Histoire de Martingales - [Mansuy]

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Histoire de Martingales - [Mansuy]

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  • Math. & Sci. hum. / Mathematical Social Sciences (43e anne, n 169, 2005(1), p. 105113)

    HISTOIRE DE MARTINGALES

    Roger MANSUY

    1

    rsum Cette courte note rassemble et dtaille les diverses acceptions (mathmatique,

    technique ou argotique) du mot martingale et les origines lexicographiques correspondantes.

    mots cls Martingale, Harnais, Lexicographie.

    summary The origins of the word "martingale"

    This short note aims at listing the various meanings (from mathematics, gaming, technology or

    popular langage) of the word "martingale" and at nding, when it is possible, their common ety-

    mology.

    keywords Martingale, Harness, Lexicography.

    Ce vieillard qui avait us sa vie chercher

    une martingale, usait ses derniers jours la

    mettre en uvre, et ses dernires pices la voir

    chouer. La martingale est introuvable comme

    l'me.

    A. Dumas pre, Mille et un fantmes, 1849

    1. INTRODUCTION

    Un march nancier est viable (c'est--dire ne prsente pas d'opportunit d'arbi-

    trage) si et seulement si il existe une probabilit sous laquelle les prix actualiss sont

    des martingales ; ce rsultat fondamental des mathmatiques nancires montre,

    si besoin en tait, que la notion de martingale reste d'actualit plus de soixante ans

    aprs sa formalisation. Dans tous les cours de deuxime cycle, on trouve dsormais

    en bonne place la dnition des martingales ; ce sont les processus intgrables tels

    que la meilleure prdiction pour une valeur future sachant les valeurs passes et

    prsente est la valeur actuelle. En termes mathmatiques, un processus stochastique

    (Mt)t0 est une martingale s'il vrie les deux proprits suivantes :

    1. t 0, E(|Mt|)

  • 106 r. mansuy

    Cette dnition est communment admise, en revanche l'tymologie du mot demeure

    obscure. Il sut pour saisir les multiples mprises autour de ses origines lexicogra-

    phiques de rappeler quelques anecdotes concernant les illustres probabilistes J. Doob

    et J. Hammersley.

    J. Doob

    2

    , ce pre fondateur de la thorie des martingales, a souvent racont sa

    surprise en ouvrant un paquet adress par un de ses anciens lves, le dsormais

    clbre P. Halmos. l'intrieur, il trouve une lanire la forme peu explicite : c'est

    une longue courroie de cuir qui, une extrmit, bifurque en deux rubans de mme

    longueur. La surprise passe, J. Doob cherche et apprend l'information qui explique

    ce cadeau pour le moins insolite : le mot martingale dsigne aussi la pice de sellerie

    qu'il a entre les mains

    3

    .

    J. Hammersley recevra cette mme rvlation quelques annes plus tard : en

    1965, il expose au symposium de Berkeley [Hammersley, 1967] l'tude de proces-

    sus stochastiques vriant une proprit d'esprance conditionnelle qui rappelle la

    dnition probabiliste des martingales. Se plongeant dans un dictionnaire, il d-

    couvre aussi le sens questre et pense que le terme mathmatique en drive ; aussi

    baptise-t-il harnais les processus qu'il vient d'introduire.

    Ces deux pisodes (parmi tant d'autres) de la petite histoire des probabilits

    montrent la fois une certaine confusion autour du mot martingale et de ses diverses

    signications et l'intrt de la communaut probabiliste pour ce sujet. Les dirents

    dictionnaires tymologiques n'tant pas toujours cohrents entre eux, cette note

    tente de rassembler et de commenter les informations sur les diverses acceptions du

    mot et les origines lexicographiques correspondantes.

    La structure du texte privilgie l'aspect didactique plutt que l'aspect littraire :

    partant du sens mathmatique, chaque section est ddie une armation et sa

    justication.

    2. DE LA MARTINGALE PROBABILISTE LA PRATIQUE DES JEUX

    Pour les probabilistes, les martingales sont avant tout des processus intgrables

    vriant une proprit prcise d'esprance conditionnelle. Outre l'usage nancier

    mentionn en introduction, elles sont appliques divers problmes stochastiques

    ou analytiques et reprsentent, avec les processus de Markov, l'une des catgories

    de processus dpendant du pass les plus importantes

    4

    . La notion semble provenir

    assez directement de l'ide de stratgie pour un jeu de hasard. Bien que l'on ait

    eu trs tt l'intuition qu'une stratgie toujours gagnante pour un jeu dfavorable

    n'existait pas (B. Bru fait remonter les premiers lments de ce rsultat Xnophon

    [notes non publies]), il faut attendre le dbut du vingtime sicle pour obtenir une

    formalisation des notions et du problme (en partie suite au dbat sur les axiomes

    2

    Dont nous apprenons la disparition en ce mois de juin 2004.

