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I.E.P. de Lyon Université Lumière Lyon II L'applicabilité de la Responsabilité sociale d'entreprise aux activités touristiques au Nunavut Boris LULE Directeur : M. Bernard BAUDRY Année universitaire 2007/2008

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L'applicabilité de la Responsabilité sociale d'entreprise aux activités touristiques au Nunavut
Boris LULE Directeur : M. Bernard BAUDRY Année universitaire 2007/2008
Table des matières Remerciements . . 5 Liste des sigles . . 6 Corps . . 7 Introduction . . 8
Démarche . . 8 Cheminement intellectuel . . 8 Méthodologie . . 11
Définitions . . 12 Tourisme, tourismes . . 12 Responsabilité sociale d'entreprise, développement durable . . 15 Arctique, Nord, Sud, Nunavut . . 16 Peuple inuit, inuit . . 18 Economie traditionnelle et partage . . 18
Problématique et plan . . 19 I/ Les domaines d'applicabilité de la Responsabilité sociale d'entreprise . . 20
A. Une économie dominée . . 20 1. RSE et importance des matières premières et des services . . 20 2. Le malentendu du « tourisme solidaire » . . 22
B. Le tourisme dans des lieux isolés . . 29 1. Transports . . 30 2. Une consommation ostentatoire : « resourcism » et « preservationism » . . 32
II/ Les notions qui échappent à la RSE . . 36 A. L'impasse de l'opposition entre science occidentale et savoir traditionnel à travers le tourisme . . 36
1. Les limites de la dichotomie responsabilité sociale / responsabilité environnementale . . 37 2. Savoir traditionnel versus rationalité économique . . 39
B. La RSE et le tourisme, instruments d'un néocolonialisme . . 40 1. Universalisation d'un modèle capitaliste hiérarchique via la RSE dans le tourisme . . 41 2. Universalisme des droits, un instrument d'oppression . . 45 3. Pour une autre définition de l'authentique . . 47
Conclusions . . 52 Bibliographie . . 56
Ouvrages . . 56 Articles de revues . . 58 Rapport . . 60 Emission radiophonique . . 60 Ressources électroniques : . . 60 Conférences données dans le cadre du Programme d'Etudes Arctiques . . 61
Annexes . . 62
Questionnaires . . 62
Produit Intérieur Brut du Nunavut en 1999187 . . 64
Modèle théorique de D'AMORE sur les relations entre résidentes, résidents et touristes188 . . 65
Modèle de DOXEY sur les relations entre résidentes, résidents et touristes189 . . 65
Modèle conceptuel de MURPHY sur la gestion du tourisme191 . . 67
Déclaration de Manille sur le tourisme mondial192 . . 68 Code Mondial d'Ethique du Tourisme . . 72 Programme « Linking Tourism and Conservation in the Arctic» . . 72
Remerciements
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Remerciements Je remercie M. Bernard BAUDRY pour avoir accepté de diriger ce mémoire et de participer au jury.
Je remercie M. Christian MERCIER pour avoir accepté de participer au jury.
Je tiens aussi à remercier toute l'équipe du Programme d'Etudes Arctiques de l'Université de Lapponie, et notamment MM. Alain GRENIER et Florian STAMMLER ainsi que Mme Elina HELANDER-RENVALL, qui m'ont donné la volonté d'accomplir ce travail.
Je remercie enfin Elisa pour ses encouragements et conseils avisés.
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Liste des sigles
e.g. : exempli gratia etc : et caetera GDP : Gross Domestic Product (Produit intérieur brut) ICC : International Inuit Conference (Conférence inuit internationale) OMT : Organisation mondiale du tourisme ONU : Organisation des Nations Unies RSE : responsabilité sociale d'entreprise WWF : World Wide Fund for Nature (Fonds mondial pour la nature)
Corps
Corps
When I went to school in Fort McPherson I can remember being taught that the Indians were savages. We were violent, cruel and uncivilized. I remember reading history books that glorified the white man who slaughtered whole nations of Indian people. No one called the white men savages, they were heroes who explored new horizons and conquered new frontiers1.
C'est un métier, maintenant, que d'être explorateur, métier qui consiste, non pas, comme on pourrait le croire, à découvrir au terme d'années studieuses des faits restés inconnus, mais à parcourir un nombre élevé de kilomètres et à rassembler des projections fixes ou animées, de préférence en couleurs, grâce à quoi on remplira une salle, plusieurs jours de suite, d'une foule d'auditeurs auxquels des platitudes et des banalités sembleront miraculeusement transmutées en révélations pour la seule raison qu'au lieu de les démarquer sur place leur auteur les aura sanctifiées par un parcours de vingt mille kilomètres2.
1 « Quand je suis allé à l'école à Fort McPherson, je peux me souvenir avoir appris que les Indiens et Indiennes étaient des sauvages. Nous étions violents, cruels et non civilisés. Je me souviens que j'ai lu des livres d'histoire qui glorifiaient l'homme blanc qui a massacré des nations entières de peuples indiens. Personne n'appelait les hommes blancs des sauvages, ils étaient des héros qui exploraient de nouveaux horizons et conquéraient de nouvelles frontières », traduit par nos soins, NERYSON (Richard), 1977, cité par BRODY (Hugh), 1987, Living Arctic Hunters of the Canadian North, Londres, Faber and Faber, p.5.
2 LEVI-STRAUSS (Claude), 1955, Tristes Tropiques, Paris, Plon, p.14, cité par REAU (Bertrand), POUPEAU (Frank), 2007, « L'enchantement du monde touristique », Actes de la recherche en sciences sociales, numéro 170 (Les nouvelles (?) frontières du tourisme), Décembre 2007, p.5.
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Introduction
L'Arctique est, avec les grandes forêts amazoniennes, les fonds des mers, les hautes montagnes et l'Antarctique, un des derniers lieux de la planète considérés comme inaccessibles ou presque, réservés à un petit groupe d'explorateurs, d'exploratrices, de scientifiques et de touristes privilégiés. L'Arctique est un espace propice aux mythes qui entourent tant l'environnement pour sa mer de glace, ses grandes étendues désertiques et gelées ainsi que ses mammifères marins et terrestres, que les peuples qui l'habitent pour leur adaptation aux conditions climatiques et leurs sociétés égalitaires. L'Arctique attire aussi l'attention du Sud pour l'observation des évolutions de son climat à l'heure où on s'inquiète du « changement climatique ». Cependant, avec les progrès en matière de transports notamment, la région la plus septentrionale du globe devient de plus en plus accessible pour les touristes plus ou moins fortunés, et ce en même temps que les Inuit, aux côtés des autres peuples autochtones, apparaissent dans les institutions internationales en réclamant un respect de leurs cultures et de leurs environnements. Ces conditions sont propices à l'apparition d'un tourisme responsable qui se rapproche, consciemment ou non, des notions de responsabilité sociale d'entreprise développées dans les vingt dernières années.
Au cours de ce travail nous explorons les limites du concept de responsabilité sociale d'entreprise en étudiant son applicabilité à l'activité touristique dans une région isolée, le Nunavut. Cela nous amène à étudier ce concept avec des outils économiques, bien sûr, mais aussi sociologiques, écologiques et ethnologiques. Cependant, compte tenu du fait que la responsabilité sociale nécessite d'élargir les objectifs de l'entreprise au-delà des objectifs purement économiques, l'approche adoptée dans ce travail a toute sa place dans l'étude de ce concept.
Démarche Le « coût d'entrée » en économie semble être jugé prohibitif par bien des sociologues ou philosophes contemporains qui s'en consolent par des jugements aussi dépréciatifs que peu éclairés. Bien des économistes, symétriquement, préfèrent ne pas voir les enjeux sociaux et philosophiques des modèles fondamentaux qu'ils construisent3.
En abordant le concept de responsabilité sociale d'entreprise par son applicabilité au tourisme au Nunavut, nous tentons dans ce travail de prendre en compte des arguments tant sociologiques que philosophiques aux côtés des arguments classiques de la discipline économique. Cela nécessite une approche pluridisciplinaire qui nous semble bien adaptée au sujet traité.
Cheminement intellectuel 3 CARTELIER (Jean), 2001, « La monnaie. Du concept économique au rapport social », Sciences de la Société, numéro 52, février 2001, p.112.
