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Un port à Lattes avant Lattara ? Le village du Premier âge du Fer de “La Cougourlude” (Hérault) Isabelle Daveau, Nathalie Chardenon, Cédric Da Costa, Denis Dubesset, Éric Henry, Michel Py – Les Gaulois au fil de l’eau - Vol. 1, p. 87-114 H abitat de plaine intensément occupé à la fin du Premier âge du Fer, le site de la Cougourlude, à Lattes (Hérault) demeure sans équivalent au niveau régional par son étendue et la densité de ses vestiges. Les interventions archéologiques récentes permettent d’aborder sa genèse et son évolution. Après deux phases d’occupation mal définie, à la transition âge du Bronze/âge du Fer puis au VII e s. a.C., l’habitat se fixe durablement sur les bords de la Lironde au début du VI e s. Il connaît rapidement un essor spectaculaire avant d’être déserté durant la première moitié du siècle suivant. C’est cet épisode, sur une durée d’environ un siècle qui est ici abordé. La fouille menée en 2010 vient documenter la morphologie de cet habitat et son économie. Les données acquises sur les environs précisent l’occupation des sols de la plaine deltaïque et les modifications accompagnant l’émergence de La Cougourlude. HISTORIQUE DES INTERVENTIONS L’existence d’un habitat des VI e -V e s. a.C. au lieu-dit “La Cougourlude”, à 1 km au nord-est du comptoir de Lattara, était connue depuis les années soixante par des prospections et sondages ponctuels 1 . L’ampleur et la densité du gisement ont été révélées à partir de 2006 grâce aux diagnostics archéologiques précédant l’aménagement, par la Communauté d’Agglomération de Montpellier, d’un vaste chenal devant servir d’exutoire aux crues du Lez. Les fouilles préventives sur le tracé du Partiteur de Crue se sont déroulées en deux tranches. Une première intervention, conduite en 2008 par C. Newman (Oxford Archéologie Méditerranée), portait sur 5000 m² au pied de la colline du Mas de Causse. Un ensemble de constructions singulières, à probable vocation cultuelle, s’échelonne entre le IV e s. a.C et le I er s. p.C. La découverte de plus de 300 disques perlés en bronze de typologie étrusque, en position secondaire dans des niveaux de colluvions formés au milieu du V e s. a.C., laisse envisager une origine plus ancienne du sanctuaire 2 . La seconde tranche a été réalisée par l’Inrap durant l’été 2010 et concerne deux secteurs distants de 140 m. Au sud, “Mas de Causse II” prolonge sur 5000 m² la fouille d’Oxford Archéologie, en contrebas de l’aire cultuelle. Au nord, à “La Cougourlude”, l’emprise fouillée se développe sur 500 m de long en rive droite de la Lironde, couvrant plus de 2 ha. CONTEXTE GÉOGRAPHIQUE L’habitat de La Cougourlude / Mas de Causse est localisé à l’est du territoire de la commune de Lattes, à 5 km au sud-est de la ville de Montpellier (fig. 1). Le site se développe dans la plaine littorale, entre 3 et 4 m d’altitude NGF au pied de la butte de Pérols. Cette ancienne terrasse rhodano-durancienne, culminant à 20-25 m au Mas de Causse, forme au sud un promontoire entre les étangs du Méjean et de Mauguio. Elle limite à l’est la plaine deltaïque du Lez, la séparant de la plaine de Mauguio (fig. 2). 1. Py 1988, 109 ; Gascó 1979 ; Roux 1982-1983. 2. Newman 2010, 187-189. NÎMES ARLES MONTPELLIER AGDE Lattes | Fig. 1. Localisation de Lattes en Languedoc oriental.

Un port à Lattes avant Lattara ? Le village du Premier âge du Fer de “La Cougourlude” (Hérault)

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Un port à Lattes avant Lattara ? Le village du Premier âge du Fer de “La Cougourlude” (Hérault)

Isabelle Daveau, Nathalie Chardenon, Cédric Da Costa, Denis Dubesset, Éric Henry, Michel Py

– Les Gaulois au fil de l’eau - Vol. 1, p. 87-114

H abitat de plaine intensément occupé à la fin du Premier âge du Fer, le site de la Cougourlude, à Lattes (Hérault) demeure sans équivalent au niveau régional par son étendue et la densité de ses vestiges. Les interventions archéologiques récentes permettent d’aborder sa genèse et son évolution. Après deux

phases d’occupation mal définie, à la transition âge du Bronze/âge du Fer puis au viie s. a.C., l’habitat se fixe durablement sur les bords de la Lironde au début du vie s. Il connaît rapidement un essor spectaculaire avant d’être déserté durant la première moitié du siècle suivant. C’est cet épisode, sur une durée d’environ un siècle qui est ici abordé. La fouille menée en 2010 vient documenter la morphologie de cet habitat et son économie. Les données acquises sur les environs précisent l’occupation des sols de la plaine deltaïque et les modifications accompagnant l’émergence de La Cougourlude.

Historique des interventions

L’existence d’un habitat des vie-ve s. a.C. au lieu-dit “La Cougourlude”, à 1 km au nord-est du comptoir de Lattara, était connue depuis les années soixante par des prospections et sondages ponctuels 1. L’ampleur et la densité du gisement ont été révélées à partir de 2006 grâce aux diagnostics archéologiques précédant l’aménagement, par la Communauté d’Agglomération de Montpellier, d’un vaste chenal devant servir d’exutoire aux crues du Lez. Les fouilles préventives sur le tracé du Partiteur de Crue se sont déroulées en deux tranches. Une première intervention, conduite en 2008 par C. Newman (Oxford Archéologie Méditerranée), portait sur 5000 m² au pied de la colline du Mas de Causse. Un ensemble de constructions singulières, à probable vocation cultuelle, s’échelonne entre le ive s. a.C et le ier s. p.C. La découverte de plus de 300 disques perlés en bronze de typologie étrusque, en position secondaire dans des niveaux de colluvions formés au milieu du ve s. a.C., laisse envisager une origine plus ancienne du sanctuaire 2. La seconde tranche a été réalisée par l’Inrap durant l’été 2010 et concerne deux secteurs distants de 140 m. Au sud, “Mas de Causse II” prolonge sur 5000 m² la fouille d’Oxford Archéologie, en contrebas de l’aire cultuelle. Au nord, à “La Cougourlude”, l’emprise fouillée se développe sur 500 m de long en rive droite de la Lironde, couvrant plus de 2 ha.

Contexte géograpHique

L’habitat de La Cougourlude / Mas de Causse est localisé à l’est du territoire de la commune de Lattes, à 5 km au sud-est de la ville de Montpellier (fig. 1). Le site se développe dans la plaine littorale, entre 3 et 4 m d’altitude NGF au pied de la butte de Pérols. Cette ancienne terrasse rhodano-durancienne, culminant à 20-25 m au Mas de Causse, forme au sud un promontoire entre les étangs du Méjean et de Mauguio. Elle limite à l’est la plaine deltaïque du Lez, la séparant de la plaine de Mauguio (fig. 2).

1. Py 1988, 109 ; Gascó 1979 ; Roux 1982-1983.2. Newman 2010, 187-189.

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Une implantation à l’écart des risques majeurs d’inondation

La basse plaine alluviale, au sud de Montpellier se développe aujourd’hui sur 20 km². Elle est encadrée à l’ouest par le Massif de la Gardiole, à l’est par la butte de Pérols et bordée au sud par le rivage de l’étang du Méjean. Le chapelet des étangs palavasiens, qui s’étendait jusqu’à l’époque moderne en un plan d’eau unique entre Frontignan et Aigues-Mortes, est séparé de la mer par un cordon sableux. La lagune alimentée en eau douce par les fleuves côtiers est également ouverte sur la mer par le biais de passes entre les flèches sableuses, localement dénommées “graus”.

Les recherches géoarchéologiques développées ces dernières décennies dans la plaine deltaïque du Lez apportent des précisions sur son évolution paléogéographique 3. Ces études mettent en lumière l’importante mobilité du paysage au cours du second Holocène. La construction deltaïque entamée au Néolithique entraîne le colmatage du secteur et le recul du rivage de lagune vers le sud, offrant progressivement de nouvelles terres aux populations riveraines. Cependant, celles-ci ont eu à affronter un milieu en perpétuelle mutation et à composer avec les divagations des cours d’eau, les crues récurrentes et l’exhaussement des sols sous la charge alluviale. Les études récentes permettent de retracer les grandes étapes de cette morphogénèse : la plaine prograde vers le sud tandis que son colmatage progresse d’est en ouest accompagnant le déplacement de l’hydrosystème 4. En conséquence, la partie orientale du delta est stabilisée à une date plus précoce que l’axe médian. À la Cougourlude, le sol alluvial supportant les aménagements des vie-ve s. a.C. est écrêté par les labours

3. Blanchemanche et al. 2004 ; Jorda 2007 ; Jorda et al. 2008 ; Bagan et al. 2010.4. Jorda et al. 2008.

| Fig. 2. La plaine deltaïque du Lez aux vie-ve s. a.C.