    3

    Cette anecdote est rapporte dans [Snell, 1982].

    4

    On pourra se rfrer avec prot [Williams, 1991], ou [Baldi, Mazliak, Priouret, 1988].

  • histoire de martingales 107

    des probabilits proposs par R. von Mises). Les pionniers

    5

    du concept de martingale

    sont alors S. Bernstein, P. Lvy, J. Ville, E. Borel

    6

    et J. Doob (cependant on peut

    trouver a posteriori des premiers exemples de martingales dans des travaux plus

    anciens dont par exemple ceux de Pascal sur le problme des partis comme l'explique

    Y. Derriennic [2003]).

    En ce qui concerne l'origine du mot (et non du concept), la premire citation se

    trouve dans la thse de J. Ville

    7

    [on notera que le mot est introduit au chapitre IV

    3 dans l'expression systme de jeu ou martingale mais qu' partir du chapitre

    suivant, J. Ville abandonne dnitivement l'appellation systme de jeu et ne

    garde que martingale ]. Ce dernier prcise par ailleurs, [Ville, 1985], que la dno-

    mination est directement emprunte au vocabulaire des joueurs. En eet, il n'tait

    pas rare l'poque que des joueurs prtendant dtenir une stratgie gagnante

    coup sr s'adressent des probabilistes ; J. Ville a lui-mme rencontr un certain

    M. Parcot qui dpouillait les rsultats de la roulette pour obtenir sa stratgie pr-

    tendue gagnante ou martingale. Le mot tait donc familier des probabilistes et s'est

    tout naturellement transmis la notion mathmatique dont les premiers exemples

    provenaient des jeux.

    Avant de clore la premire tape de ce priple lexicographique, il convient de

    prciser que le mot anglais drive bien de son homologue franais ; en eet, J. Doob

    8

    explique qu'on lui avait demand de rapporter sur la thse de J. Ville et qu'il y a

    repris la dnomination pour son livre, dsormais classique [Doob, 1953].

    3. LES MARTINGALES, ABSURDES ?

    L'tape suivante s'avre un peu plus dlicate : d'o vient le mot utilis par les

    joueurs ? Le mot martingale entre dans le dictionnaire de l'Acadmie Franaise

    [1762] la quatrime dition (la dnition sera complte et tendue pour la sixime

    dition) : Jouer la martingale, c'est jouer toujours tout ce que l'on a perdu .

    Les DDL [1960] donnent comme plus ancienne citation un pisode des mmoires de

    Casanova [1960] : J'y fus [au casino de Venise], j'ai pris tout l'or que j'ai trouv,

    et pourtant avec la force qu'en terme de jeu on dit la martingale, j'ai gagn trois

    et quatre fois par jour pendant tout le reste de carnaval .

    Plus ancien encore, le dictionnaire de l'abb Prvost [1750], prsente, une d-

    nition, limite au jeu du pharaon, dcrivant la stratgie qui consiste pour le joueur

    doubler sa mise chaque perte pour se retirer avec un gain sr, suppos qu'il

    gagne une fois (cette stratgie est souvent appele martingale de d'Alembert ,

    bien que rien ne permette a priori d'associer l'illustre encyclopdiste cette faon

    de jouer). Cet ensemble de rfrences permet de remonter jusqu'au dbut du xviii

    e

    5

    Pour une tude complte, on se rfrera [Crpel, 1984].

    6

    On pourra se reporter [Bru M.-F., Bru B., Chung, 1999].

    7

    Aprs plusieurs pripties (ayant entre autres conduit J. Ville prendre un poste en classes

    prparatoires), [Ville, 1939].

    8

    Cf [Snell, 1997] ; J. Doob explique aussi dans ce papier pourquoi il n'a pas utilis le mot

    supermartingale dans son livre de 1953.

  • 108 r. mansuy

    sicle mais pour l'instant l'tymologie reste mystrieuse.

