérature spécialement consacrée à la pacification, la plupart des indications sur le comportement licite à adopter à la suite d’une offense étant contenue dans les traités de théologie morale et de pratique judiciaire27. Ici, les ambiguïtés concernant la licéité de la vengeance sont en effet multiples, et il faut de surcroît considérer que la théologie morale espagnole (et en général ibérique) fut l’avant-garde de l’invasion probabiliste qui caractérisa la production théologique catholique européenne jusqu’aux années 1670, donc un modèle pour la catholicité entière28.

Un des traités italiens les plus connus de ces professori d’onore est sans doute celui de Fabio Albergati, noble bolognais, auteur du déjà cité Del modo di ridurre a pace l’inimicitie private, publié pour la première fois à Rome en 1583, sous le pontificat d’un autre noble bolognais, Ugo Boncompagni, le pape Grégoire XIII. La distinction qu’il opère dans son traité entre resti-tution, satisfaction, peine, vengeance et châtiment est tout à fait éclairante. La vengeance, selon Albergati, è il male che fa l’offeso all’offenditore in

26. Voir C. Donati, L’idea di nobiltà in Italia, secoli xiv-xviii, Rome/Bari, Laterza, 1988, p. 94-112.

27. Voir P. Broggio, « Pace, onore e giustizia nella trattatistica spagnola di età barocca », dans P. Broggio, M. P. Paoli (dir.), Stringere la pace…, op. cit.

28. « L’invasione probabilista può ben definirsi, dunque, un fenomeno di matrice culturale spagnola, all’interno di un vasto afflusso di testi e filoni culturali dalla Spagna verso l’Italia e l’Europa che risulta, ancora oggi, terreno poco sondato dalla storiografia », S. Burgio, Appartenenza e negozio. La crisi della teologia barocca, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2004, p. 18.

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ricompensa di quello che da lui ha patito : e possiamo dire che si chiama vendetta, quasi che l’offeso si vendichi, cioè da se stesso si pigli dall’offen-ditore il suo honore, mostrando co’l rendergli offesa d’essergli superiore, overo uguale29. On s’aperçoit tout de suite qu’à la base il y a un problème de réciprocité et surtout d’équilibre entre les parties en conflit (supériorité/infériorité, avant et après l’action outrageuse) et, comme on le verra par la suite, une distinction entre intériorité (for de la conscience) et extériorité (for judiciaire) qui se prête à des solutions de compromis très intéressantes. La satisfaction, continue Albergati, riduce gli estremi ad egualità, restituendo quello che debbe dare : e perciò non dishonora né chi sodisfa, né chi viene sodisfatto ; ma la vendetta e il castigo presuppone inegualità, cioè superiorità in chi fa, e inferiorità e dishonore in chi patisce30. Par la vengeance nous tirons plaisir de la douleur que nous avons provoquée à l’ennemi et ce plaisir devient le remède du mal que nous avons reçu. Mais la recherche de ce plaisir ne peut pas être, selon Albergati, le but principal de la personne qui a été offensée ; tout devrait aboutir à une autre fin, beaucoup plus élevée : liberare il suo honore dalla macchia che l’offenditore gli ha fatto31. La vengeance ne possède pas cette capacité, parce que havendo ella solamente forza di fare ripatire l’offenditore, non mostra, che l’offeso sia virtuoso, potendosi egli vendicare ancora senza alcun giusto mezzo, e non inducendo oltre di ciò il nimico a ritrattare l’attione vergognosa, che contra di lui ha fatto32. Le sentiment de colère, qui est à la base du désir de vengeance, est donc essentiel pour la conservation des espèces animales, mais, tout comme pour les bêtes sauvages, le but ne peut pas être le meurtre de l’offenseur mais la récupération du bien perdu (l’honneur, dans le cas des hommes) :

Si vede adunque, ch’essendo dato il piacere per compagno dell’ira, accioché più arditi possiamo difenderci, non solamente non mostra che la vendetta sia principalmente da noi desiderata ; ma prova che la propria conservatione sia il nostro proponimento primiero, e che quegli altri affetti ne siano dato per cagione di lei, e come istromenti per mantenerla. Et non solo gli huomini, ma gli animali irragionevoli ancora non hanno primieramente nelle loro battaglie il fine di vendicarsi, ma si bene nel conseguire il bene, del quale contendono : la qual cosa si manifesta ; percioché concedendo l’uno all’altro l’oggetto onde fanno battaglia, cessa il loro contrasto : come si vede chiaro per l’essempio della Tigre, stimata sopra ogni fiera crudelissima, e in cui perciò la natura dovrebbe havere maggiormente, che in qual si voglia altra, fisso il desiderio della vendetta percioché ritornata al suo nido, veggendo che i piccioli figliuoli