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récents. Le site n’a connu qu’un très faible alluvionnement depuis l’âge du Fer. À la même latitude, à 1 km à l’ouest, à Port Ariane, les niveaux contemporains sont enfouis sous 3,60 m de dépôts sédimentaires 5. Les habitants de La Cougourlude se sont donc installés dans un secteur préservé des risques majeurs d’inondation.

Au carrefour des voies fluviale et terrestre

L’habitat de La Cougourlude et du Mas de Causse s’étend sur les deux rives d’un ancien cours de la Lironde. Le chenal marquait alors bien plus le paysage que le ruisseau actuel. Large de plusieurs dizaines de mètres, il était également beaucoup plus encaissé. Les niveaux de fonctionnement contemporains de l’habitat de l’âge du Fer n’ont pas été atteints dans les sondages opérés jusqu’à 4 m de profondeur. Il est donc difficile de préciser son régime hydrologique ; néanmoins, la tranche d’eau dans le chenal, supérieure à 2 m, permet de supposer qu’il était navigable. Le rivage de l’étang, repoussé progressivement par les alluvions du Lez, se trouvait alors à quelques centaines de mètres au sud, offrant un débouché rapide vers la mer.

Un gué existait selon toute vraisemblance entre les deux noyaux d’habitat, emprunté par un axe de circulation dont le tracé est fossilisé par l’actuelle route départementale reliant Lattes à Mauguio. L’ancienneté de cette voie a déjà été vérifiée : à l’ouest elle coïncide avec une importante artère de circulation de la cité de Lattara dont l’existence est attestée au moins depuis le iie s. a.C. 6 ; à l’est, elle structure la nécropole de la fin du vie/début ve s., contemporaine de la Cougourlude, fouillée à “La Pailletrice” à Pérols 7. La suite de cet itinéraire devait longer le rivage des étangs littoraux, desservant les habitats implantés en bordure des lagunes.

C’est sans doute cette position particulière, au point de franchissement d’un cours d’eau par une voie de long parcours, dans un secteur accessible à partir de l’étang littoral et de la mer, qui a motivé l’implantation en ce lieu et favorisé le développement d’un important habitat et d’un complexe cultuel.

Les rytHmes de L’oCCupation

En dehors du secteur sud (Mas de Causse II) où un paléosol fossilisé à 1 m sous le sol actuel supporte une occupation du Bronze Final, la totalité des vestiges apparaît au sommet de la séquence sédimentaire écrêtée par les labours. Les niveaux superficiels ont disparu et avec eux ont été gommés les liens stratigraphiques unissant les différents aménagements. Les éléments de chronologie relative disponibles se limitent à de rares recoupements entre les structures en creux et le site apparaît non stratifié. Le phasage de l’occupation repose donc sur l’étude de la céramique. Avec près de 75 000 tessons, les fouilles de La Cougourlude et du Mas de Causse II ont en effet fourni un lot considérable de céramiques d’époque protohistorique (fig. 3). Pour la fin du Premier âge du Fer, à laquelle appartient l’essentiel du mobilier, le renouvellement

5. Daveau 2007.6. Py 1988, 115, fig. 28, V2 et V8.7. Daveau & Dedet 2010 ; Daveau & Dedet à paraître.

| Fig. 3. Distribution dans le temps du nombre de tessons et du nombre de structures (en clair : les structures de datation plus lâche, pouvant être attribuées à différentes sous-phases).

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| Fig. 4. Évolution de la répartition spatiale des découvertes céramiques (nombre de tessons calibré par phase).

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rapide des céramiques d’importation autorise une sériation chronologique assez fine des ensembles, et l’établissement de fourchettes de datation réduites à une trentaine d’années environ 8.

Si l’analyse céramologique permet d’esquisser les grandes lignes de l’évolution de l’habitat (fig. 4), il est impossible de préciser le détail des différentes phases : un grand nombre d’aménagements (1002 structures, soit 57 % du total) reste sans attribution chronologique précise, faute de mobilier en quantité suffisante. Parmi elles se trouve la majorité des trous de poteau, ce qui entrave la perception de l’évolution du bâti. De plus, il faut conserver à l’esprit qu’à de rares exceptions près (couches d’occupation dans les bâtiments excavés), le comblement d’une structure en creux est consécutif à son abandon et résulte de son utilisation secondaire en dépotoir. La durée de fonctionnement de l’aménagement en question ne peut être estimée, comme bien souvent sa fonction, et la date de sa mise en service ne peut être établie.

Occupation ancienne au Mas de Causse II

Dans le secteur méridional de la fouille, une série d’aménagements est associée à un paléosol incluant des charbons et micro-tessons de céramique inséré dans la séquence sédimentaire à environ 1 m de profondeur sous la surface du sol actuel. Cette phase ancienne d’occupation, définie par la chronostratigraphie, est attribuée au Bronze final IIIb par un mobilier rare et peu typique, et par deux datations C14 centrées sur les xe-ixe s. a.C. Les aménagements, peu nombreux – deux fosses comblées par des vidanges de foyers, une fosse renfermant un vase de stockage, quatre trous de poteaux et un solin de galets – ont été reconnus en deux secteurs distants de 100 m, au nord et au sud de l’emprise fouillée. Deux autres trous de poteau, mis en évidence dans le même paléosol lors de la fouille de Mas de Causse I, signalent l’extension probable du gisement en direction de l’est.

En dépit de l’état de conservation satisfaisant de cet horizon, fossilisé par les apports sédimentaires, les vestiges sont peu nombreux et très dispersés. Les limites de cette occupation sont contraintes à l’est et au sud par un ancien cours d’eau dont la berge est moulée par le paléosol. Ce chenal contemporain de l’occupation du Bronze final est totalement colmaté au Premier âge du Fer, le cours actif passant alors à l’ouest de la zone fouillée.

Occupation extensive durant le viie s.

Dans le courant du viie s. a.C., de nouvelles installations prennent place à la Cougourlude, à 150 m au nord des vestiges précédents. Les aménagements de cette deuxième phase apparaissent au sommet de la séquence sédimentaire, sur le même plan que l’ensemble des structures de l’âge du Fer. Intervenant dans un paysage remodelé par les crues, en bordure d’un chenal dont le cours s’est infléchi en direction de l’ouest, cette occupation n’a manifestement pas de lien avec la phase précédente. 18 structures sont datées du viie s. (13 fosses, 1 foyer à pierres chauffantes, 4 trous de poteau). Elles s’égrènent en rive droite de la Lironde sur 450 m du nord au sud, sans réelle concentration, sauf peut-être dans la partie médiane de l’emprise. La céramique non tournée, exclusive dans ces ensembles, n’autorise pas une sériation chronologique de ces aménagements, qui sont inclus dans une fourchette de datation couvrant tout le siècle. Leur synchronisme n’est pas assuré : ils peuvent traduire une occupation lâche sur un espace étendu ou résulter de la mobilité d’une ou plusieurs unités d’habitation. On ne saurait non plus affirmer la continuité de l’occupation à l’intérieur de cette phase, comme avec la suivante. L’absence parmi les ensembles céramiques de contextes caractéristiques de la fin du viie s., tels qu’ils ont pu être définis à La Liquière (Calvisson, Gard) 9 ou à Tonnerre I (Mauguio, Hérault) 10, à moins de 10 km à l’est de la Cougourlude, irait même dans le sens contraire.

Concentration de l’habitat au début du vie s.

22 structures sont attribuées aux premières décennies du vie s. a.C., sur la base de leur mobilier associant des importations archaïques à une forte proportion de céramiques modelées similaires à celles de la phase précédente. Les vestiges sont concentrés au sud de la Cougourlude, occupant 6500 m² de l’emprise fouillée. L’habitat implanté en bordure de

8. Une présentation synoptique des céramiques du site est livrée dans Daveau & Py à paraître.9. Py et al. 1984.10. Py 1985.

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la Lironde s’étend dans un espace ouvert ; aucun fossé ou palissade ne vient en circonscrire les limites. Les aménagements qui nous sont parvenus sont pour l’essentiel des fosses de stockage : silo, caves probablement surmontées d’une élévation en terre crue, fosses à emmarchement. Parmi les rares trous de poteau datés, deux sont attribués au début du vie s. Aucun plan de bâtiment n’est restituable.

Si une origine plus ancienne ne peut être écartée, l’occupation pérenne à la Cougourlude est avérée à partir du début du vie s., l’habitat ne cessant par la suite de se développer, sans rupture dans le fil chronologique jusqu’à la première moitié du siècle suivant.

Le port de la Cougourlude

La phase 4 englobe la période d’expansion puis de repli du site de la Cougourlude / Mas de Causse II. Elle s’étend sur un peu plus d’un siècle (570 à 450 a.C.) et a été subdivisée en quatre sous-phases d’une durée moyenne de trente ans (fig. 5).

