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Le départ de chez les parents : une analyse démographique sur le long terme Daniel Courgeau* L’entrée dans la vie adulte est marquée par des étapes dont l’ordre et le calendrier diffèrent selon les individus et les périodes. Une de ces étapes, le départ de chez les parents, est considérée ici sur le long terme. Le calendrier de ces départs a-t-il été modifié par les événements économiques, politiques et sociaux qui ont marqué ce siècle ? Par rapport aux périodes de prospérité, la crise des années 30 et la seconde guerre mondiale l’ont fortement retardé, mais de façon conjoncturelle. Au contraire, la crise qui sévit depuis le milieu des années 70 et l’élévation de l’âge de fin d’études ont eu un effet beaucoup plus structurel en augmentant régulièrement cet âge. Le rôle des caractéristiques familiales est resté identique tout au long du siècle : un nombre croissant de frères ou de sœurs ou le décès d’une mère accélère ce départ, alors qu’avoir des parents d’origine étrangère le retarde. Les caractéristiques individuelles différencient plus les départs des garçons que ceux des filles : travailler dans l’agricul- ture ou avoir connu une période de chômage, en étant toujours chez ses parents, retarde surtout le départ des hommes. Enfin, le calendrier de ces départs a fortement changé selon leur type. Les départs pour mariage ont commencé à diminuer dès les générations nées en 1950, pour être mainte- nant négligeables. Les départs pour cohabitation, qui compensaient au début la baisse des départs pour mariage, voient leur importance faiblir pour les générations nées à partir de 1970. Les départs pour raisons professionnelles sont déterminés par l’âge de fin d’études mais restent à un niveau voisin tout au long du siècle. * Daniel Courgeau appartient à l’Ined. Les noms et dates entre parenthèses renvoient à la bibliographie en fin d’article. ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 337-338, 2000 - 7/8 JEUNES 37

Le départ de chez les parents : une analyse démographique sur le long terme

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Le départ de chez les parents :une analyse démographiquesur le long termeDaniel Courgeau*

L’entrée dans la vie adulte est marquée par des étapes dont l’ordre et le calendrierdiffèrent selon les individus et les périodes. Une de ces étapes, le départ de chez lesparents, est considérée ici sur le long terme. Le calendrier de ces départs a-t-il été modifié par les événements économiques, politiques et sociaux qui ont marqué ce siècle ? Par rapport aux périodes de prospérité, la crise des années 30 et la secondeguerre mondiale l’ont fortement retardé, mais de façon conjoncturelle. Au contraire, lacrise qui sévit depuis le milieu des années 70 et l’élévation de l’âge de fin d’études onteu un effet beaucoup plus structurel en augmentant régulièrement cet âge.

Le rôle des caractéristiques familiales est resté identique tout au long du siècle : unnombre croissant de frères ou de sœurs ou le décès d’une mère accélère ce départ, alorsqu’avoir des parents d’origine étrangère le retarde. Les caractéristiques individuellesdifférencient plus les départs des garçons que ceux des filles : travailler dans l’agricul-ture ou avoir connu une période de chômage, en étant toujours chez ses parents, retardesurtout le départ des hommes.

Enfin, le calendrier de ces départs a fortement changé selon leur type. Les départs pourmariage ont commencé à diminuer dès les générations nées en 1950, pour être mainte-nant négligeables. Les départs pour cohabitation, qui compensaient au début la baissedes départs pour mariage, voient leur importance faiblir pour les générations nées àpartir de 1970. Les départs pour raisons professionnelles sont déterminés par l’âge defin d’études mais restent à un niveau voisin tout au long du siècle.

* Daniel Courgeau appartient à l’Ined.Les noms et dates entre parenthèses renvoient à la bibliographie en fin d’article.

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Le départ vers un logement indépendantest une étape importante tant dans la vie

des individus que dans celle de leurs parents.Cependant, les désirs et les contraintes desenfants peuvent entraîner d’importantesvariations de cet âge au départ, en particulier,selon les générations. Simultanément, descaractéristiques individuelles, comme la situa-tion de l’individu sur le marché du travail, etdes caractéristiques familiales, comme lasituation des parents ou le nombre de frères etde sœurs influent aussi sur cette décohabita-tion. Enfin, des événements importants dansl’histoire du pays (guerres, crises écono-miques, etc.), peuvent aussi retarder ou avan-cer ce départ selon la période considérée.Au total, quatre types d’effet peuvent êtredistingués : un effet de la génération, un effetdes caractéristiques individuelles, un effet descaractéristiques familiales et un effet conjonc-turel ou effet de période.

Une analyse démographique de long terme

Cet article se place sur le long terme, en utili-sant les données de l’enquête sur la « biogra-phie familiale, professionnelle et migratoire »(appelée par la suite « 3B ») de l’Ined quiobserve les générations nées de 1911 à 1935, etde l’enquête « Jeunes et carrières » (appeléepar la suite « EJC ») de l’Insee, qui observe lesgénérations nées de 1952 à 1975 (1). Ces deuxenquêtes rétrospectives permettent de saisirla date au premier départ de chez les parentsde façon pratiquement identique, si l’on défi-nit le premier logement indépendant commeun logement payé par l’enquêté ou par sonemployeur (cf. encadré 1). Bien entendu,d’autres définitions sont envisageables (2). Enparticulier, celles données dans des enquêtesrécentes sur la fécondité conduisent à des esti-mations différentes ; elles ne seront utiliséesici que pour donner une idée de l’évolution decet âge pour les générations non observéespar les enquêtes « 3B » et « EJC ». Les indivi-dus dont les parents résidaient hors de Franceavant leur décohabitation ne sont pas non plusretenus, car il s’agit de situations très diffé-rentes de celles analysées ici.

Trois types de départ

Ces enquêtes permettent de suivre un individuavec ses différentes caractéristiques indivi-duelles et familiales et de les mettre en rela-tion avec la date de son premier départ versun logement indépendant en tenant compte à

la fois de la génération à laquelle il appartientet de la période historique où ce départ seproduit. On distingue trois types de départ :par mariage, par entrée en cohabitation oupour d’autres raisons, c’est-à-dire essentielle-ment pour raisons professionnelles. Pour cefaire, les méthodes d’analyse habituellementutilisées pour ces données regardent si, à unâge donné (âge médian par exemple), un indi-vidu a quitté ou non ses parents en fonction dediverses caractéristiques (Aquilino, 1990,1991 ; Mitchell et al., 1989 ; Galland, 1995).L’analyse des biographies (3) modifie cetteapproche en faisant intervenir l’âge auquelchaque individu a quitté ses parents, tout enintroduisant des caractéristiques telles que lagénération, la période, le milieu familial danslequel vit l’individu ou diverses variables per-sonnelles (diplôme, activité, etc.) qui peuventtout aussi bien dépendre de la durée ou en êtreindépendantes (cf. encadré 2). Contrairementà la première analyse, celle-ci suit l’individujusqu’au départ de chez ses parents en faisantintervenir, en plus des caractéristiques qui nechangent pas au cours du temps, celles quivont se modifier à partir du moment où cechangement advient.

L’analyse proposée ici est une analyse démo-graphique qui cherche à comprendre commentle départ de chez les parents dépend de carac-téristiques du milieu parental, de caractéris-tiques propres à l’individu avant son départ etenfin d’événements conjoncturels pouvantretarder ou accélérer la décohabitation (4) (cf. encadré 3).

Une analyse globale des premiers départs

Les jeunes filles partent, en général, deux ansavant les jeunes hommes, mais cet interval-

le varie entre une demie année (générationsnées entre 1921 et 1925) et près de trois ans

1. Cette enquête, réalisée en 1997, observe en fait les personnesnées entre janvier 1952 et décembre 1978, mais les plus jeunesgénérations, vivant pour la plus grande part chez les parents, nesont pas d’intérêt pour cette étude.2 Le lecteur pourra se reporter, par exemple, à (Bonvalet etLelièvre, 1989), (Toulemon, 1989), (Villeneuve-Gokalp, 1997) et(Toulemon et de Guibert-Lantoine, 1998).3. Pour plus de détails sur cette méthode, le lecteur pourra sereporter à (Courgeau et Lelièvre, 1989), (Lancaster, 1990), (Bucket Scott, 1993), (Lapierre-Adamcyk et al., 1995) et (Murphy etWang, 1998).4. Les aspects spatiaux de cette analyse (différences de com-portements selon les régions françaises ou selon le degréd’urbanisation des zones dans lesquelles les individus vivent) nesont pas abordés ici mais feront l’objet d’un autre article consa-cré à l’analyse multiniveaux du départ de chez les parents.