29. F. Albergati, Trattato […] del modo di ridurre a pace le inimicitie private, Rome, Zanetti, 1583, p. 119.

30. Ibid., p. 120.

31. Ibid., p. 122.

32. Ibid., p. 123.

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le sono stati rubati, velocissima si mette a seguire la traccia dell’involatore : e egli sentendosela vicina, ne getta uno nella strada : ond’ella, ancorché adi-rata, e piena di rabbia, lo raccoglie : e lasciando di perseguire il nimico vicino, ritorna alla spelonca : e finché non lo ha posto in salvo, non si rimette a perseguitare il ladro ; segno certissimo ch’ella nell’offesa ricevuta non ha la primiera intentione alla vendetta, ma à ricuperare il bene di che è stata priva33.

Fabio Albergati est ici parfaitement en accord avec l’idéal de discipli-namento poursuivi par les institutions publiques de l’Église romaine (et Bologne, la ville d’Albergati et du pape Boncompagni, faisait partie de l’État pontifical). Les accords de paix conclus à Bologne aux xvie et xviie siècles, qui ont laissé d’abondantes traces dans les archives du tribunal du « Torrone » étudiées par Ottavia Niccoli, des accords théoriquement de nature privée, informelle, « infrajudiciaire », ne sont en effet presque jamais indépendants de l’action des pouvoirs publics, même si elle reste dans l’ombre. Lorsque l’action des médiateurs se révélait inefficace, c’était normalement au prince de résoudre la situation, de façon directe ou par l’intervention de magistratures spécifiques, comme par exemple l’Assunteria delle paci, active à Bologne pendant la seconde moitié du xviie siècle et qui avait la tâche d’offrir sa propre médiation pour la conclusion d’une paix. Un aspect très intéressant de l’histoire de cette magistrature – qu’on ne connaît pas très bien, du reste – est qu’elle était l’expression des intérêts politiques de l’aristocratie bolognaise, qui s’exprimaient surtout en termes d’autonomie de la ville par rapport au Legato de l’État pontifical34.

Nous ne trouvons pourtant, dans ce type de littérature, que très peu de traces d’une légitimation du recours à la violence privée, ne fût-ce que dans des situations très circonscrites. Mais si nous en venons à considérer la pro-duction théologico-morale, surtout d’origine ibérique, de la même période, l’impression d’une plus grande perméabilité de la doctrine aux attentes des couches nobiliaires s’accroît. Je partirais du célèbre Enchiridion de l’augusti-nien espagnol Martín de Azpilcueta dit le « Navarro », notoirement ambigu en ce qui concerne l’interprétation stricte de la prohibition conciliaire du duel, qui écrit son traité avant la bulle Illius vices de Clément VIII35. Dans la version en castillan de son œuvre, il affirme qu’il est légitime de se défendre d’une agression par la force, mais de façon modérée, jamais en utilisant une

33. F. Albergati, Trattato […] del modo di ridurre a pace le inimicitie private, Bergame, 1587, p. 145-146.

34. Voir O. Niccoli, Perdonare…, op. cit.

35. Une analyse fine des traités de théologie morale espagnole en ce qui concerne le duel dans C. Chauchadis, La loi du duel…, op. cit., p. 164-182.

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violence plus grande que celle qu’on peut estimer comme suffisante pour répondre à l’offense36. Mais, peu après dans le texte, le Navarro affirme que :

Quando no se defendiendo con armas, quedaría injuriado en su honra, o persona, pues por defender la hazienda, puede matar : y la honra vale más de la hazienda : y la injuria personal, excede a qualquiera de la hazienda. De lo qual inferíamos alibi […] que si el acometido no puede huýr sin deshonra, no es obligado a huýr ; y si no se puede defender de una bofetada, o de otra herida, sin que lo mate, lo puede matar37.

Tout se joue autour de la souplesse du concept de légitime défense, qui arrive à disparaître dans le cas où l’offenseur ne se trouve plus dans les conditions de se défendre face à l’éventuelle réponse de la part de l’offensé ou si cette réponse est différée : al revés, quien ya está herido mortalmente, o ya el acometedor lo ha dejado, y se va huyendo, no puede sin pecado matarlo, porque ya aquello es venganza, y passa los límites de la defensión38. Recon-naître la ligne de démarcation – de plus en plus floue – entre vengeance et légitime défense devenait ainsi, dans la pratique, une opération assez difficile.