Introduction
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Au départ, nous avons pour objectif d'étudier l'applicabilité du concept de responsabilité sociale d'entreprise aux activités traditionnelles des peuples inuit et sáme. Cette approche nous aurait permis de nous intéresser plus particulièrement aux adaptations de ces peuples à l'entreprenariat occidental, et comment ils peuvent utiliser des concepts inventés pour dans le contexte occidental à leurs propres cultures. Cependant, compte tenu du fait que nous avons nous-mêmes une culture occidentale, avec des modes de pensées occidentaux; que nos sources sont presque exclusivement constituées de travaux menés par des Occidentaux; et qu'un travail de terrain nous est impossible compte tenu de la distance à parcourir, nous nous sommes résolus à abandonner cette approche. En effet, il ne nous aurait pas été possible d'aller au-delà d'un travail de lecture occidentale (par notre situation et nos sources) d'un concept occidental (la responsabilité sociale d'entreprise) appliqué à des activités inuit et sáme donc dans des contextes « autochtones ». Cette démarche nous paraît être dangereuse en ce qu'elle nous dirige rapidement vers une attitude distante, voire condescendante et néocoloniale vis-à-vis des cultures étudiées. En conséquence, après plusieurs lectures anthropologiques sur le sujet, notamment les ouvrages du chercheur en anthropologie sociale Hugh BRODY4, et des anthropologues Nicolas PETERSON et Toshio MATSUYAMA5, nous avons réorienté notre recherche sur un axe moins sensible et qui prend directement en compte les interactions entre Occidentaux et autochtones, l'activité touristique. Même après avoir effectué ce recentrage du sujet, nous tenons à conserver une forte imprégnation anthropologique pour cette étude. Dès le départ nous avons été conscients de la quasi absence de sources provenant directement des peuples inuit étudiés – mise à part les quelques discours prononcés par Sheila WATT-CLOUTIER6, présidente de l'International Inuit Conference, qui défend une vision très entrepreneuriale de la société inuit actuelle et qui promeut un fort développement économique associé à un retour des ressources naturelles situées dans les terres inuit aux communautés autochtones. En conséquence l'unique manière à notre disposition permettant de prendre en compte les spécificités de la culture inuit est de se fier aux textes écrits par les anthropologues spécialisés dans la région. Les nombreux chercheurs et chercheuses ayant travaillé dans ce domaine sont tous anglo-saxons. Les travaux de Robert HUNT, spécialiste en anthropologie économique et Antonio GILMAN7, Jonathan PARRY et Maurice BLOCH8, du géographe spécialisé dans les sociétés et cultures inuit George WENZEL9 ainsi que ceux de ce
4 BRODY (Hugh), 1987, opus cité. 5 PETERON (Nicolas), MATSUYAMA (Toshio) (eds), 1991, Cash, Commoditisation and Changing Foragers, Osaka (Japon), National Museum of Ethnology, Senri Ethnological Studies 30, 293p. 6 WATT-CLOUTIER (Sheila), Présidente de l'ICC Canada, Vice-présidente de l'ICC, 27 Mai 1999, Discours à l'Inuit Business Symposium, Calgary (Alberta, Canada). http://inuitcircumpolar.com/index.php?ID=107&Lang=En WATT-CLOUTIER (Sheila), Présidente de l'ICC Canada, Vice-présidente de l'ICC, Février 2000, Discours à l'Atelier du Nunavut sur le Commerce. http://inuitcircumpolar.com/index.php?ID=105&Lang=En WATT-CLOUTIER (Sheila), Présidente de l'ICC Canada, Vice-présidente de l'ICC, 18-19-20 Août 2003, Discours au Sommet Mondial des Entrepreneurs Autochtones, Toronto (Ontario, Canada). http:// inuitcircumpolar.com/index.php?ID=77&Lang=En 7 HUNT (Robert), GILMAN (Antonio) (eds), 1998, Property in Economic Context, New York et Boston, University Press of America, 381p. 8 PARRY (Jonathan), BLOCH (Maurice) (eds), 1989, Money and the Morality of Exchange, Cambridge, Cambridge University Press, 276p. 9 WENZEL (George), 1991, Animal Rights, Human Rights Ecology, Economy and Ideology in the Canadian Arctic, Toronto, University of Toronto Press, 205p.
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même auteur en collaboration avec Grete HOVELSRUD-BRODA et Nobuhiro KISHIGAMI10
constituent les fondements anthropologiques de cette étude. Pour ce qui est de la responsabilité sociale d'entreprise, plusieurs ouvrages nous
permettent de mener une étude précise sur le sujet. Françoise QUAIREL-LANOIZELEE et Michel CARPON11 nous fournissent les bases nécessaires pour aborder le sujet; ensuite, l'article de Bernard GRAND et Philippe GRILL dans le numéro 14 (Développement durable, responsabilité sociale et stratégie d'entreprise) de la revue Economie et Sociétés Série « Economie de l'entreprise » 12 constitue une approche philosophique très complète et pertinente de la notion de responsabilité sociale.
En France, le tourisme n'est malheureusement pas un domaine de recherche institutionalisé. Les ouvrages sur ce sujet sont apparus tardivement et sont peu nombreux relativement à la littérature anglo-saxonne, très développée. Par exemple, l'ouvrage de Dean MACCANNELL, The Tourist A New Theory of the Leisure Class 13, paru des 1976, est une référence sur le sujet. La pauvreté de la littérature française sur le sujet dure jusqu'au milieu des années 1990, quand les problématiques liées au « tourisme solidaire » et à l' « écotourisme » sont apparues. De fait, ce sont des articles de revues scientifiques qui constituent la majeure partie des sources françaises de ce travail, avec notamment le numéro 178 (Les masques du tourisme) de la Revue Tiers-Monde et le numéro 170 (Les nouvelles (?) frontières du tourisme) de la revue Actes de la recherche en sciences sociales. Dans le numéro 449 de la revue Territoires, l'article signé par Françoise POTIER et Francine DEPRAS14 constitue une bonne introduction aux problématiques de responsabilité sociale dans le domaine du tourisme. De plus, compte tenu de l'aire géographique étudiée l'ouvrage de Marie LEQUIN15, Ecotourisme et gouvernance participative paru en 2001 s'est révélé très pertinent pour mener cette étude à son terme.
Georges CAZES et Georges COURADE distinguent quatre étapes dans la recherche sur le tourisme, du tourisme « moteur de développement » vers le tourisme « faiseur de paix », puis le « temps des dénonciations » et enfin le « temps des chartes »16. Nous nous situons dans cette dernière phase, propice au développement de stratégies de responsabilité sociale dans les entreprises touristiques. En conséquence, des ouvrages portant sur cet aspect sont parus en ce qui concerne l'Arctique, le plus complet et le plus
10 WENZEL (George W.), HOVELSRUD-BRODA (Grete), KISHIGAMI (Nobuhiro) (eds), 2000, The Social Economy of Sharing: Resource Allocation and Modern Hunter-Gatherers, Osaka (Japon), National Museum of Ethnology, Senri Ethnological Studies 53, 219p.
11 CARPON (Michel), QUAIREL-LANOIZELEE (Françoise), 2007, La responsabilité sociale d'entreprise, Paris, La Découverte, Repères, 97p.
12 GRAND (Bernard), GRILL (Philippe), 2004, « Développement durable, éthique et entreprise: une approche critique », Economies et Sociétés Série « Economie de l'entreprise », numéro 14 (Développement durable, responsabilité sociale et stratégie d'entreprise), Avril-Mai 2004, pp.685-755.
13 MACCANNELL (Dean) (1976), The Tourist A New Theory of the Leisure Class, New York, Schocken Books Inc., 214p. 14 POTIER (Françoise), DEPRAS (Francine), 2004, « Le tourisme à l'épreuve du développement durable », Territoires, numéro
449, juin 2004, pp.11-13. 15 LEQUIN (Marie), 2001, Ecotourisme et gouvernance participative, Sainte-Foy (Québec, Canada), Presses de l'Université
du Québec, 234p. 16 CAZES (Georges), COURADE (Georges), 2004, « Introduction: les masques du tourisme », Revue Tiers-Monde, numéro
178 (Les masques du tourisme), avril-juin 2004, p.264.
Introduction
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dirigé vers la pratique étant celui de Brenin HUMPHREYS, Åshild ØnvikPEDERSEN, Peter PROKOSCH et Bernard STONEHOUSE17 publié avec le concours de l'Institut polaire de Norvège et celui du Fonds mondial pour la nature (WWF). Aussi, et pour prendre en compte les peuples autochtones dans cette démarche, l'ouvrage de Richard BUTLER et de Tom HINCH18 est très important.
Enfin, parce que l'approche postcoloniale nous paraît particulièrement adaptée à la situation étudiée, nous nous référons régulièrement au travail de Hazel TUCKER et Colin Michael HALL19.
Méthodologie Effectuer une telle recherche nous pose de nombreuses difficultés pratiques. Tout d'abord, étant donné le fait que très peu d'ouvrages traitant des peuples inuit sont disponibles à Lyon, nous effectuons la majorité des recherches bibliographiques dans les fonds documentaires des sites parisiens du musée du Quai Branly, du musée d'histoire naturelle, de l'Institut de géographie Paris I-Sorbonne et de la Bibliothèque de management-tourisme de l'Université Paris-Est Marne-la-Vallée.