    Une piste, a priori tnue, semble faire driver ce mot de l'expression provenale

    9

    jouga a la martegalo qui signierait jouer de manire incomprhensible, absurde .

    On comprend aisment que la stratgie de mise double ait pu paratre absurde

    pour des joueurs antrieurs au sicle des lumires qui croyaient fermement que la

    malchance tait un signe du destin

    10

    ; cependant peu de citations franaises tayent

    cette hypothse. La lumire vient d'outre-Manche : le dictionnaire franco-anglais de

    R. Cotgrave [1611] mentionne l'expression la martingale avec le sens absurdly,

    foolishly, untowardly, grossely, rudely, in the homeliest manner et cite mme l'usage

    de l'expression philosopher la martingale . Cela accrdite d'autant plus l'hy-

    pothse qui vient d'tre faite que ce n'est pas le seul mot des joueurs emprunt

    la langue provenale : par exemple, le jeu de cartes appel Baccara(t) tiendrait son

    nom d'une expression provenale signiant faire faillite

    11

    . Ayant confort cette piste,

    il convient dsormais de la remonter davantage...

    4. UNE BALLADE DANS LA RGION DE MARTIGUES

    Parvenus une nouvelle tape de cette qute, il faut maintenant comprendre l'ori-

    gine de l'expression jouga a la martegalo. En pluchant davantage le dictionnaire

    de provenal de F. Mistral, on constate que le mot martegalo se rapporte aussi aux

    habitants du Martigue qui l'on attribue une certaine badauderie , de la na-

    vet , des propos goguenards . Le Martigue dsigne alors l'tang de Berre qui

    donnera par la suite son nom la ville cre le 21 avril 1581 par la runion de trois

    bourgs

    12

    qui bordent l'embouchure avec le golfe de Fos. La situation isole de cette

    localit a valu ses habitants une rputation de navet proverbiale .

    Pour tre complet, il faut prciser que la toponymie du lieu est trs discute ;

    l'explication qui fait autorit [Rostaing, 1963] est Stagnum Marticum, l'tang des

    pierres mais on trouve d'autres thses plus ou moins farfelues (la toponymie serait

    alors justie par une cit antique, une prtresse, un gnral romain...).

    tapes par tapes, Martigues se prole comme le terminus de cette premire

    qute.

    5. D'AUTRES SENS LIS LA RGION DE MARTIGUES

    Avant de partir l'assaut du sens questre, il s'agit ici de faire un bref apart et

    de mentionner quelques signications du mot martingale qui sont plus ou moins

    directement associes la rgion de Martigues.

    9

    Pour toutes les armations sur la langue provenale, on pourra consulter le dictionnaire de

    Provenal de F. Mistral [1979].

    10

    Les ides probabilistes de Pascal (principalement autour du clbre problme du pari) s'taient

    encore peu propages.

    11

    Voir le dictionnaire de F. Mistral dj cit mais aussi l'crivain marseillais Joseph Mry.

    12

    C'est en rfrence ces bourgs (Ferrires, Jonquires et L'isle) que les gens du cru ont depuis

    pris l'habitude de parler des Martigues et non de Martigues.

  • histoire de martingales 109

    Les chausses la martingale qui habillent le Panurge de Rabelais sont des

    culottes dont l'ouverture est dans le dos (ce qui en langue rabelaisienne donne

    qui est un pont-levis de cul pour plus aisment enter [Rabelais, 1534]).

    L'usage de ce vtement semble s'tre assez rpandu ; ainsi Brantme [1655]

    assure un sicle plus tard que Franois I

    erportait de tels habits : Ce brave

    chevalier avoit une complexion en luy, que, toutes les fois qu'il vouloit venir au

    combat, il falloit qu'il allast ces aaires [...] et pour ce portoit ordinairement

    des chausses la martingale .

    Un dictionnaire de vieux franais [La Curne, 1875] prcise que l'origine de

    cette mode viendrait de Martigues mais que ces culottes toient encore la

    mode environ l'an 1579, entre les mignons de la cour, qui les faisoient servir

    tout autre usage que celui pour lequel on les avoit inventes . l'heure

    actuelle, on a conserv le mot pour dcrire une demi-ceinture dans le dos (qui

    apparat encore dans quelques vestes cintres mais aussi dans l'quipement

    des escrimeurs). Il semble dicile de savoir si ces habits sont eectivement

    typiques de la rgion de Martigues, comme l'arme [Menage, 1750] la vedette

    martingale, ou s'ils y sont associs pour leur caractre absurde. Toutefois,

    l'usage, entre les xvi

    eet xviii

    esicles, d'expressions telles que des habits

    l'espagnole, l'italienne et particulirement la napolitaine, la amande,

    la martingale [Menage, 1750] la vedette grgues) laisse penser que le mot

    martingale serait, dans ce cas, directement utilis comme gentil

    13

    .

