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I
UNIVERSITÉ PARIS I PANTHÉON-SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE DE DROIT COMPARÉ
LA PROTECTION DE LA PROPRIÉTÉ EN CHINE :
TRANSFORMATION DU DROIT INTERNE ET
INFLUENCE DU DROIT INTERNATIONAL
Thèse pour le Doctorat en droit
présentée et soutenue publiquement le 12 mai 2009
par
Bin LI
Membres du jury
Madame Mireille DELMAS-MARTY
Professeur au Collège de France, Directeur de recherche
Monsieur Guy CANIVET
Membre du Conseil constitutionnel
Monsieur Yves DOLAIS
Maître de Conférences à l’Université d’Angers, Rapporteur
Madame Bénédicte FAUVARQUE-COSSON
Professeur à l’Université Paris II
Madame Marie GORÉ
Professeur à l’Université Paris II, Rapporteur
Monsieur Thierry REVET
Professeur à l’Université Paris I
II
« L’université n’entend ni approuver, ni désapprouver les opinions du candidat ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs »
III
Mes remerciements vont à Madame le Professeur Mireille DELMAS-MARTY pour sa confiance, sa disponibilité et ses conseils précieux.
Ma gratitude va également à celles et ceux qui ont accompagné cette recherche.
Je tiens à remercier chaleureusement Mesdames Stéphanie BALME, Christine KARABOWICZ-RIVET, Messieurs Jeremy ROMERO, Antoine GARAPON,
Jean-Paul DELATTRE, pour leur présence amicale ou professionnelle, pour leurs conseils aussi pertinents que rassurants.
IV
À mes chers parents et à mon épouse GUO Wenjng.
V
LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS
ADPIC Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce AMGI Agence multilatérale de garantie des investissements ANP Assemblé générale populaire CC Conseil constitutionnel CCPPC Conférence consultative politique du Peuple chinois CAE Conseil des affaires d’État CE Conseil d’État CEDH Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales CIRDI Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements CJCE Cour de justice des communautés européennes Cass. Cour de cassation CIJ Cour internationale de justice DUDH Déclaration universelle des droits de l’homme OCDE Organisation de coopération et de développement économiques OIT Organisation Internationale du Travail OMC Organisation mondiale du commerce ONU Organisation des Nations Unies ORD Organe de règlement des différends PCC Parti communiste chinois PIDCP Pacte international relatif aux droits civils et politiques PIDESC Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels PNUD Programme des Nations Unis de développement SASAC Commission du CAE chargée de la supervision et de la gestion des actifs d’État UNESCO United Nations Educational Scientific and Cultural Organization
VI
SOMMAIRE Une table des matières détaillée figure à la fin de la thèse
INTRODUCTION......................................................................................................................1
PREMIÈRE PARTIE – LA TRANSFORMATION DU DROIT DE PROPRIÉTÉ EN
CHINE...............................................................................................65
TITRE I. – PROCLAMATION CONSTITUTIONNELLE ET CONSTRUCT ION DU
RÉGIME JURIDIQUE DU DROIT DE PROPRIÉTÉ................................66
CHAPITRE I. – L’ÉVOLUTION DU FONDEMENT CONSTITUTIONNEL DU
DROIT DE PROPRIÉTÉ....................................................................67
CHAPITRE II. – LA CONSTRUCTION DU RÉGIME JURIDIQUE DU DROIT DE
PROPRIÉTÉ.............................................................................148
TITRE II. – LA MISE EN OEUVRE DES GARANTIES DU DROIT DE
PROPRIÉTÉ.................................................................................................219
CHAPITRE I. – LA MISE EN OEUVRE DES GARANTIES
CONSTITUTIONNELLES DU DROIT DE PROPRIÉTÉ...............220
CHAPITRE II. – LA MISE EN ŒUVRE DES GARANTIES JURIDIQUES DU DROIT
DE PROPRIÉTÉ.................................................................................295
DEUXIEME PARTIE – L’INFLUENCE DU DROIT INTERNATIONAL......................374
TITRE I. – LES SOURCES JURIDIQUES INTERNATIONALES RELATIVES À LA
PROTECTION DE LA PROPRIÉTÉ......................................................378
CHAPITRE I – LA CONSÉCRATION DE LA PROPRIÉTÉ EN TANT QUE DROIT
DE L’HOMME.....................................................................................379
CHAPITRE II – L’EXTENSION DU PRINCIPE DE LA PROTECTION DE LA
PROPRIÉTÉ EN DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE.....454
TITRE II. – LA MISE EN OEUVRE DES NORMES INTERNATIONALES............532
CHAPITRE I – LA PROTECTION DE LA PROPRIÉTÉ EN CHINE SOUMISE AUX
OBSERVATIONS INTERNATIONALES..........................................533
CHAPITRE II – LA PROTECTION DE LA PROPRIÉTÉ COMME RÉSULTAT DE
L’ADAPTATION DU DROIT CHINOIS AUX NORMES
INTERNATIONALES....................................................................613
CONCLUSION GÉNÉRALE................................................................................................695
VII
RÉSUMÉ
Le droit de propriété a été l’objet de réformes successives en Chine. La révision
constitutionnelle de 2004, consacrant la protection de la propriété privée, et la
promulgation en 2007 de la loi sur les droits réels ont abouti à en réaffirmer la légalité
mais aussi la légitimité. Ces réformes s’inscrivent plus largement dans le processus de
la reconnaissance et de la protection des droits de l’homme dans la constitution
chinoise. Mais le dispositif constitutionnel ainsi enrichi et les travaux législatifs et
réglementaires édictant les dispositions plus précises en matière de propriété ne
pourront prendre leur pleine signification qu’à travers l’institution de contrôles
effectifs. Pour permettre une réelle effectivité du droit de propriété, il serait nécessaire
d’examiner à la fois l’évolution du fondement constitutionnel de ce droit et les autres
dispositions normatives. Il serait aussi nécessaire d’analyser les difficultés
d’application de ce droit pour engager une réelle réflexion sur le développement du
droit chinois. Les difficultés rencontrées lors de la constitutionnalisation ou de la
judiciarisation du droit de propriété traduisent les difficultés de l’ensemble du système
juridique chinois et, réciproquement, les solutions apportées par l’expérimentation du
droit de propriété pourront faire progresser le système juridique chinois. Déclenchée
par la mise en place des politiques de réforme et d’ouverture, la réforme du droit
chinois a été depuis lors profondément touchée par l’internationalisation du droit dont
les deux piliers sont le droit international économique et les droits de l’homme. Le
droit de propriété en Chine, caractérisé par la prédominance de l’Etat, est plus
directement concerné par le droit international économique dans le contexte de réforme
et d’ouverture menées par l’Etat. Mais la prise en compte de la valeur universelle des
droits de l’homme peut consolider la protection de ce droit. Par les divers mécanismes
de contrôle ou d’observation, le droit international a imposé son influence sur
l’adoption ou la modification des règles de droit interne, ce qui confère une dynamique
à la transformation du droit chinois à l’égard de la protection de la propriété.
VIII
ABSTRACT
Property law has gone through continuous process of reform in China. The
amendment of the Constitution in 2004, consecrating the protection of private property,
as well as the promulgation of the Law of property in 2007, have succeeded in
reaffirming both the legality and the legitimacy of private property. In a larger context,
the reform is part of the process of recognizing and protecting human rights by the
Chinese Constitution. However, the enriched constitutional arrangement and the
legislative and regulatory works adopting more precise rules on property rights will not
completely acquire their meaning only through the creation of effective control
mechanisms. To assure the true effectiveness of property law, it would be necessary to
examine the evolution of constitutional foundations and other normative dispositions
of property law. It would also be necessary to analyze the difficulties in property law
enforcement, in view of engaging a true reflection on the development of Chinese law.
The difficulties encountered with the constitutionalization or the judicialisation of
property law reflect concretely those of the entire Chinese legal system; correlatively,
the solutions sought through the experimentation of property law could make the
Chinese legal system progress significantly. Triggered by the economic reform and
open policies, the legal reform in China has been deeply affected by the
internationalization of law, the two pillars of which are international economic law and
human rights law. Chinese property law, which is characterized by the State’s
predominance, is more directly concerned with international economic law. However,
taking into consideration the universal value of human rights will consolidate the
protection of property rights. With different mechanisms of control or observation,
international law has imposed its influence on the adoption or modification of national
legal rules, and thus brings dynamism to the evolution of the protection of property
rights in Chinese law.
1
INTRODUCTION
1. - La présente étude a pour objet l’essor de la propriété privée en Chine. Il se
caractérise par la multiplication des normes juridiques dont les manifestations les plus
remarquables sont la loi sur les droits réels qui a été promulguée le 16 mars 2007 et est
entrée en vigueur le 1er octobre 2007, et la révision constitutionnelle en 2004 qui
proclame désormais l’inviolabilité de la propriété privée légale des citoyens1. La
légalisation et surtout la constitutionnalisation de la propriété privée constituent des
transformations significatives du droit chinois, d’autant plus qu’elles s’inscrivent dans
le processus des réformes menées par l’État depuis la fin des années 70. Sur le plan
économique, la transition de l’économie planifiée à l’économie de marché est la cause
directe de la reconnaissance du droit de propriété qui est généralement conçu comme la
condition indispensable au bon fonctionnement du marché. Sur le plan juridique, la
réintroduction de la notion civiliste de propriété, qui répond à la nécessité de la
réforme économique, est tributaire de l’évolution de l’ensemble du système juridique
chinois qui ne se limite pas au domaine du droit privé mais s’étend aussi à celui du
droit public. Mais c’est notamment sur le plan politique que les transformations du
droit de propriété en Chine prennent toute leur signification : elles s’inscrivent en effet
dans le processus de construction d’un État de droit socialiste, défini en tant que
principe constitutionnel par la révision en 1999 de la Constitution de 19822. La
révision constitutionnelle de 1999 marque un tournant dans l’évolution d’un droit
chinois en quête de modernité car elle signifie le passage d’un pays gouverné par la loi
à la construction d’un État de droit. La consécration constitutionnelle de la propriété
privée –considérée comme l’un des « trois piliers de l’ordre juridique »3 de la société
contemporaine– contribue désormais à consolider le processus de construction d’un
État de droit en Chine.
1 V., article 13 de la Constitution de 1982. 2 Article 5, alinéa 1er de la Constitution de 1982 dispose que « la République populaire de Chine gouverne selon la loi et met en place un État de droit socialiste ». 3 V., Jean CARBONNIER, Flexible droit, pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e éd., LGDJ, 2001, p.255.
2
2. - L’expression « droit de propriété » utilisée dans la présente étude peut
s’entendre au sens large quand elle englobe les droits patrimoniaux portant sur les
biens meubles, immeubles, corporels et incorporels, protégés par la législation interne
et les instruments juridiques internationaux. Si parmi ces droits, la propriété est le droit
réel le plus achevé, il existe d’autres droits permettant la jouissance des choses: ainsi
en est-il des différents droits d’usage des terres qui occupent une place importante dans
le cadre du droit foncier chinois. S’il est vrai que la doctrine juridique contemporaine
qui s’accorde en général à reconnaître que le droit des biens est en crise, et qu’aucune
définition de la propriété ne parvient à décrire correctement l’ensemble du droit actuel,
la coexistence de la propriété étatique, collective, privée, ainsi que les diverses formes
des droits d’usage en droit chinois témoigne du phénomène de l’abandon progressif de
l’idée d’un pouvoir absolu d’une personne sur une chose, au profit d’une autre notion,
plus obscure, celle de faisceau de droits, divisibles et superposables, n’ayant pas
nécessairement des choses tangibles pour objet, mais désignant l’irréductible
hétérogénéité des objets appropriés et des régimes juridiques auxquels ceux-ci sont
soumis4. De façon encore plus remarquable, le cas particulier du droit chinois pourrait
s’expliquer par « la pluralité des conceptualisations de la propriété » qui « admet la
possible allocation de droit aussi bien privatifs que collectifs, offrant ainsi des
modalités différenciées d’articulation du propre et du commun »5. Encore faut-il
souligner que l’expression chinoise « wu quan », servant à désigner la notion juridique
de droit réel, peut parfois être traduite en français par l’expression « les biens », de
même que la loi sur les droits réels a été traduite par « loi sur les biens ». Cependant,
tandis qu’en droit français le « bien » peut désigner à la fois « tout droit subjectif
patrimonial » et « toute chose objet d’un droit réel »6, en chinois le « bien » (caichan)
s’entend plus généralement comme couvrant les choses susceptibles d’appropriation. Il
s’agit là de l’objet du droit, mais non pas du droit en soi. De ce fait, l’expression
« droits de propriété » est aussi adéquate dès lors que l’on se réfère aux divers droits
ayant pour objet des biens, d’autant plus que l’attractivité du droit de propriété initia un 4 Mikhaïl XIFARAS, La propriété, Étude de philosophie du droit, P. U. F., 2004, p. 9. 5 Ibid., p. 498. 6 Serge GUINCHARD, Gabriel MONTAGNIER, Lexique des termes juridiques, 16e éd., Dalloz, 2007, p. 82.
3
processus d’extension de son champ d’application au-delà des limites classiques de la
notion de « biens ».
3. - L’examen sur l’effectivité de la protection de la propriété exige aussi que l’on
adopte plusieurs points de vue concernant l’objet de la présente étude. C’est la raison
pour laquelle l’expression de droit de propriété est retenue dans son acception au sens
large, alors que celle de « droit des biens » renvoie plus strictement à une interprétation
civiliste portant sur le droit chinois en la matière. Le fait que l’on ait opté pour une
signification large du droit de propriété relève également de la prise en compte de la
tendance actuelle du droit international qui va dans ce sens. Mis à part l’article 1er du
Protocole n° 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales (CEDH) qui adopte l’expression de respect des biens
–même si la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé qu’il
s’agit du droit de propriété qui est garanti par la Convention7- c’est le mot de propriété
qui figure le plus souvent dans les documents internationaux consacrés aux droits de
l’homme. Il en est ainsi de l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de
l’homme (ci-après, DUDH) qui proclame le droit à la propriété, tandis que l’article 17
de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose d’emblée que
« Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis
légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer ». Puisque la propriété peut se
définir aussi bien par le type le plus achevé de droit réel8 que par les biens objets de ce
droit, il semble utile de préciser que la spécificité de l’expression du « droit de
propriété » dans la présente étude consiste à focaliser notre analyse sur la propriété
entendue à la fois comme un droit subjectif mais aussi comme un fait économique et
social. Car « la vérité pourrait être, aujourd’hui, que, si le droit de propriété traverse
des épreuves, celles-ci se concentrent dans divers secteurs critiques qui campent la
physionomie actuelle du problème »9. La question de la propriété concerne des secteurs
aussi variés que l’entreprise et l’agriculture, situés aussi bien en zone urbaine que
rurale. La concrétisation de la question de la propriété en fonction des domaines dont 7 Cf., Institut des droits de l’homme des avocats européens, La protection du droit de propriété par la Cour européenne des droits de l’homme, Paris, 26 mai 2004, Bruylant, 2005. 8 V., Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, 2e éd., P. U. F., 2001, p. 686. 9 Gérard CORNU, Droit civil, les biens, 13e éd., 2007, Montchrestien, § 25.
4
elle relève nécessite une étude qui dépasse la distinction classique entre droit public et
droit privé, en tenant compte de multiples sources juridiques internes et internationales
de ce droit. La recherche sur l’effectivité du droit de propriété exige aussi que la
présente étude portant sur la transformation du droit interne chinois aille procéder en
deux volets indissociables: les garanties de la propriété et la mise en oeuvre de ces
garanties. Alors que le premier volet concerne la proclamation constitutionnelle de la
propriété et les travaux législatifs qui construisent le régime juridique de ce droit, le
deuxième comporte l’application des normes de garantie –constitutionnelles et
législatives– par voie normative et juridictionnelle en vertu de l’état actuel du droit
chinois, tout en tenant compte des problèmes et des critiques qu’il suscite ainsi que de
sa tendance à la réforme.
4. - Étant donné que le retour de la Chine au droit s’accompagne de l’intégration
en droit interne des normes internationales, la transformation du droit chinois en
matière de propriété n’est pas un processus qui relèverait uniquement de causes
internes. Bien au contraire, le droit international relève d’une dynamique extérieure,
mais réelle et incontournable, qui contribue à la transformation du droit chinois. Les
normes du droit international consacrées à la protection de la propriété au sens large
constituent des sources juridiques complémentaires au droit chinois. De même, les
mécanismes d’application du droit international pourraient produire des effets incitatifs
à la réforme du droit chinois vers l’amélioration de la garantie de la propriété. Mais
c’est la mondialisation économique qui a eu le plus d’influence sur la politique de la
Chine. En effet, la prise en compte des normes internationales concernant le droit de
propriété figurait déjà parmi les grandes lignes directrices de la réforme chinoise10.
L’influence du droit international est remarquable d’autant plus que la transformation
du droit chinois s’inscrit dans le double processus de la constitutionnalisation et de
l’internationalisation du droit. Ces deux processus de constitutionnalisation et
d’internationalisation du droit «expriment déjà une dynamique qui pourrait favoriser la
construction de l’État de droit »11 en Chine. Certes, le discours de l’« État de droit »
10 V., Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), La Chine dans l’économie mondiale : les enjeux de politique intérieure, rapport de synthèse, 2002, pp. 54 à 56. 11 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la
5
qui fait l’objet de diverses interprétations en Chine12 risque de servir à légitimer le
régime de l’État-Parti –pour décrire le rôle prédominant du Parti Communiste Chinois
dans l’exercice des pouvoirs étatiques– plutôt que de servir à la rationalisation du
système du droit s’appuyant sur les principes juridiques fondateurs de cette notion13.
Le retard du droit chinois en ce qui concerne la réception des principes juridiques de
l’État de droit sous l’influence du droit international est relativisé par l’expérience des
États européens dans l’application de la CEDH. Dans sa volonté d’assurer la garantie
effective des droits de l’homme, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme a mis en évidence les liens très étroits qui existent entre le droit à la justice et
le principe de la prééminence du droit14, « tant il est vrai qu’un État de droit ne peut se
concevoir sans offrir à ses justiciables une justice apte à redresser les violations de la
règle commune »15. La notion de société démocratique, comme celle de prééminence
du droit, sont désormais les principes sur lesquels se fonde l’interprétation de la
Convention16. Leur valeur contraignante est pleinement acceptée par la jurisprudence
comme les principes juridiques sous-jacents à la Convention17. Au regard de la
consécration des principes juridiques de l’État de droit, le droit international peut
contribuer à la protection de la propriété pour qu’elle devienne un droit réel au sens
propre et figuré, et ne demeure pas lettre morte dans les textes de droit chinois. Avec
l’accession de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les normes de
droit du commerce qui véhiculent les principes juridiques exprimant l’esprit de l’État
mondialisation », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, Fayard, 2007, p. 564. 12 V., Randy PEERENBOOM, « Competing conceptions of rule of law in China », in Randall PEERENBOOM (ed.), Asian discourses of rule of law: theories and implementation of rule of law in twelve Asian countries, France and the U.S., Routledge Curzon, 2004, p. 113 à 137. 13 V., ZHENG Yongnian, Globalization and State transformation in China, Cambridge University Press, 2004, pp. 192 à 194. 14 CEDH, 26 avril 1979, Sunday Times c/Royaume-uni, Série A n° 30, §§ 55. 15 Jean-François RENUCCI, Traité de droit européen des droits de l’homme, L.G.D.J. 2007, § 269. 16 V., Olivier JACOT-GUILLARMOD, « Règles, méthodes et principes d’interprétation dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », in Louis-Edmond PETTITI, Emmanuel DECAUX, Pierre-Henri IMBERT, La Convention européenne des droits de l’homme, Commentaire article par article, 2e éd., Economica, 1999, pp. 56, 57. 17 CEDH, 21 février 1975, Golder, Série A n° 18, § 34 ; 8 juillet 1986, Lingens, Série A n° 103, §42.
6
de droit peuvent avoir une influence juridique plus grande sur le droit chinois18. Qu’il
s’agisse de la protection des investissements étrangers ou de la propriété intellectuelle,
l’influence du droit international sur la protection de la propriété est plus évident que
celui des instruments internationaux des droits de l’homme. Mais le rôle du droit
international des droits de l’homme ne doit pas être négligé. En associant la garantie de
la propriété avec la nécessité de la protection des droits humains, le droit international
des droits de l’homme proclame le principe d’indivisibilité de tous les droits de
l’homme, mais pose aussi la question de savoir comment les droits peuvent devenir
complémentaires et compatibles. L’adage « tout est question de proportion et
d’équilibre » 19 appelle aussi à rétablir l’équilibre entre le droit international
économique et le droit international des droits de l’homme, d’autant plus que le
développement inégal des deux piliers de l’internationalisation du droit se révèle plus
nettement s’agissant de leur contribution respective à la protection de la propriété. En
s’ouvrant au processus de l’internationalisation, la protection de la propriété est au
confluent de l’influence du droit international économique et de celle du droit
international des droits de l’homme. Leurs influences respectives se lisent non
seulement dans l’existence de normes juridiques relevant du respect et de la protection
de la propriété, mais aussi dans l’effectivité de leur application qui dépend des
mécanismes d’application établis sur le plan international d’une part et de leur prise en
compte en droit interne d’autre part.
5. - Par son lien avec les différentes branches de droit privé et public et sa position
à l’intersection du droit interne et du droit international, la propriété est un droit dont la
consécration des normes de garantie et leur mise en oeuvre peuvent mettre en évidence
la portée juridique et politique du développement de la Chine. En d’autres termes, la
propriété est à la fois une représentation (I) et une dynamique (II) de la transformation
du droit chinois. C’est la raison pour laquelle le droit international est susceptible
d’exercer une grande influence sur la transformation du droit chinois à partir de la
défense du droit de propriété. 18 Cf., Leïla CHOUKROUNE, L’accession de la République populaire de Chine à l’Organisation mondiale du commerce, instrument de la construction d’un État de droit par l’internationalisation, thèse, l’Université Paris 1, 2004. 19 Mireille DELMAS-MARTY, Trois défis pour un droit mondial, éditions Seuil, 1998, p. 53.
7
I. – LA PROPRIÉTÉ, UNE REPRÉSENTATION DE LA TRANSFORMATION
DU DROIT CHINOIS
6. - Comme tous les autres droits, la propriété est un artefact humain, une
construction juridique liée à des normes, à des lois qui prennent tantôt la forme de
coutumes tantôt celle d’actes législatifs. La formalisation juridique des rapports autour
des biens objets de propriété est influencée par les relations économiques, les
structures sociales, ainsi que par les pensées politiques qui constituent les éléments de
l’histoire universelle. Pour ne pas « oublier trop vite les épisodes précédents de
l’histoire de la propriété et le caractère réversible des évolutions juridiques », il est
nécessaire d’inscrire dans l’évolution historique la « contre-offensive de la propriété
privée » 20 en droit chinois contemporain (A). L’appropriation privative des biens a
longtemps existé dans l’histoire du droit chinois et elle fut quasiment réduite à néant au
profit de la propriété publique avec l’avènement du régime socialiste. La rupture
d’histoire fut toutefois remplacée par le système juridique actuel en Chine qui
juxtapose la propriété privée, la propriété d’État et la propriété collective. Mais il reste
à souligner le caractère inachevé du processus de revirement du droit chinois en
matière de propriété qui réside tant dans l’adoption des normes de droits que dans leur
mise en oeuvre. C’est ce qui reflète plus nettement la distance entre l’état actuel du
droit de propriété en Chine et les principes juridiques sous-jacents de l’État de droit.
En effet, on ne peut comprendre complètement la signification de la propriété en droit
chinois sans analyser celle de l’État de droit dans le même système (B), d’autant plus
que celle-ci permet de mieux repérer les orientations que suivent les transformations du
droit de propriété dans l’avenir.
A. – La propriété s’inscrit dans l’évolution historique du droit chinois
7. - Il est vrai que certains éléments du droit des biens dans l’histoire chinoise sont
profondément modifiés, complètement abandonnés ou sont tombés en désuétude avec
le temps, de sorte qu’une rupture semble s’être établie entre le droit actuel et les 20 Jean-Louis HALPÉRIN, Histoire du droit des biens, Economica, 2008, p. 323.
8
anciens droits. En revanche, d’autres éléments ont émergé ou ont été introduits dans
l’histoire et ont été conservés en droit contemporain. Il est possible que des dispositifs
du droit actuel ne constituent qu’à première vue un rapprochement ou un retour aux
éléments des anciens droits. Le phénomène de revirement du droit chinois en matière
de propriété privée (1) semble confirmer cette hypothèse de retour, mais aussi mettre
en relief la force de l’aspiration du peuple chinois à l’équité (2). La persistance de cette
aspiration à l’équité et donc à l’égalité, à la justice sociale et à l’impartialité, pourrait
s’avérer à la longue une force de transformation.
(1). – Le revirement du droit chinois en matière de propriété privée
8. - La possession de toutes les terres par l’empereur fut la première notion
relative à la propriété foncière dans l’histoire chinoise. Elle remonte au XXIe siècle av.
JC. Depuis la dynastie Zhou (VIIIe siècle av. JC.), avec l’avènement de la féodalité, le
régime foncier dit « Jing tian » fut instauré: les terres cultivables appartenaient aux
seigneurs qui procédaient à la distribution égalitaire et à la redistribution périodique
parmi les paysans21. En 350 av. JC., Shang Yang, le ministre du royaume des Qin,
détruisit le système égalitaire « Jing tian », et accorda aux cultivateurs la libre
acquisition des terres. Avec la création de « l’État centralisé » de la dynastie Qin (221
av. JC.) dont la base fut jetée par « l’essor économique qui provoqua l’apparition
d’une petite classe de riches marchands entrepreneurs et de grands propriétaires
fonciers »22, la féodalité fut abolie et la propriété privée foncière fut officiellement
reconnue23. Cette grande réforme des Qin « consista à rompre l’adhérence étroite qu’il
21 Sous le régime foncier dit du « Jing tian », le sol destiné à la culture était divisé en grand carrés. Ces carrés étaient subdivisés en neuf carrés égalitaires plus petits par de petites levées de terre ou des rigoles, selon la forme qu’indique le signe du mot chinois « Jing». Les huit carrés externes étaient les champs réservés à l’entretien de huit chefs de culture et de leurs maisonnées. Le champ central est cultivé par tous et les produits appartiennent à l’État. Certes, en réalité, les champs étaient cultivés en commun par les huit chefs de culture et leurs subordonnés, le seigneur recevait non le produit du neuvième champ, mais le neuvième du produit total. V., Marcel GRANET, La féodalité chinoise, Paris : Société d’Édition Les Belles Lettres,1952, 159 ; YUAN Chaucer, La philosophie morale et politique de Mencius, Paris : Librairie Orientaliste, 1927, pp. 281 à 296. 22 Jacques GRENET, Le monde chinois, 4e éd., Armand Colin, 1999, p. 77. 23 V., Patrick A. RANDOLPH Jr., LOU Jianbo, Chinese real estate law, Kluwer Law International, 1999,
9
y avait entre l’homme et le sol »24. Sous la dynastie des Han (fondé en 206 av. JC.), une
classe sociale de grands propriétaires fonciers commença à se constituer dans l’histoire
de la Chine25. Il faut toutefois souligner que sous les dynasties suivantes jusqu’au Qing
(1644 à 1911) les empereurs demeuraient autoritaires concernant l’utilisation des terres
par les paysans et leur distribution afin d’assurer les redevances fiscales, les prestations
militaires ou les corvées. D’où la précarité et les variations les plus diverses qu’a
connues la propriété privée foncière, soumise « au droit régalien » des empereurs
d’après le constat qu’en a dressé Max Weber26. Sur le plan juridique, par leur nature
principalement pénale, les anciens droits chinois depuis la codification des Tang ne
jouèrent qu’un rôle secondaire par rapport aux coutumes concernant la définition et la
défense des droits individuels sur les éléments civils tels que la propriété, sa succession
et la filiale familiale27. Il en résulta que l’ancien droit chinois reconnaissait la propriété
privée, « sans élaborer des techniques particulièrement adaptées au droit des biens »28.
Cependant, dans le domaine des transactions foncières se sont développées des notions
techniques relatives à la propriété29.
9. - La propriété comme catégorie juridique fut introduite en Chine par un
mouvement de modernisation du droit mené par les juristes réformateurs de la fin des
Qing, au début du XXe siècle30. Dans un mouvement de réforme qui a introduit « le
p. 3. 24 Marcel GRANET, La civilisation chinoise, Éditions Albin Michel, 1994, p. 172. 25 V., Henri MASPERO, Jean ESCARRA, Les institutions de la Chine, essai historique, P. U. F., 1952, pp. 34, 35. 26 V., Max WEBER, Confucianisme et taoïsme, Éditions Gallimard, 2000, p. 116 et s, sp. 125, 126. 27 V., Philipe M. CHEN, Law and justice, The legal system of China 2400 B. C. to 1960 A. D., Dunellen Publishing Company, 1973, pp. 9, 11. 28 Jean-Louis HALPÉRIN, Histoire du droit des biens, op. cit., p. 144. 29 Par exemple, à la fin des Qing, « le vendeur des actes est appelé mai-tchou ‘propriétaire vendant’ ou che-chou ‘propriétaire perdant’,ou k’i-tchou ‘propriétaire abanbonnant’, ou yuen-tchou ‘premier propriétaire’, ou yuen-yé-tchou ‘premier propriétaire de la chose’. –L’acheteur s’appelle mai-tchou ‘propriétaire achetant’, ou té-tchou ‘propriétaire acquérant, ou yé-tchou ‘propriétaire de la chose’ ». D’ailleurs, « Le cheoi-k’i, est un acte par lequel un nouveau propriétaire, ayant passé un contrat d’achat révocable ou irrévocable pour une maison ou une terre, moyennant une taxe légale payée au Gouvernement, obtient que le magistrat local appose son sceau sur les pièces, lui remette le diplôme appelé k‘i-wei, et ‘confirme le contrat’ ». V., Pierre HOANG, Notions juridiques sur la propriété en Chine, Chang-Hai, Imprimerie de la mission catholique, 1897, pp. 5, 22. 30 V., Jérôme BOURGON, « L’émergence d’une communauté de juristes à la fin de l’Empire », in
10
droit dans la course à la modernisation » ayant eu lieu à la fin du XIXe siècle, les
tentatives de codification marquent « la naissance de l’histoire juridique moderne en
Chine »31. Après la chute des Qing, une commission de codification des lois fut
instaurée en 1918. Elle a abouti à un premier projet de code civil chinois en 1925. Un
Code foncier a été promulgué le 30 juin 1930 mettant en place le régime juridique de la
propriété privée des terres dans la Chine républicaine, tout en prévoyant des limitations
à la propriété privée des terres32. Les cinq livres du Code civil chinois ont été adoptés,
puis mis en vigueur en 1931. Largement influencé par les théories étrangères, le livre
III du Code civil chinois a assis la formalisation juridique du droit des biens sur la
notion juridique des droits réels en droit japonais qui véhicule l’influence du BGB33.
En témoignent les mots chinois « wu quan » désignant les droits réels qui ont été
introduits en droit chinois en traduisant simplement l’expression japonaise 34 .
Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL, La Chine et la démocratie, op. cit., pp. 188 à 193. 31 Jérôme BOURGON, SHEN Jiaben et le droit chinois à la fin des Qing, thèse de doctorat, EHESS, 1994, pp. 636, 663. 32 L’article 7, alinéa 1er du Code foncier dispose que les terrains situés sur le territoire de la République chinoise appartiennent à l’ensemble de la nation chinoise. Ceux dont les citoyens ont acquis la propriété conformément à la loi, sont des terrains privés ; mais l’acquisition de la propriété du terrain n’entraîne pas celle des mines qui y sont contenues. L’article 8, alinéa 1er prévoit que les biens qui ne peuvent pas faire l’objet d’un acte d’appropriation privée sont les cours d’eau navigables, les étendues d’eau formées naturellement et dont l’usage est nécessaire au public, les voies de communication publiques, les terrains renfermant des sources minérales, les chutes d’eau et les ressources naturelles dont l’usage est nécessaire au public, les monuments anciens célèbres, les autres terrains dont une loi interdit l’appropriation privée. L’article 14 du Code foncier prévoit que le gouvernement local peut fixer une limite maximale à la superficie du terrain possédée respectivement par les individus ou les groupes, en fonction des circonstances suivantes et qui doit être confirmée par le service foncier central : des besoins locaux, des catégories de terrains et de la nature des terrains. Un livre V est consacré à l’expropriation des terrains qui comporte sept chapitres relatifs aux dispositions générales, aux préparatifs d’expropriation, à la procédure d’expropriation, à l’indemnité de valeur foncière, aux frais de déplacement, aux plaintes et arbitrage et aux dispositions pénales. Le Code foncier de la République de Chine est traduit pas François THÉRY et publié par Procure de la Mission de Sienhsien, Tienstin, 1931. 33 V., SUN Xianzhong, « Zhongguo jinxiandai jishou xifang minfa de xiaoguo pingshu (Commentaire sur l’effet de la transposition en Chine des droits étrangers en matière civile) », Zhongguo faxue (China Legal Science), 2006, n° 3, p.167. 34 Dans la Chine ancienne, c’est le mot « chan » qui apparaît dans les lois agraires et dans les codes pour désigner la possession de la terre. Et le mot occidental « propriété » ou « possession » rend assez mal le mot « chan », car ce dernier relève bien plus d’une occupation réelle que d’un droit abstrait. En matière foncière, le terme juridique pour désigner une propriété privée est « ye », et le propriétaire est appelé « ye zhu » qui signifie « le maître de la propriété », alors que le « chan » peut désigner
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Cependant, avec la défaite du gouvernement national et l’arrivé au pouvoir des
communistes par l’établissement du nouveau gouvernement de la Chine République
Populaire, le Code civil comme d’autres codes de l’ancien gouvernement ont été abolis.
Ces mesures ont ouvert la voie à la refondation du droit chinois sous influence de
« l’extension du modèle soviétique »35. Dans le mouvement socialiste, une série de
mesures qui touchent frontalement au régime de la propriété ont été adoptées et mises
en oeuvre. Dans un revirement de sa politique foncière caractérisée par la volonté de
redonner « la terre aux paysans », illustré par la réforme agraire menée depuis 194636,
les terres dans les zones rurales ont fait l’objet d’une réappropriation étatique par la
collectivisation et l’établissement des communes populaires (renmin gongshe) afin
d’organiser le travail en commun des paysans. Dans les zones urbaines, la
transformation des entreprises privées en entreprises collectives ou d’État, et la
confiscation des capitaux étrangers ont abouti en peu de temps à la suppression
presque totale de l’appropriation privative des moyens de production à l’issue du
mouvement de socialisation37. La fondation de l’économie planifiée avait consolidé le
régime économique de la propriété publique, alors que l’avènement de la Révolution
culturelle en 1966 a détruit complètement la catégorie juridique de propriété pour
réaliser l’appropriation sociale des moyens de production qui est à la base du
socialisme38.
l’occupation d’une tenure temporaire paysanne. V., Henri MASPERO, « Les termes désignant la propriété foncière en Chine », in La tenure, Recueils de la Société Jean Bodin pour l’histoire comparative des institutions, III, Paris: Dessain et Tolra, 1983, pp. 293, 295. 35 Jean-Louis HALPÉRIN, Histoire du droit des biens, op. cit., p. 298. 36 La résolution du comité central du PCC relative à la loi agraire du 10 octobre 1947 vise à liquider le système agraire d’exploitation féodale et semi-féodale, et à instaurer le système foncier résultant du partage et de la saisie des terres par les paysans contre le seigneur du village. En 1950, le lancement de la réforme agraire organise de nouveau la saisie des biens des grands propriétaires pour les donner aux paysans pauvres. Dans la pratique, les opérations de transfert entraînées par la réforme portent sur 47 millions d’hectares, soit presque la moitié de la superficie cultivée, et 300 millions de paysans pauvres bénéficient de cette distribution. Cette réforme a été achevée en 1953. V., Rémi PÉRÈS, Chronologie de la Chine aux XXe siècle, Histoire des faits économiques, politiques et sociaux, Librairie Vuibert, 2001, pp. 49, 63. 37 V., Marie-Claire BERGÈRE, Lucien BIANCO, Jürgen DOMES, La Chine au XXe siècle, de 1949 à aujourd’hui, Fayard, 1990, pp. 18 à 22. 38 V., Charles BETTTELHEIM, Révolution culturelle et organisation industrielle en Chine, Librairie François Maspero, 1973, p. 110.
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10. - Les réformes lancées depuis la fin des années 1970 ont contribué au
revirement du droit chinois en matière de propriété privée. Par la réforme agraire, le
droit d’exploitation forfaitaire des terres rurales –qui confère aux paysans le droit
d’utiliser les terres et d’en percevoir les fruits– a été reconnu par la Constitution de
1982, ce qui « a masqué le partage des terres entre les paysans et l’accès de facto à la
propriété privée »39 . La réforme économique dans les zones urbaines a permis
l’émergence et le développement des économies individuelles et privées, ce qui a fait
tomber en désuétude la distinction des biens entre matériels de consommation et
moyens de production qui ne pouvaient constituer que des objets de la propriété
publique et excluant par conséquent l’appropriation privative. La réforme du régime
juridique de l’utilisation du sol étatique dans les zones urbaines a fait naître le droit
d’usage du sol qui est établi soit par la concession à titre onéreux soit par l’attribution à
titre gratuit selon les conditions prévues par les dispositions législatives. La
transformation progressive des entreprises d’État en sociétés par actions constituait
l’élément le plus important de la réforme du régime juridique de la propriété publique.
Toutes les réformes susmentionnées consubstantielles au revirement du droit chinois en
matière de propriété privée ont été mises en place autour d’une réforme plus profonde
de la transition de l’économie planifiée à l’économie de marché, désormais
constitutionnellement affirmée 40 . La réapparition du droit des biens privés, et
notamment la constitutionnalisation de la propriété privée par la révision de la
Constitution de 1982 semble a priori se conformer au courant de l’histoire : tandis que
la période située entre 1917 et la fin des années 1980 correspond à une profonde
remise en question des schémas fondés sur la propriété individuelle qui avaient paru
triompher aux XIXe siècle, une perspective historique et comparatiste permet de
rappeler « que les économies de marché se reconnaissent précisément à la place
considérable laissées aux propriétaires privés »41. S’il est vrai que le recul de la
propriété publique et la croissance de la propriété privée résultent également des
réformes répondant aux exigences de l’économie de marché et se justifiant par
39 Jean-Louis HALPÉRIN, Histoire du droit des biens, op. cit., p. 334. 40 V., article 15 de la Constitution de 1982, révisé en 1993. 41 Jean-Louis HALPÉRIN, Histoire du droit des biens, op. cit., p. 294.
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l’efficacité qui devient l’objectif principal du droit chinois contemporain caractérisé
par le pragmatisme, il ne faut toutefois pas négliger l’idée d’équité qui existait depuis
longtemps dans l’histoire chinoise et pourrait contrebalancer la prédominance de la
notion d’efficacité.
(2). – La persistance de l’aspiration à l’équité
11. - L’équité dans la pensée chinoise fut conçue moins comme une notion
juridique que comme le gage de la stabilité du règne de l’Empereur. Confucius dit en
effet ceci: « pour en venir aux chefs d’État ou de grande famille, j’ai toujours entendu
dire qu’ils doivent moins se soucier du petit nombre de leurs sujets que du manque
d’équité entre eux, moins de leur dénuement que du mécontentement parmi eux. En
effet, que règne l’équité et il n’y aura pas de pauvreté, la concorde et la population
sera assez dense, le contentement et il ne se produira aucun soulèvement»42. Selon
Confucius, le régime foncier « Jing tian » qui prévalut à la dynastie Zhou traduisit
exactement l’idée d’équité, ce fut la raison pour laquelle Confucius insista à la
restauration de ce régime foncier43. En effet, la redistribution régulière des terres
cultivables sous le régime du « Jing tian », à savoir « la question du bornage des
champs à réactualiser chaque année, est présentée comme fondamentale pour la
justice sociale »44. Cependant, l’idée d’équité se résuma à un rêve utopique dès que le
régime foncier « Jing tian » fut aboli et remplacé par la propriété privée des terres,
dans la mesure où la terre ne resta pas longtemps la propriété exclusive des laboureurs.
Elle passa rapidement aux mains de ceux qui disposèrent de moyens de l’acquérir bien
plus considérables. Une nouvelle aristocratie de propriétaires fonciers se substitua dès
lors à l’ancienne aristocratie féodale. « Faute de pouvoir payer leurs fermages, ou de
42 Entretiens de Confucius, traduit du chinois par Anne CHENG, Éditions du Seuil, 1981, p. 129. Selon le professeur CHENG, il y a probablement une confusion dans l’ordre du texte, que l’on peut, à la lumière de ce qui suit, rétablir ainsi : moins de leur dénuement que du manque d’équité entre eux, moins de leur petit nombre que de leur discorde, moins des soulèvements que du mécontentement parmi eux. 43 V., CHEN Huan-chang, The economic principles of Confucius and his school, New York: Columbia University Press, 1911, p. 501. 44 Léon VANDERSMEERSCH, « La féodalité chinoise », in Eric BOURNAZEL, Jean-Pierre POLY (sous la dir. de), Les féodalités, P.U.F., 1998, p.674.
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trouver dans leur salaire de quoi subsister, les plus nécessiteux, ne pouvant plus
attendre aucune redistribution des champs, furent bientôt réduits à vendre femme et
enfants, et jusqu’à se vendre eux-mêmes pour satisfaire leurs créanciers. Ainsi finit par
s’instaurer l’esclavage, comme conséquence de l’institution de la propriété »45 .
Puisque la répartition des terres représenta le principal critère de différenciation sociale
dans les villages, et de ce fait, fut l’une des causes de la misère des paysans chinois,
l’adage « à chaque laboureur son propre champ » traduisant l’idée d’équité en matière
de régime foncier fut exploité par les communistes pour initier des mouvements
révolutionnaires46. Avec la fondation du régime socialiste d’économie planifiée, l’idée
d’équité avait favorisé l’emprise de l’égalitarisme qui semblait mieux s’accommoder à
la propriété publique, dans la mesure où cette dernière était analysée de manière
caricaturale par le fait que tous les membres de la communauté étaient présumés
constituer les titulaires des biens communs alors qu’en réalité personne ne pouvait
individuellement en disposer.
12. - Toutefois, il faut souligner qu’à l’époque contemporaine la réforme
économique menée par l’État a réactivé certains aspects de l’idée d’équité comme
sentiment subjectif de justice. Puisque les mesures de réforme étaient le plus souvent
adoptées et mises en place sans qu’un texte législatif ne ait été préalablement adopté,
les gens se référaient à l’idée d’équité dès lors qu’il s’agissait d’émettre un jugement
sur le caractère juste ou injuste des mesures de réforme. Dans le contexte où il existait
souvent le décalage entre la réforme économique et la réforme juridique, la persistance
de l’idée d’équité avait pu constituer un contrepoids idéologique à la réforme
concernant le droit de propriété. Comme M. Thierry PAIRAULT l’a révélé, « la Chine
populaire a, par idéologie, toujours mis l’accent sur la primauté de l’intérêt public.
Elle a le plus souvent encouragé le développement des actions profitant au bien-être
commun et dénoncé tout ce qui aurait favorisé l’intérêt privé (...). Et parce qu’elles
luttaient pour augmenter leurs ressources et promouvoir le développement économique,
les autorités chinoises ont toujours considéré avec suspicion celui qui gaspille des 45 Léon VANDERMEERSCH, Wangdao ou la voie royale : Recherches sur l’esprit des institutions de la Chine archaïque, t. 2, Paris : École française d’extrême-orient, 1980, p. 259. 46 V., Lucien BIANCO, Les origines de la révolution chinoise 1915-1949, Gallimard, 2007, pp. 136, 153.
15
biens relevant de la propriété de l’État (...), toute tentative aboutissant à transférer la
propriété d’éléments patrimoniaux de l’État vers d’autres acteurs économiques, en
particulier vers des acteurs privés, est une corruption de soi »47. Cette attitude traduit
aussi le souci du peuple chinois de lutter contre les inégalités, d’autant plus que
l’appropriation privative des richesses résulte de diverses formes de privatisation des
biens publics. L’idée d’équité a rebondi lors de l’élaboration du projet de loi sur les
droits réels : la protection des biens privés était contestée comme injuste et
anticonstitutionnelle dans la mesure où elle ne bénéficierait qu’aux grands propriétaires
et porterait atteinte à la propriété publique conçue comme le gage de la justice sociale
et le régime socialiste48.
13. - Il est vrai que la mise en place des mesures de réforme sans fondement
juridique a permis à l’idée d’équité de jouer le rôle de critère du jugement juridique et
moral, mais c’est plutôt les problèmes récurrents survenus lors de la mise en oeuvre
des garanties du droit qui a exalté l’aspiration à l’idéal d’équité afin de critiquer
l’ineffectivité des recours juridiques. En matière de propriété, l’abus d’expropriation
qui a pour conséquence de rendre précaires le droit d’exploitation forfaitaire des terres
rurales dont les titulaires sont les paysans ainsi que la propriété des citadins sur les
immeubles d’habitation bâtis sur les terrains de propriété d’État dans les zones
urbaines. Mécontentées par recours juridictionnel inscrit dans le présent système
juridique qui est pourtant inéquitable, peu efficace et très coûteux, sans mentionner le
problème de corruption judiciaire qui est un motif de désespoir pour les victimes, les
personnes privées de leurs biens ne peuvent que se soulever contre les expropriations
arbitraires : c’est le seul recours qu’il leur reste en dehors des voies juridictionnelles.
D’où la prolongation de la tradition selon laquelle « les codes et lois n’étaient
appliqués en Chine que dans la mesure où ils répondaient au sens populaire de
l’équité et des convenances »49. Bien qu’elle soit aussi à l’oeuvre dans les pétitions
pacifiques qui sollicitent l’intervention des échelons supérieurs de l’administration ou
47 Thierry PAIRAULT, Petite introduction à l’économie de la Chine, Éditions des archives contemporaines, 2008, pp. 6 à 7. 48 V., infra., n° 138. 49 René DAVID, Camille JAUFFRET-SPINOSI, Les grands systèmes de droit contemporains, 11e éd., Dalloz, 2002, § 443.
16
dans les manifestations avec le recours à la violence, la puissance de l’idée d’équité
s’illustre plus nettement dans la « résistance de droit »50 ou résistance légale qui
consiste à souligner –tant par voie formelle de recours juridictionnels que par voie
informelle de protestation ou de revendication– la contradiction entre la pratique des
autorités locales et ce qu’ordonnent les lois, les principes et les proclamations du
Centre. Si la résistance légale ne constitue pas la panacée, elle peut néanmoins prendre
de l’ampleur, car « le régime la tolère et parfois l’encourage, aussi longtemps qu’elle
ne s’en prend qu’aux seules autorités locales »51. D’ailleurs, elle pourrait converger
avec la volonté de l’État-Parti d’intégrer la réforme juridique dans la construction
d’une société d’harmonie afin de maintenir la pérennité du régime52. Stimulée par la
pensée enracinée dans l’histoire chinoise qui insiste sur la prééminence du peuple à
travers l’affirmation de la légitimité du « droit de se rebeller » contre un régime
oppressif53, cette synergie volontaire peut contribuer à consolider le droit de propriété
par l’amélioration de l’ensemble du système juridique chinois. Mais cela suppose
d’abord de comprendre les particularités du droit de propriété dans la Chine
contemporaine afin de repérer le sens des transformations qui le travaillent.
B. – Les problèmes de la protection de la propriété en Chine au regard des
exigences de l’État de droit
14. - Faisant l’objet d’interprétations diverses, l’État de droit apparaît comme une
synthèse entre le formalisme juridique du Rechtsstaat allemand et la Rule of law
anglo-américaine attachée à une vision plus procédurale du droit54. « On peut dire qu’il
est caractérisé aujourd’hui, du moins en droit interne, par les deux piliers de la
50 Cf. Kevin J. O’BRIEN, Lianjiang LI, Rightful resistance in rural China, Cambridge University Press, 2006, pp. 1 à 14. 51 Lucien BIANCO, Jacqueries et Révolution dans la Chine du XXe, Paris : La Martinière, 2005, p. 493. 52 V., Leïla CHOUKROUNE, Antoine GARAPON, « Les normes de l’harmonie chinoise, un droit disciplinaire comme stabilisateur social », Perspectives chinoises, 2007, n°3, p. 38. 53 V., LO Chungshu, Autour de la nouvelle Déclaration universelle des droits de l’homme, textes réunis par l’UNESCO, Éditions du Sagittaire, 1949, pp. 154, 155. 54 Cf., Jacques CHEVALLIER, L’État de droit, 4e éd., Montchrestien, 2003 ; Luc HEUSCHLING, État de droit, Rechtsstaat, Rule of law, Dalloz, 2002.
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légalité et de la garantie judiciaire, progressivement complétés à mesure que se
développe le socle des droits fondamentaux »55. Mis à l’épreuve des exigences de
l’État de droit concernant la légalité et la garantie judiciaire, ainsi que de la protection
des droits fondamentaux, le droit chinois révèle sa grande insuffisance à l’égard de la
protection de la propriété. Tandis que les normes concernant la garantie de la propriété
au regard de la signification de la légalité s’améliorent de manière plus significative
grâce aux travaux législatifs et réglementaires (1), la mise en oeuvre des garanties de la
propriété demeure problématique et ses progrès ont pris du retard par rapport au
perfectionnement des normes de droit. Mais c’est surtout au prisme des droits
fondamentaux que l’on peut opposer à l’État que l’écart du droit chinois en matière de
propriété avec les exigences de l’État de droit semble le plus flagrant. Puisque la valeur
de l’opposabilité des droits fondamentaux n’est pas seulement idéologique, mais aussi
juridique, la faiblesse du statut de la propriété en tant que droit fondamental se reflète
plus nettement sur le plan de la garantie judiciaire (2).
(1). – Les problèmes de la légalité
15. - Les problèmes du droit de propriété en Chine existent en raison de la double
signification de la légalité, à savoir l’élaboration démocratique et la qualité de la loi.
16. - La multiplication des sources de droit sans la mise en place d’un véritable
système permettant de définir et de garantir la cohérence des lois entre elles est l’un
des phénomènes qui prêtent le flanc à la critique. En l’état actuel de la Chine, les
normes juridiques relatives à la propriété peuvent être édictées par les lois nationales
adoptées par l’Assemblée Populaire Nationale (APN) et son comité permanent, les
règlements administratifs adoptés par le Conseil des affaires d’État (CAE), les
règlements locaux adoptés par les Assemblées Populaires et leur comité permanent des
provinces, des municipalités subordonnées directement à l’autorité centrale et des
grandes villes56. Mais la technique dite de « légiférer la législation par délégation »
55 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans la contexte de la mondialisation », op. cit., p. 554. 56 Il faut souligner que le pouvoir de légiférer des « grandes villes » n’est pas prévu par la Constitution
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permet que le pouvoir législatif de l’APN et celui de son comité soit transféré de
manière générale au profit du CAE sans pour autant que des limites biens définies lui
soient fixées. Le pouvoir législatif dont dispose l’État peut se voir également
marginaliser au profit des localités par la technique dite de la distinction artificielle
entre la législation et l’application des normes au profit des localités qui sont admises à
adopter des textes normatifs pour mettre en oeuvre les lois nationales. Comme on l’a
observé, « la production juridique locale a pris de facto une ampleur croissante, bien
plus importante que dans nombre d’États à structure fédérale »57. La dilution du
pouvoir législatif de l’État central qui s’accompagne de la prolifération des règles
locales qui sont nécessairement non uniformes se manifeste plus nettement dans le
domaine du droit de propriété. À titre d’exemple, le Règlement provisoire du CAE
concernant la concession et le transfert du droit d’usage du sol appartenant à l’État58,
précise non seulement les conditions mais aussi les modalités et les durées maximales
du droit d’usage du sol étatiques. Ledit règlement précède la loi sur l’administration
des biens immobiliers dans les zones urbaines59 et demeure applicable même après la
promulgation de la loi sur les droits réels. Il en résulte qu’en dépit de son caractère
provisoire, comme l’indique l’intitulé du règlement, ce dernier constitue la véritable
base juridique du droit d’usage du sol étatique. D’ailleurs, si l’on exclut certaines
dispositions législatives négligeables concernant l’expropriation d’intérêt général, les
règlements du CAE constituent de facto les sources juridiques principales en la matière.
Alors que la révision constitutionnelle de 2004 et la promulgation de la loi sur les
droits réels établissent les principes juridiques relatifs à l’expropriation et à la
réquisition, le Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des
de 1982, mais par l’article 63 de la loi sur l’élaboration des normes promulguée en 2000. Selon ce dernier, les grandes villes comportent les municipalités où se situent les gouvernements des provinces et régions autonomes, les villes de zones économiques spéciales (ZES), ainsi que des villes spécifiquement désignées par le CAE. 57 Yves DOLAIS, « Regard extérieur sur la hiérarchie des normes en droit chinois », in Un nouveau regard sur le droit chinois, Colloque du 30 mai 2007, Journées juridiques franco-chinoises 2007, Société de législation comparée, 2008, p. 24. 58 Le Règlement est adopté par le CAE du 19 mai 1990. 59 L’article 13 de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines (devenu l’article 14, après la modification de la loi en 2007) se réfère au règlement du CAE en ce qui concerne la détermination de la durée maximale du droit d’usage du sol étatique.
19
zones urbaines adopté par le CAE en 1991 et modifié en 2001 continue à s’appliquer
dans tous les cas où les mesures d’expropriation concernent des immeubles
d’habitation situés dans les zones urbaines, alors même que l’on peut critiquer de
nombreuses dispositions de ce règlement du fait de leur non conformité aux principes
de la Constitution et de la loi sur les droits réels. Néanmoins, la prévalence du
pouvoir normatif du CAE, organe du gouvernement central, est souvent érodée par les
pratiques des autorités locales dans l’exécution du droit à travers des règlements locaux,
mais plus souvent par le biais des arrêtés adoptés par des gouvernements locaux à
différents échelons, ce qui a pour conséquence de créer des conflits récurrents entre les
règles nationales et locales. Du fait de son ambiguïté et de sa flexibilité, le mécanisme
de contrôle portant sur l’incompatibilité des règlements avec les lois nationales, ainsi
que sur l’incompatibilité des arrêtés locaux avec les règlements et les lois, tel qu’il a
été établi par la loi de 2000 sur l’élaboration des normes juridiques, ne manifeste pas la
rigueur suffisante pour parvenir à rationaliser le droit chinois en mettant en place une
véritable hiérarchie des normes. C’est dans ce contexte que le recours aux mesures
administratives apparaît comme le moyen le plus souvent utilisé pour remédier aux
problèmes de l’élaboration de la loi. Ainsi, face aux mécontentements des personnes
victimes de l’abus d’expropriation des terres cultivables et de démolition des
immeubles d’habitation dans les zones urbaines comme effets du développement du
marché foncier durant ces dernières années, le CAE n’a pas hésité à intervenir en
déployant des mesures disciplinaires visant à suspendre quasiment tous les projets
d’expropriation déjà initiés et corriger les pratiques irrégulières60. Il est vrai que
l’intervention de l’État central en dehors du droit formel se révèle efficace pour freiner
brutalement les abus dont peuvent faire preuve les autorités locales, ce qui revient à
défendre les droits des citoyens en matière de propriété et à maintenir la stabilité de
l’ordre social, considérée comme l’une des priorités du gouvernement central. Mais
des interventions de ce genre comportent un double risque étant donné qu’elles sont
aveugles aux problèmes inhérents à l’élaboration de la loi –ce qui favorise la
marginalisation de la fonction du droit formel–, mais aussi du fait qu’elles produisent
uniquement des effets conjoncturels. Les abus qui accompagnent certaines mesures 60 V., infra, n° 238.
20
privatives pourront ressurgir dès que le changement de situation le permet, ce qui aura
pour effet de déclencher à nouveau l’intervention de l’État central par l’adoption de
mesures disciplinaires. D’où le cycle de « transgression et répression » que le droit ne
semble pas être en mesure de briser.
17. - Il faut encore souligner le caractère politique de l’entreprise d’élaboration de
la loi en Chine, très présent en matière de droit de propriété. Le revirement du droit
chinois concernant la reconnaissance de la propriété privée ne pouvait pas s’effectuer
d’un coup par la promulgation d’une simple loi formelle. En effet, dans un processus
empirique, le régime d’exploitation forfaitaire des terres rurales trouvait son fondement
dans le mouvement de « décollectivisation »61 qui progressait par étapes en suivant
des modalités qui avait évolué dès la fin des années 70. Il a été reconnu en tant que
principe lors de la promulgation de la Constitution en 198262. La concession du droit
d’usage du sol étatique a d’abord été admise à titre expérimental dans les villes côtières,
de même que l’économie privée, puis reconnue par la révision constitutionnelle de
198863. De manière constante, l’adoption des mesures de réforme relatives à la
propriété a précédé celle des lois ou de leur modification, ainsi que les révisions
constitutionnelles. La transformation des mesures de réforme en règles de droit ne
traduit que l’opportunisme du gouvernement chinois. Il en résulte que dans la politique
de réforme menée par l’État, le droit est souvent considéré comme le simple instrument
de cette dernière. Les révisions constitutionnelles qui ont été entreprises jusqu’à
présent ont toutes été effectuées sous l’égide du Parti communiste chinois (PCC), ce
qui ne peut que renforcer la thèse de l’instrumentalisation du droit par l’État-Parti.
Alors que le PCC prétend qu’il représente le plus grand intérêt de la majorité des
citoyens selon sa théorie dite des « Trois représentativités », il est encore regrettable
que la constitutionnalisation de la propriété privée des citoyens n’ait pas encore été
initiée par l’APN ou par son comité permanent en tant qu’il constitue « l’organe
61 Il s’agissait d’un mouvement contraire à la collectivisation. Par la décollectivisation, l’autonomie financière et d’exploitation de la famille fut rétablie, avec l’instauration générale du fermage individuel, alors que les terres demeurent propriété collective des villages. V., Thierry SANJUAN (sous la dir. de), Dictionnaire de la Chine contemporaine, Armand Colin, 2007, p. 63. 62 V., article 8 de la Constitution de 1982. 63 V., l’article 11, l’article 10, alinéa 4 de la Constitution de 1982, révisés en 1988.
21
suprême du pouvoir d’État »64. Sous le régime foncier de propriété publique, l’État
demeure la partie prenante de toutes les mesures de réforme relevant de la propriété
d’État et de la propriété collective des terres. En définissant les orientations des
réformes qui devront être intégrées dans les textes de droit, le gouvernement central et
le PCC continuent à faire jouer à la législation un rôle secondaire en matière de droit
de propriété. Ainsi, dans un document politique intitulé Opinions sur la réforme des
terres forestières de propriété collective, le CAE et le PCC ont conjointement donné la
ligne directrice concernant la mise en place du régime d’exploitation forfaitaire des
terres forestières tout en reconnaissant aux paysans le droit d’utiliser les terres
forestières, d’y entreprendre, d’en disposer et d’en tirer profit par l’établissement du
contrat d’exploitation forfaitaire et l’attribution aux paysans des titres justifiant leurs
droits portant sur les terres forestières soumises au régime d’exploitation forfaitaire65.
À l’instar de l’extension de la réforme établissant le régime d’exploitation forfaitaire
des terres cultivables, le régime d’exploitation forfaitaire des terres forestières doit
encore être légalisé par l’adoption d’une nouvelle loi ou par la modification des
dispositions législatives existantes.
18. - Les problèmes concernant l’élaboration de la loi en Chine influent aussi sur la
qualité de la loi qui comprend non seulement une loi formelle, mais encore des
conditions de fond, à savoir l’accessibilité, la précision et la prévisibilité. Examinons
tout d’abord le problème de l’accessibilité. Alors que les lois nationales et les
règlements administratifs issus du CAE sont aisément accessibles du fait de leur
publication régulière et en temps utile, l’accessibilité des règlements locaux et des
arrêtés qui sont plus opérationnels et donc plus utiles dans la pratique, est
paradoxalement plus difficile, du fait de l’inexistence d’un journal officiel unique
consacré à la publication des textes locaux. La décentralisation du pouvoir normatif
rend plus aigu le problème de l’accessibilité aux règlements et aux arrêtés locaux. Pour
les praticiens, les conditions et les modalités de la concession du droit d’usage du sol
étatique, comme celles relatives à la cessibilité de ce droit ne sont précisées que dans
64 V., l’article 57 de la Constitution de 1982. 65 V., PCC et CAE, Opinions sur la réforme des terres forestières de propriété collective, publiées le 8 juin 2008.
22
les textes locaux. L’accès aux textes locaux est le point de départ mais aussi le gage du
bon déroulement des investissements fonciers. Néanmoins, les problèmes de précision
et de prévisibilité traduisent bien plus directement l’influence du politique sur le droit
du fait du caractère expérimental de la réforme. Tant que la politique de réforme
portant sur certains sujets de droit n’est pas clairement envisagée par le PCC ou le
Gouvernement, la législation reste soumise à l’ambiguïté car suspendue aux
instructions du personnel politique qui laisse volontairement des lacunes subsister dans
le corps du droit pour rendre son instrumentalisation plus commode. La question de la
mise en circulation sur le marché de terrains ruraux pour la construction d’habitations
constitue l’exemple le plus évident de cette ambiguïté voulue concernant la précision et
la prévisibilité du droit chinois. En l’état actuel, le maintien des terres cultivables
contre l’occupation à but non agricole est l’une des politiques les plus impératives
menées par l’État et exige l’établissement de restrictions concernant la libre cession
des droits d’usage des terres de propriété collective, y compris le droit d’usage du sol
collectif pour la construction d’habitations pour les foyers ruraux dont les titulaires
sont les membres de la collectivité au nom du foyer. Face aux controverses concernant
l’opportunité de la libre cession du droit d’usage du sol collectif pour la construction
d’habitations bénéficiant aux foyers ruraux66, l’article 153 de la loi sur les droits réels
admet le principe reconnaissant la cessibilité de ce droit, tout en le restreignant dans la
seconde phrase « selon les dispositions législatives, y compris celles de la loi sur
l’administration du sol, et les dispositifs de l’État ». La référence aux « dispositifs de
l’État » signifie qu’il n’existe pas de règles de droit en l’état actuel, et que la politique
de l’État peut s’y appliquer, quand bien même il s’agit de mesures de réformes
entreprises à titre expérimental. 66 Pour ceux qui soutiennent la libre cession de la propriété des habitations des foyers ruraux, v., GUO Mingrui, « Guanyu zhaijidi shiyongquan de lifa jianli (Propositions sur la législation en matière de droit d’usage du sol pour la construction d’habitations des foyers ruraux) », Faxue luntan (Legal Forum), 2007, n° 1, pp. 19 à 21; HAN Shiyuan, « Zhaijidi de lifa wenti (La question législative concernant le droit d’usage du sol pour la construction de logements des foyers ruraux) », Zhengzhi yu falü (Political Science and Law), 2005, n° 5, pp. 30 à 36. Pour les thèses contre la libre cessibilité du droit d’usage du sol pour la construction d’habitations des foyers ruraux, v., par exemple, MENG Qinguo, « Wuquanfa kaijin nongcun zhaijidi jiaoyi zhibian (Réflexions sur la levée de l’interdiction par la loi sur les droits réels sur la libre cessibilité du droit d’usage du sol pour la construction d’habitions des foyers ruraux) », Faxue pinglun (Law Review), 2005, n°4, pp. 25 à 30.