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L’enquête « 3B » de l’Ined ou enquête triple biographie

L’enquête « 3B » ou enquête sur la triple biographiefamiliale, professionnelle et migratoire de l’Ined a inter-rogé, de façon rétrospective en 1981, un échantillon de4 601 individus nés entre 1911 et 1935 et appartenantà l’« échantillon maître » de l’Insee. Elle comportait unequestion détaillée sur le statut d’occupation à l’entrée etau départ dans chaque logement occupé pendant plusde 6 mois consécutifs tout au long de leur vie. Il est dèslors possible de définir le premier logement indépen-dant comme celui où l’individu est devenu, pour la pre-mière fois, locataire, propriétaire ou logé par sonemployeur. Dans le cas, par exemple, où l’individu estlogé chez ses parents à l’arrivée mais est devenu pro-priétaire en cours de période, l’enquête ne permet pasde connaître la date exacte d’accès au statut de pro-priétaire : nous avons supposé qu’il accédait à son pre-mier logement indépendant au milieu de la périodeconsidérée. L’enquête relevait de nombreuses caracté-ristiques, datées ou non, du milieu familial dans lequell’individu a vécu : date et lieu de naissance des parents,date de leur décès, s’il est survenu, et leur professionlorsque l’enquêté avait 15 ans ; nombre de frères etsœurs et rang de naissance de l’enquêté. Elle relevaitégalement des caractéristiques personnelles de l’en-quêté : diplôme de niveau le plus élevé, date du premieremploi et première profession, les périodes de chômagede plus de 6 mois.

Cette enquête permet aussi de distinguer les départspar mariage des départs pour autres raisons lorsque cedépart se produit la même année. En revanche, lesdéparts pour cohabitation, très rares pour ces généra-tions, ne sont pas saisis dans le questionnaire de l’en-quête « 3B ». Pour une présentation plus détaillée decette enquête se reporter à Courgeau (1999) etRiandey (1985).

L’enquête Jeunes et carrières (EJC)

L’enquête « EJC » de l’Insee a interrogé, de façonrétrospective en 1997, un échantillon de 20 770 indivi-dus nés entre 1952 et 1978 et faisant partie du tiers sor-tant de l’enquête Emploi. Elle comportait un calendrierdifférent pour les enquêtés de plus de 30 ans comparésaux plus jeunes. Pour les plus de 30 ans, elle deman-dait l’année du premier logement indépendant, définicomme un logement payé par l’enquêté ou par sonemployeur. Pour les plus jeunes, un calendrier leurdemandait de distinguer les périodes où ils avaient unlogement chez les parents (1), payé par leurs parents (2),mis à disposition par la famille (3), payé par l’enquêtéou mis à disposition par l’employeur (4), en internat ouen caserne (5). La définition (4) est équivalente à ladéfinition donnée pour l’enquête « 3B » et pour les plusde 30 ans pour l’enquête « EJC ». Dans un certainnombre de cas (3,4 % des enquêtés nés avant 1967 et2,3 % nés entre 1967 et 1975), l’enquêté déclarait dansle questionnaire papier, qu’il ne vivait plus chez sesparents sans fournir, dans le calendrier, l’année du pre-mier logement indépendant : il est en fait possible de

reconstituer cette date de départ, car dans la plupartdes cas, il y a concordance entre la date de mise encouple et celle du départ de chez les parents indiquéedans le calendrier correspondant. Les cas qui échap-pent à cette correction sont alors vraiment négligeables(0,2 %).

Cette enquête relève également de nombreuses carac-téristiques, datées ou non, du milieu familial dans lequell’individu a vécu, souvent identiques mais parfois diffé-rentes de celles de l’enquête « 3B » : lieu de naissancede ses parents, s’ils ne sont pas décédés avant qu’il aiteu 16 ans, mais pas leur date de naissance, âge del’enquêté au décès de ses parents et leur professionactuelle ou avant leur décès et non plus, comme dansl’enquête « 3B », leur profession lorsque l’enquêté avait15 ans ; nombre de frères et sœurs (total et plus âgésque l’enquêté). Pour les plus jeunes, elle demandaitaussi l’année de départ à la retraite d’un des parents,l’année de chômage si l’un de ses parents l’a connu,l’année de séparation ou de divorce des parents et l’an-née d’un éventuel remariage. Pour l’enquêté lui-même,on dispose de diverses caractéristiques personnelles :diplôme de niveau le plus élevé, date du premier emploiet première profession, date de la première période dechômage de plus de 6 mois.

Il est enfin possible de déterminer si le départ de chezles parents se produit la même année que le mariagede l’enquêté (lorsqu’une très courte période de cohabi-tation précède le mariage, mais que les deux événe-ments se produisent au cours de la même année, on fait l’hypothèse qu’il s’agit d’un départ par mariage),la même année que l’entrée en cohabitation ou si, aucontraire, ce départ se produit pour d’autres raisons,essentiellement sans doute, pour le travail.

Les autres enquêtes

D’autres enquêtes, qui observent des générations néesentre 1935 et 1952 et posent une question sur la datedu premier départ de chez les parents, ont été réaliséesen France : enquête sur la « Situation familiale » en1985 (Toulemon, 1989), enquête sur les « Situationsfamiliales et l’emploi » (ESFE) en 1994 (Toulemon et deGuibert-Lantoine, 1998). Cependant, la définition dudépart était différente dans ces enquêtes de celle rete-nue ici. Ainsi la question posée dans l’enquête ESFEétait : « À quelle date êtes vous parti(e) pour la premièrefois de chez vos parents ? Ne pas tenir compte du ser-vice militaire (pour les hommes), des vacances, séjoursen pensionnat, en nourrice ». Certains séjours dans unlogement indépendant non payés par l’enquêté ou sonemployeur sont, en fait, pris en compte dans cette défi-nition et conduisent à des âges médians au départ dechez les parents inférieurs de 0,5 an à l’estimation don-née par l’enquête « EJC » pour des générations iden-tiques. En tenant compte de cette différence, ceschiffres prolongent bien les tendances observées pourles générations nées avant 1952.

Encadré 1

LES SOURCES : L’ENQUÊTE « 3B » et L’ENQUÊTE « EJC »

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Il est possible d’analyser la date d’accès au premierlogement indépendant, en fonction de très nombreusescaractéristiques, dépendantes ou indépendantes dutemps. Pour ce faire, on suppose que l’événement étu-dié se produit à chaque instant t, avec une densité deprobabilité conditionnelle, appelée quotient instantané,qui est fonction du séjour jusqu’à la date t et des carac-téristiques individuelles, pouvant dépendre ou non decette date. Elle s’exprime sous la forme semi-paramé-trique suivante :

où les paramètres b à estimer représentent l’effet descaractéristiques, Z(t) (Z lorsqu’elles sont indépen-dantes du temps), sur le quotient sous-jacent h0(t).Dans le cas d’une caractéristique binaire, le quotient,pour un individu qui a cette caractéristique, deconnaître l’événement est égal au quotient sous-jacentde l’ensemble de la population, multiplié par exp (�). Ilest donc possible de représenter l’effet de chaquecaractéristique par cet effet multiplicatif. Dans le casd’une caractéristique considérée comme continue (lagénération par exemple), son effet est mesuré sous laforme d’une fonction de degré croissant (jusqu’à 3 dansle cas de la génération). Il est possible, dans ce cas, dereprésenter cet effet par une courbe.

Lorsque aucune caractéristique n’intervient, on disposed’une estimation des quotients h0(t), à l’aide d’unemaximisation de la vraisemblance qui donne simultané-ment la valeur des variances de ces quotients. Dans lecas de risques multiples, plutôt que de porter les quo-tients en fonction de la durée, on calcule des quotientscumulés, qui peuvent être plus facilement comparés pardes graphiques et par divers tests de signification clai-re (Andersen et al., 1993). Ces quotients cumulés peu-vent s’écrire :

Notons que ces quotients cumulés peuvent dépasserl’unité, car il ne s’agit pas d’une probabilité.