    Le mot martingale est aussi associ de manire plus anecdotique une danse

    de marins (cite par Cotgrave, absente du dictionnaire de rfrence, Orcheso-

    graphie, de T. Arbeau mais dont la plus ancienne citation est localise chez un

    juriste provenal [De Arena, 1528]) encore enseigne par quelques associations

    de danses folkloriques. Il semblerait que cette danse consiste principalement

    frapper brutalement du talon le sol plusieurs reprises. Elle est reste assez

    condentielle mme si le compte-rendu du voyage Brignoles (le 25 novembre

    1564) du roi Charles IX et de sa cour, prcise que les habitants s'tudirent

    lui donner du plaisir par la gentillesse des danses de la contre [...] danses

    que l'on appelle la volte et la martingale

    14

    .

    A. Dumas, dans son voyage pittoresque en Provence [1853], fournit une ex-

    pression proche (mais non avre) : chez le peuple provenal, pour dire bien

    danser, on dit : Danser la martingale .

    Encore plus pittoresque, il convient de signaler une prophtesse provenale

    du nom de Claude Scotte qui se faisait appeler la Martingale (ou Martin-

    galle) dans ses courriers entre 1617 et 1628. Les lettres de cette prophtesse

    regorgent de quatrains provenaux, de visions et de prdictions douteuses (cha-

    pelet d'anges et de saintes apparitions pour la future maternit de la reine,

    victoires militaires pour le duc de Guise, divers honneurs et rcompenses pour

    les correspondants moins titrs ; on notera que la prophtesse n'est pas doue

    puisque la naissance du dauphin, le futur Louis XIV, n'arrivera qu'en 1638

    13

    C'est--dire pour dcrire des individus par rapport au lieu o ils rsident.

    14

    Cit en particulier dans [Lebrun, 1973].

  • 110 r. mansuy

    soit plus de dix ans plus tard. De mme, La Rochelle, rase en 1628 par Ri-

    chelieu, sera prise longtemps aprs la prdiction de la rduction infaillible par

    Martingale). Le lecteur contemporain remarquera que ces lettres sont toujours

    ponctues de demandes de pension et d'anecdotes montrant la vie (soi-disant)

    pieuse et dvoue de Martingale. Il en rsulte un grand nombre de suppliques

    comme votre majest aura gard aux services que Martingale a rendus la

    France [Scotte, 1628].

    Enn, le motmartegalo dsigne aussi un bateau voiles et un cordage x au-

    dessus du beaupr, pour maintenir le mt de clin-foc . Il est peu surprenant

    que les marins clbres que sont les martgaux (de nombreux crits, entres

    autres [Darluc, 1782] et [Seguiran, 1633], attestent de la hardiesse et du talent

    des martgaux pour la pche la tartane qu'ils vont mme exercer jusque

    dans le sud de l'Italie et l'Andalousie) aient laiss leur nom ces objets mais

    ce cordage a de quoi faire natre quelques interrogations.

    6. UN RAPPROCHEMENT AVEC LES HARNAIS

    En eet, ce cordage ressemble s'y mprendre (si on le remet la mme chelle)

    ce que les cavaliers appellent une martingale simple (et que P. Halmos a oert J.

    Doob) : il s'agit d'une courroie qui partant de la muserolle court le long du ventre

    du cheval avant de se sparer pour rejoindre la sangle de part et d'autre de l'animal.

    La martingale sert viter que le cheval ne donne de la tte et permet au cavalier de

    disposer de ses mains (pour jouer au polo, manier une arme...). Cette pice de sellerie

    est assez ancienne (les rfrences cites par Hammersley font remonter l'usage d'une

    telle courroie aux Assyriens) mais une fois encore, cette note s'intresse l'origine

    du nom et non celle de l'objet. Les dirents dictionnaires cits prcdemment

    mentionnent presque tous ce sens, sans jamais fournir d'tymologie convaincante.