23
19. - En ce qui concerne le droit d’usage du sol étatique, l’imprécision et
l’imprévisibilité du droit chinois semblent renforcer la situation d’insécurité dans
laquelle se trouvent les propriétaires urbains. Il s’agit de la question du renouvellement
du droit d’usage du sol étatique. Car ce droit d’usage est limité à une durée maximale
de 70 ans67, et le renouvellement du contrat de concession après l’échéance est prévu
comme un moyen de prolonger le droit d’usage selon les termes de l’article 22 de la loi
sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines 68 . Mais les
conditions et les modalités du renouvellement du contrat de concession en vue de
prolonger le droit d’usage ne sont pas encore claires. En vertu de l’article 22 de la loi
sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines, la demande de
renouvellement doit être formulée par le titulaire du droit d’usage au moins un an avant
la date d’échéance du droit de concession. L’autorité compétente pour la concession du
droit d’usage du sol étatique doit en principe autoriser le nouvellement du contrat de
concession, sauf pour des raisons d’intérêt public qui exigent la suppression du droit
d’usage. Toutefois, l’article 149, alinéa 1er de la loi sur les droits réels prévoit le
renouvellement automatique du contrat de concession pour le droit d’usage du sol
étatique en vue de construire des habitations. Si cette dernière disposition constitue une
dérogation aux règles comprises dans l’article 22 de la loi sur l’administration des
biens immobiliers dans les zones urbaines, le sens de l’expression « renouvellement
automatique » reste à être précisé pour qu’il soit opérationnel. Mais l’ambiguïté
principale du droit actuel en matière de renouvellement du contrat de concession
concerne la prime de concession. La question demeure ouverte de savoir si l’autorité
compétente a le pouvoir d’exiger le paiement de la prime de concession par les
titulaires du droit d’usage du sol étatique lors du renouvellement du contrat, et si oui, il
s’agit encore de savoir comment le montant de la prime serait déterminé. Il faut
rappeler que le projet de loi sur les droits réels prévoyait l’obligation pour les titulaires
du droit d’usage de s’acquitter du paiement de la prime comme constituant la
contrepartie du renouvellement du contrat tout en autorisant le CAE à déterminer les 67 V., article 12, paragraphe 1 du Règlement provisoire sur la concession et le transfert du droit d’usage du sol étatique dans les zones urbaines. 68 La loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines est promulguée en 1994 et révisée en 2007.
24
règles précises relatives au montant ainsi que les modalités du paiement de la prime69.
Or, ce projet n’a pas été retenu par la loi finalement promulguée qui se contente
d’affirmer le principe de renouvellement automatique. En l’état actuel les pratiques de
renouvellement ne sont pas encore à l’ordre du jour, un délai suffisant a été laissé à la
rédaction de règles raisonnables avant que l’occasion de leur application ne se produise.
Cependant, l’attitude fuyante qui accompagne l’établissement de la loi sur les droits
réels au motif de la prudence n’en suscite pas moins des discussions quant à trouver
une solution viable dans l’avenir70 . D’où l’insécurité juridique dans laquelle se
trouvent les propriétaires des habitations qui sont aussi les titulaires du droit d’usage
du sol étatique selon le principe de la loi sur les droits réels.
(2). – Les problèmes de la garantie judiciaire
20. - Les problèmes de la garantie judiciaire de la propriété dans le droit chinois
actuel sont principalement liés au déséquilibre des pouvoirs qui reste préoccupant. En
effet, alors qu’il faudrait accorder aux juges un pouvoir supérieur à celui dont dispose
l’Administration selon ce qu’exige une conception idéale de l’État de droit,
l’Administration demeure toujours plus puissante que l’autorité judiciaire concernant
la mise en oeuvre des garanties de la propriété en Chine. L’effectivité des normes de
garantie de la propriété est donc douteuse d’autant plus que la plupart des atteintes à
ces garanties sont le fait de l’Administration.
21. - La puissance de l’Administration tient d’abord au caractère limité de la
compétence judiciaire. Pour le dire autrement, dans le droit chinois tous les actes de
l’Administration ne sont pas soumis au contrôle judiciaire. En distinguant entre actes
administratifs concrets et abstraits ayant une portée générale, la loi sur le contentieux
administratif exclut les actes administratifs abstraits de la compétence judiciaire71.
69 V., l’article 149, alinéa 3 du projet de loi sur les droits réels pour la cinquième délibération devant le comité permanent de l’APN. 70 V., par exemple, LI Kaiguo, « Woguo chengshi jianshe yongdi shiyongquan zhidu de wanshan (L’amélioration du droit d’usage du sol étatique pour la construction dans les zones urbaines) », Xiandai faxue ( Moderne Law Science), 2006, n° 2, pp. 12 à 20. 71 V., article 12, paragraphe 2 de la loi sur le contentieux administratif.
25
L’effet de cette exclusion du contrôle judiciaire ne peut qu’être renforcé par le fait de
déléguer le pouvoir législatif à l’autorité administrative. Il en résulte que non
seulement la légalité, mais aussi la constitutionnalité des règlements administratifs ou
locaux, ainsi que de certains arrêtés échappent à tout contrôle de l’autorité judiciaire.
C’est la raison pour laquelle les règles concernant la démolition des bâtiments dans des
zones urbaines ont été adoptées par le CAE sous forme de règlement. Alors même que
la compatibilité dudit règlement avec la loi et la Constitution est mise en doute, ce
règlement ne peut pas être contesté devant le juge. La compétence du juge est
également exclue concernant les décisions administratives qui disent le dernier mot sur
la légalité de certains actes administratifs concrets72. Il s’agit notamment des décisions
administratives adoptées par le CAE ou les gouvernements de niveau provincial
concernant les différends relatifs à la propriété ou au droit d’usage des ressources
naturelles. Ce dernier cas est ouvertement contraire au principe de la prééminence du
droit, non seulement en raison de l’exclusion du contrôle judiciaire, mais surtout au
regard de la spécificité des différends. D’autant que ce qui est en cause c’est la
propriété ou le droit d’usage des ressources naturelles, alors qu’en vertu de la
Constitution les ressources naturelles constituent la propriété d’État. D’ailleurs, du fait
de leur statut d’organe étatique, le gouvernement central ou les gouvernements
provinciaux sont susceptibles d’être partial dans le traitement des différends
concernant la propriété d’État.
22. - La puissance de l’administration par rapport à l’autorité judiciaire est
renforcée par sa fonction quasi-judiciaire qui lui est reconnue dans le droit chinois.
Selon la loi sur la révision administrative, les personnes physiques et morales ou des
groupes sociaux qui considèrent que leurs droits légaux ont été violés par des actes
administratifs concrets peuvent contester la légalité de tels actes devant l’organe
administratif d’un échelon hiérarchique supérieur qui peut décider de l’annulation ou
de la modification de l’acte administratif jugé illégal ou inopportun73. Ce mécanisme
de révision d’un acte de l’organe administratif d’un échelon inférieur par des agents
administratifs d’un échelon supérieur constitue une voie de recours pour les citoyens,
72 V., article 12, paragraphe 4 de la loi sur le contentieux administratif. 73 V., articles 2 et 28 de la loi sur la révision administrative.
26
mais ouvre également la voie à l’intervention de l’organe administratif supérieur. Tant
que la compétence judiciaire sur le contrôle d’un certain acte administratif n’est pas
clarifiée, la demande d’une révision administrative semble être un recours utile. Il en
est ainsi dans les procédures de démolition des bâtiments dans des zones urbaines, la
demande de révision administrative est le moyen de recours le plus souvent utilisé par
les habitants concernés par un projet de démolition. Car la législation actuelle demeure
très ambiguë sur la question de savoir si les tribunaux et les cours populaires peuvent
contrôler la légalité du permis de démolir, de la décision administrative sur l’exécution
forcée du projet d’expropriation ou de la décision relative à l’indemnisation74. La
fonction quasi-judiciaire dont est revêtue l’autorité administrative est le plus clairement
visible dans les pratiques d’ « arbitrage » administratif. Faute de base juridique, les
pratiques d’ « arbitrage » administratif constituent en substance l’acte administratif
concret par lequel l’autorité administrative s’attache à résoudre les différends soit
« horizontaux » entre les citoyens75 ou soit « verticaux » entre l’Administration et les
administrés 76 . En ce qui concerne la propriété, l’applicabilité de l’« arbitrage »
administratif est prévue par le Règlement d’administration sur la démolition des
bâtiments dans des zones urbaines afin de traiter le différend entre l’expropriant et les
expropriés à propos d’un montant des indemnités77. Selon l’avis d’interprétation
judiciaire de la Cour populaire suprême, l’ « arbitrage » administratif est la phase
obligatoire qui précède le contentieux judiciaire. Par conséquent, les expropriés
doivent d’abord demander de bénéficier de l’« arbitrage » administratif, et le
contentieux judiciaire ne peut être invoqué que pour contester la légalité du résultat de
cet « arbitrage ». La systématisation de l’intervention de l’autorité administrative dans
la résolution des différends, surtout par son caractère obligatoire, est manifestement
contraire au droit d’être entendu par un juge et un tribunal indépendant selon
l’exigence de la protection du droit à la justice. Les atteintes aux droits et aux intérêts 74 V., WANG Cailiang, Fangwu chaiqian yinan wenti jieda (Réponses aux questions difficiles relatives à l’expropriation des biens immobiliers dans les zones urbaines), Law Press China, 2005, p. 112. 75 V., par ex., YING Songnian, Xingzhengfaxue jiaocheng (Cours de droit administratif), Zhongguo zhengfa daxue chubanshe, 1988, p. 362. 76 V., par ex., LUO Haocai, Xingzheng faxue (Droit administratif), Zhongguo zhengfa daxue chubanshe, 1989, p. 203. 77 V., article 16, alinéa 1er du Règlement du CAE.
27
des expropriés se généralisent dans la pratique, d’autant plus que la procédure de
l’ « arbitrage » administratif est souvent inéquitable étant donné que l’administration
manifeste ouvertement sa partialité quand elle donne raison à l’expropriant dans
l’exécution du projet de démolition78.
23. - Le déséquilibre entre l’administration et le judiciaire se révèle également au
sujet du concours de la force publique à l’exécution du droit. Tandis qu’en vertu de la
loi sur le contentieux administratif, l’autorité judiciaire peut enjoindre à
l’administration de cesser de manquer à ses obligations et de les accomplir dans un
délai déterminé79, elle est dépourvue toutefois de moyens contraignants pour faire
exécuter son injonction80. Il en résulte que dans les cas où les mesures d’expropriation
déjà adoptées par l’autorité administrative sont manifestement illégales, il est
quasiment impossible pour les tribunaux d’ordonner la suspension des procédures
d’expropriation et la rétrocession des biens expropriés. Dans la plupart des cas, les
victimes ne peuvent que demander l’intervention de l’organe administratif d’un
échelon hiérarchique supérieur qui pourrait ordonner la régularisation des situations
par l’adoption de mesures disciplinaires. Dans les pratiques, ce type de recours est jugé
plus efficace que le contentieux administratif pour remédier aux atteintes portées aux
droits81. Le mécanisme de révision administrative, les pétitions dites « lettres et
visites » (xinfang), de même que les activités de protestation dites « événements de
masse » (quntixing shijian) constituent l’intégralité des moyens par lesquels les
victimes peuvent conduire l’administration de hiérarchie supérieure à intervenir en vue
de corriger les erreurs de l’administration d’échelon inférieur en ce qui a trait au droit
78 V., WANG Cailiang, Fangwu chaiqian yinan wenti jieda (Réponses aux questions difficiles relatives à l’expropriation des biens immobiliers dans les zones urbaines), op. cit., pp. 103 à 105. 79 V., article 54, paragraphe 3 de la loi sur le contentieux administratif. 80 L’article 65 de la loi sur le contentieux administratif disposent que dans les cas où l’administration se refuse à exécuter les jugements et les ordonnances judiciaires, les tribunaux et les cours peuvent imposer des astreintes à l’administration, demander à l’administration supérieure d’adopter des sanctions disciplinaires à l’encontre des personnes responsables, ou leur infliger une peine. L’avis d’interprétation judiciaire concernant l’application de la loi sur le contentieux administratif, adopté par la Cour populaire suprême en 1999, fashi n° (2000) 8, prévoit en outre des astreintes à l’encontre du personnel administratif responsable. 81 V., Kevin J. O’BRIEN, Lianjiang LI, « Suing the local state: administrative litigation in rural China », The China Journal, n° 51, 2004, pp. 85 à 90.
28
de propriété82. Mais dans le contexte où l’indépendance judiciaire n’est pas assurée,
l’administration peut même demander les tribunaux et les cours à prêter le concours de
la force publique à l’exécution de décisions administratives à l’encontre des citoyens.
Il en est ainsi en ce qui concerne les cas de démolition des bâtiments urbains. De
manière générale, à la demande de l’organe gouvernemental chargé de l’administration
de la démolition, les tribunaux et les cours populaires prennent l’ordonnance consistant
à exécuter des démolitions en recourant à la force en vertu de la loi de procédure
civile83. Mais le problème majeur de l’exécution forcée des démolitions réside dans
l’absence d’indemnisation versée en réparation aux victimes de telles mesures, étant
donné que le Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des
zones urbaines n’exige pas de l’autorité judiciaire qu’elle détermine le montant des
indemnités comme condition préalable au transfert de la propriété des biens expropriés.
Il arrive très souvent que les habitations aient déjà été démolies alors que le
contentieux judiciaire relatif à l’indemnisation est encore en cours. D’où l’effet non
suspensif du contentieux sur l’exécution de la décision de démolition édictée par
l’autorité administrative84. Le concours de la force publique apporté par les tribunaux
et les cours dans l’exécution de la décision administrative de démolition ne peut
qu’aggraver le déséquilibre des pouvoirs au profit de l’administration et met en relief
la manipulation de la justice par cette dernière.
24. - La prédominance de l’administration se manifeste également en ce qui
concerne l’administration et la gestion de la propriété publique. Ainsi, au niveau
national, l’administration et la gestion de la propriété d’État des ressources naturelles
et du sol relèvent principalement du Ministère du Territoire et des Ressources, alors
que la protection des actifs d’État dans les entreprises industrielles et commerciales est
assumée par la Commission du CAE chargée de la supervision et de la gestion des
82 V., Eva PILS, « Land disputes, rights assertion, and local unrest in China: a case from Sichuan », Columbia Journal of Asian Law, 2005, n° 1, p. 259 et s. 83 L’article 17 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines du CAE permet également aux départements gouvernementaux de procéder à l’exécution de la décision de démolition par des mesures forcées. Mais le CAE interdit l’exécution forcée d’office de la décision de démolition depuis 2004. 84 V., article 16, alinéa 2, l’article 17 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines du CAE.
29
actifs d’État (SASAC). Sur le plan local, les fonctions de la supervision et de la gestion
des biens publics se répartissent entre les gouvernements locaux en fonction de leur
rang hiérarchique. En l’état actuel, la supervision et la gestion de la propriété d’État
sont principalement réglées par des mesures de nature administrative plutôt que
législative et judiciaire, en laissant le droit jouer un rôle disciplinaire dans des
contextes bien délimités. Ne bénéficiant pas de garanties judiciaires efficaces, et
menacé par les phénomènes de corruption, de gaspillage et d’escroquerie, le principe
constitutionnel proclamant la « sacralité » des biens publics socialistes85 semble être
vide de sens. Concernant la propriété collective qui porte principalement sur les terres
situées dans les zones rurales, les gouvernements locaux des échelons les plus bas de
cantons (xiang) et de communes (zhen) obeissent en principe au régime d’exploitation
forfaitaire des terres, alors qu’ils sont en réalité plus directement contrôlés par les
gouvernements locaux de l’échelon de district et ne bénéficient pas par conséquent
d’une autonomie suffisante 86 . La récession de la propriété d’État et la
décollectivisation des terres de propriété collective témoignent de l’esprit de
déconcentration qui accompagne la réforme en Chine et constituent aussi un défi jeté à
l’ensemble du système juridique quant à l’effectivité de la garantie judiciaire de la
propriété publique sur laquelle l’administration continue d’exercer un pouvoir
quasiment exclusif.
II. – LA PROPRIÉTÉ, UNE DYNAMIQUE TRANSFORMATRICE DU DROIT
CHINOIS
25. - La protection de la propriété ne peut s’améliorer qu’à travers la
transformation droit chinois selon les exigences de l’État de droit. Néanmoins, dans ce
processus de transformation, le droit de propriété peut mener à bien son rôle de
dynamique transformatrice, d’autant que le recensement des problèmes peut constituer
le point de départ d’un mouvement rythmique qui se dirige vers la découverte de
85 V., article 12, alinéa 1er de la Constitution de 1982. 86 V., Peter HO, Institutions in transition, land ownership, property rights, and social conflict in China, Oxford University Press, 2005, p. 45.
30
solutions. Le couple problèmes et solutions, conçu sous l’angle de la pensée
traditionnelle chinoise du Yin et du Yang selon laquelle la vie sociale est commandée
par un besoin périodique de « réfection-perfection », traduit l’idée d’alternance plutôt
que celle d’opposition. L’opposition apparente entre les problèmes et les solutions
correspond donc à l’opposition relative et de nature rythmique du Yin et du Yang qui
réside dans le fait que « l’ordre social reposerait, non sur un idéal d’autorité, mais sur
un principe de roulement »87. Il est vrai que la propriété contribue aux transformations
du droit interne chinois (A). Mais la dynamique transformatrice provient aussi du droit
international. Comme on l’a observé, la révision constitutionnelle de 2004 proclamant
l’inviolabilité de la propriété privée «pourrait marquer, dans le prolongement de
l’internationalisation symbolisée par l’entrée de la Chine dans l’OMC, une nouvelle
étape vers une certaine démocratisation du droit chinois. »88. Par le biais de la
propriété, le droit international devient non seulement un indicateur axiologique mais
aussi un instrument juridique contribuant à l’amélioration du droit chinois. Se situant à
la croisée du droit du commerce et des droits de l’homme, la propriété est le vecteur
privilégié de l’influence du droit international sur le droit interne chinois(B).
A.– La propriété contribue aux transformations du droit interne chinois
26. - Si la propriété obéit toujours à une idéologie politique dans la mesure où « le
choix de s’inscrire dans telle ou telle conception de la propriété engagent la nature
même du régime politique, les déterminations techniques de la constitution de la
communauté politique »89 et le pouvoir de l’État jouent, plus concrètement, un rôle
fondamental dans la formation de problèmes concernant la légalité et la garantie
judiciaire de la propriété. L’analyse concernant la protection de la propriété en Chine
constitue une voie d’entrée privilégiée pour comprendre le droit chinois car elle aide à
mettre en perspective les relations entre l’État et la société qui procèdent d’une origine
historique fondatrice et se réactualisent de période en période. C’est sous l’angle du 87 Marcel GRANET, La pensée chinoise, Éditions Albin Michel, 1988, p. 123. 88 Mireille DELMAS-MARTY, « La question des droits de l’homme en Chine », Dalloz, n° 31, 11 septembre 2008, p. 2184. 89 Mikhaïl XIFARAS, La propriété, Étude de philosophie du droit, op. cit., p. 490.
31
contrôle étatique exercé sur les conditions de production et d’appropriation des
richesses que le droit de propriété apparaît comme l’intermédiaire sur la base duquel
s’établissent les relations entre l’État et la société. En effet, « le support du pouvoir et,
plus encore, la condition de possibilité du despotisme oriental demeurent l’existence
d’un État hydraulicien, à la fois bâtisseur et bureaucrate, dont l’intervention
s’accompagne d’une subordination des droits de propriété aux objectifs de
l’intervention publique »90. Comme l’arbitraire de l’empereur plaçait la propriété à
l’ombre du despotisme dans la Chine dynastique, l’emprise de l’économie planifiée et
le régime économique de propriété publique traduisaient une continuité historique. La
réforme vers l’économie de marché n’a que partiellement modifié le rôle dominant de
l’État en matière de propriété.
27. - La propriété individuelle est un droit fondamental dans la mesure où il permet
« une base matérielle suffisante pour l’indépendance personnelle et le sens du respect
de soi-même, qui sont tous deux essentiels au développement adéquat et à l’exercice
des deux facultés morales »91, à savoir le sens de la justice et celle d’une conception du
bien. Il paraît également pertinent de rappeler, quant au rôle de la propriété privée
concernant l’évolution du droit chinois, l’importance de la pensée philosophique
hégélienne qui attribue à la propriété la fonction d’effectuer le principe de la liberté
personnelle ou encore celui de la volonté libre abstraite en général92. L’importance de
la propriété privée tient dans le fait qu’elle supporte l’institution de la liberté qui est
l’un des éléments essentiels de la société civile93. Ainsi que le veut l’enseignement de
Karl MARX, « le droit de l’homme à la propriété privée (...) c’est le droit de l’intérêt
personnel. Cette liberté individuelle, tout comme sa mise en pratique constituent la
90 Philippe BERAUD, « Du despotisme oriental au socialisme de marché : l’État et les droits de propriété en Chine », in Philippe BERAUD, Sophie CHANGEUR (sous la dir. de), La Chine dans la mondialisation: Marchés et stratégies, Paris : Maisonneuve et Larose, 2006, p. 93. 91 John RAWLS, La justice comme équité, une reformulation de la théorie de la justice, traduit par Bertrand GUILLARME, Éditions de la découverte, 2003, p. 160. 92 V., G. W. F. HEGEL, Principes de la philosophie du droit, Texte traduit et commenté par Jean-François KERVÉGAN, P. U. F., 2003, § 40. 93 Hegel considère que « la société civile contient trois moments: A. La médiation du besoin et la satisfaction de l’individu-singulier (...). B. L’effectivité de l’élément-universel de la liberté qui y est contenu, la protection de la propriété par l’administration du droit. (...) », v., ibid., § 188.
32
base de la société civile »94, alors que dans l’opposition entre l’État politique et la
société civile, la vie politique n’est qu’un simple moyen dont le but est la vie de la
société civile. Depuis les années 90, des juristes chinois commencent à reconnaître
l’importance de la société civile sur la construction d’un État de droit en Chine. Selon
eux, la résolution des problèmes dépend désormais du changement des relations entre
l’État et la société qui étaient traditionnellement caractérisées par la supériorité de
l’État politique. Ainsi, l’avènement d’une société civile en Chine sera l’étape
indispensable du processus vers l’équilibre, et même vers la soumission de l’État
politique à la société civile pour arriver à l’État de droit95. En réalité, la société civile
devient plus perceptible avec la reconnaissance par le droit chinois de l’occupation et
de l’appropriation de type privé des biens. Alors que la propriété en Chine était
révélatrice de la domination du pouvoir étatique (1), elle peut toutefois engendrer une
dynamique de rationalisation du rôle de l’État (2) et contribuer par conséquent à la
transformation du droit interne selon les exigences de l’État de droit.
(1). – La propriété révélatrice de la domination du pouvoir étatique
28. - L’histoire chinoise n’est pas étrangère aux relations entre l’État et la société
qui s’établissent sur la base de la propriété. Avant même que la propriété privée
foncière ne fût établie, le système de « Jing tian » exigea que « l’État fût
État-Providence et interventionniste ; que l’État intervienne avec plus de bonté que de
force; que la paix soit assurée aussi biens entre les états qu’entre les classes »96. Selon
les deux vers célèbres du Cheu king –« sous le vaste ciel, il n’est rien qui ne soit
territoire du roi » et « entre les rivages de la terres immense, il n’est personne qui ne
soit le sujet du roi »97– le roi fut le seul vrai propriétaire du sol. Mais à la lecture de
94 Karl MARX, « À propos de la question juive », Oeuvres, t. III, Éditions Gallimard, 1982, p.367. 95 V., DENG Zhenglai, Jeffrey C. ALEXANDER (ed.), Guojia yu shimin shehui : yzhong shehui lilun de yanjiu lujing (État et société : une étude de théorie sociale), Central Compilation and Translation Press, 1998, pp. 6 à 21 ; MA Changshan, Guojia, shimin shehui yu fazhi (État, société civile et État de droit), The Commercial Press, 2002, pp. 206 à 213. 96 MA-TA, L’étude sur les transformations du système de la propriété foncière en Chine, thèse de doctorat, l’Université de Paris, JOUVE & Cie, 1927, p. 46. 97 Cheu king, texte chinois avec double traduction en français et en latin, une introduction et un
33
l’ode entière, il faut constater que c’est la souveraineté politique du roi dont il est
question ici, et non d’un prétendu droit de propriété. Le souverain, en faisant des
règlements agraires et en fixant la part de chaque membre du peuple suivant son rang,
ne fait que régler l’usage individuel de ce droit portant sur le sol. Quand l’intérêt du
peuple est en cause, « l’empereur est là pour exprimer cet intérêt général, et il
l’exprime non pas par une action juridique, mais par des ordres ; il parle non en
propriétaire, qu’il n’est pas, mais en souverain, édictant pour chaque rang de la
hiérarchie l’étendue du droit d’appropriation de la terre qui est à tous »98. Il en résulte
que le souverain n’est pas le propriétaire de l’ensemble du sol puisque celui-ci
appartient au peuple comme le monde dans son ensemble. C’est à partir de la relation
entre le souverain et le peuple qui caractérise l’administration de l’empire dans la
Chine classique que se développe sans solution de continuité la conception moderne
des relations entre l’État et la société. Néanmoins, si la distinction entre la souveraineté
et la propriété fut bien reconnue dans la pensée traditionnelle chinoise, il faudrait
encore nuancer la signification de cette distinction dans le contexte chinois. À cet
égard, une approche comparative avec l’histoire du droit français se révèle utile pour
montrer la spécificité du cas chinois. D’où le fameux discours de Portalis –« au
citoyen appartient la propriété, et au souverain l’empire »99– qui exprime le courant
puissant selon lequel la souveraineté ne dispose pas de la propriété et ne donne à
l’État aucun droit éminent sur les biens des citoyens. Et si la propriété doit être
subordonnée dans certains cas à la souveraineté, elle n’est pas confondue avec elle ni
livrée à son arbitraire100. Or, cette notion d’équilibre entre propriété et souveraineté –en
dépit de sa fragilité à l’époque révolutionnaire– n’est jamais apparue dans l’histoire
chinoise. Selon l’observation de Hegel, «du moment qu’en Chine l’égalité règne, mais
en aucune façon la liberté, le despotisme est nécessairement la forme du
vocabulaire par Séraphin COUVREUR, impression de la Mission catholique, 1896, p. 238. 98 Henri MASPERO, « Les termes désignant la propriété foncière en Chine », op. cit., p. 299. 99 Jean-Étienne-Marie PORTALIS, De l’usage et de l’abus de l’esprit philosophique durant le XVIIIe siècle, t. II, Dalloz, 2007, p. 293. 100 V., Jean-Louis HALPÉRIN, « Propriété et souveraineté de 1789 à 1804 », Droits, n° 22, 1995, p. 67, 78.
34
gouvernement »101. Tant que la souveraineté de l’empereur demeurait autoritaire, la
notion juridique de propriété lui était du moins soumise, sinon réduite à néant. Comme
Fernand BRAUDEL l’a constaté, « la propriété individuelle de la terre remonte aux
Han, c’est vrai, mais le gouvernement reste, en principe, le possesseur du sol. Des
paysans et même des propriétaires fonciers importants peuvent être déplacés
autoritairement d’un point à l’autre de l’Empire, là encore au nom du bien commun
(...) »102.
29. - Il faut encore souligner que le concept d’État comme figure moderne de la
politique103 ne peut pas trouver son correspondant dans la pensée traditionnelle
chinoise. À la différence d’avec l’Europe où le concept d’État s’est développé sur la
base de la notion de souveraineté qui procède des constructions philosophiques de Jean
BODIN et de HOBBES, ainsi que sur celle de la citoyenneté qui trouve son origine
dans la pensée de ROUSSEAU, le pouvoir de l’empereur et la puissance de la
souveraineté étatique étaient largement confondus en Chine. Cette confusion était
encore renforcée par l’ « orthodoxie confucéenne »104 qui mettait l’accent sur le
gouvernement de l’Empire –au sens du maintien du régime politique et de l’ordre
social, et qui rejetait l’arbitraire moins au nom de la légitimité du pouvoir que pour
consolider le règne de l’empereur. Les confucianistes exhortaient le gouvernement à la
sympathie, la bonté, la bienveillance et l’exploitation modérée des sujets, vertus dont
disposait le bon empereur d’après l’éloge de la vertu du « ren ». Mais la force de cet
idéalisme de lettrés n’avait pour égale que celle de la malheureuse réalité.
30. - L’arrivée au pouvoir des communistes en Chine semble se situer dans la
continuité de cette histoire des rapports entre l’État et la société concernant la question
du droit de propriété. Avec le mouvement de collectivisation déclenché peu de temps
après la fondation de la Chine populaire en 1949, la propriété étatique des moyens de
production a été proclamée afin de répondre à la nécessité de libérer les forces
101 G. W. F. HEGEL, Leçons sur la philosophie de l’histoire, traduction par J. GIBELIN, 3e éd, Librairie Philosophique J. VRIN, 1979, pp. 99, 103. 102 Fernand BRAUDEL, Civilisation matérielle, économie et capitalisme XVe-XVIIIe siècle, t. 2, Armand Colin, 1979, p. 524. 103 Cf., Simone GOYARD-FABRE, L’État, figure moderne de la politique, Armand Colin, 1999. 104 Marcel GRANET, La pensée chinoise, op. cit., p. 449.
35
productives, d’abolir l’exploitation capitaliste et de permettre la redistribution des
richesses. Sur le plan politique, avec la généralisation des coopératives agricoles par
l’établissement des communes populaires, « le régime communiste a réussi là où ses
prédécesseurs avaient échoué : établir son pouvoir sur la production et les revenus
agricoles »105. La centralisation de tous les biens considérés comme des moyens de
production aux mains de l’État « s’accommode fort bien de l’héritage normatif du
despotisme oriental et des représentations culturelles dominantes qui s’y associent »106.
La « sacralisation » du régime de propriété publique socialiste était tributaire de
l’avènement de l’État chinois autoritaire. Selon les cinq traits constitutifs du régime
totalitaire établis par Raymond ARON, à savoir l’existence d’un parti unique, le
monopole étatique de la violence et des moyens de persuasion, l’existence d’une
économie appartenant majoritairement à l’État et enfin la transfiguration idéologique
de toutes les fautes commises par les individus107, l’on peut affirmer que la Chine était
un État totalitaire ne serait-ce que parce que le régime de propriété publique
correspondait bien à une économie appartenant majoritairement à l’État.
31. - La réforme économique engagée à partir de 1978 a contribué à altérer le
principe de monopole étatique de la propriété, par la reconnaissance des droits d’usage
du sol et surtout de la propriété privée des citoyens, ainsi que de la restructuration des
entreprises par la création des sociétés par actions. Le processus de transformation des
rapports de propriété est à l’origine du changement des conditions de production et
d’appropriation des richesses, ce qui pourrait impliquer que d’autres principes
président désormais à l’histoire des rapports entre l’État et la société en Chine.
Néanmoins, la réforme du régime de propriété ne procède pas d’une remise en cause
préalable du régime de propriété dominant car elle s’est effectuée de manière originale,
progressive et très imparfaite. L’émergence de nouveaux droits de propriété à côté de la
105 Jean-Luc DOMENACH, Philippe RICHER, La Chine, t. 1, 1949-1971, Imprimerie nationale, 1987, p. 124. 106 Philippe BERAUD, « Du despotisme oriental au socialisme de marché : l’État et les droits de propriété en Chine », op. cit., p. 103. 107 V., Raymond ARON, Démocratie et totalitarisme, Éditions Gallimard, 1965, pp. 284, 285. ARENDT a même souligné que les risques de verser dans un régime totalitaire sont effroyablement élevés dans les pays à tradition despotique de type oriental, l’Inde et la Chine. V., Hannah ARENDT, Le système totalitaire, Éditions du Seuil, 1972, p. 31.
36
propriété publique en Chine semble témoigner en faveur de l’hypothèse de Juan J.
LINZ selon laquelle le pluralisme limité qui engendre certaines formes de semi ou
pseudo-opposition constitue la grande particularité des régimes autoritaires ou de
l’autoritarisme post-totalitaire108. Si l’ « on [aurait] tort de considérer la civilisation
chinoise comme immobile, et [si] l’enchaînement des dynasties et des cycles
correspond bien plutôt à une dialectique du changement et de la continuité »109, la
supériorité de l’État dans les rapports de propriété demeure néanmoins perceptible,
fut-ce sous des formes contemporaines originales. Au nom de l’objectif de
modernisation et de développement économique, les conditions de l’intervention
publique se révèlent plus complexes, car elles sont à la fois moins idéologiques et plus
pragmatiques. Selon l’expression métaphorique du juriste chinois JI Weidong, le destin
chinois de la propriété peut se résumer par un processus de « sortie du Pouvoir et de
retour au Pouvoir »110. C’est ce qui démontre exactement la soumission des droits de
propriété aux mesures discrétionnaires de l’État. Quelques exemples suffisent pour en
attester. Ainsi dans l’objectif de la mise en valeur de la propriété étatique du sol dans
les zones urbaines, le droit d’usage du sol à titre onéreux et à durée déterminée est
constitutionnellement et législativement reconnu par l’État via la révision
constitutionnelle et l’adoption de lois et de règlements. Dans le processus accéléré
d’urbanisation et de hausse des prix de l’immobilier, les gouvernements locaux de
différents échelons et leurs membres n’ont pas hésité à s’impliquer dans
l’aménagement territorial en procédant à des distributions et des redistributions des
droits d’usage. L’abus d’expropriation devient un moyen commode pour expulser les
propriétaires de terrains convoitées et pour ouvrir la voie à une utilisation différente du
sol, bénéficiant à d’autres usagers. Dans la pratique, les démolitions des habitations
urbaines s’effectuent souvent et paradoxalement au nom du « bien commun » dont les
habitants bénéficieraient d’après les autorités locales qui n’hésitent pas à employer des
108 V., Juan J. LINZ, Régimes totalitaires et autoritaires, Armand Colin, 2000, pp. 159, 168, 268. 109 Pierre-Étienne WILL, « La durée, l’espace et le temps », in Pierre GENTELLE (sous la dir. de), Chine, peuples et civilisation, Éditons la Découverte & Syros, 1997, p. 100. 110 JI Weidong, Xianzheng xinlun : quanqiuhua shidai de fa yu shehui bianqian (De nouveaux propos sur le constitutionnalisme : droit et mutations sociales dans le contexte de la globalisation), Peking University Press, 2002, p. 181.
37
mesures coercitives pour que ce « bien » se réalise. En effet, à défaut d’un contrôle
effectif sur le bien fondé du motif d’intérêt général qui permet ces mesures
d’expropriation, la garantie des droits des citadins sur leurs logements, y compris leur
droit au logement, ne peut qu’être fragile. Les droits d’exploitation forfaitaire des
terres des paysans succombent non seulement face aux expropriations liées au
mouvement d’urbanisation, mais aussi face aux discriminations résultant du maintien
par l’État d’une stricte dichotomie entre zone urbaine et zone rurale dont l’objectif
politique affirmé est de conserver les terres cultivables et d’assurer la production
agricole. En subordonnant les droits de propriété aux politiques gouvernementales, la
domination de l’État en Chine à l’heure actuelle témoigne d’une certaine manière de la
survivance moderne de l’État hydraulicien de l’époque ancienne ou encore de l’État
planificateur de l’époque d’avant la mise en place de la réforme. Mais le contexte
actuel dans lequel les gouvernements locaux et leurs membres s’impliquent dans les
mesures d’expropriation et jouent par conséquent un rôle dans la mutation des droits
d’usage du sol semble bien plus grave. Étant donné que les mesures d’aménagement du
territoire ont été à l’origine de nombreux cas de corruption des fonctionnaires, la
violation du droit de propriété présente aussi une menace pour la légitimité du régime.
Pour les hommes ordinaires, « ces incertitudes qui planent sur la propriété expliquent
la préférence des ‘entrepreneurchiks’ –entrepreneurs par la grâce du P[CC]– pour
l’enrichissement rapide, un retour immédiat sur investissement, et l’exode des
capitaux »111. En résumé, l’absence d’une propriété privée réelle et garantie contribue à
la dépendance des sujets vis-à-vis de l’État-Parti. Mais la relation problématique
État-société qui est mise en relief par ces graves manquements au principe de la
protection de la propriété peut être brisée par la force de ce droit qui commence à jouer
un rôle dans la rationalisation de l’État.
(2). – La force transformatrice du droit de propriété dans la dynamique de
rationalisation du rôle de l’État
32. - La trajectoire dessinée par le développement de la Chine depuis le lancement 111 Guy SORMAN, L’année du Coq, Chinois et rebelles, Fayard, 2006, p. 166.
38
des politiques de réforme et d’ouverture fait apparaître comme un acquis incontestable
le passage au capitalisme, bien que celui-ci demeure incomplet, après que l’utopie
communiste ait été conduite à la mort par les horreurs et les erreurs qu’elle a
engendrées112. Ce fait semble constituer une base opportune pour la rationalisation du
rôle de l’État. En effet, selon la thèse wébérienne, l’État rationnel est « le seul dans
lequel le capitalisme moderne puisse prospérer. Il repose sur le fonctionnariat expert et
sur le droit rationnel »113. Il est vrai que l’orientation du développement de la Chine
vers le capitalisme n’a pas fait l’objet d’un aveu de la part du gouvernement chinois : il
a même été exclu des discours politiques. Les transformations du droit de propriété ont
toutefois réussi à faire émerger de nouveaux acteurs dont les motifs d’action tendent à
la rationalisation du rôle de l’État. Car les propriétaires qui participent à la protection
de leurs droits se trouvent sur les lieux de la lutte. La « forme pratique du droit de
propriété » naît de leur action et non pas de leur réflexion abstraite, ouvrant de
nouvelles possibilités pour comprendre la possession réelle des biens ainsi que son
fonctionnement. La « forme pratique du droit de propriété » s’inscrit aussi dans la
sociologie au sujet de l’organisation des propriétaires défendant la propriété en
conformité avec la loi. « Elle crée ainsi un mécanisme démocratique pour la
gouvernance des communautés et établit les fondements de la société civile »114. Ainsi,
dans les zones urbaines, la reconnaissance constitutionnelle et législative du droit
d’usage du sol étatique et corrélativement de l’épanouissement du marché immobilier,
a nourri l’émergence de groupes de copropriétaires concernant des logements et des
locaux commerciaux. L’organisation des copropriétaires dans les zones urbaines est
récemment admise par la loi sur les droits réels, sous forme d’assemblées et de comités,
dont la fonction principale consiste à gérer les parties communes de l’immeuble et de
protéger les intérêts communs des copropriétaires115. L’émergence des assemblées et
112 V., Jean-Luc DOMENACH, Philippe RICHER, La Chine, t. 2, de 1971 à nos jours, Imprimerie nationale, 1987, p. 645. 113 Max WEBER, Histoire économique, esquisse d’une histoire universelle de l’économie et de la société, Éditions Gallimard, 1991, p. 357. 114 SHEN Yuan, « Vers les droits du citoyen : la défense des droits des propriétaires comme mouvement citoyen dans la Chine contemporaine », in Laurence Roulleau-Berger, GUO Yuhua, LI Peilin, LIU Shiding (sous la dir. de), La nouvelle sociologie chinoise, CNRS Éditions, 2008, p. 318. 115 V., articles 75, 76 de la loi sur les droits réels.
39
des comités des copropriétaires ainsi que la répercussion sociale de leurs activités
relatives à l’exercice de la copropriété de l’immeuble ont pu faire croire à une genèse
de la société civile dans la Chine contemporaine116. Dans les zones rurales, la mise en
place du régime juridique relatif aux droits d’exploitation forfaitaire des terres
collectives, en mettant l’accent sur la participation des villageois à l’exercice du droit
de propriété collective du sol, est susceptible de renforcer le rôle de l’organisation des
villageois dans les activités collectives vouées à la protection de leurs droits de
propriété117. Les deux aspects de l’exercice collectif du droit de propriété montrent le
changement non moins important de la physionomie de l’ordre social à l’époque
contemporaine : alors que l’atomisation de la population en groupes inorganiques
réside dans les racines du despotisme oriental qui repose sur la séparation et
l’opposition des fonctions de production matérielle et des fonctions de direction
monopolisées par une bureaucratie118 , la reconnaissance des droits d’usage peut
conduire au remplacement de l’atomisation de la population par une organisation et
une action collective des individus concernant la poursuite de l’intérêt commun.
L’organisation du peuple autour des droits qui leur sont communs est d’autant plus
significative que selon Hannah ARENDT l’atomisation du peuple par la création d’une
société sans classe résultant de mesures de liquidation est la première étape menant au
totalitarisme119. Ainsi peut-on considérer que même si l’apparition des propriétaires
ruraux et des titulaires des droits d’usage dans les zones rurales ne débouche pas
spontanément sur la rationalisation de l’État permise par les nouveaux acteurs de la vie
politique, elle constitue au moins un gage contre l’évolution du régime politique actuel
vers le totalitarisme. S’il est vrai qu’ « aucun des prétendus droits de l’homme ne
s’étend au-delà de l’homme égoïste, au-delà de l’homme comme membre de la société
116 L’idée sur le lien entre les assemblées et les comités des copropriétaires avec la genèse de la société civile en Chine est exprimée par professeur CAI Dingjian invité à une table-ronde au sujet de la participation publique à la prise des décisions politiques, organisée par le Centre d’analyse et de prévision (CAP) du Ministère des Affaires Étrangères et Européennes en date du 1er juillet 2008. 117 V., WANG Hansheng, SHEN Jing, « La formation des droits de propriété dans les campagnes chinoises », Études rurales, 2007, n° 179, pp. 198 à 209. 118 V., Pierre SOUYRI, Révolution et contre-révolutilon en Chine des origines à 1949, Paris : Christian Bourgois Éditeur, 1982, p. 63, 64. 119 V., Hannah ARENDT, Le système totalitaire, op. cit., p. 42 et s.
40
[civile] (...). Le seul bien qui les unisse, c’est la nécessité naturelle, le besoin de
l’intérêt privé, la conservation de leur propriété et de leur personne égoïste »120, la
sauvegarde de l’intérêt privé des propriétaires peut constituer la cause principale de
l’émergence de l’esprit de citoyenneté qui est susceptible de jouer un rôle dans la
rationalisation des fonctions de l’État. Dans le contexte où les intérêts privés des
propriétaires affrontent directement le pouvoir de l’État, la revendication concernant
l’encadrement des activités arbitraires du gouvernement et la formation du droit
rationnel correspond réellement aux besoins des propriétaires au sujet de la résolution
des conflits.
33. - Le changement de la conception qu’a le peuple de la propriété privée peut
mener à la prise de conscience que le droit de propriété est susceptible de constituer un
instrument significatif de la transformation du droit chinois. Par l’expression « la prise
de conscience du droit », il s’agit d’entendre d’une part la reconnaissance de la
catégorie juridique de propriété et d’autre part, une revendication à la garantie effective
des droits de propriété. Il nous faut d’abord aborder la reconnaissance de la catégorie
juridique de propriété qui passe par l’abandon de l’idéologie politique communiste qui
dominait concernant la question de l’appropriation des biens. Comme on l’a déjà
constaté, à la fin de la Révolution culturelle, un certain désenchantement envers le
communisme vit le jour. En effet, « après la Révolution culturelle, les Chinois ne
supportent plus cette idéologie. Ils mettent en cause l’entreprise d’État qui ne les
intéressent plus. Avec ce désenchantement vis-à-vis du communisme, les Chinois
idéalisent beaucoup le marché économique, croyant qu’avec l’apport des entreprises
privées étrangères il va faire de la Chine un paradis »121. La reconnaissance de la
catégorie juridique de propriété s’effectue également à travers des mesures de réforme
visant à la clarification des droits de propriété122. Au début de la réforme économique
caractérisée par la récession du secteur public et la croissance du secteur privé, la 120 Karl MARX, « À propos de la question juive », op. cit., p. 368. 121 CAI Chongguo, « Crise de l’entreprise d’État et mouvement ouvrier », in Où va la Chine ?, Éditions du Félin, 2000, p. 42. 122 V., Frank Xianfeng HUANG, « The path to clarity: development of property rights in China », Columbia Journal of Asian Law, vol. 17, n° 2, 2004, pp. 194 à 222; aussi, CUI Zhiyuan, « Whither China? The discourse on property rights in the Chinese reform context », Social Text 55, vol. 16, n° 2, 1998, pp. 68, 69.
41
propriété en tant que catégorie juridique avait une signification assez obscure dans la
mesure où « les frontières restaient cependant souvent floues entre le secteur d’État et
le secteur privé. La transition chinoise se caractérise par un régime incertain des
droits de propriété et la non-concordance entre statut juridique et mode de gestion.
Certaines entreprises privées ont choisi d’entre enregistrées comme collectives (les
chapeaux rouges) pour être à l’abri des discriminations et ne rejoignent le secteur
privé qu’au fur et à mesure que ces discriminations s’estompent.(...)Par ailleurs, de
grandes entreprises à capital majoritairement d’État sont de fait gérées comme des
entreprises capitalistes privées »123. Néanmoins, depuis le milieu des années 90, la
clarification de la signification des droits de propriété était voulue par le gouvernement
central dans le cadre de la politique prioritaire de réforme du secteur public
conformément aux principes de l’économie de marché. La reconnaissance de la
catégorique juridique de propriété a provoqué la contestation de certains aspects du
régime juridique de la propriété. Il s’agit notamment de la propriété collective du sol
dans les zones rurale. Car la nature collective du régime des droits de propriété laisse
apparaître un espace de conflits potentiels entre les paysans et les bureaucraties locales
qui représentent de manière contradictoire à la fois les intérêts du pouvoir central et
leurs propres intérêts124. Ainsi, étant donné qu’ils constituent souvent les victimes de la
précarité des droits d’exploitation forfaitaires des terres rurales et des limitations
concernant leurs transactions commerciales, les paysans contestent dans certains
situations particulières la propriété collective du sol. « ‘Rendez-nous nos terres !’ :
cette revendication des paysans, souvent inscrite sur les vêtements qu’arborent les
plaignants qui montent à Pékin pour obtenir réparation, désigne ainsi des droits de
propriété relevant de légitimités multiples mais faiblement institutionnalisées, qui
incluent à la fois les droits des ancestraux que les foyers d’un même village détenaient
sur les terres arables, les terres collectives attribuées dans les années 1950 –jamais
officiellement démentis depuis lors– et les droits d’usage privés sur ces terres
collectives » 125 . Par la promulgation de la loi sur les droits réels en 2007, la
123 Françoise LEMOINE, L’économie de la Chine, 4e éd., Éditions de la découverte, 2006, p.27. 124 V., Lucien BIANCO, Jacqueries et Révolution dans la Chine du XXe, op. cit., pp. 462, 463 125 Isabelle THIREAU, HUA Linshan, « D’une illégitimité à l’autre, Introduction », Études Rurales, op.
42
revendication populaire du droit est partiellement prise en compte par le législateur
chinois à travers la codification de règles plus précises et cohérentes qu’auparavant
puisque celles-ci étaient dispersées dans de nombreux textes normatifs. La loi sur les
droits réels peut davantage favoriser la reconnaissance des droits de propriété par la
force inhérente à la forme écrite. En effet, la formalisation donne à l’action et au
discours relatif à la revendication des droits « la forme qui est reconnue comme
convenable, légitime, approuvée par l’effet de formalisation qui est liée à la
codification»126.
34. - Concernant la revendication portant sur la reconnaissance des droits par l’État,
la nécessité de renforcer la garantie des droits de propriété semble être plus forte.
L’expérience historique de la Chine montre que « l’appropriation du sol eut un
caractère extrêmement précaire durant de longs siècles, un millénaire et demi peut-on
dire, et que le droit de la propriété foncière fut d’une grande irrationalité et, du fait de
la politique fiscale, oscillait entre les interventions arbitraires et un laisser-faire
total »127. À l’époque contemporaine, pour que les droits réels qui ont pour paradigme
la propriété soient effectivement réels au sens propre et figuré, il est impératif que des
garanties juridiques contre les atteintes au droit de propriété soient mises en oeuvre,
d’autant plus que les mesures d’expropriation des biens privés ont entraîné la réaction
du peuple. Ces luttes semblent constituer la genèse d’un mouvement de
« citoyennisation » 128 stimulant la formation de l’État de droit à travers « la
mobilisation du droit »129. Les démolitions des bâtiments dans les zones urbaines
décidées de manière arbitraire par des membres du gouvernement local, ainsi que
l’occupation illégale des terres collectives dans les zones rurales, ont suscité le
mécontentement des citadins et des paysans qui n’ont pas hésité à remettre en cause la
légalité et la constitutionnalité du Règlement du CAE par voie de recours formelle tout
cit., p. 16. 126 Pierre BOURDIEU, « La codification », in Chose dites, Les éditions de minuit, 1987, p. 103. 127 Max WEBER, Confucianisme et taoïsme, op. cit., p. 125. 128 V., David KELLY, « Citizen movements and China’s public intellectual in the Hu-Wen era », Pacific Affairs, vol. 79, n° 2, 2006, p. 183. 129 V., Mary E. GALLAGHER, « Mobilizing the law in China: ‘informed disenchantment’ and the development of legal consciousness », 40 Law & Soc’y Rev. 783, p. 793.
43
en mobilisant des éléments qui peuvent produire un effet social retentissant130. Il faut
encore souligner que le recours au droit et le recours au rapport de force s’emmêlent
souvent dans les mouvements populaires. Les pratiques dites de « lettres et visites »
dont le but est de faire intervenir l’autorité supérieure pour mettre fin aux abus de
pouvoir des autorités inférieures, comme les protestations paisibles ou violentes avec le
rassemblement des victimes –officiellement nommés « événements de masse » par le
gouvernement chinois– montrent l’intensité de la défense des droits civiques qui
peuvent probablement finir par provoquer une évolution du droit chinois caractérisée
par « l’atténuation de la dominance de l’État par rapport à la société »131. En effet, le
recours au discours de l’État de droit « donne à l’action des citoyens une légitimité
difficile à nier », et « exerce une indéniable pression sur les autorités et confère une
certaine marge de manoeuvre aux victimes »132. S’il est vrai que la défense des droits,
qui se révèle plus fréquemment dans les cas où la propriété est en cause, n’a pas
l’intention de défier le régime, l’agitation sociale causée par ces actions peut inciter
l’État-Parti –qui considère la stabilité indispensable au développement de l’économie
et au maintien de sa légitimité– à infléchir sa politique et à améliorer son système
juridique. Ainsi, le législateur chinois a bien tenu compte de la nécessité d’élaborer une
loi qui sera spécialement consacrée à l’expropriation pour le but d’intérêt général. La
rationalisation de la procédure, comme « élément déterminant du droit rationnel »133,
est ainsi plus directement visée par la future législation afin de résoudre les problèmes
entraînés par le phénomène de « démolition barbare » dans lequel les gouvernements
locaux et leurs membres sont souvent partie prenante. Des améliorations législatives,
telles que la participation publique dans la procédure de planification des territoires qui
130 V., Keith J. HAND, « Using law for righteous purpose: the Sun Zhigang incident and evolving forms of citizen action in the People’s Republic of China », 45 Colum. J. Transnat’l L. 114, p. 166; YING Xing, « Les ‘visites’ collectives des paysans auprès des autorités supérieures », Études Rurales, op. cit., pp. 155 à 168. 131 V., Kevin J. O’BRIEN, Lianjiang LI, Rightful resistance in rural China, op. cit., 2006, pp. 51, 66, 114 à 124. 132 Jean-Philippe BÉJA, « Le mouvement des droits civiques : un nouvel avatar de l’opposition », in Amnesty International, Droits humains en Chine : le revers de la médaille, Éditions Autrement Frontières, 2008, pp. 118, 119. 133 Max WEBER, Histoire économique, esquisse d’une histoire universelle de l’économie et de la société, op. cit., p. 358.
44
est désormais exigée par la loi de 2007 sur la planification urbaine et rurale, ainsi que
la publication des informations gouvernementales pour rendre le fonctionnement du
pouvoir plus transparent, bénéficient à la jouissance des biens et s’inscrivent dans les
efforts pour renforcer la prévisibilité des règles de droit en vue de mieux assurer les
intérêts des citoyens. De même, dans le domaine de la propriété intellectuelle, les
multinationales étrangères se sont regroupées sous forme d’associations afin de
pouvoir lutter plus efficacement contre la contrefaçon qui demeure répandue en Chine
en dépit des réformes menées par le gouvernement chinois en la matière. Le
gouvernement chinois a aussi mené une grande campagne d’information pour
sensibiliser le public au problème de la mise en oeuvre du droit des propriétés
intellectuelles. Les tribunaux chinois semblent prêts à appliquer la protection des droits
de propriété intellectuelle, au moins quand des firmes étrangères opérant en Chine sont
concernées134.
35. - Néanmoins, en dépit des efforts de juridicisation susceptibles d’améliorer la
garantie juridique des droits de propriété, des obstacles majeurs qui sont inhérents à
l’ensemble du système juridique auxquels se heurte la prise de conscience du droit par
le peuple chinois demeurent encore. Ainsi en est-il de la soumission de l’autorité
judiciaire au pouvoir politique135, comme le montre l’intervention politique sur certains
sujets « sensibles » tels que les droits de l’homme136. En ce qui concerne l’amélioration
de la garantie des droits de propriété, les obstacles susmentionnés se concrétisent
désormais plus nettement au niveau local tant dans l’administration et la gestion des
biens publics137, que dans l’intervention concernant la jouissance des biens privés.
Dans un contexte plus large, la garantie effective des droits de propriété a également
suscité des critiques portant sur les pratiques abusives des autorités locales de
différents échelons en matière d’impôts, dans la mesure où elles constituent de graves
134 V., Joanna SHMIDT-SZLEWSKI, « La propriété intellectuelle dans la mondialisation», Propriété industrielle, juin 2006, pp. 28, 29. 135 V., Jerome A. COHEN, « China’s legal reform at the crossroads », 169 Far Eastern Economic Review 23, p.8. 136 V., Xiaoping CHEN, « The difficult road for right advocacy: an unpredictable future for the development of rule of law in China », 16 Transnat’l L. & Contemp. Probs. 221, pp. 246, 247. 137 V., Bruno CABRILLAC, Économie de la Chine, 2e éd., P. U. F., 2003, pp.105, 106.
45
atteintes à la propriété privée des citoyens138. Il en résulte que la garantie juridique des
droits de propriété exige aussi un encadrement du pouvoir fiscal de l’État central et des
autorités locales. Dans sa fonction de surmonter les obstacles à l’amélioration de la
garantie des droits de propriété, l’instrumentalisation du droit, qui est considéré comme
« le premier pas vers la conscience de la valeur du droit »139, peut devenir un
instrument de contestation de la gestion du pouvoir et créer à terme les conditions
d’une opposition fondée sur le droit. En ce qui concerne le droit de propriété, un
courant de pensée dont se réclament certains juristes chinois se développe autour de
l’aspect de droit public de la législation relative au droit des biens. Il traduit plus
directement la prise de conscience de la valeur du droit. En effet, pour soutenir le
caractère de contre-pouvoir de la propriété, des théoriciens chinois n’ont pas hésité à
faire référence à l’adage anglais « le vent et la pluie peuvent entrer dans la maison
sans mon accord, mais le Roi ne le peut pas»140. En dépassant la limite du droit privé,
les juristes chinois s’attachent à étudier le statut de droit fondamental du droit de
propriété et le rapport entre le pouvoir administratif et les droits de propriété141. Le
débat sur la constitutionnalité de la loi sur les droits réels, provoqué par les critiques
concernant le fondement légitime de la propriété privée142, montre également que les
questions relatives à la valeur du droit sont déjà prises en compte par les juristes
chinois. Dans les travaux préparatoires portant sur la codification du droit civil chinois,
certaines réflexions sur la valeur du droit ont porté sur l’ordre de deux livres, l’un
consacré aux droits de la personne et l’autre aux droits de propriété. Pour ceux qui
considéraient que la valeur des droits de la personne l’emporterait sur celle des droits
138 V., XU Yan, « Taxation and Constitutionalism in China », 36 Hong Kong L. J. 365, pp. 369, 370. 139 Stéphanie BALME, « Juridicisation du politique et politisation du juridique dans la Chine des réformes (1978-2004) », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., p.588. 140 Cf., LIU Junning, Gonghe, minzhu, xianzheng: ziyou zhuyi sixiang yanjiu (République, démocratie, constitutionnalisme : étude sur les pensées libérales), Shanghai Joint Publishing Company, 1998. 141 V., par ex., YING Songnian, « Xingzhengquan yu wuquan zhi guanxi yanjiu (Étude sur la relation entre le pouvoir administratif et le droit des biens) », Zhongguo faxue (China Legal Science), 2007, n° 5, pp. 66 à 73. 142 V., TONG Zhiwei, « Wuquanfa cao’an gairuhe tongguo xianfa zhimen (Comment le projet de loi sur les droits réels peut passer la porte de la Constitution) », Faxue (Law Science Monthly), 2006, n° 3, pp. 4 à 23.
46
de propriété, le livre des droits de la personne devrait se situer en tête du futur Code
civil et donc précéder le livre des droits de propriété143. Le problème de la mise en
ordre des droits concernant la propriété devient désormais plus aigu, dans le contexte
où se développent les considérations sur la justice sociale dans l’économie de
marché144. À mesure que le droit chinois s’implique sans cesse dans le processus
d’internationalisation du droit, le réveil de l’opinion publique concernant la valeur du
droit devient désormais irréversible.
B. – La propriété ouvre la voie à l’influence du droit international en Chine
36. - Le retour de la Chine au droit à l’époque contemporaine, caractérisé par une
« frénésie législative », s’accompagne de l’intégration des normes internationales dans
le droit interne145. Qu’il s’agisse de l’intégration du droit international dans l’ordre
juridique interne afin de « civiliser le droit chinois » ou de la « fusion des droits
occidental et chinois » qui remonte à la réforme juridique du début du XXe siècle qui
avait pour objectif de rompre avec le droit impérial146, l’ouverture du droit chinois au
droit international et aux droits étrangers était et continue à être l’une des stratégies
employées pour la modernisation de la Chine. Comme l’internationalisation apparaît
comme le vecteur de la libéralisation du régime et de la modernisation des institutions
et de l’État147, « un élément important du ‘choc de l’ouverture’ a été la modernisation
du cadre juridique »148. En effet, la volonté d’internationaliser le droit chinois se
143 V., XU Guodong, « Liangzhong minfadian qicao silu: xin renwen zhuyi dui wuwen zhuyi (Deux courants de pensée à propos de la codification du droit civil : le nouvel humanisme contre le culte des biens ) », in XU Guodong (éd.), Zhongguo minfadian qicao silu lunzhan (Combats des courants de pensée sur la codification du droit civil en Chine), Zhongguo zhengfa daxue chubanshe, 2001, pp. 140 et s. 144 V., JI Weidong, Xianzheng xinlun : quanqiuhua shidai de fa yu shehui bianqian (De nouveaux propos sur le constitutionnalisme : droit et mutations sociales dans le contexte de la globalisation), op. cit., pp. 195 et s ; v., aussi, Hal BLANCHARD, « Constitutional revisionism in the P. R. C.: ‘Seeking truth from facts’ », 17 Florida Journal of International Law 365, June 2005, pp. 365 et s. 145 V., Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit dans la Chine d’aujourd’hui. Avancées et résistances (1) », Le Dalloz, 2002, n° 32, p. 2484 et s. 146 V., Jérôme BOURGON, Shen Jiaben et le droit chinois à la fin des Qing, op. cit., p. 676 et s. 147 V., Jean-Pierre CABESTAN, Le système politique de la Chine populaire, op. cit., p. 469. 148 Jean-Claude PAYE, « Le choc de l’ouverture au monde », in Un nouveau regard sur le droit chinois,
47
renforce avec la mise en place de la politique de réforme et d’ouverture depuis la fin
des années 70 dont l’objectif est de « moderniser le droit interne pour conquérir un
marché mondial en pleine extension »149. En ce qui concerne la protection de la
propriété, le droit international joue un rôle à fois de lege lata et de lege ferenda.
D’une part, la conclusion ou la participation à des traités internationaux montre que les
règles applicables à la protection de la propriété sont reconnues comme constituant une
source juridique du droit chinois, alors que l’effectivité de ces normes internationales
est assurée par des mécanismes de contrôle sur le plan international. D’autre part, le
droit international constitue aussi une référence importante pour le droit interne, dans
la mesure où l’adaptation de celui-ci aux normes internationales a bien pour contexte le
processus d’internationalisation du droit chinois.
37. - Cependant, il convient de nuancer l’influence du droit international en tenant
compte des problèmes qui peuvent constituer des obstacles à ce processus
d’internationalisation du droit chinois. C’est là une occasion de discuter de l’influence
des normes et des pratiques internationales au sein de l’ordre interne et des effets
produits sur la réforme du droit interne qui conduisent à une « porosité de plus en plus
marquée des ordres juridiques »150. Dans la perspective du droit international, les
sources juridiques relatives à la propriété demeurent fragmentées, ce qui induit un
déséquilibre entre d’une part le droit international des droits de l’homme et d’autre part
le droit international économique au regard de leurs contributions respectives au
respect des biens. D’autant plus que la solidité et l’efficacité des garanties juridiques de
la propriété en vertu des normes et des mécanismes de droit international varient en
fonction de la signification que l’on donne de la propriété : elle peut en effet être
considérée comme un droit fondamental de l’homme ou bien au contraire comme un
simple moyen d’exploitation. Ces significations contradictoires correspondent d’une
certaine manière à la distinction théorique entre « propriété autonome » et « propriété
colloque du 30 mai 2007, Journées juridiques franco-chinoises 2007, Société de législation comparée, 2008, p. 17. 149 Mireille DELMAS-MARTY, « Le laboratoire chinois », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., p. 825. 150 Stanley LUBMAN, Leïla CHOUKROUNE, « L’incomplète réforme par le droit », Esprit, 2004, p. 127.