Lorsque l’on fait intervenir diverses caractéristiques,l’estimation des paramètres b se fait par une maximisa-tion d’une forme partielle de la vraisemblance et lesquotients instantanés s’estiment par une méthode itéra-tive (pour plus de détails se reporter à (Courgeau etLelièvre, 1989, pp. 156-161)). On dispose simultané-ment d’une estimation de la matrice des variances etcovariances des divers paramètres pour les comparer àdes valeurs fixées à l’avance (zéro, par exemple) ou lescomparer entre eux.

Encadré 2

UN MODÈLE SEMI-PARAMÉTRIQUE

h t Z tP T t dt T t Z t

dth t Z t

dt( ; ( )) lim

( / ; ( ))( ) exp[ ( ) ]= < + ≥ =

→00 β

H t h di i

t

0 0

0

( ) ( )==

=

∫ θ θθ

θ

(générations nées entre 1916 et 1920) ; demême, l’âge médian (5) au départ connaît desvariations importantes, de l’ordre de deux anségalement, selon la génération (cf. graphique I).

Cependant, les variations de l’âge médian audépart des jeunes filles sont à peu près paral-lèles à celles des jeunes hommes si l’on décalela courbe d’évolution de l’âge de départ versla gauche de 2 à 3 générations, ce qui permetde ne décrire qu’une seule de ces courbespour les deux sexes. Ainsi pour les hommes,après une augmentation de l’âge au départ de23 à 24 ans, pour les générations nées entre1911 et 1917, c’est-à-dire celles qui ont été lesplus touchées par la crise économique desannées 30 et la guerre, cet âge redescend endessous de 22 ans et demi pour les générationsnées en 1927. Ensuite, cet âge croît de nou-veau avec un maximum pour les générationsnon enquêtées. L’observation des donnéesd’autres enquêtes (cf. encadré 1), si elles four-nissent des estimations plus basses de 0,5 anque celles présentées ici, permettent cepen-dant de donner une évolution de cet âge pourles générations non observées, car ces courbes

sont parallèles à celles données par lesenquêtes « 3B » et « EJC » : ainsi pour leshommes, on peut estimer que la croissance del’âge observée pour les générations 1930 à1935 se poursuit jusqu’à celles nées en 1937-1938, où cet âge est maximum, pour décroîtreensuite régulièrement jusqu’aux générationsnées en 1952 (courbe en pointillés du gra-phique I). Les générations observées actuelle-ment par l’enquête « EJC » marquent unminimum à 21,7 ans pour les générations néesen 1957, pour atteindre 24,3 ans pour les géné-rations nées en 1973. On remarquera quecette élévation de l’âge au départ est conco-mitante à l’augmentation continue du chômageà partir de 1975. Cette croissance, qui s’accélèrepour les dernières générations suivies ici,permet de penser qu’elle se poursuivra pourcelles nées plus récemment : l’observation dudébut de la vie adulte des générations nées de1974 à 1978 et enquêtées dans l’enquête« EJC » le confirme.

5. On choisit l’âge médian car l’âge moyen n’a aucun senslorsque l’on travaille en analyse biographique.

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Le démographe analyse le départ de chez les parentscomme un comportement complexe, influencé par lesattitudes de la famille d’origine, les aspirations du jeuneadulte et une conjoncture, dont les changements jouentsur ce départ.

Ces divers facteurs sont approchés par des caractéris-tiques mesurées dans les enquêtes et qui se sont révé-lées avoir un rôle important sur le départ de chez lesparents (Aquilino, 1990, 1991 ; Buck et Scott, 1993 ;Galland, 1995 ; Lapierre-Adamcyk et al., 1995 ; Mitchellet al., 1989 ; Murphy et Wang, 1998). Elles permettentde poser un certain nombre d’hypothèses, que l’on véri-fie dans cet article.

Prendre en compte l’influence du milieu familial

La pression exercée par le milieu familial peut êtremesurée par la taille de la famille d’origine et par lerang de naissance de l’individu. Cette pression devraitpousser les enfants à partir d’autant plus tôt que la taillede la famille est importante. Elle devrait cependantdécroître pour les enfants de rang de naissance élevé,une fois leurs aînés partis.

La transmission de comportements vécus par lesparents peut également jouer sur les enfants. Ainsi lesparents qui ont quitté jeunes leurs propres parents,peuvent pousser leurs enfants à partir égalementjeunes. Mais, inversement, avoir des parents âgés peutintroduire une plus grande tension entre générationsplus éloignées et conduire à nouveau à un départprécoce de ces enfants. Ces deux effets peuvent êtrereliés à l’âge de la mère à la naissance de l’enfant etconduire à une courbe en U de l’intensité du départ de chez les parents en fonction de cet âge.

Le changement dans le statut matrimonial des parentsdoit également avoir un rôle important sur le départ desenfants. Le décès d’un des parents ou la rupture d’uneunion, induit une charge accrue pour celui qui s’occupede l’enfant, à moins qu’il n’entre dans une nouvelleunion. Mais dans ce cas, des mésententes possiblesavec le nouveau conjoint peuvent également entraînerun départ plus rapide des enfants.

L’origine étrangère des parents, dont l’adaptation auxconditions de vie du pays d’accueil a pu être difficile,risque d’entraîner un effet protecteur qui maintiendraces enfants plus longtemps chez leurs parents.

Enfin, la profession des parents joue de façon pluscomplexe sur le départ de leurs enfants, car elleintroduit divers effets, qui dépendent en plus de lagénération. Ainsi, la possession de terres distingue lecomportement des enfants d’agriculteurs exploitantsde ceux de salariés agricoles, surtout pour les géné-rations anciennes. Les enfants d’agriculteurs ontdavantage la possibilité de rester dans la propriétéfamiliale que ceux de salariés agricoles, qui ne pos-sèdent pas de terres. Un autre effet, non directementmesuré dans les enquêtes utilisées considérées ici,

celui du revenu des parents, peut expliquer le départplus tardif des enfants de cadres, comparés aux autres.

Le rôle des caractéristiques des enfants

Certaines caractéristiques des enfants peuvent jouersur leur émancipation et même modifier l’effet du milieufamilial. Il en est ainsi de l’effet du sexe des enfants, quiva distinguer les comportements très différents des gar-çons et des filles. Ils sont donc analysés ici séparément,car les effets des autres caractéristiques peuvent endépendre fortement.

Il en est également ainsi de la distinction selon le typede départ : départ par mariage, cohabitation ouautres types (essentiellement pour des raisons pro-fessionnelles). Dans ce cas, on utilise des modèles àrisques multiples, triples ici, où les diverses caracté-ristiques ont un effet différent sur chaque type dedépart.

En revanche, les autres caractéristiques des enfantsjouent, globalement, comme celles du milieu familial. Leniveau d’éducation a rarement été considéré dans lesétudes faites à l’étranger. Dans une étude françaiseportant sur les générations nées entre 1963 et 1966(Galland, 1995), son effet apparaît différent selon lesexe : pour les hommes, le départ est d’autant plusprécoce que leur niveau d’éducation est bas, alors quepour les femmes c’est l’inverse. Mais dans les deux cas,l’effet reste modeste. On cherche à savoir ici si cet effetest stable au cours du temps et s’il dépend du type dedépart.

L’activité et le chômage que l’individu a pu connaîtrealors qu’il vivait chez ses parents jouent également surles probabilités de départ. Ainsi, une période dechômage antérieur devrait rendre l’individu plus réticentà quitter ses parents, le foyer parental constituant pourlui un lieu de sécurité. En revanche, avoir connu unepériode d’activité antérieure au départ pourrait lepousser à les quitter plus vite.

L’effet de l’histoire

Les effets précédents peuvent être plus ou moins forte-ment affectés par des événements conjoncturels. Ainsi,les périodes de crise économique marquées par un fortchômage ou les périodes de guerre vont, sans doute,retenir les enfants plus longuement chez leurs parents.D’autres périodes vont, au contraire, favoriser ce départcomme celles suivant la fin d’une guerre ou cellesmarquées par la reprise économique et la baisse duchômage.

En revanche, les aspects spatiaux de ce phénomène,comme par exemple l’effet de l’urbanisation sur cesdéparts, ne sont pas étudiés ici. Ils le seront dans un article à venir à l’aide de méthodes spécifiquestelles que l’analyse multi-niveaux (Courgeau etBaccaïni, 1997).

Encadré 3

LES HYPOTHÈSES DÉMOGRAPHIQUES TESTÉES

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L’apport d’un modèle d’analyse biographique

Cette première description peut être enrichieà l’aide d’un modèle biographique, qui faitintervenir les diverses caractéristiques conjonc-turelles, familiales et individuelles pouvantexpliquer l’abaissement ou, au contraire, l’élé-vation de l’âge de départ du foyer parental.