Durant ses occupations antérieures, la Cougourlude ne se distingue pas des habitats ruraux contemporains reconnus dans les plaines languedociennes. Il se démarque en revanche nettement des sites connus à ce jour au cours de cette quatrième phase. Cette singularité ne repose pas sur la morphologie des aménagements rencontrés, qui reste stable tout au long de l’histoire du site, mais sur leur foisonnement et sur l’importance de la surface occupée, en particulier lors du dernier tiers du vie et du premier quart du ve s. Ces deux facteurs conjugués traduisent une augmentation de sa population et assimilent la Cougourlude à un habitat groupé. Parallèlement, l’étude céramologique met en évidence le dynamisme économique du site participant activement aux échanges méditerranéens. Implanté à un point de rupture de charge entre transport fluvio-maritime et terrestre, il sert manifestement de place de débarquement, d’échange et de consommation et préfigure le rôle tenu par le port de Lattara fondé au début du ve s.

Une insertion précoce dans les réseaux d’échange méditerranéensLa phase 4a rassemble les contextes datés du deuxième tiers du vie s. (570-540/530 a.C.). 49 structures lui sont

attribuées, soit plus du double de la phase antérieure. Aux fosses, de fonction le plus souvent indéterminée, sont associés deux puits distants de 280 m, un foyer, des trous de poteau, une tranchée d’implantation de mur en terre dessinant un plan absidial.

Les aménagements sont répartis du nord au sud de l’emprise en trois ou quatre concentrations distinctes, la plus méridionale se superposant à l’occupation antérieure. La concentration la plus dense occupe la partie centrale, entre les deux grands fossés FO20447 et FO30277. L’ouverture du fossé nord avant -540 est appuyée par une date C14 (cf. infra). La contemporanéité du second n’est pas assurée, il semble être plus récent. Quoi qu’il en soit, la mise en place d’un tel ouvrage, à caractère défensif, ou au moins ostentatoire, traduit une modification dans le statut du site, que ne laissent guère percevoir la morphologie et le nombre encore limité d’aménagements. L’étude de la céramique apporte cependant d’autres arguments. Avec une part d’importations atteignant 40 % des ensembles céramiques, la Cougourlude distance très nettement les habitats de la région nîmoise et les gisements lagunaires de l’étang de Mauguio (fig. 6). Dès cette phase, le site apparaît comme un point d’arrivée privilégié des produits méditerranéens.

Un essor spectaculaire…L’expansion de l’habitat se concrétise réellement lors de la phase 4b (530-510 a.C.) et se poursuit jusqu’au début

du ve s. (phase 4c : 510-475 a.C.). Le récolement des informations provenant des observations antérieures (surveillance de travaux d’Henri Prades, sondages de J.-C. Roux et de Y. Gasco) permet d’estimer à 17 ha la surface couverte par l’habitat au tournant du siècle. Dans l’emprise fouillée, le nombre de structures attribuées à la phase 4b est quintuplé par rapport à la précédente (233 occurrences). Toute la surface est occupée, les vestiges investissant désormais la rive gauche du cours d’eau, au Mas de Causse. La phase 4c livre un nombre équivalent d’aménagements (234) se répartissant sur les deux rives de la Lironde. À la Cougourlude, l’occupation est alors contenue, au sud, par le fossé FO30277.

Par sa rapidité, l’expansion de cet habitat est incompatible avec une évolution démographique naturelle. Le site a manifestement bénéficié d’un apport de population. Pour autant, on ne perçoit pas, à l’échelle de l’emprise fouillée, de mutation profonde dans son organisation ou dans le mode de vie des habitants. Les mêmes techniques de construction sont

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| Fig. 5. Plan phasé des aménagements de la phase 4.

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| Fig. 6. Évolution comparée des proportions de céramiques importées sur les gisements lagunaires melgoriens, dans la région nîmoise, à La Cougourlude et à Lattara (en blanc : données spécifiques des maisons-entrepôts de la zone 27 de Lattara, où il s’agit surtout d’amphores).

mises en œuvre, la typologie des équipements reste inchangée : silos, fosses de stockage, foyers à pierres chauffantes sont récurrents tout au long de l’occupation. La composition du vaisselier domestique connaît certes l’augmentation constante de la vaisselle de table importée, mais la batterie de cuisine fait toujours appel au même répertoire, illustrant le maintien des habitudes culinaires traditionnelles. Que l’intégration des nouveaux arrivants ne s’accompagne pas de modifications perceptibles dans les modes de vie montre qu’ils appartiennent à la même sphère culturelle. Il est tentant de mettre en relation cet épisode avec l’abandon, à la même époque, des gisements lagunaires installés au bord de l’étang de Mauguio, à moins de 10 km de là 11. Fort de son pouvoir d’attraction, la Cougourlude a semble-t-il drainé et concentré, à l’échelle de son territoire, les habitats environnants.

… suivi d’une désertion rapideCette phase de plein essor est de courte durée. Aucun témoin postérieur à -475 n’a été retrouvé sur toute l’emprise

fouillée en rive droite du cours d’eau, montrant que l’ensemble de la zone de la Cougourlude se trouve déserté aux alentours de cette date. L’habitat se maintient en revanche un temps dans le secteur sud (Mas de Causse II) avec de nouveaux aménagements dans la lignée des précédents. Cette occupation, prolongée jusque vers 450 a.C., (phase 4d) doit sans doute être mise en relation avec l’activité du lieu de culte voisin, mise en évidence par la fouille d’Oxford Archéologie 12.

Malgré une sériation assez fine des ensembles céramiques, on ne perçoit pas de phase de déclin, qui pourrait être marquée par une baisse de la densité des aménagements, une rétractation de la surface ou encore un tassement des biens de consommation. L’abandon du site a sans doute été plus progressif qu’il n’y paraît et dut couvrir les premières décennies

11. Dedet & Py, éd. 1985, 54.12. Newman 2010.

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du ve s. Avec 61 % du nombre total de tessons protohistoriques du site et 65 % des restes fauniques, la phase 4c (510-475 a.C.) se caractérise par une nette augmentation du volume des dépotoirs. Plus qu’un optimum de la consommation, ce phénomène doit sans doute être considéré comme un effet induit par l’abandon du site, effectif à la fin de cette même phase à la Cougourlude. En quelques dizaines d’années, le village s’est vidé de ses habitants, sans qu’aucune raison “catastrophique” ne puisse être invoquée : pas d’indice de crue dévastatrice, aucune trace d’incendie généralisé ou de destruction massive. Les nombreux calages de poteau intacts indiquent même que les bois se sont dégradés en place, sans le basculement ou l’arrachage qu’aurait entraîné la démolition des bâtiments. La population a simplement quitté les lieux, se cristallisant selon toute vraisemblance à Lattara, qui connaît au même moment une rupture dans son occupation, marquant la fin apparemment brutale de la présence étrusque dans la ville fortifiée et un retour à un faciès culturel de tradition indigène 13.

morpHoLogie des aménagements et organisation du viLLage de L’âge du Fer

Des ouvrages défensifs ?

Deux puissants fossés raccordés à l’est au paléochenal de la Lironde, traversent l’emprise de la Cougourlude, à une centaine de mètres de distance. Les deux creusements ont un gabarit comparable : profonds de 3 m à 3,50 m sous la semelle de labours, leur largeur à l’ouverture oscille entre 7 et 12 m. Leur séquence de comblement partage des traits communs (fig. 7). Leur base, étroite, à fond plat, est colmatée par des sédiments argileux riches en matières organiques, résultant d’une décantation en eau calme. Viennent ensuite des dépôts plus grossiers, indiquant une activité hydraulique d’une certaine compétence. Les crues de la Lironde, auxquelles sont attribués ces sédiments, ont érodé les bords des creusements, qui s’évasent largement après la première phase. Dans le fossé méridional, le toit de cette formation est scellé par un empierrement dense, correspondant à un niveau de circulation. Le fossé, transformé en chemin creux, est ensuite colmaté progressivement après l’abandon du secteur. Une nouvelle voie de circulation, accompagnée d’un fossé bordier, pérennisera son tracé durant le Haut-Empire. Dans le fossé nord, la troisième phase de fonctionnement est marquée par une succession de curages partiels et par des comblements très hétérogènes signalant une utilisation en dépotoir. À la fin du vie s., une plateforme est aménagée le long du bord nord, maintenue par un muret de soutènement. Le fossé a alors perdu sa fonction de limite, la dépression est utilisée pour abriter des structures de combustion, en vis-à-vis d’une série de bâtiments excavés.

