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Dépistage des troubles du langage oral chez l’enfant et leur classification Identification of language disorders in childhood to help prevent illiteracy C. Billard (Neurologue et pédiatre) Centre de référence sur les troubles du langage de l’enfant, hôpital Bicêtre, 78, rue du général-Leclerc, 94275 Le Kremlin Bicêtre, France MOTS CLÉS Langage oral ; Enfant ; Dépistage ; Orthophonie KEYWORDS Oral language; Child; Early identification; Orthophony Résumé Un dépistage précoce des troubles du développement du langage oral est une condition essentielle à une action efficace sur le cercle vicieux de l’échec scolaire et de ses conséquences psychoaffectives. Un réel effort de développement existe depuis quelques années, tant en termes d’instruments de dépistage que de batteries d’évalua- tion diagnostique précise. Les troubles du langage n’ont pas une valeur univoque : ils peuvent s’inscrire dans une autre pathologie primitive (comme la surdité, la déficience mentale ou les troubles envahissants du développement), ou bien être isolés, primitifs et spécifiques. Cette distinction est essentielle pour l’orientation thérapeutique. Une prise de conscience se profile chez les professionnels de la santé et de l’éducation nationale sur l’insuffisance des moyens mis en œuvre pour le diagnostic, le traitement et la pédagogie appropriés aux enfants porteurs de troubles spécifiques du développement du langage oral. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Early identification of disorders of oral and written language development is essential for effective action before the vicious circle of educational failure and psycho- social consequences becomes established. Although there are still few diagnostic tools and they have not been fully evaluated, considerable effort has been made in recent years to develop instruments for detection as well as creating batteries for precise diagnostic evaluation. Language disorders may be related to another primitive disability (such as mental deficiency or deafness...). The classification of language disorders between two groups: secondary or specific, is essential for treatment. There has been growing awareness among health and education professionals that the means of recognizing, treating and teaching children with specific oral language disorders are inadequate, particularly as developments in cognitive neuropsychology have provided new approaches and treatments for such language disorders. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Adresse e-mail : [email protected] (C. Billard). EMC-Oto-rhino-laryngologie 1 (2004) 126–131 www.elsevier.com/locate/emcorl © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/S1762-5688(03)00006-X

Dépistage des troubles du langage oral chez l’enfant et leur classification

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Dépistage des troubles du langage oralchez l’enfant et leur classification

Identification of language disordersin childhood to help prevent illiteracy

C. Billard (Neurologue et pédiatre)Centre de référence sur les troubles du langage de l’enfant, hôpital Bicêtre,78, rue du général-Leclerc, 94275 Le Kremlin Bicêtre, France

MOTS CLÉSLangage oral ;Enfant ;Dépistage ;Orthophonie

KEYWORDSOral language;Child;Early identification;Orthophony

Résumé Un dépistage précoce des troubles du développement du langage oral est unecondition essentielle à une action efficace sur le cercle vicieux de l’échec scolaire et deses conséquences psychoaffectives. Un réel effort de développement existe depuisquelques années, tant en termes d’instruments de dépistage que de batteries d’évalua-tion diagnostique précise. Les troubles du langage n’ont pas une valeur univoque : ilspeuvent s’inscrire dans une autre pathologie primitive (comme la surdité, la déficiencementale ou les troubles envahissants du développement), ou bien être isolés, primitifs etspécifiques. Cette distinction est essentielle pour l’orientation thérapeutique. Une prisede conscience se profile chez les professionnels de la santé et de l’éducation nationale surl’insuffisance des moyens mis en œuvre pour le diagnostic, le traitement et la pédagogieappropriés aux enfants porteurs de troubles spécifiques du développement du langageoral.© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract Early identification of disorders of oral and written language development isessential for effective action before the vicious circle of educational failure and psycho-social consequences becomes established. Although there are still few diagnostic toolsand they have not been fully evaluated, considerable effort has been made in recent yearsto develop instruments for detection as well as creating batteries for precise diagnosticevaluation. Language disorders may be related to another primitive disability (such asmental deficiency or deafness...). The classification of language disorders between twogroups: secondary or specific, is essential for treatment. There has been growingawareness among health and education professionals that the means of recognizing,treating and teaching children with specific oral language disorders are inadequate,particularly as developments in cognitive neuropsychology have provided new approachesand treatments for such language disorders.© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Adresse e-mail : [email protected] (C. Billard).