Ensuite, nous envoyons un questionnaire20 à diverses entreprises de tourisme intervenant au Nunavut. Ce court questionnaire a pour objectif de demander à ces organisations d'une part si elles adoptent une stratégie de responsabilité sociale sous forme de pratiques particulières ou de rédaction d'un rapport; d'autre part si elles ont une stratégie spécifique envers les populations inuit, que ce soit par leurs ressources humaines ou par des aides ou avantages en-dehors de leur activité principale. Ces questionnaires sont transmis par courrier électronique mais aucun d'entre eux ne nous est renvoyé. Si nous sommes conscients que cet échec est dommageable pour ce travail, nous nous interdisons à interpréter cette absence de réponse dans un sens ou dans un autre; en effet, compte tenu de la petite taille des entreprises de tourisme au Nunavut, nous pouvons raisonnablement estimer que cette absence de réponse est simplement due au fait que ces firmes n'ont pas le personnel nécessaire pour traiter cette demande.
Nous préférons donc nous concentrer sur l'étude bibliographique. Au cours de ce travail nous sommes très influencés par la pensée de Thorstein VEBLEN21 qui a développé l'idée dès 1899 que le loisir est avant tout un symbole de classe qui permet de se distinguer socialement via des « dépenses ostentatoires ».
17 HUMPHREYS (Brenin H.), PEDERSEN (Åshild Ønvik), PROKOSCH (Peter), STONEHOUSE (Bernard), 1998, Linking Tourism and Conservation in the Arctic Proceedings from Workshops in January 20-22, 1996 and March 7-10, 1996 in Longyearbyen, Svalbard, TromsØ (Norvège), Norsk Polarinstitutt et WWF, Meddelelser 159, 139p.
18 BUTLER (Richard), HINCH (Tom) (eds), 1996, Tourism and Indigenous Peoples, Londres, International Thomson Business Press, 444p.
19 HALL (Colin Michael), TUCKER (Hazel) (eds), 2004, Tourism and Postcolonialism Contested discourses, identities and representations, New York, Routledge, 193p.
20 Vide Infra p.97 (Annexe 0 Questionnaire). 21 VEBLEN (Thorstein), 1978, La Théorie de la classe de loisir, Paris, Gallimard, TEL (première édition 1970), traduction
EVRARD (Louis), (The Theory of the Leisure Class, Londres, The Macmillan Company et The Viking Press, 1899), 278p.
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La pensée de Michel FOUCAULT22 est importante pour comprendre l'approche postcoloniale de ce sujet. En effet, cet auteur a introduit la notion de discours conflictuels et le fait qu'une société favorise une certaine version de la vérité sur les autres, un « régime de vérités ». Pour nous, le régime de vérités étudié concerne le voyage : quelles sont les vérités du discours occidental sur le voyage, les relations de pouvoir entre les touristes, les résidentes et résidents et les entreprises touristiques? Nous nous référons à Beverley Ann SIMMONS qui soutient que « the postcolonial Western-centric imaginations about cultural elitism, hedonistic desire, freedom and escape, as well as colonial and exploration discourses with their inherent race, class and gender relations of power are essential to construct a regime of truth about travel practices and social relations in a contemporary travel discourse 23 ». En conséquence la théorie postcoloniale nous apparaît être un axe de recherche pertinent pour ce travail, notamment parce que cette théorie s'applique particulièrement aux formes de tourisme « responsables ».
Définitions Il s'agit maintenant de définir les notions clefs de ce travail, en commençant par l'activité étudiée (le tourisme, 0.B.1), suivie des stratégies mises en place par les firmes (responsabilité sociale d'entreprise, 0.B.2), la région dans laquelle nous nous plaçons (le Nunavut, 0.B.3), les peuples qui l'habitent (Inuit, 0.B.4) et leur économie traditionnelle (0.B.5).
Tourisme, tourismes
Définition et caractéristiques principales L'Organisation mondiale du tourisme (OMT) définit le tourisme comme « the activities of persons travelling to and staying in places outside their usual environment for not more than one consecutive year for leisure, business and other purposes »24. Cette définition, bien que très vague, est la seule valable à l'échelle internationale. Une telle définition permet en effet de prendre en compte l'ensemble des cas relevant d'un secteur touristique qui se caractérise par une grande hétérogénéité. Le tourisme dans le Nunavut concerne essentiellement des voyages pour les loisirs et des séjours professionnels, les autres raisons, notamment médicales, étant inexistantes.
22 FOUCAULT (Michel), 1979, « Truth and power: an interview with Alessandro Fontano and Pasquale Pasquino », in Michel Foucault: Power/Truth/Strategy, eds MORRIS (Meaghan), PATTON (Paul), Sydney, Feral Publications, pp.48-58.
23 « Les imaginations occidentalo-centrées postcoloniales à propos de l'élitisme culturel, le désir hédoniste, la liberté et la fuite, tout comme les discours coloniaux et d'exploitation avec leurs relations inhérentes de pouvoir entre genres, classes et races sont essentielles pour construire un régime de vérités à propos des pratiques de voyage et des relations sociales dans un discours contemporain sur le voyage », traduit par nos soins, SIMMONS (Beverley Ann), 2004, « Saying the same old things: a contemporary travel discourse and the popular magazine text », in Tourism and Postcolonialism Contested discourses, identities and representations, eds HALL (Colin Michael), TUCKER (Hazel), New York, Routledge, p.54. 24 « les activités de personnes voyageant et demeurant en-dehors de leur environment habituel pour une durée inférieure à une année consécutive pour le loisir, le travail ou d'autres raisons », traduit par nos soins, GRENIER (Alain A.), 2004, The nature of nature tourism, Rovaniemi (Finlande), Lapland University Press, p.49.
Introduction
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Pierre PY considère que le tourisme présente quatre caractéristiques principales : « une forte hétérogénéité, une croissance diversifiée, une rigidité et une adaptation imparfaite à la demande 25 ». Si nous développons les caractéristiques de rigidité et d'adaptation imparfaite à la demande au cours de ce travail26, il importe de préciser dès à présent cette hétérogénéité et cette croissance diversifiée.
Des formes multiples 27
Le tourisme adopte des formes extrêmement différentes permises par des technologies de transports de plus en plus rapides. Le « sightseeing » est permis en premier lieu par ces technologies, mais aussi par la faculté des touristes de se passer partiellement du contact avec les résidentes et résidents28; en effet, il consiste en aller visiter un petit nombre d'attractions touristiques d'un espace donné, en ne profitant que très peu des services procurés sur place et en réduisant le temps passé dans ce lieu.
D'autres formes incluent le tourisme « hors-sol » et le tourisme « parc protégé » qui concernent les séjours dans des lieux isolés de leur environnement, qui reproduisent les conditions de vie que les touristes connaissent dans leur vie quotidienne. Il s'agit, par exemple, des hôtels reproductibles dans les régions balnéaires.
À côté de ces tourismes « sightseeing » et « hors-sol », souvent considérés péjorativement en ce qu'ils évitent tous contacts avec les populations locales, un « tourisme responsable » se développe. Cette expression rassemble les notions d'écotourisme, tourisme rural, tourisme solidaire, tourisme durable, qui mettent toutes l'accent sur l'observation de la nature, la valorisation des produits locaux et de l'artisanat. Ainsi, nous reprenons la définition de LEQUIN pour ce qui est de l'écotourisme :
29 30
Au cours de cette étude nous nous intéressons particulièrement à l'écotourisme défini comme ci-dessus. Cependant, compte tenu de la diversité des situations dans le Nunavut, nous différencions l' « écotourisme » du « tourisme solidaire ». En effet, il nous semble que les différents produits touristiques soit sont très focalisés sur la découverte et la protection de l'environnement, soit mettent l'accent sur la découverte et la protection des cultures inuit : si certains touristes vont à la rencontre de l'environnement uniquement, d'autres accordent une plus grande place aux peuples qui vivent au Nunavut; tous se réclament de la protection des objets visités mais avec des caractéristiques différentes. Au cours de ce travail nous tenons souvent à différencier ces deux types de tourisme; ainsi, nous utilisons le terme
25 PY (Pierre), 2002, « Le tourisme Un phénomène économique », 4e édition, Notes et études documentaires, numéro 5155, juillet 2002, 181p.
26 Vide infra p.30 (1.A.2. Le malentendu du « tourime solidaire ») 27 « Aujourd'hui, un seul tour en charter 'Soleil de Minuit' à Resolute Bay (75 degrés de latitude Nord) dépose cent voyageurs de
Chicago, Toronto et Atlanta bien au-delà du Cercle Arctique pour une demi-journée et les remmènent à toute allure », traduit par
nos soins, WENZEL (George), 1991, opus cité, p.14. 28 Vide infra p.62 (2.B.1.a.i Repousser les frontières géographique) 29 LEQUIN (Marie), 2001, Ecotourisme et gouvernance participative, Sainte-Foy (Québec, Canada), Presses de l'Université du
Québec, p.3. 30 ZIFFER (Karen A.), 1989, Ecotourism: The Uneasy Alliance, Washington DC, Conservation International et Ernst and Young,
p.6, cité par LEQUIN (Marie), 2001, opus cité, p.16.