C’est à peu près sur la même ligne que se situe aussi l’œuvre, rédigée en 1610, du franciscain observant portugais Manuel Rodríguez. Dans ses Obras morales en romance, ce théologien, en s’interrogeant sur la nécessité pour le chrétien de laisser de côté la rancune et la haine envers son offenseur, même si celui-ci refuse de demander le pardon, distingue d’abord entre odio malo et odio bueno : la haine « bonne » serait le désir de voir l’offenseur puni par la justice, et ce type de haine « nadie está obligado a dexarle ». Par la suite, Rodríguez se penche sur la question de savoir si l’on peut désirer la mort d’un puissant qui, par sa conduite, porte préjudice à ses propres intérêts ou au bien de la res publica. La réponse est affirmative, sauf si ce désir découle

36. En analysant les cas dans lesquels il peut être licite pour un chrétien de tuer quelqu’un (jus-tice publique, guerre juste, défense de ses propres biens, défense de notre prochain), Martín de Azpilcueta affirme : Para matar iustamente en los tres postreros casos, es menester, que en la defensión se guarde moderamen inculpatae tutelae. Esto es, que la defensión sea moderada, o sea que sólo aquello se haga, lo qual no se haziendo, no se podría evitar la injuria, como alibi lo declaramos, más que otros. Porende no sería lícito defenderse con mayor violencia, de la que para resistir a la injuria es necessaria, ni por consiguiente con armas, del que sin ellas acomete, según la dicha glosa : sino quando el puño del acometedor, es tanto, o poco menos fuerte, que la espada del acometido, según la mesma glosa singular recebida : y lo mesmo nos parece, quando no se defendiendo con armas, quedaría injuriado en su honra, o persona, pues (según lo suso dicho) por defender la hazienda, puede matar : y la honrra vale más de la hazienda : y la injuria personal, excede a qualquiera de la hazienda, M. de Azpilcueta, Manual de Confessores y penitentes, que clara y brevemente contiene, la universal y particular decision de quasi todas las dudas, que en las confessiones suelen ocurrir de los pecados, absoluciones, restituciones, censuras, & irregularidades, Anvers, en casa de la Biuda y Herederos de Iuan Steelsio, 1568, p. 90.

37. Ibid.

38. Ibid.

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de la haine et si l’on arrive jusqu’à provoquer effectivement la mort de la personne en question :

El que tiene un enemigo tan poderoso como él, del qual se puede librar, no le es lícito dessearle la muerte, ni otro mal alguno, salvo si este desseo fuesse ordenado al bien del enemigo, o de la República, porque con su muerte, o enfermedad, se atajarían muchos males, y el viéndose enfermo, caería en la cuenta. Y mudaría la vida : empero si el enemigo es más poderoso, del qual manifiesto, o probablemente no se puede librar, de arte que anda su vida puesta en un continuo tablero, lícito es dessearle la muerte, o otro trabajo si entiende ser este remedio necessario para su defensión : porque lícito es a qualquier defenderse de la mejor manera que pudiere. Y lo mismo se ha de dezir de aquel que quiere usurpar los bienes agenos, no se pudiendo defender de la tal tyranía de otra manera, como si uno pleytasse con un Príncipe, que tiene los juezes de su mano, sobre un estado, y teme que será injustamente condenado, lícito le será dessearle la muerte, y otros males necessarios para su defensión […]. Lo qual se entiende, con tanto, que no proceda este desseo también de odio, ni le procure la muerte39.

En ce qui concerne spécifiquement le recours à la violence, Rodríguez envisage la question de la licéité de l’offense violente envers une personne qui nous menace avec un bâton ou qui lève la main pour nous donner une gifle. La réponse est la suivante : Lícito es herir al que amenaza con un palo en la mano, o levantando la mano para dar un bofetón, para que assí defienda el injuriado su honra, no pudiendo de otra manera cómmodamente defenderla40. L’auteur fonde son affirmation sur une série d’autorités telles que Domingo de Soto, Martín de Azpilcueta et Antonio Gómez, qui affirment qu’il est licite de blesser quelqu’un pour défendre ses biens matériels et Rodrí-guez, lui aussi, n’hésite pas à affirmer que l’honneur est le plus important des biens de ce monde et donc que, contrairement à ce qu’écrit le dominicain Pedro Covarrubias (Y esso no tenía que dudar Covarrubias, desto diziendo que parece iniqua comutación quitar la vida al próximo por la honra, pues la vida es de más alto orden41) :