Par leur ampleur, ces deux fossés évoquent des ouvrages défensifs. Leur largeur et leur profondeur, éventuellement augmentées d’une levée de terre ou d’un mur en pierres 14, la présence d’eau au fond, les rendaient difficilement franchissables. La similitude de leur profil et une séquence de comblement comparable lors de leurs deux premières phases de fonctionnement incitent, à première vue, à les associer en une enceinte unique, de plan triangulaire ou trapézoïdal, enserrant une surface de près de 2 ha. Pourtant, les données chronologiques ne sont pas si univoques. La mise en phase des vestiges fait apparaître une concentration plus dense des aménagements entre les deux fossés lors de la phase 4a (570/530 a.C.). Plusieurs arguments permettent d’attribuer à cette même période l’ouverture du fossé nord. Les deux premières phases de fonctionnement du fossé n’ont livré aucun artefact, mais deux échantillons provenant de ces niveaux ont fait l’objet d’une datation C14, avec pour résultats : 746 – 399 cal BC et 793 – 540 cal BC 15. Une ouverture de FO20447 vers le milieu du VIe s. a.C. est donc envisageable. La répartition des vestiges montre qu’il perd sa fonction de limite lors de la phase 4b (-530 / -510). Ses comblements sommitaux ont livré plus de 1 500 tessons de céramique, témoignant d’une utilisation en dépotoir lors de la phase 4c (-510 / -475). En grande partie remblayé, le fossé est alors intégré à l’espace fonctionnel du site et accueille des aménagements en relation avec les bâtiments excavés implantés le long de sa bordure au tournant du siècle. La date du creusement du fossé méridional semble être plus récente. Ses comblements n’ont livré qu’un lot réduit de tessons (108 fragments au total dans l’ensemble des niveaux antérieurs au chemin romain). Aucune distinction chronologique ne transparaît de la base au sommet, chacun des ensembles s’inscrivant dans la fourchette 510/475 a.C. Les cartes de répartition des céramiques par phase illustrent par ailleurs clairement la fonction de limite remplie par le fossé lors

13. Lebeaupin & Séjalon 2008 ; Py 2009, 65-69.14. La quantité de pierres rejetées dans le comblement des deux structures laisse en effet ouverte la question d’un mur les doublant

en surface.15. Poz-42984 : 2415±BP (brindille de sureau dans l’US20526) et Poz-42983 : 2520±30 BP (graine d’orge dans l’US 20507).

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de la phase 4c. Pour autant, la raréfaction des aménagements dans le secteur sud de la Cougourlude est constatée lors des phases immédiatement antérieures. Elle nous incite à ne pas exclure totalement l’hypothèse d’une mise en place synchrone avec le fossé nord. Le rôle de limite aurait alors pu être réaffirmé lors de la transformation du fossé en chemin creux. Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse d’un ouvrage unique ou de deux creusements successifs, l’excavation de tels aménagements constitue un chantier de grande envergure. Elle implique une organisation sociale structurée, en capacité de mobiliser une main d’œuvre abondante pour des travaux collectifs.

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NORD

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20509

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FO20447 (fossé nord)

FO30277 (fossé sud)

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| Fig. 7. Relevé en coupe des deux grands fossés de La Cougourlude.

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La question du bâti

La question de la restitution des architectures est particulièrement délicate à la Cougourlude. La source du problème tient d’une part à l’état de conservation du site, d’autre part à l’usage de modes de construction et de matériaux ne laissant que peu de traces dans le sous-sol. Le démantèlement des niveaux de surface par les labours a entraîné la disparition des sols d’occupation permettant en d’autres lieux de délimiter des espaces d’habitation ou d’activité. L’arasement a effacé les constructions les plus superficielles, n’épargnant que les soubassements les mieux ancrés. La perte des liens stratigraphiques entrave la mise en évidence d’ensembles cohérents, les hypothèses d’association ne pouvant dès lors s’appuyer que sur l’analyse spatiale.

L’appréciation des modes de construction repose ici sur les substructions qui nous sont parvenues, représentées pour l’essentiel par les trous de poteau, et sur les témoins indirects que constituent les matériaux rejetés dans les structures en creux.

Les matériaux de construction en position secondaireLa présence dans les comblements, soit en mottes, soit en couches massives, de limon à inclusions sableuses,

ou présentant des vacuoles signalant la disparition de macro-restes végétaux, a été mise en relation avec la dégradation d’élévations en terre crue (fig. 8 : 2). De nombreux éléments cuits accidentellement ont conservé une meilleure cohésion, autorisant dans certains cas leur identification 16. La plupart des morceaux prélevés s’apparentent à des revêtements de sols et de parois (placage ou enduit). L’utilisation de l’adobe est clairement attestée dès la transition vie-ve s. Certains fragments, d’identification plus incertaine, ont été retrouvés dans des contextes du milieu du vie s. (phase 4a). L’absence de torchis interroge : alors que l’architecture sur poteaux plantés implique généralement la mise en œuvre de clayonnages enduits de terre, il faut ici plutôt envisager des murs en terre massive entre les supports.

Dans un contexte de plaine alluviale, le recours au limon comme matériau de construction privilégié apparaît naturel. Quelques creusements polylobés, ne présentant pas d’aménagements spécifiques, ont été interprétés comme des fosses d’extraction. Leur volume reste cependant modeste à l’échelle du site. À n’en pas douter, les déblais issus de la multitude d’excavations de l’âge du Fer ont été recyclés dans la construction, fournissant sur la durée un approvisionnement estimé à 3000 m3 17.

Terre et bois ne sont cependant pas exclusifs. La pierre participait également à la conception de l’architecture locale dans une part difficile à estimer. On la rencontre en position d’usage, en calage des poteaux ou dans les foyers à pierres chauffantes, mais aussi dans quelques soubassements de murs exceptionnellement conservés. La récurrence des pierres piégées dans les structures en creux témoigne manifestement d’une utilisation plus commune que ne le laissent supposer les aménagements en place (fig. 8 : 1). En dehors des galets, disponibles localement sur la butte de Pérols, et des travertins, présents dans la vallée du Lez et probablement dans celle de la Lironde, les autres matériaux proviennent de gisements distants de plusieurs kilomètres 18. Leur acheminement témoigne des efforts déployés pour l’aménagement du site.

Diversité des plans et des modes de constructionLes vestiges de la Cougourlude conduisent à envisager plusieurs modes de construction diversement représentés. Le

mieux documenté est celui de la construction sur poteaux plantés. La découverte de quatre solins de pierres, très lacunaires, laisse toutefois envisager l’existence de bâtiments à élévation de terre sur soubassements en dur, dont on ne peut, en l’état, apprécier ni la forme, ni la quantité. De même, un seul bâtiment à murs porteurs en terre implantés en tranchée nous est

16. Les échantillons de matériaux de construction ont été étudiés par C.-A. de Chazelles (CNRS, UMR 5140).17. Le volume foisonné extrait des deux grands fossés s’élève à 1600 m3 sur l’emprise fouillée. Le volume cumulé issu des autres

excavations est estimé à environ 1300 m3.18. Les déterminations pétrographiques ont été réalisées par F. Convertini (Inrap) et C.-A. de Chazelles (CNRS) pour les tufs basaltiques.

Les roches les mieux représentées sont les calcaires grossiers, dont les affleurements se trouvent à 6 km en direction du sud-ouest ou du nord-ouest, les calcaires jurassiques (massif de la Gardiole, 5 km au sud-ouest), les calcaires lacustres et/ou palustres pliocènes (en rive droite du Lez, à 2,5 km), enfin les grès et conglomérats variés qui offrent un large éventail de provenances potentielles. En dehors des roches volcaniques dont l’usage dans la construction n’est pas assuré, les matériaux ayant le plus voyagé sont des plaques de tuf basaltique, retrouvées en masse dans les bâtiments excavés. Les gisements les plus accessibles se trouvent au Cap d’Agde, à environ 50 km au sud-ouest du site. Ces plaques ont pu être utilisées pour la construction de murets, comme l’indique sur certaines, la présence d’un liant de maçonnerie.

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parvenu. La tranchée, par endroits totalement arasée, dessine un plan absidial de 8,60 m de long pour une largeur estimée à 5,40 m. Quatre trous de poteau implantés dans l’espace central pourraient également lui appartenir. La datation de la céramique associée s’inscrit dans la fourchette 570/530 a.C. (phase 4a). Des bâtiments similaires sont attestés à Lattara durant les deuxième et troisième quarts du ve s. 19, également sur le site de la Monédière, à Bessan, dans la première moitié du ve s. 20. Ce type de construction, faiblement ancré dans le sol, ne laisse aucune trace sur les sites arasés. À la Cougourlude, ENS20791 est l’unique représentant du genre. Il atteste l’usage de ce mode de construction et laisse envisager la possibilité d’autres exemples totalement effacés.

Plus de 800 trous de poteau ont été recensés sur la fouille. Irrégulièrement répartis, ils forment par endroits des concentrations denses, témoignant d’espaces au bâti serré et/ou résultant des reconstructions successives (fig. 8 : 3). Au sein de ces nébuleuses, la recherche d’ensembles cohérents s’est appuyée sur l’organisation en plan des supports, la comparaison de leur gabarit, la présence/absence d’un dispositif de calage, la facture de celui-ci, enfin la datation, dans les

19. Lebeaupin & Séjalon 2010 ; Py 2009, 179-181.20. Nickels 1989, 93-99.

| Fig. 8. 1 et 2 : Répartition des matériaux de construction en position secondaire dans les structures en creux de la phase 4, estimés à la fouille selon une échelle de densité de 1 à 4 ; 3 : Carte de densité des trous de poteau (calculé par cellule de 1 m2, avec un rayon de 10 m).