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« écotourisme » pour désigner le tourisme focalisé sur l'environnement et sa protection, et l'expression « tourisme solidaire » quand les visiteurs cherchent un contact plus grand avec les peuples autochtones. Pour désigner l'ensemble de ces deux types de tourisme, nous utilisons l'expression « tourisme responsable ».
Bien que tous les touristes veulent s'immerger, à plus ou moins grande échelle, dans les cultures et les sociétés qu'ils visitent, nous constatons que cette intention est beaucoup plus forte chez les touristes responsables, ce qui les différencie des touristes hors sol.
Différents classements Le tourisme n'est pas homogène et, à côté de ces différentes formes de tourisme, nous présentons ici deux autres formes de classement des touristes, qui nous paraissent utiles pour mieux caractériser les touristes au Nunavut.
Par la forme du voyage
Le premier classement qui nous intéresse, présenté par PY31, est discriminant en fonction de la forme du voyage. Il distingue, parmi les voyageurs, les voyageurs internes des voyageurs internationaux. Ensuite, dans chacune de ces deux catégories, il distingue les visiteurs, à savoir ceux qui demeurent moins de douze mois sur le lieu visité. Parmi ces visiteurs, il différencie les « touristes », qui passent au moins une nuit sur leur destination, des « excursionnistes », qui restent une journée au maximum.
À partir de ce classement, PY en effectue un second, dans lequel il distingue : le tourisme interne, qui concerne les résidents, résidentes d'un pays visitant leur propre
pays, le tourisme récepteur, qui concerne les non-résidents, non-résidentes d'un pays visitant
un pays autre que le leur, le tourisme émetteur, qui concerne les résidents, résidentes d'un pays visitant d'autres
pays. En ce qui concerne le Nunavut, le tourisme émetteur est très important.
Par les motif du voyage L'Organisation mondiale du tourisme distingue six grands groupes de touristes en fonction des motifs de voyage32. Ces six grands groupes sont :
loisirs, détente, vacances; visites à des parents et amis; affaires et motifs professionnels; traitements médicaux; religions et pèlerinages; autres. En ce qui nous concerne, les principaux motifs de tourisme au Nunavut correspondent à
la troisième catégorie (affaires et motifs professionnels), qui représente, selon le service de 31 PY (Pierre), 2002, opus cité, pp.17-18. 32 PY (Pierre), 2002, opus cité, p.18.
Introduction
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statistique du Canada, les trois-quarts des visiteurs de la région33. Vient ensuite la première catégorie (loisirs, détente, vacances), alors que les deuxième (visites à des parents et amis), quatrième (traitements médicaux) et cinquième catégories (religions et pèlerinages) sont presque inexistantes.
Responsabilité sociale d'entreprise, développement durable Nous nous référons ici aux travaux de CARPON et QUAIREL-LANOIZELEE34 qui estiment que la responsabilité sociale d'entreprise (RSE) est un effort de conciliation entre l'activité économique et les attentes de la société qui nécessite d'admettre qu'il existe une tension entre l'exploitation des ressources matérielles et humaines et la satisfaction des besoins de la population.
Ces auteurs distinguent deux approches de la RSE : une approche anglo-saxonne qui considère l'entreprise comme un être moral qui volontairement adopte des stratégies de responsabilité en direction d'un intérêt général/bien commun; une approche latine qui considère l'entreprise comme responsable vis-à-vis de ses « parties prenantes » donc contrainte à adopter des stratégies de responsabilité dans leur direction. Cette notion de partie prenante regroupe tous les acteurs et actrices qui ont de l'influence sur l'entreprise, que cela se situe au niveau de la détention de capital (les actionnaires), au niveau des relations sociales (e.g. les syndicats) ou d'autres personnes morales ou physiques, tels que les organisations non gouvernementales. En ce qui concerne le tourisme au Nunavut, les entreprises étudiées ont une plus grande influence anglo-saxonne que latine; aussi, elles sont plus enclines à adopter des stratégies envers les communautés dans lesquelles elles évoluent. En conséquence, nous considérons que l'approche anglo-saxonne doit être privilégiée. Néanmoins l'importance de la notion de partie prenante dans la recherche sur la RSE nous oblige à prendre en compte cette théorie. Ainsi, en ce qui concerne le tourisme, sa grande dépendance envers les communautés d'accueil nous amène à considérer ces dernières comme des parties prenantes de l'entreprise, c'est-à-dire des actrices et acteurs qui ont de l'influence sur les résultats de la firme, et ce au même titre que les propriétaires de celle-ci, bien qu'ils n'en contrôlent pas le capital.
Au cours de ce travail, nous sommes amenés à évoquer la notion de « développement durable » définie par la Commission sur l'environnement et le développement de l'Organisation des Nations Unies (ONU) en 1987 comme « un développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre les capacités des générations futures à répondre aux leurs 35 ». En effet, il nous paraît indispensable d'évoquer la notion de développement durable aux côtés de celle de responsabilité sociale d'entreprise car la première constitue un objectif plus large et plus directement politique de pratiques contenues dans la seconde. En conséquence, il nous semble que les justifications les plus pertinentes de l'adoption de stratégies de RSE se trouvent dans l'objectif de développement durable. Enfin, la notion de développement durable étant elle-même mouvante, cela permet de voir différentes justifications de la RSE émerger36.
33 Economic Services The Conference Board of Canada, 2001, Nunavut Economic Outlook, Ottawa (Ontario, Canada), p.71. http://www.gov.nu.ca/english/public/ 34 CARPON (Michel), QUAIREL-LANOIZELEE (Françoise), 2007, opus cité.
35 Commission sur l'environnement et le développement de l'Organisation des Nations Unies, 1988, Notre Avenir à Tous dit Rapport BRUNDTLAND, Paris, Chiron, 462p, cité par CARPON (Michel), QUAIREL-LANOIZELEE (Françoise), 2007, opus cité, p.12.
36 Vide infra p.47 (1.B.2. Une consommation ostentatoire: « resourcism » et « preservationism »).
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Au Nunavut les acteurs et actrices sont très influencés par les pratiques anglo- saxonnes; pour notre part nous sommes plus proches des théories européennes. Pour ce travail, ces deux approches nous paraissent plus complémentaires que concurrentes.
Arctique, Nord, Sud, Nunavut Il convient maintenant de définir la région étudiée, l'Arctique (0.B.3.a) et le Nunavut (0.B.3.b).
Arctique L'Arctique est la partie la plus au Nord du globe terrestre. Certaines définitions donnent pour limite Sud le cercle polaire arctique. En ce qui nous concerne, nous préférons prendre pour limite Sud la ligne qui sépare l'espace dans lequel les arbres poussent, au sud, de l'espace dans lequel les arbres ne poussent pas, au Nord. Notre définition de l'Arctique ne comprend donc pas la forêt boréale. Cette limite correspond à la ligne au-delà de laquelle la température moyenne mensuelle en juillet ne dépasse pas dix degrés Celsius, ce qui explique le fait que les arbres ne peuvent pas croître dans l'Arctique. Sociologiquement, elle correspond aussi à la séparation entre les peuples inuit et les autres peuples autochtones vivant au Canada. Ainsi, lors de la création du Nunavut en 1993, cette ligne sert de frontière Sud du territoire.
Lorsque nous nous plaçons dans l'Arctique, attitude que nous adoptons au cours de ce travail, c'est du « sud » que viennent les colonisateurs, le pouvoir central est au Sud tout comme les centres de décisions économiques. En ce qui nous concerne, le « sud » est le pouvoir fédéral canadien, situé à Ottawa (Ontario); nous étudions le Nunavut, une entité fédérée de l'Etat canadien.
Nunavut
Population du Nunavut « Nunavut » signifie, en langue inuktitut, « notre terre ». En effet, les frontières du territoire sont tracées de façon à délimiter l'espace habité par les peuples inuit, alors que le Sud de cette ligne est habité par les peuples dene.
Le Nunavut est un territoire de plus de deux millions de kilomètres carrés divisé en trois régions (Baffin, Keewatin, Kitikmeot) sur lequel vivent, selon les chiffres du recensement de 200637, moins de trente mille personnes (Nunavummiut) dont 85 pour cent se considèrent comme inuit. Cette population est jeune (40 pour cent a moins de quinze ans) et une large majorité, 70 pour cent, a pour langue maternelle l'Inuktitut.
Création du Nunavut Le Nunavut est séparé des Territoires du Nord-Ouest le 01.04.1999 au terme d'une procédure de vingt-trois ans : en 1976 les négociations portant sur les revendications territoriales des Inuit ont débuté; en 1982, une majorité des électeurs et électrices du Territoire du Nord-Ouest se prononcent pour la scission; en 1992, une majorité des électrices et électeurs du futur Nunavut se prononcent pour l'accord sur les revendications territoriales;
37 Recensement de 2006 pour le Nunavut http://www12.statcan.ca/english/census06/data/profiles/aboriginal/Details/ Page.cfm? Lang=E&Geo1=PR&Code1=62&Geo2=PR&Code2=01&Data=Count&SearchText=Nunavut&SearchType=Begins&SearchPR=01&B1=All&GeoLevel=&GeoCode=62
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en 1993 la transition commence avec le vote de deux lois par Ottawa, la Loi concernant l'accord sur les revendications territoriales du Nunavut et la Loi sur le Nunavut. Depuis 1999 cette région dispose des mêmes administrations que les autres entités fédérées, avec notamment un gouvernement investi par un assemblée élue au suffrage universel. Cependant, il n'existe pas de partis politiques propres au Nunavut, la plupart des décisions de l'assemblée sont prises au consensus. De plus, le Nunavut Tungavik Incorporated, association créée pendant la période de transition des années 1990, représente et protège les intérêts de vingt-et-un mille Inuit et constitue, selon Natalia LOUKACHEVA38, un deuxième niveau de gouvernance.