48
dominante »151. Du point de vue du droit chinois cette fois-ci, bien que la Chine
manifeste depuis longtemps la volonté de respecter les principes du droit
international152, les règles de droit chinois sont encore loin d’être précises, sont parfois
même critiquées pour leur incertitude étant donné que l’effet juridique de l’intégration
des normes internationales dans l’ordre juridique interne reste pour une large part
imperceptible153. Il est également important de souligner que l’intégration des normes
internationales dans le droit interne chinois ne renvoie pas à un simple processus de
transplantation, mais à celui d’une adaptation qui permet aux particularités de la réalité
socio-historique chinoise d’être prises en compte. L’attitude que gouvernement chinois
adoptée très souvent à l’égard du droit international est celle de l’« adaptation
sélective » : il décide de manière largement autonome dans l’adaptation du droit interne
selon les exigences du droit international. Les considérations concernant le contenu des
règles de droit international, la complémentarité entre droit international et droit
interne, ainsi que la justification de l’adaptation du droit chinois à ces normes, peuvent
influencer la décision de l’État chinois quant à la prise des engagements
internationaux154.
38. - S’il existe un déséquilibre entre droit international économique et droit
international des droits de l’homme au regard de leurs contributions respectives à la
protection de la propriété, le même problème existe également en droit interne chinois:
la protection des investissements étrangers et des droits de propriété intellectuelle est
davantage renforcée que celle de la propriété des logements qui est pourtant largement
menacée par de nombreuses mesures abusives d’expropriation. Les atteintes à la 151 V., Emmanuel DOCKÈS, Valeurs de la démocratie, Dalloz, 2005, p. 154. 152 V, WANG Tieya, « International law in China: historical and Contemporary Perspectives », 221 Recueil des Cours, 1990, pp. 203 et s.; Louis HENKIN, How nations behave, 2e éd., New York : Columbia University Press, 1979, pp. 109, 110. 153 V., James FEINERMAN, « Chinese participation in the international legal order: rouge elephant or team player », The China Quarterly, n° 141, 1995, pp. 186 à 210; LI Zhaojie, « The effect of treaties in the municipal law of the People’s Republic of China: practices and problems », 4 Asian Yearbook of International Law 185, 1994, p. 194; SHAN Wenhua, « The international law of EU investment in China », 1 Chinese Journal of International Law 555, (2002), p. 560. 154 V., Pitman B. POTTER, « China and the international legal system: challenges of participation », The China Quarterly, n° 191, 2007, p. 699 à 715; Pitman B. POTTER, « Globalization and economic regulation in China: selective adaptation of globalized norms and practices », Washington University Global Studies Law Review, winter 2003, p. 121.
49
propriété des logements, qui se sont répandues dans le contexte d’urbanisation et de
spéculation foncière, ont eu pour conséquence l’ébranlement du droit au logement dont
la nature de droit de l’homme est généralement reconnue sur le plan international. La
mise en place de la politique d’ouverture sous-tendue par la volonté du gouvernement
chinois de respecter ses engagements sur le plan du droit international économique
–comme le montre surtout l’entrée de la Chine dans l’OMC– a contribué de manière
significative au renforcement de la garantie juridique des biens relevant des activités
industrielles et commerciales en tenant compte des exigences du libéralisme
économique155, alors qu’en matière de respect des droits de l’homme l’avancée du
droit chinois est moins évidente. Il en résulte que le déséquilibre du droit international
entre son aspect commercial et celui des droits de l’homme se perpétue sur le plan
juridique interne chinois sur la question de la protection de la propriété, avec
l’apparition d’effets pervers induits par les nombreuses hésitations concernant des
variantes imparfaites. Ces variantes imparfaites comportent « une variante ‘libérale’,
qui admet l’opposabilité des droits civils et politiques aux acteurs politiques et
peut-être, progressivement, aux acteurs économiques, mais se contente d’une
sous-protection des droits économiques, sociaux et culturels, et une variante
‘autoritaire’ qui, à l’inverse, privilégie ces derniers mais renonce à garantir les droits
civils et politiques»156 . Ici, l’expression « hésitations » révèle qu’en matière de
propriété, le droit chinois apparaît paradoxalement tantôt comme participant de la
variante « libérale », tantôt de la variante « autoritaire », sans jamais se fixer dans une
position déterminée. Car si les garanties des investissements et des propriétés
intellectuelles confirment bien la variante « libérale », elles ne s’étendent pas pour
autant à la propriété du logement, alors même que la Chine n’a de cesse de mettre
l’accent sur la protection des droits économiques, sociaux et culturels. En revanche, le
droit au logement pâtit en effet d’une sous-protection, en raison de garanties juridiques
qui sont faibles, peu efficaces, et même inexistantes dans certains cas, notamment ceux
155 V., Pitman B. POTTER, The Chinese legal system: globalization and local legal culture, Routledge, 2001, pp. 59 à 61. 156 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., p. 575.
50
des expropriations illégales. En ce sens, la propriété, qui se situe à la croisée des droits
civils et politiques et des droits économiques et sociaux, renverse l’hypothèse selon
laquelle la situation particulière de la Chine actuelle permettrait de justifier la
distinction entre des droits prioritaires et d’autres droits de l’homme moins
importants157. L’exemple du droit au logement, qui met en relief l’importance du
caractère indivisible des droits de l’homme, révèle que le déséquilibre entre droit
international économique et droit international des droits de l’homme apparaît encore
comme une limite à l’influence du droit international sur la protection de la propriété
en droit chinois (1). Afin de dépasser cette limite, il faudrait mettre en place un
développement synchronisé des deux piliers de l’internationalisation du droit afin de
consolider la protection de la propriété (2), tout en intégrant l’influence du droit
international dans cette dynamique.
(1). – Le déséquilibre du droit international en matière de protection de la propriété
39. - Sur le plan juridique international, la propriété est d’abord proclamée par
l’article 17 de la DUDH. Or, comme les droits fondamentaux dont l’universalisme
suppose l’indivisibilité étaient affaiblis par leur division en deux instruments juridiques
différents –à savoir le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après
PIDCP) d’une part et, d’autre part, le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels (ci-après PIDESC)–, la propriété ne figure ni dans le PIDCP, ni
dans le PIDESC, du fait de son caractère inclassable158, mais surtout à cause des
divergences qui ont pu exister entre les différents pays. Comme Frédéric SUDRE le
résume, « [L]e droit de propriété est un droit contesté dans sa nature même : droit
économique pour les uns, droit civil pour d’autres, son caractère même de droit de
l’homme prête à discussion selon que l’on considère, ou non, que la propriété privée
157 De manière constante, les livres blancs portant sur la situation des droits de l’homme confèrent la priorité aux droits économiques, sociaux et culturels. Il s’agit précisément du droit à l’existence, du droit au développement et du droit à l’indépendance du peuple chinois. 158 Patrice MEYER-BISCH, « Méthodologie pour une présentation systématique des droits humains », in Emmanuelle BRIBOSIA, Ludovic Hennebel (sous la dir. de), Classer les droits de l’homme, Bruylant, 2004, p. 76.
51
est essentielle à l’existence de l’individu »159. Par l’absence de véritable mécanisme
juridictionnel de contrôle, le processus d’internationalisation de la protection de la
propriété avance laborieusement, ce qui ne signifie pas pour autant que l’on soit
confronté à un vide juridique160. Car, en ce qui concerne la mise en ouvre des droits de
l’homme universellement proclamés, plusieurs procédures de vérification des
violations, générales et thématiques, fonctionnent auprès de la Commission des droits
de l’homme –désormais transformée en Conseil des droits de l’homme161– et des
organes institués qui surveillent la mise en oeuvre des principaux traités internationaux
sur les droits de l’homme, tels que le Comité des droits de l’homme pour les pays qui
ont accepté sa compétence. Certes, faute de force juridique contraignante, les
mécanismes de contrôle en matière de droits de l’homme n’ont pas pu « parvenir à
accélérer un processus qui reste figé, comme gelé par la résistance des États »162. Tel
est le cas de la Chine, malgré des travaux préparatoires soutenus par le gouvernement
chinois. En ce qui concerne la date de ratification du PIDCP, elle demeure cependant
encore incertaine. L’acceptation de la compétence du Comité des droits de l’homme,
surtout sur la question des examens des communications émanant de particuliers à
propos de violations du droit de propriété, aura vraisemblablement peu de chance de
devenir une réalité dans un proche avenir163. Dans le cadre de l’examen exercé par le
Comité des droits économiques, sociaux et culturels, la Chine reste vigilante quant aux
éventuelles ingérences politiques extérieures en se défendant contre les critiques
portant sur la situation des droits de l’homme en Chine. Cette posture de défense
adoptée par la Chine reflète en effet le maintien de l’idée selon laquelle le sujet des
droits de l’homme est une question de politique intérieure de l’État. En ce sens, les
violations des droits de l’homme en Chine tombent sous la compétence juridictionnelle 159 Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, 9e édition revue et augmentée, PUF, 2008, § 256. 160 V., Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (II) : le pluralisme ordonné, Éditions Seuils, 2006, p. 211. 161 Résolution 60/251 de l’Assemblée Générale de l’ONU établissant le Conseil des droits de l’homme, 15 mars 2006. 162 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (II) : le pluralisme ordonné, op. cit., p. 211. 163 V., Katie LEE, « China and international covenant on civil and political rights: prospects and challenges », Chinese Journal of International Law, juillet 2007, pp. 466 et s, 473.
52
exclusive des cours et tribunaux chinois164.
40. - Il semble que les traités internationaux des droits de l’homme relatifs aux
droits économiques, sociaux et culturels ont une fonction affirmative plutôt
qu’instrumentale –en témoigne, par excellence, la DUDH dans la mesure où l’adhésion
à ces traités ne constitue tout au plus qu’une pression morale exercée sur l’État
signataire afin qu’il respecte ses engagements165. Cependant, il faut remarquer que
l’amélioration de certains droits économiques, sociaux et culturels appelle le
renforcement des droits civils et politiques. Ainsi en va-t-il en Chine du droit au
logement qui fait l’objet du mépris des autorités dans la pratique comme le montrent
notamment les atteintes à la propriété entraînées par les expropriations illégales. Dans
le contexte particulier chinois, c’est l’abus d’expropriation qui a significativement
renforcé la spéculation foncière et par conséquent contribué à la flambée des prix
immobiliers. Il en résulte que la force de marché n’a joué qu’un rôle secondaire parmi
les obstacles à la réalisation du droit au logement. De même, dans les zones rurales,
l’occupation des terres cultivables résultant de l’expropriation porte atteinte au droit
d’usage du sol est l’une des causes importantes de la paupérisation des paysans
chinois166. L’exemple du droit au logement, comme celui des atteintes aux droits des
paysans en Chine, semble démentir l’hypothèse selon laquelle la justiciabilité des
droits économiques, sociaux et culturels pourrait constituer un contrepoids à
l’importance accordée aux droits civils et politiques dans le contexte de l’économie de
marché 167 . Au contraire, l’amélioration du droit au logement, de même que
l’amélioration du niveau de vie des paysans, appelle le renforcement de la garantie de
la propriété. Selon Patrice MEYER-BISCH, « tous les droits humains étant plus ou
moins transversaux en vertu du principe de l’indivisibilité, chacun conditionne le
respect des autres », et la propriété figure parmi ceux qui « ont une transversalité
164 V., GUO Luoji, « A human right critique of the Chinese legal system », 9 Harv. Hum. Rts. J. 1, pp. 5 à 14. 165 V., Oona A. HATHAWAY, « Do human rights treaties make a difference?», 111 Yale L.J. 1935, p.1941. 166 V., LIU Yuting, HE Shenjing, WU Fulong, « Urban pauperization under China’s social exclusion: a case study of Nanjing », Journal of urban affairs, vol. 30, n° 1, 2008, pp. 21 à 36. 167 V., Ellen WILES, « Aspirational principles or enforcable rights? The future for socio-economic rights in national law », 22 Am. U. Int'l L. Rev. 35, pp. 36 et s.
53
systématique particulière. La conséquence en est qu’ils conditionnent immédiatement
la réalisation de n’importe quel droit de l’homme »168. Il est vrai que la propriété est au
fondement du libéralisme, car « pas de libertés civiles sans le respect de la propriété,
pas de libertés culturelles sans la participation aux patrimoines, pas de libertés
économiques sans protection des diverses formes de propriété, en particulier celles qui
profitent au plus grands nombre : les biens communs »169 , mais elle est aussi
importante pour la réalisation des droits sociaux. En témoignent les atteintes au droit
au logement en Chine où la propriété est menacée par l’abus d’expropriation.
41. - Malgré la faible prise en compte de sa dimension sociale, la propriété
bénéficie toutefois d’une garantie plus solide dans le droit chinois sous l’influence de
la libéralisation économique et de la politique d’ouverture. De manière constante, la
propriété apparaît comme un sujet important pour le droit international économique
auquel la Chine se soumet plus volontiers. Il s’agit d’abord du droit international des
investissements qui se présente comme un prolongement du droit de la condition des
étrangers et impose l’obligation aux États de respecter certains droits fondamentaux
des étrangers dès que ces derniers se trouvent sur leur territoire. Ces droits
fondamentaux qui ont été longtemps circonscrits aux droits de la personne s’étendent
désormais aux biens que possèdent les étrangers. Avec la prolifération des instruments
conventionnels, « l’accent n’est plus seulement mis sur la sécurité de l’opérateur, mais
aussi sur la rentabilité de l’opération »170. Qu’il s’agisse de l’objectif de sécurité ou de
celui de rentabilité, le droit international des investissements constitue une source
juridique importante de la protection des biens des étrangers. Ce constat vaut aussi
pour la Chine qui a conclu plus d’une centaine d’accords bilatéraux portant sur la
protection des investissements depuis la mise en place de la politique d’ouverture171.
L’apport du droit international des investissements à la protection de la propriété tient
dans le fait que les conventions bilatérales « contiennent toujours une stipulation 168 Patrice MEYER-BISCH, « Méthodologie pour une présentation systématique des droits humains », op. cit., pp. 73, 74. 169 Ibid., p. 75. 170 Dominique CARREAU, Patrick JUILLARD, Droit international économique, 3e éd., 2007, § 1119. 171 Pour une information détaillée sur les règles conventionnelles engageant la Chine, mise à jour jusqu’au 1er juin 2008, consulter le site Internet de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED), http://www.unctad.org/Templates/Page.asp?intItemID=2344&lang=1.
54
consacrée aux problèmes de l’expropriation et de la nationalisation »172 et sont
susceptibles de combler les lacunes du droit interne en matière de protection de la
propriété. L’importance des règles conventionnelles relatives à la protection des
investissements étrangers se renforce donc, d’autant plus que la Chine s’est désormais
engagée en signant les accords d’investissements de « nouvelle génération » qui
prévoient un mécanisme juridique encore plus contraignant concernant le règlement
des contentieux entre l’investisseur étranger et l’État hôte173. En effet, en signant les
accords bilatéraux d’investissements la Chine a accepté d’élargir la compétence de
l’arbitrage international à tous les différends portant sur les violations des accords, au
lieu de la limiter à ceux qui sont relatifs au montant des indemnités en cas
d’expropriation. D’ailleurs, grâce à l’« umbrella clause » qui figure dans les accords de
« nouvelle génération », les investisseurs étrangers ont désormais le pouvoir de
transformer toute violation des contrats qu’ils ont conclus avec la Chine, si celle-ci en
est responsable en tant qu’État hôte, en une violation des engagements internationaux.
Ce faisant, ils élargissent l’étendue de la compétence de l’arbitrage international en la
matière174.
42. - L’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en
2001 renforce encore davantage l’influence du droit international économique sur la
transformation du droit interne chinois. L’approche dite de « rule-oriented »175 du
droit de l’OMC coïncide d’une certaine manière avec l’objectif principal de la réforme
juridique en Chine qui peut se résumer par la formule « gouverner l’État par la loi ».
172 Dominique CARREAU, Patrick JUILLARD, Droit international économique, op. cit., § 1376. 173 V., Ko-Yung TUNG, Rafael COX-ALOMAR, « The new generation of China BITS in light of Tza Yap Shum v. Republic of Peru », 17 Am. Rev. Int’l Arb. 461, pp. 461 à 467 ; Stephan W. SCHILL, « Tearing the Great Wall : the new generation treaties of the Republic of China », 15 Cardozo J. Int’l & Comp. L. 73, pp. 91 à 94; Rostislav PEKAR, Ondrej SEKANINA, « China’s bilateral investment treaties with EU Member States: gaining a competitive advantage through investment protection », China Law & Practice, septembre 2007. 174 V., Stephan W. SCHILL, « Tearing the Great Wall : the new generation treaties of the Republic of China », op. cit., pp. 109 à 111; Kim M. ROONEY, « ICSID and BIT arbitration and China », Journal of international arbitration, 2007, vol. 24, n° 6, p. 695; v., aussi, Peter J. TURNER, « Investor-State arbitration », in Michael J. MOSER, Managing business disputes in today’s China, dueling with dragons, Kluwer Law International, 2007, pp. 247 à 249. 175 John H. JACKSON, The jurisprudence of GATT and the WTO: Insights on treaty law and economic relations, Cambridge University Press, 2000, p. 8.
55
C’est la raison pour laquelle l’entrée dans l’OMC est considérée comme une étape
importante dans la libéralisation de l’économie176, mais aussi comme un élément non
négligeable de la construction d’un État de droit en Chine177. Car, en plus des
conséquences économiques de son entrée dans l’OMC, « les droits, les concepts
juridiques, ainsi que les valeurs du droit de l’OMC sont en train de s’implanter dans le
système juridique chinois »178. En ce qui concerne la protection de la propriété, en
amont, l’Accord sur les aspects des droits de la propriété intellectuelle qui touchent au
commerce (ADPIC) doit être intégré au droit interne chinois afin que ce dernier soit
compatible avec le droit de l’OMC179, alors qu’en aval, la mise en oeuvre du droit des
propriétés intellectuelles demeure encore problématique180. Ces points reflètent les
faiblesses des différents aspects de l’application du droit chinois dans la pratique. Mais
les droits établis par l’Accord sur les ADPIC concernent non seulement les étrangers
mais aussi les nationaux au premier plan. Dans la mesure où l’effet de la mise en
oeuvre de l’Accord sur les ADPIC peut contribuer à harmoniser les systèmes juridiques
des Membres de l’OMC, les citoyens chinois bénéficient aussi de l’amélioration du
droit chinois concernant la garantie des droits de propriété intellectuelle. Encore faut-il
souligner que le droit de l’OMC comporte des prescriptions qui correspondent à la
doctrine de la « bonne gouvernance » et peuvent par conséquent avoir une influence
176 V., par ex., Deepak BHATTASALI, Shantong LI, Will MARTIN (ed.), China and the WTO, accession, policy reform, and poverty reduction strategies, The World Bank, 2004, pp. 1 à 19. 177 V., par ex., Leïla CHOUKROUNE, L’accession de la République Populaire de Chine à l’Organisation mondiale du commerce, instrument de la construction d’un tat de droit par l’internationalisation, thèse, l’Université Paris 1, 2001 ; Li ZHANG, Le contrôle juridictionnel de la légalité des actes administratifs en Chine : éléments d’analyse comparée des contentieux administratifs chinois et français, thèse, l’Université Paris 1, 2007 ; CAO Jianming, « WTO and the rule of law in China », Temple International and Comparative Law Journal, automne 2002, p. 379 et s. 178 WANG Guiguo, The law of WTO: China and the future of free trade, Sweet & Maxwell Asia, 2005, p.57. 179 V., par ex., Shujie FENG, L’intégration du droit de l’OMC touchant à la propriété intellectuelle dans l’ordre juridique interne : étude comparée franco-chinoise concernant le droit des brevets, thèse, l’Université Paris 1, 2007. 180 V., Jingzhou TAO, « Problems and new developments in the enforcement of intellectual property rights in China », in Paul TORREMANS, Hailing SHAN, Johan ERAUW (ed.), Intellectual property and TRIPS compliance in China, Chinese and European perspectives, Edward ELGAR, 2007, pp. 107 à 124.
56
générale sur l’ensemble des structures gouvernementales181 au sein desquelles le
régime de propriété constitue un élément essentiel. À cet égard, la transformation
structurelle caractérisée par la mise en place d’un système de garantie générale de la
propriété privée et la réforme vers l’égalité des traitements des entités économiques
publiques et privées, s’inscrit bien dans les réformes qui ont été exigées de la Chine
lors de son entrée dans l’OMC182. Comme Philippe BERAUD l’a souligné, « les
conséquences de l’internationalisation croissante de la production et de
l’intensification des dynamiques de marché, ainsi que les mesures d’accompagnement
et les retombées qui entourent l’adhésion de la Chine à l’OMC, constituent autant de
forces centrifuges qui poussent à l’éclatement de la propriété sociale (...) »183. Alors
que le mécanisme de règlement des différends peut conduire le droit chinois à
améliorer la garantie judiciaire des droits de propriété intellectuelle selon les exigences
de l’Accord sur les ADPIC, l’examen des politiques commerciales, qui correspond en
fait à la mise en oeuvre du principe de cohérence, vise dans un contexte plus général à
influencer les réformes juridiques et politiques relatives au commerce international, y
compris la réforme qui a trait au régime de propriété. Le droit de l’OMC constitue
donc une référence incontournable concernant la transformation du droit chinois sur le
sujet de la protection de la propriété. Par rapport aux autres branches du droit
international économique, l’influence du droit de l’OMC est la plus remarquable.
D’autant plus que sa contribution à l’internationalisation du droit est en pleine
expansion, grâce au « juge de l’OMC »184 qui assure l’unification des règles juridiques
et la primauté du droit international par le biais d’une dynamique de juridicisation185.
181 V., Frederick M. ABBOTT, « Emerging doctrines of good governance: the impact of the WTO and China’s accession », in Thomas COTTIER (ed.), The Challenge of WTO Law: collected essays, Cameron May International Law and Policy, 2007, pp. 332 à 337. 182 V., Ligang SONG, « The state of the Chinese economy –structural changes, impacts and implications », in Deborah Z. CASS, Brett G. WILLIAMS, George BARKER (ed.), China and the world trading system, Cambridge University Press, 2003, pp. 89 à 90. 183 Philippe BERAUD, « Du despotisme oriental au socialisme de marché: l’État et les droits de propriété en Chine », op. cit., p. 98. 184 Hélène RUIZ-FABRI, « Le juge de l’OMC: ombres et lumières d’une figure judiciaire », Revue Général de Droit International Public, 2006, n° 1, pp. 39 à 82. 185 V., Hélène RUIZ-FABRI, « La contribution de l’Organisation mondiale du commerce à la gestion de l’espace juridique mondial », in Éric LOQUIN, Catherine KESSESDJIAN (sous la dir. de), La
57
43. - Si la contribution respective du droit international portant sur les
investissements et du droit de l’OMC à la protection de la propriété en Chine est
remarquable, ces deux types de droit ont cependant essentiellement pour objet les
prérogatives économiques et commerciales qui sont inhérentes avec le droit
d’entreprendre. Alors que l’indivisibilité des droits de l’homme est une présomption
idéale, les forces centrifuges de la mondialisation économique risquent bien de
remettre en cause une telle présomption car elles conduisent à une interprétation des
droits de l’homme comme droits non seulement des personnes physiques mais aussi
des personnes morales et donc essentiellement des entreprises transnationales186. Ainsi,
sur le plan européen, « la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés
fondamentales est devenue une véritable source du droit des affaires »187. Le droit de
propriété ou le droit au respect des biens figure parmi les dispositions de la CEDH qui
« peuvent être invoquées avec profit par les entreprises et leurs conseils »188. Comme
la propriété est la clé du système économique contemporain, la protection accrue de la
garantie des droits des investisseurs –qui constitue l’une des étapes majeures de la
mondialisation caractérisée par l’appropriation et la privatisation des ressources et de
l’espace–, risque aussi fort bien de déboucher sur « une autre négation de l’État de
droit que l’on pourrait définir comme un totalitarisme économique »189. D’où la
nécessité de renforcer la dimension de droit de l’homme de la propriété afin de rétablir
l’équilibre des différents aspects de ce droit, et par conséquent, de s’assurer que
l’ouverture économique de la Chine dans le contexte de la mondialisation favorise bien
le passage à l’État de droit.
mondialisation du droit, Litec, 2000, pp. 352, 358 et s. 186 V., Bob KIEFFER, L’Organisation mondiale du commerce et l’évolution du droit international public, Groupe De Boeck, s. a., Larcier, 2008, pp. 222 à 226. 187 V., J. –F. FLAUSS, « La Convention européenne des droits de l’homme, une nouvelle interlocutrice pour le juriste d’affaires », Revue de jurisprudence et de droit des affaires, 1995, p. 524 ; R. DUMAS, « Les droits fondamentaux : source nouvelle de la matière commerciale », Jurisclasseur Commercial, Fasc. 30, 2007. 188 Romain DUMAS, Eric GARAUD, CEDH et droit des affaires, Éditions Francis Lefebvre, 2008, p. 7. 189 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p. 575.
58
(2). – La possible synergie du droit international économique et du droit international
des droits de l’homme pour la protection des droits de propriété
44. - Le déséquilibre entre droit international économique et droit international des
droits de l’homme résulte de l’expansion constante de l’ordre juridique international
qui rencontre un nouveau problème, celui du maintien de son unité190. La synergie des
deux branches du droit international économique et des droits de l’homme ne peut que
se fonder sur la fonction sociale qui est dévolue au droit international, afin de trouver
une force non seulement morale, mais aussi normative. Car le droit international
contemporain se voit attribuer des finalités nouvelles qui ne sont plus fondées sur le
respect des intérêts des États mais reposent sur des valeurs universellement partagées.
Pour le droit chinois, la prise en compte entière de l’influence du droit international
doit s’inscrire en même temps dans un processus d’acceptation des nouvelles finalités
du droit international. Ces finalités modifient le droit international dans la mesure où il
n’apparaît plus seulement comme un instrument neutre de régulation entre les États
mais également comme un droit au service de l’humanité tout entière191. Il ne faut pas
nier que le droit international est l’instrument de la politique internationale comme le
prouve l’un de ses aspects. Ce point semble donner raison dans une large mesure à la
vision instrumentaliste du droit chinois sur le plan interne. Néanmoins, il est plus
important pour la Chine de dépasser cette logique instrumentale et d’accepter que le
droit international porte des valeurs communes, ce qui nécessite aussi l’abandon de
l’approche sélective dans le traitement du rapport entre droit international et droit
interne. C’est à ce prix là qu’une synergie pourra voir le jour. Elle exige en effet le
renforcement du droit international des droits de l’homme, alors que dans la pratique le
droit chinois fait toujours preuve d’une hostilité implicite vis-à-vis de ce dernier.
45. - Quant à la protection de la propriété, la nature particulière de ce droit fait
signe vers la possibilité d’une synergie. En effet, alors que le droit international des
droits de l’homme consacre le principe général de la protection de la propriété, en
proclamant que la privation arbitraire et l’expropriation sont par eux-mêmes des actes
190 Pierre-Marie DUPUY, Droit international public, 9e éd., Dalloz, 2008, § 27. 191 V., Marie-Hélène RENAUT, Histoire du droit international public, Ellipses, 2007, p. 4.
59
illégaux et ne peuvent exister que pour des motifs exceptionnels, les règles précises de
l’application de ce principe doivent encore être développées par le biais des
jurisprudences internationale et interne. Il ne faut pas nier que le droit international
portant sur les investissements, en posant des règles relatives à la nationalisation et à
l’expropriation, a pour effet de concrétiser le principe général de la protection de la
propriété dans le domaine des investissements. S’il n’y a pas de raison valable pour
opérer une distinction en matière de garantie juridique privilégiant le propriétaire
investisseur, ni de faire une discrimination entre les investisseurs étrangers et
nationaux, les propriétaires individuels et nationaux doivent pouvoir bénéficier des
même garanties que les investisseurs en cas d’expropriation ou de cas de privation de
la propriété. La pratique problématique du droit chinois, qui se caractérise par une
asymétrie entre la garantie de la propriété des investisseurs et celle de la propriété
individuelle, met en relief les effets pervers de cette approche qui consiste à opérer des
distinctions artificielles192. L’abandon de cette approche est nécessaire d’autant plus
qu’avec l’apparition de l’Accord sur les ADPIC, les normes substantielles relatives à la
protection des droits de propriété intellectuelle, ainsi que les règles pour en assurer
l’effectivité, bénéficient aussi bien aux étrangers qu’aux nationaux sans établir entre
eux de différence majeure. Encore faut-il souligner que les règles qui garantissent la
protection des investissements étrangers peuvent contribuer à développer le principe du
droit international relatif à la protection de la propriété. Par exemple, en ce qui
concerne la nationalisation ou l’expropriation des investissements étrangers, la
question de savoir si la licéité ou l’illicéité de la mesure prise par l’État hôte doit
influer sur les pertes à retenir pour évaluer le dommage est considérée comme « le vrai
problème de principe »193. C’est dire que la question ne concerne pas uniquement le
calcul du montant des indemnités en cas de nationalisation ou d’expropriation des
investissements étrangers, mais relève plus largement du principe d’indemnisation
pour la privation de la propriété, proclamé par le droit international des droits de
192 V., ZHANG Xiaobo, « Asymmetric property rights in China’s economic growth », 33 Wm. Mitchell L. Rev. 567, pp. 573 à 580. 193 Philippe KAHN, Thomas W. WÄLDE (sous la dir. de), Les aspects nouveaux du droit des investissements internationaux, Académie de droit international de la Haye, Leiden, Boston : M. Nijhoff, 2007, p. 38.
60
l’homme. Cet exemple démontre que la synergie n’a pas qu’une signification théorique,
elle est aussi une exigence pratique.
46. - En ce qui concerne la synergie du droit international économique et des droits
de l’homme en matière de protection de la propriété, l’expérience de l’Europe est une
source importante d’inspiration pour le droit chinois quant à la prise en compte de
l’influence du droit international sur le droit interne. À l’origine, la CEDH n’énonce
pas le droit de propriété, alors même que le droit au respect des biens est proclamé par
le 1er Protocole additionnel à la Convention dans une formulation très laconique. La
Cour européenne des droits de l’homme, dans une jurisprudence substantielle ouverte
par l’arrêt Sporrong et lönnroth c/ Suède du 23 septembre 1982, a conforté la place du
droit de propriété au sein de l’ensemble des droits garantis par la Convention. Souvent
considéré comme « la seule disposition de la Convention qui protège un droit de
l’homme de nature économique »194 qui prolonge les droits civils et politiques, la
protection de la propriété a été affirmée avec force malgré certaines limitations. Il faut
constater que les normes relatives à la protection du droit de propriété, telles qu’elles
sont proclamées par le Protocole additionnel n° 1 de la CEDH, s’appliquent sans
aucune difficulté à la protection des investissements étrangers. Comme la professeure
Hélène RUIZ-FABRI l’a constaté, les règles de l’évaluation des indemnités en cas
d’expropriation des investissements prévues par la CEDH ne sont pas différentes de
celles qui existent dans le droit international général. Ce qui est différent, c’est que le
juge européen joue un rôle plus important sur le sujet de la protection des
investissements, dans la mesure où les investisseurs individuels peuvent prendre
l’initiative concernant l’examen de la compatibilité des mesures d’expropriation avec
les règles du droit international195. Il existe donc un parallèle entre le recours direct
d’une personne privée contre un État pour la violation des droits de l’homme et le
recours de l’investisseur contre un État en s’appuyant sur les dispositions d’un traité
194 Luigi CONDORELLI, « Premier protocole additionnel, Article 1 », in L. –E. PETTITI, E. DECAUX, P. –H. IMBERT, La Convention européenne des droits de l’homme, commentaire article par article, 2e éd., ECONOMICA, 1999, p. 971. 195 Hélène RUIZ FABRI, « The approach taken by the European court of human rights to the assessment of compensation for ‘regulatory expropriations’ of the property of foreign investors », 11 N.Y.U. Envtl. L.J. 148, p. 148 et s.
61
d’investissement196. Ces analogies s’expliquent dans une large mesure par le fait que
les systèmes régionaux de protection des droits de l’homme, comme les traités
d’investissement, offrent aux particuliers un droit de recours face à un État devant une
instance internationale. En ce qui concerne les règles substantielles, plusieurs règles
prévues dans les traités d’investissement et dans les traités de protection des droits de
l’homme se ressemblent. Comme les traités d’investissement, les traité de protection
des droits de l’homme interdisent les discriminations, protègent la propriété et
prohibent les expropriations illégales et arbitraires. « Il n’est donc pas étonnant de voir
les investisseurs privés utiliser les deux mécanismes pour protéger leurs droits face
aux États »197. Néanmoins, si la protection de la propriété en tant que droit de l’homme
et la garantie des investissements sont combinées dans le cadre de la CEDH, il faut
encore souligner que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a
reconnu, en plus de sa dimension économique, de nouvelles valeurs à la propriété en
tant que droit de l’homme. D’où « la force actuelle du système conventionnel tendant à
garantir les biens »198. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme révèle que
la protection traditionnelle des biens est toujours d’actualité et qu’une protection plus
moderne est venue se greffer sur elle, non pas en s’y substituant, mais en s’y
superposant. Depuis l’affaire Gaygusuz c/ Autriche199, l’interprétation extensive de
certaines prestations sociales entrent dans le champ d’application de la protection des
biens200 et conduit ainsi à l’idée de socialisation de la notion de « biens». Comme on
l’a déjà constaté, « le droit au logement et la protection de l’outil de travail sont les
deux directions vers lesquelles l’application de l’article 1er du Protocole 1 a été
196 V., Geneviève BURDEAU, « Nouvelles perspectives d’arbitrage dans le contentieux économique intéressant les États », Revue de l’arbitrage, 1995, n° 1, p. 15. 197 Walid BEN HAMIDA, « L’arbitrage de l’État-investisseur face à un désordre procédural: la concurrence des procédures et les conflits de juridictions », Annuaire français de droit international, L1, 2005, CNRS Éditions, p. 584. 198 Jean-François RENUCCI, Traité de droit européen des droits de l’homme, LGDJ, 2007, § 395. 199 CEDH, 16 septembre 1996, Gaygusuz c/ Autriche, requête n° 17371/90 ; JCP, 1997, I, 4000, n° 46, obs. F. Sudre ; D, 1998, 438, note J. –P. Marguénaud et J. Mouly. 200 V., CEDH, 16 septembre 1996, Gaygusuz c/ Autriche, requête n° 17371/90 ; JCP, 1997, I, 4000, n° 46, obs. F. Sudre ; D, 1998, 438, note J. –P. Marguénaud et J. Mouly ; CEDH, 30 septembre 2003, Koua Poirrez c/ France, requête n° 40892/98, § 37 ; CEDH, 12 octobre 2004, Asmudsson c/ Islande, requête n° 60669/00, § 44.
62
dernièrement orientée pour donner une coloration nettement sociale à un texte
initialement controversé pour avoir consacré un droit de nature économique »201. Une
autre extension remarquable concerne les obligations positives à la charge des États.
Dans l’affaire Öneryildiz c/ Turquie, la Cour a estimé que l’exercice réel et efficace du
droit de propriété ne saurait dépendre uniquement du devoir de l’État de s’abstenir de
toute ingérence car il est envisageable d’exiger des mesures positives de protection202.
Désormais la norme générale du principe du respect des biens est susceptible de
prévoir des sanctions contres les États non seulement pour leurs actes d’ingérence
injustifiés mais aussi pour tout manquement à leurs obligations positives et nécessaires
à la protection du droit de propriété203. La prise en compte des considérations de la
dimension sociale de la propriété par la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l’homme est non seulement révélatrice de l’indivisibilité des droits de l’homme,
mais aussi très instructive à l’égard de l’expérience du droit chinois pour lequel la
dimension économique de la propriété l’emporte dans une large mesure sur les
considérations de justice sociale.
47. - Sur le plan du droit de l’Union européenne, la propriété tient une place
paradoxale à cause du silence à priori de l’ordre juridique communautaire : l’approche
de celui-ci est donc essentiellement fonctionnelle par une adaptation a posteriori. En se
référant à la CEDH, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE)
reconnaît le principe, ainsi que les limites du droit de propriété, dans les mêmes termes
que la Cour européenne des droits de l’homme. « Depuis lors, le droit de propriété fait
partie des droits fondamentaux protégés par la Cour de justice : c’est d’ailleurs à ce
titre qu’est protégée l’activité économique »204. Partant de la spécificité du droit
communautaire, le juge communautaire a tiré une conséquence importante de la
protection du droit de propriété, à savoir le principe général selon lequel les travailleurs
201 Frédéric SUDRE (et al.), Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, 4e éd. mise à jour, PUF, 2007, p. 668. 202 CEDH, 30 novembre 2004, Öneryildiz c/ Turquie, requête n° 48939/99, § 134. 203 V., F. SUDRE, « Les obligations positives dans la jurisprudence européenne des droits de l’homme », RTDH, 1995, p. 363 et s. 204 Jean-François RENUCCI, Traité de droit européen des droits de l’homme, op. cit., §507.
63
peuvent disposer à leur gré de leur rémunération205. En outre, selon le principe de la
liberté d’établissement, le juge communautaire a affirmé la possibilité pour les
ressortissants communautaires d’acquérir et de disposer librement des biens
immobiliers sur le territoire d’un autre État206. Ce point signifie qu’afin d’instaurer et
d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, les prérogatives du propriétaire,
définis par le droit des États membres, sont confrontées aux exigences des libertés
communautaires, telles que la liberté de circulation ou la libre concurrence. « Le droit
communautaire aborde donc le droit de propriété par le biais des prérogatives qui le
constituent en ce qu’elles peuvent s’opposer aux libertés structurant l’intégration
communautaire »207. Pour le droit chinois qui préfère la libéralisation économique à la
protection des droits de l’homme, la conciliation entre le droit communautaire et la
protection de la propriété en tant que droit fondamental constitue aussi un exemple de
la prise en considération de la protection des droits de l’homme dans la mise en oeuvre
du droit international économique.
48. - L’État étant « de toute façon le principal agent d’application du droit
international »208, la synergie entre le droit international économique et les droits de
l’homme consolidant la protection de la propriété s’inscrit avant tout dans l’application
du droit international dans l’ordre juridique interne, à travers la prise de conscience et
la prise d’action des acteurs qui sont, non seulement des acteurs institutionnels –les
pouvoirs institués, à savoir, l’exécutif, le législatif et le judicaire–, mais aussi des
acteurs économiques et civiques qui jouent désormais un rôle croissant dans la
dynamique d’internationalisation du droit209. Dans un but de stimuler la prise de
conscience et la prise d’action pour la protection de la propriété, il faut montrer que la
synergie du droit international économique et des droits de l’homme ne peut que
conforter son influence (PARTIE DEUXIÈME) sur la transformation du droit interne
chinois (PARTIE PREMIÈRE). 205 CJCE, 20 octobre 1994, Scaramuzza c/ Commission, aff. C-76/93 P, Rec., p. I-5173. 206 CJCE, 30 mai 1989, Commission c/ Grèce, aff. 305/87, Rec., p. 1461. 207 Sylvaine PERUZZETTO, Gérard JAZOTTES, « Le point de vue du juriste en droit communautaire sur la propriété et l’appropriation », Droit et ville, n° 61, 2006, p. 85. 208 Pierre-Marie DUPUY, Droit international public, op. cit., § 410. 209 V., Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (III) : la refondation des pouvoirs, Éditions Seuil, 2007, p. 33.
64
65
PREMIÈRE PARTIE – LA TRANSFORMATION DU DROIT DE PROPRIÉTÉ
EN CHINE
49. - Après une rupture de l’histoire, la notion juridique de propriété revient en
droit chinois à la suite des travaux législatifs conduits par la mise en place de la
politique de réforme économique. De l’adoption des Principes généraux du droit civil
en 1986 à la promulgation de la loi sur les droits réels en 2007, en passant par la
révision de la Constitution en 2004, proclamant la protection constitutionnelle de la
propriété privée des citoyens, la formation du droit de propriété en Chine témoigne de
la transformation du droit chinois ces vingt dernières années. Il est vrai que la
proclamation constitutionnelle et la construction législative du droit de propriété
(TITRE I) répondent aux besoins contemporains de la Chine en quête de la croissance
sur le plan économique. Certes, l’écart entre l’inscription des normes en droit positif et
la mise en oeuvre des garanties de la propriété reflète l’une des particularités du droit
chinois qui peuvent se caractériser par un processus de la transformation à double
vitesse. Le retard pris dans l’application des normes de droit reste l’obstacle majeur à
l’effectivité du droit de propriété en Chine. La recherche des réponses à la question
comment assurer l’application effective des garanties constitutionnelles et législatives
de la propriété (TITRE II), nécessite l’intégration de la transformation du droit chinois
dans le sens de la construction d’un État de droit sur les plans juridique et politique, en
dépassant l’approche pragmatique de l’instrumentalisation du droit.
66
TITRE I.– PROCLAMATION CONSTITUTIONNELLE ET
CONSTRUCTION DU RÉGIME JURIDIQUE
DU DROIT DE PROPRIÉTÉ
50. - La réhabilitation du droit en Chine s’accompagne de la reconnaissance de la
notion de propriété en droit civil. Le droit de propriété s’amorce avec les révisions
constitutionnelles et la multiplication des lois et règlements qui ont vu le jour dès la
réforme politique lancée au début des années 80. La construction du droit de propriété
est complétée par deux événements majeurs, à savoir la révision constitutionnelle de
2004, qui proclame le principe « les biens privés légaux des citoyens sont inviolables »,
et la promulgation de la loi sur les droits réels en 2007 qui constitue désormais le droit
commun des biens en Chine210. Il faut souligner que l’apport de la loi sur les droits
réels consiste moins à la création qu’à la compilation des dispositions juridiques déjà
existantes en matière de droit de propriété. À cet égard, la particularité du droit chinois
réside en ce que la construction du régime juridique du droit de propriété (CHAPTIRE II)
précède la formation du fondement constitutionnel de ce droit (CHAPITRE I). Ce trait
particulier de la transformation du droit chinois en matière de propriété, qui peut se
résumer par le bouleversement entre le fondement et les piliers du droit, invite à
relativiser, par une vision souple, la distinction des notions de légitimité et de légalité.
Alors que la légitimité de la propriété privée des citoyens n’est officiellement
proclamée qu’avec la révision constitutionnelle de 2004, la floraison des normes
juridiques relatives à la propriété en droit civil, économique et administratif chinois
contribue non seulement au renforcement de la légalité mais aussi à l’aboutissement de
la révision constitutionnelle de 2004. La législation est donc tributaire de l’évolution
du fondement constitutionnel du droit de propriété, alors que la légitimité de ce droit
est encore à consolider et enrichir par les travaux normatifs dont l’objectif principal est
l’amélioration de la qualité des lois.
210 Il est à noter que la loi sur les droits réels comporte non seulement les principes et règles juridiques applicables aux droits réels, mais aussi ceux relatifs à la propriété publique de certaines catégories des biens, ainsi que les dispositions en matière de sûretés réelles.
67
CHAPITRE I. – L’ÉVOLUTION DU FONDEMENT CONSTITUTIONNEL DU
DROIT DE PROPRIÉTÉ
51. - La République populaire de Chine a connu l’instabilité constitutionnelle par
l’adoption de quatre Constitutions211, qui est le reflet d’une profonde instabilité
politique212. La Constitution en vigueur est celle de 1982, elle-même révisée par quatre
fois jusqu’en 2004213, où l’inviolabilité des biens privés des individus fut reconnue214.
La constitution chinoise est « la loi la plus fondamentale de l’État »215 et fixe des
paramètres pour les évolutions juridiques. Comme toutes les avancées des constitutions
successives recèlent potentiellement des conséquences importantes pour le
développement du constitutionnalisme dans le pays216 , l’évolution du fondement
constitutionnel du droit de propriété est sans doute le symbole de la transformation du
droit chinois. En effet, alors que la propriété privée n’est pas une notion étrangère à la
tradition juridique chinoise217, la fondation de la République Populaire de Chine (RPC)
211 Il s’agit de la Constitution de 1954, la Constitution de 1975, la Constitution de 1978 et la Constitution de 1982. Il faut encore souligner le Programme commun adopté en 1949 qui est généralement considéré comme une « Constitution » provisioire. 212 Pierre GENTELLE (sous la dir. de), L’État de la Chine, Paris, Édition La Découverte, 1989, p. 246. 213 Il s’agit de la première révision en date du 12 avril 1988, la deuxième révision en date du 29 mars 1993, la troisième révision en date du15 mars 1999 et la quatrième révision en date du 14 mars 2004. 214 Article 22 des révisions constitutionnelles, adopté le 14 mars 2004 par la deuxième session plénière de la Xe APN, dispose que « Les biens privés légaux des citoyens sont inviolables ». Notons qu’est utilisée ici l’expression « biens », notion plus large que la propriété d’un point de vue civiliste. 215 V., préambule de la Constitution de1982. 216 CHEN Jianfu, « La dernière révision de la Constitution chinoise : grand bond en avant ou simple geste symbolique ? », Perspectives chinoises, n°82, mars - avril 2004, p.15. 217 Sous les trois premières dynasties chinoises, « quoique les anciens ne pussent être propriétaires de leurs terres, ils étaient différents des serfs de l’Europe ; en effet chacun avait une portion égale de terre, il la cultivait et jouissait de ses fruits ». V., SIE Choeu-Tchang, Esquisse d’une histoire du droit chinois, De l’origine jusqu’à la fin de l’époque féodale, Paris : Jouve & Cie, 1924, p. 180. À l’époque féodale, bien que les dispositions soient présentées sous une forme « pénale », les codes impériaux contenaient des dispositions civiles, spécialement en ce qui concerne l’héritage, la vente et la vente immobilière, le prêt, la mise en gage, la responsabilité, etc. Par conséquent, la propriété fut reconnue par l’ancien droit chinois par les biais des dispositions pénales. V., Madeleine ZELIN, Jonathan K. OCKO, Robert GARDELLA (éd.), Contract and Property in Early Modern China, Standford University Press, 2004, pp. 19 à 20; Patrick A. RANDOLPH, LOU Jianbo, Chinese Real Estate Law, Kluwer Law International, 1999; Jérôme BOURGON, « La coutume et le droit en Chine à la fin de l’empire », Annales HSS, 1999, n° 5, pp. 1075 à 1976 ; H. F. SCHURMANN, « Traditional Property Concepts in China », Far Eastern
68
a conduit à la suppression de ce droit en faveur d’un régime de propriété publique
consacré comme le fondement de l’économie socialiste, au motif que la propriété
privée est d’origine bourgeoise et donc incompatible avec le communisme218. Il faut
toutefois rappeler que la première constitution formelle de la R.P.C, la Constitution de
1954, admit la coexistence de quatre régimes de propriété en matière de matériels de
production, à savoir la propriété d’État, la propriété collective des masses laborieuses,
la propriété individuelle et la propriété capitaliste219, et reconnut la protection légale de
la propriété des individus et des capitalistes portant sur les moyens de production220.
Certes, la Constitution de 1954 n’exista que deux ans : celle-ci fut abandonnée suite à
la réorientation politique du PCC vers la construction d’un État socialiste, et par
conséquent ne joua qu’un très faible rôle dans le système juridique chinois221. Par
le mouvement de socialisation, c’est-à-dire construire un État socialiste par
l’établissement du mode de production socialiste sur tout le territoire de la Chine
populaire, les entreprises à capitaux privés ou à capitaux étrangers furent transformées
en propriété publique. Pendant la Révolution culturelle, les droits fonciers des paysans
individuels furent abolis et remplacés par la propriété collective du sol ; de même, les Quarterly, août 1956, pp. 507 à 516. TSIEN Tche-hao, Le droit chinois, Que sais-je ?, PUF, 1982, p. 12. La République de Chine disposait d’un Code civil qui comportait les dispositions relatives au droit de propriété et d’un Code foncier dont l’article 7 prévoyait que « Les terrains situés sur le territoire de la République chinoise appartiennent à l’ensemble de la nation chinoise. Ceux dont les citoyens ont acquis la propriété conformément à la loi, sont des terrains privés ; mais l’acquisition de la propriété du terrain n’entraîne pas celle des mines qui y sont contenues ». V., Code foncier de la République de Chine, texte chinois et traduction française par François Théry, in Le Droit chinois moderne, n° 11, Paris : Hautes Études Sirey, 1931. En effet, sous l’impact de la théorie des « Trois principes du Peuple » par SUN Yat-sen, la propriété fut conçue comme une institution sociale et entre les systèmes capitaliste et communiste, il y a place pour une réglementation d’État en vue de réaliser une harmonie complète et réprimant les abus de droit. Il s’agissait donc d’assurer le respect et le maintien de la propriété privée, mais avec une réglementation de ses abus. V., Jean ESCARRA, « La codification contemporaine du droit privé chinois », Extrait du Bulletin de la Société de législation comparée, 1930, p. 20. 218 DAVID René, JAUFFRET-SPINOSI Camille, Les grands systèmes de droit contemporains, 11e éd., Dalloz, 2002, p. 239. 219 Article 5 de la Constitution de 1954. 220 Article 10 de la Constitution de 1954. 221 CAI Dingjian, Xianfa Jingjie (Constitution: An intensive reading), Law Press China, 2006, p. 46. En effet, dès 1953, la direction du Parti communiste décidait de collectiviser les terres et de nationaliser la plupart des entreprises. L’étatisation de l’économie pouvait permettre l’éradication de toute classe ou organisation sociale susceptible de limiter la puissance politique du PCC. V., Jean-Pierre CABESTAN, Le système politique de la Chine populaire, PUF, 1994, p. 125.
69
habitations privées dans les zones rurales furent transformées en propriété publique par
les mesures de facto de confiscation ou d’expropriation222. Depuis lors, la Constitution
de 1975, la Constitution de 1978 et la Constitution de 1982, avant sa révision en 2004,
ne laissèrent aucune place à la propriété privée tout en affirmant que « les biens publics
socialistes sont sacrés et inviolables »223. Dès les années 80, la réforme économique,
qui s’est déployée dans le contexte de l’impasse de l’économie planifiée et la pénurie
des richesses, a conduit à reconnaître progressivement les économies individuelles et
privées, ainsi que la réforme de la propriété publique déclenchée par la restructuration
et la diversification des actions des entreprises d’État 224 . La réforme juridique
recouvrant le droit de propriété a été menée initialement dans la quête de l’efficience
économique 225, sans révision constitutionnelle et sans adoption de lois formelles.
52. - L’évolution du droit chinois en matière de propriété conduit à réfléchir sur les
questions d’ordre philosophique en ce qui concerne le fondement du droit de propriété.
Les systèmes juridiques peuvent répondre à ces questions de différentes manières et il
n’est pas douteux que coexistent dans la plupart d’entre eux des zones de propriété
privée et des zones de propriété publique ou collective. Mais la répartition peut
profondément varier d’un régime à un autre : les termes du choix sont liés à la
prédominance de l’esprit libéral ou de l’esprit socialiste 226. À cet égard, il est
intéressant de noter que l’essor du statut juridique de la propriété privée –résultant
d’abord de la révision constitutionnelle de 2004, puis de la promulgation de la loi sur
les droits réels en 2007– est la réflexion dans le domaine juridique du retour, quoique
toute relative, de la libéralisation du régime227. Quant à la propriété publique dont
222 V., Angus MADDISON, L’économie chinoise : Une perspective historique, 2e éd., OECD, 2007, pp. 72, 73. 223 Article 10 de la Constitution de 1982. 224 V., Hongyi Harry LAI, Reform and the non-State economy in China: The political economy of liberalization strategies, Palgrave Macmillan, 2006, pp. 2 à 5; Ross GARNAUT, Ligang SONG, Stoyan TENEV, Yang YAO, China’s ownership transformation: Process, outcomes, prospects, World Bank, 2005, pp.1 à 10; Jean C. OI, Andrew G. WALDER (éd.), Property rights and economic reform in China, Stanford Universtiy Press, 1999, pp. 6 à 13. 225 Ronald C. Keith, Zhiqiu LIN, Law and justice in China’s new marketplace, Palgrave, 2001, p. 175. 226 François TERRÉ, Philippe SIMLER, Droit civil. Les biens, 7e éd., Dalloz, 2006, §115. 227 V., Samir AMIN, « ‘Market socialism’, a stage in the long socialist transition or shortcut to capitalism ? », Social Scientist, Vol. 32, n°11/12, 2004, pp. 9, 10 ; CHEN Yan, « Le libéralisme chinois
70
l’inviolabilité est constitutionnellement affirmée, elle ne cesse de perdre du terrain
dans la vie économique, en parallèle à la prise d’importance des biens privés228. Alors
que sur le plan constitutionnel, la propriété publique constitue la base de l’économie
nationale, sa part et sa performance ont significativement diminué dans la pratique par
rapport à la prospérité des entités économiques privées au sens large. Sur le plan
juridique, la norme constitutionnelle « la propriété publique socialiste est
inviolable »229 est toutefois dépourvue de véritable valeur contraignante en raison de
l’inexistence de règles législatives bien précises, opérationnelles et conformes aux
exigences de la légalité. Les mesures politiques ou les actes administratifs demeurent
les sources principales de la réglementation et de la gestion de la propriété publique230.
Depuis 1993 où la construction de l’économie de marché socialiste est définie comme
le but de la réforme économique de l’État231, la réforme de la propriété publique
s’attache à répondre à la question, à savoir comment rendre la propriété publique
compatible avec les règles de marché afin de maintenir ses dynamiques et renforcer sa
rentabilité232 ? Mis à part l’impact du libéralisme sur la réforme du régime économique,
il faudrait encore examiner l’apport des considérations libérales à la réforme du droit
chinois, surtout à la protection des droits fondamentaux de l’homme. En effet, le
libéralisme sert d’appui à la persistance de la propriété privée dans la mesure où la
propriété privée est à la fois la préservation de la liberté, la garantie de l’harmonie et de
la prospérité du corps social233. Il est assez remarquable que par la même révision
face à la société post-totalitaire », Revue des deux mondes, octobre-novembre 2003, p. 156 ; Jean-Pierre CABESTAN, Le système politique de la Chine populaire, op. cit., p. 469. 228 V., Neil GREGORY, Stoyan TENEV, Dileep WAGLE, China’s emerging private enterprise: perspects for the new century, International Finance Corporation, 2000, p. 18; Ligang SONG, « The state of the Chinese economy –structural changes, impacts and implications », in Debrah Z. CASS, Brett G. WILLIAMS, George BARKER, China and the World trading System, Cambridge University Press, 2003, pp. 85, 87. 229 Article 12, alinéa 1er de la Constitution de 1982. 230 La loi sur les actifs d’État des entreprises fut adoptée le 28 octobre 2008 et entrera en vigueur le 1er mai 2009. 231 V., Résolution sur des questions relatives à la construction de l’économie socialiste de marché, adoptée lors du troisième plénum du XIVe Comité central du PCC, 14 novembre 1993. 232 V., Thierry PAIRAULT, Petite introduction à l’économie de la Chine, Éditions des archives contemporaines, 2008, pp. 28, 29. 233 Dans Les harmonies économiques (1850), Frédéric Bastiat développe l’idée selon laquelle il y a,
71
constitutionnelle de 2004, la Chine s’engage à respecter et protéger non seulement la
propriété privée légale des citoyens, mais aussi les droits de l’homme dans un contexte
bien plus large 234. Cette déclaration peut signifier que la Chine a finalement accepté
l’universalité des droits de l’homme en acceptant les deux pactes internationaux
relatifs aux droits de l’homme235, après avoir insisté sur une conception « asiatique »
ou « chinoise » de ces derniers –rappelons le fameux discours de DENG Xiaoping « la
souveraineté l’emporte sur les droits de l’homme»236. L’engagement du respect et de la
protection des droits de l’homme par l’État pourrait contribuer à conforter la protection
de la propriété privée, à condition que la nature de droit fondamental soit bien établie
d’une part et, d’autre part, que le régime juridique des droits fondamentaux soit
effectif.
53. - Il faudrait donc examiner le fondement constitutionnel du droit de propriété
sous l’angle non seulement de la réforme économique, mais aussi de la garantie des
droits fondamentaux. Qu’il s’agisse du renforcement de la protection de la propriété
privée ou de l’amélioration de la législation relative à la propriété publique, l’évolution
du fondement constitutionnel du droit de propriété est révélatrice d’un processus de
changement progressif selon le « modèle chinois »237 au lieu d’une révolution brutale.
Prenant en considération la caractéristique évolutive du droit chinois, l’analyse sur le
fondement constitutionnel du droit de propriété insiste sur la méthode de
différenciation238 entre les avancées (SECTION I) et les résistances (SECTION II) de la
consécration constitutionnelle des droits de propriété, tentant de repérer le sens du
développement du droit chinois au regard de la propriété au sens large. dans la propriété, « la vérité et la justice même(...), le principe du progrès et de la vie ». L’accent est mis sur le juste et l’utile dans la société ou sur la sauvegarde de la liberté. V. aussi, HAYEK Friedrich A., Droit, législation et liberté, t. 3, L’ordre public d’un peuple entier, P. U. F., Quadrige, 2007, p. 49 et s. 234 Par l’article 24 des révisions constitutionnelles, est inséré « L’État respecte et protège les droits de l’homme » comme un nouvel alinéa 3 dans l’article 33 de la Constitution de 1982. 235 La China a signé le Pacte international relatif aux droits politiques et civils le 5 octobre 1998, et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ce dernier a été ratifié par le Comité permanent de l’APN le 28 février 2001. 236 DENG Xiaoping wenxuan (Oeuvres choisies), tome 2, Renmin chubanshe, 1993, p. 345. 237 Louis PUTTERMAN, « The role of ownership and property rights in China’s economic transition », The China Quarterly, n ° 144, special issue: China’s Transitional Economy, 1995, p. 1058. 238 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit dans la Chine d’aujourd’hui. Avancées et résistances (1) », D., 2002, n° 32, pp. 2484 à 2490.
72
SECTION I. – LES AVANCÉES DE LA CONSÉCRATION
CONSTITUTIONNELLE DU DROIT DE PROPRIÉTÉ
54. - Avant la révision constitutionnelle de 2004, la disparition de la propriété
privée dans les constitutions chinoises semblait résulter du « socialisme qui s’appuie
sur l’abolition de la propriété privée des moyens de production » tel qu’elle est
affirmée par le sixième paragraphe du Préambule de la Constitution de 1982. La
distinction entre moyens de production et matériels de consommation239, surtout
l’assimilation abusive des formes d’appropriation (suoyouzhi xingshi) à des catégories
distinctes du droit de propriété, ont fait obstacle à la reconnaissance générale de la
propriété privée des biens240. Les formes d’appropriation sont l’expression des rapports
de production et le développement des forces productives. Selon la vulgate marxiste
qui ne prend en compte que la forme d’appropriation des seuls moyens de production,
les formes d’appropriation seraient objectives en ce sens qu’elles témoigneraient des
conditions de production et de développement des forces productives, par suite
l’adoption de telles ou telles formes d’appropriation des moyens de production
attesterait de l’adéquation de la société au développement de ses forces productives241.
Le droit de propriété est une catégorie juridique qui définit les prérogatives d’un
propriétaire quel que soit son statut juridique, le mode d’appropriation et les formes de
cette dernière. Il est une construction de l’esprit qui reflète les conditions
sociopolitiques de l’instant. Les formes d’appropriation des moyens de production
révèleront à leur tour un système de droits à la propriété –qu’il s’agisse de
239 La distinction remonte à la Constitution de 1954 puis fut maintenue par la Constitution de 1975. V., TSIEN Tche-hao, « Les traits particuliers de la nouvelle Constitution chinoise », Revue Internationale de Droit Comparé, 1975, n° 2, p. 371. 240 Il est intéressant de comparer ici les deux versions de l’article 13 de la Constitution de 1982, avant et après la révision constitutionnelle en 2004 : avant la révision, « L’État protège le droit des citoyens à la propriété de revenus légitimes, d’épargne, de maisons d’habitation et d’autres biens légalement acquis. L’État protège, selon les dispositions de la loi, le droit des citoyens à l’héritage des biens privés » ; après la révision en 2004, « La propriété privée légale des citoyens est inviolable. L’État protège le droit des citoyens à la propriété privée et à l’héritage de biens. Dans l’intérêt public, l’État peut procéder à des expropriations ou à des réquisition pour son usage selon la loi et offrir une indemnisation ». 241 V., K. STOYANOVITCH, « Les biens selon Marx », in Archives de philosophie du droit, les biens et les choses, t. 24, Sirey, 1979, p. 199 et s.
73
l’appropriation par l’État ou de l’appropriation par les collectivités de travailleurs– et
« peuvent fautivement se comprendre par un système de droits de propriété, à savoir la
propriété d’État ou la propriété collective »242. Du fait de cette confusion, la propriété
privée des moyens de production fut considérée comme la forme d’appropriation en
contradiction avec la propriété publique elle-même considérée comme la forme
d’appropriation publique qui est à la base de l’économie socialiste. C’est dire que
reconnaître la propriété privée des moyens de production, qui s’identifiait à reconnaître
la forme d’appropriation privée, semblait être en contradiction avec le principe
constitutionnel selon lequel la transformation socialiste de la propriété privée des
moyens de production était la condition de l’abolition du système de l’exploitation de
l’homme par l’homme et de l’instauration définitive du régime socialiste. Sans
officiellement abandonner l’approche qui confond le droit de propriété et la forme
d’appropriation des moyens de production, les révisions constitutionnelle ont pourtant
reconnu la légitimité des formes d’appropriations non publiques qui peuvent désormais
coexister avec la propriété publique243, ouvrant par conséquent la voie à l’émergence
du droit de propriété privée ayant pour objet des moyens de production. En d’autres
termes, par le biais de la reconnaissance constitutionnelle du statut des entités
économiques qui traduisent les formes d’appropriation non publique, le droit de
propriété relevant de l’établissement et de la gestion de ces entités économiques, à
savoir notamment les entreprises individuelles, les sociétés par actions, les
investissements étrangers, etc., est constitutionnellement garanti. Les révisions
constitutionnelles ont abouti à démanteler le monopole de la propriété publique des
moyens de production, contribuant par conséquent à la reconnaissance
constitutionnelle de la propriété privée.
55. - À la différence du changement idéologique qui a permis l’existence et le
développement des entités économiques qui ne prennent pas la forme d’appropriation
publique des moyens de production, en l’état actuel du droit en Chine, la propriété
privée du sol est toujours exclue pour des raisons à la fois idéologique et pragmatique.