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rares cas où elle est renseignée. Les essais de cartographie sélective fondée sur ces critères se sont, pour la plupart, avérés infructueux. Même dans les secteurs moins criblés, où des ensembles cohérents semblent se dessiner, la restitution en plan de bâtiments susceptibles de tenir debout et a fortiori, l’extrapolation de leur élévation se sont avérées extrêmement difficile. Les hypothèses proposées restent dans leur majorité fragiles. La plupart des plans sont incomplets, même lorsque les trous de poteau sont conservés sur une profondeur considérable. Bien peu présentent un axe de symétrie témoignant de la mise en œuvre d’une charpente à entrait. Il est en général impossible de déceler une hiérarchie entre les supports d’après la taille ou la profondeur des négatifs. De même, les éléments structurant habituellement l’architecture à ossature de bois (poteaux corniers, supports de faîtière) font souvent défaut. Enfin, le gabarit des poteaux a pu être mesuré avec précision à partir de calages bien conservés. À l’exception du bâtiment ENS20797, dont nous reparlerons, ils montrent l’utilisation de bois équarris de dimensions relativement modestes, de 12 à 15 cm de section. Cette série de constats nous conduit à envisager un mode de construction mixte, où les poteaux plantés ne constitueraient pas seuls la structure porteuse du bâtiment, mais seraient accompagnés de murs en terre, montés en bauge ou en adobe. Ainsi, un simple alignement rectiligne de poteaux équidistants pourrait signaler l’axe de faîtière d’un bâtiment, dont les murs périphériques auraient été totalement effacés.

Une trentaine de plans de bâtiment seulement ont pu être individualisés, ce nombre ne reflétant pas la densité du bâti sur le site. Les plans restitués impliquent à peine un quart des trous de poteau relevés, tandis que les constructions sur murs porteurs peu fondés ont, on l’a vu, été totalement effacées. Le corpus rassemblé traduit une grande diversité des formes et des superficies (fig. 9). Plus de la moitié sont de plan quadrangulaire, délimité par les poteaux corniers ou par une série de supports périmétraux rapprochés. Parmi eux, certains qualifiés arbitrairement d’appentis, se caractérisent par l’absence de poteau intermédiaire sur l’un des grands côtés. Ils sont soit largement ouverts sur une façade, soit adossés à un mur en terre disparu. Six autres exemples présentent un ou deux supports déportés à l’extérieur d’un des murs pignons amenant à restituer une extrémité à pans coupés. Des bâtiments à abside sont également attestés, généralement pourvus d’une ligne de supports internes sur l’axe médian, témoignant d’une toiture à double pente. Leur extrémité arrondie est matérialisée par une série de poteaux disposés en arc de cercle, selon un rythme plus serré que sur les autres façades, pour lesquelles les murs porteurs en terre massive sont sans doute privilégiés. La détection, sur le site, d’autres ensembles de trous de poteau dessinant des arcs de cercle de dimensions compatibles avec les exemples précédents peut signaler la présence de bâtiments dont seule l’extrémité arrondie serait armée de poteaux. En Gaule méditerranéenne ce type de plan à simple ou double abside apparaît dès le Néolithique récent/Chalcolithique et se perpétue jusqu’à la fin du Premier âge du Fer avec des modes de construction très variés. Pour cette dernière période, les bâtiments de plan absidial correspondent le plus souvent à des constructions isolées, dans des habitats en ordre lâche 21 ; ils deviennent marginaux avec le développement d’un urbanisme plus régulier 22. Il s’agit d’une solution technique facilitant la mise en œuvre des toitures et offrant une meilleure résistance au vent. À la Cougourlude toutefois, l’orientation variable des bâtiments ne traduit pas la volonté de les inscrire dans le lit du vent dominant.

Quelques plans singuliers sont également apparus. Un ensemble en “trou de serrure” se distingue nettement dans un secteur à faible densité de vestiges. Le corps principal est une unité presque circulaire, de 8,50 m sur 7,50 m, délimitée par neuf poteaux. La présence d’une vaste fosse a pu occulter des supports intermédiaires au sud-ouest. Un appendice trapézoïdal lui est accolé au sud-est. L’interprétation de cet ensemble est équivoque. Il pourrait également correspondre à un enclos avec dispositif d’entrée. Toutefois, le calibre important des trous de poteau, leur confortement par des calages de pierres s’accordent avec l’hypothèse d’un bâtiment. Plus au nord, l’ENS20797 possède, selon l’option de restitution retenue, un plan similaire. Cette construction se singularise nettement par la puissance de ses supports. Les calages sont élaborés à l’aide de dalles et blocs calcaires disposés de chant, dans des avant-trous profonds, et pouvant être complétés par une dalle posée à plat au fond du creusement (fig. 9). La forme de ces coffrages permet de restituer des poutres de soutènement de section rectangulaire, de 20 à 30 cm de côtés, soit le double du calibre habituellement utilisé sur le site. La seule prise en compte des supports les plus importants, conservés sur 0,25 à 0,40 cm de profondeur, permet de restituer un bâtiment de plan ovalaire, orienté est/ouest, de 8 m de long sur 6,20 m de large, couvrant une superficie de 38 m². La seconde proposition intègre des trous de poteau plus arasés, qui n’ont manifestement pas le même rôle de soutien mais peuvent servir de renfort de cloison ou de support d’appentis. Le plan ainsi restitué s’apparente alors à celui de l’ENS25094 :

21. Bâtiments à double ou simple abside, en terre et bois attestés par exemple à Ruscino, Perpignan (Marichal & Rébé 2003) et à Mailhac, “le Traversant” (Gailledrat et al. 2006-2007).

22. Garcia & Treziny 2010.

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| Fig. 9. Quelques exemples de bâtiments sur poteaux de la Cougourlude.

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bâtiment quasi circulaire doté d’un appendice d’entrée, avec une superficie comparable (66 m²) (fig. 9 et 10). La puissance des supports illustre la nécessité de soutenir une élévation d’un poids considérable. L’hypothèse d’un grenier surélevé paraît cependant difficilement envisageable en raison de la grande portée de l’axe médian (plus de 8 m). Une poutre de cette longueur n’aurait pu supporter un plancher et sa charge de denrées stockées sans support intermédiaire. On peut également imaginer un bâtiment doté d’une certaine élévation, lui prodiguant un caractère plus ostentatoire que les autres constructions.

En marge des constructions de surface, trois bâtiments semi-excavés ont été mis en évidence, implantés en bordure du grand fossé FO20477, à la fin du vie s. À l’est, l’UNF20762 occupe une excavation de plan globalement rectangulaire, prolongé à l’est par un appendice rétréci. L’ensemble mesure 13 m de long pour 6,50 m de large et couvre une surface avoisinant 65 m². Une double rangée de supports axiaux invite à restituer une couverture, qui pouvait reposer sur des murs en terre implantés en périphérie du creusement. Les couches d’occupation et la présence d’aménagements domestiques (foyers de petite taille, supports ou banquettes) incitent à interpréter cet espace comme une unité d’habitation (fig. 11). Immédiatement à l’ouest de la précédente, la deuxième unité se caractérise par un plan oblong plus étroit, sans aménagement particulier. Elle pourrait correspondre à une annexe de type resserre. La troisième, localisée sur le même alignement, occupe une excavation de plan ovoïde, prolongée à l’est par un appendice (fig. 12). Elle a connu dans un bref laps de temps une succession de

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| Fig. 10. Photo verticale du grand bâtiment sur poteau (ENS20797) et du bâtiment absidial à tranchée d’implantation ENS20791.

plaquettes de tuf basaltiquegalets chau�éscéramiquefaune

calagetrou de poteau

foyer

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UNF20762

FossémoderneFO20190

FO20426

FO20420

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SB20985

FY20776FY20777

| Fig. 11. Relevé en plan du bâtiment excavé UNF20762 avec les derniers niveaux d’occupation.

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phases d’aménagement, dont le point commun est le maintien d’un grand foyer de 2 m de diamètre, occupant l’espace central. Autour de la structure de combustion s’organisent des aménagements bâtis en pierre évoquant des banquettes ou des plateformes pouvant accueillir des conteneurs de stockage en terre crue. La taille de la zone foyère, occupant la plus grande partie de l’espace disponible conduit à écarter pour ce bâtiment excavé l’interprétation en maison d’habitation et à préférer celle d’une unité fonctionnelle. En l’absence d’indices d’activité artisanale, on peut envisager un espace dévolu à la cuisson de grande quantité de denrées, peut-être d’usage collectif, ou encore un aménagement lié au fumage ou au séchage.

Ce rapide panorama des vestiges architecturaux de La Cougourlude illustre la variété des modes de construction mis en œuvre et la diversité des plans de bâtiments. Aucune évolution chronologique ne peut ici

être esquissée, la majorité des bâtiments restitués n’étant pas datés précisément. La morphologie d’une construction dépend aussi, entre autres critères, de l’usage auquel elle est destinée. En dehors des “cabanes excavées”, dans lesquelles les niveaux sont conservés en place, la disparition des couches d’occupation et des aménagements superficiels nous prive malheureusement d’informations précieuses sur les activités pratiquées et la fonction de ces espaces. Un simple classement par la superficie peut donner quelques orientations. Considérant que l’espace n’est pas contraint sur le site, nous avons écarté la fonction d’unité d’habitation pour les constructions de petite taille, dont la surface est inférieure à 15 m² et les avons identifiées en annexes, greniers surélevés ou resserres. 13 ensembles s’inscrivent dans cette catégorie (fig. 13). Les

| Fig. 12. Photo verticale de l’UNF20627 en cours de fouille (le Nord est en bas du cliché).

| Fig. 13. Diagramme des dimensions des bâtiments restitués, représentés en fonction de leur forme.