Economie du Nunavut L'économie du Nunavut repose sur l'exploitation des ressources naturelles, la finance et l'administration39. Le tourisme ne constitue pas un secteur reconnu par l'organisme de statistiques canadien : cet organisme considère que le tourisme inclut une partie des secteurs « Accomodation, Food and Beverage Services » (Services de logement, alimentation et boisson), « Transportation Industries » (Activités de transport) ainsi qu'une partie de la catégorie « Other Service Industries » (Autres activités de services). En utilisant cette définition, l'organisme estime que le tourisme contribue pour trente-cinq millions de dollars canadiens au produit intérieur brut du territoire, soit 4,8 pour cent40. Si cette proportion est relativement faible, le tourisme constitue néanmoins une activité productrice de richesses et représente environ cinq cents emplois dans cent vingt-trois entreprises. Ce tourisme est varié :
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Cette diversité des produits touristiques ne doit pas nous faire oublier que les touristes visitant les parcs naturels sont ceux qui restent le plus longtemps au Nunavut et qui dépensent le plus d'argent sur place, et ce même si il y a un manque d'infrastructures d'accueil dans ces zones protégées42. Le développement du tourisme dans la région est aussi confronté au problème du coût des transports et du manque de formation à l'hébergement43. De fait, au Nunvavut, plus de 22 pour cent des foyers comportent moins d'une pièce par occupant, proportion qui tombe à 4 pour cent pour l'ensemble du Canada44.
38 LOUKACHEVA (Natalia), 2004, Autonomy and Indigenous Peoples of the Arctic Legal Status of Inuit (case study of Greenland and Nunavut), thèse soutenue à l'Université de Toronto en 2004, dirigée par MACKLEM (Patrick) et SOSSIN (Lorne), Ann Arbor (USA, Michigan), SOSSIN, p.126. 39 Economic Services The Conference Board of Canada, 2001, opus cité, p.61. 40 Vide Infra p.100 (Annexe 1 Produit Intérieur Brut du Nunavut en 1999). 41 « Alors que les sports de chasse et de pêche continueront à jouer un rôle important dans l'activité touristique il y a beaucoup
d'autres types de tourisme qui se développent et qui jouent un rôle plus grand au Nunavut. Ils incluent les produits de tourisme
d' « aventure » (canoë/kayak, randonnée, etc.), le tourisme culturel, le tourisme fondé sur la nature (écotourisme), le tourisme
éducatif et d'autres produits touristiques spécialisés », traduit par nos soins, Economic Services The Conference Board of Canada,
2001, opus cité, p.71. 42 Economic Services The Conference Board of Canada, 2001, opus cité, p.71. 43 idem, p.72. 44 Recensement de 2006 pour le Nunavut, opus cité.
L'applicabilité de la Responsabilité sociale d'entreprise aux activités touristiques au Nunavut
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Peuple inuit, inuit Les Inuit peuplent les régions de l'Alaska, du Nord du Canada, du Groënland et de l'extrême Est de la péninsule de Chukotka. Ils sont cent vingt-cinq mille en tout, dont trente-deux mille vivant au Nunavut. Nous considérons ici que le terme inuit s'applique à toute personne se reconnaissant comme inuit.
Ils sont organisés en communautés (vingt-six au Nunavut) qui organisent, à l'intérieur de chacune, des mécanismes de régulation qu'il est important de décrire succinctement pour comprendre dans les structures auxquelles les entreprises de tourisme doivent s'adapter.
Economie traditionnelle et partage Les sociétés inuit sont traditionnellement organisées sur la base du partage. Cela ne veut pas dire que chacun éprouve du plaisir à donner, mais que toute possession de certains objets est temporaire et que le possesseur n'a pas de choix sur le temps qu'il peut les garder. Si les premières recherches anthropologiques sur le partage dans les communautés inuit considèrent cette pratique simplement comme essentielle à la subsistence dans l'Arctique, on la considère aujourd'hui comme un aspect essentiel de la culture et de l'identité inuit45. Les partages sont de différentes natures suivant les cas. Les plus répandus sont, par exemple, le « piqatigiit », système qui fait que si une personne A donne une partie de phoque à B, B donne cette même partie à A quand elle tue un phoque à son tour; le « payuktuq » consiste en le don de portions de phoques n'appartenant pas au piqatigiit à des foyers non inclus dans le partenariat de chasseurs46. Selon HUNT47, le partage est une règle puissante avec de longues discussions pour former des parts appropriées, et ceci avec pour objectif de produire une absence de concentration de biens matériels et d'influence politique. Ainsi, le « partage de la demande » est un système dans lequel l'initiative du partage et la détermination de l'item à partager relèvent de la partie qui ne possède pas. Le partage s'oppose à la redistribution en ce qu'il ne nécessite pas de structure centralisée. Respecter ces pratiques nécessite d'importants efforts d'adaptation pour les activités économiques occidentales. En ce qui concerne les activités touristiques, cela est encore plus difficile en raison notamment du fait que les visiteurs restent peu de temps sur place. Cependant, nous rejetons tout essentialisme et déterminisme et refusons de considérer que, dès lors que des institutions occidentales pénètrent des cultures autres, une homogénéisation inéluctable se développe. En effet, si tel était le cas, compte tenu de la forte pénétration de l'institution monétaire, par exemple, dans les communautés inuit, ce travail n'aurait pas de sens. De fait, considérer que les institutions économiques (monnaie, tourisme) ont une importance primordiale pour les peuples autochtones est en soi une idée néocoloniale car cela pose une spécificité occidentale (la grande importance des activités économiques) comme universelle. Pourtant cela ne veut pas dire qu'il faut simplement laisser les institutions économiques occidentales pénétrer les sociétés autochtones; au contraire, nous estimons que la communauté doit jouer un rôle important.
45 COLLINGS (Peter), CONDON (Richard G.), WENZEL (George), 1998, « Modern Food Sharing Network and Community Integration in the Central Canadian Arctic », Arctic Journal of the Arctic Institute of North America, volume 51, numéro 4, Décembre 1998, p.301. 46 idem, pp.304-305. 47 HUNT (Robert C.), 2000, « Forager Food Sharing Economy: Transfers and Exchanges », in The Social Economy of Sharing: Resource Allocation and Modern Hunter-Gatherers, eds WENZEL (George W.), HOVELSRUD-BRODA (Grete), KISHIGAMI (Nobuhiro), Osaka (Japon), National Museum of Ethnology, Senri Ethnological Studies 53, p.9.
Introduction
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Problématique et plan Ce travail a pour objectif de déterminer l'applicabilité de la responsabilité sociale d'entreprise aux entreprises de tourisme au Nunavut.
Dans une première partie, nous étudions les domaines dans lesquels l'application de la RSE nous paraît être, sinon aisée, du moins possible. Dans une seconde partie, nous nous intéressons aux domaines qui nous semblent échapper à la notion de RSE.
L'applicabilité de la Responsabilité sociale d'entreprise aux activités touristiques au Nunavut
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I/ Les domaines d'applicabilité de la Responsabilité sociale d'entreprise
La responsabilité sociale d'entreprise nous paraît adaptée dans un certain nombre de domaines pour les activités touristiques au Nunavut. Le tourisme se prête bien à la RSE, comme le montrent les différents tourismes durable, solidaire, et écotourisme qui se développent. Les pratiques de la RSE peuvent être appliquées pour tenter d'augmenter la qualité de la croissance économique de la région en diminuant sa dépendance au Sud, pour aider à préserver les pratiques culturelles des peuples inuit en augmentant leur implication dans les projets touristiques et pour essayer de diminuer les conséquences négatives dues aux longs transports nécessaires pour atteindre la région. La RSE se place ainsi dans une perspective de dépendance à l'égard des ressources et dans un contexte de multiples petites entreprises.
Les concepts de la responsabilité sociale d'entreprise sont applicables aux particularités d'activités dans une économie dominée (1.A) et prenant place dans des lieux isolés (1.B).