242 V., Thierry PAIIRAULT, « L’affaire Sun Dawu : codification des droits réels et microfinance », Mondes en développement, n° 128, 2004, pp. 31, 32. 243 Article 11 de la Constitution de 1982, révisé en 1988, 1999 et 2004.
74
Le sol étant le moyen de production le plus important, la privatisation du sol pourrait
profondément ébranler la base du régime socialiste et est donc idéologiquement
inacceptable. La propriété publique du sol est la clé de voûte de l’économie nationale,
surtout, la propriété publique du sol dans les zones rurales est considérée indispensable
pour assurer la stabilité de la production agricole et par conséquent
l’approvisionnement alimentaire. Il en résulte que la privatisation du sol est
pratiquement défendue par les considérations économiques. Certes, la propriété du sol
est aussi « le gage de l’existence humaine des individus »244. Ayant pour objectif de
promouvoir la production agricole et d’enrichir les paysans, la Constitution de 1982
affirme la politique de réforme mettant en place le système d’exploitation forfaitaire
familiale245. Ce système d’exploitation forfaitaire familiale a conduit à l’émergence des
droits d’usage portant sur les terres de propriété collective, dans la mesure où le contrat
établi entre, d’une part, une collectivité locale (le village, les entités collectives de
production) ou un gouvernement de base (canton ou commune) et, d’autre part, un
foyer des paysans, permet à ce dernier d’exploiter en toute indépendance une terre
déterminée. En contrepartie, le foyer s’engage à verser une redevance forfaitaire (sous
forme d’impôt, de quotas de produit agricole ou plus souvent d’une somme d’argent)
préalablement défini quelle que soit la nature du résultat d’exploitation qu’il réalise.
Tandis que le droit à l’exploitation forfaitaire des terres n’équivaut pas au droit de
propriété dans la mesure où il ne confère aux foyers paysans que les prérogatives de
l’utiliser sans toutefois celle d’en disposer, et donc ne change en rien la nature de la
propriété publique des terres, il faut admettre que ce droit constitue un titre légal dont
l’opposabilité bénéficie de la garantie juridique. Les prérogatives détenues par les
paysans dans l’exploitation forfaitaire du sol sont juridiquement garanties comme
éléments de droit réel. Ces prérogatives peuvent être davantage renforcées par les
mesures de réformes. De même que la propriété publique des terres rurales s’assouplit
par la mise en place du système d’exploitation forfaitaire, le droit d’usage portant sur
les terres de propriété d’État dans les zones rurales peut être concédé à titre onéreux ou
attribué à titre gratuit à leurs usagers en vertu de la révision constitutionnelle de
244 R. Rowton SIMPSON, Land Law and Registration, Cambridge University Press, 1976, p. 3. 245 Article 8, alinéa 1er de la Constitution de 1982.
75
1988246. La réforme récente menée par le gouvernement central se dirige vers la
reconnaissance des droits d’usage sur les ressources naturelles qui sont aussi de
propriété publique, y compris, les prairies, les terrains forestiers, les courants d’eau, les
zones littorales, etc. La création des droits d’usage exige non seulement la clarification
de leur contenu et leur nature juridique, mais aussi l’examen de la signification de la
propriété publique qui est le fondement des droits d’usage.
56. - Qu’il s’agisse de la reconnaissance de la propriété privée à travers la
légitimation des formes d’appropriation non publique (Sous-section 1) ou de la
création des droits d’usage (Sous-section 2) sur le fondement de la propriété publique
des terres et des ressources naturelles, les deux phénomènes témoignent de l’évolution
du fondement constitutionnel de la propriété par « une approche courageuse d’un
dilemme idéologique fondamental »247 . Cela exige par conséquent des réflexions
renouvelées au sujet de la propriété248.
Sous-section 1. – La reconnaissance de la propriété privée à travers la
légitimation des formes d’appropriation non publiques
57. - Dans le processus de reconnaissance constitutionnelle de la propriété privée,
la politique de réforme économique a joué un rôle essentiel, dans la mesure où elle a en
amont donné la tolérance aux entités économiques avec les formes d’appropriation non
publique (§ 1) qui a favorisé par conséquent la formation du régime juridique du droit
de propriété 249 , et a en aval contribué à l’aboutissement de la proclamation
constitutionnelle de l’inviolabilité de la propriété privée (§ 2).
246 Article 10, alinéa 4 de la Constitution de 1982. 247 CHEN Jianfu, « La dernière révision de la Constitution chinoise », op. cit., pp. 20 et s. 248 V., Yan LAN, H. G. HERRMMAN, « Un nouveau concept de la propriété en République populaire de Chine? », RIDC, 1997, pp. 593 et s ; comp. XU Baikang, « Panorama du droit chinois en vigueur », RIDC, 1990, pp. 896. 249 Donald CLARKE, Peter MURRELL, Susan WHITING, « The role of law in China’s economic development », The George Washington University Law School Public Law and Legal Theory Working Paper, n° 187, 2006, pp. 30, 51.
76
§ 1. – La tolérance des entités économiques de formes d’appropriation non
publique
58. - Dès la première Constitution de 1954, la distinction dogmatique entre moyens
de production et matériels de consommation demeure en droit chinois. Certes, les
constitutions chinoises n’ont pas donné un critère précis de la distinction. En effet, la
propriété publique des moyens de production était assurée par l’emprise de l’économie
planifiée et par l’exclusion des acteurs privés des domaines d’activités industrielles et
commerciales. La Constitution de 1982 semble faire une brèche à cette dichotomie en
reconnaissant l’existence de « l’économie individuelle » (geti jingji) qui désigne les
unités économiques individuelles et de « l’économie privée » (siying jingji) qui
s’entend par les entités économiques d’exploitation privative. Aussi bien l’économie
individuelle que l’économie privée sont par essence des entreprises individuelles, dont
la reconnaissance constitutionnelle a conduit à admettre la forme d’appropriation
privée des moyens de production par les acteurs économiques. Lors de la révision
constitutionnelle de 1999, fut inséré dans la Constitution dite aujourd’hui de 1982 un
nouveau concept d’« économie non publique » qui désigne l’ensemble des entités
économiques avec les formes d’appropriation non publique. Ce concept couvre
désormais les unités économiques individuelles, les entités économiques d’exploitation
privative et toutes les autres entités économiques qui ne prennent pas les formes
d’appropriation publique au sens strict, par exemple, les sociétés par actions, les
entreprises à capitaux étrangers, etc. En même temps que le statut constitutionnel de la
forme d’appropriation publique se relativise (A) par la reconnaissance constitutionnelle
des entités économiques avec les formes d’appropriation non publique, la signification
de la notion d’appropriation publique évolue avec la transformation des entreprises en
différentes formes de sociétés (B). Dorénavant, les sociétés sont devenues les formes
juridiques principales des entités exerçant des activités économiques en droit chinois.
Par la transformation des entreprises d’État en sociétés par actions qui s’inscrit dans la
réforme économique, les formes d’appropriation publique ne se limitent plus à
l’appropriation par l’État, l’appropriation par la collectivité laborieuse. Elles
comportent aussi le système d’actions sur le capital (gufenzhi) dans lequel les sociétés
77
par actions occupent une place centrale. Il en résulte que l’assimilation de la forme
d’appropriation par l’État à la notion juridique de propriété d’État n’est plus
logiquement viable. Car les sociétés par actions, qui sont la forme d’appropriation
publique, n’est pourtant pas de propriété d’État. Cette brèche ouverte par l’évolution de
la signification de l’appropriation publique favorise la légitimation de la propriété
privée qui existe sous forme d’actions.
A. – La relativisation du statut constitutionnel des formes
d’appropriation publique
59. - Par les révisions constitutionnelles reconnaissant le statut des entreprises
individuelles, les formes d’appropriation des moyens de production n’ont plus de statut
absolu dans l’économie nationale. Cette tendance à la relativisation se traduit par la
coexistence des formes d’appropriation publique et privée, alors qu’auparavant elle
n’était pas admise. Le droit chinois distingue deux formes concrètes des entreprises
individuelles : l’économie individuelle ou en d’autres termes les unités économiques
individuelles (1) qui désigne les entreprises individuelles s’appuyant uniquement la
main-d’oeuvre de l’entrepreneur individuel, alors que les entités économiques
d’exploitation privative –appelées en droit chinois « économie privée »– sont les
entreprises dont l’opération dépend de la main-d’oeuvre de l’entrepreneur mais aussi
du travail d’un certain nombre de salariés (2). Il existe donc la notion d’embauche dans
ces entreprises qui serait une forme de l’exploitation de l’homme par l’homme selon la
doctrine marxiste.
(1). – Le statut constitutionnel des unités économiques individuelles
60. - Au début des années 80, l’établissement des unités économiques individuelles
fut admis à titre expérimental250 . Car il était a priori paradoxal d’intégrer des
entreprises individuelles dans l’économie socialiste fondée sur le principe de la
250 Le CAE a adopté le Règlement sur la politique concernant l’économie individuelle non agricole dans les villes et les agglomérations urbaines le 7 juillet 1981.
78
propriété publique des moyens de production. Certes, la Constitution de 1982 semble y
apporter une dérogation en affirmant, par une formulation assez ambiguë, que
« l’économie individuelle des travailleurs des villes et de la campagne, pratiquée dans
les limites définies par loi, constitue un complément du secteur socialiste de
l’économie fondée sur la propriété publique. L’État protège les droits et les intérêts
légitimes de cette économie individuelle (...) ». Le statut des unités économiques
individuelles s’analysait donc comme se situant hors du secteur socialiste de
l’économie fondé sur la propriété publique, mais constituant un complément de ce
dernier251. Pour s’engager dans des activités industrielles et commerciales, les entités
économiques individuelles ne peuvent pas ne pas exploiter des moyens de productions.
Faut-il donc reconnaître le droit de propriété privée des travailleurs individuels sur
leurs moyens de production? La réponse ne peut qu’être affirmative252 . Car, la
distinction entre les matériels de consommation et les moyens de production est trop
artificielle ; elle était étroitement liée à l’économie planifiée où les moyens de
production font l’objet de contrôle étatique selon l’exigence de la planification centrale.
C’est par la reconnaissance constitutionnelle des unités économiques individuelles que
le régime d’économie planifiée se voit assoupli avec des éléments hors de la
planification gouvernementale et qui revient à atténuer la rigidité de la distinction entre
moyens de production et matériels de production. Il faut admettre qu’au début les
individus entreprennent des activités productives avec les biens qui leur appartiennent
et leur propre main-d’oeuvre. Puis avec l’accumulation des richesses, les unités
économiques individuelles ont pu occuper une place de plus en plus importante dans
l’ensemble de l’économie nationale et se sont souvent transformées en entités
économiques d’exploitation privative avec l’embauche de salariés253. Selon la doctrine
251 La Constitution de 1954 a toléré la propriété privée dite « propriété des travailleurs individuels » et la propriété capitaliste, en préoyant leur transformation et leur disparition, alors que les deux formes de propriété sont supprimées dans la Constitution de 1975. La Constitution de 1982 semble revenir à la Constitution de 1954 en admettant les unités économiques individuelles. 252 On considère qu’il s’agit en fait de formes de propriété privée, puisqu’il y a propriété de moyens de production et qu’il y a maintenant la possiblité d’embaucher des aides qui ne constituent pas une « exploitation » d’autrui. V., TSIEN Tche-hao, La Chine : Constitution de 1982, La Documentation française, 1983, p. 22. 253 V., Ligang SONG, « Emerging private enterprises in China: transitional paths and implications », in
79
marxiste à laquelle adhèrent les théoriciens chinois, il s’agit moins de la croissance des
chiffres d’affaires des entreprises que du changement du mode de production. Pour les
unités économiques individuelles, tous les bénéfices des entreprises sont les fruits du
travail de l’individu puisque ce dernier entreprend par l’investissement de ses propres
labeurs sans embaucher personne, alors que pour les entités économiques
d’exploitation privative, les entrepreneurs s’approprient partiellement les fruits du
travail des embauchés du fait de leur possession des moyens de production. D’où la
distinction entre la classe exploitante et la classe exploitée selon la doctrine marxiste.
Reste donc à concilier le statut des entités économiques d’exploitation privative avec
l’idéologie socialiste telle qu’elle est exprimée par le préambule de la Constitution de
1982, « [L]a transformation socialiste de la propriété privée des moyens de production
a été réalisée, le système de l’exploitation de l’homme par l’homme aboli et le régime
socialiste définitivement instauré »254. (2). – Le statut constitutionnel des entités économiques d’exploitation privative
61. - À la différence du droit français où l’économie privée désigne les entreprises
individuelles et les sociétés, l’expression d’ « économie privée » telle qu’elle est
utilisée dans la Constitution chinoise entretien une signification particulière. Ici,
l’adjectif « privée » met l’accent sur la nature d’exploitation privative des entreprises
et non le statut des entrepreneurs comme personnes privées. C’est la raison pour
laquelle l’économie privée s’explique en droit chinois par une forme spécifique
d’entreprise privée qui la distingue des unités économiques individuelles ou des
entreprises individuelles au sens strict tel qu’il est compris en droit français. En effet,
peu de temps après la révision constitutionnelle de 1988, le CAE a adopté un
règlement provisoire sur les entreprises privées qui les a définies comme les entités
économiques qui embauchent plus de huit salariés, tout en affirmant que les actifs des
entreprises privées appartiennent aux entrepreneurs255.
Ross GARNAUT, Ligang SONG (éd.), China’s third economic transformation: the rise of private economy, op. cit., pp. 31 à 43. 254 Préambule de la Constitution de 1982, § 6. 255 Article 2 du Règlement provisoire sur les entreprises privées, adopté le 25 juin 1988 et entré en
80
62. - Par la révision constitutionnelle de 1988, l’appropriation privée des moyens
de production a été formellement admise. Car selon un nouvel alinéa 3 de l’article 11,
« L’État permet à l’économie privée d’exister dans les limites définies par loi.
L’économie privée est un complément du secteur socialiste de l’économie fondé sur la
propriété publique. L’État protège les droits et les intérêts légitimes de l’économie
privée, l’oriente, l’aide et la contrôle». Par cette révision constitutionnelle, l’économie
privée se voit conférer le même statut que celui de l’économie individuelle: tous sont
complémentaires à l’économie socialiste. Certes, le changement du qualificatif
d’« individuelle » à celui de « privée » a pour effet d’affirmer sans équivoque
l’appropriation des moyens de production par les entreprises privées. Il faudrait
néanmoins souligner que le statut constitutionnel de la propriété privée demeurait
faible jusqu’à la révision constitutionnelle de 1988. En effet, tant l’économie
individuelle que l’économie privée se voyait conférer un statut très marginal dit
« complémentaire » par rapport au secteur économique socialiste fondée sur la
propriété publique. Ce qui reflète l’influence du dogmatisme socialiste, surtout de
l’impact de l’économie planifiée.
63. - La révision constitutionnelle de 1993 marque un tournant de la réforme
économique dans la mesure où elle a déclenché la mise en place de l’économie de
marché. L’ancien article 15 de la Constitution de 1982 qui disposait que « L’État met
exerce une économie planifiée fondée sur le système socialiste de la propriété publique
(…) » fut remplacée par « [L]’État met en œuvre l’économie socialiste de marché (…)»,
créant par conséquent un contexte favorable au développement des entreprises
individuelles au sens large qui pourraient désormais profiter d’un système économique
qui s’orienterait davantage à la libre concurrence. Ce qui a suscité l’aspiration au vigueur le 1er juillet 1988. La distinction entre entreprise individuelle et entreprise privée s’effectue selon le critère du seuil du nombre de salariés embauchés, cette approche n’est pas moins ridicule dans la pratique : l’entreprise qui embauche 7 salariés n’est pas différente de celle de 8 employés. Ceci pourrait s’expliquer par la préoccupation du gouvernement de contrôler l’envergure des exploitations dans la relation patron-salariés. En effet, en vertu de l’article 11 de la Constitution et dudit règlement provisoire, l’État peut contrôler les entreprises privées, alors que tel n’est pas le cas pour les entreprises individuelles. D’ailleurs, pour des raisons fiscales, des entreprises privées ont pu se faire enregistrer –par fraude, parfois sous l’accord tacite de l’administration fiscale– comme entreprises individuelles qui n’ont pas de personnalité morale, les entrepreneurs sont donc exonérés de la double imposition sur leurs revenus.
81
traitement égal entre les entités économiques de formes d’appropriation publique et
celles de d’autres formes d’appropriation, en d’autres termes, entre les entreprises
privées au sens large et les entreprises publiques. Un pas important a été franchi par la
révision constitutionnelle de 1999. En effet, l’article 11 de la Constitution de 1982 fut
révisé comme suit : « [L]es secteurs économiques non publics, telles que l’économie
individuelle et l’économie privée, pratiqués dans les limites définies par la loi,
constitue une partie importante de l’économie de marché socialiste (…) ». Il en résulte
que les entités économiques de formes d’appropriation économies non publique ne
sont plus des compléments de l’économie socialiste de propriété publique mais
constituent dorénavant une partie importante de l’économie de marché socialiste. En
remplaçant l’expression « complémentaire » par celle d’« une partie importante », la
révision constitutionnelle de 1999 a significativement promu le statut des entités
économiques de formes d’appropriation non publique par rapport au statut des entités
économiques de propriété publiques.
64. - Il faut remarquer d’ailleurs que la révision constitutionnelle de 1999 emprunte
à une nouvelle formulation « secteurs économiques non publics » pour désigner les
entités économiques de formes d’appropriation on publiques dont les composantes ne
se limitent pas à l’économie individuelle et à l’économie privée. Selon la doctrine, les
secteurs économiques non publics, s’opposant aux secteurs économiques publics,
comportent non seulement l’économie individuelle, l’économie privée, mais aussi les
entités économiques partenaires, les entreprises à capitaux étrangers, les sociétés à
responsabilité limitée et les sociétés anonymes, etc., correspondant donc à la
diversification des formes juridiques des opérateurs économiques depuis la réforme
économique256. Par conséquent, la révision constitutionnelle de 1999 a davantage
élargi le champ d’existence du secteur privé.
Pourtant, par l’expression de « formes d’appropriation non publique », la révision
constitutionnelle de 1999 a contourné la proclamation de la propriété privée des
moyens de production. Or, selon la doctrine civiliste de l’époque, la notion de propriété
privée comprend la propriété des travailleurs individuels portant sur les biens des
256 LIANG Huixing, «Dui xianfa xiuzheng’an de ruogan sifa jiedu (Views from private law of the constitutional amendments) », Dangdai faxue (Contemproray Law Review), vol. 18, n° 5, 2004, p. 40.
82
entreprises qu’ils gèrent par leur propre labeur, la propriété capitaliste exercée par une
personne privée sur un bien de moyen de production et la propriété des individus
exercée sur les biens de consommation257. Le non-dit sur les entités économiques de
formes d’appropriation privée reflète la persévérance de la confusion entre la notion
juridique de propriété d’une part et, d’autre part, la notion de l’économie politique de
formes d’appropriation. Au sens de la forme d’appropriation des moyens de production,
la propriété privée semble être toujours un tabou sur le plan juridique et politique,
puisqu’en vertu de la Constitution en vigueur, le régime socialiste s’instaure par
l’abolition du régime de la propriété privée entendu comme une forme d’appropriation
des moyens de production. En utilisant l’expression « formes d’appropriation non
publique », la Constitution chinoise évite l’opposition frontale entre propriété publique
et propriété privée. La juxtaposition de la forme d’appropriation publique et des formes
d’appropriation non publique semble se justifier par la fameuse théorie selon laquelle
« la Chine sera à long terme dans le stade primaire du socialisme »258, dans la mesure
où les formes d’appropriation non publiques existeront aussi longtemps que la Chine
sera à ce stade primaire du socialisme. Dans ce contexte, il semble donc que la
Constitution chinoise suggère la légalité de la propriété privée « mais en limite la
légitimité » 259. Mais la clarification doctrinale de la relation entre droit de propriété au
sens juridique et forme d’appropriation au sens de l’économie politique, surtout
l’atténuation de la notion de la forme d’appropriation publique entraînée par la
transformation des entreprises en sociétés, ont largement contribué à la révision
constitutionnelle de 2004 consacrant la légitimité de la propriété privée.
B. – L’évolution de la signification de l’appropriation publique
65. - La Constitution de 1982 ne manque pas de définir le régime économique
socialiste sous l’angle des formes d’appropriation des moyens de production. En vertu
de l’article 6 de la Constitution de 1982, le régime économique socialiste a pour base 257 CHEN Yunsheng, « Législation comparée : Chine », Juris-Classeur Notarial Formulaire, Fasc. Unique : Chine, 1993, §§ 81, 82. 258 Préambule de la Constitution de 1982, § 7, révisé en 1999. 259 Thierry PAIRAULT, « Droit de propriété et réforme du secteur d’État », op. cit., p. 26
83
l’appropriation socialiste publique des moyens de production, c’est-à-dire
l’appropriation par le peuple tout entier et l’appropriation par la collectivité des masses
laborieuses. Sur le plan juridique, la doctrine chinoise admet que l’exercice du droit de
propriété par le peuple tout entier est impossible en réalité ; pour dépasser cet obstacle,
l’État doit assumer le rôle du propriétaire en disposant directement des biens du peuple
entier260. Par conséquent, sur le modèle de l’ancienne URSS, l’État était défini comme
propriétaire unique des biens du peuple tout entier en droit chinois261. Certes, les
entités économiques avec la forme d’appropriation par la collectivité des masses
laborieuses sont définies par la Constitution de 1982 en fonction de la localisation et la
nature des entités économiques. En effet, en vertu de l’article 8, il s’agit, d’une part,
dans la campagne, de l’économie coopérative sous diverses formes de production,
d’approvisionnement et de vente, de crédit et de consommation ; et, d’autre part, dans
des agglomérations urbaines, de l’économie coopérative dans divers secteurs de
l’artisanat, de l’industrie, du bâtiment, des transports, du commerce, des services, etc.
La différenciation consiste à ce que les entités économiques avec la forme
d’appropriation des moyens de production par l’État est la force dirigeante de
l’économie nationale 262 , alors que les entités économiques avec la forme
d’appropriation des moyens de production par la collectivité de masses laborieuse ne
l’est pas263.
66. - Force est de constater que la réforme du secteur étatique, commencée au début
des années 80 a largement fait évoluer le fondement constitutionnel de l’appropriation
publique comme base du régime économique socialiste. En effet, la restructuration des
260 V., TONG Rou, Zhongguo minfa (Droit civil chinois), Law Press China, 1990, p. 136 ; v. aussi, WANG Liming, Guojia suoyouquan yanjiu (Étude de la propriété d’État), Zhongguo renmin daxue chubanshe, 1991, pp. 76 à 95 ; LI Kangning, WANG Xiuying, « Guojia suoyouquan fali jiexi (Analysis on the theoretical basis of law of national ownership)», Ningxia shehui kexue (Social Sciences in Ningxia), n° 7, 2005, pp. 13 à 18 ; NIU Lifu, « Lun woguo guojia suoyouquan de falü wanshan (L’amélioration du droit de propriété étatique en Chine) », Guangxi shehui kexue (Guangxi Social Sciences), n° 8, 2005, pp. 70 à 72. 261 V. notamment, SUN Xianzhong, Lun wuquanfa (Droit réel), Law Press China, 2001, p. 11. 262 V., article 7 de la Constitution 1982, tel que révisé en 1993. 263 Article 8, alinéa 3 de la Constitution 1982 prévoit que « L’État protège les droits et les intérêts légitimes des organisations économiques collectives, urbaines et rurales, encourage, oriente et soutient son développement ».
84
entreprises publiques, l’assouplissement de leur contrôle par l’État, en passant par la
privatisation très prudente264, s’inscrivent dans les efforts du gouvernement chinois à
établir un « système moderne d’entreprises», et à clarifier l’appartenance des biens des
entreprises au regard de la notion du droit de propriété265. D’abord, les entreprises ne
furent plus directement gérées par l’État. Par la révision constitutionnelle de 1993, la
notion d’entreprise gérée par l’État est remplacée par l’entreprise d’État 266 .
C’est-à-dire qu’avant la réforme de 1993, non seulement les biens de ces entreprises
appartenaient-ils à l’État, mais surtout l’État pouvait intervenir directement dans la
gestion des entreprises. Cette intervention de l’État était toutefois considérée comme
contraire au principe de l’économie de marché selon lequel le gouvernement ne joue
qu’un rôle régulateur, et par conséquent supprimée par la révision constitutionnelle de
1993. Cette dernière utilise la nouvelle formulation « l’entreprise d’État » pour
désigner uniquement la relation entre l’État et l’entreprise dont les actifs de celle-ci
découlent des biens de propriété d’État. Ensuite, avec l’adoption en 1993 de la loi sur
les sociétés267, certaines entreprises d’État de petite taille et des entreprises collectives
264 De nombreuses recherches ont été consacrées au sujet de la réforme des entreprises d’État en Chine, on retient ici notamment, Jean-François HUCHET, « Dossier : Quel avenir pour les entreprises d’État après le XVe Congrès ? Le XVe Congrès et la réforme de la propriété », Perspectivces chinoises, n° 43, 1997, p. 14 et s ; Hubert BAZIN, Hans-Günter HERRMAN, « Restructuration, dénationalisation et privatisation des entreprises d’État ? », Gazette du Palais, 1997 n° spécial, la Chine et le droit : évolution récente, pp. 16 à 18 ; Jean C. OI, Andrew G. WALDER, Property rights and economic reform in China, op. cit., Introduction; Corine EYRAUD, L’entreprise d’État chinoise, De « l’institution sociale totale vers l’entité économique », L’Harmattan, 1999 ; Hubert BAZIN, « La Chine 20 ans après son ouverture, Entreprises privées et privatisation dans l’économie chinoise », Gazette du Palais, 2000 n° 186, p. 14 ; Thierry PAIRAULT, « Droit de propriété et réforme du secteur d’État », Études chinoises, vol. XX, n° 1-2, printemps-automne 2001, pp. 7 à 33 ; Zhuang HAN, De l’autonomie des entreprises d’État en droit chinois, L’Harmattan, 2003, pp. 20 à 31 ; Ross GARNAUT, Ligang SONG, Stoyan TENEV, Yang YAO, China’s ownership transformation, process, outcomes, prospects, World Bank, 2005, pp. 46 à 86. 265 En ce qui concerne le rapport entre l’État et les entreprises d’État à l’égard de l’appartenance des biens d’entreprises, il existait différentes théories, telle que « la double propriété (shuangchong suoyouquan)», « la propriété de la personne morale d’entreprise (qiye faren suoyouquan) », « la propriété des actionnaires (gudong suoyouquan) ». V., CHEN Jianfu, From Administrative Authorities to Private Law, A Comparative Perspective of the Developing Civil Law in the P.R.C., Martinus Nijhoff Publishers, 1995, pp. 213 à 218. 266 V., article 7 de la Constitution 1982, tel que révisé en 1993. 267 La loi sur les sociétés, promulguée le 29 décembre 1993, a été amendée le 25 décembre 1999, le 28 août 2004, et révisée le 27 ocotbre 2005. V., LEI Kai, « La nouvelle loi sur les sociétés en Chine »,
85
furent restructurées en sociétés à responsabilité limitée, mais beaucoup cherchèrent à
devenir sociétés par actions. Lors du XVe Congrès du PCC en septembre 1999, la
réforme des entreprises d’État entra dans une phase décisive. Le gouvernement central
lança la politique de « maintien des grands et libération des petites entreprises»
aboutissant à la privatisation partielle des entreprises d’État de petite taille. La priorité
de cette réforme fut réaffirmée lors du 4e plénum du XVe Congrès en 1999, en
accentuant le principe de diversification des formes de propriété dans les actifs des
entreprises. C’est-à-dire permettre l’investissement des biens non publics aux
entreprises d’État sous diverses formes de privatisation, fusion ou même faillite des
entreprises d’État. Ceci fut considéré comme l’un des moyens pour transformer les
entreprises d’État en sociétés par actions, en parallèle du « désengagement de
l’État »268 dans les secteurs publics. En ce faisant, aussi bien l’État que les personnes
privées sont reconnus le statut d’actionnaire d’une société résultant de la
restructuration. Par la résolution du Comité central du PCC adoptée en 2003 sur
l’amélioration du système de l’économie socialiste de marché, l’actionnariat a été
officiellement affirmé comme la principale forme parmi diverses formes de réalisation
de la propriété publique269. Il faut rappeler que l’objectif de la transformation des
entreprises d’État en sociétés par actions consistait principalement à séparer les droits
de propriété détenus par l’État des droits d’exploitation exercés par le représentant
légal de l’entreprise, autrement dit « réaliser la séparation du gouvernement et des
entreprises »270. La résolution de 2003 du PCC a franchi un pas plus important : elle a
non seulement normalisé la transformation des entreprises d’État en société, mais aussi
ouvert la voie à la cession d’actions d’État aux personnes privées. Sur le plan
économique, la cession au secteur privé d’actions appartenant à l’État ne semble plus Reveu de droit des affaires internationales, 1994, n° 8, pp. 945 à 961 ; Jean Marc DESCHANDOL, « Le nouveau droit chinois des sociétés », Gazette du Palais, 1995, n° 183, pp. 43 à 45 ; Yves DOLAIS, « L’avancée du droit des affaires en Chine : bilan de 20ans d’ouverture », Gazette du Palais, 2000, n° 184, pp. 48 à 50, MA Yuchi, HU xinyu, « Impact de la nouvelle ‘loi sur les sociétés’ sur le régime juridique des sociétés à capitaux étrangers », Gazette du Palais, 2008, n° 172, pp. 59 à 63. 268 Françoise LEMOINE, L’économie de la Chine, 4e éd., Éditions de la Découverte, 2006, p. 23. 269 V., Résolution sur des questions relatives à l’amélioration du système d’économie socialiste de marché, adoptée le 14 octobre 2003 par le troisième plénum du XVIe Comité central du PCC. 270 Corine EYRAUD, L’entreprise d’État chinoise, de « l’institution sociale totale » vers l’entité économique ?, op. cit., p. 192.
86
choquer ni l’opinion publique, ni les défenseurs de l’orthodoxie, puisque les
théoriciens ont bien caractérisé la restructuration comme une forme de réaffectation
des biens selon le rationnel économique271.
67. - Toutefois, sur le plan juridique, il reste des obstacles à résoudre. En effet, les
ventes d’actions d’État sur le marché boursier pose la question de l’appropriation
privée des biens étatiques, ce qui semble entrer en conflit avec l’article 12 de la
Constitution chinoise selon lequel « la propriété publique socialiste est sacrée et
inviolable ». Afin de concilier l’inviolabilité de la propriété publique et la cession
d’actions d’État, on a proposé qu’un amendement à l’article 12 pour déblayer le
chemin de la transformation des entreprises d’État aux sociétés par actions, et surtout
de la cession des actions d’État272. Il s’agirait soit de supprimer l’expression « sacré et
inviolable », soit d’admettre sans équivoque la cessibilité des actions d’État. Alors
qu’une révision de l’article 12 de la Constitution de 1982 n’est pas à l’ordre du jour de
l’APN, la cession d’actions d’État a été déjà mise en place par l’adoption des textes
spéciaux législatifs ou réglementaires à l’échelon national et local273. En l’état actuel,
l’article 12 semble n’avoir que la valeur symbolique, puisque la réforme menée par
l’État a progressivement abouti à la désacralisation de la propriété publique : celle-ci
peut désormais faire l’objet de cession selon les règles de droit, comme les biens de
propriété privée. Jusqu’ici, la signification de l’appropriation publique a profondément
évolué. En effet, l’appropriation par l’État permet non seulement la coexistence des
biens publics et privés dans les actifs d’une société qui résulte de la restructuration
d’une entreprise d’État, mais aussi la cession des actions d’État aux personnes privées.
Cette évolution de la signification de l’appropriation publique a pour effet d’affirmer
indirectement la légitimité de la propriété privée.
§ 2. – L’aboutissement de la proclamation constitutionnelle de l’inviolabilité
du droit de propriété
271 Ross GARNAUT, Ligang SONG, Stoyan TENEV, Yang YAO, China’s ownership transformation, process, outcomes, prospects, op. cit., p. 46. 272 Zhuang HAN, De l’autonomie des entreprises d’État en droit chinois, op. cit., p. 247. 273 V., infra, n° 146.
87
68. - La réforme économique, caractérisée par le retour à l’économie de marché et
par l’essor des secteurs économiques non publics274, s’accompagne du changement de
la mentalité du peuple chinois275 et de la renaissance du courant libéral qui reviennent
à imposer leur impact sur la vision politique au sujet de propriété privée et de
libéralisation économique (A). Mais il ne faut pas oublier le rôle décisif joué par le
PCC (B) dans la proclamation constitutionnelle de l’inviolabilité de la propriété privée,
en acceptant le changement idéologique et le contexte politique caractérisé par la
libéralisation économique.
A. – L’impact du courant libéral
69. - Les libéraux proches du pouvoir s’accordent pour affirmer que le passage
d’une économie dirigée à une économie de marché et que le passage d’un système de
propriété collective à un système de propriété privée doit se faire vite et au moindre
274 Selon le deuxième recensement de l’économie nationale effectué par le Bureau national des statistiques de Chine en 2003, le nombre des entités économiques enregistrées comme entreprises privées s’élève à 43,7% de l’ensemble des entreprises en droit chinois. L’analyse du Bureau national des statistiques de Chine sur ledit recensement démontre d’ailleurs que 10,3% des capitaux investis pour l’ensemble des entreprises appartiennent aux entreprises privées. V., Analyse n° 7 du recensement de 2003, disponible sur le site http://www.stats.gov.cn/tjfx/ztfx/decjbdwpc/t20030523_79579.htm, consulté le 19 août 2003. 275 Les sondages ont confirmé le changement de la mentalité des citoyens en matière de propriété privée : les individus, tant de la ville que de la campagne, attachent davantage d’importance à leurs droits réels qu’aux droits politiques et qu’aux droits personnels –constatation faite par une étude sociologique sur la connaissance des droits du peuple chinois à l’époque de la réforme et de l’ouverture. V., GAO Hongjun, « L’évolution de la connaissance des droits du citoyen chinois (zhong guo gong min quan li yi shi de yan jin) », in XIA Yong (éd.), L’avènement de l’ère de droits : l’étude sur le développement des droits du citoyen chinois (Zoujin quanli de shidai : zhongguo gongmin quanli fazhan yanjiu), Pékin, Zhongguo Zhengfa Daxue Chubanshe, 1999, pp. 81 à 83. Lors d’un sondage d’opinion un an avant la révision constitutionnelle 2004, 97% des habitants urbains étaient pour l’intégration d’une norme constitutionnelle garantissant le droit de propriété privée, dont 45,5% s’appuyaient sur la part importante qu’occupent les économies non publiques dans l’économie nationale ; 30,3% des sondés considéraient que l’amendement constitutionnel serait souhaitable pour combler la lacune de garanties légales du droit de propriété privée. V., le reportage du CCTV (China Central Television Station), « Duoshu jumin guanzhu siyou caichan baohu (La majorité des habitants prêtent leur attention à la protection des biens privés) », disponible sur le site http://www.cctv.com.cn/financial/zhongguocjbd/meizhoudc/20020403/index.html, consulté le 18 avril 2003.
88
coût276. Et « ce sont les libéraux qui ont proposé d’ajouter à la Constitution chinoise la
clause du droit de propriété »277. Le libéralisme chinois a joué un rôle important
d’autant plus que l’influence des entrepreneurs privés était pendant longtemps
relativement faible dans la vie politique278. En effet, l’État est déterminé à favoriser la
formation d’une classe d’entrepreneurs capables de contribuer au développement
économique tout en acceptant à la fois de s’intégrer au cadre politique existant279. Le
capitalisme chinois ainsi mis en place est donc l’exemple unique du capitalisme
enfanté par un régime socialiste. Il s’agit de la création par l’État d’une classe
capitaliste. En témoigne la théorie des « Trois Représentativités » voulue par JIANG
Zemin, ayant pour but de concilier capitalisme et communisme. C’est dans ce contexte
que des capitalistes sont admis dans les instances représentatives. Une étude sur les
secteurs économiques privés280 a révélé que 17,4% des entrepreneurs sont des députés
des assemblées populaires ; 35,5% des entrepreneurs sont des membres du PCC ; plus
d’un tiers des entrepreneurs privés remplissent des fonctions représentatives dans les
collectivités locales, provinciales ou nationales de la Conférence consultative politique
du Peuple chinois (CCPPC). L’intégration des entrepreneurs leur donne la possibilité
d’exercer une influence institutionnelle281.
70. - L’étude sociologique sur la formation d’une classe moyenne à travers des
mécanismes d’accès à la propriété montre que la classe moyenne exerce aussi une
276 Chloé FROISSART, « La renaissance du libéralisme chinois dans les années 1990 », Esprit, décembre 2001, p. 120. Parmi les libéraux qui soutiennent la propriété privée, on peut citer notamment CAO Siyuan, Renjian zhengdao siyouhua (La privatisation est le dogme de la société humaine), Hongkong : Xiafeier, 1999. 277 CHEN Lichuan, « Le débat entre libéralisme et nouvelle gauche au tournant du siècle », Perspectives chinoises, n° 84, 2004, p. 34. 278 Politiquement, les investisseurs constituent une strate sociale distincte, mais ne disposant d’aucune personnalité représentative dans le champ politique, ni d’aucune organisation politique pour représenter leurs intérêts de classe et leurs demandes politiques, ils ne peuvent pas devenir une force politique indépendante. V., ZHU Huayou, LIU Chenghui, « L’économie non gouvernementale et privée en Chine : justification historique et théorique des réformes », Alternatives Sud, Vol. VIII(2001), n° 1, p. 101. 279 Marie-Claire BERGÈRE, Capitalisme et capitalistes en Chine, des origines à nos jours, Édition Perrin, 2007, pp. 253, 330, 331. 280 Groupe de recherche sur les entreprises privées, « Rapport de l’enquête sur les entreprises privées en Chine (Zhong guo siying qiye diaocha baogao) », 26 février 2003, Finance (Cai Jing), n° 4, 2003. 281 V., « Groupes stratégiques et capacité étatique », interview d’un entrepreneur député à l’ANP, réalisée en 1999 par Thomas Heberer, in Perspectives chinoises, n°75, 2003, pp. 4 à 10.
89
influence importante sur le choix du gouvernement. « Leur nouveau statut
socio-économique aura un impact important sur l’évolution politique, sociale et
économique de la Chine. Ils souhaitent utiliser leur pouvoir pour protéger les intérêts
qu’ils ont déjà acquis, et en obtenir d’autres »282. Ainsi en est-il, la Fédération
panchinoise de l’industrie et du commerce (quanguo gongshanglian), dont les
membres sont principalement des entrepreneurs privés, a joué un certain rôle sur la
révision constitutionnelle de 2004. En tant que « parti démocratique » en collaboration
avec le PCC, elle avait successivement initié trois propositions relatives à la révision
constitutionnelle relevant tant du statut des secteurs économiques privés que du droit
de propriété privée. À l’occasion des sessions plénières de l’APN en 1998 et en 1999,
elle a entrepris la campagne en faveur d’un amendement à la Constitution ayant pour
objectif d’affirmer la protection de la propriété privée d’une part et, d’autre part, de
légitimer le statut légal des entreprises privées. Ainsi a-t-elle proposé que la propriété
privée se situe au même rang que la propriété publique, et par conséquent soit
inviolable comme la propriété publique. En 2003, lors de la session plénière de la Xe
CCPPC, la Fédération panchinoise de l’industrie et du commerce a pu, pour la
troisième fois, faire entendre sa voix sur la protection constitutionnelle du droit de
propriété privée283. En outre, il faut souligner que la revendication à la protection de ce
droit ne se limite pas au milieu des riches entrepreneurs privés. Dans cette période de
transition socio-économique, les personnes défavorisées revendiquent aussi des
garanties juridiques contre les injustices dont elles sont victimes284. Des théoriciens
chinois libéraux ont pu prêter leur concours à la montée de la conscience de ce droit,
s’efforçant à faire accepter la propriété comme l’un des droits fondamentaux des
citoyens dont le respect doit être assuré par l’État285.
282 LI Jian, NIU Xiaohan, « Accès à la propriété et formation d’une classe moyenne à Pékin », Perspectives chinoises, 2002, n° 74, pp. 17 à 18. 283 V., MU Jia, « Quanguo gongshanglian san ti xiuxian, wanshan baohu siren caichan de falü zhidu (Trois propositions de la Fédération panchinoise de l’industrie et du commerce sur la révision constitutionnelle pour la protection de la propriété privée) », Zhonghua gongshang shibao (China Business Time), 6 mars 2004. 284 Jérôme A. COHEN, « Law in political transitions: lessons from East Asia and the road ahead for China », 37 NYUJILP 423, p. 427. 285 V., par exemple, ZHANG Weiying, Qiye de qiyejia : qiyue lilun (Entrepreneurs des entreprises :
90
B. – Le rôle décisif du PCC
71. - Le 12 décembre 2003, le Comité central du PCC présenta au Comité
permanent de l’APN sa proposition relative à la révision constitutionnelle286, qui fut
adoptée par l’APN sans modification substantielle. Selon la révision constitutionnelle
de 2004, les secteurs économiques privés se voient reconnaître un statut plus favorable
à leur développement : en vertu de l’article 11, alinéa 2 tel que révisé en 2004, l’État
protège les droits et les intérêts légitimes non seulement de l’économie individuelle, de
l’économie privée mais aussi de tous les autres entités économiques de formes
d’appropriation non publique ; l’État prend des mesures pour encourager et soutenir
leur développement, et non plus comme auparavant, pour les orienter, les contrôler et
les administrer. Ensuite, l’article 13 de la Constitution de 1982 tel qu’il est révisé en
2004 proclame que la propriété privée légale des citoyens est inviolable; l’État protège
le droit des citoyens aux biens privés et le droit à la succession de biens ; et dans
l’intérêt public, l’État peut procéder à des expropriations ou à des réquisitions des
terres selon les dispositions légales et moyennant indemnisation.
72. - Le PCC a joué un rôle décisif dans la révision constitutionnelle de 2004, en
définissant l’orientation relative à la signification de la protection de la propriété privée.
Lors de la préparation de la révision de l’article 13, il existait des divergences
importantes sur deux points essentiels. Il s’agissait tout d’abord de la question de
savoir s’il fallait proclamer la propriété privée comme droit « sacré et inviolable »,
telle qu’elle est en vertu de la Déclaration des droits de l’homme et des citoyens de
1789. Pour les uns, la sacralisation de la propriété privée aurait pour effet de consolider
la garantie de ce droit, alors que pour ceux qui s’y opposaient, la sacralisation de la théorie de contrat), Shanghai renmin chubanshe, 1995, chapitre 3 ; XU Youyu, «Ziyouzhuyi yu dangdai Zhongguo (Le libéralisme et la Chine contemporaine )», in Zhishifenzi lichang : ziyouzhuyi zhizheng yu Zhongguo sixiangjie de fenhua (Les positions des intellectuels : Débat sur le libéralisme et la scission de l’intelligentsia chinoise), Changchun : Shidai wenyi chubanshe, 1999, p. 417 ; WANG Dingding, XU Xianming, « Yingdang yong xianfa guding de shixiang quanli (Dix droits fondamentaux devant être consacrés par la Constitution) », Nanfang zhoumo (Nanfang Weekends), 14 mars 2002 ; YANG Haikun, «Xianfa xiugai yu gongmin jiben quanli xinlun (À propos des révisions constitutionnelles et des droits fondamentaux du citoyen) », Faxue luntan (Legal forum), n° 4, 2003, pp. 97 à 99. 286 La proposition présentée par le Comité central du PCC est disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/newscenter/2003-12/22/content_1243461.htm, consulté le 22 décembre 2003.
91
propriété privée reflétait en effet l’idéologie capitaliste et traduisait le caractère absolu
de ce droit, qui est pourtant inopportune à l’époque contemporaine287. La proposition
du PCC sur la révision constitutionnelle fut de refuser de reconnaître la propriété
privée comme un droit sacré, affirmant donc le caractère relatif de ce droit.
73. - Le deuxième point sur lequel portaient les divergences plus sérieuses était de
savoir s’il fallait limiter la protection constitutionnelle à des biens privés légalement ou
légitimement acquis. Selon les uns, les biens illégalement ou illégitimement acquis ne
bénéficieraient pas de la protection constitutionnelle par souci de justice. Or cette
position fut critiquée pour sa rigidité. Dans la pratique, les entités économiques de
formes d’appropriation non publiques furent souvent constituées dans un contexte
juridique peu clair à défaut de règles précises et opérationnelles de droit. Il en résulte
qu’une approche trop rigide sur la légalité des activités économiques qui s’inscrivaient
dans le contexte de réforme et de la transition pourrait menacer l’intérêt des
entrepreneurs privés. Pour rassurer les droits et intérêts acquis des entrepreneurs privés,
il fallut abandonner l’exigence de « légalement ou légitimement acquis », donc la
limitation à la protection constitutionnelle des biens privés. En utilisant la formulation
« biens légaux » (hefa caichan), la proposition du PCC confirma la position selon
laquelle la Constitution ne protège que les biens légalement ou légitimement acquis,
tout en refusant par conséquent d’accepter la notion de droits acquis. D’où l’incertitude
juridique pour les biens dont la légalité est ambiguë288.
74. - La révision constitutionnelle de 2004 traduit plus nettement le lien entre
l’économie non publique et la propriété privée. Comme on l’a observé, en substituant
l’expression générale « propriété privée» à l’énumération des biens protégés par la
Constitution, la révision constitutionnelle a élargi en effet l’étendue des biens
constitutionnellement garantis, englobant non seulement les droits réels, mais aussi
tous les droits ayant valeur patrimoniale289. En effet, si le sol et les ressources
287 CAI Dingjian, Xianfa Jingjie (Constitution: An intensive reading), op. cit., pp. 202, 203. 288 V., infra, n° 124. 289 WANG Liming, « Xianfa yu siyou caichan de baohu (La Constitution et la protection des biens privés) », Faxue Zazhi (Law Science Magazine), n° 3, 2004, p. 11 ; HAN Dayuan, « Siyou caichanquan ruxian de xianfaxue sikao (Réflexions sur la proclamation constitutionnelle de propriété privée) », Faxue (Legal Science Monthly), n° 4, 2004, p.14.
92
naturelles demeurent propriété publique, les droits d’usage qui sont établis sur le
fondement de la propriété publique peuvent entrer dans la catégorie des biens privés
constitutionnellement garantis.
Sous-section 2. – La reconnaissance constitutionnelle des droits d’usage sur
les biens de propriété publique
75. - Par les révisions constitutionnelles, les droits d’usage290 portant sur le sol et
sur les ressources naturelles de propriété publique sont reconnus aux personnes privées.
Les droits d’usage, soumis désormais à la catégorie de l’usufruit291, a contribué à
l’extension de l’objet du droit des biens privés et à la formation de la notion de droits
réels dans le système juridique chinois, qui ont été finalement concrétisés par
l’adoption en 2007 de la loi sur les droits réels (wuquan fa). Partant d’une vision
civiliste, deux catégories de droits coexistent sur un même bien, il s’agit, d’une part, de
la propriété publique du sol et des ressources naturelles (§ 1) et, d’autre part, des droits
d’usage dont la nature de droit réel est désormais reconnue en droit chinois (§ 2).
§ 1. – La propriété publique du sol et des ressources naturelles
76. - La Constitution chinoise distingue la propriété étatique de la propriété
collective portant sur le sol et les ressources naturelles (A). S’il est vrai que cette
290 En droit français, le droit d’usage s’explique par un droit en vertu duquel le propriétaire d’un domaine ou les habitants d’une commune peuvent prendre dans le fonds d’autrui certaines substances dans la limite de leurs besoins. La charge pesant toujours sur le fonds d’autrui, il est permis d’exclure de la catégorie des droits d’usage la jouissance des habitants d’une commune sur ses biens communaux, entendu au sens de «propriété collective». Cf., Caroline GAU-CABEE, Droits d’usages et Code civil, thèse, l’Université Paris 1, L.G.D.J, 2006, pp. 3 à 4. Certes, le droit d’usage en droit chinois ne correspond pas à celui en droit français, ce dernier considère l’usage comme l’usufruit en réduction, qui ne peut être constitué que par la volonté privée, convention et surtout testament, et qui est limité aux besoins du titulaire et de sa famille. V., Jean CARBONNIER, Droit civil. Les biens. Les obligations, PUF, 2004, § 763. 291 La loi sur les droits réels établit, par l’article 2, al. 3, la typologie des droits réels : droit de propriété (suoyou quan), droit réel d’usage et de jouissance (yongyi wuquan) et droit réel de garantie (danbao wuquan). Notons que les droits d’usage sont compris dans le Titre III consacré au droit réel d’usage et de jouissance.
93
distinction est liée aux considérations d’économie politique, il faut notamment
souligner que la propriété collective subit davantage des limitations dans la réforme de
revalorisation des biens publics (B), pour des raisons impératives de contrôle de l’État
sur le secteur agricole dont les activités de production dépendent largement des terrains
et ressources naturelles dans les zones rurales.
A. – La distinction entre la propriété d’État et la propriété collective
77. - La Constitution chinoise reconnaît d’emblée la propriété publique du sol et
des ressources naturelles, car ils sont les moyens de production les plus importants
pour l’économie nationale292. Ainsi, les personnes privées sont-elles exclues de la
propriété du sol et des ressources naturelles. Certes, sous l’impact de la confusion entre
formes d’appropriation des moyens de production et catégories de droit de propriété
qui consiste à la détermination de la nature et le contenue du droit de propriété par les
modes ou formes d’appropriation293, la propriété publique du sol et des ressources
naturelles se distingue entre propriété d’État et propriété collective sur le plan juridique.
La première correspond à l’appropriation par l’État, tandis que la seconde correspond à
l’appropriation par la collectivité des travailleurs. Or, cette approche simplifiée dans la
distinction des deux catégories de propriété ne suscite pas moins des problèmes. À cet
égard, il faut surtout observer que la Constitution chinoise n’a pas clairement défini le
critère pour distinguer les deux formes de propriété publique (1) du sol et des
ressources naturelles. En ce qui concerne la propriété du sol, la distinction entre
propriété d’État et propriété collective se fonde par essence sur la division 292 V., CAI Dingjian, Xianfa jingjie (Constitution: An intensive reading), op cit., pp. 193, 194. Le droit de propriété est défini par l’article 72 des Principes généraux du droit civil : «"La propriété d’un bien" désigne les droits du propriétaire en conformité avec la loi de le posséder, de l’utiliser, d’en tirer profit et d’en disposer». La traduction ici reprend celle de Monsieur Daniel Arthur LAPRÈS, disponible sur le site http://www.lapres.net/cntrpgdc.html. En droit français, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion affirmer que les personnes publiques exercent un véritable droit de propriété sur leurs biens, ce qui assure la même protection constitutionnelle que celle dont bénéficient les biens privés et leur assure la même liberté d’entreprendre. V., CC, 18 décembre 1986 ; CC, 26 juin 2003, à propos de la loi d’habilitation. 293 CHEN Jianfu, From administrative authorisation to private law: A comparative perspective of the developing civil law in the P.R.C., op. cit., p.153.
94
géographique urbaine et rurale. Cela montre que la distinction entre propriété d’État et
propriété collective se justifie plus nettement pour des raisons d’économie politique (2),
déterminées dans une large mesure par la situation actuelle de l’État chinois..
(1). – Les critères de distinction des deux formes de propriété publique
78. - En matière de ressources naturelles, l’article 9 de la Constitution de 1982
dispose que « [L]es ressources minérales, les eaux, les forêts, les montagnes, les
prairies, les terrains non cultivés, les bancs de sable et de vase, ainsi que les autres
ressources naturelles sont propriété d’État, c’est-à-dire propriété du peuple tout entier.
Font exception les forêts, les montagnes, les prairies, les terrains non cultivés et les
bancs de sable et de vase qui, en vertu de la loi, relèvent de la propriété collective ».
Selon la formulation de cet article, on peut déduire que la propriété d’État des
ressources naturelles est le principe, alors que la propriété collective des ressources
naturelles n’est possible qu’en vertu des dispositions législatives. Il en résulte que sans
une loi spécifique prévoyant la propriété collective ayant pour objet des biens
énumérés par l’article 9, ces derniers sont présumés propriété d’État. La présomption
se justifie par le fait que les ressources naturelles sont les moyens de production
indispensables au développement durable de l’économie nationale : son importance à
l’économie exige l’appropriation par le peuple tout entier294.
79. - Quant à la propriété du sol, l’article 10, alinéas 1er et 2 de la Constitution de
1982 dispose que « [D]ans les villes, le sol est propriété d’État. À la campagne et dans
les banlieues urbaines, il est propriété collective, exception faite de celui qui, en vertu
de la loi, est propriété d’État ; de même les terrains pour construire des logements et
les parcelles de terre cultivable ou les parcelles dans les montagneuse réservées à
l’usage personnel sont propriété collective ». Il existe toutefois des problèmes
particuliers dans la distinction entre propriété d’État et propriété collective qui se fonde
sur la division géographique urbaine et rurale. Tout d’abord, puisque la distinction
entre propriété d’État et propriété collective dépend de la division géographique, la
circonscription des villes joue un rôle clé dans la détermination de la propriété d’État 294 V., CAI Dingjian, Xianfa jingjie (Constitution: An intensive reading), op. cit., p. 193.
95
du sol. Il en résulte que la modification de la circonscription des villes entraînera la
modification de la propriété d’État du sol. Ensuite, au cas où la frontière entre le
territoire urbain et le territoire rural ne serait pas bien déterminée, l’appartenance du
sol qui se situe dans la zone litigieuse est incertaine. Enfin, si la division entre les
différentes villes et celle entre la ville et la compagne sont relativement précises, il
existe bien des cas où les différentes zones rurales ne sont pas clairement délimitées295.
Cela pose la question de savoir à qui appartient-elle une certaine parcelle de terrain.
Cette question devient d’autant plus aiguë que les gouvernements locaux exercent de
facto la propriété collective du sol dans les territoires qui tombent sous leur juridiction.
Par conséquent, le différend sur l’appartenance des terres rurales relève par essence de
la juridiction territoriale des gouvernements locaux à l’échelon de base.
(2). – Les raisons d’économie politique de la distinction
80. - La distinction entre propriété d’État et propriété collective est importante à
l’égard de l’établissement des droits d’usage. Car le régime foncier collectif est, dans
ses principes, plus restrictif encore que celui des terrains de l’État. Alors que le droit
d’usage du sol étatique peut s’établit soit par le contrat de concession soit par
l’attribution à titre gratuit, les terrains de propriété collective sont attribués
prioritairement aux foyers paysans dans le cadre du contrat d’exploitation forfaitaire
(Chengbao jingying hetong). L’émergence des droits d’usage du sol rural résulte d’un
processus de la « décollectivisation » par laquelle les communes populaires, les
brigades et les équipes de production furent progressivement démantelées et totalement
supprimées au milieu des années 80, avec les droits d’usage du sol directement
« affermés » aux paysans 296 . Mais la trace de la propriété collective demeure
perceptible : en effet, contrairement au droit d’usage du sol étatique dont la libre
cessibilité est admise, la cession du droit d’usage du sol rural fait toujours l’objet de
295 V., Peter HO, Institutions in Transition, land ownership, property rights, and social conflict in China, Oxford University Press, 2005, p. 55 à 61. 296 Bruno CABRILLAC, Économie de la Chine, 2e éd., P. U. F., 2003, p. 56.
96
restrictions plus lourdes297, en dépit de la législation spécifique et surtout de la
nouvelle orientation politique toute récente permettant quelques flexibilités à la
transaction de ce droit298. L’interdiction de modifier l’utilisation agricole des terrains
demeure l’obstacle majeur à la libre cession du droit d’usage du sol rural. Ce qui
démontre la principale différence entre le droit d’usage du sol étatique et le droit
d’usage du sol collectif, mais aussi traduit le maintien de la dichotomie urbaine et
rurale dont l’objectif est de sécuriser la production agricole considéré comme le
secteur-clé de l’économie nationale.
Il faut encore rappeler que lors de la rédaction de la Constitution de 1982, il
existait l’idée de ne pas reconnaître la propriété collective du sol, tous les terrains
auraient été l’objet de la propriété étatique. Or, cette proposition ne fut pas acceptée.
L’objectif principal de la reconnaissance constitutionnelle de la propriété collective du
sol rural est de protéger l’intérêt des paysans dans l’utilisation des terres. À l’époque là,
il était considéré que la propriété collective du sol rural favoriserait la stabilisation du
droit des paysans dans l’exploitation des terres, surtout, en cas d’expropriation, les
paysans auraient droit à l’indemnisation donnée par l’État. Ce faisant, les intérêts
particuliers des paysans seraient protégés299.
B. – La revalorisation des biens publics
81. - L’adéquation entre propriété d’État et propriété du peuple tout entier conduit à
priver la propriété des individus comme membres du peuple tout entier, c’est-à-dire
qu’alors que le peuple tout entier est propriétaire représenté par l’État, les citoyens qui
composent le peuple ne peuvent pas l’être. Le paradoxe du fait, pourtant soutenu en
théorie, semble être atténué d’une certaine manière par la création d’un droit réel
d’usage et de jouissance sur les biens de propriété publique. Par analogie des rapports
297 V., infra, n° 178. 298 V., Résolution sur des questions relatives à la promotion des réformes rurales, adoptée le 22 octobre 2008, lors du troisième plénum du XVIIe Comité central du PCC. La Décision définit la nouvelle orientation politique qui prévoit la suppression des restrcitions à la libre cession du droit d’usage du sol rural. Des mesures concrêtes de réforme seront prises en pratique dans le proche avenir. 299 CAI Dingjian, Xianfa jingjie (Constitution: An intensive reading), op. cit., pp. 197, 198.
97
de droit concernant les biens en droit civil, la propriété publique se trouve écornée,
démembrée. « De trois pouvoirs dont elle était le faisceau, l’usus et le fructus passent
à l’usufruitier ; le propriétaire ne conserve que l’abusus, qui est assurément la partie
la plus profonde de son droit, mais non pas la plus visible ni la plus vivante »300. Outre
les droits d’usage du sol dont la protection est proclamée par la Constitution, le
principe d’utilisation à titre onéreux des ressources naturelles est désormais affirmé par
la loi sur les droits réels301. L’article 118 de la loi sur les droits réels dispose que les
entités ou les individus peuvent occuper, utiliser et tirer le profit des ressources
naturelles. Par la loi sur les droits réels, les règles générales applicables à l’usufruit
sont applicables aux droits d’usage portant sur les ressources naturelles, qui
comportent le droit d’usage sur les zones maritimes302, le droit d’exploration et
d’exploitation minière, le droit à puiser de l’eau, ainsi que le droit de pêche et
d’élevage sur les rivières et les bancs de sable303. Il faut souligner toutefois que les
droits d’usages sont créés dans le contexte de réforme dont l’objectif est le
remplacement de l’utilisation à titre gratuit du sol et des ressources naturelles par
l’utilisation à titre onéreux, sauf les cas exceptionnellement prévus par la loi dans
lesquels l’utilisation du sol étatique est attribuée aux usagers à titre gratuit304.
82. - La réforme sur l’utilisation des biens publics vise à accroître l’efficacité et la
rentabilité économique de la propriété publique305. Cette réforme qui se caractérise par
la revalorisation des biens publics se comprendrait mieux au regard du droit français.
Car la patrimonialisation du domaine, en particulier du domaine public, est aujourd’hui
le phénomène marquant de l’évolution du droit domanial. Le symbole le plus fort de la
mutation qui affecte le domaine apparaît dans l’ordre des mots, à travers la substitution
progressive de l’expression propriété publique à celle de domaine pour désigner la
même chose à savoir l’ensemble des biens immobiliers et mobiliers appartenant aux
300 Jean CARBONNIER, Droit civil, les biens, les obligations, P.U.F., 2004, § 754. 301 V., article 119 de la loi sur les droits réels. 302 V., article 122 de la loi sur les droits réels. 303 V., article 123 de la loi sur les droits réels. 304 V., article 23 de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines. 305 NAN Luming, XIAO Zhiyue, Zhonghuarenmingongheguo dichan falü zhidu, tudi gaige yu tudi shiyongquan churang zhuanrang (Le droit foncier de la RPC: la réforme foncière, la concession et le transfert du droit d’utilisation), Zhongguo fazhi chubanshe, 1991, pp. 24 à 32.
98
personnes morales publiques. Le rattachement des biens publics à des personnes
publiques identifiées comme propriétaires s’est naturellement imposé non seulement
pour trancher la question du statut de ces biens mais surtout pour régler le mode de
gestion de ceux-ci sur celui des biens privés. La patrimonialisation a contribué en ce
sens à légitimer la prévalence de la gestion sur la police du domaine306. Cependant, il
faut nuancer les deux phénomènes de patrimonialisation en droit français et de la
revalorisation des biens publics en droit chinois. En droit français, la protection du
domaine public est bien intégrée dans le bloc de constitutionnalité, résultant de la
protection que l’article 17 de la Déclaration de 1789 accorde aux propriétés privées et
publiques dont le domaine public fait partie et de l’existence et de la continuité des
services publics ainsi que des droits et libertés des personnes à l’usage duquel il est
affecté307. Il semble donc que si la propriété publique est évoquée ce n’est que pour
conforter le statut du domaine public 308 . Certes, en droit chinois, la base
constitutionnelle de la propriété publique du sol et des ressources naturelles semble se
fonder uniquement sur la propriété publique des moyens de productions qui est
proclamée comme la base du régime économique socialiste. Ni la notion de service
public, ni celle de droit et liberté des personnes à l’usage du domaine public, n’existe
dans la Constitution chinoise. On pourrait se demander quel serait le destin de la
propriété étatique du sol et des ressources naturelles fondée sur le régime économique
de propriété publique, celui-ci étant désormais relativisé par le mot d’ordre du PCC
« [R]echercher les diverses formes de réalisation de la propriété publique ». La
cession d’actions d’État étant déjà admise, la cession de la propriété étatique du sol et
des ressources naturelles ne saurait être interdite, sauf pour des raisons impératives
imposées par la Constitution. Or, tout dépend de la détermination de l’État-Parti qui
s’habitue à « réviser sa théorie pour sauver sa doctrine »309.
306 Ch. LEVIALLE, « Regards sur trente ans d’évolution du droit domanial », in J. KRYNEN, M. HECQUARD-THERON, Regards critiques sur quelques (r)évolutions récentes du droit, t. 1, Presses de l’Université des Sciences Sociales de Toulouse, 2005, pp. 255 à 257. 307 V., CE, 31 mars 2003, Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l’électricité et les réseaux ; CC, décision du 26 juin 2003-473 DC. 308 Ibid, contra Etienne FATÔME, «À propos des bases constitutionnelles du domaine public », AJDA, 2003, pp. 1192 et s. 309 René PASSET, L’économique et le vivant, Économica, 1996, p. 36, cité par Thierry PAIRAULT,
99
§ 2. – L’émergence des droits d’usage dans la Constitution
83. - La reconnaissance constitutionnelle des droits d’usage portant sur le sol de
propriété publique est l’un des résultats importants de la réforme des biens publics.