EMC-Oto-rhino-laryngologie 1 (2004) 126–131

www.elsevier.com/locate/emcorl

© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi: 10.1016/S1762-5688(03)00006-X

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Introduction

L’enquête épidémiologique de Silva12 soulignequ’environ 7 % des enfants de 3 ans et demi ont undéficit (- 2 écarts types) du développement dulangage oral et près d’un enfant sur deux aura, à7 ans, la persistance d’un déficit du langage oralet/ou un déficit en lecture ou une déficience men-tale. Ceci souligne qu’un trouble du langage oral àcet âge a une signification de pathologie chronique,près d’une fois sur deux, et que sa significationpeut être différente selon qu’il évoluera vers unedéficience mentale ou une dyslexie.Les déficits du développement du langage oral

sont très fortement prédictifs de déficit ultérieuren lecture. Menyuk9 a suivi jusqu’à l’âge de 8 ans,trois populations d’enfants diagnostiqués à 5 anscomme porteurs d’un retard de langage, ou d’unedysphasie de développement, en comparaison àune population contrôle d’anciens prématurés. Laquasi-totalité des enfants dysphasiques étaient à8 ans mauvais lecteurs, contre 25 % des retards delangage et environ 10 % seulement pour les anciensprématurés. Une enquête rétrospective3 sur lescompétences en lecture de 24 enfants dysphasiquesâgés de plus de 9 ans confirme la fréquence destroubles d’apprentissage du langage écrit danscette population dysphasique (10/24 non-lecteurs,10/24 avec un niveau de lecture inférieur à 7 ans et4/24 seulement lecteurs courants).Dysphasie de développement, dyslexie de déve-

loppement et illettrisme : un engrenage infernalqu’il est aujourd’hui possible d’enrayer.

Une stratégie cohérente de dépistagedes déficits langagiers de l’enfant

Tout dépistage doit obéir à trois « règles d’or » :• révéler précocement un déficit qui nécessiteune action afin d’en limiter les conséquencesnéfastes ;

• aboutir à une action spécifique immédiateconsécutive aux résultats du dépistage ;

• ne pas étiqueter de façon péjorative une popu-lation à risque alors qu’une partie seulementde cette population se révélera ultérieurementen difficulté.Tout trouble du langage oral dès 3 ans ou 3 ans et

demi doit être pris en considération et amener àune consultation médicale.10 La politique tradition-nelle du « ça s’arrangera » n’est donc plus possible.Le souci d’agir le plus tôt possible sur les troublesdu langage a amené à la création de plusieursbatteries de dépistage. Elles ne s’adressent pas

toutes aux mêmes acteurs, n’ont pas le mêmeobjectif et ne concernent pas les mêmes âges. Lesbatteries décrites ci-dessous permettent la réalisa-tion d’un tel dépistage, par exemple chez tous lesenfants signalés par leurs instituteurs.Les unes, destinées aux professionnels de l’édu-

cation nationale permettent de repérer les symptô-mes et d’orienter la pédagogie. Elles n’ont pas pourambition de fournir un véritable diagnostic médi-cal.Citons pour mémoire, le questionnaire de

Chevrie-Müller5 destiné aux enseignants de petitesection de maternelle ou le DPL 3 (Ortho éditions,Isbergues, 1998) qui est un questionnaire simple àutiliser, étalonné, mis en place par Coquet.6

La batterie mise au point par Zorman (1999,Laboratoire Cogni-Science et Apprentissages, Gre-noble) rassemble des extraits de différentes batte-ries d’évaluation du langage ou de la perceptionvisuospatiale et explore, en environ 30 minutes, lescompétences des enfants de 5 à 6 ans en langage,traitement phonologique et en perception vi-suelle.13

D’autres batteries s’adressent exclusivementaux professionnels de la santé.L’ERTL 4 (Épreuves de repérage des troubles du

langage, Roy B, Maeder, Com-Medic, Centre d’af-faires « les Nations ») est un test très rapide (5 à10 minutes) destiné à explorer les compétencesuniquement langagières et dans la classe d’âge3 ans 9 mois- 4 ans 6 mois.1 Du fait de son scoreglobal, l’ERTL 4 ne permet pas de différencier àl’intérieur du langage les différents items réceptifset expressifs. Il ne permet pas non plus de différen-cier les déficits spécifiques du langage oral desdéficits secondaires, en particulier à une défi-cience mentale du fait de l’absence d’épreuves nonverbales.L’ERTL 6 (Épreuves pour le repérage des troubles