    La citation la plus ancienne semble issue d'un dictionnaire italo-anglais [Florio,

    1598]. partir de l, n'importe quel philologue, aussi rudit soit-il, en est rduit,

    faute d'lments nouveaux, des conjectures : le nom provient-il de l'analogie avec

    le cordage de nos marins mridionaux ? S'agit-il d'une homonymie fortuite (d'un

    rapprochement lexical) en provenal entre une expression locale et un mot ancien

    provenant d'une autre langue mditerranenne ? Ou plus audacieux encore (trop ?) :

    faut-il y trouver une nouvelle thse toponymique pour les Martigues (le nom serait

    alors hrit des nombreux artisans tanneurs peuplant au moyen-ge les rives de

    l'tang) ? Il est actuellement impossible de trancher de faon catgorique sur ces

    points.

    En revanche, cela claire le sens du lien appel dans les prisons martingale, qui

    part de la nuque, se bifurque sur l'estomac et vient rejoindre les mains aprs avoir

    pass entre les jambes [Hugo, 1862]. En eet, il y a assez peu de doutes possibles :

    ce sens

    15

    est bel et bien rattacher la pice de sellerie.

    15

    Il ne s'agit pas d'une gure de style du grand pote mais bien d'un usage part entire comme

    le prouve l'utilisation de ce mot (pour un lien complmentaire la camisole) au p. 399-400 de

    [Joigneaux, 1841].

  • histoire de martingales 111

    7. QUELQUES AVIS SUR L'ESPAGNOL ALMARTAGA

    Beaucoup de dictionnaires (srement la suite du lexicologue anglais Mayhew

    [1912]) proposent l'tymologie espagnole d'origine arabe almartaga pour le mot mar-

    tingale. Le mot almartaga existe toujours en espagnol mais dsigne une sorte de

    ttire permettant au cavalier de descendre de sa monture et non la lanire qui bi-

    furque sous l'animal. Le lexicographe espagnol J. Corominas [1980] rfute pourtant

    cette thse tentante ; en eet, comme le mot almartaga n'est avr qu'en castillan, il

    devrait avoir t conu en terre ibrique o justement le sens de lanire n'a jamais

    t rencontr. Au-del de cette premire incohrence, Corominas donne galement

    d'autres arguments plus sophistiqus concernant l'usage des suxes arabes dans la

    conception de mots castillans qui tendent montrer l'impossibilit du lien tymolo-

    gique entre almartaga et martingale.

    8. LES PROSTITUES OU L'ULTIME PERFIDIE DES MARTINGALES

    Avant de conclure ce voyage lexicographique autour des martingales, il reste cepen-

    dant examiner un dernier sens depuis longtemps oubli. En eet, le mot martingale

    a aussi t utilis dans le langage populaire pour voquer les courtisanes, coureuses,

    femmes de petite vertu, et autres prostitues. Ce sens dont on retrouve la trace dans

    d'anciens dictionnaires argotiques [d'Hautel, 1808] ou [Le Roux, 1786]) est celui qui

    explique les trois occurrences du mot martingale dans la version versie du Virgile

    travesti de Scarron [Scarron, 1848]

    16

    . Cependant rien ne permet, l'heure actuelle,

    d'armer quoi que ce soit sur l'origine de cette dernire acception. C'est l'ultime

    perdie des martingales !

    Remerciements.

    Merci tous ceux, probabilistes ou non, qui se sont penchs sur ce travail et ont permis de l'am-

    liorer par leurs remarques.

    Je tiens remercier particulirement Bernard Bru ; sans ses encouragements et ses judicieux

    conseils, ce travail n'aurait jamais pu voir le jour. Qu'on me permette, en guise de conclusion, de

    lui ddier une formule d'envoi de notre prophtesse favorite :

    Martingale continuera les prires ordinaires pour votre prosperit et votre sant.

    16

    Sans la connaissance de ce sens, les vers de Scarron peuvent laisser perplexe :

    Vous tes un homme bien sage

    Eh quoi pour vos folles amours

    Voudriez vous bien passer vos jours

    A faire le Sardanapale

    Et servir une martingale

  • 112 r. mansuy

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    dite Martingalle, prophtesse provenale, aux ns d'avoir rcompense de Votre

    Majest pour les signals services qu'elle et son feu mari ont rendus Votredite

    Majest et au public, BNF, Tolbiac : 8-LN27-13672, 1628.

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