En este caso le puede quitar la vida, pues quitándole la honra, pone el contra-rio su vida al tablero, y en alguna manera de gana haze señor della al que recibe la injuria. Y nota, que aunque puede el amenazado huyr, si por huyr pierde la honra, lícito le es hazer rostro, y matar al que le amenazó, salvo si le

39. Obras morales en romance compuestas por el Padre Fray Manuel Rodriguez Lusitano, Lector de Theologia y Diffinidor de la Provincia de Sanctiago. Divididas en dos Tomos. Contienen toda la suma de casos de consciencia, Explicacion de la Bulla de la Cruzada, y Addiciones, y el Orden Iudicial, en Valladolid, par Francisco Fernández de Córdova, 1631, p. 50.

40. Ibid., p. 377.

41. Ibid.

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dio ocasión sufiçiente para le amenazar, porque en este caso no le puede matar, antes ha de huyr, aunque sea con deshonra suya. Porque quando uno provoca a otro, ya le injuria, y le dá licencia para bolver por su honra y bolviendo por ella no es acometedor, sino defensor, como advierte Mercado42.

Le point sur lequel je voudrais insister est que, dans ces traités de théologie morale, on prête une très grande attention au caractère concret des relations humaines, sociales et politiques, ce qui conduit parfois à déconseiller l’appli-cation de solutions qui pourraient à la limite être valables d’un point de vue théorique ou spéculatif. Ceci se reflète sur la distinction entre for externe et for de la conscience et apparaît clairement, par exemple, lorsque Rodríguez traite de la question suivante : est-il licite de tuer une personne (en état de légitime défense) qui nous accuse devant un juge avec de faux témoins et dans le cas où une éventuelle condamnation conduirait à l’exécution capitale, à la perte de l’honneur ou à la perte des ses propres biens ? Partagent cette opinion – selon Rodríguez – Cajétan (Thomas de Vio) et Pedro de Navarra, de la qual opinión no me aparto hablando especulativamente, mais

agora digo, que en práctica no se deve admitir por los muchos daños que della pueden suceder, porque fácilmente se persuaden los hombres, que por calumnia son acusados, y que no tienen otro remedio para huyr su daño, sino matar al acusador, y con este color se harían muchos injustos homicidios43.

Dans ces traités, la casuistique des situations est logiquement très étendue, mais sur la question de la légitimité, pour un chrétien, d’un recours à la violence individuelle, on peut dire que les auteurs font preuve d’une notable tolérance à l’égard de l’idéologie nobiliaire de la défense de l’honneur qui réussit à s’infiltrer dans la culture théologique tout au long du xviie siècle. Dans son Explicatio decalogi, le probabiliste et laxiste jésuite sicilien Tommaso Tamburini affirmait encore une fois qu’il était licite d’accepter le duel si l’on est agressé en étant désarmé et si on estime avec un juste degré de probabilité que c’est là le seul moyen de défendre son propre honneur en présence d’une agression injuste44. De son côté, la casuistique espagnole du xviie siècle élaborait – surtout avec le jésuite Pedro Hurtado de Mendoza – tout un complexe de normes de conduite morale qui avait pour but de per-mettre au noble de ne pas échapper à un défi lancé par un pair. La condition était toutefois de ne pas en arriver à la confrontation violente ni à l’effusion

42. Ibid.

43. Ibid.

44. Voir S. Burgio, « Teologie del negozio. “Amor sui” e “dilectio proximi” nel probabilismo di Tom-maso Tamburini S.I. », dans P. Broggio, M. P. Paoli (dir.), Stringere la pace..., op. cit. Voir aussi, du même auteur, « Nobiltà e disciplinamento: una riflessione sul Seicento italiano », Archivio Storico per la Sicilia Orientale, 94/1, 1998, p. 37-48.

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de sang. En substitution, on faisait la promotion d’une sorte de « duel chré-tien » qui était fondé sur la temporisation et l’intervention orchestrée d’un certain nombre de médiateurs45.