Si on introduit maintenant la générationcomme une variable continue (6), lorsqu’elleintervient seule, son effet peut être interprétéde façon symétrique à ce que présente le gra-phique I : une augmentation des probabilitésde quitter ses parents correspond, en effet, àune diminution de l’âge médian au départ etinversement (cf. graphiques II).

Un effet de période net pour les générationsnées avant guerre

Pour les générations qui ont traversé despériodes de guerre et de crises, un importanteffet conjoncturel peut être mis en évidenceen appliquant un modèle semi-paramétrique

faisant intervenir à la fois la génération et l’année à laquelle se produit l’événement (7) (cf. encadré 2). Cette méthode permet de véri-fier que ces périodes troublées ont bien affectél’âge de départ de chez les parents. Pour leshommes, cinq périodes peuvent être distin-guées (cf. graphique III) :– une première s’étendant de 1929 à 1938, cor-respond à la crise économique des années 30,qui est marquée par un chômage à un niveauélevé, mais à peu près constant tout au long dela période (Villa, 1995) ;– une deuxième correspond à la SecondeGuerre mondiale de 1939 à 1945 ;– une troisième, très courte, correspond à larécupération des retards accumulés pendantla guerre (il s’agit à la fois du rattrapage desunions différées par la guerre et de retards

6. Une courbe du troisième degré est estimée ici, centrée sur savaleur moyenne (génération née en 1923 pour l’enquête 3B, néeen 1964 pour l’enquête EJC).7. On trouvera une discussion détaillée des problèmes clas-siques liés à l’introduction simultanée d’un effet d’âge, de périodeet de génération et des moyens d’identifier ces facteurs, en dépitdes relations évidentes existant entre eux, dans (Hobcraft et al.,1982) et (Willekens et Baydar, 1984).

19

20

21

22

23

24

25

1911 1916 1921 1926 1931 1936 1941 1946 1951 1956 1961 1966 1971

Génération

Âge

Hommes

Femmes

Générations non observées

Graphique IÂge médian au départ de chez les parents

Sources : enquête « 3B » (Ined) et enquête « EJC » (Insee).

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Graphique IIEffet de la génération sur le départ de chez les parents

0,6

0,7

0,8

0,9

1,0

1,1

1,2

1,3

1910 1915 1920 1925 1930 1935

Effet multiplicatif

Avec effetde période

Sans effetde période

Génération

A – Hommes

0,6

0,7

0,8

0,9

1,0

1,1

1,2

1,3

1910 1915 1920 1925 1930 1935

Effet multiplicatif

Sans effetde période

Avec effetde période

Génération

B – Femmes

Source : enquête « 3B », Ined.

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0

0,5

1

1,5

2

Effet multiplicatif

Année

1930 1935 1940 1945 1950 1955 1960 1965 1970

Graphique IIIEffet de période sur le départ des hommes de chez les parents (générations 1911-1935)

Source : enquête « 3B », Ined.

d’autres types comme être resté chez sa mèrealors que le père était prisonnier de guerre,etc.), de 1946 à 1947 ;– une quatrième correspond à la période dereconstruction pendant laquelle de nombreuxjeunes Français durent rester chez leursparents dans l’attente de trouver un logementindépendant convenable (de 1948 à 1955) ;– une cinquième catégorie de périodes, essen-tiellement les suivantes (1956-1981), peuventêtre prises comme période de référence. Cen’est en effet qu’à partir du milieu des années50 que le retard dans la construction commen-ce a être comblé au niveau national, même siles très grandes villes ont encore un déficitimportant en logements (Febvay et Henry,1957). Cette périodisation peut être appliquéeaux femmes car elle reste très proche, bien quemoins tranchée. Ces périodes peuvent dès lorsêtre portées dans un modèle semi-paramé-trique comme des variables dépendant dutemps, égales à 1 lorsque l’individu se trouvedans une de ces périodes, sinon égales à zéro.

Les résultats du modèle, qui fait intervenirtoutes les caractéristiques ayant un effet signi-ficatif, sont, soit portés dans le tableau 1 pourles caractéristiques binaires (l’individu connaîtcette caractéristique ou non, par exemple il a

perdu sa mère ou non) ou polytomiques nonordonnées (l’individu connaît une des n moda-lités de cette caractéristique, par exemple il asuivi des études supérieures, il a eu le bacca-lauréat, le CAP, le CEP ou il est sans diplôme),soit décrits dans le texte ou illustrés par desgraphiques pour des variables continues tellesque l’âge ou polytomiques ordonnées, tellesque le nombre de frères et sœurs.

L’effet de la conjoncture apparaît toujourscomme important, même lorsque l’on faitintervenir l’ensemble des caractéristiques.Comme on pouvait s’y attendre, la période dela guerre réduit le plus fortement l’âge dedépart de chez les parents, en diminuant lesquotients des hommes à moins de moitié etceux des femmes à moins des deux tiers deleur valeur par rapport à la période de réfé-rence (8). La crise économique des années 30intervient ensuite, mais pour les hommesseulement, avec une réduction significative de40 %, alors que pour les femmes l’effet n’estpas significatif bien qu’il s’exerce dans lemême sens. La période de la reconstructionmarque aussi une réduction des quotients,moindre cependant que celle enregistrée lors

8. On n’a pas pris en compte ici, les départs pour le STO et pourd’autres raisons liées à la guerre ou à l’Occupation.

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 337-338, 2000 - 7/8 45

des périodes précédentes, mais cette fois signi-ficative tant pour les hommes que pour lesfemmes. Enfin, la récupération des retards dusà la guerre se situe à un niveau équivalent à lapériode de référence.

Bien entendu, l’introduction des effetsconjoncturels modifie l’effet des générationsprécédemment mis en évidence. Pour leshommes, le minimum observé pour les géné-rations nées en 1916 n’existe plus, car il a étépris en compte par l’effet conjoncturel de lacrise des années 30. En revanche, la baisse duquotient est toujours nette pour les généra-tions nées après 1931 (cf. graphique II-A).Pour les femmes, cet effet de génération n’estplus significatif et l’on peut considérer queseul l’effet de période va jouer pour cescohortes (cf. graphique II-B). C’est donc bienune stabilité de l’âge au départ de chez lesparents, tant chez les femmes que chez les

hommes, que l’on observe pour les généra-tions nées de 1911 à 1931, que seuls les effetsde la crise économique et de la guerre vien-nent perturber. La baisse constatée pour lesgénérations masculines nées à partir de 1931n’apparaît pas pour les femmes, car elle sur-vient essentiellement pour les générations pos-térieures, non observées par l’enquête « 3B ».

L’effet des caractéristiques familiales…

La taille de la famille d’origine joue fortementsur l’âge de départ des enfants, comme cela a déjà été observé dans d’autres pays (enGrande-Bretagne par Kerckoff et MacRae,1992 ; aux États Unis par Mitchell, Wister etBurch, 1989) : plus le nombre d’enfants de lafamille est élevé, plus les enfants deviennentindépendants tôt. Plus précisément, l’effetaugmente régulièrement pour les garçons de4 % par frère ou sœur supplémentaire et de

Tableau 1 Effet multiplicatif des caractéristiques des périodes, des parents et des individus sur les quotientsde départ de chez les parents (générations 1911-1935)

Caractéristiques Hommes Femmes

Crise des années 30 0,60*** 0,85

Guerre 1939-1945 0,48*** 0,61***

Récupération 1946-1947 1,00 0,89

Reconstruction 1948-1955 0,72*** 0,80***

Mère décédée 1,28*** 1,21***

Père agriculteur 0,89 0,89*

Père salarié agricole 1,10 1,24***

Parents ➾ Père employé 0,99 0,82***

Père cadre 0,71** 0,85

Mère inactive 0,88** 0,87***

Père ou mère né à l’étranger 0,84** 0,79***

Études supérieures 1,07 1,12

Études primaires 1,00 1,14**

Individu ➾ Sans diplôme 0,90 1,25***

Travaillait antérieurement 0,57*** 0,96

Travaillait dans l’agriculture 0,75*** 0,81***

A été antérieurement chômeur 0,39*** 0,72*

*** Significatif au seuil de 1 %.** Significatif au seuil de 5 %.* Significatif au seuil de 10 %.

Lecture : un homme dont la mère est décédée a un quotient 28 % plus élevé qu’un homme dont la mère vit encore au moment de sondépart, quelles que soient ses autres caractéristiques.Ce tableau ne présente que les résultats de l’analyse semi-paramétrique des caractéristiques codées en binaire (les individus l’ontou non). Toutefois, les variables considérées comme continues (effet de la génération, du nombre de frères et sœurs, de l’âge de la mèreà la naissance de l’enquêté) ont toutes été introduites dans ce même modèle. On mesure donc ici l’effet de chacune de cescaractéristiques, une fois éliminé les effets de toutes les autres.Champ : résidants en France à 10 ans.Source : enquête « 3B », Ined.