du langage et des apprentissages), conçu par lesmêmes auteurs, permet en environ 30 minutes ledépistage des troubles du langage à 6 ans (Com-Medic, Centre d’affaires « les Nations »11).Le PER 2000 (Protocole d’évaluation rapide des

troubles du langage, Ortho éditions 2000), conçupour les orthophonistes, permet une évaluation enune vingtaine de minutes du langage oral et desfonctions non verbales chez l’enfant de 3 ans à5 ans et demi.La BREV (Batterie rapide d’évaluation des fonc-

tions cognitives, Signes Edition 2001)4 a été conçuepar une équipe pluridisciplinaire et validée en deuxphases. Son objectif est de fournir aux profession-nels de la santé un outil clinique soigneusementétalonné pour leur permettre de dépister les en-fants de 4 à 9 ans porteurs d’un déficit cognitif.

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Grâce à un étalonnage subtest par subtest (et nonexclusivement global) de ses 17 subtests explorantle langage, les fonctions non verbales, la mémoireet les apprentissages scolaires, elle permet égale-ment de préciser le profil de leur déficit avec unraisonnement neuropsychologique. L’outil et sa va-lidation sont détaillés dans l’article4.En conclusion, il existe aujourd’hui plusieurs bat-

teries de dépistage. L’ERTL 4 et le nouveau ERTL6 permettent un repérage (du langage et sur uneseule tranche d’âge). La BREV dans une plus largetranche d’âge permet de dépister les déficits cogni-tifs et de définir le profil du déficit.

Classification des troubles du langageoral : troubles secondaireset spécifiques

Deux caractéristiques permettent une classifica-tion des troubles du langage :

• leur caractère développemental ou acquis ;• leur caractère secondaire ou spécifique.

Troubles développementaux et acquis

Les troubles du langage développementaux : lelangage s’établit de façon déficitaire, mais sansjamais régresser. Ils sont les plus fréquents.Les troubles acquis, appelés aphasie, sont plus

rares. Ils sont le plus souvent liés à un accidentneurologique aigu, traumatisme crânien, accidentvasculaire cérébral, ou tumeur, survenant chez unenfant au langage antérieurement normal. Dans lestroubles acquis, une place particulière doit êtrefaite au syndrome de Landau et Kleffner, car leurreconnaissance est souvent retardée. Ce syndromecomporte une aphasie touchant le plus souvent à lafois la compréhension et la production, évoquantau premier abord une surdité acquise. Cette apha-sie est liée à une épilepsie particulière du fait de larareté des crises et de la fréquence des anomaliesparoxystiques intercritiques dans le sommeil.Toute régression du langage oral et ou troublemassif de la compréhension doit évoquer le syn-drome de Landau et Kleffner et amener à uneconsultation spécialisée.

Troubles secondaires et troublesspécifiques

La première démarche devant un trouble du déve-loppement du langage est de différencier les défi-cits secondaires et les déficits spécifiques.Dans les déficits secondaires, le trouble du déve-

loppement du langage oral peut être entièrement

expliqué par la pathologie primitive. C’est cettepathologie qui guide les évaluations complémentai-res et le pronostic. Le traitement orthophoniquedoit s’inscrire dans un contexte pluridisciplinaire,coordonné par le spécialiste de la pathologie primi-tive.La surdité est la première cause à évoquer de

trouble du langage secondaire. Elle doit être re-cherchée devant tout déficit du développement dulangage et recherchée par au minimum un bilanauditif (jouets sonores, examen des tympans, voixchuchotée hors de la vue de l’enfant). Une audio-métrie objective tonale ou des potentiels évoquéss’imposent au moindre doute ou devant tout trou-ble de la compréhension ou tout trouble durable dela perception des sons ou de la production phono-logique. Toute pathologie ORL associée à un trou-ble du langage doit être activement traitée. Laproportion de diagnostic tardif de surdité profondereste encore non négligeable.Le retard mental est le plus fréquent des déficits

secondaires. La déficience mentale légère a poursigne essentiel un déficit du langage à l’âge présco-laire alors que la déficience mentale profonde serévèle par une hypotonie dans la première année dela vie.8 Le déficit du langage dans la déficiencementale prédomine sur la compréhension et le lexi-que.Ceci implique de toujours comparer les compé-