Comment interpréter alors le recul des mécanismes vindicatoires à l’époque moderne, tel que les historiens l’observent sur la base de la docu-mentation judiciaire ? Quelles conclusions peut-on tirer des traités que l’on vient d’évoquer ? La perméabilité de la culture théologique et canonique à l’égard des mentalités et des pratiques sous-jacentes, en contradiction appa-rente avec le procès de civilisation des mœurs, représente une donnée sur laquelle il vaut la peine de réfléchir, car on ne peut pas renfermer le savoir théologique, et la casuistique en particulier, dans l’étroit enclos de la confes-sion et du confessionnel. « Avant » et « après » la confession, un ensemble d’opinions, de consultations, de conseils, de médiations jouaient un rôle tout à fait considérable, non seulement pour les consciences et les comportements individuels, mais aussi dans les mécanismes de représentation identitaire des groupes sociaux.

Jean Delumeau en France, Thomas N. Tentler aux États-Unis, John Bossy en Angleterre et Adriano Prosperi en Italie ont tracé quant à eux, par des méthodes différentes, un tableau fascinant de l’évolution des significations sociales et culturelles du sacrement de la confession dans les sociétés euro-péennes entre Moyen Âge et époque moderne46. Dans les traités de théologie morale, surtout dans le cas des auteurs probabilistes, le discours sur la légiti-mité du recours à la violence est de plus en plus attentif à la sphère intérieure, individuelle, émotive, pour expliquer les motivations qui peuvent pousser un individu à utiliser la violence et distinguer la vengeance proprement dite de la violence légitime (la « direction de l’intention »). Ainsi s’atteste un processus d’intériorisation des mécanismes de culpabilisation. Celui-ci a eu pour effet de détourner l’attention de la sphère proprement sociale comme des liens de parenté, qui sont par excellence les lieux où naissent et se perpétuent les conflits47. La morale probabiliste fut le produit d’une société (surtout aristo-cratique) en crise. Les médiations recherchées avec les institutions étatiques

45. Voir C. Chauchadis, La loi du duel..., op. cit., p. 189-196 ; P. Broggio, « Pace, onore e giustizia… », art. cité.

46. J. Delumeau, Le péché et la peur. La culpabilisation en Occident, xiiie-xviiie siècles, Paris, Fayard, 1983 ; T. N. Tentler, Sin and Confession on the Eve of the Reformation, Princeton, Princeton University Press, 1977 ; J. Bossy, Christianity in the West. 1400-1700, Oxford, Oxford Uni-versity Press, 1985 ; A. Prosperi, Tribunali della coscienza. Inquisitori, confessori, missionari, Turin, Einaudi, 1996. Pour le débat historiographique qui a eu lieu en Italie, voir aussi E. Bram-billa, Alle origini del Sant’Uffizio. Penitenza, confessione e giustizia spirituale dal medioevo al xvi secolo, Bologne, Il Mulino, 2000 ; G. Romeo, Ricerche su confessione dei peccati e Inquisi-zione nell’Italia del Cinquecento, Naples, La Città del sole, 1997.

47. Voir M. Nassiet, « Vengeance in Sixteenth and Seventeenth-Century France », dans S. Carroll (dir.), Cultures of Violence..., op. cit., p. 117-118.

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vont bien au-delà des schémas proposés par la catégorie du disciplinamento48. Il faut néanmoins insérer tout ce discours dans le cadre plus ample de la spécificité des systèmes sociaux, politiques et surtout juridiques et judiciaires de l’Europe méditerranéenne (et donc catholique), où l’importance prise par des concepts comme celui d’« honneur » (sur lequel existe aujourd’hui une abondante bibliographie49) et d’« équité », jusqu’à un sentiment commun de la justice parfois en contradiction avec les lois officielles, s’est traduite par une relative faiblesse des institutions étatiques50, dans un contexte social dominé par l’inégalité, sociale et sexuelle. De ce point de vue, le front probabiliste n’était pas, du reste, compact, car, si une partie de la doctrine se mit au ser-vice des armes coercitives des institutions civiles et ecclésiastiques, une autre partie se consacra à une « interprétation du degré du péché [afin d’]aider le fiel qui se refusait d’accepter les normes pénales et fiscales51 ».