Période ➾

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 337-338, 2000 - 7/846

8 % pour les filles, cela jusqu’à quatre enfants.Au-delà, l’effet tourne autour de 17 % pourles premiers et 36 % pour les secondes. Àl’inverse, les enfants uniques restent plus long-temps dans leur famille. Mais en revanche, êtrel’aîné(e) dans une famille de plusieurs enfantsne joue en rien sur les probabilités de départ(cet effet, non significatif, n’a pas été portédans le tableau 1).

L’enquête « 3B » permet de faire intervenirune caractéristique individuelle de grand inté-rêt (Murphy et Wang, 1998), mais qui n’estmalheureusement pas mesurée dans l’enquête« EJC » : l’âge de la mère à la naissance del’enfant. En effet, pour les naissances avant20 ans, on peut penser que cette variableapproche l’âge de la mère au départ de chezses propres parents. Lorsque les mères ontquitté très jeunes leurs parents, leurs enfants lesquitteront également très jeunes, qu’il s’agissedes garçons ou des filles (cf. graphique IV). Enrevanche, pour les naissances plus tardives,une plus grande tension peut exister entregénérations plus éloignées et des parentsapprochant l’âge de la retraite peuvent sou-haiter s’occuper moins de leurs enfants. Ainsi,pour les mères de plus de 35 ans, les enfants les

quittent d’autant plus jeunes qu’elles sont plusâgées à leur naissance, et ceci beaucoup plusfortement pour les garçons que pour les filles.

Les enfants dont un parent est décédé peuventégalement quitter plus jeunes le parent survi-vant. Le décès de la mère ou du père est ànouveau une caractéristique dépendant dutemps, dont on peut voir l’effet sur l’âge dedépart des enfants. Le décès de la mère accé-lère nettement le départ des garçons commedes filles (cf. tableau 1). À nouveau, cet effetjoue plus pour les premiers que pour lessecondes. En revanche, le décès du pèren’influe en rien sur ces probabilités de départet n’a donc pas été retenu comme effet signifi-catif. Le sexe du parent décédé joue donc surl’âge de départ, marquant le rôle prépondé-rant de la mère qui tend à garder plus long-temps ses enfants que le père. La séparationou le divorce des parents auraient été inté-ressants à considérer, mais ne sont pas saisisdans l’enquête « 3B ». On peut toutefois pen-ser que ces événements sont trop rares dansces générations pour avoir un effet significa-tif. En revanche, cet effet pourra être pris encompte, grâce à l’enquête « EJC », pour lesgénérations les plus récentes, celles néesaprès 1967.

0,8

0,9

1

1,1

1,2

1,3

1,4

1,5

15 20 25 30 35 40 45

Effet multiplicatif

Âge de la mère

Hommes

Femmes

Graphique IVEffet de l’âge de la mère à la naissance de l’enfant sur le départ de chez les parents

Source : enquête « 3B », Ined.

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 337-338, 2000 - 7/8 47

La profession du père ou de la mère peut éga-lement influer sur l’âge au départ. Si l’effetdes diverses professions paternelles est simi-laire sur le comportement des garçons et desfilles, son importance marque des différences.Pour les garçons comme pour les filles, avoirun père agriculteur exploitant retarde ledépart, lorsque cette caractéristique est intro-duite sans faire intervenir les autres caracté-ristiques individuelles. Cependant, l’introduc-tion simultanée des caractéristiques « avoir unpère agriculteur exploitant » et « avoir soi-même travaillé pour la première fois dansl’agriculture » rend cet effet non significatifpour les hommes, car les enfants d’agriculteursdébutent souvent leur vie active comme agri-culteurs, et réduit son importance chez lesfemmes. Il est donc préférable d’introduire denouvelles caractéristiques, combinant le rôledes parents et des individus. Dans ce cas, uneffet identique apparaît, tant pour les hommesque pour les femmes travaillant dans l’agricul-ture, que ceux-ci aient un père agriculteur ounon : réduction très significative, de l’ordre de20 %, des quotients de départ de chez lesparents. Avoir un père cadre retarde égale-ment le départ, mais cet effet n’est fortementsignificatif que pour les hommes. Avoir unpère employé retarde le départ des jeunesfemmes, alors qu’avoir un père salarié agricoleaccélère, au contraire, leur départ. En revanche,l’inactivité de la mère retarde de façon iden-tique le départ des garçons et des filles, alorsque, lorsqu’elle travaille, sa profession n’a pasd’effet significatif sur l’âge de leur départ.

Enfin, avoir des parents d’origine étrangèreretarde fortement ce départ, tant pour lesgarçons que pour les filles (9). Bien qu’on nepuisse faire intervenir la nationalité détailléedes parents, du fait des effectifs réduits, ceteffet se maintient pour toutes les générationsobservées. Il peut correspondre à un compor-tement protecteur de parents pour lesquelsl’adaptation aux conditions de vie du paysd’accueil n’a pas été aisée, quelle que soit leurnationalité.

… et des caractéristiques individuelles

Les caractéristiques individuelles différen-cient le plus garçons et filles.Ainsi les filles quiont le niveau d’éducation le plus bas, primaireet encore plus sans diplôme, quittent le plusvite leurs parents, alors que pour les garçonsaucun effet significatif du diplôme n’apparaît(cf. tableau 1).

Pour les jeunes filles, travailler avant de quitterses parents ne joue pas, sauf pour celles quisont dans l’agriculture : elles restent plus long-temps chez leurs parents. Pour les jeuneshommes au contraire, exercer une activité lespousse à rester chez leurs parents, encore pluslorsqu’ils travaillent dans l’agriculture : dansle premier cas, cela réduit de 40 % les proba-bilités de partir et, dans le second, de 57 %(cf. tableau 1).

Enfin, une période de chômage antérieure audépart, le retarde très fortement, surtout pourles hommes (60 %). Connaître des difficultésd’insertion en début de vie active, despériodes de chômage alternant avec despériodes d’activité, encourage aussi les jeunesà garder une attache plus étroite et plusdurable avec leurs parents.

Un effet de période réduit pour les générations d’après-guerre

Les générations d’après-guerre ont rencontré,dès 1975, un chômage général croissant régu-lièrement, de 600 000 à 2 500 000 en 1985, suivid’une période de pause et même de légèredécrue jusqu’en 1992, pour entamer depuisune nouvelle croissance (Villa, 1995).Contrairement au chômage des années 30, quia crû brusquement et s’est maintenu à unniveau à peu près constant pendant toutecette période (autour de 900 000), marquantainsi un fort effet conjoncturel, celui desannées 1975 à 1985 a un effet direct et impor-tant sur les générations, avec toutefois un effetconjoncturel moins important, comme lemontre un modèle faisant intervenir à la foisla génération et des périodes annuelles : leseffets conjoncturels sont beaucoup plusréduits pour les générations nées après 1952que pour celles nées de 1911 à 1935. C’est laraison pour laquelle ces courbes ne sont pasportées ici, mais ces effets se retrouvent dansle tableau 2 avec les effets de période. Pour leshommes, l’effet multiplicatif qui variait de 0,25à 2,50 pour les cohortes du début du siècle, nevarie plus que de 0,70 à 1,70 pour les généra-tions plus récentes. On ne distingue plus quetrois périodes, par rapport à une situationmoyenne observée dans les périodes intermé-diaires 1975-1981, 1985-1987 et 1992-1997 : unepremière s’étendant de 1969 à 1975, qui corres-pond à la fin des « Trente Glorieuses » et

9. Rappelons que l’on travaille sur une sous-population d’indivi-dus dont les parents sont déjà présents en France avant qu’ilsn’acquièrent leur indépendance.