A. Une économie dominée La RSE doit faire face au Nunavut à la grande dépendance des activités économiques à l'égard du Sud. Ce concept doit être capable d'atténuer ces dépendances en augmentant la qualité de la croissance économique, et ce malgré le fait que le tourisme est une activité à faible valeur ajoutée (1.A.1). En même temps, le tourisme solidaire s'appuie pour son développement sur un « malentendu » qui peut dans certains cas être perçu comme bénéfique. Il s'agit ici d'étudier dans quels cas ce malentendu peut apporter des avantages à tous les acteurs et actrices sur le terrain (1.A.2). L'application de la RSE est compliquée par la prépondérance des petites entreprises dans ce secteur; cependant cela comporte aussi des avantages, notamment lorsqu'on prend en compte le fort besoin d'implication des communautés d'accueil dans l'activité touristique (1.A.3).
1. RSE et importance des matières premières et des services
a. Modèle de développement dépendant du Sud Justifier l'importance de la responsabilité sociale d'entreprise dans le modèle de développement de l'Arctique nécessite en premier lieu de préciser dans quel modèle de développement nous nous trouvons. En effet, nous nous opposons à la théorie des
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étapes du développement développée par Walt Whitman ROSTOW48, qui, en faisant du développement un processus exclusivement économique et technologique, laisse peu de place aux concepts de responsabilité sociale d'entreprise. Au contraire, nous nous plaçons dans la perspective développée par François PERROUX49 en faisant une distinction entre croissance et développement, le second nécessitant une plus grande implication des actrices et acteurs économiques et non économiques.
En effet, dans le cas du Nunavut, la région est dominée par les centres économiques et politiques du Sud. C'est ainsi que dans les années 1980 la région souffre économiquement et culturellement suite à la directive européenne 83/229/EEC établissant un embargo sur les peaux de phoque dans les Communautés, et faisant baisser énormément le prix des peaux sur les marchés. Par exemple, selon WENZEL50, en 1985, alors que le coût de la chasse a considérablement augmenté entre-temps (notamment en raison de l'évolution des équipements), le prix moyen de la peau de phoque retombe à son niveau de 1960. En ce qui concerne Clyde, cela met en péril la tradition de partage en raréfiant considérablement la viande de phoque, diminue les déplacements saisonniers de la population, augmente le nombre d'employés dans la communauté et affecte fortement toute une génération de personnes dont les compétences et capacités linguistiques ne permettent pas de se reconvertir. A cause de décisions prises au Sud, la communauté perd le contrôle sur son économie et ses pratiques culturelles.
Cela est tout à fait applicable à l'activité touristique car selon POTIER et DEPRAS51
elle est dominée par l'offre des prestataires de tourisme des pays « émetteurs », les pays « récepteurs » ayant peu de pouvoir. Si cette dépendance peut difficilement être supprimée, les principes de responsabilité sociale d'entreprise sont capables de prendre en compte les aspirations des populations réceptrices.
b. Services à faible valeur ajoutée 52
Le tourisme est une activité de service qui peut se rapprocher aux services à la personne. En conséquence, quand une région fonde son activité économique sur le tourisme, elle est particulièrement vulnérable : ces activités sont les premières à être touchées lors d'un ralentissement économique. Pour limiter les risques liés à ce facteur, Sébastien CONDES53
considère qu'il faut que la région ait une offre touristique diversifiée, mêlant différents motifs (professionnel et agrément), modes de visite (groupe et individuel), clientèles (domestique et régionale). Ce sont les entreprises qui acceptent de diversifier leurs activités, parfois au détriment de la rentabilité immédiate, qui assurent leur pérennité.
48 ROSTOW (Walt Whitman), 1970, Les Etapes de la croissance économique. Un manifeste non communiste, Paris, Seuil, traduction DU ROURET (M-J), (The Stages of Economic Growth. A Non-Communist Manifesto, Cambridge, Cambridge University Press, 1960), 255p. 49 PERROUX (François), 1961, L'Economie du XXe siècle, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 859p.
50 WENZEL (George), 1991, opus cité. 51 POTIER (Françoise), DEPRAS (Francine), 2004, opus cité, pp.11-13.
52 CAZELAIS (Normand), 2000, « L'espace touristique québecois contemporain », in L'Espace touristique, eds CAZELAIS
(Normand), NADEAU (Roger), BEAUDET (Gérard), Québec, Presses de l'Université du Québec, pp.1-60. 53 CONDES (Sébastien), 2004, « Les incidences du tourisme sur le débeloppement », Revue Tiers-Monde, numéro 178 (Les masques du tourisme), avril-juin 2004, pp.269-291.
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Selon LEQUIN, ces effets saisonniers négatifs peuvent être compensés si le tourisme responsable génère d'autres activités économiques annexes pendant les saisons creuses, telles que l'artisanat. Les entreprises d'écotourisme, qui adoptent une stratégie de responsabilité sociale d'entreprise, doivent être capables de favoriser de telles activités.
Enfin, ces mesures, si elles sont nécessaires, ne peuvent pas supprimer le fait que « pour des raisons structurelles, encore plus que circonstancielles, le tourisme doit plutôt être conçu et développé comme un secteur d'appoint, qui vient épauler d'autres secteurs plus porteurs 55 ». Normand CAZELAIS montre ici que les régions réceptrices, malgré toutes les précautions prises, ne peuvent pas compter sur le seul tourisme pour leur développement.
2. Le malentendu du « tourisme solidaire » 56
Pour MACCANNELL, toute activité touristique se situe dans une relation entre les représentations et la réalité. Ici, nous défendons que, spécialement en ce qui concerne l'écotourisme, cette différence entre représentation et réalité entraîne un « malentendu ». Cela est fortement imbriqué dans une contradiction du tourisme solidaire consistant en ce que les touristes, qui viennent pour s'immerger dans une société « préservée de la modernité », veulent aussi « développer le village ».
a. De puissants obstacles à l'échange interculturel Nous considérons ici que le tourisme solidaire entraîne un certain nombre de malentendus entre entreprises de tourisme, communautés d'accueil et touristes qui peuvent être productifs, c'est-à-dire qu'ils peuvent améliorer la situation de ces trois groupes. Nous développons donc les avantages des malentendus productifs dans cette partie, que nous critiquons plus bas dans le texte57.
L'illusion Nadège CHABLOZ dans l'article Le malentendu les rencontres paradoxales du « tourisme solidaire » 58 distingue trois malentendus du tourisme solidaire, alors que ce même tourisme entend créer une rencontre « authentique59 ». Le premier malentendu est le « malentendu productif », qui porte sur des objectifs et logiques différents; il est cependant qualifié de « productif » en ce qu'il y a des pratiques communes qui apportent des avantages à chacun. Le second est qualifié de « malentendu bien entendu » car l'équivoque est pilotée, organisée par les protagonistes car elle leur apporte des avantages immédiats. Le troisième et dernier
54 LEQUIN (Marie), 2001, opus cité, p.22. 55 CAZELAIS (Normand), 2000, opus cité, p.45.
56 « Habituellement, le premier contact qu'un touriste a avec une attraction n'est pas l'attraction elle-même mais avec une
représentation de celle-ci », traduit par nos soins, MACCANNELL (Dean), 1976, opus cité, p.110. 57 Vide infra p.73 (2.B.3 Pour une autre définition de l'authentique) et p.81 (3. Conclusions). 58 CHABLOZ (Nadège), 2007, « Le malentendu Les rencontres paradoxales du « tourisme solidaire » », Actes de la recherche en sciences sociales, numéro 170 (Les nouvelles (?) frontières du tourisme), Décembre 2007, pp.32-47. 59 Vide infra p.73 (2.B.3 Pour une autre définition de l'authentique).
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est le « malentendu-pieux mensonges » qui vise à créer et maintenir l'enchantement de la rencontre touristique. Pour l'auteure, les organisations qui interviennent dans le tourisme solidaire font de la « désinformation par omission 60 » tout comme les accueillants, les touristes eux-mêmes participant à l'illusion.
Cela est dû au fait que « l'espace touristique est d'abord un espace mental [...] et également un espace de désir 61 » et que les attraits sont vendus à la clientèle par l'image. Ainsi, le malentendu improductif est paradoxalement celui qui entraîne une meilleure compréhension entre visiteurs et visités et détruit l'illusion. Le tourisme solidaire et la responsabilité sociale d'entreprise n'ont donc pas pour objet de résoudre le malentendu en organisant une compréhension complète entre visiteurs et visités. Au contraire, ils doivent entretenir une part d'illusion qui leur est propre.
Les artefacts La déception des visiteurs, qui résulte de la perte de la part d'illusion, est due au fait que « our attention is distracted by the artefacts and tools that we recognize as our own 62 ». De fait, dans l'Arctique, la forte augmentation du nombre de motoneiges et de bateaux à moteur depuis les années 1960 détruisent l'image d'un peuple inuit peu avancé technologiquement; cependant cela ne se fait pas au profit de la création d'une meilleure compréhension interculturelle car les visiteurs, dont le mode de compréhension du monde est focalisé sur les technologies, changent leur image des inuit en peuple « occidentalisé », qui a perdu ses spécificités culturelles. Cela constitue une illusion improductive en ce qu'elle supprime l'attrait touristique pour l'Arctique dans la clientèle potentielle. Aussi, il paraît inadapté aux séjours touristiques solidaires de quelques jours seulement de remettre en cause des valeurs et perceptions du monde si profondément ancrées dans les systèmes de pensée des visiteuses et visiteurs occidentaux.