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plans sont le plus souvent quadrangulaires, à 4 ou 6 poteaux. Deux bâtiments à pans coupés et une petite unité circulaire rentrent également dans cette classe. Les bâtiments de taille moyenne, couvrant 15 à 35 m² peuvent intégrer des maisons. Cette catégorie rassemble une grande diversité de formes : bâtiments quadrangulaires, à pans coupés ou à abside. Enfin un groupe de constructions plus vaste se détache, dont la surface est comprise entre 45 et 65 m². Les deux grandes “cabanes excavées” appartiennent à cette catégorie : unité domestique pour l’une, fonctionnelle pour la seconde. Y participent également les deux ensembles atypiques, “en trou de serrure”, dont l’architecture pourrait être plus ostentatoire.

On rappellera cependant la fragilité des hypothèses de restitution et le caractère incomplet du corpus rassemblé. Parmi les plus petites unités, quelques ensembles de trous de poteau pourraient représenter les seuls éléments conservés de bâtiments plus vastes. Il serait vain, en l’état des données et au stade de leur exploitation d’envisager une extrapolation de la fonction des bâtiments à partir de leur plan ou de tenter une hiérarchisation entre les différents édifices.

Une multitude d’équipements connexes

Le plan du site laisse apparaître un semis dense de creusements dont la fonction originelle reste souvent incertaine. Les structures de combustion sont les plus aisément identifiables. Les mieux représentées sont les foyers à pierres chauffantes, au nombre de 43. Ce type d’aménagement est largement répandu depuis le Néolithique jusqu’au Premier âge du Fer et répond à diverses appellations : fosses à galets chauffés, fours polynésiens… Le principe de fonctionnement le plus communément admis est celui de l’utilisation des propriétés calorifères des pierres préalablement chauffées pour obtenir une répartition homogène de la chaleur sur l’ensemble du foyer et permettre la cuisson à l’étouffée.

Les exemplaires de la Cougourlude/Mas de Causse sont assez stéréotypés : fosse d’installation de forme allongée, de 1,70 m sur 1 m de dimensions moyennes, pour une profondeur conservée de l’ordre de 0,20 m, incluant une séquence de remplissage composée en premier lieu, d’une couche charbonneuse illustrant l’allumage du foyer destiné à chauffer les pierres, puis le lit de pierres thermoaltérées, éventuellement scellé par un niveau d’abandon. Le mode de fonctionnement de ces structures, avec conduite d’un grand feu ouvert, implique une implantation en espace extérieur. Plusieurs regroupements, sous forme d’alignements rassemblant jusqu’à neuf foyers, ont été constatés. La présence de ces ensembles, parfois en marge des espaces densément occupés, tend à les extraire de la sphère strictement domestique. Le fonctionnement simultané, en batterie, de ces structures de combustion n’est pas assuré. Le cas échéant, elles traduiraient un événement ponctuel tel la cuisson de grandes quantités de nourriture lors d’un repas collectif ou encore une activité spécialisée. Parmi celles-ci, la conservation ou le traitement des denrées a parfois été évoqué : fumage de la viande, séchage du grain ou de fruits… Dans le cas d’un fonctionnement asynchrone, leur regroupement témoigne du maintien d’un espace consacré à cette activité au sein du village.

De rares foyers construits, constitués par une chape d’argile épandue sur un lit de pierres ou de tessons d’amphores, nous sont parvenus. De fait, l’arasement par les labours des niveaux superficiels a ici entraîné un déficit des foyers domestiques, omniprésents dans les maisons protohistoriques dont les sols sont conservés. Les morceaux de sole rejetés dans les dépotoirs et la récurrence des couches charbonneuses se font l’écho de ces aménagements disparus. Il en est de même des fours fermés, dont la superstructure n’est qu’exceptionnellement conservée.

Enfin, la fouille du secteur de Mas de Causse II a livré un four semi-excavé daté de la première moitié du ve s. (fig. 14). La chambre de chauffe, d’un mètre de diamètre, est conservée sur 0,16 m de profondeur. Une pile centrale, réservée dans le limon encaissant, servait à soutenir la sole. La chambre communique par un étroit alandier avec l’aire de travail, également excavée. La sole

| Fig. 14. Le four semi-excavé FR40327, daté de la première moitié du ve s. La sole perforée et des éléments de la voûte ont été rejetés dans la fosse située en arrière de l’aire de travail (au premier plan).

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perforée, de 5 cm d’épaisseur, a été rejetée dans une fosse voisine, accompagnée des morceaux de la voûte. À proximité du four, deux creusements cylindriques profonds sont interprétés comme des puisards. Comblés par des rejets charbonneux, ils peuvent lui être associés. Par ses caractéristiques techniques, ce four s’apparente aux fours de potier contemporains découverts à Béziers et à Aspiran 23. Si aucun raté de cuisson ne vient la confirmer, la présence d’un petit atelier de production céramique à Mas de Causse reste envisageable.

Parmi les excavations en tous genres, un certain nombre ont été interprétées comme des structures de stockage. Les silos enterrés sont faiblement représentés. Une trentaine de creusements tout au plus, soit 1,7 % des structures de l’âge du Fer, peuvent prétendre à cette identification par leur profil ampoulé ou tronconique (fig. 15). Ils sont insérés au sein de l’habitat et si une densité plus grande est perceptible au Mas de Causse II (18 silos/ha et 3 % des structures de l’âge du Fer contre 9 silos/ha et 1,3 % à la Cougourlude), aucune aire strictement réservée à l’ensilage n’a été reconnue. Les silos du site sont de petites dimensions, avec des capacités utiles estimées entre 0.5 et 1,5 m3. Vu leur taille, ils peuvent être considérés comme les réserves de semences attachées à une unité d’exploitation. D’autres fosses, dotées d’un dispositif d’accès, pouvaient également être destinées au stockage : fosses à emmarchement, ovalaires ou circulaires, à fond plat ; ou encore caves rectangulaires, à parois verticales (fig. 16). Certaines présentent des logettes pouvant accueillir des récipients. Aucune de ces structures n’est clairement intégrée dans un des bâtiments restitués. Cependant, la récurrence des matériaux de construction piégés dans leur comblement, ainsi que la faible érosion de leurs parois, laissent supposer qu’elles étaient abritées. En limitant les écarts de température et d’hygrométrie, ces structures excavées favorisaient la conservation des denrées. Elles présentaient en outre l’avantage par rapport au silo d’autoriser un accès répétitif et un contrôle permanent des produits. Elles ont pu abriter une partie des réserves alimentaires et des semences, dans un objectif de conservation à court et moyen terme. Ces modes de stockage souterrain étaient complétés par les équipements de surface : cuves en torchis, dont de nombreux fragments ont été collectés, récipients en céramique, bien que les fragments de dolia soient particulièrement rares, ou encore contenants en matière périssable. Enfin, de petites constructions sur poteaux pourraient correspondre à des greniers surélevés. Ces différents dispositifs possèdent des qualités variables sur les plans du volume et du type de produit stocké, du stade de transformation de celui-ci, de la durée de la conservation, enfin de l’accessibilité au produit. Ils ont été utilisés conjointement, répondant à des besoins

23. Ugolini 2010.

| Fig. 15. Vue de la couche dépotoir dans le silo SI20715.

| Fig. 16. La cave FS30269 : des banquettes ou supports sont ménagés le long des parois. L’emmarchement servant de dispositif d’accès est visible à l’arrière plan.

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| Fig. 17. Cartographie des différents dispositifs de stockage et répartition des instruments de mouture.

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complémentaires. Leur localisation en plan montre une imbrication de ces différentes catégories, et leur lien avec les zones de plus grande concentration du bâti, révélées par la densité des matériaux de construction ou des trous de poteau (fig. 17). La carte de répartition des meules, objets représentatifs du dernier stade de traitement des grains avant consommation, se superpose à la précédente. Stockage et mouture partagent les mêmes espaces. Ces différents vestiges appuient le caractère domestique des structures de stockages rencontrées, étroitement imbriquées au sein des espaces habités. Leur nombre limité, toutes catégories confondues, et leur faible capacité contribuent à les associer à la sphère privée. Sans exclure la possibilité d’une aire spécifiquement consacrée à cet usage en un autre point du site, non exploré, avec regroupement de silos et greniers, aucun indice de centralisation du stockage ne transparaît à la Cougourlude/Mas de Causse. En considérant la seule emprise étudiée, les réserves alimentaires et les semences sont gérées à l’échelle de la cellule domestique, constituant une unité d’exploitation, ou éventuellement, mutualisées entre un petit nombre de ces unités. Les surplus destinés à l’échange seraient rapidement écoulés sur le marché, sans recours à un “stockage tampon”.