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 337-338, 2000 - 7/848

Tableau 2Effet multiplicatif des caractéristiques des périodes, des parents et des individus sur les quotientsde départ de chez les parents (générations 1952-1975 avec une vue plus détaillée sur les générations 1967-1975)

CaractéristiquesHommes Femmes

(générations) (générations)

1952-1975 1967-1975 1952-1975 1967-1975

Avant crise de 1974 0,69 *** - 0,70 *** -

Période ➾ Période d’attente (1982-1984) 0,90 ** - 0,85 *** -

Répit chômage (1988-1991) 1,08 ** 1,13 * 1,03 1,14 **

Mère décédée 1,43 *** 1,72 *** 1,17 *** 1,47 ***

Père agriculteur 0,78 *** 0,74 ** 0,95 0,88

Père ouvrier 0,88 *** 0,94 0,95** 0,99

Père cadre 0,91 ** 0,89 0,94 0,91

Mère inactive 1,12 *** 1,32 *** 1,04 1,16 **

Père ou mère né à l’étranger 0,78 *** 0,58 *** 0,72 *** 0,56 ***

Parent vit avec un nouveau conjoint - 1,40 *** - 1,34 ***

Père artisan ayant connu le chômage - 1,53 *** - 0,95

Études supérieures 1,04 1,04 0,82 *** 0,79 **

Baccalauréat 0,92 0,82 0,83 *** 0,83 *

CAP 0,96 1,05 0,93 * 0,92

Sans diplôme 0,78 *** 0,92 0,89 *** 0,95

Travaillait antérieurement 1,32 *** 1,65 *** 1,42 *** 1,61 **

Travaillait dans l’agriculture 0,57 *** 0,53 * 0,82 2,67 **

A été antérieurement chômeur 0,77 *** 0,65 ** 0,83 *** 0,76 **

*** Significatif au seuil de 1 %.** Significatif au seuil de 5 %.* Significatif au seuil de 10 %.

Lecture : un homme dont la mère est décédée a un quotient 43 % plus élevé qu’un homme dont la mère vit encore au moment de sondépart, quelles que soient ses autres caractéristiques.Ce tableau ne représente que les résultats de l’analyse semi-paramétrique des caractéristiques codées en binaire (les individus l’ontou non). Toutefois, les variables considérées comme continues (effet de la génération, du nombre de frères et sœurs ont toutes été intro-duites dans ce même modèle. On mesure donc ici l’effet de chacune de ces caractéristiques, une fois éliminés les effets de toutes lesautres.Champ : résidants en France avant de quitter leurs parents.Source : enquête « EJC », Insee.

marque un départ plus tardif de chez lesparents, l’âge de départ se réduisant cependanttout au long de cette période ; une seconde, de1982 à 1984, marquée par une priorité donnée àla lutte contre le chômage, des dévaluations dufranc et un blocage des prix et des salaires,montre un bref retour vers ce départ plus tardif,que l’on peut considérer comme une positiond’attente ; la troisième période, de 1987 à 1992,correspond à une période de tassement du chô-mage et se caractérise par un départ plus rapi-de de chez les parents. Pour les jeunes filles, lapériodisation est semblable, mais toujoursmoins tranchée que pour les hommes.

C’est l’effet des périodes antérieures à la crise

de 1975 et de la période 1982-1984, qui rédui-sent de façon plus significative l’âge de départdes hommes que ceux des femmes, alors que la période de répit du chômage ne joue que surle départ des hommes (cf. tableau 2).L’introduction de ces effets de période ne modi-fie, cette fois-ci, que légèrement l’effet de géné-ration.

L’effet des caractéristiques familiales reste identique

La taille de la famille d’origine joue dans lemême sens que précédemment, avec uneaugmentation de 4 % par frère ou sœur supplé-mentaire,pour les garçons,mais n’est plus que de

Parents ➾

Individu ➾

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5 % au lieu de 8 % pour les filles. Être l’aîné(e)dans une famille de plusieurs enfants ne jouetoujours pas sur le départ de chez les parents.

De nouveau, le décès de la mère affecte, commeprécédemment, le départ des garçons et desfilles (cf. tableau 2), alors qu’aucun effet signifi-catif n’apparaît lorsque le père est décédé. Pourles générations nées après 1967, il est désormaispossible de vérifier l’effet de la séparation ou dudivorce des parents, celui du remariage d’unparent veuf, etc. De tous les effets testés, quidevraient avancer le départ, un seul se dégagecomme très fortement significatif : avoir desparents séparés, dont l’un au moins vit avec unnouveau conjoint, entraîne un départ très rapi-de du domicile parental. Tant que les parentssont séparés et sans nouveau conjoint, cet effetne joue pas. Le remariage d’un parent veuf n’af-fecte également pas ce départ.

La profession du père joue, pour les généra-tions nées de 1952 à 1975, plus fortement sur ledépart des hommes que sur celui des jeunesfilles, mais toujours dans le même sens quepour les générations antérieures, sauf pour lessalariés agricoles qui sont maintenant trop peunombreux pour montrer un effet significatif :retard du départ lorsque le père est agriculteuret cadre supérieur ; les enfants dont le père estouvrier se comportent comme les enfants decadres (cf. tableau 2). Pour les hommes desgénérations nées après 1967, ceux dont le pèrea connu antérieurement une période de chô-mage, peuvent être poussés à quitter plus rapi-dement leurs parents : cela ne se produit defaçon significative que pour les fils d’artisan.En revanche, avoir une mère inactive ne retientplus les enfants chez leurs parents, surtout pourles jeunes des générations nées après 1967,mais au contraire les amène à partir plusjeunes. Cela peut être dû à une mesure diffé-rente de l’activité de la mère dans l’enquête« 3B » (lorsque l’enquêté avait 15 ans) par rap-port à l’enquête « EJC » (au moment de l’en-quête ou avant la retraite de sa mère), maispeut aussi marquer un changement de compor-tement des parents comme le montre la com-paraison des générations nées en 1952-1966 eten 1967-1975 : en effet, le départ est plus préco-ce pour les premières générations.

Enfin, avoir au moins un de ses parents né à l’étranger conduit toujours à un départbeaucoup plus tardif. C’est à nouveau une per-manence des comportements observée tout au long du siècle, en dépit du changement

complet dans les origines de ces parents étran-gers. Cela confirme ce qui était observé pourles générations nées avant guerre : cette attitudesemble beaucoup plus due à une protectionplus soutenue de ces enfants placés dans unmonde différent de celui dans lequel lesparents ont vécu, qu’à un comportementpropre à certaines nationalités.

Des changements de comportements individuels

Pour les hommes, l’effet du diplôme est toujoursréduit, marqué seulement par un départ plustardif des jeunes hommes sans diplôme. Ceteffet n’est plus significatif pour les généra-tions nées après 1967. Pour les jeunes filles, ledépart est plus tardif pour celles qui ont unniveau d’études supérieur ou égal au bacca-lauréat que pour celles qui ont un CAP ou unCEP mais reste plus tardif que pour celles quin’ont pas de diplôme.

Travailler antérieurement conduit les généra-tions les plus récentes à un départ plus rapide,tant pour les hommes que pour les femmes,montrant à nouveau des changements decomportement par rapport aux générationsnées avant la guerre. En revanche, travaillercomme exploitant agricole correspond toujoursà un départ plus tardif des hommes. Le com-portement des jeunes femmes connaît uneévolution rapide : celles nées avant 1967 secomportent comme les hommes alors quecelles nées après cette date partent plus tôt.

Enfin, les jeunes qui ont connu une période dechômage en étant toujours chez leurs parentstendent à rester encore plus longtemps chezeux, quel que soit leur sexe et leur profession.Rappelons cependant que seuls les premiersdéparts sont retenus et qu’un chômage posté-rieur à ce départ pourrait conduire à un retourchez les parents non pris en compte ici.

Une analyse par type de départ

Pour affiner l’analyse, on distingue mainte-nant les départs selon leur type, c’est-à-

dire par mariage, cohabitation ou autres raisons (essentiellement pour des raisons pro-fessionnelles) afin de voir si les effets descaractéristiques précédentes (effets de géné-ration, effets conjoncturels ou de période,effets individuels et familiaux) s’exercent ounon dans le même sens lorsqu’on retient cettedistinction. Cependant, pour les générations

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 337-338, 2000 - 7/850

Graphique VDépart de chez les parents par génération (mariage)

A – Hommes

0

0,5

1,0

1,5

15 20 25 30 35

Quotient cumulé

B – Femmes

0

0,5

1,0

1,5

15 20 25 30 35

Quotient cumulé

Source : enquête « 3B », Ined.