tences verbales aux compétences non verbales.L’évaluation clinique à l’aide de la BREV ou du PER2000 est indispensable dès le premier examen. Undoute sur les compétences non verbales impose lamesure par un psychologue d’un test psychométri-que différenciant l’intelligence verbale et l’intelli-gence non verbale (WPPSI-R ou WISC-III, par exem-ple). Seuls les enfants porteurs d’un troublemodéré et isolé de l’expression du langage (phono-logie et syntaxe) et ayant des compétences nonverbales normales aux tests de dépistage pourrontéchapper à la mesure du QI (coefficient intellec-tuel), du moins tant qu’ils ne sont pas en échecscolaire important.La déficience mentale se définit comme un fonc-

tionnement intellectuel globalement insuffisant etse traduit par une insuffisance de scores aux testspsychométriques. Si l’on tient compte uniquementdu critère psychométrique, tout individu ayant unQI mesuré à une batterie psychométrique inférieurà 70 est considéré comme déficient mental. Ladéficience légère étant caractérisée par un QI en-tre 70 et 50, la déficience moyenne entre 49 et 35,la déficience sévère entre 34 et 20 et la profondeinférieure à 20.Certains enfants présentent une déficience men-

tale associée à un trouble massif de la parole et/ou

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du langage. Par exemple, dans certaines patholo-gies génétiques, le trouble du langage est bien plusmassif que le déficit des autres fonctions cognitives(chromosome 22 en anneau, syndrome de Willi-Prader...). Ces enfants déficients mentaux ayantégalement un trouble massif et durable du langageoral nécessitent des prises en charge spécifiquessimilaires à celles utilisées dans les dysphasies dedéveloppement, mais leur déficience non verbalelimite leur possibilité d’acquisitions scolaires.Ces enfants qui ont une double pathologie sont

peut-être aussi nombreux que les enfants dysphasi-ques « purs ». Ils manquent de structures spécifi-ques susceptibles à la fois de leur offrir la rééduca-tion orthophonique intensive indispensable àaméliorer la qualité de leur communication langa-gière, et la prise en charge éducative et préscolaireplus que scolaire qui leur permettrait une autono-mie socioprofessionnelle, le plus souvent en circuitprotégé (centre d’aide par le travail, voire lesstructures scolaires et professionnelles).Une paralysie des organes de la voix et une

infirmité motrice cérébrale (IMC) retentissent éga-lement sur le développement de la parole et dulangage oral.À côté des troubles de la parole, les enfants IMC

peuvent avoir un déficit associé du langage oral oudu langage écrit. Il a été décrit chez les anciensprématurés des difficultés dans la précision du vo-cabulaire, dans les hémiplégies cérébrales infanti-les avec lésion de l’hémisphère gauche, des déficitsde la compréhension et de l’expression syntaxique.Les enfants porteurs d’un syndrome de Little (di-plégie spastique liée à la prématurité) avec unedyspraxie peuvent avoir une dyslexie visuelle liée àla difficulté d’analyse visuelle des mots ou lettresécrits.L’IMC ou l’infirmité motrice d’origine cérébrale

(IMOC) est caractérisée par un déficit chronique ducontrôle de la motricité. Elle est responsable detroubles de la parole appelés « dysarthries », du faitde l’atteinte neurologique des organes effecteurs,qu’elle soit pyramidale, extrapyramidale ou céré-belleuse. La dysarthrie est observée dès que l’at-teinte neurologique est bilatérale et intéresse lesmembres supérieurs.Dans les syndromes bioperculaires ou les syndro-

mes pseudobulbaires, l’atteinte neurologique mo-trice est limitée aux muscles bucco-linguo-laryngés. Elle peut être d’intensité variable,gênant plus ou moins l’intelligibilité de la parole.Lorsque le pronostic d’intelligibilité de la parole estdéfavorable, l’utilisation d’un code de communica-tion doit être discutée.Les troubles de la communication, en particulier

les troubles envahissants du développement, se

présentent aussi comme un trouble du développe-ment du langage oral associé à un trouble desautres communications visuelles et tactiles. Lestroubles du langage sont en règle le symptômed’alarme de l’autisme infantile. Ces troubles sontdétectables par des échelles.2