48. Il disciplinamento è una sezione di questo meta-campo, sezione che interessa livelli specifici dell’appartenenza e che nella misura in cui li modifica certamente influisce sulla gerarchia com-plessiva. Ma proprio perché gli studiosi stessi del disciplinamento sono i primi a tener ben distinti i processi di interiorizzazione della norma eteronoma dai processi di repressione e di accultura-zione forzosa, non si può dimenticare che i tentativi di disciplinamento ricadono all’interno di un complesso di condizioni per natura esogene rispetto al disciplinamento stesso. Quest’ultimo, in quanto fenomeno di cultura, è un elemento del meta-campo cultura che è anzitutto comuni-cazione condivisa (di ide, credenze, valori, tecniche, pratiche sociali, miti, superstizioni, passioni che sono in grado di definire l’appartenenza ad un gruppo e i limiti del gruppo stesso) e continuo lavoro negoziale tra individui, gruppi, codici (anche sul piano dell’adozione, ossia della sua misura, o del rigetto di elementi esterni). […] La cultura, intesa se si vuole nella sua politicità (per usare un termine familiare agli studiosi del disciplinamento) è essenzialmente negozio ; o forse sarebbe meglio dire che l’identità dell’Occidente europeo è andata (faticosamente e con continue, e anche tragiche, ricadute) conquistando la propria modernità attraverso la capacità di maturare la politicità come fatica negoziale, costruendo interne e mobili gerarchie dell’apparte-nenza, problematiche perché pluralistiche, S. Burgio, Appartenenza e negozio, op. cit., p. 15-16, les italiques sont de l’auteur.

49. Classiques dans ce domaine sont les études historico-anthropologiques de J. G. Peristiany, J. Pitt-Rivers, K. Campbell, A. Blok. Pour un regard d’ensemble on pourra se référer à G. Fiume (dir.), Onore e storia nelle società mediterranee, Palerme, La Luna, 1989.

50. Voir G. Levi, « Reciprocidad mediterránea », Hispania, XL/1, 204, 2000, p. 103-126. Voir aussi D. Quaglioni, La giustizia nel Medioevo e nella prima età moderna, Bologne, Il Mulino, 2004 ; A. M. Hespanha, La gracia del derecho. Economía de la cultura en la edad moderna, Madrid, Centro de Estudios Constitucionales, 1993. Nous pouvons saisir aussi l’impact considérable de la culture juridique des pays méditerranéens dans le domaine de l’économie : B. Clavero, Antídora. Antropología católica de la economía moderna, Milan, Giuffrè, 1991 ; R. Ago, Economia barocca. Mercato e istituzioni nella Roma del Seicento, Rome, Donzelli, 1998.

51. Nella pratica gerarchica dell’amministrazione del perdono la Chiesa poteva scegliere di imporre l’educazione all’obbedienza, alla delazione, all’assoluzione del debito civile ; o poteva interpretare il grado del peccato e venire incontro al fedele che si rifiutasse di accettare le norme penali e fiscali. Una parte della dottrina accentuò soprattutto questa seconda via, non sempre, ma comu-nque spesso, come riflesso di una sincera critica mai fattasi unanime e rivolta alle armi coercitive,

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La perméabilité de la théologie morale ibérique – et, par conséquent, ita-lienne – aux exigences de médiation « politique » des couches nobiliaires du point de vue de la justification du recours à la violence individuelle est donc un des résultats de la capacité de cette culture à répondre, de façon dynamique, aux défis du changement social. Ceci, évidemment, ne se traduisit pas par un taux majeur de « modernité » de l’Europe méditerranéenne par rapport aux aires culturelles dominées par le rigorisme, mais sans doute ces données ont-elles déterminé l’élaboration de systèmes souples de « correction sélective » de la culture de la haine et du recours à la violence qui se sont joués de façon majoritaire hors des contextes proprement publics et officiels. Une « politicité » de la culture théologique, grâce à l’imbrication étroite entre théologie, droit canonique et droit civil52, a permis une adaptation graduelle du rapport entre ordre religieux et ordre politique qui caractérise les systèmes juridiques des sociétés catholiques d’Ancien Régime53.

alle pratiche dell’appropriazione sperequata, V. Lavenia, L’infamia e il perdono. Tributi, pene e confessione nella teologia morale della prima età moderna, Bologne, Il Mulino, 2004, p. 392.

52. Voir P. Prodi, Una storia della giustizia. Dal pluralismo dei fori al moderno dualismo tra cos-cienza e diritto, Bologne, Il Mulino, 2000, et encore D. Quaglioni, La giustizia nel Medioevo, op. cit.

53. Attraverso la dottrina dei principia practica, il probabilismo legittimava così sul piano dei principi teologici la sua concreta forma di minuta e costantemente aperta discussione dei problemi e delle regole della prassi, con una elasticità ed una capacità di aggiornamento rispetto alle trasforma-zioni osservabili dei contesti sociali impensabili nei modelli teologico-morali rigoristi, S. Burgio, Appartenenza e negozio, op. cit., p. 21-22, souligné par l’auteur.

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