1931-1935

1926-1930

1921-1925

1916-1920

1911-1915

Âge

Âge

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 337-338, 2000 - 7/8 51

nées avant la Seconde Guerre mondiale, lesdéparts par cohabitation étant peu fréquents,seuls le premier et le troisième type sont rete-nus ici.

Une forte diminution des départs parmariage depuis l’après-guerre

Pour fournir une vue d’ensemble de l’évolu-tion de ces départs, un âge médian n’a plus designification claire (cf. encadré 2). Il faut alorsconsidérer l’évolution des quotients cumulésselon les générations.

Pour les générations nées avant la guerre, lesévolutions des départs par mariage sont assezsemblables à ce que l’on observait pourl’ensemble des départs. Pour les hommes, lesdéparts par mariage des générations néesentre 1911 et 1920 sont les plus tardifs, car ilssont fortement affectés par la crise des années30 et par la guerre (cf. graphique V-A). Pourles jeunes femmes, ce sont les générationsextrêmes, les moins touchées par la guerre, quiconnaissent un départ par mariage plus précoce(cf. graphique V-B). L’effet de la guerre sur lesdéparts pendant les périodes intermédiaires se

décèle facilement : une augmentation moinsforte de cet âge de départ entre 23 et 28 anspour les générations nées entre 1916 et 1920,entre 18 et 23 ans pour les générations néesentre 1921 et 1925.

Pour les générations nées après guerre, lesdépart par mariage marquent un recul continud’une génération à l’autre pour quasiment dis-paraître pour les générations les plus récentes(cf. graphiques VI). Il s’agit ici, bien entendu,de la disparition du départ de chez les parentspar mariage, et non du mariage en soi, mêmesi la nuptialité a fortement baissé pour cesgénérations.

L’interaction entre effets de génération et effets de période

Comme précédemment, un modèle semi-paramétrique permet de faire intervenir lesdiverses caractéristiques (générations, périodes,caractéristiques individuelles et familiales).Au-delà des effets de génération déjà décrits(cf. supra) on considère maintenant l’interac-tion entre générations et périodes.

Tableau 3Effet multiplicatif des caractéristiques des périodes, des parents et des individus sur les quotientsde départ de chez les parents pour mariage ou pour autre raison (générations 1911-1935)

Caractéristiques Départs pour mariage Départs pour autre raison

Hommes Femmes Hommes Femmes

Crise des années 30 0,30*** 0,74 0,59 *** 0,75 **

Période ➾ Guerre de 1939-1945 0,30*** 0,53 *** 0,49 *** 0,62 ***

Récupération 1946-1947 0,98 1,07 0,88 0,66 ***

Reconstruction 1948-1955 0,74* 0,85 0,64 *** 0,76 ***

Mère décédée 1,20 1,00 1,35 *** 1,41 ***

Père agriculteur 0,89 0,92 0,89 0,88

Parents ➾ Père salarié agricole 1,03 0,79 * 1,16 1,79 ***

Père cadre 0,64 0,98 0,79 0,81

Mère inactive 0,97 0,89 * 0,83 *** 0,83 ***

Père ou mère né à l’étranger 0,78* 0,88 0,88 0,72 ***

Etudes supérieures 1,85** 1,14 0,96 1,12

Etudes primaires 1,28* 1,80 *** 0,87 0,76 ***

Individu ➾ Sans diplôme 1,00 1,86 *** 0,87 0,91

Travaillait antérieurement 2,41*** 1,07 0,40 *** 0,85 **

Travaillait dans l’agriculture 0,80 0,89 0,71 *** 0,70 ***

A été antérieurement chômeur 0,49 0,79 0,34 *** 0,64

*** Significatif au seuil de 1 %.** Significatif au seuil de 5 %.* Significatif au seuil de 10 %.

Lecture, champ et source : voir tableau 1.

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 337-338, 2000 - 7/852

Graphique VIDépart de chez les parents par génération (mariage)

A – Hommes

0

0,2

0,4

0,6

0,8

1,0

1,2

15 20 25 30 35

Quotient cumulé

Âge

B – Femmes

0

0,5

1,0

1,5

2

15 20 25 30 35

Quotient cumulé

Âge

1952-1955

1972-1975

1968-1971

1964-1967

1960-1963

1956-1959

Source : enquête « EJC », Insee.

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 337-338, 2000 - 7/8 53

Les effets des période de crise et de guerreréduisent fortement l’âge au départ deshommes, alors que seule la guerre joue sur lesdéparts des femmes (cf. tableau 3). Pour lesgénérations nées après 1950, seule la période1982-1984 réduit les départs par mariage deshommes (cf. tableau 4). L’introduction de ceseffets modifie celui des générations : fortedécroissance pour les générations nées de 1911à 1920, suivie d’une baisse plus lente pour ledépart des hommes, alors que pour les femmescet effet est plus restreint. Pour les générationsnées après guerre, la décroissance est identiqueà ce que l’on observait sans effet de période,mais part d’un niveau un peu moins élevé.

Peu de caractéristiques de la famille d’origineinfluent sur l’âge des départs par mariage. Pourtoutes les générations observées, le nombre de frères et sœurs n’a aucun effet sur l’âge de départs des hommes et joue toujours dans lemême sens que pour les départs pour toutescauses, mais influe moins fortement sur l’âgede départ des femmes : lorsque le nombre defrères et sœurs augmente, ce départ se faitd’autant plus rapidement. L’âge de la mère à la

naissance de l’enfant, pour les générations néesavant guerre, n’intervient pas sur l’âge dedépart des garçons. En revanche, il joue dans lemême sens que précédemment pour le départdes filles, montrant une transmission du com-portement maternel, seulement du coté fémi-nin de leur descendance : départs précoces parmariage pour celles que leur mère a eues jeuneet qui s’était donc mariée également de bonneheure. Cela est encore vrai, dans une moindremesure, pour celles que leur mère a eues aprèsquarante ans (cf. graphiques VII). Le décès de lamère ne joue pas, sur le départ par mariage desfilles et des garçons des générations nées avant laguerre. Pour les filles nées après-guerre ce mêmeeffet ne joue toujours pas, alors qu’il devient trèssignificatif pour les garçons : avoir un père veufou remarié accélère leur départ par mariage.

Un niveau d’éducation élevé des hommes nésavant la guerre favorise leur départ par ma-riage, alors que pour les femmes c’est un basniveau qui l’accélère. En revanche, pour lesgénérations nées après la guerre, ce sont lesfemmes ayant le baccalauréat ou surtout unniveau d’études supérieur qui sont restées le

Tableau 4 Effet multiplicatif de caractéristiques des périodes, des parents et des individus sur les quotients de départ de chez les parents pour mariage, pour cohabitation ou pour autres raisons (générations 1952-1975)

CaractéristiquesDéparts pour mariage Départs pour cohabitation Départs pour autres raisons

Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes Femmes

Avant crise de 1974 1,28 0,96 0,54 0,75 0,82 0,58 ***

Période ➾ Période d’attente 1982-1984 0,76 *** 0,88 0,88 0,91 0,91 0,78 ***

Répit chômage 0,93 0,89 1,20 1,03 1,00 1,08 *

Mère décédée 1,39 *** 0,94 1,30 ** 1,28 ** 1,53*** 1,30 ***

Père agriculteur 0,89 0,98 0,64 *** 0,65 *** 0,81*** 1,13 **

Parents ➾Père ouvrier 1,00 1,04 0,94 0,91 ** 0,80*** 0,90 **

Père cadre 0,73 *** 0,89 0,93 0,89 0,94 0,97

Mère inactive 1,27 *** 1,11 ** 1,10 * 0,91 * 1,06 1,06

Père ou mère né à l’étranger 0,79 *** 1,02 0,68 *** 0,58 *** 0,83 *** 0,66 ***

Études supérieures 1,17 0,56 *** 0,89 0,54 *** 1,07 1,20 ***

Baccalauréat 1,11 0,84 * 0,89 0,64 *** 0,88 0,98

CAP 1,28 ** 1,00 0,99 0,85 ** 0,85 ** 0,92

Individu ➾ Sans diplôme 1,00 1,02 0,90 0,79 *** 0,65 *** 0,83 **

Travaillait antérieurement 2,58 *** 1,93 *** 1,44 *** 1,34 *** 0,97 1,12 ***

Travaillait dans l’agriculture 0,77 * 1,00 0,58 *** 0,28 ** 0,42 *** 0,80

A été antérieurement chômeur 0,60 *** 0,78 ** 0,73 ** 0,92 0,85 0,79 **

*** Significatif au seuil de 1 %.** Significatif au seuil de 5 %.* Significatif au seuil de 10 %.

Lecture, champ et source : voir tableau 2.