L’ECA (échelle d’évaluation des comportementsautistiques [Lelord et Barthelemy 1989]) est une deces échelles. Dans ces pathologies, les troubles dulangage ne sont pas isolés, mais s’associent auxsymptômes classiques d’atteinte de la communica-tion bien décrits dans le DSM IV : troubles desinteractions sociales, troubles affectifs avec labi-lité de l’humeur, restriction des champs d’intérêt,pauvreté du jeu, résistance au changement, sté-réotypies et automutilation, réponses atypiques àtous les stimuli sensoriels, pour citer l’essentiel.Lorsqu’il existe une atteinte à la fois de la com-

munication et du langage, l’association entre lestroubles de la communication et les troubles dulangage est infiniment différente selon les enfants.Pour certains enfants, les troubles de communica-tion sont au premier plan et monopolisent l’actionthérapeutique. Pour d’autres enfants, ils sont soitd’emblée, soit secondairement, après un travailthérapeutique sur la communication, au secondplan et l’analyse précise de l’atteinte langagièreest indispensable pour diriger la rééducation. Desprogrammes de réhabilitation de la communica-tion, de la sociabilité et de la cognition, ont étédéveloppés ces dernières années avec une partici-pation des familles.La frontière la plus difficile est la frontière avec

les troubles du comportement.Les carences psychoaffectives et socioculturelles

profondes peuvent entraîner un déficit du dévelop-pement du langage oral.7 Mais un déficit du langageentraîne aussi souvent une perturbation des rela-tions de l’enfant à autrui. De sorte que l’association« trouble du langage » et « trouble du comporte-ment » nécessite souvent un double regard neuro-logique et pédopsychiatrique sans forcément cher-cher à définir le trouble initial.La responsabilité d’un éventuel bilinguisme dans

un trouble du développement du langage oral estégalement un problème difficile. Le milieu socio-culturel influe évidemment sur le développementdu langage (en particulier le stock lexical), commeen témoignent les expériences de l’ERTL 4 chez lesenfants bilingues dont les résultats sont très sou-vent en dessous du seuil pathologique. En mêmetemps, le bilinguisme ne rend pas compte à lui seuld’un trouble de production phonologique ou deproduction syntaxique. Il ne fait qu’aggraver ledéficit du langage. Un trouble du développementdoit donc être pris en compte comme tel, sur le

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plan des conseils pédagogiques et de la rééduca-tion, même chez un enfant bilingue.Les troubles spécifiques (ou primitifs) du langage

oral (TSDLO) se définissent comme les troubles nes’expliquant pas par un des grands cadres patholo-giques évoqués.Le DSM IV (Manuel de diagnostic et statistique

des troubles mentaux de l’American PsychiatricAssociation, Masson, Paris 1996) définit trois syn-dromes pour décrire les troubles du langage et de laparole. Cette classification ne différencie pas lesformes acquises et les formes congénitales. La no-tion de trouble spécifique et secondaire n’est pasnon plus mentionnée, mais la spécificité des trou-bles ainsi décrits est précisée par le critère suivantprésent dans les trois groupes :

« S’il existe un retard mental, un déficit moteurintéressant la parole, un déficit sensoriel ou unecarence de l’environnement, les difficultés delangage dépassent habituellement celles asso-ciées à ces conditions ».

La classification du DSM IV reconnaît trois syn-dromes qui sont les suivants :

• les troubles de type expressif (prévalence 3 à5 %). Ils se caractérisent par une expressionorale aux épreuves standardisées nettementen dessous des scores d’intelligence non ver-bale alors que la compréhension est relative-ment intacte ;

• les troubles de type mixte réceptif-expressif,plus rares, où les difficultés de compréhensions’associent aux difficultés d’expression ;

• les troubles phonologiques (prévalence 2 à 3 %des enfants de 6-7 ans), où les difficultés tou-chent essentiellement la capacité à utiliser lesphonèmes normalement acquis à chaque stadede développement, compte tenu de l’âge del’enfant. Ce trouble englobe aussi bien les dé-fauts d’articulation (prononciation des sonsisolément), que les difficultés purement pho-nologiques qui apparaissent dans la prononcia-tion des phonèmes à l’intérieur des mots (subs-titutions [lavabo→ tavalo], les élisions[avabo]).La classification de l’Organisation mondiale de la

santé (CIM 10 qui doit être prochainement révisée :CIM 11) se limite aux troubles développementaux etconcerne clairement les troubles spécifiques : « Cestroubles ne sont pas attribuables à des anomaliesneurologiques, des anomalies de l’appareil phona-toire, des troubles sensoriels, un retard mental oudes facteurs liés à l’environnement ».La CIM 10 décrit les trois mêmes syndromes :• trouble spécifique du langage de type expres-sif ;

• trouble spécifique du développement du lan-gage de type réceptif (touchant égalementl’expression) ;

• trouble spécifique d’acquisition de l’articula-tion.