L’objectif de la réforme consiste à établir l’équilibre entre le maintien de la propriété
publique du sol d’une part et, d’autre part, la quête de la rentabilité moyennant la
stimulation économique. Comme l’économiste Steven N. S. CHEUNG l’a indiqué,
impulsée par l’efficacité de production, la politique de réforme économique se
poursuivrait jusqu’à l’émergence d’un « droit de quasi-propriété » sur le sol310. Certes,
alors que les règles d’établissement des droits d’usage sont reconnues par la
Constitution et complétées par de multiples textes normatifs (A), la nature juridique de
ces droits prête à la discussion (B).
A. – L’établissement des droits d’usage
84. - Le droit d’usage portant sur le sol étatique (1) et le droit d’usage portant sur le
sol de propriété collective (2) sont établis selon des modalités différentes. Cette
distinction des règles juridiques relatives aux droits d’usage pourrait être considérée
comme la conséquence de la distinction entre propriété étatique et propriété collective
du sol.
(1). – Le droit d’usage du sol étatique
85. - L’usage des terrains étatiques en Chine était pendant longtemps dominé par le
régime d’attribution administrative: les organes gouvernementaux compétents,
représentants de l’État, procédaient à l’attribuer à titre gratuit des terrains aux organes
administratifs et aux entreprises publiques, etc.311 Selon la doctrine, l’utilisation des
« Droit de propriété et réforme du secteur d’État », op. cit., p. 32. 310 V., Steven N. S. CHEUNG, Zhongguo de qiantu (Le futur de la Chine), Hongkong : Hongkong Xinbao Company Ltd, 1988, p. 206. 311 GAO Fuping, HUANG Wushuang, Fangdichan faxue (Droit des biens immobiliers), Pékin: Higher Education Press, 2003, p. 24.
100
terrains par les organes administratifs ou par les entreprises publiques à titre gratuit est
la forme concrète de la possession des terrains par l’État lui-même propriétaire,
c’est-à-dire l’attribution n’a aucune incidence sur la propriété étatique des terrains: des
organes administratifs et des entreprises publiques qui occupent et utilisent les terrains
ne sont que les représentants de l’État en matière d’exercice du droit de propriété sur
les terrains312 . Or, à l’exception de ce régime d’attribution gratuite des terrains
étatiques, la loi sur les entreprises à capitaux chinois et étranger (Equity Joint Ventures)
promulguée en 1979, prévoit par l’article 5, alinéa 3, que les entreprises à capitaux
chinois et étranger doivent payer à l’État chinois le frais d’usage des terrains qu’elles
occupent, sauf si le droit d’usage fait l’objet d’un apport par un partenaire chinois au
capital d’une entreprise à investissement étranger. Par la suite, certaines villes côtières
concédèrent –à titre expérimental– le droit d’usage des terrains étatiques pour la durée
prédéterminée aux entreprises étrangères contre le paiement de frais d’usage313. La
réforme sur l’usage du sol étatique se répandait depuis lors. Avec l’adoption des
Principes généraux du droit civil en 1986, il est reconnu par son article 80 que le droit
d’usage du sol étatique peut être procuré par les entités (danwei) étatique et collective
conformément à la loi ; les entités titulaires du droit d’usage doivent s’engager à gérer,
à protéger et à exploiter de manière raisonnable des terrains étatiques. Toutefois, la
portée du droit d’usage prévu par les Principes généraux du droit civil est relative :
d’une part, les titulaires de ce droit ne peuvent qu’être les entités –les personnes
morales dans la plupart des cas– tout en excluant les personnes physiques ; d’autre part,
la cessibilité de ce droit demeure incertaine faute de prévision législative. Peu de temps
après la promulgation des Principes généraux du droit civil, la loi sur l’administration
du sol promulguée en 1986 proclame dans son article 7314 que les terrains de propriété
publique –aussi bien les terrains étatiques que les terrains collectifs– pouvaient être
affectés à l’utilisation des individus. La création législative du droit d’usage du sol
312 WANG Weiguo, Zhongguo tudi quanli yanjiu (Étude sur les droits fonciers en Chine), Zhongguo zhengfa daxue chubanshe, 1997, p. 85. 313 V., NAN Luming, XIAO Zhiyue, Zhonghuarenmingongheguo dichan falü zhidu, tudi gaige yu tudi shiyongquan churang zhuanrang (Le droit foncier de la RPC: la réforme foncière, la concession et le transfert du droit d’utilisation), op. cit., pp. 33 et s. 314 Devenu article 9 par la révision en1998.
101
public fut réaffirmée par la révision constitutionnelle de 1988 : l’article 10, alinéa 4, de
la Constitution permet sans équivoque la cessibilité du droit d’usage portant sur les
terrains publics. Pour y répondre, la loi sur l’administration du sol fut ultérieurement
complétée par l’insertion de deux dispositions en vertu desquelles le droit d’usage est
cessible selon les règles édictées par le CAE d’une part et, d’autre part, l’État met en
place un régime d’usage des terrains à titre onéreux, en parallèle avec l’attribution à
titre gratuit du sol qui est propriété d’État315.
86. - Les différences entre le droit d’usage issu de la concession à titre onéreux et
celui issu de l’attribution gratuite sont précisées par la loi sur l’administration des biens
immobiliers dans les zones urbaines316. Premièrement, l’attribution gratuite du sol
étatique ne peut s’appliquer qu’aux cas prévus par la loi. À cet égard, il faut préciser
que les sujets qui peuvent obtenir le droit d’usage par l’attribution à titre gratuit sont
bien limités : ils sont les organes étatiques et militaires. D’ailleurs, le droit d’usage du
sol peut également être attribué pour la construction des travaux d’infrastructure ou
pour d’autres fins d’intérêt général, ainsi que pour des travaux d’énergie, de circulation
et des travaux hydrauliques317. Deuxièmement, la durée du droit d’usage du sol par
concession est limitée par les dispositions législatives et réglementaires en droit
chinois. En effet, l’article 12 du Règlement provisoire sur la concession et le transfert
du droit d’usage du sol étatique dans les zones urbaines (1990) précise différentes
durées maximales en fonction des usages : 70 ans pour l’usage résidentiel ; 50 ans pour
l’usage industriel, éducatif, scientifique, culturel, sanitaire et sportif ; 40 ans pour
l’usage commercial, touristique et récréatif. Le contrat de concession stipule la durée
du droit d’usage sous le plafond de ces durées maximales. Le renouvellement du
contrat de concession, donc de la durée du droit d’usage qui en dépend, peut être
autorisé par l’organe gouvernemental compétent à la demande du concessionnaire,
selon les conditions et modalités établies par la loi318. Il en résulte que le droit d’usage
315 V. article 2, alinéas 4 et 5 de la loi d’administration des terrains, révisée en 1988 ; article 3 de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines. 316 La loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines est promulguée en 1994 et révisée en 2007. 317 V., article 24 de la loi d’administration des immobiliers urbains. 318 V., article 21 de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines.
102
issu du contrat de concession à titre onéreux n’a pas vocation à se perpétuer319. En
contraste, le droit d’usage établi par l’attribution gratuite est réputé révocable
unilatéralement par l’État, à défaut de terme. Troisièmement, le droit d’usage par
concession est cessible, alors que le transfert du droit d’usage attribué à titre gratuit
doit être préalablement approuvé par les gouvernements locaux qui sont pourtant
discrétionnaires en la matière320.
(2). – Le droit d’usage du sol de propriété collective et ses variations
87. - Outre le droit d’usage du sol étatique, la Constitution reconnaît également le
droit d’usage portant sur le sol de propriété collective. L’article 8 dispose que « (...)Les
travailleurs qui participent aux entités économiques collectives rurales ont le droit,
dans les limite définies par la loi, d’exploiter des parcelles de terre cultivables ou de
montagne réservées à leur propre usage, de se livrer à des productions subsidiaires
familiales et de posséder des têtes de bétail à titre individuel ». Ce droit d’usage
portant sur le sol de propriétés collectives est précisé par l’article 12 de la loi sur
l’administration du sol en vertu duquel les terrains étatiques et collectifs peuvent faire
l’objet d’exploitation forfaitaire par les entités et les individus. Il s’agit d’une forme
d’exploitation du sol basé sur un contrat forfaitaire entre d’une part, les gouvernements
locaux ou les collectivités des paysans qui exercent les propriétés collectives du sol
rural et, d’autre part, les entités ou les individus. Par ce contrat qui se dit « contrat
d’exploitation forfaitaire », les entités ou les individus sont reconnus le droit d’usage
portant sur une certaine parcelle des terres dans un terme défini par le contrat et par
conséquent peuvent librement l’exploiter. En contrepartie, ces entités ou individus
s’engagent à verser le bénéfice d’une somme fixée quel que soit le résultat de
l’exploitation. Dans la pratique, un contrat d’exploitation forfaitaire s’établit souvent
entre un gouvernement local de base ou une collectivité des paysans et le foyer des
319 Pour le droit d’usage résidentiel du sol étatique, la loi sur les droits réels prévoit le mécanisme de renouvellement automatique par lequel la durée de ce droit peut en principe se prolonger à l’échéance du contrat de concession, sauf dans les cas prévus par la même loi. V., article 149 de la loi sur les droits réels. 320 V., article 39 de la loi d’administration des biens immobiliers dans les zones urbains.
103
paysans qui sont membres de la collectivité ou de la collectivité sous la juridiction du
gouvernement local. Ce mécanisme d’exploitation forfaitaire, qui correspond au
système de responsabilité centré sur la prise en charge par la cellule familiale conçu sur
le plan économique, est la voie principale à reconnaître le droit d’usage du sol aux
travailleurs participant à des entités économiques collectives rurales. Il faut rappeler
qu’avant 1982, l’État chinois n’avait pas explicitement indiqué qu’on pouvait conclure
les contrats d’exploitation forfaitaires dans la production d’agriculture. Les communes
populaires furent l’entité collective qui intégrèrent dans leur capacité toutes les
activités rurales, y compris la production agricole. Divisées en brigades (dadui) à
l’échelon du village et en équipes de production (shengchan dadui) regroupant
quelques dizaines de familles, « les communes favorisèrent une collectivisation
radicale de la vie sociale »321. À la fin des années 1970, la production agricole
collective assurée par les communes populaires fut considérée comme la contrainte à la
productivité et la cause principale de la pauvreté des paysans chinois. Dans le but
d’améliorer la productivité par l’encouragement des paysans, le régime d’exploitation
forfaitaire du sol fut introduit pour remplacer le régime foncier des communes
populaires. Cette réforme fut ultérieurement affirmée par la Constitution de 1982.
88. - Le droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire n’est qu’une expression
du droit d’usage du sol adaptée à la spécificité d’agriculture des zones rurales. En effet,
la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural adoptée en 2002 précise le contenu du
droit d’usage pour l’exploitation forfaitaire, à savoir notamment le droit d’utiliser les
terrains conformément à la loi et d’en tirer profit, de céder le droit d’exploitation
forfaitaire, ainsi que le droit à l’indemnisation en cas de réquisition ou d’occupation322.
Il convient de souligner que la Constitution chinoise établit le droit d’usage du sol pour
l’exploitation forfaitaire sans pour autant préciser les règles d’application de ce régime,
notamment en ce qui concerne les modalités de mise en place de ce droit. À cet égard,
la loi de 2002 sur l’exploitation forfaitaire du sol rural distingue deux modalités par
lesquelles peut être établi le droit d’exploitation forfaitaire323. Il s’agit, d’une part, de
321 Jean-Pierre CABESTAN, Le système politique de la Chine populaire, op. cit., p. 132. 322 V. article 16 de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural. 323 En vertu de l’article 2 de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural, tous les terrains à
104
l’exploitation forfaitaire à titre familial établi par des contrats écrits conclus entre la
collectivité et le foyer de celle-ci et, d’autre part, les autres formes d’exploitation
forfaitaire. En ce qui concerne l’exploitation forfaitaire à titre familial, la loi de 2002
dispose que « nulle organisation, nul individu ne peut priver ni limiter illégalement le
droit des membres des entités collectives à l’exploitation forfaitaire des terrains»324.
Les autres formes d’exploitation forfaitaire consistent en contrats établis entre la
collectivité d’une part et, d’autre part, les personnes autres que les membres de la
collectivité325.
89. - Après l’établissement et la stabilisation du régime d’exploitation forfaitaire,
de nouvelles formes d’usage des terres rurales sont apparues dans la pratique comme
les variations du droit d’usage du sol de propriété collective. « En effet, si le système de
responsabilité des ménages était censé s’appliquer à tout le pays, sa mise en oeuvre a
revêtu différentes formes en fonction des autorités locales »326. Il s’agit, par exemple,
de la dualité des règles d’usage de la terre, des opérations agricoles sur vaste échelle,
de la vente aux enchères du droit d’usage des terres incultes situées sur les montagnes,
dans les ravins, sur les coteaux et en zones inondables et, enfin, du régime coopératif
d’actionnariat.
90. - La dualité des règles d’usage des terres consiste à diviser les terres faisant
l’objet du contrat d’exploitation forfaitaire par les foyers paysans en deux catégories,
c’est-à-dire les terres pour assurer la subsistance et les terres sur lesquelles portent les
engagements envers la collectivité. Les premières sont distribuées par tête d’habitant.
Les secondes sont distribuées soit par tête d’habitant, soit au moyen de la mise aux
enchères. Ces deux catégories de terres imposent au foyer paysan des obligations
différentes : pour les premières, seul la taxe agricole était exigible tandis que pour les
secondes, en plus de la taxe agricole, le foyer doit encore s’acquitter, au titre de la
l’utilisation d’agriculture peuvent faire l’objet d’exploitation forfaitaire. Par conséquent, l’applicabilité de l’exploitation forfaitaire ne se limite pas à la seule terre collective. 324 V., article 5, alinéa 2 de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural. 325 V., chapitre 3 de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural. 326 Maëlys DE LA RUPELLE, DENG Quheng, LI Shi, Thomas VENDRYES, « Insécurité foncière et flux migratoire intérieurs en Chine », Perspectives chinoises, 2008, n° 2, p. 30.
105
redevance forfaitaire, des prélèvements du village et des retenues du canton327. L’idée
de la dualité des règles d’usage des terres est de redresser toute inégalité en ce qui
concerne la disponibilité des terres dans le cadre du système d’exploitation forfaitaire
des terres, qui peut provenir du changement dans le nombre des membres de chaque
foyer paysan et de garantir à chacun des membres de la communauté l’accès égalitaire
aux ressources foncières.
91. - Le mode d’exploitation sur une vaste échelle se présente sous trois formes. La
première consiste en une exploitation centralisée des fermes collectives. La deuxième
consiste en une exploitation centralisée avec une gestion décentralisée. Une dernière
forme, fréquente dans les régions côtières développées de l’Est du pays, concerne les
terres de grande surface couvertes par le contrat d’exploitation forfaitaire établi entre la
collectivité et les foyers paysans. Sous forme de sous-bail ou sous-traitance,
l’utilisation de ces terres revient à la collectivité. Les paysans membres de celle-ci ont
droit, comme contrepartie, aux bénéfices résultant de l’exploitation assumée par la
collectivité.
92. - La vente aux enchères du droit de l’usage des terres incultes situées sur les
montagnes, dans les ravins, sur les coteaux et en zone inondable représente une autre
forme nouvelle de l’octroi du droit d’usage du sol collectif. Au début de la réforme,
leur mode de prise en charge était identique à celui qui était prévu pour les terres
cultivées. La seule différence résidait dans le fait que pour ces terres non cultivées, la
durée du contrat est plus longue. Elle peut aller jusqu’à 50, voire 100 ans. La vente aux
enchères du droit d’usage des terres non cultivées situées sur les montagnes, dans les
ravins, sur les côteaux et en zone inondable ne change en rien le droit de propriété.
L’acquéreur de ce droit d’usage doit assurer leur aménagement et jouit de l’usufruit.
De plus, le droit de leur usage est cessible, louable et hypothécable et en outre
utilisable pour l’investissement en partenariat.
93. - Le régime coopératif d’actionnariat (gufen hezuozhi) est une pratique de
réforme selon laquelle la valeur totale de l’ensemble des biens, y compris les terres,
d’une collectivité est convertie en actions puis distribuées parmi les membres de la
327 La taxe agricole a été abolie à partir du 1er janvier 2006 par la décision du Comité permanent de l’APN.
106
collectivité. Les paysans membres d’une collectivité sont reconnus à titre égal le statut
et les droits des actionnaires par analogie d’une société. Le régime coopératif
d’actionnariat consiste en effet à une titrisation des biens collectifs, qui facilite par
conséquent à la collectivité d’en exploiter et en gérer selon le modèle d’une société
commerciale. Ce régime s’accommode en effet à la tendance d’industrialisation des
régions côtières de la Chine, où l’exploitation agricole des terres cède ses pas devant
l’usage industriel. Pour ce faire, la première opération est d’évaluer la valeur des terres
et d’autres biens appartenant à la collectivité, de leur mettre à un prix pour les convertir
en actions. Ensuite, les actions sont réparties entre les paysans en prenant comme base
la population totale de la collectivité à un moment donné. Le bénéfice résultant de
l’exploitation est partagé entre les paysans en fonction du nombre d’actions possédées
par chacun d’eux. Et les actions sont cessibles parmi les membres de la collectivité, et
peuvent aussi faire l’objet de succession.
B. – La nature juridique des droits d’usage
94. - Avec la promulgation de la loi sur les droits réels, la nature de droit réel des
droits d’usage est bien affirmée (1). Mais il existe encore des problèmes dans la
législation et la pratique, qui sont la cause principale de la précarité des droits d’usage
(2). Ce contraste traduit plus nettement la nature inachevée de l’évolution du
fondement constitutionnel du droit de propriété. (1). – Le caractère de droit réel des droits d’usage
95. - En droit civil chinois, l’utilisation est généralement considérée comme l’un
des attributs du droit de propriété. Les Principes généraux du droit civil définissent, par
article 71, que le droit de propriété est le droit pour le propriétaire d’une chose de jouir
de quatre prérogatives, à savoir la possession (zhanyou), l’utilisation (shiyong), la
jouissance (shouyi) et la disposition (chufen). L’importance du droit d’user de la chose
est incontestable puisque l’usage des biens est de toutes les prérogatives du propriétaire,
le plus simple, la moins intellectualisée et la plus caractéristique de ce contact direct
107
qu’établit la propriété entre le propriétaire et sa chose328. Certes, pendant longtemps, la
législation chinoise et la doctrine civiliste en Chine refusait de considérer les droits
d’usage comme droits réels. Le raisonnement de ce refus consiste à voir les droits
d’usage qui naissent du contrat comme les droits de créance, donc droits personnels.
La création des droits d’usage n’était que le résultat de l’aliénation de certaines
prérogatives du propriétaire pendent une durée bien définie, et ces prérogatives ainsi
aliénées pouvaient toujours revenir ultérieurement au propriétaire à l’échéance du
contrat. Ce qui était résumé par la doctrine chinoise comme l’élasticité des attributs du
droit de propriété. Il s’agissait d’étendre aux droits sur la chose d’autrui la qualification
de servitude, se ressemblant à l’approche du droit romain dans son état achevé329. Ce
refus de reconnaître les droits d’usage pouvait s’expliquer aussi par le seul fait que le
droit civil chinois « populaire » ne retenait pas la notion de droits réels330. La situation
a bien changé avec la promulgation de la loi sur les droits réels en 2007 : un titre III est
consacré à l’usufruit qui englobe les droits d’usage portant sur le sol et les ressources
naturelles. Ainsi en est-il, la nature juridique des droits d’usage du sol comme droit réel
est désormais reconnue sans équivoque en droit chinois331.
(2). – La précarité des droits d’usage
96. - Il existe des similitudes apparentes entre les droits d’usage en droit chinois et
les droits réels constitués sur le domaine public en droit français dans un objectif de
concilier le régime juridique de domaine public et l’économie de marché332. En droit
328 Philippe MALAURIE, Laurent AYNÈS, Les biens, Defrénois, 2003, § 434. 329 V., Fédéric ZENATI-CASTAING, Thierry REVET, Les biens, 3e éd., 2008, § 291. 330 Section première du chapitre V des Principes généraux du droit civil s’intitule « Du droit de propriété sur les biens et des droits patrimoniaux en rapport avec le droit de propriété ». Il en résulte que les Principes généraux du droit civil ne subdivisent pas les droits patrimoniaux en deux catégories, les droits réels et les droits personnels. Par ailleurs, le droit chinois définit la possession comme l’un des attributs du droit de propriété, alors que la possession n’est qu’un état de fait en droit français. V., Thierry PAIRAULT, « Droit de propriété et réforme du secteur d’État », op. cit., pp.12 à18. 331 V., infra, Chapitre 2, Section 1. 332 V., Jean-Pierre LEBRETON, Stéphane MANSON, Le domaine public, La Documentation française, n° 2.12 édition 2004, p. 34 et s. On a même conclu que « le droit conféré par le titre d’occupation sur la dépendance domaniale elle-même constitue un véritable droit réel administratif : un droit réel, parce
108
français, le droit de propriété reconnu à l’occupant du domaine public « n’est pas celui
du Code civil. Il est temporaire, contrairement au principe de la perpétuité de la
propriété civile puisqu’il cesse avec l’expiration du titre »333. Il y a lieu de se demander
si le régime de la domanialité n’aboutit pas à une dénaturation du droit de propriété au
sens de la jurisprudence constitutionnelle et à empêcher toute consécration d’un droit
de propriété sur les biens édifiés sur le domaine public334. Quant au droit chinois, la
précarité du droit d’usage des terrains publics fait également l’objet de vives critiques :
les durées d’existence du droit d’usage portant sur les terrains étatiques qui sont
déterminées par la loi sont trop courtes, la possible suppression du droit d’usage par
l’administration rend précaire le droit de propriété des biens édifiés sur les terrains
publics et porte atteinte aux intérêts des propriétaires335. De plus, le destin du droit
d’usage du sol étatique à l’issue du terme du contrat est prévu par l’article 22 de la loi
sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines : il s’agit soit d’un
renouvellement du contrat à la demande de l’usager et accepté par l’État, soit de la
récupération des terrains par l’État en s’appropriant à titre gratuit les biens édifiés sans
pour autant indemnisation336. Selon des critiques, le droit de propriété des biens édifiés
qu’il est toujours opposable non seulement à l’égard des tiers mais aussi et surtout à l’égard de l’Administration puisque, en cas de retrait avant terme, le droit de l’occupant ne disparaît pas purement et simplement mais se transformer en un droit à indemnité ; droit réel administratif, car, dans la mesure où l’administration domaniale dispose à tout moment de la prérogative unilatérale de transformer ce droit d’occupation en un droit à indemnité sous le contrôle du juge administratif ». V., E. FATÔME, Ph. TERNEYRE, « La loi du 25 juillet 1994 : observations complémentaires », AJDA, 1994, pp. 784-785. 333 Christian LAVIALLE, note sous CE, 21 avril 1997, Dr. adm., 1997, n° 316 ; v., aussi, M. LECERF, G. BLANC, « Entreprises privées et domaine public, comment gérer les contraintes de la domanialité relatives aux cessions d’ouvrages réalisés par les occupants », JCP N, 1998, n° 28, p. 1076. GODFRIN, « Une prudente audace : la loi du 15 juillet 1994 relative à la constitution de droits réels sur le domaine public », CJEG, 1995, p. 12 et s. 334 V., Jérôme TREMEAU, « Fondement constitutionnel du droit de propriété », Juris-Cl. Notarial Répertoire, 2001, fasc. 10, n°72. 335 V., WANG Weiguo, Zhongguo tudi quanli yanjiu (Étude sur les droits fonciers en Chine), op. cit., pp. 141-146 ; v., aussi, ZHAO Hongmei, Fangdichanfa lun (Étude de droit immobilier), Zhonggguo zhengfa daxue chubanshe, 1995, pp. 97 à 98 ; LOU Jianbo, « Fangdichan kaifa yu jiaoyi zhong ruogan wenti de falü tantao (Réflexions sur les problèmes juridiques relatives à l’exploitation et au transfert des biens immobiliers) », in WEI Zhenying, WANG Guiguo, Shichang jingji yu falü(Droit et économie de marché), Beijing daxue chubanshe, 1995, pp. 146 à 150. 336 V., article 40 du règlement provisoire sur la concession et le transfert du droit d’usage du sol étatique dans les zones urbaines.
109
sur les terrains publics serait ainsi privé du caractère de perpétuité, devenant précaire à
l’égard de l’État-propriétaire des terrains; d’ailleurs, l’appropriation gratuite par l’État
de ces biens à l’issue du terme du droit d’usage porterait atteintes à leurs propriétaires
dans la mesure où elle constituerait une mesure de privation de propriété sans
indemnisation337. Il fallut attendre jusqu’à l’adoption de la loi sur les droits réels
qu’une innovation majeure se voit le jour. En effet, l’article 149 de la loi sur les droits
réels instaure le renouvellement automatique du droit d’usage des terres pour
construction d’habitation une fois le terme arrivé. Compte tenu des délais en cause, un
tel renouvellement du droit d’usage n’a jamais réellement eu lieu dans la pratique.
Mais la loi sur les droits réels entérine ce qu’anticipent les propriétaires, à savoir la
stabilité et la perpétuité de leur droit par le renouvellement du droit d’usage une fois le
terme arrivé. Plus précisément, les propriétaires des immeubles édifiés sur les terrains
publics sont désormais assurés de pouvoir rester comme propriétaires du même édifice
à l’échéance de leur droit d’usage. En pratique, la disposition de l’article 149 conduit à
garantir l’usage du bien immobilier tout au long de la vie du titulaire, ce qui peut être
« assimilé de facto à un droit de propriété »338. Pourtant, pour les terrains à usage
industriel et commercial, l’article 149 de la loi sur les droits réels renvoie aux futurs
lois et règlements qui devront être ultérieurement adoptés. Le renouvellement du droit
d’usage tel que prévu par la loi sur les droits réels ne s’applique pas au droit d’usage
du sol pour l’exploitation forfaitaire. Issu des contrats forfaitaires établis entre les
collectivités et leurs membres, le droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire
était toutefois souvent traité comme un droit personnel dans le règlement des litiges339.
97. - Quant au droit d’usage du sol dans les zones rurales, la loi sur l’exploitation
forfaitaire du sol rural, adoptée en 2002, clarifie la conception : l’objectif de la loi tient
à reconnaître aux paysans le droit durable et sécurisé en matière d’utilisation des
337 V., GAO Fuping, HUANG Wushuang, Fangdichan faxue (Droit immobilier), op. cit., pp. 47, 69. 338 J. GIBSON, B. de MARAIS (sous la dir. de), Réformes du droit économique et développement en Asie,La Documentation française, 2007, p. 232. 339 Cf. Cour suprême populaire, Interprétations sur le traitement des affaires relevant des contrats d’exploitation forfaitaire rurale (Guanyu shenli nongye chengbao hetong jiufen anjian ruogan wenti de guiding), adoptées le 5 juin 1999.
110
terrains340. Le droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire est acquis pour une
durée de trente ans ; les réajustements de terrains au sein d’une même collectivité
–dans la plupart des cas, le village– et les redistributions périodiques entre les foyers
doivent s’effectuer à titre exceptionnel341. En outre, la loi sur l’exploitation forfaitaire
du sol rural comporte les dispositions qui précisent que les gouvernements locaux ne
peuvent pas supprimer le droit d’usage du sol rural ou en modifier les limites pendant
ces trente années, ainsi qu’en cas de réquisitions, les membres des collectivités ont le
droit à l’indemnisation342. Ce qui conduit à croire que le droit d’usage du sol pour
l’exploitation forfaitaire tombe dans la catégorie des droits réels et par conséquent qu’il
ne s’agit pas d’une simple obligation contractuelle343. Mais la précarité de ce droit dans
la pratique, notamment en cas d’expropriation, de suppression ou de redistribution
imprévisible des droits d’usage du sol par les collectivités locales dans l’exercice de
leurs pouvoirs de contrôle et de gestion, continue à inquiéter les titulaires de ces droits,
et par conséquent, faire obstacle aux investissements agricoles et à la croissance
économique dans les zones rurales344. En effet, en dépit de l’existence de contrats
fonciers, les redistributions administratives continuent d’exister, mais leur fréquence et
les critères retenus varient sensiblement d’un village à un autre. La réglementation
locale relative à la gestion des terres et aux contrats individuels n’est pas toujours
transparente. Les critères retenus par les autorités villageoises pour effectuer les
redistributions administratives ou pour juger du respect ou du non-respect des contrats, 340 V., article 1er de la loi d’exploitation forfaitaire du sol rural. 341 Il s’agit notamment des cas où les désastres naturels ont entraîné de graves dégâts aux terrains faisant l’objet du contrat d’exploitation forfaitaire. Le réajustement dans ce cas-là doit être approuvé par deux tiers des villageois ou des représentants des villageois. V., article 27 de la loi d’exploitation forfaitaire du sol rural. 342 V. article 16, alinéa 2 de la loi d’exploitation forfaitaire du sol rural. 343 ZHANG Junhao, Minfaxue yuanli (Principes du droit civil), 3e éd., Zhongguo zhengfa daxue chubanshe, 2000, p. 469 ; LIU Suinian, «Guanyu tudi chengbaofa caoan de shuoming (Explications sur le projet de la loi d’exploitation forfaitaire des terres rurales) », Journal Officiel du comité permanent de l’APN, n° 5, 2002; HU Kangsheng, Zhonghuarenmingongheguo nongcun tudifa tongsu duben (Introduction de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural), Law Press China, 2002, pp. 94, 104. 344 Hanan G. JACOBY, Guo LI, Scott ROZELLE, « Hazards of expropriation: Tenure insecurity and investment in rural China », The American Economic Review, vol. 92, n° 5, 2002, pp. 1422, 1444; v., aussi, Klauss DEININGER, Songqing JIN, « The impact of property rights on household’s investment, risk coping and policy preferences: evidence from China », World Bank Policy Research Working Paper 2931, novembre 2002.
111
demeure implicites et partiellement arbitraires. Le degré d’insécurité foncière semble
dépendre avant tout des facteurs spécifiques relatifs au village, à la parcelle, au ménage
ou à l’individu345.
SECTION II. – LES RÉSISTANCES À LA CONSÉCRATION
CONSTITUTIONNELLE DU DROIT DE PROPRIÉTÉ
98. - La révision constitutionnelle déclarant l’inviolabilité des biens privés et la
protection des droits de l’homme est-elle un pur exercice politique ? Ou bien,
l’exaltation apparente du droit est-elle, dans une large mesure, destinée à satisfaire les
étrangers ?346 Le destin chaotique de la propriété privée dans l’histoire du droit
constitutionnel chinois, la prédominance de la politique du PCC par rapport à la
législation, en passant par le courant de pensée tendant à mettre en cause la légitimité
de la propriété privée lors de la révision constitutionnelle de 2004, posent la question
suivante : la propriété privée, en tant que droit fondamental des citoyens
constitutionnellement garanti, pourrait-il dépasser les résistances politiques et
juridiques ? Il faut nuancer que les résistances politiques pourraient menacer la
légitimité de la propriété privée (Sous-section 1), alors que les résistances juridiques
pourraient compromettre plus précisément la valeur de ce droit en tant que droit
fondamental protégé par la Constitution chinoise (Sous-section 2).
Sous-section 1. – Les résistances politiques à la consécration constitutionnelle du
droit de propriété privée
345 V., Charles C. KRUSEKOPF, « Diversity in land tenure arrangement under the household responsibility system in China », China Ecnomic Review, vol. 13, n° 2, 2002, pp. 297 à 312 ; Loren BRANDT (et al.), « Land rights in China : facts, fictions and issues », The China Journal, n° 47, 2002, pp. 67 à 97 ; Maëlys DE LA RUPELLE, DENG Quheng, LI Shi, Thomas VENDRYES, « Insécurité foncière et flux migratoire intérieurs en Chine », op. cit., pp. 31, 32. 346 Alice Her-Soon TAY, « Culture juridique chinoise », in Wanda CAPELLER, Takanori KITAMURA, Une introduction aux cultures juridiques non-occidentales, Bruyant, 1998, p. 218.
112
99. - Les observateurs du droit chinois s’entendent pour dire que le droit chinois est
largement instrumentaliste347. C’est-à-dire qu’en Chine la politique l’emporte sur
l’application du droit. Alors que les règles de droit ne sont pas totalement dépréciées en
Chine, les dirigeants chinois veillent à ce que le droit ne porte pas atteinte à la
suprématie du PCC348. Dans ce contexte, le statut de droit fondamental de la propriété
privée n’est pas assuré : qu’il s’agisse de la rupture puis de la réhabilitation du droit de
propriété (§ 2) ou de la position de l’État-Parti qui a volontairement défendu la
propriété privée contre l’accusation sur la légitimité de ce droit (§ 1), la consécration
constitutionnelle de la propriété privée semble toujours être assujettie au pouvoir
politique du PCC.
§ 1. – L’accusation d’illégitimité de la propriété privée
100. - La proclamation constitutionnelle sur l’inviolabilité de la propriété privée a
été contestée par les courants anti-libéraux qui accusent la légitimité de ce droit (A). Si
ces critiques ne sont pas bien acceptées, elles ont pourtant produit leur répercussion sur
le remaniement des politiques du PCC (B).
A. – La contestation sur la légitimité de la propriété privée
347 V., Marianne BASTID-BRUGUIÈRE, « L’esprit de la codification chinoise », Droits, n° 27, 1998, p. 144; Yuanyuan SHEN, « Conceptions and receptions of legality, understanding the complexity of law reform in modern china », in Karen G. TURNER, James V. FEINERMAN, R. Kent GUY, The limits of the Rule of law in China, University of Washington Press, 2000, p. 27; CHEN Jianfu, « L’application du droit en Chine: une bataille politico-légale », Perspectives chinoises, n° 72, 2002, p. 36. Hélène PIQUET, « État de droit et tradition juridique chinoise », in Daniel MOCKLE, Mondialisation et État de droit, Bruxelles Bruylant, 2002, pp. 161 à 198 ; Jean-Pierre CABESTAN, « Le contexte du droit chinois : évolutions institutionnelles et législatives », in Centre français de droit comparé, L’actualité du droit chinois des affaires, Société de législation comparée, 2003, pp. 13 et s ; Murray Scot TANNER, The politics of lawmaking Post-Mao China : institutions, processes, and democratic prospects, Oxford University Press, 1999, pp. 51 et s; Stanley LUBMAN, Bird in a cage: Legal reform in China after Mao, Stanford University Press, 1999, p.132. 348 Hélène PIQUET, La Chine au Carrefour des traditions juridiques, Bruxelles, Bruylant, 2006, pp. 76 et 77.
113
101. - La réforme économique aboutissant à la constitutionnalisation de la propriété
privée s’est heurtée aussi bien à la résistance des anti-libéraux, qu’à celle des
conservateurs attachés à l’idéologie communiste349. Alors que les libéraux chinois
soutiennent que la protection de la propriété privée est une condition primordiale aussi
bien pour garantir la liberté individuelle que pour fournir un cadre juridique
indispensable au développement de l’économie de marché350, le courant de pensées dit
« néogauchiste » ou « nouvelle gauche » met en doute le but et l’utilité de la protection
des biens privés. Pour les néogauchistes, après vingt ans de réforme, la Chine est de
fait entrée dans le système capitaliste. La question essentielle aujourd’hui est donc
celle de la justice sociale pour remédier à l’effet pervers de la réforme vers l’économie
de marché351. Selon le courant « néogauchiste », le marché a certes joué un rôle positif
dans la réforme économique entreprise par l’État, mais il est aussi devenu une menace
à l’égalité des citoyens et au bien-être du peuple chinois, car le capital s’est associé au
pouvoir pour exploiter le peuple. Pour éviter au pays de souffrir des maux qu’engendre
toujours le capitalisme, les « néogauchistes » soutiennent les mesures égalitaristes.
Attachés à l’idée de la propriété collective, ils critiquent vivement l’apologie que font
les libéraux de la propriété privée352. Il est vrai que le poids de la pauvreté et des
inégalités est devenu plus préoccupant qu’auparavant353. Le problème figure parmi les
difficultés d’ordre social auxquels la Chine est confrontée au regard des perspectives
de développement. Il s’agit principalement des inégalités régionales d’une part et,
349 V., ZHENG Yongnian, Globalization and State transformation in China, op. cit., pp. 174 à 179. 350 XU Youyu, « Ziyouzhuyi yu dangdai Zhongguo (Le libéralisme et la Chine contemporaine) », loc. cit. 351 V., Linda WONG, « Market reforms, globalization and social justice », Journal of contemporary China, vol. 13, n° 38, 2004, pp. 167, 168. 352 V., ZHANG Lun, La vie intellectuelle en Chine depuis la mort de Mao, Fayard, 2003, pp. 249, 250. 353 La Banque mondiale a chiffré à près de deux millions le nombre de Chinois vivant avec moins de deux dollars par jour. V., Homi KHARAS, Indermit GILL, An East Asian renaissance: idea for economic growth, World bank, 2006, p. 63. La Banque asiatique du développement calcule que la portion des urbains pauvres serait passée de l % en 1984 à 10.3% en 1999 pour les résidents permanents et à 15.2 % pour les immigrants urbains. Et la distribution des revenus devient plus inégalitaire envers les pauvres urbains, qui ne peut que creuser l’écart des richesses V., Wing Thye WOO, LI Shi, YUE Ximing, Harry WU, XU Xinpeng, The poverty challenge for China in the new Millenium, report to the Poverty Reduction Taskforce of the Millennium Development Goals Project of the United Nations, octobre 2004, pp. 2, 12.
114
d’autre part, des inégalités entre les villes et les campagnes 354 . Selon Thierry
PAIRAULT, les pratiques socialistes qui ont été largement relayées par celles propres
au marché sont d’une manière générale la cause principale qui génère la pauvreté et
l’inégalité de la répartition355. La préférence au développement industriel par l’octroi
de considérables avantages sociaux aux citadins a pu maintenir la paysannerie dans une
pauvreté voulue. Le bien-fondé du renforcement de la protection de la propriété privée
est mis en doute par les « néogauchistes », dans la mesure où « si le processus de
privatisation n’est pas démocratique et équitable, ce processus de légitimation ne fait
que protéger le processus de la distribution illégale »356, en témoignent les abus de
pouvoir ayant permis à certains individus de s’approprier indûment des biens sociaux.
La réforme économique aboutissant à la légitimation de la propriété privée était
également contestée parce qu’elle rend précaire des biens des entreprises non
publiques nées dans le contexte de la réforme où la légalité n’était pas bien établie357.
En s’appuyant sur la prédominance de la propriété publique telle qu’est affirmée par la
Constitution, certains conservateurs ont tenté de remettre en cause le bien-fondé de la
révision constitutionnelle proclamant l’inviolabilité de la propriété privée358, et ont
réussi à reporter l’adoption de la loi sur les droits réels en profitant de la procédure de
contrôle constitutionnel établie par la loi sur l’élaboration des normes juridiques
adoptée en 2000359.
102. - Mais la contestation s’appuie également sur la répugnance de l’illégalité de
l’acquisition des biens privés, qui se traduit par l’idée de corruption primitive liée à la
naissance des entreprises non publiques. Comme on l’a constaté, « l’économie chinoise
354 V., Angus MADDISON, L’économie chinoise : une perspective historique, op. cit., pp. 23, 24. 355 Thierry PAIRAULT, Petite introduction à l’économie de la Chine, op. cit., pp. 52, 54. 356 WANG Hui, «Dangdai Zhongguo de sixiang zhuangkuang he xiandaixing wenti (L’état de la pensée chinoise contemporaine et la question de la modernité) », in Les positions des intellectuels : Débat sur le libéralisme et la scission de l’intelligentsia chinoise (Zhishifenzi lichang : ziyouzhuyi zhizheng yu Zhongguo sixiangjie de fenhua), op. cit., p. 93. 357 V., WEI Qing, « Bie wujiele siyou caichan baohu (Ne pas mal interpréter la protection de la propriété privée) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/comments/2004-03/10/content_1355052.htm, consulté le 12 mars 2004. 358 V., La lettre ouverte de GONG Xiantian, disponible sur le site http://www.law-walker.net/detail.asp?id=3624, consulté le 24 mars 2006. 359 V., infra, n° 138 et s.
115
est contrôlée par des réseaux formés de détenteurs de pouvoirs et de leur clientèle »360.
D’ailleurs, le secteur privé était toujours conféré un statut inférieur et faisait l’objet de
discriminations multiples. Pour échapper aux contraintes qui pèsent sur eux, les
entrepreneurs ont recours à diverses stratégies de contournement –par excellence le
phénomène de « chapeaux rouges »361, corruption, activités clandestines et illicites :
« ce sont des stratégies qui ont rendu possible le développement du secteur privé, bien
avant l’intervention de mesures officielles, mais ce sont elles aussi qui le rendent très
vulnérable »362. Bien avant la révision constitutionnelle de 2004, certains considéraient
que « toute création d’entreprise privée était affligée du ‘péché originel’ quel que soit
les circonstances de l’enfantement », dans la mesures où « la création d’une entreprise
privée serait un acte de rébellion en même temps qu’une prévarication car le plus
souvent il a fallu indûment ‘privatiser’ le patrimoine commun dont le souci revient par
essence au Parti »363. Face à ce courant hostile au secteur privé, le PCC est venu tout
d’abord à établir la ligne officielle –théorisée par les « Trois Représentativités »– selon
laquelle on ne peut plus stigmatiser ceux qui s’enrichissent tant par leur propre travail
que par celui des autres364, et par la même, établir une véritable coopération entre des
entrepreneurs privés et le PCC365. L’autorité locale est venue ensuite pour y prêter son
360 Jean-Louis ROCCA, « Le capitalisme chinois ou les paradoxes du flou », Pouvoirs, n° 81, 1997, p. 21. 361 Thierry PAIRAULT, « L’affaire de SUN Dawu : Codification des droits réels et microfinance », op. cit., p. 28. L’auteur constate que « Les nouveaux entrepreneurs individuels eux-mêmes instrumentalisent l’absence d’un cadre juridique cohérent pour se protéger d’un État qu’ils considèrent comme une menace tant pour la privatisation de l’économie elle-même que pour la libre gestion de leur ‘propriété’. Et la meilleure façon de se protéger de l’État était de s’en réclamer de collusion avec ses représentants. D’où le port d’un ‘chapeau rouge’ (dai hongmaozi) pour cacher les origines de l’entreprise ». 362 Marie-Claire BERGERE, Capitalisme et capitaliste en Chine, op. cit., p. 287. 363 Thierry PAIRAULT, « L’affaire de SUN Dawu : Codification des droits réels et microfinance », op. cit., p. 38. 364 V., JIANG Zemin, Intervention du rassemblement de célébration du 80e anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois (1er juillet 2001), disponible sur le site http://french.china.org.cn/e-speech/f-jiangzm.htm, consulté le 12 mars 2008. Comme la théorie des « Trois Représentativités » l’exige, «il n’est plus justifié de considérer simplement la situation financière et l’importance des biens d’une personne comme le critère de son attitude politique, mais de la juger à travers ses comportements réels et ses conceptions politique et idéologique, selon le mode d’acquisition de ses biens et la façon dont elle en dispose et en fait usage, et selon la contribution qu’elle a apportée, grâce à son labeur, à l’édification du socialisme à la chinoise ». 365 Bruce J. DICKSON, Red capitalists in China: The Party, private entrepreneurs and prospects for
116
soutien, en exigeant que les organes judiciaires prennent soin dans le jugement des
affaires mettant en cause des activités des entrepreneurs privés366. Peu de temps après
la révision constitutionnelle de 2004, le CAE a adopté en février 2005 son document
officiel intitulé « Opinions sur l’encouragement, le soutien et la direction du
développement des entreprises non publiques » qui a pour vocation de consolider le
statut du secteur privé par l’élargissement d’accès au marché auparavant réservé aux
secteurs publics et la suppression des discriminations, notamment en ce qui concerne le
financement des entreprises privées367. Toutes ces mesures issues de l’autorité publique
ont été expliquées par la presse chinoise comme un signe symbolique de l’exonération
du péché originel des entreprises privées368. Si la condition de légalité n’était plus
problématique sur le plan politique, l’article 13, « la propriété privée légale est
inviolable », peut toutefois faire rebondir la question sur le plan juridique à savoir s’il
existe une limite à la garantie constitutionnelle de la propriété privée, à cause de
l’adjectif « légale ». En d’autres termes, si seuls les biens légalement ou légitimement
acquis sont-ils protégés par la Constitution ? Cette question d’ordre politique amènera
à l’examen sur les résistances juridiques à la proclamation constitutionnelle de la
propriété privée369.
B. – La répercussion des critiques « néogauchistes » sur le
remaniement de la politique de l’État
103. - Si les critiques « néogauchistes » se déroulent dans un cercle restreint, trop
marginal pour véritablement influer sur les évolutions à court terme, on ne peut pour
political changes, Cambridge University Press, 2003, p. 115. 366 V., par exemple, Décision relative à la création par les organes juridiques des circonstances favorables à l’amélioration de l’écnomie de marché, adoptée par la Commission politico-judiciaire du Comité provincial du PCC de Hebei, le 31 décembre 2003. 367 V., CAE, Guofa n° 2005 (3), publié le 19 février 2005. 368 V., notamment, LI Yining, «Minying qiye yuanzui bufuhe shiji (L’hypothèse de ‘péché originel’ des entreprises non publiques est mal fondée)», disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/newscenter/2004-03/10/content_1355751.htm, consulté le 10 mars 2004 ; HU Deping, « Minying qiye meiyou yuanzui (Pas de péché originel pour les entreprises privées) », Zhonghua gongshang shibao (China Business Times), 24 novembre 2006. 369 V., infra, n° 115 et s.
117
autant sous-estimer ses répercussions à moyen et à long terme. Les revendications des
libéraux d’une meilleure garantie du droit de propriété, d’une concurrence libre et
égale correspondent parfaitement aux attentes de la classe moyenne naissante du
secteur non étatique, alors que l’insistance des « néogauchistes » sur la justice sociale
en faveur des plus démunis est loin d’être inutile pour éviter les dérives dans le futur.
Pour répondre à la pensée « néogauchiste », les libéraux soulignent que le libéralisme
économique, dans la mesure où il implique transparence, respect de la loi et
concurrence loyale –autrement dit, un État de droit– est garant d’une certaine justice
sociale qui profite à tous également. D’ailleurs, la polémique avec les
« néogauchistes » a permis à une partie des libéraux de prendre conscience de certains
revers du libéralisme économique et de l’économie de marché, en réajustant leurs
positions théoriques sur la prospective de la réforme en Chine370. Le politique du PCC
a bien pris en compte certaines idées néogauchistes à propos de l’égalité sociale.
Traduisant le souci de l’État de maintenir un équilibre entre économie libérale et
justice sociale, les mots d’ordre de construire une société d’harmonie (hexie
shehui)371et d’introduire le concept de développement scientifique (kexue fazhanguan)
visent la réalisation de l’équité et de la justice comme l’un des objectifs prioritaires du
développement du pays. Réduire le phénomène de la fracture sociale entre riches et
pauvres, permettre aux gens de s’enrichir ensemble, ainsi qu’aider les pauvres à s’en
sortir, tout en laissant une partie de la population devancer les autres sur le chemin de
l’enrichissement constituent les éléments de la ligne directrice du PCC. Or, il faut
remarquer ici la particularité du droit chinois en matière de réalisation de la justice
sociale. À la différence de certains paysans occidentaux, par exemple, la France, où la
conciliation entre la justice sociale et l’appropriation privée des richesses se fait
principalement par les impôts ou d’autres mesures fiscales qui s’inscrivent dans les
limitations au droit de propriété, tout en affirmant sans équivoque ce dernier en tant
que droit fondamental, l’un des facteurs de l’inégalité en Chine relève de la
catégorisation des propriétés dans son droit, et par conséquent de la différenciation des 370 V., Chloé FROISSART, « La naissance du libéralisme chinois dans les années 1990 », Esprit, décembre 2001, p. 123. 371 V., Résolution sur des questions relatives à la construction de la société d’harmonie socialiste, adoptée lors du sixième plénum du XVIe Comité central du PCC, le 11 octobre 2006.
118
statuts et contenus des différentes propriétés. Cette différenciation s’avère plus
nettement dans le domaine du droit foncier où les droits d’usage du sol se distinguent
selon la localisation des terrains dans les zones urbaines ou rurales. Les titulaires des
droits d’usage su sol de la propriété collective dans les zones rurales, qui sont les
paysans, sont en effet largement défavorisés par rapport aux titulaires des droits
d’usages du sol dans les zones urbaines. Par exemple, la sécurité des droits d’usage des
paysans est davantage menacée par les abus d’expropriation des terres collectives. Les
paysans subissent des restrictions plus lourdes quant à la cessibilité de ce droit d’usage
portant sur les terres arables. Ces deux phénomènes placent les paysans dans une
situation où la valorisation de leur droit foncier est presque figée, sinon juridiquement
inadmissible. C’est pour stimuler la croissance des revenus des paysans que la
jouissance de leur droit de propriété doit être renforcée au lieu d’être limitée. Cette
exigence a été déjà prise en compte dans l’orientation politique du PCC. En effet, la
protection des terres arables contre l’expropriation illégale, la stabilisation du droit
d’exploitation forfaitaire des terres rurales et la construction du système juridique
permettant la libre transaction du droit d’usage des terres rurales sont conçues comme
mesures prioritaires à prendre par l’État pour lancer le développement du secteur
agricole372.
104. - Encore faut-il souligner que la réforme récente menée par le gouvernement
central en ce qui concerne l’amélioration du statut des paysans dans l’exercice de leurs
droits d’usage confirme l’hypothèse d’Amartya SEN qui distingue la pauvreté par le
revenu et par les capacités. Selon cet auteur, « pour tout individu, améliorer les
capacités dont il dispose pour conduire sa vie, tend, d’une manière générale, à faciliter
ses possibilités d’accroître sa productivité et ses revenus »373. En d’autres termes, c’est
la privation de capacités qui est à la cause de la pauvreté et l’inégalité par le revenu374.
En cas de Chine, réduire la pauvreté et accroître les revenus des paysans afin de
réaliser l’égalité et la justice sociale, appelle à leur reconnaître davantage les droits et à
372 V., HU Jintao, Rapport d’activités présenté devant le XVIIe congrès du PCC, le 15 octobre 2007, cinquième partie, section III. 373 Amartya SEN, Un nouvau modèle économique, développement, justice, liberté, Éditions Odile Jacob, 2000, p. 98. 374 Ibid., pp. 113 à 117.
119
prévenir de manière efficace la privation de capacités. Il est intéressant d’observer
qu’en Chine les intellectuels ont récemment posé une nouvelle vision de « pauvreté de
droits des paysans »375, pour décrire la raison principale de l’inégalité dont subissent
ces derniers. L’idée de reconnaître davantage droits aux personnes défavorisées dans la
réforme vers l’économie de marché pourrait réduire la tension entre la protection de la
propriété privée et la justice sociale, sur laquelle portent les divergences entre les
libéraux et les « néogauchistes ». Mais les critiques des « néogauchistes » soucieux de
justice sociale ont relevé la particularité de la réforme juridique en matière de droit de
propriété. Cette réforme était étroitement liée à un régime politique caractérisé par
l’État-Parti, et par conséquent, l’inégalité dans la jouissance de la propriété résultait
moins de la force du marché que de l’orientation politique de l’État. Ce qui amène à
l’autre aspect de la résistance à la consécration constitutionnelle du droit de propriété.
§ 2. – La prédominance du politique dans la réhabilitation du droit de
propriété privée
105. - La Constitution de 1982 proclame la primauté de la loi, mais elle exprime
aussi le leadership du PCC376. Comme Stanley LUBAN l’a souligné, « la législation
dépende toujours du politique, elle est donc potentiellement secondaire par rapport à
la formulation des politiques spécifiques par le PCC »377. Selon la doctrine dominante,
les lignes directrices et politiques du PCC n’ont pas force de loi. En conséquence, elles
ne peuvent pas remplacer le droit. Elles ne deviendront une loi qu’après leur adoption
375 V., DONG Heping, CHANG An, « Zhuanxingqi nongmi zhengzhi quanli de baohu (La protection des droits politiques des paysans chinois à l’époque de transition)», Fazhi lunchong (The rule of law forum), 2007, pp. 78 à 83 ; LI Shiping, JIANG Meili, SUN Hanbing, « Shidi nongmin pinkun xianzhuang yuanyu zhongguo nongmin quanli pinkun (La pauvreté de droits est la cause de la pauvreté de revenus des paysans chinois : à propos de l’indemnisation en cas d’expropriation) », Nongcun jingji (Rural Economy), 2006, n° 1, pp. 27 à 30; LIU Huazhen, LEI Hong, « Shidi nongmin de shehui quanli pinkun (La pauvreté de droits sociaux des paysans privés de terres) », Jingji yu shehui fazhan (Economic and social development), 2006, n° 2, pp. 158 à 160; HONG Zhaohui, « Lun zhongguo nongmin tudi quanli de pingkun (La pauvreté de droits sur les terres des paysans chinois) », Dangdai zhongguo yanjiu (Modern China Studies), n° 1, 2004. 376 V., le 7e paragraphe du Préambule de la Constitution 1982. 377 Stanley LUBMAN, Bird in a cage: Legal reform in China after Mao, op. cit., p. 140.
120
par l’autorité législative compétente suivant le résultat de la pratique concrète.
« L’avenir de cette heureuse évolution dépend encore cependant du bon
fonctionnement de la démocratie chinoise »378. Tant que la relation entre la politique du
PCC et la législation étatique n’est pas normalisée, l’instabilité (A) et le pragmatisme
(B) de la politique continuent à être la cause de la précarité du statut constitutionnel du
droit de propriété.
A. – L’instabilité de la politique et ses impacts sur le droit de propriété
106. - Il est vrai que la propriété privée a subi d’une histoire sinueuse en droit
chinois depuis la fondation de la République Populaire de Chine à cause du
changement incohérent des politiques (1). Certes, à l’époque contemporaine, il ne
s’agit plus du problème de la simple affirmation ou négation de la propriété privée,
mais des atteintes importantes à ce droit qui sont également liées à l’instabilité de la
politique (2).
(1). – L’histoire sinueuse de la propriété privée en Chine populaire
107. - Le caractère capricieux de la mutation de la politique en matière de droit de
propriété se manifeste plus nettement en ce qui concerne le régime foncier dans les
zones rurales qui a connu six grands changements d’orientation : quatre phases de
collectivisation qui se sont poursuivies jusqu’à la suppression totale de la propriété
privée et deux phases de marche arrière, qui amenèrent pratiquement à un retour à la
case départ379. Il convient de rappeler qu’après la fondation de la République populaire
de Chine en 1949, pour abolir le régime de propriété privée et instituer un régime
foncier basé sur la propriété des paysans et soucieux de libérer les forces productives
dans les régions rurales, de redresser et de développer la production agricole afin
d’ouvrir la voie à l’industrialisation, la loi de la République populaire de Chine sur la
378 Dominique T. C. WANG, Les sources du droit de la République populaire de Chine, Genève : Librairie Droz, 1982, p. 165. 379 V., Angus MADDISON, L’économie chinoise : une perspective historique, op. cit., pp. 84 à 86.
121
réforme agraire fut promulguée en juin 1950. Cette loi prévit de confisquer les terres
des propriétaires fonciers et de les distribuer à titre gratuit aux paysans sans terres ou
qui en manquaient. La réforme agraire permit de supprimer en Chine, en 1953, le
régime de propriété privée des terres, d’abolir le système d’affermage et d’attribuer la
terre à ceux qui la travaillaient. Plus de 300 millions de paysans qui n’eurent que peu,
voire pas de terre se partagèrent 700 millions de mus de terres380. De plus, ils acquirent
le droit à l’exploitation en toute liberté, au commerce et à la location des terres qu’ils
possédèrent. À cette période, les paysans furent les propriétaires des terres qu’ils
occupèrent pour l’exploitation agricole. Certes, cette appropriation privée des terres et
surtout l’exploitation familiale avérèrent très vite incompatibles avec l’idéologie
socialiste de l’économie où la planification centrale l’emporta sur la régulation des
forces du marché. Pour développer la production et permettre aux paysans de mener,
aussi vite que possible, une vie aisée et enfin éviter la bipolarisation en terme de
richesses, l’État lança l’appel aux paysans chinois de s’organiser en groupes d’entraide
et en coopératives de type inférieur dans la production agricole pour dépasser
l’exploitation individuelle et familiale. Bien que la nature privée de la propriété
foncière demeurât inchangée dans la coopérative, les paysans qui y adhérèrent durent,
comme contribution, céder leurs terres pour une gestion unifiée par la coopérative. En
1956, soit six ans après la promulgation de la loi sur la réforme agraire et à peine deux
ans après la promulgation de la Constitution de 1954 affirmant la propriété privée
foncière, une campagne eut lieu en Chine visant à institutionnaliser les coopératives de
type supérieur au sein desquels la terre, la traction animale et la machine lourde, après
évaluation de leur coût, furent cédées aux coopératives pour devenir propriété
collective utilisée de façon communautaire. Par le mouvement du « Grand bond en
avant » déclenché en 1958, période durant laquelle furent établies les communes
populaires comme base de la gestion des biens et de production agricole commune, la
propriété privée foncière des paysans fut complètement remplacée par la formule floue
et peu juridique de la propriété collective à trois échelons, c’est-à-dire que les terres,
ainsi que tous les moyens de production, furent théoriquement répartis entre les
équipes de production, les brigades et les communes populaires. 380 Un « mu » de terre vaut approximativement 650 m².
122
108. - Dès le début de la réforme lancée à la fin des années 70, le fameux discours
de DENG Xiaoping –« Peu importe que le chat soit noir ou blanc, s’il attrape des
souris... » fut appuyé pour justifier la propriété privée des entreprises par ses
contributions au développement économique et à l’accroissement de la richesse381. Il
s’agit-là d’un tournant de la politique du PCC de la lutte des classes vers la quête du
développement économique et de l’amélioration du niveau de vie du peuple. La
résolution du Comité central du PCC relative à la construction de l’économie socialiste
de marché en 1993 précéda la révision de l’article 13 de la Constitution en 2004, dans
la mesure où elle prévoyait que « [L]’État protège tous les biens et revenus légalement
acquis par les citoyens et les personnes morales… »382. Par une deuxième résolution en
2003 relative à l’amélioration de l’économie de marché, le PCC précisa les mesures à
adopter afin d’assurer le développement des entités économiques non publiques à
égalité avec les entités économiques de propriété publique. Ces mesures tinrent
notamment à l’élargissement des secteurs économiques accessibles auparavant réservé
à l’économie de propriété publique et à la mise en place du traitement égal des
entreprises publiques et privées383. Dans la même résolution, le PCC mit l’accent sur la
nécessité d’un régime moderne de propriété, surtout la protection de la propriété privée,
pour assurer le bon fonctionnement de l’économie de marché. L’idée sous-jacente fut
que la propriété privée fut non seulement à la base de la survivance des secteurs
économiques privés, mais aussi du développement de l’économie nationale384. Tout
dépendant de la détermination du PCC, si « les entrepreneurs ont joué un certain rôle
pour la reconnaissance du droit de propriété privée, ils n’ont rien imposé et, si le
régime n’avait pas décidé de franchir ce pas, ils n’auraient pas pu l’y contraindre »385.
381 Selon DENG Xiaoping, « La pauvreté n’est pas le socialisme, ni le communisme non plus ». V., discours de DENG en date du 30 juin 1984, in DENG Xiaoping wenxuan (Oeuvres choisies), tome 3, Renmin Chubanshe, 1993, p. 64. 382 V., Résolution sur des questions relatives à la construction de l’économie socialiste de marché, précitée, 25e section. 383 V., Résolution sur des questions relatives à l’amélioration de l’économie socialiste de marché, précitée, 5e section. 384 BIAN Yaowu, « Zhongguo feigongyouzhi jingji fazhan de falü jichu (Le fondement juridique du développement des économies non publiques en Chine) », Zhongguo Faxue (China Legal Science), n° 12, 2003, pp. 54, 55. 385 Marie-Claire Bergère, Capitalisme et capitalistes en Chine, op. cit., p. 342.
123
Comme on l’observe, c’est toujours le Comité central du PCC qui prend l’initiative et
envoie à l’APN ses propositions relatives à la révision de la Constitution, si bien que
l’on considère comme constituant une coutume constitutionnelle386, révélatrice donc de
l’absence de l’autonomie du droit chinois par rapport à la politique du parti. Si la
politique a beaucoup évolué en moins d’un demi-siècle, son caractère capricieux n’a
pas changé et qui peut toujours influencer les dispositifs du droit. En d’autres termes,
les choix politiques effectués à un moment donné peuvent être plus tard remis en cause.
Cette pratique peut compromettre l’avenir du droit de la propriété privée en Chine. À
l’époque contemporaine, l’incohérence du changement des politiques, qui s’inscrit
dans la régulation économique gouvernementale, demeure une menace à l’effectivité
de la protection de la propriété.
(2). – L’impact actuel de l’instabilité de la politique sur le droit de propriété
109. - Dans un contexte où l’intervention étatique dans l’économie nationale est très
fréquente et s’opère avec peu de prévisibilité, la dimension économique de l’exerce du
droit de propriété peut être directement influencée par le changement des politiques
économiques de l’État. Il s’agit notamment de la régulation gouvernementale sur les
opérations relevant des différents secteurs économiques. Le gouvernement peut
d’abord admettre –ou plus souvent par accord tacite dans la pratique– que les
personnes privées investissent dans certains secteurs auparavant réservés aux acteurs
publics, mais ensuite, par un revirement de la politique pour des raisons
conjoncturelles, restreindre leurs activités ou même les interdire. Cette instabilité
politique provoque l’insécurité juridique des opérations industrielles et commerciales
des personnes privées. Il en est ainsi dans le secteur bancaire et financier
traditionnellement –considéré comme secteur-clé de l’économie nationale et justifiant
l’intervention étatique– où le changement de la politique gouvernementale est
relativement plus versatile. L’étude de M. Thierry PAIRAULT sur l’évolution du statut
386 ZHANG Qingfu, « Jianquan xianfa pingwen fazhan jizhi, baozheng xianfa guanche shishi (Compléter le système du développement stable de la Constitution et garantir sa mise en œuvre) », Faxue zazhi (Law Science Magazine), 2003, n° 1, p. 5 à 9.