Pour WENZEL, « the only news that fits the « real » North concerns treks by Japanese, American or British adventurers to the Pole, expeditions from which Inuit are notably absent 63 ». L'impossibilité d'une réelle compréhension interculturelle est patente au cours d'un séjour touristique.
En conséquence nous sommes en accord avec Louis J. D'AMORE quand il estime que « communities in tourist destination areas should adopt or refine themes and events that reflect history, local lifestyles or geographic settings 64 », et cela pour mieux correspondre aux objectifs du tourisme solidaire. Cela montre bien que le malentendu se situe surtout au niveau de la perception de ce qui est authentique et de ce qui ne l'est pas : les autochtones construisent des attractions qui paraissent authentiques aux touristes, alors qu'eux-mêmes ne les considèrent pas comme tel. En effet, c'est seulement par la mise en
60 CHABLOZ (Nadège), 2007, opus cité, p.45. 61 CAZELAIS (Normand), 2000, opus cité, pp.8-9.
62 « notre attention est distraite par les artefacts et outils que nous considérons comme nôtres », traduit par nos soins, WENZEL (George), 1991, opus cité, p.57.
63 « les seules nouvelles qui correspondent au « vrai » Nord concernent les parcours par les aventuriers japonais, américains ou britanniques vers le pôle, expéditions desquelles les Inuit sont notablement absents », traduit par nos soins, idem, p.14.
64 « les communautés dans les espaces recevant des touristes devraient adopter ou perfectionner les thèmes et évènements qui reflètent l'histoire, les styles de vie locaux ou les cadres géographiques », traduit par nos soins, D'AMORE (Louis J.), 1983, « Guidelines to Planning in Harmony With the Host Community », in Tourism in Canada: Selected Issues and Options, ed MURPHY (Peter E.), Victoria (Colombie Britannique, Canada), University of Victoria, Western Geographical Series Volume 21, p.156.
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scène et le spectacle que les touristes conservent une image des Inuit comme d'une culture différente de la leur; ils ne peuvent réellement comprendre une culture par le spectacle et les évènements organisés à leur intention. L'illusion, le malentendu sont productifs pour les deux groupes.
b. Le besoin de forte implication des dominés dans l'entreprise pour rendre possible un échange interculturel
Cependant, selon Jacqueline GREKIN et Simon MILNE65, une majorité des résidentes et résidents de la localité touristique de Pond Inlet considère que les touristes devraient avoir une plus grande exposition à la culture inuit, cela étant observé également parmi les touristes visitant cette localité.
Le nécessaire respect de la « capacité de charge » Avant toute chose, l'activité touristique doit respecter la « capacité de charge », définie par Jean-Michel DEWAILLY et Emile FLAMENT comme « le nombre de personnes (de touristes) qu'un écosystème peut accueillir sans que l'équilibre de ses composantes, en quantité et en qualité, soit rompu 66 ». Cependant il nous paraît essentiel d'élargir cette notion au système socioéconomique dans lequel l'activité touristique prend place, ce qui englobe aussi les structures économiques, sociales et culturelles. Ainsi, nous prenons la définition de D'AMORE : « social carrying capacity for tourism is [...] that point in the growth of tourism where local residents perceive on balance an unacceptable level of social disbenefits from tourism development 67 ».
Le modèle établi par D'AMORE68 (cf Annexe 2 Modèle théorique de D'AMORE sur les relations entre résidentes, résidents et touristes 69) nous semble satisfaisant pour aborder l'évolution dans le temps des relations entre les résidents, résidentes et les touristes. DOXEY70 a établi un tableau décrivant le changement d'attitude des hôtes par rapport aux touristes dans le temps (cf Annexe 3 Modèle de DOXEY sur les relations entre résidentes, résidents et touristes 71).
La notion de capacité de charge, et notamment de capacité de charge sociale d'une communauté nous paraît essentielle en ce qui concerne la responsabilité sociale
65 GREKIN (Jacqueline), MILNE (Simon), 1996, « Toward sustainable tourism development: the case of Pond Inlet, NWT », inTourism and Indigenous Peoples, eds BUTLER (Richard), HINCH (Tom), Londres, International Thomson Business Press, pp.76-106. 66 DEWAILLY (Jean-Michel), FLAMENT (Emile), 1993, Géographie du tourisme et des loisirs, Paris, SEDES, Dossiers des images économiques du monde, p.228 cité par NADEAU (Roger), 2000, « Tourisme et environnement », in L'Espace touristique, eds CAZELAIS (Normand), NADEAU (Roger), BEAUDET (Gérard), Québec, Presses de l'Université du Québec, p.76. 67 « la capacité de charge sociale pour le tourisme est le point dans la croissance du tourisme auquel les résidents et résidentes percoivent dans l'équilibre un niveau inacceptable de coûts sociaux dûs au développement du tourisme », traduit par nos soins, D'AMORE (Louis J.), 1983, opus cité, p.144.
68 idem, p.136. 69 Vide infra p.101 (Annexe 2 Modèle théorique de D'AMORE sur les relations entre résidentes, résidents et touristes). 70 MASON (Peter), 1998, « Drafting tourism codes for the Arctic », in Linking Tourism and Conservation in the Arctic Proceedings
from Workshops in January 20-22, 1996 and March 7-10, 1996 in Longyearbyen, Svalbard, eds HUMPHREYS (Brenin H.), PEDERSEN (Åshild Ønvik), PROKOSCH (Peter), STONEHOUSE (Bernard), Tromsø (Norvège), Norsk Polarinstitutt et WWF, Meddelelser 159, pp.13-25.
71 Vide infra p.102 (Annexe 3 Modèle de DOXEY sur les relations entre résidentes, résidents et touristes).
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d'entreprise en ce qui concerne le tourisme, spécialement dans le Nunavut. En effet, de par la très petite taille des communautés, l'arrivée des touristes perturbe beaucoup la société. Aussi la grande sensibilité de l'environnement écologique vis-à-vis des perturbations extérieures nous amène à penser que la capacité de charge de l'écosystème est faible. Ainsi, malgré le fait que la région soit très étendue, sa capacité de charge est faible et la saturation rapidement atteinte. Une entreprise touristique responsable doit donc être capable de limiter rapidement ses activités, ce qui correspond assez bien à la notion d'écotourisme, qui se veut à petite échelle. Ce tourisme doit donc être « intégré » en ce qu'il doit « remettre les enjeux locaux, humains et environnementaux au coeur de l'analyse et de l'action : exigence de décroissance, de démocratie et de vision prospective 72 ». De fait, ce sont toujours les résidentes, résidents qui déterminent, suivant leur perception et non suivant des raisonnements rationnels ou économiques, le niveau de la capacité de charge sociale.
Une étape, l'implication des résidentes et résidents dans les entreprises touristiques Le respect de la capacité de charge ne suffit pas pour qu'une entreprise touristique soit responsable, il faut aussi qu'il y ait une certaine équité dans la relation entre les touristes et les résidents et résidentes. Pour atteindre cet objectif il faut que les résidentes et résidents soient impliqués dans l'activité touristique. Cela est d'autant plus important en ce qui concerne le Nunavut que les hôtes ont pour la plupart une culture éloignée des touristes et qu'ils constituent un peuple différent de ceux qui les visitent. Cela commence très tôt, dès le marketing du produit touristique.
73
Il s'agit de faire en sorte que les résidentes et résidents aient une maîtrise de leur image et de celle de leur région. Or il est très rare que la communauté d'accueil définisse sa propre image; en effet, les tâches de marketing sont toujours exclusivement considérées comme dirigées vers les clients potentiels, et les communautés d'accueil ne sont jamais compétentes pour connaître les attentes de ces clients qui vivent et pensent de façon très éloignées d'elles. Par exemple, en ce qui concerne le Nunavut, GREKIN et MILNE74
considèrent que les agents de voyage situés au Sud (Montréal) connaissent très peu la région et conseillent très peu aux visiteurs et visiteuses potentiels d'y aller. De plus, lorsque ces agents sont capables de donner une image de la région et de son peuple, cette image est créée sans la participation de ce peuple. C'est ainsi que à Pond Inlet, les tours « tout inclus » sont « almost entirely marketed through southern tour operators, with community outfitters providing the local service 75 .».
Dans ce modèle de développement du tourisme, les communautés d'accueil perçoivent relativement peu des revenus tirés de l'activité car, selon les mêmes auteurs et toujours à
72 MOREAU DEFARGES (Philippe), 2001, « Le droit des peuples au divorce », Le débat, numéro 114, mars-avril 2001, p.12. 73 « La promotion des attractions locales devrait être sujette à l'assentiment des résidentes et résidents. [...] La promotion
détermine quel type et le nombre de visiteurs qui seront attirés et, plus important, quelles seront leurs attentes », traduit par nos
soins, D'AMORE (Louis J.), 1983, opus cité, p.154. 74 GREKIN (Jacqueline), MILNE (Simon), 1996, opus cité. 75 « presque entièrement vendus par des tour opérateurs du Sud, avec des OUTFITTERS de la communauté qui fournissent le service local », traduit par nos soins, idem, p.82.