Ces deux classifications se rapprochent de lalittérature internationale qui définit sous le termede « troubles spécifiques du langage oral » («speci-fic language impairment ») les troubles du dévelop-pement du langage oral qui ne sont pas secondairesà une autre pathologie. Cette définition tientcompte purement du caractère déficitaire du lan-gage et de l’absence de pathologie primitive pou-vant expliquer le déficit. Elle ne tient pas comptedu degré de gravité, ni du caractère déviant dulangage (qui ne respecte pas les étapes normales dudéveloppement) ou non déviant. Dans chacun dessyndromes ainsi définis, il est décrit que « le trou-ble peut être modéré et guérir, ou peut être sévèreet persister à l’âge adulte ».

De nombreux auteurs ont dénoncé cette insuffi-sance des critères diagnostiques du DSM IV et de laCIM 10, compte tenu de la différence massive sur leplan de la prise en charge et le pronostic.

En France, il est classique, du fait du pronosticfondamentalement différent, de diviser les trou-bles spécifiques du développement du langage endeux grandes pathologies : le retard simple delangage où le langage se développe avec délai maisnormalement, des dysphasies de développement,beaucoup plus rares, où les troubles sont structu-rels, sévères et durables, caractérisés par des alté-rations particulières du langage oral avec des « dé-viances » psycholinguistiques. De nombreuxauteurs ont essayé, au-delà du simple critère degravité, de définir les différences sémiologiquesillustrant ces phénomènes de déviances qui peu-vent affecter les niveaux phonologique, syntaxi-que, sémantique, et pragmatique du langage oral,tant dans le versant expressif que réceptif.

Il est clair que le diagnostic de « trouble spécifi-que du langage oral » n’est pas toujours facile àétablir, en particulier chez le jeune enfant avant5-6 ans. Lorsque le trouble est sévère, il est plussouvent associé à d’autres troubles, d’intensitédiverse, que parfaitement isolé. Lorsque le déficitest parfaitement isolé, il est souvent difficile defaire la part entre un trouble transitoire, par défi-nition simple retard, et un trouble persistant, detype dysphasique. De sorte que, même si le généri-que de « trouble spécifique du développement dulangage » et sa scission en « retard » et « dyspha-

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sie », se justifient du fait des conséquences théra-peutiques et pronostiques, il est indispensable deconsidérer les difficultés de l’enfant de façon plu-ridisciplinaire en s’appuyant sur l’évaluation pré-cise en termes de profil et de gravité du trouble,sans trop anticiper sur l’avenir.

Conclusion

Les conséquences encore trop néfastes des troublesdu développement du langage oral sur les appren-tissages scolaires, puis la vie sociale et profession-nelle des enfants soulignent la nécessité absolue deconstruire des projets thérapeutiques et pédagogi-ques efficaces pour les combattre. Ces troublesinstrumentaux ne constituent qu’une faible partiedes facteurs responsables de l’illettrisme, à côtéd’autres facteurs psychoaffectifs et socioculturels,mais si ces derniers ont été jusqu’à maintenantl’objet de recherches pour leur prévention dans lemonde pédagogique, psychanalytique et sociologi-que, en revanche les troubles instrumentaux ausens neuropsychologique du terme sont trop long-temps restés en France insuffisamment connus,reconnus et combattus. Or, tous les progrès de laneuropsychologie et de la psychologie cognitive,qui ont fait leur preuve pour étudier les conséquen-ces des lésions cérébrales de l’adulte, commencentà porter leurs fruits dans les troubles développe-mentaux de l’enfant. Ceci justifie une politiquecohérente de dépistage, qui permette de mettre enplace des actions précoces, avant que les consé-quences psychoaffectives de l’échec, incontourna-bles chez l’enfant en difficulté quand on ne luiapporte pas de réponse appropriée, ne viennentcompliquer considérablement, voire définitive-ment, le problème. Enfin, ce regard neuropsycho-logique et indispensable ne doit en aucun cas faireoublier que la vie psychique des enfants interagit à

tout moment, de façon souvent inextricable, avecles origines biologiques du fonctionnement cérébralsans qu’aucun regard ne doive exclure l’autre.

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RecommandationsLa première démarche devant un trouble du langage est de différencier :• les troubles acquis, survenant alors que le langage se développait de façon normale, des troublesdéveloppementaux où le langage se développe anormalement mais régulièrement ;

• les troubles spécifiques, isolés et primitifs, des troubles secondaires qui peuvent s’expliquer parune autre pathologie (surdité, retard mental...) ;

• les troubles spécifiques sévères (dysphasies) qui nécessitent une prise en charge précoce etintensive, des troubles modérés (retard de langage et de parole), le plus souvent transitoires.

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