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B – Femmes

0,8

0,9

1,0

1,1

1,2

1,3

1,4

1,5

15 20 25 30 35 40 45 50

Effet multiplicatif

Âge de la mère

Autres raisons

Mariage

Source : enquête « 3B », Ined.

Graphique VIIEffet de l’âge de la mère à la naissance de l’enfant sur le départ de chez les parents

A – Hommes

0,8

0,9

1,0

1,1

1,2

1,3

1,4

1,5

15 20 25 30 35 40 45 50

Effet multiplicatif

Âge de la mère

Autres raisons

Mariage

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plus longtemps chez leurs parents. Leshommes qui travaillaient antérieurement sontpartis plus rapidement de chez leurs parentspar mariage pour l’ensemble des cohortesobservées, alors que pour les femmes cet effetne joue que pour celles nées après-guerre.Enfin, une période de chômage antérieur n’affecte pas les générations nées avant guerre,alors qu’elle vient réduire fortement leschances de partir jeune par mariage tant deshommes que des femmes nés après guerre.

Les départs pour cohabitation concernentsurtout les générations d’après-guerre

Comme déjà indiqué, il n’est possible de dis-tinguer les départs par cohabitation que pourles générations nées après la guerre. Cesdéparts montrent une intensité croissantepour les générations nées de 1952 à 1968, quidécroît ensuite et se retrouve au niveau initialen fin de période (cf. graphique VIII). Cettediminution n’existe pas pour la formation descouples par cohabitation des générations néesen 1964-1968 et celles nées en 1969-1975(Toulemon et de Guibert-Lantoine, 1998). Sila décroissance des départs pour mariage étaitparfaitement compensée par l’augmentationdes départs pour cohabitation jusqu’aux géné-

rations nées en 1968, au-delà de cette date il y aune baisse des départs pour les deux raisons :elle est ralentie pour les départs par mariage,qui ont pratiquement disparu ; elle s’accélèrepour les départs pour cohabitation.

L’utilisation d’un modèle semi-paramétriquedonne des résultats semblables pour l’effet degénération. Ils ne sont guère modifiés par l’in-troduction des effets de période qui ne sontjamais significatifs.

Certaines caractéristiques des parents vont, enrevanche, avoir un rôle plus important sur lesdéparts pour cohabitation que sur ceux pourmariage. Ainsi, le décès de la mère accroît lacohabitation tant des garçons que des filles.Inversement, avoir un père agriculteur et undes parents au moins né à l’étranger, empêcheplus souvent la cohabitation. Il en est de mêmepour un père ouvrier chez les femmes. Mais ils’agit là de catégories sociales initialementplus réticentes à la cohabitation.

Le niveau d’éducation des hommes ne joue enrien sur ces départs alors que les femmes les pluséduquées partent moins aisément de chez leursparents par cohabitation. On verra plus loin queces femmes partent plus aisément pour d’autres

Graphique VIIIDépart de chez les parents par génération (cohabitation)

A – Hommes

0

0,2

0,4

0,6

0,8

1,0

1,2

15 20 25 30 35

Quotient cumulé

Âge

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Graphique VIII (suite)

B – Femmes

0

0,25

0,50

0,75

1,0

1,25

1,50

15 20 25 30 35

Quotient cumulé

Source : enquête « EJC », Insee.

1952-1955

1972-1975

1968-1971

1964-1967

1960-1963

1956-1959

raisons, sans doute professionnelles. Travaillerantérieurement favorise ce départ par cohabita-tion, avec une exception pour ceux et celles quitravaillent dans l’agriculture, pour lesquels c’estl’inverse. Cet effet vient s’ajouter à celui d’avoirun père travaillant dans cette profession. Enfin,avoir connu une période de chômage antérieurene réduit le départ par cohabitation que pour leshommes.

Des départs pour raisons professionnelles stables

L’âge de fin d’études obligatoires étant de12 ans avant l’été 1936, les générations néesavant guerre sont observées à partir de l’âge de11 ans. Le départ pour d’autres raisons quecohabitation et mariage c’est-à-dire essentielle-ment professionnelles, avant 20 ans, diminue enpassant d’une génération à la suivante, tantpour les hommes que pour les femmes, du faitde l’augmentation de l’âge d’obligation scolai-re (cf. graphique IX). Après 27 ans, au contrai-re, il croît. Pour les générations nées après-guerre, on peut partir de 15 ans comme pour les

autres types de départ. Les évolutions restenttrès regroupées et toujours linéaires, par oppo-sition aux départs par mariage ou cohabitation.Elles marquent seulement une légère baissepour les dernières générations masculinesobservées. L’évolution d’ensemble des pre-miers départs de chez les parents, pour lesgénérations nées après 1960 (cf. graphique I),est donc essentiellement due aux départs parcohabitation et non aux départs pour raisonsprofessionnelles.

L’utilisation d’un modèle semi-paramétriquene distingue pas d’effet de génération pour leshommes et les femmes nés avant-guerre.Après-guerre, la baisse pour les générationsmasculines nées après 1970 est légèrementsignificative.

En revanche, les effets de périodes sont trèsimportants. Pour les générations nées avant-guerre, la crise des années 30, la seconde guerremondiale et la période de reconstructionconduisent à une forte baisse des départs pourraisons professionnelles. Si la récupération des

Âge

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Graphique IXDépart de chez les parents par génération (autres raisons)

A – Hommes

0

0,5

1,0

1,5

10 15 20 25 30 35

Quotient cumulé

Âge

B – Femmes

0

0,5

1,0

1,5

10 15 20 25 30 35

Quotient cumulé

Âge

1931-1935

1926-1930

1921-1925

1916-1920

1911-1915

Source : enquête « 3B », Ined.

retards dans l’immédiat après guerre entraînedes départs plus importants pour les hommes,il n’en est rien pour les femmes (cf. tableau 3).Pour les générations nées après-guerre, leseffets de période ne sont significatifs que pourles femmes et conduisent à une baisse des pro-babilités de partir pendant la période précédantla crise de 1975 et la période 1982-1984. À l’op-posé, les chances de partir pour ces raisonsconnaissent une légère augmentation lors del’embellie conjoncturelle de la fin des années 80.Les caractéristiques familiales ont un effet trèsproche de celui observé pour les départs pourtoutes causes confondues. Cependant, si avoirun père agriculteur n’affecte pas les départspour toutes raisons des femmes des généra-tions nées après la guerre, l’effet est significa-tif sur les départs pour raisons profession-nelles : il augmente de 13 % leurs chances dedépart (cf. tableau 4). Ce comportementmontre des différences importantes entre filsd’agriculteurs, qui ont tendance à rester dansla ferme paternelle dans l’attente d’un hérita-ge, et filles d’agriculteurs, qui au contraire par-tent plus rapidement vers d’autres horizonsprofessionnels.

Les caractéristiques individuelles vont égale-ment jouer dans le même sens que pour les

départs pour toutes raisons. Seul le niveaud’études des femmes influe différemment. Pourles départs toutes raisons confondues, lesfemmes des générations nées avant la guerre etayant un niveau d’études primaire ou sansdiplôme quittent leurs parents très rapidement.En fait, ce sont les départs par mariage trèsjeune, qui entraînent cet effet. Les départs pourraisons professionnelles montrent un effetinverse : si elles ne se marient pas, les femmesde niveau d’études primaire vont rester, aucontraire, plus longtemps chez leurs parents.

Pour les femmes nées après la guerre, un effetsemblable apparaît mais uniquement pourcelles ayant un niveau d’études élevé. Pour lesdéparts toutes raisons confondues, les femmesayant un niveau d’études supérieur ou égal aubaccalauréat restent plus longtemps chez leursparents que celles ayant un CAP ou un CEP.On voit, en faisant intervenir les types dedépart, que cela correspond parfaitement auxdéparts par mariage ou par cohabitation, maispas du tout aux départs pour raisons profes-sionnelles. Dans ce cas, les femmes de niveaud’études supérieur quittent leurs parentsbeaucoup plus rapidement que celles ayanttout autre niveau d’études. ■■

L’auteur remercie deux rapporteurs de la revue pour leurs conseils sur une version précédente de cet article.

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