Une agglomération en ordre lâche

La lecture du plan de la Cougourlude/Mas de Causse ne révèle pas d’organisation à grande échelle de l’habitat. En dehors des grands fossés pouvant diriger localement l’orientation des aménagements installés à leur abord, constructions et structures en creux sont disposées en tous sens, semblant occuper de proche en proche tout l’espace disponible (fig. 18). Par endroits, des regroupements de fosses en chapelet, parfois sur plusieurs dizaines de mètres linéaires peuvent signaler une contrainte spatiale, telle un axe de circulation ou une limite foncière dont la matérialisation ne nous est pas parvenue. Plusieurs segments de fossés servaient en outre de partition interne, tout comme certains alignements de poteaux, interprétés comme des palissades. Des zones vierges peuvent correspondre à des espaces ouverts au sein de l’habitat. L’articulation de l’ensemble de ces aménagements n’est cependant pas perceptible. La restitution des cheminements au sein des zones densément occupées s’est avérée impossible, sans doute du fait de leur mobilité. Il n’y a pas à la Cougourlude de plan d’urbanisme préconçu, conditionnant l’implantation des constructions en îlots structurés par une trame viaire pérenne. L’impression qui se dégage est celle d’une agglomération, au sens littéral, des aménagements ; d’un développement de l’habitat par coalescence des noyaux d’occupation.

En l’état d’avancement des travaux, nous n’avons pas réussi à individualiser d’entités pouvant correspondre à une unité de base, regroupant maison d’habitation et équipements connexes. Aucun module un tant soit peu stéréotypé n’a été mis en évidence, que ce soit en terme de plan de bâtiment ou d’association des différentes catégories d’aménagements.

Une étroite imbrication des activitésDes secteurs à vocation spécifique semblent se dégager, sans grande précision sur la nature des activités. En divers

points du site, les regroupements de foyers à pierres chauffantes témoignent d’espaces dévolus à la cuisson en masse des aliments ou à des traitements de conservation des denrées. La taille du grand foyer installé dans un des bâtiments excavés laisse également supposer un usage collectif ou une activité spécialisée. En l’absence de déchets artisanaux, le séchage ou le fumage est ici envisageable.

Au Mas de Causse II, un petit ensemble de structures (puisards, fosses) organisé autour d’un four à sole suspendue et délimité par une palissade pourrait signaler une activité artisanale, peut-être liée à la production de poterie. La métallurgie est également attestée. En témoigne la découverte de quelques fragments de culots de forge et de scories de fer. Des coulures de plomb et des chutes en alliage cuivreux pourraient se rapporter à celle des alliages. Aucun aménagement ne peut cependant être mis en relation avec ces activités, tandis que les déchets sont dispersés du nord au sud de la fouille. Rien ne permet d’envisager la présence d’un quartier voué à cet artisanat à La Cougourlude / Mas de Causse, du moins dans l’emprise explorée. La faible quantité des déchets et leur dispersion laissent supposer la pratique d’une métallurgie de proximité, liée au recyclage ou à la réparation d’objets plutôt qu’à la production.

Dans l’ensemble, la nature des aménagements et la composition des dépotoirs reflètent avant tout les activités domestiques : stockage à petite échelle, préparation des repas et consommation, petit artisanat domestique (filage, tissage). La répartition des indices montre une imbrication étroite de l’ensemble de ces activités.

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| Fig. 18. Répartition des différentes catégories d’aménagements dans le secteur central (hors structures antérieures à la phase 4).

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Une large diffusion des biens de consommationPeut-on, à la lumière des données recueillies, délimiter des secteurs privilégiés au sein de l’habitat ? La présence de

quelques grands bâtiments, rassemblés dans une large zone centrale, peut traduire une certaine aisance, face aux unités plus petites. Mais les données sur l’architecture sont par trop lacunaires pour asseoir un classement des habitations. On retiendra cependant le bâtiment ENS20797, qui se distingue nettement par le caractère massif de ses supports, en capacité de recevoir une élévation importante. Sa position, en bordure d’un fossé de délimitation interne, peut signaler une volonté d’isolement. Il jouxte de plus le plus riche dépotoir du site (FS20032), en termes de volume comme de variété du mobilier. La fonction de cette construction singulière n’est pas définie. Faut-il y reconnaître une habitation de rang plus élevé ou un édifice à caractère public, à fonction utilitaire, politique ou symbolique ? L’absence d’exemple de comparaison ne facilite pas son interprétation.

Si une hiérarchisation sociale devait exister à la Cougourlude, l’analyse du contenu des dépotoirs ne montre guère de distorsion mettant en lumière des faciès de consommation contrastés suivant les secteurs. Les amphores vinaires apparaissent partout en grand nombre. Leur association avec des pièces de vaisselle liées au service de la boisson démontre que leur présence dans les dépotoirs n’est pas, du moins pas seulement, liée à une activité de reconditionnement pour diffusion, ou encore au seul recyclage des encombrants, mais elle reflète une consommation généralisée du vin. Les objets pouvant être considérés comme des biens de prestige (céramique attique, mobilier métallique ou en verre), sont également largement diffusés (fig. 19).

Le volume considérable des dépotoirs, toutes catégories de matériel confondues, indique une consommation soutenue. La masse de produits importés et l’usage d’objets luxueux (vaisselle en bronze, vases à parfum en verre) témoignent de la grande prospérité du site, prospérité en apparence largement répartie sur l’ensemble de l’habitat. Cette participation active aux réseaux de commerce méditerranéen soulève la question des marchandises échangées en contrepartie. L’indigence des témoins d’activité artisanale conduit à minimiser la part des objets manufacturés dans ces échanges. Les productions agricoles devaient constituer l’essentiel des exportations. La Cougourlude bénéficie d’un environnement offrant des potentialités agronomiques variées autorisant une exploitation diversifiée. Cultures céréalières (orge vêtue, blé amidonnier, blé nu, millet…), peut-être viticulture (présence de pépins de raisins correspondant au morphotype domestique), élevage (essentiellement bovin), sont attestés par les déchets de consommation 24. La proximité des étangs rend plausible la production de sel, même si nous n’en possédons aucun indice, et l’exportation de viande sous forme de salaisons. La population d’agriculteurs-éleveurs rassemblée à la Cougourlude a pu ainsi échanger avec profit le surplus de ses productions. Implanté sur une voie de communication reliant l’oppidum de Sextantio, à 7 km au nord, le site a pu en outre jouer le rôle d’une place d’échange avancée, assurant la redistribution des produits méditerranéens vers l’arrière-pays et ajoutant à ses revenus une plus-value sur les transactions.

un territoire préCoCement struCturé

La multiplication des interventions d’archéologie préventive dans la région montpelliéraine nous permet aujourd’hui d’avoir une vision plus précise de l’évolution de l’occupation des sols de la basse vallée du Lez. Alors que plusieurs petits habitats dispersés sont recensés au début du Premier âge du Fer dans la région de Lattes et sur le rivage de l’étang de Mauguio, on assiste durant le vie s., à une concentration de l’occupation à l’intérieur des habitats groupés, la Cougourlude puis Lattara. En dépit de l’intensification des recherches archéologiques, aucun autre site d’habitat n’est pour l’heure connu dans le secteur pour la fin du vie et le ve s., tandis que les découvertes relevant du domaine funéraire se multiplient pour cette même phase (fig. 20).

À 1,6 km à l’est de La Cougourlude, soit à moins d’une demi-heure de marche, au lieu-dit “La Pailletrice”, quatre enclos funéraires circulaires, datés de la fin du vie-début ve s. a.C., et deux enclos rectangulaires non datés, s’organisent de part et d’autre de la voie romaine reliant Lattes à Mauguio, laissant supposer l’ancienneté de cet itinéraire. L’un des monuments a conservé sa sépulture : le dépôt secondaire de crémation, placé dans une œnochoé en pâte claire massaliète enfouie sous un tertre peu élevé, est accompagné par les restes d’un bassin étrusque à rebord perlé et d’une coupelle ou

24. Les premières études carpologiques ont été réalisées par I. Figueiral (Inrap) et L. Bouby (CNRS), celle de la faune a été menée par I. Rodet-Belarbi.

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| Fig. 19. Répartition du “mobilier de prestige” lors de la phase 4 : céramique attique (1) ; objets en bronze et en verre (2).

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| Fig. 20. Carte des voies anciennes et des indices des vie-ve s. a.C. dans le secteur de Lattes. 1 : ZAC des portes de la Mer III (Vignaud et al. 1999) ; 2 : Les Cauquillous (Dedet & Sauvage 1998) ; 3 : La Cavalade ; 4 : La Céreirède (Bel & Conche 2003) ; 5 : Soriech (Landes 1988) ; 6 : La Pailletrice (Daveau & Dedet 2010) ; 7 : Guillermain (Dedet & Py 1985) ; 8 : Bosc Vielh (Dedet & Py 1985) ; 9 : Le Salaison (Dedet & Py 1985) ; 10 : La Capouillère (Dedet & Py 1985) ; 11 : Tonnerre (Dedet & Py 1985) ; 12 : La Vineuse (Vial 2003).

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simpulum en bronze 25. En 2013, une extension de la fouille a livré de nouveaux enclos, révélant l’extension de la zone funéraire en direction de la Cougourlude, et a mis en évidence les niveaux de circulation de l’âge du Fer, antérieurs à la chaussée romaine 26.