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Pond Inlet, seulement 40 pour cent du prix d'un tour « tout inclus » revient à la communauté d'accueil, le reste restant au sud.
Dans ces conditions, il paraît difficile d'augmenter les revenus de la communauté d'accueil sur les tours « tout inclus », ce qui est pourtant un des éléments importants de la responsabilité sociale d'entreprise dans le tourisme. En revanche, si on effectue une distinction entre le tourisme « vers l'Arctique » et le tourisme « dans l'Arctique », HINCH et BUTLER estiment que « while tourism to the Arctic is still primarily externally controlled and managed, tourism within the Arctic has a high degree of local involvement, especially in the area of artefact production and guiding 76 ». Si ce n'est pas dans la vente de tours « tout inclus » ni dans les transports vers la région, la participation des résidentes et résidents à l'activité touristique dans l'Arctique paraît assez développée en ce qui concerne les activités dans l'Arctique, artisanat et guidage.
Un objectif, l'initiative des résidentes et résidents dans les activités touristiques Résoudre les problèmes d'implication des résidentes et résidents, et notamment de leur maîtrise de l'image de la région, peut être atteint par la maîtrise de l'initiative des activités touristiques. Il s'agit ici de faire en sorte que les résidentes et résidents planifient eux-mêmes le tourisme en fonction de leurs priorités. L'entreprise doit alors se obéir aux préférences de la communauté d'accueil constituée en partie prenante.
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Dans l'optique de WATT-CLOUTIER, vice-présidente de l'International Inuit Conference (ICC) et considérant les Inuit comme entrepreneurs touristiques eux-mêmes, les résidentes et résidents sont déjà à l'initiative et gèrent des entreprises de tourisme, ce qui nous conforte dans l'idée que le tourisme « dans l'Arctique » est bien intégré aux communautés d'accueil. Cependant, selon GREKIN et MILNE, des barrières administratives empêchent les résidents et résidentes de s'impliquer plus dans l'activité touristique, comme par exemple les nombreuses règlementations imposées par Ottawa sur la vente de produits alimentaires, qui empêchent la vente de produits issus de la chasse, alors que cette activité est centrale pour les communautés d'accueil79.
Nous considérons que le fait que certaines personnes issues des communautés d'accueil soient à l'initiative des activités touristiques ne suffit pas à assurer la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. En effet, dans ces communautés, on observe souvent une grande différence de pratiques traditionnelles entre les personnes qui sont salariées et les personnes qui ne le sont pas, les premières ayant tendance à diminuer
76 « alors que le tourisme vers l'Arctique est encore principalement contrôlé et géré à l'extérieur, le tourisme dans l'Arctique a un haut degré d'implication locale spécialement dans le domaine de la production artisanale et du guidage », traduit par nos soins, HINCH (Thomas), BUTLER (Richard), 1996, « Indigenous tourism: a common groud for discussion », inTourism and Indigenous Peoples, eds BUTLER (Richard), HINCH (Tom), Londres, International Thomson Business Press, p.24. 77 « Les Inuit dévelopent et co-dirigent des entreprises internationales dans la pêche, la production et le marketing artistique et
artisanal, le tourisme, le développement institutionnel. Ce sont tous des domaines dans lesquels les Inuit on eu un succès local
considérable », WATT-CLOUTIER (Sheila), Présidente de l'ICC Canada, Vice-présidente de l'ICC, 27 Mai 1999, opus cité. 78 « Le développement à venir de l'écotourisme, du tourisme culturel et du tourisme d'aventure dans le Nord du Canada pourrait
offrir une valeur significante en termes d'emplois et de revenu », WATT-CLOUTIER (Sheila), Présidente de l'ICC Canada, Vice-
présidente de l'ICC, Février 2000, opus cité. 79 GREKIN (Jacqueline), MILNE (Simon), 1996, opus cité, p.98.
I/ Les domaines d'applicabilité de la Responsabilité sociale d'entreprise
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leur pratique de la chasse et leurs déplacement saisonniers. Ainsi, compte tenu des interactions souvent fortes entre le tourisme et la chasse, par exemple, il est probable que des divergences apparaissent entre les entrepreneurs inuit dans le tourisme et les chasseurs, qui doivent restreindre leurs activités pour ne pas incommoder les visiteuses et visiteurs. Même si ces problèmes sont souvent résolus à l'échelle de la communauté, ce processus étant aidé par la petite taille et la forte cohésion sociale à l'intérieur de celle- ci, Debra ENZENBACHER considère que « it may prove necessary to develop sets of guidelnes for different types of visitors to the Arctic e.g. unescorted overnight campers and backpackers, photographers, boaters, divers, bird watchers, cross country skiers, snowmobilers, and film makers 80». En effet, la grande diversité des activités touristiques dans l'Arctique et des objectifs des visiteuses et visiteurs complique une bonne gestion du tourisme. Aussi, il est nécessaire que les communautés elles-mêmes soient à l'initiative et conservent la maîtrise sur ces indications à l'intention des visiteurs et visiteuses. De plus, le fait que ces codes soient sous la maîtrise des communautés d'accueil permet d'éviter une multiplicité des codes de conduite émanant du sud, peu compris par les acteurs et actrices sur le terrain.
c. RSE et petites entreprises dans le secteur du tourisme Le troisième domaine dans lequel la responsabilité sociale d'entreprise doit être adaptée pour pouvoir s'appliquer dans le Nunavut concerne les petites entreprises. En effet, avec environ cent vingt-trois opérateurs touristiques dans le Nunavut employant directement cinq cent personnes81, l'activité touristique dans la région est caractérisée par une multiplicité de petites structures. Compte tenu du fait, relevé par CARPON et QUAIREL-LANOIZELEE, que la responsabilité sociale d'entreprise ne fait pas consensus, surtout parmi les petites et moyennes entreprises82, il faut développer des pratiques qui leur conviennent. De plus, CAZES et COURADE relèvent que, en ce qui concerne le tourisme, les codes sont souvent très généraux et émanent d'organisations internationales, d'administrations nationales, de transporteurs, d'associations ou autres, ce qui diminue leur visibilité et leur applicabilité83. Dans cette partie, nous décrivons comment l'instrumentation de la responsabilité sociale d'entreprise définie par CARPON et QUAIREL-LANOIZELEE84 est organisée dans le Nunavut, en termes de pratiques, de « reporting », d'audit des pratiques et d'audit des rapports.
La RSE comme contrainte imposée par les donneurs d'ordre
80 « il peut être nécessaire de développer des séries d'indications pour les différents types de visiteurs et visiteuses dans l'Arctique par emple les campeurs non guidés, les routards, les photographes, les caboteurs, les plongeurs, les observateurs d'oiseaux, les skieurs de fond, les conducteurs de motoneige et les réalisateurs de films », traduit par nos soins, ENZENBACHER (Debra J.), 1998, « Mechanisms for promoting and monitoring compliance with Arctic tourism guidelines », in Linking Tourism and Conservation in the Arctic Proceedings from Workshops in January 20-22, 1996 and March 7-10, 1996 in Longyearbyen, Svalbard, eds HUMPHREYS (Brenin H.), PEDERSEN (Åshild Ønvik), PROKOSCH (Peter), STONEHOUSE (Bernard), Tromsø (Norvège), Norsk Polarinstitutt et WWF, Meddelelser 159, p.39. 81 Economic Services The Conference Board of Canada, 2001, opus cité, p.71. 82 CARPON (Michel), QUAIREL-LANOIZELEE (Françoise), 2007, opus cité, p.17. 83 CAZES (Georges), COURADE (Georges), 2004, « Introduction: les masques du tourisme », Revue Tiers-Monde, numéro 178 (Les masques du tourisme), avril-juin 2004, p.265. 84 CARPON (Michel), QUAIREL-LANOIZELEE (Françoise), 2007, opus cité, 97p.
L'applicabilité de la Responsabilité sociale d'entreprise aux activités touristiques au Nunavut
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Dans la littérature de management, nous trouvons souvent le concept de « touristicité » définie par Philippe CALLOT comme « la potentialité attractive théorique de chaque territoire, aux dimensions de l'échelle géographique et humaine 85 ». Selon l'auteur, « deux déterminants sont à prendre en compte pour apprécier la touristicité : d'une part, la notoriété du lieu, de l'évènement, du monument et, d'autre part, l'accessibilité 86 ». Parce que ce concept ne prend en compte ni la société ni l'environnement dans lesquels le tourisme prend place, nous considérons qu'il est fondamentalement opposé aux pratiques de responsabilité sociale d'entreprise, et ce même si, dans le secteur du tourisme et en ce qui concerne les petites entreprises, la RSE a peu de place.
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