124
des maisons de prêt sur gage en Chine387 démontre par excellence l’impact de
l’instabilité politique dans ce secteur sur les droits et intérêts des acteurs privés. Les
maisons de prêt sur gage à capitaux privés firent leur réapparition dans les années 80,
une trentaine d’années après leur disparition. Leur rapide prolifération dans les années
90 témoigna de la prospérité de l’économie chinoise à l’époque. L’engouement saisit
aussi bien des individus à la recherche de bénéfices faciles que des services publics
soucieux de mieux soutenir leurs usagers. Les succès des officines amenèrent les
maisons de prêt sur gage à rechercher davantage de moyens de financement pour faire
face à des demandes grandissantes de prêts. Dans le même temps, elles pratiquèrent le
prêt sur gage, elles se lancèrent dans la gestion de comptes de dépôt qu’elles
proposèrent de rémunérer à des taux supérieurs à ceux offerts par les banques étatiques.
Assez étonnamment, aucun texte réglementaire ou législatif ne fut édicté en vue de
définir et de réglementer l’activité des maisons de prêt sur gage, expliquant sans doute
la prolifération incontrôlée d’officines ainsi que la diversité de leurs pratiques. De fait,
nombre de maisons de prêt sur gage ne furent là que pour dissimuler des banques
privées. Face à la menace que les maisons de prêt sur gage présentèrent aux intérêts
des banques publiques, l’ancien vice-Premier Ministre ZHU Rongji démarra en juillet
1993 un mouvement de rectification financière aboutissant à la suppression d’un
certain nombre d’officines de prêt sur gage, dans le cadre de la politique nationale de
« restauration de l’ordre financier »388. Mais les agents économiques qui souhaitèrent
mener des activités financières furent non seulement restés grandement indifférents à
l’orientation politique financière, mais encore imposèrent de tels freins au contrôle que
dut exercer la Banque populaire de Chine. L’insécurité du statut juridique des maisons
de prêt sur gage se traduisit aussi par la question de savoir à qui dut conférer l’autorité
de tutelle. Cette ambiguïté subsista en raison des divergences entre les différents
organes étatiques. Suite à des changements successifs à la tête du service en charge des
maisons de prêt sur gage389, finalement, le Ministère du Commerce et le Ministère de
387 V., Thierry PAIRAULT, « Les habits neufs des maisons de prêt sur gage chinoise », Mondes en développement, n° 118, t. 30, 2002, pp. 21 à 38. 388 Banque populaire de Chine, Guanyu jiaqiang diandang hangye guanli de tongzhi (Circulaire sur le renforcement de la gestion des maisons de prêt sur gage), 19 août 1993. 389 Pour les textes relatifs à l’administration des maisons de prêt sur gage, v., Ministère de la Sécurité
125
la Sécurité Publique promulguèrent conjointement le Règlement d’administration de
prêt sur gage en 2005390. Désormais, les maisons de prêt sur gage, après avoir obtenu
les licences, peuvent entreprendre leurs activités de prêt dans tous les domaines, sauf
les opérations bancaires interdites par ledit règlement. Mais il fallut attendre presque
vingt ans pour que le régime juridique relatif aux maisons de prêt sur gage soit
définitivement établi. Non seulement l’exerce du droit d’entreprendre des opérateurs
dans ce domaine, mais aussi les actes de gage qui sont la forme par excellence de
l’exerce du droit de propriété par le biais des maisons de prêt sur gage, ont subi
l’insécurité juridique pendant des années en raison de l’ambiguïté et l’instabilité de la
politique gouvernementale. Selon M. Thierry PAIRAULT, l’histoire des maisons de
prêt sur gage en Chine est instructive sur cette question du droit et des difficultés à le
formuler. En effet, « le développement du secteur privé en Chine apparaît davantage
comme le sous-produit des libertés prises par le secteur public que comme la
manifestation d’un esprit d’entreprise dont ferait preuve un peuple chinois
révolutionné par l’économie de marché »391. Or, il existe d’autres cas dans lesquels le
peuple cherche à établir certains droits de bien, en se débarrassant des contraintes des
règles formelles. Stimulés davantage par la force du marché, ils subissent toutefois
l’insécurité juridique à cause même de l’instabilité politique. Il en va ainsi dans le
domaine du droit foncier.
110. - Depuis la fin des années 90 où le processus d’urbanisation s’accéléra avec la
flambée du prix immobilier, les collectivités locales se situant dans les agglomérations
urbaines furent encouragées à transférer leurs terrains de propriété collective aux
promoteurs immobiliers pour la construction d’appartements qui furent finalement mis
en vente au public dont la majorité fut des citadins. Le prix significativement bas des
appartements, en raison de leur situation géographique éloignée du centre ville, fut un
atout qui concerna les acheteurs citadins à revenu moyen. Dans ce contexte, les Publique, Mesures d’administration de sécurité publique sur les maisons de prêts sur gage, promulguées le 30 mai 1995 ; Banque populaire de Chine, Mesures provisoires sur l’administration des maisons de prêts sur gage, promulguées le 3 avril 1996 ; Commission d’État à l’économie et au commerce, Règlement d’administration des maisons de prêts sur gage, 8 août 2001. 390 Ministère du Commerce, Ministère de la Sécurité Publique, Règlement d’administration de prêt sur gage, promulgué le 9 février 2005 et entré en vigueur le 1er avril 2005. 391 Thierry PAIRAULT, « Les habits neufs des maisons de prêt sur gage chinoise », op. cit., p. 37.
126
appartements ainsi édifiés se répandirent dans la pratique. Or, il faut souligner que
l’ensemble des transactions susvisées est hors la loi : les collectivités locales n’ont pas
le droit de transférer aux promoteurs immobiliers leurs terrains qui sont de propriété
collective et par conséquent faisant l’objet de l’interdiction de la transaction
commerciale. Les promoteurs immobiliers n’ont pas le droit de construire des
habitations sur les terrains collectifs dont l’usage est réservé par la loi à l’usage
agricole. Les acheteurs ne peuvent pas avoir un titre légal sur les appartements qu’ils
s’approprient par le contrat de vente, puisque les citadins n’ont pas le droit de
s’approprier le droit d’usage du sol dans les zones rurales. Par conséquent, l’organe
gouvernemental compétent pour inscrire ces biens immobiliers au registre ne peut pas
délivrer, à la demande des acheteurs, un quelconque titre légal sur les appartements
ainsi acquis. Pour rassurer les acheteurs d’appartements, ce furent généralement les
collectivités locales qui préparèrent les papiers attestant la possession du droit du sol
par les acheteurs des appartements édifiés sur les terrains à l’intérieur de leurs
territoires. Dans la pratique, ces papiers sont souvent appelés les « petits titres de
propriété (xiao chanquan zheng) », révélant ainsi leur nature locale qui n’est pas
formellement reconnue par la loi étatique. Certes, il est assez paradoxal qu’en dépit de
la répétition de la politique gouvernementale condamnant l’illégalité des appartements
de « petit titre de propriété »392, aucune mesure de contrôle ou de sanction n’a été
effectivement adoptée pour en prévenir la prolifération. La croissance du nombre des
appartements de « petit titre de propriété », avec l’expansion du marché des
transactions de ces appartements, a récemment provoqué des débats autour de la
question si les appartements construits sur les terrains collectifs doivent être légitimés
en reconnaissant à leurs acheteurs un titre légal393. Dans cette affaire, mis à part des
392 Les politiques sont constantes en stipulant l’illégalité des appartements pour l’usage commercial, édifiés sur les terrains collectifs dans les zones rurales, v., le document officiel le plus récent du CAE, Guanyu yange zhixing youguan nongcun jiti jianshe yongdi falü he zhengce de tongzhi (Avis sur l’application avec rigueur des lois et politiques relatives aux terres collectives à l’usage de construction dans les zones rurales), n° Guobanfa (2007) 71, 30 décembre 2007. 393 Pour le détail des débats, v., le site http://house.people.com.cn/2007zt/xcqf/index.htm, consulté le 1er décembre 2008. En février 2008, un projet de loi sur les constructions d’habitation est préparé au milieu des intellectuels, dans lequel est proposée la légalisation des appartements avec petit titre de propriété, v., le site http://news.cctv.com/china/20080226/100275.shtml, consulté le 1er décembre 2008.
127
considérations économiques et financières, le gouvernement central se met toutefois
dans un dilemme à l’égard du droit. S’il applique la loi toujours en refusant de
reconnaître un titre légal à ces appartements, les intérêts des acheteurs seront en cause,
la réaction de ces derniers pourrait produire des troubles sociaux déstabilisant le
régime politique, alors que reconnaître ces appartements en abandonnant des lois et
politiques déjà réaffirmées pendant des années pour satisfaire au peuple irait à
l’encontre des exigences de légalité. En l’état actuel, le gouvernement central semble
adopter une approche de compromis. Il réaffirme l’illégalité des collectivités locales et
des promoteurs immobiliers dans la construction d’appartements de « petit titre de
propriété », mais en même temps il promet la protection des intérêts des acheteurs au
motif que ces derniers ne connaissaient pas bien l’interdiction de la loi lors de
l’acquisition des appartements et donc ne l’avaient pas volontairement transgressée394.
Pour l’instant, la protection des intérêts des acquéreurs d’appartements de « petit titre
de propriété » est une promesse du gouvernement central qui n’a qu’une valeur
symbolique car elle ne signifie pas que les acquéreurs auront dans l’avenir leur
propriété pleinement reconnue sur les appartements construits sur les terrains collectifs
à l’usage agricole, puis pourront les vendre au marché immobilier. Avant que les
mesures concrètes ne soient prises par le gouvernement central pour régulariser de
manière précise le titre de droit des appartements qui sont d’origine illégale, le droit
des acquéreurs ne peut que demeurer ambigu. Mais, ce qui est sûr, c’est que
l’incertitude du destin des appartements de « petit titre de propriété » est la
conséquence directe de la politique gouvernementale à la fois instable et incohérente
sur la mise en oeuvre des règles de droit.
B. – Le pragmatisme de la politique de réforme sur le droit de
propriété
394 Cette position est révélée par CHEN Xiwen, directeur du Bureau des affaires rurales du CAE, lors de la conférence de presse organisée par l’Office d’information du CAE en date du 22 octobre 2008, v., le site http://www.scio.gov.cn/xwfbh/xwbfbh/wqfbh/2008/1022/200810/t228191.htm, consulté le 1er décembre 2008.
128
111. - Dans le contexte actuel de la Chine, le pragmatisme de la politique de réforme
se traduit par son « approche à petit pas »395. La redistribution progressive par l’État
des biens publics « sous forme de restructuration du régime de la propriété
publique »396 afin de se libérer des contraintes d’ordre économique et financier, a
accéléré l’augmentation des biens privés tout en évitant la confrontation flagrante avec
l’idéologie socialiste qui entretient une vision négative sur la propriété privée397. Mais
le pragmatisme de la politique de réforme n’a entraîné pas moins des problèmes
juridiques. En effet, certains droits immobiliers sont créés par les mesures de réforme
et à l’absence des règles législatives précises. Ce qui pourrait causer l’insécurité
juridique aux détenteurs de ces droits (1). De même, sur le plan théorique, la politique
de réforme a intentionnellement opté pour l’ambiguïté en ce qui concerne le lien entre
la propriété privée et les droits de l’homme, contournant la question relative au
fondement légitime de ce droit (2)398. Il en résulte que le pragmatisme de la politique
de réforme conduit au pragmatisme du droit qui est la cause principale de l’instabilité
de l’ordre juridique chinois399.
(1). – La création des droits immobiliers à l’absence des règles législatives précises
112. - L’expérience de la réforme montre que l’importance du droit de propriété est
pratiquement attachée à la dimension économique, d’autant que la déclaration par la
Constitution chinoise sur l’inviolabilité de la propriété privée correspond dans une
large mesure à l’exigence de la libéralisation économique400. Outre les deux exemples
395 Hongyi Harry LAI, Reform and the non-State economy in China: the political economy of liberalization Strategies, op. cit., p. 2. 396 Jean C. OI, Andrew G. WALKER (éd.), Property rights and economic reform in China, op. cit., p. 6. 397 V., Maurice MEISNER, The Deng Xiaoping era: an inquiry into the fate of socialism 1978-1994, New York: Hill and Wang, 1996, p. 513. 398 V., Edward STEINFELD, Forging Reform in China: the fate of State-owned industry, Cambridge University Press, 1998, pp. 7, 27. 399 V., YU Xingzhong, « Legal pragmatism in the People’s Republic of China », in Perry KELLER (éd.), Chinese law and legal theory, Ashgate Publishing Company, 2001, pp. 61 à 84. 400 Hal BLANCHARD, « Constitution revisionism in the PRC: ‘seeking truths from facts’ », 17 Fla. J. Int'l L. 365; Arjun SUBRANHMANYAN, « Constitutionalism in China: changing dynamics in legal and political debates », China L. & Prac., mai 2004, p. 27.
129
qui reflètent le pragmatisme de la politique relative à la propriété privée, à savoir la
reconnaissance de la propriété privée par le biais des entités économiques non
publiques et la reconnaissance des droits d’usage du sol résultant de la revalorisation
des terres publiques, il faut encore rappeler l’émergence et l’augmentation des
logements de titre privé dans les villes résultant de l’urbanisation à marche forcée. En
effet, le régime de distribution des logements sous forme d’habitation à loyer modéré,
perçue aussi comme un service social en cette période d’économie planifiée, fut
progressivement aboli à partir du milieu des années 90. Par la réforme mise en place
par le CAE depuis 1998401, les entreprises publiques et les établissements publics se
virent interdire d’acheter ou de construire des appartements et de les distribuer à leur
personnel. Comme mesure de substitution, les subventions financières furent offertes
aux employés pour les aider à acquérir les appartements sur le marché. Pour former les
sources budgétaires des subventions, les gouvernements des villes procédèrent à la
vente d’appartements de propriété publique déjà loués au personnel. Du même coup,
les locataires occupants se transformèrent aux propriétaires et purent finalement
disposer de la propriété de leurs appartements. En conséquence, différents types de
marchés immobiliers apparurent, allant de l’habitation dite « commerciale » –la plus
récente et la plus chère, assorti d’un titre de propriété permettant la revente et la
location immédiates–, à l’appartement privatisé –dont l’acquisition est réservée aux
employés ayant un certain nombre d’années dans l’entreprise et avec un prix réduit–, et
au logement subventionné et de qualité médiocre dont l’acquisition fut réservée aux
personnes défavorisées. « Dès 2000, dans les villes côtières, 70% des logements
publics avaient été cédés. Un milliard six cents millions de mètres carrés sont ainsi
passés des mains de l’État à celles de personnes privées, qui lui ont versé 95 milliards
de dollars, soit 20% de leur valeur estimée »402. Il faut souligner que cette réforme
répandue de la cession des appartements publics aux personnes privées n’a été prévue
par aucune loi formelle au niveau national. Les acheteurs d’appartements publics
401 CAE, Guanyu jinyibu shenhua chengzhen zhufang zhidu gaige jiakuai zhufang jianshe de tongzhi (Avis sur la réforme du régime de logement dans les zones urbaines et l’accélération de la construction des habitations), n° Guofa (1998) 23, 3 juillet 1998. 402 Éric MEYER, Sois riche et tais-toi ! Portait de la Chine aujourd’hui, Robert Lafffont, 2002, 145.
130
peuvent encourir des risques quant à leur titre de propriété sur les biens immobiliers
qui se compose de deux documents, à savoir, un pour le sol et un pour l’édifice.
113. - Or, dans la pratique, tous les deux titres sont fort difficiles à obtenir. En effet,
les appartements publics sont généralement construits sur les terrains dont l’usage est
attribué par l’État à titre gratuit à des entreprises ou à des établissements publics. Si ces
derniers peuvent céder la propriété des appartements selon les mesures de réforme
admises par le gouvernement central, ils ne peuvent céder les droits d’usage des
terrains qu’après avoir rempli les conditions et modalités en vertu de la loi en
vigueur403. Il s’agit essentiellement de transformer le droit d’usage des terrains par
l’attribution gratuite au droit d’usage par la concession moyennant le paiement d’une
prime au département gouvernemental compétent. Mais des entreprises publiques,
surtout les établissements publics, en difficulté de financement ou pour des raisons
interdites par la loi, sont souvent incapables d’accomplir la transformation du droit
d’usage par l’attribution en celui par la concession. Il en résulte que les acheteurs
d’appartements publics n’ont que le droit de propriété sur les édifices, sans pour autant
le droit d’usage du sol. Alors que ce phénomène était admis dans les pratiques de
réforme, il ne saurait plus compatible avec la loi sur les droits réels, entrée en vigueur
le 1er octobre 2007 : l’article 147 de celle-ci prévoit sans équivoque que la disposition
des droits réels des constructions, des édifices, ainsi que de leurs accessoires, porte en
même temps sur le droit d’usage du sol occupé. D’où le principe d’intégration des
droits réels du sol et des édifices404. Le problème est d’autant plus compliqué que dans
certains cas, les entreprises publiques ou les établissements publics –tout en se
réservant le statut du nu-propriétaire– ont délivré l’usage de l’appartement public à leur
personnel qui peut exercer la plénitude de ses pouvoirs sur la chose comme
l’usufruitier405. Jusqu’à ce jour, il n’y a pas encore de solution précise –par l’adoption
de nouvelles règles de droit ou de nouvelles mesures de réforme– relative au destin du 403 V., article 39 de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines. 404 V., Commission des travaux législatifs du Comité permanent de l’APN (éd.), Zhonghua renmin gongheguo wuquanfa tiaowen shuoming, lifa liyou ji xiangguan guiding (La loi sur les droits réels de la République Populaire de Chine: explications, motifs et les dispositions pertinentes), Peking University Press, 2007, p. 273. 405 V., Thierry PAIRAULT, « L’affaire SUN Dawu : codification des droits réels et micofinance en Chine», op. cit., p. 33.
131
droit d’usage des terrains par l’attribution à titre gratuit sur lesquels se trouvent les
appartements publics déjà vendus aux personnes privées. Ces dernières se mettent
toujours dans une situation d’insécurité juridique en ce qui concerne le droit d’usage
sur le fonds de leurs appartements. Cette insécurité juridique influence, par conséquent,
la valorisation de leur droit immobilier par la libre transaction au marché ou
l’appréciation des indemnités en cas d’expropriation.
(2). – L’ambiguïté de la politique sur le fondement légitime du droit de propriété au
regard de la protection des droits de l’homme
114. - Les discours officiels du gouvernement chinois ont mis à l’ombre le lien entre
propriété privée et droits de l’homme. En témoigne les livres blancs régulièrement
publiés par le CAE en matière de protection des droits de l’homme en Chine. Le droit
de propriété était pendant longtemps absent dans les livres blancs concernant la
situation des droits de l’homme en Chine. Il faut souligner que la formulation « l’État
respecte et protège les droits de l’homme » a déjà figuré dans les rapports des XVe et
XVIe congrès du PCC, avant qu’elle ne soit intégrée dans la Constitution en 2004,
consolidant par conséquent le statut constitutionnel des droits fondamentaux des
citoyens406. Toutefois, c’est par la publication en octobre 2005 du livre blanc intitulé
« [L]’édification de la politique démocratique en Chine » que le droit de propriété a
été officiellement reconnu comme faisant partie des droits civils et politiques garantis
par la Constitution et la loi. Néanmoins, en ce qui concerne les droits de l’homme, le
livre blanc de 2005 met l’accent sur le droit au développement407. Il en résulte que la
reconnaissance du droit de propriété privée –considéré ailleurs comme la forme la plus
complète du droit subjectif408 qui suppose du collectif à l’individuel du point de vue
406 CAI Dingjian, Xianfa jingjie (Constitution: An intensive reading), op. cit., p. 244. 407 « Le Parti communiste chinois, …considère que le droit à l’existence et le droit au développement comme droits primordiaux de l’homme. Il persiste à en considérer le développement comme la tâche principale… ». V., Office d’information du CAE, L’édification de la politique démocratique en Chine, octobre 2005, Section VII. Disponible au site http://french.china.org.cn/french/200630.htm, consulté le 15 novembre 2005. 408 Selon Jean CARBONNIER, « la propriété est une institution du droit objectif, le propriétaire a un drroit de propriété, qui est un droit subjectif ». V., Jean CARBONNIER, Droit et passion du droit sous la
132
de la sociologie juridique409– n’a pas abouti au changement de la politique. Celle-ci
tend toujours vers le maintien de la primauté du droit au développement et du droit à
l’existence. Alors que la position de la Chine peut –selon la doctrine chinoise–
s’expliquer comme un défi à l’universalisme des droits de l’homme et une correction
nécessaire à l’hégémonie du libéralisme et à la tendance néo-impérialiste du
mouvement de droits de l’homme410, il faut néanmoins souligner que dans le processus
d’évolution aboutissant à la reconnaissance du droit de propriété privée et des droits de
l’homme, l’autorité publique chinoise a à la fois gardé ses caractéristiques répressives
et en même temps a adopté quelques aspects du libéralisme411. En réalité, la singularité
de la situation chinoise aujourd’hui résulte sans doute des contradictions nées des
rapports complexes qu’entretiennent l’État et le marché. L’État a donné naissance au
marché tout en se battant contre son empiètement412, traduisant donc la vigilance par
rapport aux effets du marché. En contraste, selon une conception originale des droits
fondamentaux en France, le caractère fondamental d’un droit se situe en amont du droit
lui-même et en dehors d’un cadre purement formel, car l’adjectif « fondamental »
s’analyse en effet comme porteur de l’importance d’un droit retenue dans la
conception413. Mis à part l’inexistence de la notion d’inviolabilité de la propriété privée
dans la tradition chinoise414, l’effet symbolique de la révision constitutionnelle de 2004
Ve République, Éditions Flammarion, 1996, p. 120. 409 V., Paul ROUBIER, Droits subjectifs et situations juridiques, Dalloz, 1963, p. 29, cité par François TERRE, Philippe SIMLER, Droit civil, Les biens, 7e éd., Dalloz, 2006, pp. 100, 101 ; François TERRÉ, « Sur la notion de libertés et droits fondamentaux », in Rémy CABRILLAC, Marie-Anne FRISON-ROCHE, Thierry REVET (sous la dir.), Libertés et droits fondamentaux, 14e éd., 2008, p. 4. 410 Randall PEERENBOOM, « Law and development of constitutional democracy in China: Problem or paradigm? », 19 Colum. J. Asian L. 185, p. 189. 411 V., Jean-Pierre CABESTAN, « The political and practical obstacles to the reform of the Judiciary and the establishment of a rule of law in China », Journal of Chinese Political Science, vol. 10, n° 1, 2005, p. 44. 412 CHEN Yan, « Le libéralisme chinois face à la société post-totalitaire », Revue des deux mondes, octobre-novembre 2003, p. 156. 413 V., Étienne PICARD, « L’émergence des droits fondamentaux en France », AJDA, n° spéciale, Les droits fondamentaux, une nouvelle catégorie juridique ?, juillet-août 1998, p. 40. 414 JI Weidong, « Xianfagaige de tujing yu caichanquan wenti (Réforme constitutionnelle et problèmes du droit de propriété) », in même auteur, Xianzheng xinlun : quanqiuhua shidai de fa yu shehui bianqian (De nouveaux propos sur le constitutionnalisme : droit et mutations sociales dans le contexte de la globalisation), Peking University Press, 2002, p. 185.
133
est d’autant plus atténuée par le destin chaotique de ce droit. En effet, la propriété
privée fut d’abord abolie dès l’arrivée au pouvoir du PCC, puis réhabilitée comme
résultat de la politique de réforme. Dans le contexte particulier chinois, comme la
révision constitutionnelle de 2004 politiquement porte en elle-même « les germes de la
schizophrénie »415, il ne reste pas moins des résistances juridiques qui empêchent la
concrétisation effective de la propriété comme droit fondamental opposable à l’État.
Car l’obstacle à la réforme juridique en Chine ne réside pas dans l’absence du droit,
mais plutôt dans « sa mise en action »416.
Sous-section 2. – Les résistances juridiques à la consécration
constitutionnelle du droit de propriété
115. - La révision constitutionnelle de 2004 proclame la protection de la propriété
privée des citoyens, mais aussi la protection et le respect des droits de l’homme
assumés par l’État. L’effectivité de ces droits ne s’échappe pas à l’impact du contexte
d’État-Parti caractérisé par la prédominance de la politique du PCC sur la loi417, mais il
existe aussi les résistances de nature juridique à la consécration de la propriété privée
et des droits de l’homme. Il s’agit d’une part des incertitudes sur la qualification de la
propriété privée en tant que droit de l’homme (§ 1) et, d’autre part, des incertitudes sur
les valeurs juridiques supralégislative et supranationale de la propriété privée en droit
constitutionnel chinois (§ 2).
§ 1. – Les incertitudes sur la qualification de la propriété privée en tant que
droit de l’homme
415 CHEN Yan, « Le libéralisme chinois face à la société post-totalitaire », loc. cit.; Stéphanie BALME, « ‘Communisme et schizophrénie’, L’individu face au dans la société chinoise postrévolutionnaire », Raisons politiques, n° 3, août 2001, p. 84. 416 Stanley B. LUBMAN, Leïla CHOUKROUNE, « L’incomplète réforme par le droit », Esprit, 2004, p. 128. 417 V., Jean-Pierre CABESTAN, Le système politqiue de la Chine populaire, op. cit., pp. 286, 287.
134
116. - La révision constitutionnelle de 2004 proclame à la fois l’inviolabilité de la
propriété privée, le respect et la protection des droits de l’homme. Cette coïncidence
pose toutefois la question à savoir si la propriété privée entre désormais dans la
catégorie juridique des droits de l’homme selon la Constitution chinoise. En effet, le
chapitre 2 de la Constitution de 1982 proclame les droits fondamentaux des citoyens,
alors que la propriété privée se situe dans les principes généraux de la Constitution. La
dissociation entre la propriété privée et les droits fondamentaux des citoyens dans le
texte de la Constitution de 1982 n’est qu’une des incertitudes relatives au statut de
droit fondamental de la propriété privée, qui sont principalement liés au problème
d’incohérence entre les différentes dispositions constitutionnelles. Dans une moindre
mesure, le caractère fondamental du droit de propriété privé semble aussi entrer en
concurrence avec l’alinéa 6 du Préambule de la Constitution, qui rappelle la dictature
du prolétariat. Le problème d’incohérence de la Constitution chinoise consiste à
juxtaposer l’inviolabilité de la propriété privée et la dictature du prolétariat, alors que
selon la doctrine socialiste la dictature du prolétariat se fonde sur l’abolition de la
propriété privée. Comme on l’a constaté, « cette façon de combiner discours
idéologique à valeur historique et contenu juridique à valeur prospective contribue
sans doute à l’ambiguïté de l’ensemble »418 . Si l’idéologie de lutte des classes
concrétisée par la dictature du prolétariat peut coexister avec la protection des droits de
l’homme, surtout de la propriété privée, par le biais de « compromis sans respecter des
principes » 419 auquel empruntent les révisions constitutionnelles, il reste des
problèmes techniques à résoudre. Il s’agit par excellence des problèmes d’incohérence
entre d’une part, la révision constitutionnelle de 2004 proclamant la protection de la
propriété privée et, d’autre part, les dispositions constitutionnelles proclamant le
respect et la protection des droits de l’homme et celles relatives aux droits et devoirs
fondamentaux des citoyens. L’incertitude de la valeur juridique de la propriété privée
résultant des problèmes d’incohérence entre la propriété privée et les droits
fondamentaux de l’homme (A) est rendue plus sérieuse par l’absence, dans la 418 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p. 565. 419 JI Weidong, Xianzheng xinlun (De nouveaux propos sur le constitutionnalisme), Beijing University Press, 2002, p. 190.
135
Constitution chinoise, de la notion juridique de la propriété comme institution naturelle
(B).
A. – Les problèmes d’incohérence entre la protection de la propriété
privée et les droits fondamentaux de l’homme
117. - Les problèmes d’incohérence existent dans deux aspects. Il s’agit d’abord de
la limitation des sujets de la propriété privée aux citoyens chinois (1), ensuite la
dissociation de l’article 13 proclamant l’inviolabilité de la propriété privée et des autres
dispositions constitutionnelles relatives aux droits et devoirs fondamentaux des
citoyens (2).
(1). – La limitation des sujets de la propriété privée aux citoyens chinois
118. - D’abord le problème d’incohérence au regard du sujet du droit de propriété
proclamé par la révision constitutionnelle de 2004. Il faut rappeler que qualifier un
droit ou une liberté de « fondamental » consiste à le ou la situer parmi les valeurs
inhérentes à l’humanité, à l’homme en tant qu’homme, qu’il soit citoyen ou étranger420.
La fondamentalité du droit est liée ici à l’universalité de ces titulaires421, alors que
l’article 13, alinéa 1er de la Constitution de 1982 proclame comme inviolable la
propriété privée légale des citoyens. Quant aux sujets de ce droit, l’article 13, alinéa 1er
se limite a priori aux citoyens chinois. Par une interprétation littéraire, les étrangers
sembleraient être exclus. La formulation de l’article 13, alinéa 1er semble donc être en
contradiction avec la valeur juridique de la propriété privée conçue en tant que droit
fondamental de l’homme, au regard de l’étendu des sujets de ce droit. La propriété
privée légale des étrangers doit-elle être refusée la garantie constitutionnelle? La
réponse ne peut qu’être incertaine. Malgré l’article 32 de la Constitution de 1982 qui
420 Véronique CHAMPEIL-DESPLATS, « Les droits et libertés fondamentaux en France : Genèse d’une qualification », in Antoine LYON-CAEN, Pascal LOKIEC (sous la dir.), Droits fondamentaux et droit social, Dalloz, 2005, p. 26. 421 CC, décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale, considérant n° 14.
136
proclame que les droits et intérêts légaux des étrangers sont protégés par la RPC, le
deuxième Chapitre de la Constitution de 1982 s’intitule « [D]roits et devoirs
fondamentaux des citoyens », semble ne s’appliquer pas aux étrangers, d’autant plus
que l’article 33 de la Constitution donne la définition du « citoyen chinois » selon le
critère de nationalité422. Cette distinction entre droits et devoirs fondamentaux des
citoyens d’une part et, d’autre part, les droits et intérêts légaux des étrangers, est la
cause de l’incertitude concernant la protection de la propriété privée des étrangers. Par
l’interprétation littéraire de l’article 13, la propriété privée des étrangers semble y être
exclue. Elle ne peut être garantie qu’en vertu de l’article 32 dont l’interprétation
recouvre la propriété privée. Il faut souligner d’ailleurs qu’en intégrant un nouvel
alinéa 3 proclamant « l’État respecte et protège les droits de l’homme » à l’article 33
qui figure dans le Chapitre II de la Constitution chinoise consacrant les droits et
devoirs fondamentaux des citoyens, l’étendu des sujets des droits de l’homme semble
se réduire aussi aux citoyens chinois. Ce qui entraînerait la confusion entre droits des
citoyens et droits de l’homme ou la confusion des notions de citoyen et d’homme,
révélant l’absence de la notion d’universalité en droit chinois.
(2). – La dissociation de l’article 13 et des dispositions constitutionnelles relatives aux
droits et devoirs fondamentaux des citoyens
119. - Il est à noter ensuite que l’inviolabilité de la propriété privée légale est
consacrée dans le premier chapitre « Principes généraux » de la Constitution –en
dehors du Chapitre « [D]roits et devoirs fondamentaux des citoyens ». A priori, la
propriété ne relève pas d’un droit fondamental mais d’un principe général, d’autant
plus que la Constitution de 1982 conçoit la propriété sous l’angle du système
économique de l’État423. On peut donc s’interroger sur la signification de la distinction
422 Article 33, alinéa 1er dispose que « Sont citoyens de la République populaire de Chine tous ceux qui ont acquis sa nationalité. Tous les citoyens de la République populaire de Chine sont égaux devant la loi. Tout citoyen jouit des droits prévus par la Constitution et la loi, en même temps qu’il doit s’acquitter des devoirs prévus par celles-ci ». 423 WANG Kai, « The basic theory of property right in Chinese constitutional law (Zhongguo xianfa zhong de lilun jichu) », Dangdai faxue (Contemporary Law Review), n° 1, 2005, p. 30.
137
entre principes généraux et droits fondamentaux, notamment en ce qui concerne le
statut constitutionnel de la propriété. Certains auteurs considèrent que les droits
fondamentaux prévalent sur les principes généraux qui portent sur les instituions de
l’État. Par conséquent, il serait souhaitable de mettre le chapitre consacré aux droits
fondamentaux avant les principes généraux dans la Constitution afin de manifester la
primauté de l’un par rapport à l’autre en termes d’importance424. Toutefois, la plupart
des auteurs reconnaissent désormais la propriété privée comme l’un des droits
fondamentaux par l’interprétation lato sensu du texte de la Constitution de 1982425.
Alors que la propriété privée ne figure pas au chapitre « [D]roits et devoirs
fondamentaux des citoyens », le discours métajuridique reconnaît sans équivoque la
propriété privée comme l’un des droits civiques et politiques des citoyens. Cette
hypothèse est politiquement confirmée par le livre blanc du gouvernement chinois
« [L]’édification de la politique démocratique en Chine »426. De même, des juristes
chinois n’hésitent pas à prôner le statut de la propriété comme droit fondamental, du
fait de son importance pour la protection des personnes427.
B. – Absence de la notion juridique de la propriété comme institution
naturelle
120. - Le droit constitutionnel chinois semble étranger à l’idée selon laquelle la
propriété est une institution naturelle et ne peut pas être artificiellement supprimée
pour des raisons politiques ou économiques conjoncturelles. L’expérience du droit
français peut aider à mieux comprendre cet aspect particulier de la notion juridique de
424 WU Jiaqing, DU Chengming, « Lun xianfa quanli jiazhi linian de zhuanbian yu jiben quanli de xianfa bianqian (La tranformation des idées sur la valeur des droits fondamentaux reconnus par la Constitution) », Faxue pinglun (Law Review), n° 6, 2004, pp. 3 à 9. 425 V., par exemple, ZHANG Qingfu, HU Zejun, Zhonghua renmin gongheguo xianfa gaiyao (Outlines of the Constitution of People’s Republic of China), Law Press China, 2004, p. 39; DONG Heping, Zhongguo xianfaxue (Droit constitutionnel chinois), Zhongguo Zhengfa Daxue Chubanshe, 2002, pp. 298, 299. 426 CAE, octobre 2005, Section VII « Respecter et garantir les droits de l’homme », disponible sur le site http://french.china.org.cn/french/200747.htm, dernière lecture 12 mars 2008. 427 LIU Junning, « La propriété, c’est le droit de l’homme (Caichanquan, shi renquan, bushi wuquan) », disponible sur le site http://www.tecn.cn/data/detail.php?id=13732, 31 mars 2007.
138
la propriété et sa signification. En s’appuyant sur l’article 2 de la Déclaration de 1789
qui proclame la propriété comme droit naturel, le Conseil constitutionnel français
considère qu’il existe un rempart infranchissable pour les mesures de privation. À cet
égard, le Conseil constitutionnel insiste sur l’existence minimale des propriétés sous
menace des procédés de nationalisations ; il veille à ce que les transferts de biens et
d’entreprises ne restreignent pas de façon trop importante le champ de la propriété
privée. Car les transferts de trop grande ampleur seraient de nature à empêcher le droit
de propriété de s’exercer par la disparition de l’objet de ce droit428. Ce qui correspond
en effet à l’analyse de M. ZÉNATI : les expropriations et les nationalisations
légalement et constitutionnellement réalisées ne diminuent pas le droit de propriété, ni
même le nombre de propriétaires mais le nombre des propriétés429. D’ailleurs, les
nationalisations trop importantes constitueraient une atteinte à l’article 2 (devenu
l’article 1) de la Constitution de 1958 qui énonce que la France est une République
sociale, ce qui ne doit pas être confondu avec une République socialiste430. Il en résulte
que la signification de la propriété en tant qu’institution naturelle exige qu’il doive
exister un seuil au-delà duquel la privation des propriétés conduirait à la privation de la
propriété431.
121. - Alors que « le droit positif contemporain a un grand point commun : la
référence à la fonction sociale de la propriété »432 qui justifie la relativisation de la
protection de ce droit, la Constitution chinoise est une exception. Les dispositions
constitutionnelles proclamant la protection de la propriété privée n’indiquent pas la
fonction sociale de la propriété. Certes, l’évolution de la Constitution chinoise
démontre que la reconnaissance de la propriété est dans une large mesure le résultat de
428 Louis FAVOREU, « La jurisprudence du Conseil constitutionnel et le droit de propriété proclamé par la Déclaration de 1789 », in La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, colloque des 25 et 26 mai 1989 au Conseil constitutionnel, PUF, 1989, p. 123 et s. 429 Frédéric ZÉNATI, « Sur la constitution de la propriété », D, 1985, chronique, p.171. 430 Louis FAVOREU (sous la dir. de), Nationalisations et Constitution, Economica, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 1982, p. 221, Recours des députés. 431 Michel VERPEAUX, « Le droit de propriété dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel : permanence et actualité », CJEG, 1999, p. 411 et s. 432 Yoïchi HIGUCHI, « Rapport général, les garanties de la propriété dans une mutation de la vie économique », in La propriété, journées vietnamienne, T. LIII, 2003, Société de législation comparée, 2006, p. 502.
139
la réforme de l’économie planifiée vers l’économie de marché, à laquelle le PCC
attache sans relâche l’étiquette politique de socialisme. La propriété n’est pas
considérée comme l’institution naturelle infranchissable, mais plutôt comme
l’instrument pour le développement économique mené par l’État433, car « la réforme
est en soi la réaffectation des propriétés »434. Si la libéralisation économique a
contribué à la formation de la propriété privée, elle n’en est pourtant pas un gage. Ce
constat peut être appuyé par l’histoire de l’abolition de la propriété privée par le PCC
au début des années 50 à l’issu d’une longue période où domina la politique de
tolérance et même d’encouragement435. À l’époque contemporaine, l’abolition de la
propriété privée semble être une hypothèse irréaliste. Car, selon la doctrine actualisée,
la propriété privée est tolérée aussi longtemps que la Chine demeure au stade primaire
du socialisme. Et le Préambule de la Constitution chinoise affirme que ce stade
primaire du socialisme va durer infiniment longtemps, par conséquent, la propriété
privée sera autant tolérée. Or, la libéralisation qui s’inscrit dans le plus complexe
processus de réforme économique sociale ne se heurte pas moins aux pratiques
interventionnistes de l’État visant à réglementer les affaires économiques et sociales.
C’est dans ce contexte que les mesures trop importantes de limitation ou privation
éventuellement prises en raison du revirement de la politique économique, peuvent
conduire éventuellement à la suppression de facto de l’institution naturelle de propriété.
Car l’ensemble des politiques publiques approuvées par le PCC afin de tenter de faire
face aux effets politiques et sociaux du ralentissement économique restera
discrétionnaire, souvent caricaturé par la formule « la carotte et le bâton »436. À défaut
d’un seuil constitutionnellement reconnu en droit chinois par l’affirmation de la
433 V., Ross GARNAUT, Ligang SONG, Stoyan TENEV, Yang YAO, China’s ownership transformation, Process, Outcome, Prospects, World Bank, 2005, pp. 46 à 50; Zhiyuan CUI, « Whither China? The discourse on property rights in the Chinese reform context », Social Text 55, Vol. 16, n° 2, 1998, pp. 68 à 73. 434 Jean C. OI, Andrew G. WALDER (ed.), Property rights and economic reform in China, op. cit., p.6. 435 V., Bennis Wai-Yip SO, « The policy making and political economy of the abolition of private ownership in the early 50s: finding from new materials », The China Quarterly, 2002, pp. 682 à 703. 436 Jean-Pierre CABESTAN, « Crise asiatique et (non) réforme de l’État en Chine populaire », Revue française d’administration publique, n° 98, 2001, p. 292.
140
propriété comme l’institution naturelle, celle-ci risque d’être réduite à néant selon la
mutation des circonstances.
122. - L’inexistence de l’affirmation de la propriété comme institution naturelle dans
la Constitution de 1982 correspond aussi à l’absence dans la pensée juridique chinoise
de la notion du droit naturel qui suppose l’idée de supériorité au droit positif. Comme
la notion de l’opposabilité des droits fondamentaux de l’homme à l’État n’est que la
métamorphose de cette idée sur le plan juridique, la propriété comme droit
fondamental s’opposant à l’État est plus douteuse aux termes des normes
constitutionnelles, d’autant que ces dernières insistent sur le caractère légal des biens
acquis par les citoyens. D’où la question sur les valeurs supralégislative et
supranationale du droit de propriété.
§ 2. – Des incertitudes sur les valeurs supralégislative et supranationale du
droit de propriété
123. - « Les libertés et droits fondamentaux vont prendre valeur supralégislative et
supranationale, leur effectivité étant garantie par divers mécanismes de recours
nationaux et internationaux »437. La Constitution chinoise, malgré sa proclamation de
la propriété privée et des droits de l’homme, demeure ambiguë quant à la valeur
juridique de ces droits. En ce qui concerne la valeur supralégislative de la propriété
privée en tant que droit fondamental, l’incertitude est liée à la condition de légalité qui
est paradoxalement imposée à la garantie constitutionnelle de ce droit (A). En ce qui
concerne l’apport du droit international à la protection de la propriété privée,
l’incertitude résulte dans une large mesure de l’ambiguïté de la relation entre droit
international et droit interne chinois en vertu des dispositions de la Constitution de
1982 (B).
437 Mireille DELMAS-MARTY, Claude Lucas DE LEYSSAC, Libertés et droits fondamentaux, 2e éd., Editions du Seuil, 2002, p. 10 ; Patrick WACHSMANN, « L’importation en France de la notion de ‘droits fondamentaux’ », RUDH, 2004, p. 46.
141
A. – L’incertitude sur la valeur supralégislative du droit de propriété
au regard de la condition de légalité
124. - S’il est vrai que « le recours en France à la théorie des droits fondamentaux
n’a pas encore abouti à une promotion systématique de ces derniers au profit des
personnes placées dans une situation de dépendance, dans la mesure où les
améliorations récentes se limitent à la consécration des droits à l’initiative
législative »438, la Constitution chinoise semble être davantage infirmative sur la valeur
supralégislative des droits fondamentaux, y compris la propriété privée proclamée par
la révision constitutionnelle de 2004. Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel
français, si les droits fondamentaux ne sont pas absolus parce qu’ils peuvent être
conciliés avec d’autres principes constitutionnels et avec l’ordre public, le législateur
ne peut réduire leur niveau de garantie439 et ne saurait intervenir que pour les rendre
plus effectifs440. Quant à la propriété, si ce droit à caractère fondamental n’est pas
absolu et peut faire l’objet des limitations définies par la loi, ces limitations ne doivent
pas revêtir un caractère de gravité tel que l’atteinte qui en résulte dénature le sens et la
portée du droit de propriété 441 . Il en résulte qu’en droit français, la valeur
supralégislative de la propriété privée proclamée en tant que droit fondamental exige
l’existence d’un seuil au-delà duquel les limitations imposées par la loi ne sauraient
être justifiées, donc l’encadrement du pouvoir législatif en matière de restrictions à la
propriété privée. En contraste, cette notion d’encadrement du pouvoir législatif n’existe
pas dans le droit constitutionnel chinois. En effet, l’article 13, alinéa 1er de la
Constitution de 1982, en affirmant que la propriété privée légale est inviolable, met
l’accent sur la légalité des biens privés garantis par la Constitution. Par l’interprétation
438 Patrick WACHSMANN, « L’importation en France de la notion de “droits fondamentaux” », RUDH, n° 1-4, 2004, p. 48. 439 Véronique CHAMPEIL-DESPLATS, « Les droits et libertés fondamentaux en France : Genèse d’une qualification », op. cit., p. 17. 440 CC, décision n° 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984, « Entreprises de presse », ; décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, « Maîtrise de l’immigration »; décision n° 94-345 DC du 29 juillet 1994, loi relative à l’emploi de la langue française. 441 CC, décision n° 98-403 DC du 29 juillet 1998, loi d’orientation relative à la lutte contre l’exclusion, considérant n° .
142
a contrario, l’adjectif « légale » semble impliquer que la propriété privée ne saurait
être garantie que lorsqu’elle est conforme à la loi442. La réserve quant à la légalité des
biens est d’ailleurs maintenue lors de la codification de la loi sur les droits réels443. Il
faut rappeler que lors de la délibération au sein du Comité permanente de l’APN, il
existait des thèses selon lesquelles la loi sur les droits réels ne saurait protéger ni les
revenus illégaux ni les biens illégalement appropriés, et que des responsabilités
administratives ou pénales seraient engagées par l’auteur d’actes illégaux dans
l’appropriation des biens444. Il faut encore souligner que l’expression de « propriété
privée légale », telle qu’elle est formulée en chinois comme « hefa de siyou caichan »,
vise non seulement à la légalité de l’acquisition des biens privés, mais aussi à la
légalité du maintien de ces biens. Il en résulte que certains biens qui ont été légalement
acquis pourraient ultérieurement devenir illégaux à la suite de la modification des lois.
Ce qui présente une menace pour la sécurité juridique des propriétaires. La condition
importante de légalité existe d’ailleurs en ce qui concerne la protection des entités
économiques non publiques. En effet, l’article 11 de la Constitution de 1982 prévoit
que « les secteurs économiques non publics, pratiqués dans les limites définies par la
loi constituent une partie importante de l’économie de marché socialiste », et que
« l’État protège les droits et les intérêts légaux des entités économiques non
publiques ».
125. - Si, en théorie, la persistance à la condition de légalité par la révision
constitutionnelle ainsi que par l’élaboration des droits réels peut se justifier par la
considération de légitimité sur l’appropriation des biens privés, il est pourtant difficile
à l’appliquer avec rigueur dans la pratique. D’autant que l’appropriation des biens
privés s’inscrivait dans un contexte où la réforme s’était mise en place sans que la
442 HAN Dayuan, « Siyou caichanquan ruxian de xianfaxue sikao (Réflexions sur la proclamation constitutionnelle de propriété privée) », op. cit., p. 15. 443 V., articles 64, 65 et 66 de la loi sur les droits réels. 444 YANG Minglun, « Wuquanfa buhui chengwei feifa caichan de baohusan (La loi sur les droits réels ne protège pas les biens illégaux) », disponible sur le site http://npc.people.com.cn/GB/28320/50638/50640/5592057.html, 9 avril 2007 ; v., aussi, CHEN Liang, « Wuquanfa chutai zaiji, siyou caichan baohu tingji zhiduhua (La protection de la propriété privée sera institutionnalisée avec l’adoption imminente de la loi sur les droits réels) », Zhongguo jingyingbao (China Business Journal), 1 novembre 2004.
143
légalité ait été bien fondée. Le phénomène d’accumulation des richesses par les
«comportements gris », pour désigner les opérations économiques qui n’étaient ni tout
à fait légales ni tout à fait illégales, était d’une certaine manière le résultat de
l’ambiguïté des normes juridiques et de la lacune du système de droit. La situation
devient d’autant plus préoccupante que s’établit le lien entre l’appropriation des biens
privés d’une part et, d’autre part, les vols et les coulages des biens étatiques,
notamment ceux des entreprises d’État. Comme l’on a déjà constaté, « la transition
dans les entreprises d’État se caractérise aussi par des vols et des coulages
généralisés ; ces pratiques sont tellement répandues qu’elles sont perçues quasiment
comme un droit d’utiliser les avantages liés à une fonction »445. Le mécontentement du
peuple envers cette anormalité, et par conséquent leur revendication à ne protéger que
les biens privés légalement acquis, s’accentue avec le creusement de l’écart des
richesses conduit par les « comportements gris ». Si l’attente du peuple pouvait être
politiquement justifiée, à savoir redresser les actes illégaux d’appropriation ou tout au
moins les prévenir par l’amendement constitutionnel ou la législation en matière de
droits réels, il est logiquement une erreur de soumettre la garantie constitutionnelle de
la propriété à la condition de légalité. En effet, des formulations telles que « la
propriété privée légale» –dont la signification est plus large que « la propriété privée
légalement acquise »–, « dans les limites définies par la loi » et « les droits et intérêts
légaux» auxquelles emprunte la Constitution chinoise ont pour effet de renforcer le
rôle du pouvoir législatif, au lieu de lui imposer les limites. Pour les juristes chinois,
les uns considèrent qu’en se référant à la loi, la Constitution chinoise a simplement
réaffirmé le principe général selon lequel les droits individuels sont à la fois créés et
limités par la loi446. Les autres proposent toutefois la présomption de légalité des biens
privés en vue de sortir l’impasse447.
445 Antoine KERNEN, La Chine vers l’économie de marché: Les privatisations à Shenyang, Éditions Karthala, 2004, p. 134. 446 V., XIA Yong, Gongfa (Droit public), t. 1, Law Press China, 1999, p. 98 ; aussi, ZHENG Xianjun, « Jiben quanli de xianfa goucheng jiqi shizhenghua (La constitution des droits fondamentaux et leur mise en place en droit positif) », Faxue yanjiu (Chinese Journal of Law), n° 2, 2002, p. 55 ; TANG Shaojun, « The commentary on supervision over legislative power of National People’s Congress », Hebei faxue (Hebei Law Science), n° 7, 2005, pp. 109 à 112. 447 V., MENG Qinguo, « Wuquanfa ruhe baohu siyou caichan (Comment la loi sur les droits réels
144
126. - Jusqu’au jour, la doctrine chinoise n’a pas osé douter de la suprématie de la
loi, qui permettrait toutefois au pouvoir législatif d’aménager la propriété pour les
motifs qu’il juge opportuns. Or, dans le contexte où le droit chinois est largement
instrumentalisé par l’autorité politique, notamment le PCC, la condition de légalité
imposée par la Constitution chinoise ne peut que favoriser « le produit d’une
expérience en boucle » 448. C’est-à-dire que l’intervention du pouvoir politique serait
davantage facilitée par le biais de la législation à laquelle la Constitution attache de
manière constante l’importance, quant à la protection des biens privés et des entités
économiques non publiques. La Constitution chinoise, au lieu de construire un abri
contre l’empiètement du pouvoir législatif, soumet le droit de propriété privée aux
risques d’atteinte par la loi. Reste à savoir si l’influence croissante du droit
international peut provoquer une ouverture et y apporter une solution souhaitable.
B. – L’incertitude sur l’apport du droit international
127. - Le droit international peut consolider la protection de la propriété en droit
interne chinois, dans la mesure où il comporte des normes qui imposent aux États
l’obligation de protéger la propriété, mais aussi les mécanismes de contrôle qui en
assurent l’effectivité. Certes, la fonction du droit international dépend dans une large
mesure du dispositif du droit chinois concernant les rapports entre droit international et
droit interne. Soucieux de la sauvegarde de la souveraineté étatique, le droit chinois
demeure être très prudent dans l’acceptation de la primauté du droit international par
rapport au droit interne. Alors que selon la doctrine, la globalisation économique
exigerait les États à accepter un nouveau concept de la souveraineté qui désormais
s’assimile largement « aux pouvoirs gouvernementaux de la prise des décisions »449
protège les biens privés) », Faxue (Legal Science Monthly), 2005, n° 8, p. 28 ; ZHENG Xiaomin, « Wuquanfa yu goujian shehui zhuyi shichang jingji tizhi lilun yantaohui huiyi zongshu (Compte rendu du séminaire sur la loi sur les droits réels et la théorie de l’économie socialiste de marché) », Faxue zazhi (Law Science Magazine), 2007, n° 2, p. 9. 448 Stéphanie BALME, « Juridicisation du politique et politisation du juridique dans la Chine des réformes (1978-2004) », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., p. 599. 449 J. H. JACKSON, Sovereignty, the WTO and changing fundamentals of international law, Cambridge
145
pour réaliser des différents objectifs politiques, et par conséquent, la notion de « la
souveraineté partagée »450 pour répondre au besoin de la gouvernance globale,
l’accession de la Chine à l’OMC ne semble pas avoir conduit l’abandon de son concept
classique de la souveraineté étatique. C’est dans ce contexte que la Constitution de
1982 demeure très lacunaire en ce qui concerne la hiérarchie entre les normes
internationales et les normes internes, à l’exception des articles qui prévoient les
autorités compétentes pour conclure et ratifier les traités avec pays étrangers451. Certes,
certaines dispositions insérées dans un nombre de textes de loi contribuent à clarifier la
place des normes du droit international par rapport à celle du droit interne afin d’éviter
le conflit entre elles452. Il en résulte que les normes du droit international n’ont pas de
valeur supralégislative en Chine, leur supériorité par rapport au droit interne n’est
évidente que dans l’hypothèse où les dispositions du droit interne entrent en conflits
avec les normes internationales453. D’ailleurs, la doctrine dominante insiste sur le fait
que l’harmonisation entre le droit international et le droit interne chinois est assurée
University Press, 2006, p. 72. 450 Thomas COTTIER, Maya HERTIG, « The propsects of 21st century constitutionalism », in Thomas COTTIER (ed.), The Challenge of WTO Law: collected essays, London: Cameron May Ltd. 2007, p 448. 451 V., article 67, § 14 ; article 89, § 9. Shaping SHAO, « The theory and practice of the implementation of international law in China », in Jianfu CHEN, Yuwen LI, J. M. OTTO, Implementation of Law in the People’s Republic of China, Kluwer Law International, 2002, p.198. 452 Par exemple, dans la loi relative à l’impôt sur le revenu des entreprises à capitaux chinois et étrangers adoptée en 1980, article 16, alinéa 2, prévoit que les traités ratifiés et entrés en vigueur sont considérés comme étant intégrés dans l’ordre juridique interne et qu’ils sont directement applicables à toutes les entreprises concernées. Les Principes généraux du droit civil, par son article 142, disposent que lorsque la loi civile de la République populaire de Chine est en conflit avec des dispositions des traités que la R. P. C. a signé ou auxquels elle a adhéré, on applique les dispositions de ces traités, à l’exception des dispositions pour lesquelles la R. P. C. a émis des réserves ; lorsque les dispositions appropriées font défaut dans la loi civile chinoise ou dans les traités signés ou acceptés par la R. P. C., on applique les usages internationaux. 453 Xuefeng QI, La normalisation graduelle des rapports entre le droit chinois et le droit international public : aspects généraux et question d’intégration des normes internationales en matière d’investissements étrangers en chine, thèse, Université Laval, Canada, 2005, p. 188 ; YANG Zewei, « Lun guojifa zai woguo guoneifa shangde xiaoli (On the effect of international law on our national law) », Hebei faxue (Hebei Law Review), 1995, n° 5, pp. 17, 18.
146
par les pratiques législative et judiciaire en Chine454, tout en contournant le problème
de hiérarchie.
128. - Quant à l’application des normes internationales dans l’ordre juridique interne,
l’incertitude réside principalement dans les incohérences des pratiques chinoises et
l’absence des critères précis : tantôt l’applicabilité directe des traités internationaux,
tantôt l’applicabilité indirecte par la législation spécifique intégrant les normes
internationales aux lois internes455. Il n’y a donc pas de distinction entre traités
self-executing et non-self-executing en droit chinois456. La porosité du droit chinois en
matière de rapport entre normes internes et normes internationales, de même que
l’ambiguïté des méthodes d’application du droit international dans l’ordre juridique
interne, peuvent par conséquent limiter le rôle du droit international sur la protection
de la propriété en Chine. Ainsi, l’impact du droit international s’inscrit dans
l’interaction entre droit international et droit interne qui varie en fonction non
seulement de la force du droit international, mais aussi de la performance du droit
interne.
454 V., DUAN Muzheng, Guoji fa (Droit international), Beijing University Press, 1989, pp.33 à 40; ZHOU Jingsheng, Guoji fa (Droit international), Pekin: The Commercial Press, 1976, pp. 16 à 20; Shaping SHAO, « The theory and practice of the implementation of international law in China », op. cit., pp. 204, 205. 455 V., notamment, ZENG Lingliang, Guoji faxue (Droit international), Renmin fayuan chubanshe, 2003, pp. 41, 42. 456 WANG Tieya, « Tiaoyue zai zhongguo falü zhidu zhong de diwei (Le statut des traités internationaux dans le système juridique chinois) », Zhongguo guojifa niankan (Annales chinoises de droit international), Law Press China, 1994, p.11.
147
CONCLUSION DU CHAPITRE
129. - Face au vieux débat fondamental sur la légitimité de la propriété privée, la
révision constitutionnelle de 2004 semble donner sa réponse que « ce que la propriété
retire à la collectivité, elle l’ajoute à l’individu en lui permettant de résister aux
agressions que la société fait subir »457. La réforme en Chine aide à créer un espace
juridique favorable à la jouissance du droit de propriété privée. Cet espace juridique a
la fonction de stimuler la croissance économique458 et de consolider la conscience du
droit des citoyens. De la suppression à la proclamation d’inviolabilité, l’évolution du
fondement constitutionnel de la propriété privée s’inscrit dans le même mouvement de
la réhabilitation du droit en Chine. Qu’il s’agisse de gouverner l’État par le droit ou de
construire l’État de droit socialiste, le droit chinois semble néanmoins toujours être au
service de la politique. Pourtant, si le droit est à la fois un produit et un enjeu politiques,
il exerce en retour des effets sur le politique, à la fois comme cadre plus ou moins
contraignant et comme ressource dans les jeux de pouvoir et les stratégies des
acteurs459. Il est important de remarquer que l’utilité du droit suppose avant tout qu’il
soit lui-même transparent, précis, complet et effectif, au sens d’interprétation
restrictive de la rule of law460. D’où la nécessité de construire un régime juridique du
droit de propriété sur le fondement constitutionnel d’inviolabilité.
457 Rémy LIBCHABER, « La propriété, droit fondamental », in Rémy CABRIALLC, Marie-Anne FRISON-ROCHE, Thierry REVET (sous la dir. de), Libertés et droits fondamentaux, 14e éd., 2008, § 877. 458 On a constaté que « le secteur privé n’a généré des gains de productivité plus grands qu’à partir du moment où le contexte politique et juridique s’est amélioré en ce qui concerne le statut de la propriété privée. À cet égard, la propriété est cruciale à la performance économique : la Chine n’est pas une exception ». V., Vai Io LO, Xiaowen TIAN, « Property rights, productivity gains and economic growth: the Chinese experience », Post-Communist Economies, vol.14, n° 2, 2002, p. 256. 459 Jacques CAMMAILLE, Laurence DUMOULIN, Cécile ROBERT, La juridicisation du politique, Leçons scientifiques, LGDJ, 2000, p. 21. 460 V., Randall PEERENBOOM, « Let one hundred flowers bloom, one hundred schools contend: debating rule of law in China », 23 Mich. J. Int’l L. 471, pp. 478 à 480; Jiangyu WANG, « The rule of law in China: A realistic view of the jurisprudence, the impact of the WTO, and the prospects for future development », 2004 Sing. J. Legal Stud. 347, p. 351.
148
CHAPITRE II. – LA CONSTRUCTION DU RÉGIME JURIDIQUE
DU DROIT DE PROPRIÉTÉ
130. - Le 16 mars 2007, lors de la 5e session du Xe APN, a été adoptée la loi sur les
droits réels qui est entrée en vigueur le 1er octobre 2007. Cette loi marque une nouvelle
étape de la réforme juridique en matière de droit des biens en Chine. L’adoption de la
loi sur les droits réels est d’autant plus significative qu’au regard de la révision
constitutionnelle proclamant l’inviolabilité des biens privés des citoyens. Après la
reconnaissance constitutionnelle de la légitimité de la propriété privée, la loi sur les
droits réels vient consolider ce droit par la construction du régime juridique du droit
des biens. En regroupant les règles relatives à la propriété (SECTION I), à l’usufruit
(SECTION II) et à la mutation des droits réels (SECTION III), la loi sur les droits réels
constitue désormais le droit commun des biens en Chine. Étant donné que la majorité
des dispositions existent déjà dans divers textes législatifs et réglementaires, la
promulgation de la loi sur les droits réels résulte d’une certaine manière de la
compilation des normes en la matière. Mais cela n’empêche pas que l’élaboration de la
loi sur les droits réels (SECTION PRÉLIMINAIRE) effectue d’importants apports à la
construction du régime juridique du droit de propriété.
SECTION PRÉLIMINAIRE. – L’ÉLABORATION DE LA LOI SUR
LES DROITS RÉELS
131. - L’avènement de la loi sur les droits réels n’est pas linéaire, controverses
doctrinales, parfois débats entre les différentes sensibilités ont pu y imposer leur
impact au cours de la rédaction de cette loi. Les traces de la prudence, du compromis
ou du choix du législateur apparaissent dans le texte de la loi, autour de certains thèmes
importants d’ordre juridique (§ 1) mais aussi politique (§ 2).
149
§ 1. – L’aspect juridique de l’élaboration de la loi sur les droits réels
132. - Le régime juridique du droit des biens se construit au fur et à mesure des
réformes dans les années 80. De nombreuses lois déjà promulguées comportent les
normes relatives au droit des biens. Ce dernier trouve ses multiples sources
législatives dans les Principes généraux du droit civil en 1986 qui « jouaient le rôle de
loi fondamentale en matière civil »461 et qui incluent les règles de droit des biens dans
la section « [D]roit de propriété et droits patrimoniaux relatifs au droit de
propriété »462. Des lois civiles spéciales, telle que la loi sur les sûretés de 1995,
prévoient pour la première fois la distinction entre biens meubles et immeubles463 ; la
loi sur le commerce maritime adoptée en 1992 dispose des règles relatives à la
propriété des navires464 ; la loi sur l’aviation civile adoptée en 1995 prévoit les règles
relatives à la propriété des avions465 . Des législations dans la catégorie de droit public,
quant à elles, posent aussi les normes de droit des biens : la loi sur l’administration du
sol adoptée en 1986 466 précise l’appartenance et la gestion du sol de propriété
publique ; la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines
prévoit les dispositions concernant les droits d’usage du sol de propriété d’État ; la loi
sur l’exploitation forfaitaire du sol rural adoptée en 2002 définit la notion et le contenu
de la propriété collective du sol rural. Ces multiples sources législatives et les divers
règlements administratifs ont peu ou prou des incidences sur l’exercice du droit des
biens467.
461 LIANG Huixing, Minfa zonglun (Introduction générale du droit civil), révisé, Law Press China, 2004, p. 45. 462 V., articles 71 à 83 des Principes généraux du droit civil. 463 V., article 92 de la loi sur les sûretés. 464 V., articles 7 à 10 de la loi sur le commerce maritime. 465 V., articles 14, 15 de la loi sur l’aviation civile. 466 La loi sur l’administration du sol a été successivement révisée en 1988, 1998 et 2004. 467 Par ex., le Règlement sur l’administration des habitations privées dans les zones urbaines met en place le régime d’enregistrement des biens ; le Règlement provisoire sur la concession et l’attribution du droit d’usage du sol de propriété d’État précise les modalités et conditions applicables à la constitution du droit d’usage du sol étatique.