À la Céreirède, en rive droite du Lez, à 1,5 km au nord-ouest de la Cougourlude, la fouille menée sur 2,5 ha a livré un chemin creux antique bordé de douze sépultures s’échelonnant entre la seconde moitié du vie a.C et les iiie-ive s. p.C. 27. Sur le site, la tombe la plus ancienne est isolée chronologiquement, mais sa présence au sein d’un ensemble funéraire occupé sur la longue durée plaide en faveur d’une origine ancienne de l’axe de circulation, dont le tracé est contraint par un passage à gué, au sud de la fouille.

À 3 km au nord de notre site, aux Cauquillous, deux enclos datés du dernier quart du vie s. a.C. se côtoient, l’un circulaire, l’autre rectangulaire 28. Le monument circulaire s’inscrit par ailleurs dans l’angle formé par deux axes de circulation datés de la période romaine, mais dont l’origine doit sans doute remonter au Premier âge du Fer. En effet, en bordure d’un des deux chemins, à 300 m au sud-ouest, un autre enclos circulaire de la fin du Premier âge du Fer a été mis au jour lors d’une campagne de diagnostic 29. Plus récemment encore, la suite de la voie nord-sud des Cauquillous a été mise en évidence sur le tracé de la ligne LGV et du doublement de l’autoroute A9, sur la fouille de la Cavalade. Le décapage de 6 ha a en outre révélé un nouvel enclos circulaire, près de la voie. Le mobilier métallique et céramique inclus dans le comblement du fossé est daté de la seconde moitié du vie s. a.C. 30. L’itinéraire matérialisé par la voie romaine devait relier dès la Protohistoire l’oppidum de Sextantio au rivage lattois. Empruntant la rive gauche de la Lironde, il croisait, ou rejoignait, la voie Lattes – Mauguio à proximité de la Cougourlude/Mas de Causse. Ce même itinéraire dessert Soriech, où huit bassins en bronze à rebord perlé, d’origine étrusque, ont été exhumés à la fin du xixe s. 31. Le contexte de découverte de ces objets demeure inconnu. L’hypothèse d’une riche sépulture a été avancée. Cependant, au contraire des exemplaires de la Céreirède et de la Pailletrice, ils ne portent aucune trace d’un passage au feu, du moins pour les deux qui nous sont parvenus 32. De plus, les fouilles récentes réalisées au Mas de Causse, en marge de l’habitat de la Cougourlude et tout près de Soriech, apportent un éclairage nouveau sur cette découverte. La présence de plus de 300 disques en bronze de typologie étrusque, mobilisés dans une couche de colluvions formée au milieu du ve s. a.C., laisse envisager la proximité d’un ancien lieu de culte démantelé, situé plus haut sur le versant 33. Dans ce cadre, les bassins de Soriech pourraient également correspondre à un dépôt votif et signaleraient peut-être un autre lieu de culte répondant, sur l’éminence voisine, à celui du Mas de Causse.

Ce mode d’implantation, en bordure des axes de circulation, sans relation de proximité immédiate avec un habitat, est une caractéristique partagée par les zones funéraires contemporaines de la plaine deltaïque. Le nombre restreint de sépultures qui les composent témoigne d’un recrutement sélectif des individus dont les tombes nous sont parvenues. Une architecture monumentale et/ou un mobilier d’accompagnement prestigieux leur confèrent un caractère exceptionnel. En l’absence d’autre habitat contemporain reconnu, les tombes les plus anciennes de la série peuvent être rattachées au site de la Cougourlude. Ancrées le long des chemins à des points remarquables, carrefours, confronts de parcelles, gués…, leur signification doit être envisagée sous un angle symbolique, en tant qu’éléments du marquage du territoire. A contrario, nous ne connaissons pas les nécropoles des habitats groupés, Lattara et la Cougourlude. Un état encore partiel des connaissances en est sans doute responsable, mais les observations récentes invitent d’ores et déjà à écarter, pour ces sites, le modèle d’un espace funéraire unique et exclusif.

25. Daveau & Dedet 2010 ; Daveau & Dedet à paraître.26. Com. or. F. Ruzzu, Archéodunum.27. Bel & Chardenon 2003 ; Bel & Conche 2003.28. Sauvage 1998 ; Dedet & Sauvage 1998.29. Vignaud et al. 1999.30. Com. or. : F. Convertini, Inrap.31. Landes 1988 ; Landes 2003 ; Pernet 2010.32. Les deux pièces ont été données en 1896 à la Société archéologique de Montpellier par M. de Fortanier, propriétaire du domaine. Le

sort des six autres demeure inconnu (Landes 1988).33. Newman 2010 ; Feugère & Newman 2010.

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Comme à Nîmes, où l’origine protohistorique d’une partie du réseau viaire a été mise en évidence 34, les axes de circulation, jalonnés de tombes sont ici en place dès le vie s. a.C. et forment un réseau dense 35. La vocation funéraire de ces mêmes espaces est le plus souvent maintenue sur la durée, voire réaffirmée après plusieurs siècles. Cette rémanence témoigne d’une structuration de l’espace lattois effective dès le vie s., soit avant la fondation de Lattara.

Marquage pérenne du territoire, concentration des populations au sein de l’habitat groupé, implantation de lieux de culte, à Mas de Causse et peut-être à Soriech, peuvent être considérés comme les manifestations d’une construction communautaire accompagnant l’essor de la Cougourlude.

ConCLusion

La fouille de l’habitat de la Cougourlude / Mas de Causse vient renouveler les connaissances sur l’occupation de cette partie du Languedoc au Premier âge du Fer et sur le contexte d’implantation de la ville de Lattara. Habitat rural ne se démarquant pas, à l’origine, des gisements environnants, il connaît un essor spectaculaire dans le courant du vie s. Son implantation privilégiée, au carrefour des voies fluvio-maritime et terrestre, constitue certainement le catalyseur de sa réussite, dans un contexte de mise en place des réseaux d’échanges avec les sociétés méditerranéennes. L’accroissement de sa population, perceptible par son expansion et par la densification de ses aménagements, l’assimile dès le milieu du siècle à un habitat groupé. En dépit d’une hausse de sa prospérité et de contacts répétés avec les négociants méditerranéens, le site conserve ses caractères traditionnels, dans son organisation et dans la forme de ses aménagements. On ne voit pas, ici, se mettre en place un plan rationnel, dirigeant l’implantation des constructions et des espaces de circulation, la multiplication des installations paraissant à première vue désordonnée. Pourtant, le site de la Cougourlude/Mas de Causse s’inscrit bien dans la problématique de la proto-urbanisation de l’habitat gaulois méridional. Il rassemble en effet plusieurs des marqueurs urbains communément admis 36. La concentration de la population, au détriment des habitats environnants, en constitue le plus évident. Un rôle actif dans les circuits d’échange en est un autre. Il sous-entend, à l’échelle du territoire, une gestion agricole performante, en capacité de dégager des surplus, et la mise en place de mécanismes de redistribution. Tout ceci implique une organisation sociale complexe, dont on peine à lire l’expression sur le site. Pour l’heure, aucun espace ou bâtiment public pouvant révéler l’exercice de fonctions politiques ou la centralisation des productions n’a été identifié. La mise en œuvre d’ouvrages importants, tels les fossés d’enceinte, traduit cependant une organisation structurée de cette société et sa capacité à planifier des travaux collectifs, tandis que leur signification symbolique, affirmant la volonté d’une délimitation spatiale, ne doit pas être négligée. Les données recueillies lors de la fouille ne permettent pas non plus de définir clairement des marqueurs sociaux révélant une hiérarchie entre les habitants. Rappelons que seule une partie du site a été explorée, évaluée à moins de 20 % de sa superficie totale, des ensembles plus explicites pouvant se trouver hors de l’emprise de fouille. Les découvertes récentes réalisées dans les environs apportent un éclairage complémentaire. L’existence d’une classe privilégiée nous apparaît au travers des pratiques funéraires, avec la multiplication, à partir du milieu du vie s., de tombes monumentales. Leur implantation, en bordure d’axes de circulation pérennisés à l’époque romaine, indique la fixation dès la fin du Premier âge du Fer des lignes de force du territoire.

La fondation de Lattara, vers 500 a.C., intervient donc dans un territoire contrôlé et géré par une communauté indigène fortement structurée, insérée depuis plusieurs décennies dans les circuits d’échanges méditerranéens. La nécessité d’améliorer les conditions de ce commerce par la création d’un nouveau port doté d’un accès maritime plus direct a sans doute motivé cette installation. La mise en œuvre de techniques constructives inusitées en Languedoc et de fait totalement inconnues à la Cougourlude indique, à Lattara, l’intervention d’acteurs étrangers. Pour autant, cette implantation n’a pu se faire sans le concours des habitants de l’agglomération voisine et de leur principal partenaire, à savoir Marseille. L’hypothèse d’un comptoir établi par les Etrusques se trouve ainsi fragilisée. Prévaut aujourd’hui celle d’un emporion accueillant des communautés de marchands de diverses origines 37. Seule cependant la poursuite de la fouille des niveaux anciens de Lattara pourra apporter des éléments de réponse sur ce point.

34. Séjalon et al. 2009.35. Bel & Daveau 2008.36. Galinié 2009.37. Daveau & Py à paraître.

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