150
133. - Dans « la relance de l’entreprise de codification du droit civil chinois » 468, la
rénovation du droit des biens était envisagée par le législateur469. Dans le projet de
Code civil déposé à l’APN en décembre 2002, un livre était consacré aux biens470.
L’idée de rédiger un Code civil n’était pas nouvelle en Chine et certaines tentatives
avaient été faites en ce sens dans le passé. Cependant, les soubresauts du contexte
politique avaient pour effet d’empêcher qu’elles aient été menées à terme 471. À
l’époque contemporaine, si pour une nouvelle fois un consensus s’est formé eu égard à
la nécessité d’un Code civil pour la Chine, « la signification, le contenu et les enjeux
de ce dernier diffèrent sensiblement entre les juristes civilistes chinois dans travaux
préparatoires » 472 débuté au milieu des années 90. Face à ces désaccords techniques,
le Comité permanent de l’APN a opté pour l’approche de compilation, c’est-à-dire
d’élaborer et d’adopter successivement des lois spéciales qui seront ultérieurement
intégrées dans le futur Code civil chinois sous forme de livres. « L’élaboration de la
loi sur les droits réels figurait donc dans l’agenda des travaux législatifs de l’APN,
suite à la suspension des travaux préparatoires du Code civil chinois»473.
468 Jiayou SHI, La codification du droit civil chinois au regard de l’expérience française, LGDJ, 2006, p. 217. 469 Sur le processus d’élaboration de la loi sur les droits réels, v., WANG Liming, DIAO Ying, « Les particularités de la loi relative au droit réel et l’expérience chinoise en la matière », Gazette du Palais, 21 juin 2008 n° 173, pp. 23 à 26. 470 V., GU Angran, « Guanyu zhonghuarenmingongheguo minfa caoan de shuoming (Explications du projet de Code civil de la République populaire de Chine) », disponible sur le site http://www.law-lib.com/fzdt/newshtml/20/20050710163416.htm, consulté le 14 mars 2008. L’idée de rédiger un Code civil n’est pas nouvelle en Chine, et certaines tentatives ont été faites en ce sens dans le passé. Cependant, les soubresauts du contexte politique ont eu pour effet d’empêcher qu’elles soient menée à termes. 471 V., Edward J. EPSTEIN, « Codification of civil law in the People’s Republic of China: Form and substance in the reception of concepts and elements of western private law », 32 U.B.C. L. Rev. 153, p. 155; XU Baikang, « Les principes généraux du droit civil en Chine », Revue Internationale de Droit Comparé, 1989, n° 1, p. 125. 472 V., Hélène PIQUET, La Chine au carrefour des traditions juridiques, op. cit., pp. 202 à 212 ; LIANG Huixing, « Minfadian zhiding de santiao silu (Trois courants de pensée relatifs à l’élaboration du Code civil) », Peking University Law Journal(Zhongwai faxue), 2001, n° 1, pp. 5 à 17 ; LIANG Huixing, «Zhongguo minfadian bianzuan de jicheng yu zhenglundian (Le processus de l’élaboration du Code civil chinois et les controverses) », disponible sur le site http://www.iolaw.org.cn/shownews.asp?id=42, consulté le 12 mars 2004. 473 LIANG Huixing, « Zhongguo wuquanfa de zhiding (L’élaboration de la loi sur les droits réels) », Shanxi daxue xuebao zhexue shehuikexue ban(Journal of Shanxi University, Phylosophy & Social
151
134. - Dans les travaux préparatoires, des juristes étaient désignés pour rédiger
l’avant-projet de la loi474, les opinions publiques étaient sollicitées et recueillies par le
Comité permanent de l’APN475, en vue d’assurer la rationalité de la future loi et « le
caractère démocratique de la législation par la participation spontanée du peuple à la
politique » 476. L’approche comparative était largement utilisée par les auteurs du
projet de loi. On peut y voir des emprunts aux droits des familles aussi bien
romano-germanique que common law comme un élément en accord avec « le besoin
d’un Code du XXIe siècle »477. En effet, si la définition de la propriété par ses attributs
à savoir l’usus, l’abusus et le fructus se rapproche davantage des droits de tradition
civiliste, les dispositions concernant les sûretés réelles sont beaucoup plus inspirées par
le common law478, en reconnaissant, par exemple, le gage flottant dans l’article 181.
Derrière la loi sur les droits réels, partie qui sera importante dans le futur Code civil,
les intentions du législateur consistaient à entériner par mesure de codification les
changements survenus dans la société chinoise depuis le début des réformes mais aussi,
de manière plus ambitieuse, de mettre fin au pouvoir discrétionnaire de
Science), Vol. 25, n° 2, p. 30. 474 Un équipe de travaux préparatoires a été composé, dont les neuf membres sont JIANG Ping, WANG Jiafu, LIANG Huixing, WEI Zhenying, WANG Baoshu, WANG Liming, FEI Zongyi, XIAO Xun, WEI Yaorong, les six premiers étant professeurs universitaires. 475 Le projet de loi sur les droits réels a été publié par le Comité permanent de l’APN le 8 juillet 2005, les citoyens pouvaient y adresser leurs voix écrites jusqu’au 20 août 2005. V., reportage du China Radio International, « Le projet de la loi du “Droit réel” reçoit plus de 6500 propositions en deux semaines », disponible sur le site http://french.china.org.cn/news/txt/2005-07/28/content_2186796.htm, consulté le 28 juillet 2005. 476 CAI Dingjian, « The development of constitutionalism in the transition of Chinese society», Columbia Journal of Asian Law, vol. 19, n° 1, 2005, pp. 10, 11. 477 JIANG Ping, « Zhiding minfadian de jidian hongguan sikao (Quelques réflexions sur l’élaboration du Code civil) », Zhengfa luntan (Tribune of Political Science and Law), 1997, n° 3, pp. 27, 28. V., aussi, WANG Zhenmin, « The roman Law tradition and its future development in China », Frontiers L. China (2006) 1, pp. 72 à 78; ZHU Jingwen, « Legal transplantation in the judicature: Employing foreign laws in China’s judicial practice», Frontiers L. China (2006) 1, pp. 112 à 120; LIANG Huixing, « Zhongguo dui waiguo mifa de jishou (La transplantation des droits civils étrangers en droit chinois) », disponible sur le site http://www.usc.cuhk.edu.hk/wk_wzdetails.asp?id=2277, consulté le 14 mars 2008. 478 V., WANG Liming, « Danbao wuquan zhidu de fazhan yu woguo wuquanfa cao’an (Le développement du droit des sûretés réels et le projet de loi sur les droits réels chinois) », Journal of Shanxi University, Philosophy & Social Sicence (Shanxi daxue xuebao, zhexue shehui kexue ban), 2006, n° 4, pp. 1 à 8.
152
l’administration et des juges 479 . Le désir de rupture avec l’ancien ordre est
particulièrement présent en matière de droit de propriété, l’un des éléments
idéologiques clés du droit chinois : le régime public n’étant pas aboli, la nouveauté
réside dans l’ajout d’autres formes de propriété qui sont reconnues en droit ou en
pratique. À cet égard, la loi sur les droits réels n’est pas une loi ordinaire, « elle
marque l’aboutissement de la culture juridique issue de vingt ans de réformes en
Chine »480. En témoigne la réaffirmation de la protection de la propriété privée, qui
peut être considéré comme l’un des apports majeurs de la loi sur les droits réels481.
Issue de la « logique d’un changement progressif »482, la loi de 2007 est désormais le
«droit commun des biens »483 en Chine.
479 Hélène PIQUET, La Chine au carrefour des traditions juridiques, op. cit., p. 215, 221 ; WANG Liming, « Lun woguo minfadian de zhiding (À propos de l’élaboration du Code civil chinois) », Zhengfa luntan (Tribune of Political Science and Law), 1998, n° 5, p. 47. 480 YIN Tian, « Lun zhongguo minfa de fadianhua (À propos de la codification du droit civil en Chine) », Zhengzhi yu falü (Political Science and Law), 2006, n° 2, p. 64. 481 MENG Qinguo, «Wuquanfa ruhe baohu jiti caichan ? (Comment protéger la propriété collective par la loi sur les droits réels) », Faxue (Law Science Monthly), n° 1, 2006, pp. 72 à 77; v., aussi reportage du China Daily, « Making Mencius’ saying a reality », 3 octobre 2008, p. 8. 482 Judith GIBSON, Bertrand DU MARAIS, Réformes du droit économique et développement en Asie, La Documentation française, 2007, p. 227. 483 La loi sur les droits réels est un droit commun des biens en droit chinois, puisqu’en vertu des articles 8 et 178 de la loi de 2007, si d’autres lois, à l’exception de la loi sur les sûretés, contiennent des dispositions spéciales sur les droits réels, celles-ci s’appliquent. On a considéré que la primauté de la loi sur les droits réels ne jouerait pas en ce qui concerne les dispositions relatives aux droits patrimoniaux contenus dans les Principes généraux de droit civil de 1986. V., Xiao-Ying LI-KOTOVTCHIKHINE, « Entre économie de marché et socialisme : la nouvelle loi chinoise sur les biens », Petites Affiches, 28 août 2007, n° 172, p. 3.
153
135. - Par les 247 articles répartis dans dix-neuf chapitres et en cinq titres484, la loi
sur les droits réels donne la distinction fondamentale des biens entre meubles et
immeubles485, la définition du droit réel donne à son titulaire un pouvoir immédiat et
exclusif sur une chose, ainsi que la différenciation des droits réels entre la propriété,
l’usufruit et les sûretés 486 . La loi sur les droits réels apporte également des
modifications aux règles déjà existantes relatives aux sûretés réelles 487 et à la
484 La structure de la loi sur les droits réels s’organise comme suite : Titre Ier . – Règles générales Chapitre 1. – Principes fondamentaux Chapitre 2. – De l’acquisition, de la modification, de la transmission et de l’extinction des biens Section 1. – De l’enregistrement des immeubles Section 2. – De la remise des meubles Section 3. – D’autres dispositions Chapitre 3. – De la protection des droits réels Titre II . – Des propriétés Chapitre 4. – Dispositions générales Chapitre 5. – De la propriété d’État, de la propriété collective et de la propriété privée Chapitre 6. – De la copropriété des immeubles bâtis Chapitre 7. – Les rapports de voisinage Chapitre 8. – De l’indivision Chapitre 9. – Des règles spéciales sur l’acquisition de propriété Titre III. – De l’usufruit Chapitre 10. – Dispositions générales Chapitre 11. – Du droit d’exploitation forfaire des terres Chapitre 12. – Du droit d’usage des terres pour construction Chapitre 13. – Du droit d’usage des terres pour construction d’habitation familiale Chapitre 14. – Des servitudes Titre IV. – Des sûretés réelles Chapitre 15. – Dispositions générales Chapitre 16. – Des hypothèques Section 1. – De l’hypothèque de droit commun Section 2. – De l’hypothèque avec plafond Chapitre 17. – Des sûretés sur les meubles Section 1. – Du gage de meubles corporels Section 2. – Du nantissement Chapitre 18. – De la propriété retenue à titre de garantie Titre V. – De la possession Chapitre 19. – De la possession 485 V., l’article 2, alinéa 2 de la loi sur les droits réels. 486 V., l’article 2, alinéa 3 de la loi sur les droits réels. 487 La loi sur les sûretés réelles adoptée en 1995 n’est plus applicable avec l’entrée en vigueur de la loi sur les droits réels. Les sûretés étaient pendant longtemps considérées en droit chinois comme droits
154
possession, avec en tête les règles générales introduisant les modalités de mutation de
la propriété et les principes relatifs à la protection des biens.
136. - « Les propriétés » et « l’usufruit » sont les deux titres principaux de la loi sur
les droits réels, leur juxtaposition confirme le constat selon lequel « la propriété est la
prérogative de principe » qui s’oppose aux « droits sur la chose d’autrui »488. Comme
le professeur Gérard CORNU l’a indiqué, « par la coexistence de la propriété et
l’usufruit sur une même chose, l’indépendance de l’usufruitier et du nu-propriétaire
forme la base de leurs rapports. Le devoir de respect mutuel est le contrepoint de cette
indépendance ». Outre ces rapports de droit, il existe entre l’usufruitier et le
nu-propriétaire les rapports d’intérêts qui se caractérisent à la fois par « la divergence
et l’union et conciliation des intérêts »489. Si l’on garde à l’esprit l’enseignement de
Gérard CORNU pour regarder de près l’opposition entre le droit de propriété et
l’usufruit en droit chinois, l’approche de « propriété démembrée » 490 revêt une
signification particulière. En effet, en droit chinois, il n’existe pas de définition unique
accessoires aux créances, et n’étaient pas considérées comme des droits réels, ce qui est démenti par la loi sur les droits réels. En droit français, « la sûreté réelle est la technique spécifique de sûreté visant cumulativement, d’une part, la rupture d’égalité, qui est réalisée par le droit de préférence, et, d’autre part, l’affectation de biens au paiement de la dette, qui est réalisée corrélativement, par le droit de prélèvement prioritaire sur la valeur du bien » (Jacques MESTRE, Emmanuel PUTMAN, Marc BILLAU, Droit commun des sûretés réelles, Traité de droit civil, LGDJ, 1996, §12). La nature juridique de droit réel des sûretés n’est pas sans aucun doute. Comme on l’a constaté, les sûretés « ne procèdent pas d’un véritable démembrement de la propriété, puisque leur véritable objet est le droit du constituant sur le bien grevé et qu’ils permettent seulement d’en appréhender la valeur et non de bénéficier des utilités qu’il peut offrir » (Michel CABRIALLC, Christian MOULY, Droit des sûretés, 7e éd., Litec, 2004, §504), ou bien « La doctrine classique classe les sûretés réelles parmi les droits réels accessoires. Les raisons de remise en cause de l’affirmation existent pourtant » (Dominique LEGEAIS, Sûreté et garanties du crédit, 5e éd., LGDJ, 2006, §379). Une réforme de grande ampleur du droit des sûretés a été opérée par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 : Livre IV « Des Sûretés » a été créé au Code civil, qui regroupe toute la matière des sûretés (Pierre VOIRIN, Gilles GOUBEAUX, Droit civil, t. 1, 31e éd., LGDJ, 2007, §1339). « Bien que la notion de “sûreté réelle” n’ait pas été définie par le législateur », la doctrine s’accorde sur ce qu’ «il s’agit de l’affectation d’un ou plusieurs biens d’un débiteur» (Christophe ALBIGES, Marie-Pierre DUMONT-LEFRAND, Droit des sûretés, Dalloz, 2007, §336). De ce fait d’affectation, ou leur nature comme « droits réels accessoires à une créance » (Francine MACORIG-VERNIER, Droit civil : Les sûretés, 1re éd., L’hermès, 1999, §24), la présente thèse ne traite pas spécifiquement des sûretés réelles intégrées dans la loi sur les droits réels. 488 Frédéric ZENATI-CASTAING, Thierry REVET, Les biens, op. cit., §161. 489 Gérard CORNU, Droit civil, Les biens, 13e éd., Montchrestien, 2007, §64. 490 François TERRÉ, Philippe SIMLER, Droit civil, Les biens, 7e éd., Dalloz, 2006, §773.
155
de la propriété, mais « les propriétés » du fait de la catégorisation maintenue par la loi
sur les droits réels, à savoir propriété d’État, propriété collective et propriété privée. En
cohérence avec cette catégorisation, il existe un déséquilibre entre la propriété publique
et la propriété privée au regard de leurs objets : le sol et les ressources naturelles sont
en principe les objets de la propriété d’État ou de la propriété collective, par
conséquent, alors que tous les biens sont meubles ou immeubles, la propriété des
personnes privées sur les immeubles est réduite. La propriété privée ne peut pas porter
sur le sol et les ressources naturelles qui sont propriété d’État ou propriété collective.
Les droits d’usage, désormais intégrés au régime juridique de l’usufruit, prennent donc
de l’importance dans la mesure où ils peuvent contribuer à rééquilibrer le rapport entre
l’État, les collectivités et les personnes privées à l’égard de la répartition des droits
immobiliers491.
137. - Certes, de nombreux points ont permis le consensus entre les juristes chinois
mais bien d’autres les ont divisés. Il s’agissait d’abord de la question de savoir s’il
fallait intégrer la propriété intellectuelle dans la loi sur les droits réels. Au moment de
l’élaboration de la loi sur les droits réels, la Chine avait promulgué les lois et
règlements relatifs à la propriété intellectuelle, comme la loi sur les droits d’auteur, la
loi sur les brevets, la loi sur les marques, etc. Certains professeurs, comme ZHENG
Chengsi, beaucoup inspiré du droit français, avait vigoureusement soutenu
l’intégration de la propriété intellectuelle au projet de la loi sur les droits réels, au lieu
de limiter celle-ci aux biens meubles ou immeubles corporels. Selon le professeur
ZHENG, «la propriété n’étant qu’un élément de la catégorie juridique plus large de
biens qui englobent les biens corporels ou incorporels », et « la Chine devrait élaborer
une loi sur les biens au lieu d’une loi sur la propriété » 492. L’adversaire LIANG
Huixing, qui s’est attaché beaucoup à la structure du BGB, a insisté pour que le champ
d’application de la loi se limite aux droits réels et a critiqué l’élargissement du
491 GAO Fuping, « Wuquanfa de shige jiben wenti : wuquan fa caoan xiugai yijian (Les dix questions fondamentales du droit des biens, propositions de modification du projet de loi sur les droits réels) », Faxue (Law Science Monthly), 2005, n° 8, p.36. 492 ZHENG Chengsi, HUANG hui, « Faguo minfadian zhong de caichanquan gainian yu zhongguo lifa de xuanze (La notion des biens dans le Code civil français et l’orientation de la législation en Chine) », Zhishi chanquan (Propriété intellectuelle), n° 3, 2002, pp.9 à 11.
156
domaine du projet de loi à la propriété intellectuelle493. Il convient de souligner que la
divergence porte moins sur l’importance de la propriété intellectuelle dans le système
juridique chinois que sur la structure et l’étendu de la loi sur les droits réels, ainsi que
du futur Code civil chinois494. La position de la loi sur les droits réels promulguée en
2007 consiste à limiter l’application de la loi aux biens corporels, tout en admettant la
possibilité des biens incorporels comme l’objet du droit réel en vertu des dispositions
législatives spécifiques495. Il s’agit notamment des règles relatives au nantissement qui
peut porter sur la propriété intellectuelle496. À cet égard, la loi sur les droits réels n’a
pas accepté la notion des biens telle que retenue en common law qui intègre la
propriété intellectuelle mais aussi d’autres droits qui ne portent pas nécessairement sur
la chose497.
§ 2. – Les débats politiques sur la constitutionalité de la loi sur les droits
réels
138. - Les débats sur la constitutionnalité de la loi sur les droits réels étaient
déclenchés par M. GONG Xiantian, professeur de droit à l’Université de Pékin, qui
proposait dans sa lettre ouverte à l’APN et à son Comité permanent d’examiner la
compatibilité du projet de loi avec la Constitution de 1982498. Selon le raisonnement de
l’auteur, le projet de loi n’insistait pas sur le principe selon lequel «la propriété
publique est sacrée et inviolable », en légalisant les droits réels privés, elle constituait 493 LIANG Huixing, «Shi zhiding wuquanfa haishi zhiding caichanfa ? Zhengchengsi jiaoshou de jianyi yinfa de sikao (Faut-il élaborer une loi des biens ou une loi sur les droits réels ? Réflexions soulevées par la suggestion du professeur ZHENG Chengsi) », in LIANG Huixing, Wei zhongguo minadian er douzheng (Combat pour le Code civil chinois), Law Press China, 2002, p. 76. 494 V., Jiayou SHI, La Codification du droit civil chinois au regard de l’expérience française, op. cit., pp. 233 à 235. 495 V., article 3 de la loi sur les droits réels. 496 V., article 223, paragraphe 5 de la loi sur les droits réels. 497 V., Alain A. LEVASSEUR, « The boundaries of property rights: la notion des biens », 54 Am. J. Comp. L. 145, p.155. 498 V., GONG Xiantian, « Yibu weifan xianfa de wuquanfa caoan (Un projet anticonstitutionnel de loi sur les droits réels ) », lettre au public disponible sur le site http://www.chinaelections.org/NewsInfo.asp?NewsID=45986, consulté le 20 janvier 2009.
157
la tentative de privatisation des moyens de production au détriment de la propriété
publique. L’auteur contestait également que la majorité des dispositions du projet de loi
sur les droits réels se focalisaient sur la protection des biens privés, sans pour autant
suffisamment tenir compte de la sauvegarde des biens publics qui ne cessaient d’être
érodés dans la vie économique quotidienne. Selon l’auteur, le projet de loi s’identifiait
essentiellement à celui du Code de droits réels en vigueur dans la République de Chine
sous l’ancien régime de Parti nationaliste (Guomindang), alors que ce régime politique
fut déjà renversé par le Parti communiste chinois et son Code des droits réels fut aboli
comme le symbole de l’hégémonie bourgeoise. En d’autres termes, selon le professeur
GONG, la future loi sur les droits réels ne bénéficierait qu’aux riches et présenterait
une réelle menace aux intérêts des pauvres. En résumé, l’adoption de la loi sur les
droits réels entraînerait le recul de l’histoire en contredisant le principe constitutionnel
de l’hégémonie du prolétariat. On observe que la contestation de GONG Xiantian est
moins juridique qu’idéologique, provoquant des controverses sur la légitimité de la loi
sur les droits réels au regard notamment de la relation entre l’économie socialiste basée
sur l’appropriation publique des moyens de production et la propriété privée499.
139. - Les hauts dirigeants de l’APN, sensibilisés par la lettre ouverte, décidèrent de
ralentir la procédure législative afin de mieux cerner le problème et recueillir le
consensus en la matière500. La lettre ouverte fut vivement critiquée par les civilistes qui
soutinrent le principe d’égalité entre propriété publique et propriété privée501. D’autres
499 V., Joseph KAHN, « A sharp debate erupts in China over ideologies », New York Times, 12 mars 2006, « Caught between right and left, town and country », Economist, 10 mars 2007, Vol. 382; Peter FORD, « China’s great leap forward on property », Christian Science Monitor, 15 mars 2007, Vol. 99; Peter KWONG, « China’s neolibral Dynasty », Nation, 2 octobre 2006, Vol. 283, n° 10, pp. 20 à 22. 500 Suite à une publication du projet de loi sur les droits réels en juillet 2005, le Comité permanent entendait le présenter à la session plénière de l’APN au mois mars 2006 pour la mise aux voix mais la survenue de la lettre ouverte de GONG Xiantian a bloqué le déroulement de la procédure ainsi programmée, quand bien même l’officier de l’APN ne l’a jamais avoué. V., Reportage de LIAO Weihua, « QIAO Xiaoyang : Le projet de loi sur les droits réels sera voté en 2007 », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/legal/2006-03/13/content_4296243.htm, consulté le 6 avril 2008. 501 Un séminaire intitulé « La loi sur les droits réels et la construction d’une société harmonieuse » fut tenu à la faculté de droit de l’Université du Peuple (Remin daxue), dont l’objectif était de contre-attaquer la lettre ouverte de GONG Xiantian, v., reportage LI Li, WANG Xingya, «Minfa quanwei liting wuquanfa caoan, zhiyi zhizhi gongxiantian gongkaixin (Les grands civilistes soutiennent le projet de loi et mette en question la lettre ouverte) », Zhongguo qingnianbao (China Youth
158
considérèrent qu’il exista des doutes sérieux sur la constitutionnalité du projet de loi
sur les droits réels, « il [est] souhaitable que l’APN clarifie la question en adoptant des
interprétations constitutionnelles »502. Le législateur chinois fut aussi sensibilisé par
les indignations de M. GONG Xiantian. À la suite de la publication de la lettre ouverte,
certaines dispositions du projet de loi furent remaniées en vue de renforcer la
protection des biens étatiques, M. WU Bangguo, Président de l’APN, donna son
instruction mettant en avant que « les acteurs économiques appartenant à l’État
forment la force dirigeante de l’économie nationale et les biens étatiques sont la
propriété du peuple entier »503. Mais renforcer la garantie de la propriété publique par
la loi sur les droits réels ne peut qu’être la réponse partielle aux contestations de
GONG Xiantian. Selon ce dernier, la possibilité pour la propriété privée de neutraliser
la propriété publique –entendue comme l’expression de l’appropriation publique des
moyens de production– qui elle-même est à la base du socialisme, rend toujours
critiquable la loi sur les droits réels. Dans les courants de pensées tentant de dépasser
les controverses idéologiques, il faut souligner celui très typique de YANG Jingyu,
Président du Comité des lois de l’APN à l’époque, selon lequel « la loi sur les droits
réels s’inscrit dans la propriété publique des moyens de production et traduit le
caractère du socialisme à l’étape préliminaire, par conséquent, se distingue des droits
de biens capitalistes »504. Mais la question de savoir « dans quelle mesure la libre
appropriation des biens serait tolérée par la propriété publique, en d’autres termes
l’étendu de la propriété privée reste indéterminé par la loi sur les droits réels»505, car il
Daily), 28 février 2008. 502 TONG Zhiwei, « Wuquanfa gai ruhe tongguo xianfa zhimen (Comment le projet de loi sur les droits réels passe l’examen de constitutionnalité) », Faxue (Legal Science Monthly), n° 3, 2006, p. 20. 503 Le Comité permanent de l’APN a pris en compte la lettre ouverte de GONG Xiantian, par la suite, un forum a été organisé par le Comité permanent au mois septembre pour discuter la modification du projet de loi sur les droits réels. Le président de l’APN, WU Bangguo qui a présidé le forum, soulignait que la future loi sur les droits réels doit veiller à la protection des biens publics contre diverses atteintes, détournements et gaspillages. V., Discours de WU Bangguo lors du forum sur la modification du projet de loi, 26 septembre 2005, disponible sur le site http://www.npc.gov.cn, consulté le 6 avril 2008. 504 YANG Jingyu, « Yibu juyou lichengbei yiyi de falü : wuquanfa chutaide beijing he yiyi (Une loi de pierre angulaire : l’arrière plan et la signification de la loi sur les droits réels) », Qiushi(Périodique du Comité central du PCC), 2005, n° 9. 505 QU Tao, « Wuquan gainian cong fouding dao kending de lishi (L’histoire de la négation à l’affirmation de la notion de droits réels) », Fazhi ribao(Legal Daily), 20 juillet 2005.
159
s’agit d’une question politique plutôt que juridique. Si la loi sur les droits réels a réussi
à contourner la question, celle-ci peut ressurgir dans d’autres domaines du droit chinois
qui sont davantage influencés par l’internationalisation du droit506.
SECTION I. – LES PROPRIÉTÉS
140. - Avant la promulgation de la loi sur les droits réels, les Principes généraux du
droit civil promulgués en 1986 étaient la principale source juridique en matière de droit
de propriété. Par son article 71, la propriété est définie comme étant le droit de la
posséder, de l’utiliser, d’en disposer et d’en percevoir les fruits. Cette définition est
reprise par l’article 39 de la loi sur les droits réels. Il convient de souligner parmi les
quatre prérogatives ainsi reconnues au propriétaire, le droit d’utiliser et de tirer profit
des biens correspondant à la jouissance, le droit de disposer de ses biens constitue donc
la disposition consacrée par l’article 544 du Code civil français. Il existe toutefois une
nuance en ce qui concerne la possession : en droit français, la possession est un mode
de sélection du propriétaire préférable dans la mesure où le comportement et l’état
d’esprit d’un propriétaire peuvent suffire pour engendrer la propriété507, tandis que le
droit chinois reconnaît la possession comme l’un des prérogatives du propriétaire. La
possession de fait –pour la distinguer avec la possession comme l’un des attributs de la
propriété– est traitée dans le dernier chapitre de la loi sur les droits réels. La doctrine
civiliste dominante en Chine ne considère pas la possession de fait comme un droit réel,
mais admet son importance à l’égard de la protection des intérêts des possesseurs.
Selon le professeur WANG Liming, le rôle de la possession « consiste à la
préservation de l’ordre de l’occupation et la prévention de la privation ou de l’atteinte
à l’occupation aux fins de préserver l’ordre matériel et la sécurité de la société »508. Il
en résulte que « toute occupation, même si elle est illégale, fait l’objet de la protection
du système. En dehors d’organes d’État qui peuvent, selon les lois, priver l’occupation 506 V., infra, n° 622 et s. 507 V., Christian ATIAS, Droit civil, Les biens, 8e éd., Litec, 2005, n° 304. 508 WANG Liming, DIAO Ying, « Les particularités de la loi relative au droit réel et l’expérience chinoise en la matière », op. cit., p. 26.
160
des objets des occupants, personne ne peut confisquer ni s’emparer des objets des
occupants, à défaut les occupants ont le droit de demander la protection juridique »509.
Il s’agit donc de la protection possessoire qui se distingue du pétitoire. C’est au nom de
la paix sociale que la loi sur les droits réels met en place la protection possessoire en
matière mobilière et immobilière. Les actions possessoires sont conçues en fonction
des particularités des troubles. Elles comportent la dénonciation qui s’exerce à titre
préventif contre un trouble imminent, la réintégration qui peut être demandée en cas de
dépossession, la complainte qui est recevable en cas de trouble actuel et constitue une
mesure de protection curative du possesseur. D’ailleurs, la loi des réels prévoit la
protection du possesseur contre des faits dommageables qui n’implique pas une
prétention contraire à sa situation. Cette dernière protection relève du droit de la
responsabilité civile510.
141. - Il faut souligner que la codification à la fin de Dynastie Qing a pu importer en
Chine la notion de droits réels en matière civile, ce qui reflète l’impact de la tradition
romano-germanique sur le droit chinois511. Certes, suite à l’abolition des codes du
gouvernement du Parti nationaliste (Guomindang), la législation civile fut plus
largement influencée par le droit soviétique512. La notion de droits réels fut longtemps
ignorée en droit civil chinois, sauf à être évoquée dans la doctrine civiliste chinois513.
Ainsi en est-il, les Principes généraux du droit civil rassemblent les règles relatives aux
biens dans la section première du Chapitre 5 intitulé « Du droit de propriété et d’autres
droits sur les biens en rapport avec le droit de propriété », sans pour autant utiliser
l’expression de droits réels514. Le premier apport de la loi sur les droits réels réside
donc en la définition des droits réels qui sont « les droits de disposer des biens
509 Ibid. 510 V., article 244 de la loi sur les droits réels. 511 QIAN Mingxing, Wuquanfa yuanli (Théorie générale sur les droits réels), Peking University Press, 1994, p. 89. 512 V., Albert H. Y. CHEN, «Socialist law, civil law, common law, and the classification of contemporary Chinese law», in J. M. OTTO (et al.), Law-making in the P. R. C., op. cit., pp. 57, 61. 513 V., par ex., WANG Liming, GUO Mingrui, WU Handong, Minfa xinlun (Nouveau traité de droit civil), vol. 2, Zhongguo zhengfa daxue chubanshe, 1988, p. 19. 514 Thierry PAIRAULT, « Droit de propriété et réforme du secteur d’État », Étude chinoises, n° 1-2, 2001, p. 12.
161
conformément à la loi et de manière exclusive»515. L’exclusivité des prérogatives du
propriétaire est donc pour la première fois reconnue en droit chinois. Il importe aussi
que la loi sur les droits réels accepte la division fondamentale des meubles et des
immeubles516 . Par l’article 223, la loi sur les droits réels semble impliquer la
distinction entre les meubles corporels et les meubles incorporels qui sont les droits
mobiliers. Ces derniers comportent les créances mobilières, les parts sociales, brevets,
marques, droits d’auteur et d’autres droits patrimoniaux peuvent faire l’objet du
nantissement conformément aux dispositions légales517. Cependant, la valeur juridique
de la distinction meuble et immeuble est relativisée, face à la catégorisation des
propriétés en trois sortes : la propriété d’État (Sous-section 1), la propriété collective
(Sous-section 2) et la propriété des personnes privées (Sous-section 3), qui demeure la
division fondamentale des biens en droit chinois, mais aussi l’une des particularités de
la législation chinoise en matière de droits réels518.
Sous-section 1. – La propriété d’État
142. - La propriété d’État est définie aussi bien par la Constitution de 1982 que par les Principes
généraux du droit civil de 1986, au lieu de simplement réaffirmer les règles de droit déjà existantes,
la loi sur les droits réels clarifie la définition du droit de propriété d’État (§ 1) en précisant son
statut juridique (§ 2) au regard de la propriété privée pour répondre au principe d’égalité de
protection des propriétés publiques et privées519.
515 V., article 2, alinéa 2 de la loi sur les droits réels. 516 V., article 2, alinéa 1er de la loi sur les droits réels. La loi sur les garanties des obligations (danbaofa), entrée en vigueur au 1er octobre 1995, apporte pour la première fois la distinction des biens entre meubles et immeubles. 517 En vertu de l’article 223 de la loi sur les droits réels, les droits mobiliers peuvent faire l’objet du gage. 518 V., WANG Liming, Diaoying, « Les particularités de la loi relative au droit réel et l’expérience chinoise en la matière », op. cit., p. 25 ; 519 WANG Zhaoguo, « Guanyu wuquanfa caoan de shuoming (Explications sur le projet de loi sur les droits réels) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/misc/2007-03/08/content_5818772.htm, consulté le 20 mars 2008.
162
§ 1. – La clarification du droit de propriété d’État
143. - La loi sur les droits réels définit la propriété d’État par l’énumération des
biens appartenant à l’État (A). Cette définition tient également compte des
particularités du régime juridique des biens des entreprises d’État (B), ouvrant par
conséquent la voie à l’élaboration des règles spéciales en la matière.
A. – Les biens appartenant à l’État
144. - La loi sur les droits réels précise d’abord l’étendu des biens de propriété
d’État (1) et puis les sujets auxquels sont confiés les droits de l’exercer (2), qui sont les
deux volets indissociables de la définition du droit de propriété d’État.
(1). – L’étendue des biens de propriété d’État
145. - La loi sur les droits réels reprend la plupart des articles des Principes généraux
du droit civil en ce qui concerne la catégorisation des droits de propriété, tout en y
apportant des précisions et des modifications non pas moins importantes. Tout d’abord,
la loi sur les droits réels énumère avec précision les biens de propriété d’État, alors
qu’auparavant la législation était peut claire en la matière. Selon la loi sur les droits
réels, les biens de propriété d’État comportent les mines, les eaux courantes, les zones
maritimes520, les animaux sauvages et les espèces végétales en tant que composantes
des ressources biologiques521, l’espace hertzien522, les patrimoines culturels523, les
biens à usage de défense nationale, les infrastructures telles que les chemins de fer, les
520 V., article 46 de la loi sur les droits réels. 521 V., article 49 de la loi sur les droits réels. LIANG Huixing contestait que les animaux sauvages soient qualifiés comme propriété d’État, au motif que les animaux sauvages se déplacent toujours ; que de ce fait, il serait illusoire d’exercer de facto le droit de propriété sur eux. V., LIANG Huixing, « Buyi guiding yeshengdongwu ziyuan guiguojia suoyou (Contre la propriété d’État sur les animaux sauvages) », disponible sur le site http://www.iolaw.org.cn/showarticle.asp?id=1986, consulté le 22 mars 2008. 522 V., article 50 de la loi sur les droits réels. 523 V., article 51 de la loi sur les droits réels.
163
routes et les installations de télécommunication et celles d’approvisionnement
d’électricité et de gaz524. Il faut d’ailleurs souligner qu’en droit français, certains
auteurs estiment que le régime de propriété demeure peu compatible avec la
domanialité publique, s’agissant notamment de certains biens publics qui sont en vérité
des choses communes qui constituent un patrimoine collectif525. La loi sur les droits
réels affirme cependant la propriété d’État sur des biens de nature patrimoine collectif,
tout en renvoyant aux d’autres lois spéciales pour préciser les droits que l’État exerce
sur eux526.
(2). – Les sujets à qui sont confiés les droits d’exercer la propriété d’État
146. - L’État étant une notion abstraite en droit chinois, la question se pose à savoir à
qui doit être confié les droits d’exercer réellement la propriété d’État527. La loi sur les
droits réels prévoit que le CAE exerce en principe ces droits, sauf cas prévus par les
dispositions législatives spéciales528. Pour les biens de l’État détenus par les organes de
l’État et les établissements à but non lucratif établies par l’État –telles que les écoles,
les hôpitaux, etc., la loi sur les droits réels précise qu’ils peuvent posséder et utiliser les
biens meubles ou immeubles de l’État ; pourtant, ils ne peuvent en disposer et en tirer
profit que si la loi ou le règlement du CAE le prévoit529. Quant aux actions de l’État, la
loi sur les droits réels précise que le CAE ou des gouvernements locaux exercent les
droits et assument les obligations de l’État en tant qu’actionnaire, conformément aux
524 V., article 52 de la loi sur les droits réels. 525 Jean-Marie AUBY, Pierre BON, Jean-Bertrand AUBY, Philippe TERNEYRE, Droit administratif des biens, 5e éd., Dalloz, 2008, §28. 526 De nombreuses lois précisent les droits de l’État sur ces biens en commun. V., par exemple, l’article 3 de la loi de 2002 sur l’administration des zones maritimes, l’article 3 de la loi de 1996 sur les ressources minières, l’article 3 de la loi de 1996 sur le charbon, l’article 4 de la loi de 1998 sur le plateau continental et les zones économiques exclusives. 527 GUO Lihong, « Zhengque renshi guozi de chanquan guishu (Sur l’appropriation des biens étatiques) », Jingji yanjiu cankao (Review of Economic Research), n° 23, 2003, pp. 4 à 7. 528 V., article 45, alinéa 2 de la loi sur les droits réels. Il existe une opinion différente selon laquelle la propriété d’État ne peut être exercée que par l’APN, pour traduire le sens de la propriété du peuple tout entier. V., CAI Dingjian, Xianfa jingjie (Constitution: An intensive reading), op. cit., p. 189. 529 V., articles 53 et 54 de la loi sur les droits réels.
164
lois et règlements applicables530.
147. - Pour que la propriété d’État devienne une notion juridique opérationnelle, les
dispositions susmentionnées de la loi sur les droits réels distinguent la propriété d’État
et l’exercice de ce droit. Ces dispositions constituent l’un des apports majeurs de la loi
sur les droits réels. Car les Principes généraux du droit civil, « mis au point en fonction
de la réalité spécifique de la Chine conformément à la Constitution de 1982 »531,
reprennent simplement la formulation de la Constitution sans pour autant préciser le
sens de la propriété d’État532. Certains civilistes chinois considèrent que l’État détient
la puissance publique et que, de ce fait, il n’exerce pas de droit de propriété sur les
biens publics comme les propriétaires ordinaires 533 , mais plutôt le pouvoir
d’administration534. En conférant au CAE les droits d’exercer la propriété d’État, la loi
sur les droits réels semble contourner le problème soulevé par des civilistes en
combinant la gestion des biens étatiques et le pouvoir d’administration. En témoigne la
concession des droits d’usage portant sur les mines et les zones maritimes qui est
contrôlée par le Ministère du Territoire et des Ressources, l’établissement du droit
d’exploitation forfaitaire des prairies tombe sous la compétence du Ministère de
l’Agriculture, alors que la concession du droit d’usage sur les terrains forestiers est
menée à titre expérimental par le Bureau National d’Administration Forestière535.
B. – La clarification de la propriété des biens des entreprises d’État
148. - La question majeure concernant la propriété des biens des entreprises d’État
530 V., article 55 de la loi sur les droits réels. 531 XU Baikang, « Les principes généraux du droit civil en Chine », op. cit., p. 126. 532 V., article 73 des Principes généraux du droit civil. 533 V., LIU Xinwen, Xinzhongguo minfaxue yanjiu shuping (Commentaire sur l’étude du droit civil en Chine), Zhongguo zhengfa daxu chubanshe, 1999, p. 367. 534 V., SUN Xianzhong, « Woguo wuquanfa suoyouquan tixi de yingran jiegou (Sur le régime raisonnable du droit de propriété en droit chinois) », Fashang Yanjiu (Studies in Law and Business), 2002, n° 5, pp. 20 à 24. 535 V., reportage « Woguo jiang quanmian qidong lingai peitao gaige (La réforme forestière sera systématiquement mise en place par l’État) », disponible sur le site officiel du Bureau national d’administration forestière, http://www.forestry.gov.cn/jtlqgg/Default2.aspx?id=2699, consulté le 31 mai 2008.
165
relève de la relation entre l’État et les entreprises d’État à l’égard de l’exercice du droit
des actifs des entreprises. La loi sur les droits réels affirme le statut d’actionnaire de
l’État par rapport aux entreprises d’État (1), mais la question de savoir qui exerce les
droits sur les parts sociales de l’État demeure floue (2).
(1). – L’affirmation du statut d’actionnaire de l’État
149. - Dans le contexte de la réforme du secteur d’État dont l’objectif est de
moderniser la gestion des entreprises d’État tout en assurant son autonomie par rapport
à l’État et en préservant les patrimoines de l’État, la question de la propriété, à savoir à
qui appartiennent les biens des entreprises d’État a provoqué des débats536. La question
concerne le rapport juridique entre l’État et les entreprises d’État en matière de
modalités de l’exercice du contrôle par le gouvernement sur les biens d’entreprises
d’État 537 . Avant 1978, l’action du gouvernement s’exerçait directement sur les
entreprises d’État par le biais de la planification économique de l’État. Certes, par la
réforme économique progressive –au lieu de la privatisation dite « traitement de
choc»538–, le secteur d’État se transformait sur le modèle de propriété publique
décentralisée au profit des entreprises d’État afin d’augmenter la rentabilité de ces 536 Rappelons la controverse en droit français sur la même question tranchée par la jurisprudence du Conseil d’État. En statuant au contentieux, le Conseil d’État a définitivement rejeté la thèse des biens propriété de l’État et a jugé que les biens considérés étaient la propriété des entreprises. V., CE, 1er déc. 1950, EDF : Rec. CE, p. 595 ; CJEG 1951, p. 80, concl. Agid ; D. 1952, jurispr. p. 652, note L’Huillier ; S. 1951, 3, p. 61, note Boulouis. CE, 7 nov. 1962, EDF c/ Jacquet : AJDA 1963, p. 184, note Laubadère. V., aussi, Jean-Paul BUFFELAN-LANORE, « Régime des entreprises publiques », JurisClasseur Administratif, Fasc. 157, Côte 05, 2000, 01 février 2000, § 129. 537 V., notamment, Thierry PAIRAULT, Droit de propriété et réforme du secteur d’État, loc. cit. ; Russell SMYTH, « Property rights in China’s economic reforms », Communist and Post-Communist Studies, n° 3, 1998, pp. 235 à 248 ; Zhiyuan CUI, « Whither China ? The discourse on property rights in the Chinese reform context », Social Text, n° 2, summer 1998, pp. 67 à 81; Frank Xianfeng HUANG, « The Path to Clarity: Development of property rights in China », Columbia Journal of Asian Law, n° 2, spring 2004, pp. 191à 223; Donald C. CLARKE, « Economic development and rights hypothesis: the China problem », The American Journal of Comparative Law, n° 1, 2003, pp. 89 à 111. 538 V., par ex., Andrew WALDER, Jean OI, « Property rights in the Chinese economy: Contours of the process of change », in Andrew WALDER, Jean OI (eds.), Property rights and economic reform in China, Standford: Standford University Press, 1999, pp. 1 à 26. Cf., Xiaobo HU, Problems in China’s transitional economy: Property rights and transitional models, Singapore: Singapore University Press, 1998.
166
dernières539. D’abord, les Principes généraux du droit civil prévoient la séparation de
l’appropriation et de l’administration du secteur étatique540. En suite, dans les années
90, se réalisaient des opérations de mise en société des entreprises d’État. La grande
incertitude était de savoir quels étaient les droits dont disposent les organes
gouvernementaux dans la gestion des entreprises mises en sociétés541. Car, la loi sur les
sociétés promulguée en 1993, avant d’être modifiée en 2005, par son article 4, alinéa 3,
disposait que « les capitaux d’État d’une société sont la propriété de l’État »542. Selon
la doctrine chinoise, cette assimilation des capitaux d’État à la propriété de l’État a
pour conséquence que l’État en qualité de propriétaire puisse directement disposer des
biens des sociétés et intervenir dans la gestion de celles-ci, tandis que le même article
reconnaît aux sociétés « le droit patrimonial des personnes morales (faren
caichanquan) » 543 sur leurs actifs sociaux qui constituent l’ensemble des biens et
valeurs de l’établissement. Certes, la signification du droit patrimonial des personnes
morales a suscité bien des débats au sein des juristes chinois544. Pour les uns, ils
considéraient que le droit patrimonial des personnes morales portant sur leurs biens
était, par essence, droit de propriété545 et, le droit patrimonial des personnes morales
était une notion générale englobant divers droits parmi lesquels figure le droit de
propriété546. Pour les autres qui s’appuyaient sur l’exclusivité du droit de propriété,
539 V., notamment, Lixin Colin XU, « Determinants of the re-partitioning of property rights between the government and state enterprises », disponible sur le site http://www.wds.worldbank.org/servlet/WDS_IBank_Servlet?pcont=details&eid=000009265_3971110141245, consulté le 22 avril 2006. 540 V., WANG Hanbin, « Explications sur le projet des Principes généraux du droit civil lors de la 4e session plénière du sixième APN », 2 avril 1986, Journal officiel du Comité permanant de l’APN, n° 4, 1986. 541 Zhuang HAN, De l’autonomie des entreprises d’État en droit chinois, op. cit., p. 163 ; Thierry PAIRAULT, « Droit de propriété et réforme du secteur d’État », op. cit., p. 29. 542 La traduction ici reprend celle du Code chinois du droit des affaires. V., Robert GUILLAUMOND, XIE Zhao Hua, Code chinois du droit des affaires, Larcier, 1995, p. 11. 543 V., article 4, alinéa 2 de la loi sur les sociétés. 544 Cf., CHAI Zhen’guo (et al.), Faren caichanquan de fansi yu chonggou (Réflexions et reconstruction des droits patrimoniaux des personnes morales), Law Press China, 2001, pp. 16 à 19. 545 V., par exemple, QIAN Mingxing, « On company property, company property ownership, and shareholder’s stock right », Zhongguo renmin daxue xuebao (Journal de l’Université de Renmin), n° 2, 1998, pp. 54 à 59. 546 V., MA Junju, « Faren zhidu de jiben lilun he lifa wenti zhi tantao (Théorie générale et problèmes de
167
considéraient que le droit patrimonial des personnes morales ne serait pas le droit de
propriété, car les biens investis par l’État dans les sociétés demeureraient propriété de
l’État547. L’enjeu des débats était de savoir qui serait le sujet du droit de propriété sur
les biens des sociétés : l’État ou la société. Le professeur JIANG Ping a expliqué que la
propriété d’État sur les biens qu’il investit dans les sociétés se transforme en actions
–celles-ci n’est pas l’objet de propriété– par conséquent, seules les sociétés sont
propriétaires de leurs actifs548. L’opinion du JIANG Ping a été partagée par la plupart
des juristes chinois. La loi sur les sociétés a été donc modifiée en 2005. L’ancien article
4 a été remplacé par la nouvelle disposition en vertu de laquelle l’État est l’actionnaire
des sociétés par mesure d’investissement549. Par ses articles 55 et 67, la loi sur les
droits réels reprend l’approche de la loi sur les sociétés, en insistant sur la qualité
d’actionnaire de l’État à l’égard des biens meubles ou immeubles qu’il a investis dans
des sociétés, par conséquent, consolide le statut des sociétés comme propriétaires de
leurs biens, ainsi que son autonomie par rapport à l’État550.
(2). – La question concernant l’exercice des droits sur les parts sociales détenues par
l’État
150. - Le flou du rapport entre le gouvernement et les entreprises d’État résultant de
la « décentralisation » de la propriété d’État était considéré comme une ambiguïté du
législation sur la personnalité morale) », Faxue pinglun (Law Review), n° 6, 2004, pp. 24 à 37 ; ZHANG Yanli, « Qiye faren caichanquan zaiyi (Reconsidération sur le droit des biens des personnes morales d’entreprises) », Faxue zazhi (Law Science Magazine), 2003, n° 9, pp. 39 à 41; LEI Xinghu, FENG Guo, « Lun gudong de guquan yu gongsi de faren caichanquan (Sur les droits des actionnaires et le droit de propriété des personnes morales d’entreprises) », Faxue pinglun (Law Review), 1997, n°2, p. 80. 547 V., notamment, QI Duojun, « Lun guquan (À propos des actions) », Xiandai faxue (Modern Law Science), n°4, 1993, pp. 8 à 13. 548 V., JIANG Ping, KONG Xiangjun, « Lun guquan (À propos des actions) », Zhongguo faxue (China Legal Science), n°1, 1994, pp. 72 à 81 ; TANG Dehuan, « Guquan xingzhi lunbian (Sur la nature juridique des actions) », Zhengfa luntan (Tribune of Political Science and Law), n° 1, 1994, pp. 67 à 72. 549 V., article 65, alinéa 2 de la loi sur les sociétés. 550 World Bank, China’s Management of Enterprise Assets: the State as Shareholder, Report n° 16265-CHA, 5 June 1997.
168
droit de propriété 551 . Il faut d’abord souligner que plutôt que le terme de
décentralisation, c’est celui de déconcentration administrative qui s’applique le mieux
à la Chine d’aujourd’hui. Car, les instances locales auxquelles ont été déléguées un
certain nombre de compétences ne sont pas en effet élues mais désignées par le PCC.
Elles demeurent directement subordonnées sur le plan hiérarchique à l’échelon
supérieur du bloc État-Parti552. En ce qui concerne l’administration et la gestion de la
propriété d’État, la décentralisation ou plus exactement la déconcentration décrit non
seulement l’autonomie accrue des autorités locales, mais surtout l’autonomie accrue
des entreprises d’État qui étaient auparavant plus directement contrôlées par l’État.
Depuis 1997, le PCC considéra la « clarification des droits de propriété » comme l’une
des réformes prioritaires des entreprises d’État 553 , pour résoudre la question
fondamentale à savoir « qui dispose de quels droits » pour les biens publics554. La ligne
directrice fut adoptée lors du XVIe congrès du PCC : « l’État [procèdera] à
l’élaboration de lois et règlements en vue d’instituer un système de gestion des biens
de l’État conférant tant au gouvernement central qu’aux gouvernements locaux le
pouvoir, en qualité de représentants de l’État, d’assumer les attributions et les
responsabilités de bailleurs de fonds avec jouissance des droits et intérêts de
propriétaires »555. Il existait une hypothèse selon laquelle l’exercice de la propriété
d’État devrait être partagé entre le gouvernement central et les gouvernements locaux
de divers échelons, donc une décentralisation de la propriété d’État556. Or, la loi sur les
551 V., Frank Xianfeng HUANG, « The path to clarity: Development of property rights in China », loc. cit.; Victor NEE, Sijin SU, « Institutions, Social Ties, and Commitment in China’s Corporatist Transformation », in John McMILLIAN, Barry NAUGHTON (eds.), Reforming Asian Socialism: The growth of market institutions, Ann Arbor: University of Michigan Press, 1996, p.111 à 133; Thierry PAIRAULT, « Droit de propriété et réforme du secteur d’État », loc. cit. 552 V., Thierry SANJUAN (sous la dir. de), Dictionnaire de la Chine contemporaine, Armand Colin, 2006, p. 62. 553 V., JIANG Zemin, Rapport présenté devant le XVe Congrès du PCC, disponible sur le site http://www.people.com.cn/GB/shizheng/252/5089/5093/, 30 avril 2001. 554 V., notamment Ronald C. KEITH, Zhiqiu LIN, Law and justice in China’s new marketplace, Palgrave Macmillan, 2001, pp. 139 à149. 555 V., Texte intégral du rapport de Jiang Zemin au XVIe Congrès du Parti communiste chinois (IV), disponibles sur le site http://china.org.cn/french/50669.htm, 24 octobre 2002. 556 V., ZHOU Linbin, Wuquanfa xinlun (Étude renouvelées des droits réels), Peking University Press, 2002, pp. 379 ; SUN Xianzhong, « Queding woguo wuquan zhonglei yiji neirong de nandian (Les
169
droits réels précise que le CAE et les gouvernements locaux exercent les droits de
l’actionnaire et assument les responsabilités de l’actionnaire en tant que représentants
de l’État 557 . Cela renverse l’hypothèse de décentralisation: l’État demeure le
propriétaire unique558 mais avec une décentralisation de la gestion des actions d’État.
Selon le professeur SUN Xianzhong, l’apport important de la loi sur les droits réels
consiste à ce qu’elle précise le sujet, les objets et le contenu de la propriété d’État et,
par conséquent, transforme la propriété d’État –qui fut confondue avec le mode
d’appropriation étatique des biens– en une vraie catégorie juridique en droit chinois559.
151. - La loi sur les actifs d’État des entreprises promulguée le 28 octobre 2008
réaffirme la décentralisation de la gestion de tous les actifs d’État des entreprises, en
donnant la précision sur la répartition entre le CAE et les gouvernements locaux des
affaires de gestion des actifs d’État. En vertu de l’article 4 de cette loi, la gestion des
actifs d’État des entreprises des secteurs clés de l’économie nationale, des entreprises
concernant la sécurité nationale, celles des secteurs d’infrastructure et de sources
naturelles est assumée par le CAE, alors que la gestion des actifs d’État de toutes les
autres entreprises relève des gouvernements locaux. Prévues à cet effet, la Commission
d’État chargée de la supervision et de la gestion des actifs d’État (SASAC) a été
instituée auprès du CAE, ses subordonnées ont été créées aux gouvernements locaux. Il
faut souligner que la loi de 2008 confère désormais le pouvoir de supervision à l’APN
et aux assemblées populaires locaux de différents échelons sur la gestion des actifs
difficultés de la classification et de la définition du droit réel) », Faxue yanjiu (Chinese Journal of Law), n° 1, 2001, p. 54 ; SHEN Yi, « Lun Fenji suoyou de difang guoyou zichan jingying (La gestion des biens étatiques par les gouvernements locaux en cas du partage du droit de propriété) », Reform (Gaige), n° 1, 2003, pp. 11 à 16 ; SHI Jichun, YAO Haifang, « Guoyouzhi gexin de lilun yu shijian (Théorie et pratique de la réforme de la propriété d’État) », Faxue luntan (Legal Forum), n° 1, 2005, pp. 9 à 15. 557 V., article 55 de la loi sur les droits réels. 558 V., WANG Liming, Wuquanfa yanjiu (Étude des droits réels), Zhongguo renmin daxue chubanshe, 2002, p. 291 ; même auteur, « Guojia suoyouquan de falü tezheng yanjiu (Étude sur les caractères juridiques de la propriété d’État) », Falü Kexue (Science of Law), n° 6, 1990, pp. 29 à 35 ; SHI Jichun, LÜ Ning, « Lun woguo quanminsuoyouzhi shixian de falü xingshi ( Les formes de la réalisation du droit de propriété d’État en Chine) », Hebei faxue (Hebei Law Review), n° 4, 1989, pp. 16 à 18. 559 SUN Xianzhong, « Wuquanfa de zhongda lilun gengxin he zhidu chuangxin (De grands renouvellements de la théorie et des institutions par la loi sur les droits réels) », Guangming ribao (Quotidien des lumières), 5 juin 2007, p. 4.
170
d’État par le CAE ou par les gouvernements locaux560. La loi de 2008 réaffirme
également l’indépendance des entreprises d’État par rapport au gouvernement en leur
reconnaissant les prérogatives du propriétaire sur tous les biens meubles et immeubles
des entreprises561. Certes, les mutations importantes concernant les actifs d’État, y
compris la fusion, la division, la dissolution et la faillite des entreprises dont l’État est
l’actionnaire unique ou majoritaire, doivent avoir préalablement obtenu l’approbation
des gouvernements de différents niveaux auxquels est confiée la gestion des actifs
d’État562. L’exigence d’approbation préalable s’applique même à la cession totale ou la
cession partielle des actifs d’État qui entraîne la perte du statut d’actionnaire
majoritaire de l’État563. En tant qu’actionnaire des entreprises dans lesquels il a investi,
l’État, représenté par le CAE ou par les gouvernements locaux de différents échelons,
exerce un pouvoir important à la gestion des entreprises à travers l’exercice des droits
sur ses parts sociales. Il en résulte que la question de savoir comment concilier
l’autonomie des entreprises d’État et l’exerce des droits sur les parts sociales par l’État
demeure un sujet controversé en droit chinois.
§ 2. – La précision sur le statut de la propriété d’État
152. - Après des débats concernant la question si la propriété privée devait avoir ou
non le même statut que la propriété publique, il y eut un consensus en ce qui concerne
la renonciation de certains privilèges de la propriété d’État (A) afin de se conformer au
« principe d’égalité de protection » des propriétés publique et privée en droit civil.
Mais la protection de la propriété d’État, du fait de son importance moins juridique que
politique, est également réaffirmée comme l’un des principes de la loi sur les droits
réels (B).
A. – La renonciation à certains privilèges de la propriété d’État
560 V., article 63 de la loi sur les actifs d’État des entreprises. 561 V., articles 6 et 16 de la loi sur les actifs d’État des entreprises. 562 V., article 34 de la loi sur les actifs d’État des entreprises. 563 V., article 53 de la loi sur les actifs d’État des entreprises.
171
153. - L’idée de mettre la propriété de l’État et la propriété des individus sur un pied
d’égalité fut soulevée très tôt en 1995 par le professeur WANG Jiafu qui s’appuya sur
la théorie selon laquelle le traitement sans discrimination de tous les sujets devant la loi
est le principe de l’économie de marché564. Lors de l’élaboration du projet de loi sur les
droits réels, il exista des opinions opposées sur cette question, à savoir si la propriété
publique et la propriété privée devaient être traitées de la même manière et sans aucune
distinction. La divergence surgit pour la définition du droit de propriété. Selon WANG
Liming, –civiliste et membre de l’équipe de travaux préparatoires–, la loi sur les droits
réels devrait exprimer la spécificité du régime économique chinois à savoir la
coexistence des différentes propriétés et, par conséquent, maintenir les différentes
définitions de la propriété d’État, de la propriété collective et de la propriété privée,
ainsi que les différents régimes juridiques correspondants565. Or, cette hypothèse fut
vivement critiquée par un autre membre de l’équipe de travaux préparatoires, LIANG
Huixing qui considéra que la division entre la propriété publique, la propriété
collective et la propriété privée fut purement artificielle et contraire au principe
fondamental d’égalité en droit civil. En résumé, les trois différentes définitions
concernant respectivement la propriété publique, la propriété collective et la propriété
privée devraient être remplacées par une notion unique du droit de propriété566. En
2005, après la troisième lecture du projet de la loi sur les droits réels, la Commission
des travaux législatifs (fazhi gongzuo weiyuanhui) du Comité permanent de l’APN fit
état que l’un des objectifs de la future loi serait de reconnaître la protection égale des
trois catégories de propriétés567. Les débats furent ainsi clos par la « conciliation entre
la catégorisation des propriétés et la reconnaissance du principe d’égalité de
564 Ministère de la Justice, Office nationale de la diffusion de droit, Zhonggong zhongyang fazhi jiangzuo huibian (Recueil des lectures de droit devant le Comité central du PCC), Law Press China, 1998, p. 66. 565 WANG Liming, Wuquanfa yanjiu (Étude des droits réels), Zhongguo renmin daxue chubanshe, 2002, p. 282. 566 LIANG Huixing, Zhongguo wuquanfa caoan jianyigao (Propositions sur le projet de loi sur les droits réels), Shehui kexue wenxian chubanshe, 2000, p. 212. 567 V., Commission des travaux législatifs du Comité permanent de l’APN, Rapport sur la modification du projet de la loi sur les droits réels, présenté le 19 octobre 2005, disponible sur le site http://www.npc.gov.cn/zgrdw/common/zw.jsp?label=WXZLK&id=342510&pdmc=1502, consulté le 23 octobre 2005.
172
protection de toutes les propriétés »568.
154. - Selon le professeur WANG Liming, « [L]’égalité de protection constitue non
seulement un principe primordial dans la loi relative au droit réel de la Chine, mais
aussi une particularité de la loi relative au droit réel à la chinoise »569. Le principe
d’égalité de protection signifie que les sujets du droit réel se trouvent dans des
positions juridiquement égales, jouissent des mêmes droits et respectent les mêmes
obligations prescrites par la loi. Si le droit chinois a toujours entériné a posteriori des
pratiques déjà bien établies au sein de la population chinoise570, il faut cependant
souligner que la suppression de la supériorité de la propriété d’État est un nouvel
apport de la loi sur les droits réels. D’abord, celle-ci ne répète pas le principe
constitutionnel en vertu duquel «les biens publics socialistes sont sacrés et
inviolables » –pourtant réaffirmé par l’article 73, alinéa 2 des Principes généraux du
droit civil comme « la propriété d’État est sacrée et inviolable ». Le principe d’égalité
entre différentes propriétés est intégré dans l’article 3 de la loi sur les droits réels, en
vertu duquel « l’État assure le statut juridique égal de tous les acteurs du marché et
leur droit au développement ». De même, l’article 4 dispose que « les biens de l’État,
des collectivités, des individus et d’autres personnes sont protégés par la loi contre les
atteintes », visant à établir la coexistence des propriétés publique et privée qui se
justifie par l’étape primaire du socialisme auquel « la Chine restera pendant une
longue période »571. Outre les principes symboliques, la loi sur les droits réels renonce
à certains privilèges de la propriété d’État qui furent pendant longtemps consentis en
pratique. Premièrement, en vertu de l’article 79 des Principes généraux du droit civil,
les biens apparemment sans maître étaient présumés propriété d’État, tandis qu’en
vertu de la loi sur les droits réels les biens perdus ou sans maître doivent d’abord faire 568 LIU Baoyu, « Suoyouquan de leixinghua yu pingdeng baohu yuanze de jiehe (La conjugaison entre la catégorisation des propriétés et le principe d’égalité) », Faxue pinglun (Law Review), n° 6, 2005, pp.93, 94. 569 WANG Liming, DIAO Ying, « Les particularités de la loi relative au droit réel et l’expérience chinoise en la matière », op. cit., p. 24. 570 Jacque DELISLE, « Property reform in China », in The future of political reform in China, présenté par The China Program at The Carnegie Endowment, 29 janvier 2004, disponible sur le site http://www.carnegieendowment.org/files/Jan29-FinalPanel-edited-23Feb2004.pdf, consulté le 16 mars 2008. 571 V., Préambule, alinéa 7 de la Constitution 1982, révisé en 2004.
173
l’objet d’un avis public en cherchant ses titulaires. L’État pourra ensuite s’approprier
ces biens si les titulaires ne se présentent pas à l’échéance d’une durée de six mois à
partir du jour de la publication de l’avis572. Deuxièmement, par l’introduction de la
notion de possession, les biens dont l’appartenance est controversée entre deux parties,
mais aucune partie ne peut fournir la preuve justifiant son statut de propriétaire, ne
seront plus présumés comme la propriété d’État, alors que cette présomption était
auparavant généralement admise dans la pratique judiciaire573. Enfin, la loi sur les
droits réels n’affirme plus la pratique judicaire selon laquelle les délais de l’action ne
s’appliquaient pas aux litiges intentés contre les atteintes au droit de propriété
d’État574.
155. - Cependant, selon LIANG Huixing, la distinction en trois catégories de
propriété est en soi injuste, puisqu’elle entraîne nécessairement la différenciation et les
traitements discriminatoires des propriétés en droit et pratique 575 . Mais il faut
remarquer que la question porte donc moins sur l’égalité entre différents droits de
propriété –au sens d’une catégorie juridique (suoyouquan)– que sur l’égalité entre
différentes formes d’appropriation qui relèvent de l’économie politique exprimant les
rapports de production et le développement des forces productives. La protection égale
affirmée par la loi sur les droits réels ne s’applique qu’aux droits de propriété publique
et privée ; elle ne s’applique pas aux différentes formes d’appropriation publique ou
privée576. Néanmoins, l’internationalisation du droit économique chinois, conduite par
572 V., articles 113, 114 de la loi sur les droits réels. 573 LIANG Huixing, « Sanfenfa haishi yiyuanlun, wuauqnfa zhidaosixiang zhizheng (Trichotomie ou monisme : les débats sur la ligne conductrice de la loi sur les droits réels) », disponible sur le site http://www.iolaw.org.cn/shownews.asp?id=5297, consulté le 17 mars 2008. 574 V., La Cour populaire suprême, Avis d’interprétation en date du 5 décembre 1990 sur l’application des Principes généraux du droit civil, §198. 575 LIANG Huixing, « Sanfenfa haishi yiyuanlun, wuauqnfa zhidaosixiang zhizheng (Trichotomie ou monisme : les débats sur la ligne conductrice de la loi sur les droits réels) », loc. cit., V., aussi SUN Xianzhong, « Zhongguo minfadian zhiding xianzhuang ji zhuyao wenti (Drafted Conditions and Main problems of China’s Civil Code) », Jilin University Journal Social Sciences Edition (Jilin daxue shehuikexue xuebao), n° 4, 2005, pp. 166 à 174; « Wuquanfa ying caina yitichengren pingdengbaohu de yuanze ( Plaidoyer pour la reconnaissance du principe d’égalité des propriétés par la loi sur les droits réels)», Falü kexue (Science of Law), 2006, n° 4, p. 146. 576 Commission des travaux législatifs du Comité permanent de l’APN, Zhonghuarenmingongheguo wuquanfa : tiaowen shuoming, lifaliyou ji xiangguanguiding (La loi sur les droits réels, explications,
174
l’accession de la Chine à l’OMC, ouvre la voie au traitement égal des secteurs de
différentes propriétés 577 et peut apporter un nouveau sens à l’égalité entre les
différentes propriétés qui ne se cantonne plus au droit civil.
B. – La réaffirmation des principes de protection de la propriété
d’État
156. - En droit français, les biens publics sont insaisissables et ne doivent pas être
cédés en-dessous de leur valeur578. Ces principes sont également reconnus par la loi sur
les droits réels sous l’angle de la protection de la propriété de l’État. L’article 41
proclame le principe selon lequel les individus ou les organisations ne peuvent pas
s’approprier les biens qui sont définis comme la propriété exclusive de l’État. Il en
résulte que les biens énumérés dans les articles 46 à 52 ne peuvent pas faire l’objet du
droit de propriété privée ou collective. L’État est donc affirmé comme le propriétaire
unique de ces biens. Par ce principe, ces biens de propriété d’État sont à la fois
insaisissables, imprescriptibles et incessibles. Pour les biens de propriété d’État dont la
cessibilité est permise par la loi sur les droits réels, celle-ci prévoit le principe de
garantie plus rigoureux qu’en droit français où les biens publics ne peuvent pas être
cédés en-dessous de leur valeur. Car, l’article 57 de la loi sur les droits réels impose
aux organes publics et leurs fonctionnaires chargés d’administrer des biens étatiques
l’obligation de renforcer la gestion et le contrôle des biens étatiques, d’en promouvoir
la rentabilité et d’en prévenir le dommage. Ceux qui abusent de leurs pouvoirs ou
manquent à leurs devoirs doivent assumer la responsabilité pour les préjudices causés à
l’État. La responsabilité est également engagée pour ceux qui cèdent les biens étatiques
en-dessous de leur valeur, détournent les biens étatiques, ou donnent des garanties sur
les biens étatiques ou prennent d’autres actes en méconnaissant des règles de droit et,
par conséquent, causent des préjudices à l’État. Il faut remarquer en outre que l’article
57, alinéa 2, met aussi l’accent à ce que les actes illégaux susmentionnés peuvent être motifs et dispositions pertinentes), Beijing University Press, 2007, p. 6. 577 V., infra, n° 622 et s. 578 Jean-Marie AUBY, Pierre BON, Jean-Bertrand AUBY, Philippe TERNEYRE, Droit administratif des biens, 5e éd., Dalloz, 2008, §§ 29, 30.
175
passés lors de restructurations, de fusions d’entreprises ou d’opérations entre les parties
liées, traduisant donc la préoccupation du législateur de mieux répondre au besoin de
renforcer la garantie des actifs des entreprises d’État. Certes, la question centrale est de
savoir comment assurer la garantie effective des biens étatiques, plutôt qu’à l’énoncé
des principes579.
Sous-section 2. – La propriété collective
157. - Les biens faisant l’objet de la propriété collective sont déterminés par la
Constitution de 1982 qui ne précise toutefois pas qui est le titulaire de ce droit. La
notion juridique de la propriété collective est définie par les Principes généraux du
droit civil 1986580. Il faut d’abord souligner que la propriété collective se différencie de
la notion de propriété collective en droit français. Comme François TERRÉ l’a
constaté, en droit civil français, les deux principales modalités communes à plusieurs
personnes sont l’indivision ordinaire et la copropriété des immeubles bâtis divisés en
lots581. Or, la propriété collective en droit chinois est l’expression juridique du régime
économique basé sur l’appropriation publique des moyens de production582. C’est la
raison pour laquelle, l’indivision et la copropriété ne sont pas considérées par la loi sur
les droits réels appartenant à la catégorie juridique de la propriété collective. Il ne reste
pas moins vrai que la notion de l’appropriation publique des moyens de production
s’est immiscée sur la définition de la propriété collective, notamment à l’égard du sujet
de ce droit. Alors qu’en droit français l’individu est le propriétaire de sa part privative
dans le cas de propriété collective, les dispositions législatives en droit chinois sont
toujours ambiguës en la matière. D’où des débats au sein des juristes chinois,
notamment sur la question de savoir si les membres individuels de la collectivité sont
579 V., infra, n° 337 et s. 580 V., article 74 des Principes généraux du droit civil. 581 François TERRÉ, Philipe SIMLER, Droit civil, Les biens, 7e éd., op. cit., § 546. 582 YU Nengbin, « Woguo wuquanlifa jiejian de lixing xuanze yu fansi (Réflexions sur la transposition de droit dans l’élaboration de la loi sur les droits réels) », Huanqiu falü pinglun(Global Law Review), n° 1, 2006, p. 26.
176
propriétaires des biens collectifs 583 . Les uns, s’appuyant sur l’article 6 de la
Constitution de 1982 –selon lequel la propriété collective est une forme de la propriété
publique–, considèrent que seules les collectivités ou les entités économiques
collectives sont propriétaires des biens collectifs, par conséquent, les individus
membres des collectivités ne les sont pas584. Les autres considèrent toutefois que les
individus membres des collectivités ont la qualité d’indivisaires de la propriété
collective, les collectivités ou les entités économiques collectives ne détiennent que des
droits d’exploitation et de gestion des biens collectifs en qualité de représentants de
leurs membres585. Après avoir repris les dispositions des Principes généraux du droit
civil concernant les biens faisant l’objet de la propriété collective586, la loi sur les droits
réels redéfinit les sujets du droit de propriété collective, mais selon la distinction entre
zones rurale (§ 1) et urbaine (§ 2).
583 V., NAN Luming, XIAO Zhiyue, Zhonghuarenmingongheguo dichan falü zhidu, tudi gaige yu tudi shiyongquan churang zhuanrang (Le droit foncier de la RPC: la réforme foncière, la concession et le transfert du droit d’utilisation), op. cit., pp. 205, 206. 584 V., par ex., Zhonghua faxue dacidian, minfaxue juan (Dictionnaires du droit chinois : droit civil), Zhongguo jiancha chubanshe, 1994, p.334 ; LIU Xinwen, Xinzhongguo minfaxue yanjiu shuping (Commentaire sur l’étude du droit civil en Chine), op. cit., p. 372. WANG Liming, Wuquanfa lun (Étude des droits réels), Zhongguo zhengfa daxue chubanshe, 1998, pp. 331, 483 et 519 ; MENG Qinguo, «Wuquanfa ruhe baohu jiti caichan ? (Comment protéger la propriété collective par la loi sur les droits réels) », loc. cit. 585 V., par ex., WEN Shiyang, «Luelun woguo wuquanfa de tixi (Sur la structure des droits réels) », in WANG Liming (ed.), Wuquanfa lun (Étude des droits réels), op. cit., p. 518 ; v., aussi, HAN Song, « Lun jiti suoyouquan de zhuti xingshi (À propos du sujet de la propriété collective) », Fazhi yu shehui fazhan (Law and Social Development), n°, pp. 39 à 51 ; WANG Tiexiong, « Jiti tudi suoyouquan zhidu zhi wanshan (L’amélioration du système juridique du droit foncier de propriété collective) », Faxue (Law Science Monthly), n° 2, 2003, pp. 41 à 47. 586 Article 58 de la loi sur les droits réels prévoit ce que sont les biens de propriété collective : (1) le sol, les forêts, les terres montagneuses, les prairies, les bancs de sable et de vase, tels qu’ils sont définis par la loi; (2) les bâtiments, les moyens de production, les travaux hydrauliques pour l’agriculture ; (3) les établissements d’enseignements, de recherches scientifiques, de culture, d’hygiène et de sports etc. ; (4) d’autres meubles et immeubles appartenant à la collectivité. On a toutefois critiqué que la loi sur les droits réels n’érige pas de critère pour distinguer les biens de propriété collective et des biens de propriété d’État, dans la mesure où elle renvoie à d’autres lois pour déterminer l’appartenance des biens publics. V., HAN Song, «Woguo wuquan lifa zhong guiding jiti suoyouquan de sikao (Comments on the stipulation concerning collective ownership in the draft law of property right of PRC)», Faxue zazhi (Law Science Magazine), 2005, n° 4, pp. 17 à 20.
177
§ 1. – Les biens collectifs dans la zone rurale
158. - L’article 59 de la loi sur les droits réels proclame sans équivoque que les biens
meubles ou immeubles ruraux de propriété collective appartiennent à la collectivité des
membres paysans. Si la loi sur les droits réels réussit à davantage préciser les
prérogatives dont jouissent les membres paysans de la collectivité dans l’exercice du
droit de propriété collective (A), elle n’a pas pour autant abouti à reconnaître le statut
de propriétaire aux membres de la collectivité (B).
A. – Les prérogatives des membres des entités collectives dans
l’exercice du droit de propriété collective
159. - En ce qui concerne les prérogatives des paysans membres des entités
économiques collectives –souvent sous la forme de coopératives de production
agricole (nongye shengchan hezuoshe), il s’agit par la nature des pouvoirs de
participation à la décision sur les affaires importantes de la gestion des biens
collectifs587: l’adoption du plan de mise en oeuvre du régime d’exploitation forfaitaire
et d’attribution du sol collectif à d’autres personnes que les membres de la collectivité ;
l’ajustement entre les membres de la collectivité des terrains sous l’exploitation
forfaitaire ; la distribution et l’utilisation des indemnités en cas d’expropriation des
terres collectives; la cession des biens des entreprises collectives, etc. Selon l’article 60
de la loi sur les droits réels, l’entité économique collective du village ou le comité de
villageois588, les équipes de villageois (cunmin xiaozu) au sein d’un village589, l’entité
587 HAN Guangming, « Jiti suoyouquan : nongcun de caichan zhixu jichu (La propriété collective: fondement de l’ordre patrimonial rural) », Yangcheng wanbao (Yangcheng Evening News), 9 septembre 2007, disponible sur le site http://www.ycwb.com/ycwb/2007-09/09/content_1611933.htm, consulté le 19 mars 2008. 588 Le comité de villageois est l’organisation autonome des membres d’un village administratif sous l’autorité du canton ou de la commune. En vertu de l’article 5 de la loi sur l’organisation du comité de villageois 1998, le comité de villageois a le pouvoir de gérer les biens collectifs du village. Dans la plupart des cas, la coopérative de production agricole de village –ou la brigade de production– s’identifie au comité de villageois, qui n’est que l’expression juridique de droit civil du comité de villageois, qui était longtemps considérés comme auxiliaire du gouvernement de canton ou commune. 589 Il s’agit de l’entité collective des membres du village au sens géographique au sein d’un village
178
économique collective du canton ou de la commune590, exercent le droit de propriété
collective en représentant les entités économiques collectives. L’article 63 prévoit aussi
la possibilité pour les membres des collectivités rurales de demander par voie judiciaire
l’annulation des décisions des comités des villageois ou des entités collectives
économiques sur la gestion des biens collectifs. On concluait ainsi que « les paysans
individuels sont reconnus comme propriétaires des biens collectifs en vertu de la loi
sur les droits réels»591. Pourtant, la Commission des travaux législatifs a bien démenti
cette hypothèse selon laquelle les paysans, en tant que membres de la collectivité, sont
indivisaires de la propriété collective. Lors de la quatrième lecture du projet de loi sur
les droits réels en 2005, la Commission des travaux législatifs a réitéré que la propriété
collective, comme la propriété d’État, constituent les formes concrètes de la propriété
publique ; par conséquent, la jouissance des biens collectifs par des membres des
collectivités et des entités économiques collectives doit être impérativement
subordonnée à la sauvegarde de la propriété collective. Il en résulte que les paysans
membres de la collectivité ne peuvent pas disposer des biens collectifs à titre
individuel, ni demander la division de la propriété collective592. Les membres des
collectivités peuvent cependant demander par voie judiciaire l’annulation des décisions
des comités des villageois ou des entités collectives économiques593. L’apport de la loi
sur les droits réels ne réside pas en la modification de la nature juridique de la propriété
collective –toujours conçue comme propriété publique– mais en l’amélioration de sa
gestion participative afin d’assurer que les intérêts individuels des membres de la
collectivité soient dûment respectés, ce qui est aussi exigé par « la construction d’une
administratif, le droit chinois reconnaît la possibilité d’établir plusieurs groupes de villageois dans un village administratif dont le territoire est assez large. 590 L’entité économique collective de canton ou commune désigne diverses coopératives de production agricole établies par les collectivités de canton ou commune, qui ne se limitent pas nécessairement au territoire du canton ou de la commune. 591 HAN Song, «Woguo wuquan lifa zhong guiding jiti suoyouquan de sikao (Comments on the stipulation concerning collective ownership in the draft law of property right of PRC)», op. cit., pp. 17 à 20. 592 V., Commission des travaux législatifs du Comité permanent de l’APN, Rapport sur la modification du projet de la loi sur les droits réels, loc. cit. 593 V., article 63, alinéa 2 de la loi sur les droits réels.
179
société stable et harmonieuse »594.
B. – Le refus de statut de propriétaire aux membres de la collectivité
160. - La loi sur les droits réels ne définit pas le propriétaire du sol collectif dans les
zones rurales (1). Ce silence est défavorable aux paysans d’autant plus que ces derniers
sont souvent victimes de l’abus de pouvoir par les dirigeants locaux dans
l’administration des terres rurales (2).
(1). – Le silence de la loi quant au propriétaire des biens collectifs dans les zones
rurales.
161. - La loi sur les droits réels demeure lacunaire en ce qui concerne la définition
de « la collectivité de paysans », à savoir, qui est le propriétaire des biens collectifs
ruraux : les paysans membres de la collectivité ne sont pas propriétaires indivis, pas
plus pour les entités économiques collectives ou les comités de villageois qui n’ont que
la qualité de représentants dans l’exercice du droit de propriété collective. Il s’agit
donc d’une « ambiguïté institutionnelle voulue»595 par l’autorité chinoise qui tente de
maintenir l’équilibre entre l’arrière-plan historique et le besoin contemporain à la
croissance économique et stabilité sociale dans la distribution de la propriété conçue
non pas comme un droit absolu et exclusif, mais comme « un faisceau de droits »596.
Comme CAI Dingjian l’a rappelé597, lors de l’élaboration de la Constitution 1982, il
existait des divergences sur la question de savoir si le sol rural devait être également
propriété d’État : les uns considéraient que le socialisme exigerait la propriété d’État
594 Commission des travaux législatifs du Comité permanent de l’APN, La loi sur les droits réels: explications, motifs et dispositions pertinentes (Zhonghuarenmingongheguo wuquanfa : tiaowen shuoming, lifaliyou ji xiangguanguiding ), op. cit., pp. 97, 98. 595 Peter HO, Institutions in Transition, land ownership, property rights, and social conflict in China, Oxford University Press, 2005, p.12; « Who owns China’s land? Policies, property rights and deliberate institutional ambiguity », The China Quarterly, 2001, Vol. 166, p.400. 596 Harold DEMSETZ, «Toward a theory of property rights», American Economic Review, vol. 62 (1967), pp.347 à 359. 597 CAI Dingjian, Xianfa jingjie (Constitution: An intensive reading), op. cit., pp. 195, 196.
180
du sol rural ; les autres pensaient toutefois que la nationalisation du sol rural serait
inutile puisque c’était toujours les paysans qui exploitent réellement les terres, la
suppression droit d’usage par l’État nécessitant l’indemnisation des paysans concernés,
même si le sol était la propriété d’État. D’ailleurs, la nationalisation du sol rural
pourrait aller à l’encontre de l’espérance des paysans qui avaient soutenu la révolution
dirigée par le PCC afin de réaliser le rêve de « à chaque laboureur une parcelle du
terrain ». Ce fut dans ce contexte que la propriété collective du sol rural fut maintenue.
Ainsi, la propriété collective du sol fut déjà le compromis entre la propriété d’État
imprégnée du socialisme et le besoin de la garantie de la survivance des paysans.
L’ambiguïté juridique en matière de sujet de la propriété collective est donc la
traduction fidèle de ce compromis entre l’idéologie et l’utilitarisme. Le législateur
chinois, estimant que la clarification du sujet de la propriété collective n’aboutit pas à
réaliser le but d’assurer les intérêts des paysans comme membres de la collectivité,
consolide les droits de ces derniers dans l’exercice du droit de propriété collective, tout
en diminuant le « domaine éminent de l’État chinois notamment en matière de régime
foncier»598. Certes, la loi sur les droits réels entend mieux garantir le droit des paysans
à l’indemnisation en cas d’expropriation ou de réquisition. L’article 132 prévoit sans
équivoque qu’en cas d’expropriation, le titulaire du droit du d’usage du sol pour
l’exploitation forfaitaire a droit à l’indemnisation conformément à la loi, tandis
qu’auparavant, ce droit à l’indemnisation n’était directement reconnue qu’à la
collectivité des paysans599.
(2). – Les paysans défavorisés par le régime actuels de propriété collective du sol
162. - Les défauts de la propriété collective du dol sur laquelle se fonde le système
d’exploitation agricole forfaitaire peuvent se résumer par la « contradiction entre le
droit de posséder la terre et le droit de disposer de la terre »600. En effet, par le contrat
598 Mark SELDEN, Aiguo LIU, «The reform of landownership and political economy of contemporary China», in Mark SELDEN (ed.), The Political economy of Chinese development, New York: M. E. Sharpe, 1993, p.190. 599 V., article 46 de la loi sur l’administration du sol. 600 CHEN Guidi, WU Chuntao, Les paysans chinois aujourd’hui, Trois années d’enquête au coeur de la
181
d’exploitation forfaitaire établi entre les foyers des paysans et la collectivité, la terre
était souvent considérée comme propriété privée des paysans. Ces derniers occupent
librement la terre pour construire des maisons d’habitation, de fours à briques, creuser
des étangs pour la pisciculture et pratiquer une culture extensive. Toutefois, d’un autre
côté, la collectivité a le droit de redistribuer la terre. Or, à l’égard de la disposition des
terres, le régime actuel accorde trop de pouvoir et de ressources aux pouvoirs locaux
dans les zones rurales, sans contrepartie. Surtout, il manque un contrôle efficace de
leur activité : les cadres ruraux ne cherchent pas à établir une relation d’égal à égal
avec les paysans et une grande partie d’entre eux a fait de ses privilèges une habitude
profondément ancrée, rejetant loin d’elle l’esprit de « servir le peuple ». Certains
dirigeants locaux considèrent la terre qu’ils gèrent comme leur appartenant et ils
peuvent la céder, contre argent, à des entreprises ou à des administrations. Ce qui ne
peut que faciliter les expropriations illégales. Ces problèmes de la gestion des terres
rurales ont conduit à la perte de la surface cultivable des terres et à la dégradation du
niveau de vie des paysans.
163. - Alors que les paysans comme membres de la collectivité peuvent désormais
davantage participer à la gestion des terres collectives en vertu de la loi sur les droits
réels, ils n’ont pourtant pas de droit d’en disposer librement comme propriétaires. Il est
aussi important de souligner que contrairement au droit d’usage du sol de propriété
d’État dans les zones urbaines, le droit d’usage du sol collectif détenu par les foyers
des paysans en vertu du contrat d’exploitation forfaitaire ne peut pas faire l’objet de la
libre disposition. La loi sur les droits réels est très ambiguë en ce qui concerne les
conditions et modalités de la transition du droit d’usage du sol collectif. En pratique, ce
sont les mesures prises à titre expérimental par les gouvernements locaux qui précisent
les cas exceptionnels dans lesquels le droit d’usage du sol collectif peut être transféré,
l’autorisation préalable de la collectivité étant d’ailleurs souvent l’une des conditions
nécessaires. Cette politique de fixer les paysans aux terres rurales en restreignant la
disposition du droit d’usage pour assurer la production agricole est aussi l’une des
raisons de la baisse des revenus des paysans, et par conséquent, élargit « l’ouverture
des ciseaux » pour désigner le phénomène de la « spoliation » des paysans et des Chine, Bourin Éditeur, 2007, p. 207.
182
campagnes au bénéfice des citadins et des villes.
§ 2. – Les biens collectifs dans la zone urbaine
164. - Pour les biens de propriété collective dans les agglomérations urbaines, la loi
sur les droits réels prévoit par son article 61 que la collectivité exerce les droits de
posséder, d’utiliser ces biens, d’en tirer le profit et d’en disposer. Certes, la loi sur les
droits réels ne prévoit aucun droit dont peuvent disposer les membres des entités
collectives –qu’il s’agisse des coopératives de production ou des entreprises collectives
des agglomérations urbaines. La lacune s’expliquerait par la complexité de la
formation des entreprises collectives enracinée dans l’histoire de l’économie planifiée.
Alors qu’en réalité les biens des ces collectivités furent souvent issus de
l’investissement de la communauté des individus601, il exista bien d’autres entreprises
collectives établies par des gouvernements locaux ou par des entreprises étatiques, ou
bien issues de la collectivisation des unités économiques individuelles ou privées dans
les années 50. À l’époque contemporaine, le phénomène de « chapeaux rouges » ne
peut que rendre la situation plus compliquée602. La lacune de l’article 61 des droits
réels est d’autant plus regrettable que la loi sur les entreprises des cantons et des
communes promulguée en 1996 précise que les biens des entreprises établies par les
entités économiques collectives rurales appartiennent à l’ensemble de leurs membres
paysans. Dès lors que les biens des entreprises collectives rurales appartiennent à
l’ensemble des membres paysans, il n’est plus raisonnable de nier le droit de propriété
des membres des collectivités des agglomérations urbains sur les biens de ces entités
économiques collectives. Au cours de l’élaboration du projet de loi sur les droits réels,
des opinions exprimées par des voies publiques étaient recueillies par le Comité
permanent de l’APN. Elles proposaient que la future loi doive reconnaître les membres
601 V., HAN Song, « Lun jiti suoyouquan de zhuti xingshi (À propos du sujet de la propriété collective) », loc. cit. ; HONG Yuanqi, Hezuo jingji de lilun yu shijian (Théorie et pratique des économies coopératives), Fudan University Press (Fudan daxue chubanshe), 1996, pp. 196 et 348. 602 WANG Shengming, « Woguo de wuquan falü zhidu (Le système juridique de droits réels en Chine) », Guojia xingzheng xueyuan xuebao (Journal of China National School of Administration), n° 5, 2005, p. 10.
183
des entités collectives comme propriétaires des biens collectifs603. Or, le législateur
chinois a bien avoué que « l’origine des entreprises collectives urbaines étant très
variée, la question sur le sujet de ce droit ne peut être clarifiée qu’avec
l’approfondissement de la réforme dans le futur »604. Il en résulte que la loi sur les
droits réels simplement affirme que « l’appartenance des biens meubles ou immeubles
collectifs urbains est déterminée par des dispositions législatives et réglementaires »605,
tout en laissant ouverte la question à savoir en quoi en consiste la « collectivité ». Il
semble que l’expérience de privatisation des entreprises des cantons et des communes
situées en zone rurale dans la seconde moitié des années 1990606 peut donner une
solution par analogie au problème de droit de propriété des entreprises collectives en
zone urbaine.
Sous-section 3. – La propriété des personnes privées
165. - Par l’adoption de la loi sur les droits réels, la propriété privée en droit chinois
est modernisée dans sa définition (§ 1), mais aussi dans sa forme. Car la copropriété est
formellement reconnue (§ 2) dont la nature privée ne pose aucun doute.
§ 1. – La rénovation de la définition du droit de propriété privée
166. - Au lieu de définir la propriété individuelle, la loi sur les droits réels utilise
l’expression plus large de propriété des personnes privées. On entend ici par personnes
603 V., WU Kun, « Quanguo renda changweihui fagongwei dui qunzhong yijian zuochu guina fenxi (Les avis publics sur l’élaboration du projet de la loi sur les droits réels présentés au Comité permanent de l’APN) », Fazhi Ribao (Legal Daily), 7 septembre 2005. 604 YANG Jingyu, « Rapport sur les modifications du projet de loi sur les droits réels par le Comité des lois », présenté devant le Comité permanent de l’APN le 19 octobre 2005, disponbile sur le site http://www.npc.gov.cn/npc/oldarchives/zht/zgrdw/common/zw.jsp@label=wxzlk&id=342510&pdmc=1502.htm, consulté le 23 octobre 2005. 605 V., Commission des travaux législatifs du Comité permanent de l’APN, Rapport sur la modification du projet de la loi sur les droits réels, loc. cit. 606 Cf., LIU Shiding, « Structure des droits de propriété et mécanisme du changement dans les entreprises de bourg et de village chinoises », in Laurence Roulleau-Berger, GUO Yuhua, LI Peilin, LIU Shiding (sous la dir. de), La nouvelle sociologie chinoise, CNRS Éditions, 2008, pp. 183 à 213.
184
privées non seulement les individus, mais aussi –par l’interprétation systématique du
chapitre 5 de la loi sur les droits réels– les personnes morales, y compris les entreprises
ayant la personnalité morale607, les groupes sociaux608. Car, si la distinction des trois
catégories de propriété est établie par la loi sur les droits réels avec rigueur, il faudrait
néanmoins préciser que les biens des entreprises ayant personnalité morale et celle des
groupes sociaux ne sont ni la propriété d’État, ni la propriété collective en vertu des
dispositions législatives, par conséquent, elles ne peuvent qu’être classées dans la
catégorie de propriété privée. Il convient de rappeler que, selon François TERRÉ, la
propriété des personnes morales peut est soumise à la catégorie de la propriété
collective, mais « l’écran de la personnalité morale a pour conséquence que, en
termes de technique juridique, cette propriété obéit, pour l’essentiel, au régime de la
propriété individuelle »609.
167. - Quant aux objets de la propriété privée, la loi sur les droits réels, en reprenant
les dispositions des Principes généraux du droit civil et en y ajoutant les moyens de
production610, les investissements et leur rapport611. Ce qui confirme que la propriété
publique n’a plus de monopole sur les moyens de production, par conséquent,
l’abandon par la loi sur les droits réels de la distinction entre moyens de production et
matériels de consommation.
§ 2. – La reconnaissance de la copropriété
168. - La loi sur les droits réels pose les règles générales concernant la copropriété
des immeubles bâtis (A), alors que le régime juridique de celle-ci reste à être complété
par des dispositions plus précises (B).
A. – Les règles générales concernant la copropriété des immeubles
bâtis
607 V., article 68 de la loi sur les droits réels. 608 V., article 69 de la loi sur les droits réels. 609 François TERRÉ, Philippe SIMLER, Droit civil, les biens, op. cit., § 546. 610 V., article 64 de la loi sur les droits réels. 611 V., article 65 de la loi sur les droits réels.
185
169. - De nature également privée, la loi sur les droits réels établit pour la première
fois en droit chinois le régime de copropriété sur les immeubles bâtis (jianzhuwu qufen
suoyouquan) qui correspond dans une large mesure à la copropriété en droit français612.
La loi sur les droits réels précise que les propriétaires d’un immeuble ont le droit de
propriété sur les parties privatives, jouissent des prérogatives de la collectivité des
copropriétaires sur les parties communes, ainsi qu’assument les charges
correspondantes613. À défaut d’imposer l’affectation comme le critère général de
distinction entre parties communes et privatives, la loi sur les droits réels prévoit
concrètement ceux qui composent les parties communes –soucieuse d’éviter les
éventuels conflits surgis en raison du caractère abstrait de la notion d’affectation–, tout
en permettant la distinction par la convention entre les parties614. En ce qui concerne le
système de gestion, la loi sur les droits réels prévoit l’assemblée générale des
copropriétaires et le comité des copropriétaires élu par l’assemblée générale comme la
forme de gestion par la collectivité des copropriétaires615.
170. - Il faut toutefois souligner la particularité du régime foncier chinois qui ne
pose pas moins des problèmes particuliers au régime de copropriété : alors que le droit
d’usage du sol urbain peut être concédé par l’État aux personnes privées pour
l’exploitation commerciale, y compris la construction des habitations, les personnes
individuelles sont pourtant exclues de facto de la procédure d’octroi de concession. En
effet, seules les personnes morales –dans la plupart des cas les promoteurs
immobiliers– peuvent acquérir le droit d’usage du sol selon la procédure d’octroi de
concession, et par la suite, y construire des bâtiments d’habitation. Par le contrat de
vente, les promoteurs immobiliers transfèrent aux acheteurs en même temps la
propriété des bâtiments d’habitation et le droit partagé d’usage portant sur le fonds. Le
régime de copropriété s’applique à la relation juridique entre les acheteurs d’un même
immeuble, de même que le partage du droit d’usage du sol bâti. En d’autres termes, la
612 V., Gérard CORNU, Droit civil, Les biens, 13e éd., Monchrestien, 2007, n° 106 à n° 108 ; Christian ATIAS, Droit civil, Les biens, op. cit., n° 416 et s. 613 V., les articles 70, 71 et 72 de la loi sur les droits réels. 614 V, les articles 73 et 74 de la loi sur les droits réels. 615 V., les articles 75 et 76 de la loi sur les droits réels.
186
copropriété des immeubles bâtis naît de la propriété privée des promoteurs immobiliers
par les contrats de vente. Il en résulte que les conflits surgissent moins entre les
copropriétaires qu’entre les copropriétaires d’une part et, d’autre part, le promoteur
immobilier. Celui-ci tantôt réserve sa propriété sur des parties communes de
l’immeuble bâti qui auraient dû appartenir aux copropriétaires, par le tour de
passe-passe dans les contrats de vente des bâtiments d’habitation ; tantôt dépouille le
libre choix des copropriétaires en matière de gestion des parties communes616. L’appel
des copropriétaires à la protection effective de leurs droits et intérêts par rapport aux
promoteurs immobiliers a été présenté au législateur lors de l’élaboration du projet de
loi sur les droits réels617. De nouveaux ajustements ont été adoptés pour tenir compte
du besoin des copropriétaires618, mais la question centrale reste ouverte à savoir si le
droit d’usage du sol urbain peut être directement concédé aux individus, ce qui relève
de la particularité des droits d’usage qui sont désormais intégrés dans la catégorie des
usufruits par la loi sur les droits réels.
B. – L’amélioration du régime juridique de la copropriété en droit
chinois
171. - La loi sur les droits réels ne pose que les règles générales de la copropriété. Or
la complexité de celle-ci exige l’adoption de règles plus précises pour que le régime
juridique de la copropriété soit complet. À cet égard, la Cour populaire suprême est en
train d’élaborer deux avis d’interprétation judiciaire en vue de rendre opérationnelles
les dispositions relatives à la copropriété énoncées par la loi sur les droits réels. Ces
deux avis d’interprétation judiciaire qui concernent principalement la distinction des
616 V., SHEN Yuan, « Vers les droits du citoyen : la défense des droits des propriétaires comme mouvement citoyen dans la Chine contemporaine », in Laurence Roulleau-Berger, GUO Yuhua, LI Peilin, LIU Shiding (sous la dir. de), La nouvelle sociologie chinoise, CNRS Éditions, 2008, pp. 308 à 313. 617 V., WU Kun, « Quanguo renda changweihui fagongwei dui qunzhong yijian zuochu guina fenxi (Les avis publics sur l’élaboration du projet de la loi sur les droits réels présentés au Comité permanent de l’APN) », loc. cit. 618 V., Commission des travaux législatifs du Comité permanent de l’APN, Rapport sur la modification du projet de la loi sur les droits réels, loc. cit.
187
parties privatives et des parties communes et la gestion de la copropriété, furent publiés
en 2008 en vue de solliciter les opinions publiques619. D’abord en ce qui concerne la
distinction des parties privatives et des parties communes, le projet d’avis
d’interprétation insiste sur le critère général d’affectation, c’est-à-dire que c’est la
finalité de chacune des parties qui commande la classification. Mais les terrains sur
lesquels porte le droit d’usage du sol, les cours, les parcs, les voies d’accès, le gros
oeuvre des bâtiments, les éléments d’équipement commun sont définis comme parties
communes légales. Il est également possible de préciser les parties privatives et
communes par le plan de bâtiment rédigé par le promoteur immobilier, à moins que la
description de la division ne porte atteinte à l’intérêt des copropriétaires. Des règles
plus précises sont prévues en ce qui concerne le calcul de la quote-part des parties
communes afférente à son lot de chacun des copropriétaires ainsi que les charges. Le
projet d’avis d’interprétation judiciaire aborde le rapport de voisinage entre les
copropriétaires à l’égard de la transformation de l’usage du bâtiment : un
copropriétaire ne peut transformer son lot à l’usage industriel ou commercial qu’avec
le consentement des autres copropriétaires concernés.
172. - Quant à la gestion du bâtiment, le projet d’avis d’interprétation précise les cas
dans lesquels le comité des copropriétaires ou l’assemblée générale des copropriétaires
peuvent agir en justice, ainsi que le droit des copropriétaires individuels à demander
l’annulation des décisions du comité des copropriétaires ou de l’assemblée générale
des copropriétaires. En l’état actuel, des contentieux contractuels surviennent souvent
entre le comité ou l’assemblée générale des copropriétaires, d’une part, et, d’autre part,
la société des services immobiliers à l’égard de la prestation des services de gestion, de
maintien, de réparation, etc., de l’immeuble. Par son avis d’interprétation judiciaire, la
Cour suprême populaire entend davantage préciser l’étendue et la signification des
obligations de la société des services immobiliers dans l’exécution du contrat de
services, en vue de compléter le Règlement sur la gestion immobilière adopté par le
CAE en 2003 et révisé en 2007. Ce dernier établit le système de gestion de la
copropriété des immeubles bâtis en donnant les règles concernant l’organisation, le
619 Les projets d’avis d’interprétation de la Cour populaire suprême sont disponibles sur le site http://news.xinhuanet.com/legal/2008-06/16/content_8376666.htm, consulté le 30 décembre 2008.
188
statut, les fonctions et les droits et devoirs du comité et de l’assemblée générale des
copropriétaires. Il affirme que le comité ou l’assemblée générale des copropriétaires
peut librement désigner une société de services immobiliers dans l’établissement du
contrat de services. La qualification, les obligations et les responsabilités des sociétés
des services immobiliers sont également prévues par le règlement du CAE.
L’élaboration d’un avis d’interprétation judiciaire par la Cour populaire suprême
traduit donc l’intention de celle-ci de renforcer la mise en oeuvre du règlement du CAE
dans la pratique.
En tout état de cause, la défense des droits de copropriétaires est un parcours du
combattant dans le contexte actuel du droit chinois. Les violations des droits des
copropriétaires par les promoteurs immobiliers ou par les sociétés des services
immobiliers les conduisent à s’unir pour défendre leurs propres intérêts. La création de
l’assemblée générale et du comité des copropriétaires offre ceux-ci une instance de
résistance et une direction. Pour se révolter contre les promoteurs immobiliers et les
sociétés des services immobilières, mais également les autorités locales qui prennent
parti contre eux, les copropriétaires peuvent adopter différents moyens collectifs. Les
plaintes collectives et les procès sont les deux voies de lutte de base. Bien que les
échecs se succèdent, les procès continuent et sont de plus en plus visibles. En 2006, 33
comités de propriétaires déposent une demande formelle de création de l’Association
des comités de propriétaires de Pékin auprès des autorités compétentes de la
municipalité. Cette demande a sans surprise été rejetée, car, avec la politique en
vigueur de contrôle strict des organisations non gouvernementales, il est très difficile
d’obtenir l’approbation pour la création de n’importe quelle nouvelle organisation
sociale. Cependant, cette demande a eu des résultats importants avec la constitution
d’un comité de demande, c’est-à-dire un comité désigné par les comités de
copropriétaires de prendre en charge la demande de reconnaissance légale de
l’association. L’apparition de cette entité marque la formation de nouvelles formes
d’organisation par les propriétaires de Pékin. Ils traversent les frontières de leur
résidence et commencent à s’unir. Selon certains auteurs, cela « symbolise l’essor
rapide de la dimension sociale de la forme pratique des droits de propriété, la
croissance rapide de l’espace commun basé sur le droit de propriété privée au sens
189
d’Habermas, et la naissance récente de la société civile de la classe moyenne (...) qui
pousse progressivement à une reconstruction des relations entre l’État, le marché et la
société »620.
SECTION II. – L’USUFRUIT
173. - Les droits d’usage sont reconnus en droit chinois par la révision
constitutionnelle. Mais la précarité de ces droits et l’ambiguïté de leur contenu font
souvent l’objet des critiques doctrinales621. D’autant que dans le contexte où le sol et
les ressources naturelles sont en principe propriété publique, les droits d’usage des
personnes privées portant sur le sol de propriété publique se fondent sur l’acte des
organes gouvernementaux, qu’il s’agisse de l’autorisation administrative ou de la
modalité de concession dont la nature du contrat administratif fut largement
controversée622. Par exemple, dans le cas du droit d’usage du sol étatique, bien que la
620 SHEN Yuan, « Vers les droits du citoyen : la défense des droits des propriétaires comme mouvement citoyen dans la Chine contemporaine », op. cit., p. 324. 621 V., par ex., FANG Shaokun, DING Haihu, ZHANG Hongwei, « Yongyi wuquan sanlun (Trois pensées sur les droits d’usufruit) », Zhongguo faxue (China Legal Sicence), n° 3, 1996, p. 97 ; QIAN Mingxing, Wuquanfa yuanli (Théorie générale sur les droits réels), op. cit., pp. 293 à 306 ; Joyce PALOMAR, « Land tenure security as a market stimulator in China contents », 12 Duke J. Comp. & Int’l L. 7, pp. 13, 14. 622 V., YU An, Waishang touzi texuquan xiangmu xieyi yu xingzheng hetong fa (BOT and administrative contract), Law Press China, 1998, p. 164; ZHANG Qizhen, PAN Hui, « Guoyou tudi shiyongquan churang hetong xingwhi qianxi (Analyse sur la nature juridique du contrat de concession du droit d’utilisation des terres étatiques) », Zhonguo Tudi (China Land), n° 9, 2004, pp. 24 à 25 ; CHEN Shaoqiong, « Woguo guoyou tudi shiyongquan churang hetong falü xingzhi (The legal nature of contrat for assignement of the right to the use of state-owned land in China) », Zhongguo Sifa (Justice of China), 2004, pp. 70 à 73. Contra, LIU Chengwei, « Tudi shiyongquan churang xingwei xingzhi zai pingyi (Réflexions sur la nature juridique de la concession du droit d’utilisation des terres étatiques) », Zhongguo shehui kexueyuan yanjiusheng yuan xuebao (Journal of Graduate School of CASS), 2002, supplément, pp. 69 à 72 ; GUO Baishun, « Zhiyi tudi shiyongquan churang hetong shi xingzheng hetong (Critiques sur le contrat administratif de concession du droit d’utilisation des terres étatiques) », Dangdai Faxue (Modern Law Review), n° 11, 2003, pp. 66 à 75. La nature juridique du contrat de concession du droit d’utilisation des terres étatique pourrait s’analyser au regard de l’applicabilité de la loi des contrats promulguée en 1999. Celle-ci prévoit qu’elle ne s’applique qu’aux contrats entre les sujets de statut égal, ce qui semble exclure le contrat de concession du droit d’utilisation622. La Commission des travaux législatifs du Comité permanent de l’APN, qui est chargée de l’élaboration du projet de la loi des contrats, admet que le contrat de concession du droit d’utilisation des terres étatiques
190
loi sur les contrats applique au contrat de concession du droit d’usage du sol623,
l’exercice des pouvoirs réglementaires par la partie des départements
gouvernementaux dans la performance du contrat de concession a pour effet de
restreindre la libre jouissance du droit d’usage du sol par les concessionnaires
personnes privées de telle manière à « remettre en cause le caractère de droit réel de ce
droit»624. En outre, contrairement au droit français « l’usufruit est un droit réel,
généralement viager » 625, les droits d’usage en droit chinois sont généralement limités
dans le temps en vertu des actes juridiques qui les établissent. Il en résulte que les
droits d’usage sont de caractère provisoire, ce qui introduit l’incertitude au destin du
titulaire du droit d’usage à l’échéance de ce droit. Confrontés à ces problèmes, des
juristes chinois ont fortement revendiqué la consolidation des droits d’usage par
l’établissement d’un régime juridique autonome de l’usufruit, en vue de mieux assurer
les intérêts des titulaires des droits sur la chose d’autrui. Le professeur MENG Qinguo
considère qu’il est souhaitable de construire le système juridique des biens qui se fonde
sur les deux piliers de la propriété et de l’usufruit, tout en élevant le statut de l’usufruit
au même rang que celui de la propriété626. Le professeur CUI Jianyuan voit même dans
l’usufruit la notion de quasi-propriété627, exprimant en effet l’importance des droits
d’usufruit. La loi sur les droits réels réussit à établir les règles générales du régime
juridique de l’usufruit (Sous-section 1) et à intégrer les droits d’usage déjà reconnus en
droit chinois qui comportent les droits d’usage du sol de propriété collective
(Sous-section 2) et le droit d’usage du sol pour la construction (Sous-section 3), ainsi
que les droits conférés par la servitude (Sous-section 4).
est couvert par la loi des contrats, toutefois, sa particularité relève des règles juridiques spéciales. 623 Commission des travaux législatifs du Comité permanent de l’APN, Zhonghua renmin gongheguo hetongfa quanshu (Recueil pratique du droit des contrats), Zhongguo Shangye Chubanshe, 1999, p. 108. 624 GAO Fuping, HUANG Wushuang, Fangdichan faxue (Real Property Law), Higher Education Press, 2003, pp. 37, 38. 625 François TERRÉ, Philippe SIMLER, Droit civil, Les biens, op. cit., § 777. 626 Cf. MENG Qinguo, Wuquan eryuan jieguolun: zhongguo wuquanzhidu de lilun chonggou (La reconstruction de la théorie du droits des biens par la doctrine de deux piliers des droits réels ), Renmin fayuan chubanshe, 2002, pp. 35 et s. 627 Cf. CUI Jianyuan, Zhunwuquan yanjiu (Étude sur la quasi-propriété), Law Press China, 2003, pp. 78 et s.
191
Sous-section 1. – Les règles générales relatives à l’usufruit
174. - Par l’article 117, l’usufruit est défini comme « le droit d’occuper, d’user et de
tirer profit d’un bien immeuble ou meuble d’autrui conformément à la loi ». La loi sur
les droits réels élargit le contenu de l’usufruit qui ne se limite pas aux droits d’usage
déjà reconnus en droit chinois, en posant le principe selon lequel l’usage des ressources
naturelles de la propriété d’État ou collective peut être concédé aux personnes privées
à titre onéreux sauf dispositions contraires628. Il en résulte que le droit d’usage des
zones maritimes, le droit d’exploration et d’extraction des mines, le droit de puiser de
l’eau, le droit d’usage des eaux pour l’élevage et la pêche acquis conformément à la loi
sont également qualifiés l’usufruit629. Mais il convient de souligner que la loi sur les
droits réels ne précise pas les conditions et les modalités relatives à l’acquisition de ces
nouveaux droits d’usufruit par des personnes privées. Par la formulation
« conformément à la loi », la loi sur les droits réels se réfère à d’autres législations
spéciales. La primauté de la loi est par ailleurs réaffirmée par l’article 5 de la loi sur les
droits réels qui dispose que « les types de droits réels et leur contenu sont fixés par la
loi ». Selon la doctrine civiliste chinoise630, ce principe de légalité a vocation à
restreindre la liberté contractuelle en matière d’établissement des droits réels.
D’ailleurs, la signification du principe de légalité est incertaine. Pour les uns, le
principe ne permettrait pas de créer un droit réel non reconnu par la loi, ou un droit réel
dont le contenu irait à l’encontre de celui établi par la loi631. Pour les autres, il serait
susceptible de créer, par des clauses contractuelles, certains droits réels qui ne seraient
pas expressément interdits par la loi632. La méthode d’interprétation du principe de
légalité détermine si certains droits d’usufruit pourraient librement établis par la 628 V., articles 118 et 119 de la loi sur les droits réels. 629 V., articles 122 et 123 de la loi sur les droits réels. 630 WANG Liming, « Wuquanfa de jibenyuanze tantao (Réflexions sur les principes fondamentaux des droits réels) », in Sifa yanjiu (Étude droit privé), n° 1, 2002, Zhongguo zhengfadaxue chubanshe, pp. 100. 631 V., par ex., LIANG Huixing, Zhongguo wuquanfa yanjiu (Étude sur les droits réels), Law Press China, 1998, p. 67. 632 V., par ex., FANG Shaokun, WANG Hongping, « Lun sifa zizhi yu wuquan fading zhi bianzheng guanxi (Le rapport entre l’autonomie de la volonté en droit privé et la légalité des droits réels) », Faxue zazhi (Law Science Magazine), n° 5, 2005, pp. 12,13.
192
convention des personnes privées, alors qu’ils ne sont pas directement prévus par la loi
sur les droits réels. Par excellence, le droit d’habitation qui figurait dans le projet de loi
sur les droits réels, mais a été supprimé au moment de l’adoption de la loi sur les droits
réels, pour cause de divergences d’opinion sur son utilité633.
175. - Dans les règles générales relatives à l’usufruit, la loi sur les droits réels
précise que sont légalement protégés le droit d’usage des zones maritimes, le droit à
l’exploration minière, le droit à l’exploitation minière, le droit à puiser de l’eau, le
droit de pêche et d’élevage sur les rivières et les bancs de sable. Les prérogatives des
personnes privées à la jouissance des ressources naturelles –qui sont établis par des
actes des départements gouvernementaux, qu’il s’agisse de l’autorisation, de
l’attribution ou de la concession, etc.– sont qualifiées de droit réel. Selon la loi sur les
droits réels, le principe d’utilisation à titre onéreux des ressources naturelles
correspond à la base juridique de la création des droits d’usufruit. Pour assurer les
intérêts des usufruitiers, l’article 120 de la loi sur les droits réels prévoit que le
propriétaire ne peut s’immiscer dans la jouissance des droits de l’usufruitier, ce dernier
n’étant engagé que par des dispositions légales relatives à la protection et l’exploitation
rationnelle des ressources naturelles. Le statut des usufruitiers est également conforté
par l’extension des garanties en matière d’expropriation ou de réquisition au droit
d’usufruit. L’article 121 de la loi sur les droits réels prévoit qu’en cas où l’usufruit est
empêché ou rendu impossible en raison d’expropriation ou de réquisition des biens,
l’usufruitier a le droit à l’indemnisation en évoquant les dispositions de la loi sur les
droits réels qui sont applicables en principe pour la protection des propriétaires
expropriés634.
Sous-section 2. – Les droits d’usage du sol de propriété collective
176. - Le droit chinois distingue deux catégories de droits d’usage portant sur le sol
de propriété collective : l’un est le droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire (§ 633 V., reportage de ZHANG Zongtang « Juzhuquan shifou biyao zhuanjia cunzai fenqi (Les experts divergent sur l’utilité du droit d’habitation) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/newscenter/2005-08/07/content_3319696.htm, consulté le 23 mars 2008. 634 V., articles 121, 42 et 44 de la loi sur les droits réels.
193
1), l’autre est le droit d’usage du sol pour la construction d’habitations des paysans (§
2). Ces deux droits –relevant aussi de la production agricole dans la zone rurale– sont
reconnus aux paysans en tant que membres de la collectivité.
§ 1. – Le droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire
177. - Avec la mise en place du système d’exploitation de responsabilité centrée sur
la prise en charge par la cellule familiale –l’exploitation forfaitaire à titre familial–, le
droit d’usage du sol rural pour l’exploitation forfaitaire est reconnu aux membres de
l’entité économique collective635. En vertu de la Constitution de 1982, les travailleurs
qui participent aux entités économiques collectives rurales ont le droit, dans les limites
définies par la loi, d’exploiter des parcelles des terres cultivables ou montagneuses
réservées à leur propre usage, de se livrer à des productions subsidiaires familiales et
de posséder des têtes de bétail à titre individuel636. Les dispositions constitutionnelles
sont reprises par les Principes généraux du droit civil637. Pour stabiliser le système de
responsabilité centré sur la prise en charge par la cellule familiale, assurer le droit
d’usage du sol des paysans dans un long terme, la loi sur l’exploitation forfaitaire du
sol rural adopte de nouvelles règles destinées à mieux encadrer l’exécution du contrat
d’exploitation forfaitaire qui constitue la base juridique du droit d’usage du sol rural638.
En effet, avant l’entrée en vigueur de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural, le
contrat d’exploitation forfaitaire définissait les droits et les obligations des parties à
l’égard du droit d’usage du sol639. Le professeur JIANG Ping critiquait le droit d’usage
du sol rural pour l’exploitation forfaitaire comme étant dépourvu de la nature de droit
réel, mais s’apparentait plutôt au droit personnel640. Les juristes chinois considéraient
635 V., FENG Kaiwen, « A Study on the outline history of the household responsibility system in rural China since 1949: The organizations, institutions, and their Changes », African and Asian Studies, vol. 3, n° 3-4, 2004, pp. 219 à 244. 636 V., article 8 de la Constitution de 1982, révisé en 1999. 637 V., articles 80 et 81 des Principes généraux du droit civil. 638 V., articles 1 et 3 de la loi d’exploitation forfaitaire du sol rural, v. également, l’article 5 de la loi d’agriculture promulguée en 1993 et modifiée en 2002. 639 V., article 80, alinéa 2 et l’article 81, alinéa 3 des Principes généraux du droit civil. 640 V., par exemple, JIANG Ping, Zhongguo tudi lifa yanjiu (Étude sur la législation foncière en Chine),
194
que les intérêts des paysans seraient mieux garantis par l’établissement du régime
juridique du droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire en tant que droit réel, ce
qui empêcherait la collectivité de porter atteinte aux intérêts de ses membres en
abusant de ses prérogatives dans la formation et l’exécution du contrat d’exploitation
forfaitaire641. Les intérêts des paysans ne sont pas suffisamment respectés, aussi parce
que la liberté contractuelle n’existait pas dans l’établissement du contrat d’exploitation
forfaitaire entre la collectivité d’une part et, d’autre part, ses membres : les clauses du
contrat d’exploitation étaient généralement prédéterminées par la collectivité en tant
que gestionnaire des terres collectives tout en excluant la libre négociation642. En
pratique, la violation du contrat d’exploitation forfaitaire par la collectivité consistait
souvent en la restitution des terrains avant l’échéance du contrat, effectuée au nom des
intérêts de la collectivité mais en réalité pour des intérêts privés de ses responsables643.
D’ailleurs, renforcer la garantie du droit d’exploitation forfaitaire des terres revêt
l’importance particulière en Chine. Car, jusqu’à aujourd’hui, conserver le droit d’usage
du sol pour l’exploitation forfaitaire dans une longue période est aussi le moyen
d’assurer la survie des paysans qui ne sont pas couverts par le régime de sécurité
sociale644. Avec la promulgation de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural, les
prérogatives des collectivités sont relativement réduites. Les modalités de
l’établissement du contrat d’exploitation forfaitaire du sol rural, ainsi que les attributs
du droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire sont plus précisément déterminés
Zhongguo Zhengfa Daxue Chubanshe, 1999, p. 309. 641 V., par ex., WANG Liming, «Nongcun tudi chengbaoquan de ruogan wenti tantao (Quelques réflexions sur le droit d’exploitation forfaitaire des terres rurales) », loc. cit. ; v. aussi XU Jiansu, ZHAO Xin, « Study on farmland right to use circulates system », Hebei faxue (Hebei Law Science), vol. 23, n° 9, 2005, pp. 135 à 140; CAO Jianmin, « Tudi chengbao jingyingquan wuquanhua de yiyi (À propos de la protection du droit d’exploitation forfaitaire en vertu des règles juridiques des droits réels) », Zhongguo tudi (China Land), n° 1, 2005, pp. 26, 27. 642 V., WANG Liming, « Nongcun tudi chengbaoquan de ruogan wenti tantao (Quelques réflexions sur le droit d’exploitation forfaitaire des terres rurales) », Zhongguo Renmin Daxue Xuebao (Journal académique de l’Université de Renmin), n° 6, 2001, pp. 78 à 86. 643 V., SHI Shujun, « Farmers should own absolute right of land property (Nongmin yingyou wanzheng de tudi caichan quanli) », Law Science Magazine (Faxue Zazhi), n° 2, 2005, pp. 88 à 90. 644 V., GU Angran, « Guanyu nongcun tudi chengbaofa shenyi jieguo de shuoming (Rapport sur la délibération du projet de loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural», 23 août 2002, Journal Officiel du Comité permanant de l’APN, n° 5, 2002.
195
par les règles législatives. À cet égard, le législateur chinois a bien manifesté sa
volonté de traiter le droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire comme droit
réel défini par la loi645.
178. - Les dispositions de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural sont
largement reprises par la loi sur les droits réels. Mais ces dispositions s’appliquent
désormais tant au droit d’usage du sol rural de propriété collective qu’au droit d’usage
du sol de propriété d’État pour l’exploitation agricole646. En outre, sont réaffirmées les
différentes durées du droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire : 30 ans pour
les terres cultivables, de 30 à 50 ans pour les prairies; de 30 à 70 ans pour les terres
boisées dont la prolongation est possible par décision de l’administration sylvicole
compétente647. Il est ajouté dans l’article 126 alinéa 2 de la loi sur les droits réels qu’«
à l’expiration de la durée, le titulaire du droit d’usage continue, selon les dispositions
de l’État, l’exploitation dans le cadre d’un contrat forfaitaire ». Il s’agit d’une
reconduction automatique du droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire, mais
ce texte flou n’indique pas les conditions qui s’y appliqueront, question qui semble être
laissée à plus tard 648 . Pour assurer la stabilité du droit d’usage du sol pour
l’exploitation forfaitaire qui était souvent endommagée par la résiliation unilatérale du
contrat d’exploitation forfaitaire par la collectivité, l’article 131 interdit à la collectivité
locale de supprimer le droit d’usage par la restitution des terrains soumis à
l’exploitation forfaitaire. Pour la même raison, l’aménagement des terrains soumis à
l’exploitation forfaitaire qui se fait parmi les membres de la collectivité est strictement
limité649. La loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural permet la cessibilité du droit
d’usage du sol rural, mais sous conditions de ne peut pas entraîner la modification de
l’usage agricole, et pour cette fin, l’accord préalable de la collectivité est exigé.
L’article 128 de la loi sur les droits réels réaffirme comme principe que les terrains
645 V., LIU Suinian, LIU Suinian, « Explications sur le projet de la loi d’exploitation forfaitaire des terres rurales (Guanyu tudi chengbaofa caoan de shuoming) », loc. cit. 646 V., article 134 de la loi sur les droits réels. 647 V., article 20 de la loi d’exploitation forfaitaire du sol rural ; article 126 de la loi sur les droits réels. 648 Xiao-Ying LI-KOTOVTCHIKHINE, « Entre économie de marché et socialisme : la nouvelle loi chinoise sur les biens », op. cit., p. 6 649 V., article 130 de la loi sur les droits réels, celui-ci renvoie aux conditions posées par la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural.
196
sous régime d’exploitation forfaitaire ne peuvent pas être utilisés par un but non
agricole sans autorisation préalable. Le motif de cette limitation consiste en ce que le
droit d’usage du sol collectif, qui est le seul moyen de production et de survie pour les
paysans, assume par conséquent la fonction de protection sociale pour ceux-ci. La
libéralisation de la cession pourrait nuire aux intérêts des paysans avant que soit établi
en zone rurale un système de protection sociale650. La politique de protection des terres
cultivables menée par le gouvernement, réaffirmée par la législation651, exige aussi le
maintien de la dichotomie entre zones rurale et urbaine par la limitation à la transaction
du sol rural. Mais l’application de la loi sur les droits réels dans certaines localités a
donné une certaine flexibilité à la cessibilité du droit d’usage, ce qui pourrait
éventuellement brouiller la distinction agricole et non agricole. Ainsi en est-il dans la
municipalité de Chongqing où les paysans sont autorisés à apporter leurs droits
d’exploitation forfaire du sol à la coopérative de production dans les zones rurales652.
Pour JIANG Ping, la suppression progressive des limites à la libre cession du droit
d’usage du sol rural est l’intérêt des paysans. La réforme vers la libre cession du droit
d’usage du sol rural établi par le contrat d’exploitation forfaitaire fut récemment
intégrée dans l’orientation politique du PCC653. L’objectif fut d’admettre, par la
réforme progressive du régime juridique actuel, la libre cession du droit d’usage du sol
rural afin de mettre en place les économies d’envergure dans les zones rurales, et de
réaliser le traitement égal entre le droit d’usage du sol collectif et le droit d’usage du
sol de propriété d’État.
179. - Comme la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural, la loi sur les droits
650 WANG Zhaoguo, « Guanyu wuquanfa caoan de shuoming (Explications sur le projet de loi sur les droits réels) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/misc/2007-03/08/content_5818772.htm, consulté le 20 mars 2008. 651 V., article 43 de la loi sur les droits réels; CAE, Guanyu yange zhixing youguan nongcun jiti jianshe yongdi falü he zhengce de tongzhi (L’avis sur le renforcement de la mise en oeuvre des politiques et du droit d’usage du sol collectif rural) , 30 décembre 2007, disponible sur le site http://www.chinalaw.gov.cn/, consulté le 20 mars 2008. 652 V., reportage de TIAN Qianfeng, « Beijing: chanquan zhidu gaige hou nongmin bian gumin (Pékin: les paysans deviennent des actionnaires après la réforme du régime de propriété) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/report/2005-07/11/content_3203340.htm, consulté le 11 avril 2008. 653 V., Résolutions relatives à la promotion de la réforme et du développement rural, adoptées lors de la troisième session plénière du comité central du XVIIe congrès du PCC en date du 12 octobre 2008.
197
réels réaffirme le système d’exploitation forfaitaire comme le meilleur mécanisme pour
remédier à l’inefficacité de la propriété collective, et renforce la stabilité des relations
juridiques en matière d’utilisation des terres collectives, tout en conservant les mérites
du droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire « comme une sorte de
quasi-propriété privée » 654 . Certes, ce droit de quasi-propriété privée se voit
exclusivement appliquer dans l’espace rural, car dans les territoires urbains s’applique
un autre régime juridique différent, celui du droit d’usage du sol pour la construction
(infra, Sous-section 3).
§ 2. – Le droit d’usage du sol pour la construction d’habitations des paysans
180. - Le droit d’usage du sol pour la construction d’habitations des paysans est
reconnu par la Constitution655, puis réaffirmé par la loi sur l’administration du sol656. Il
s’agit du droit des membres de collectivité à occuper et à utiliser, à titre du foyer, le sol
collectif pour construire leurs bâtiments d’habitation. De manière plus simple, la loi sur
les droits réels renvoie à la loi sur l’administration du sol adoptée en 1986 et
dernièrement révisée en 2004, pour déterminer les règles relatives à l’acquisition, à
l’exercice et à la cession de ce droit657. D’abord, le droit d’usage du sol pour la
construction des logements des paysans est gratuitement alloué aux foyers d’une
collectivité locale de canton ou de commune658, avec l’approbation du gouvernement
de district. À chaque foyer ne peut être allouée qu’une parcelle de terrain dont la
surface est dans la limite déterminée par le gouvernement d’échelon provincial.
Ensuite, le droit d’usage du sol collectif pour la construction des logements est
incessible aux habitants urbains. Au cas où le foyer transférerait son logement, il n’a
654 James Kai-sing KUNG, « Choice of land tenure in China: The case of a county with quasi-private property rights », in Economic Development and Cultural Change, University of Chicago, 2002, pp. 793 à 817. 655 V., article 10, aliéna 3 de la Constitution 1982. 656 V., article 8, alinéa 2 de la loi sur l’administration du sol. 657 V., article 153 de la loi sur les droits réels. 658 Au début des années 90, le CAE a procédé à titre expérimental à l’établissement d’un régime d’utilisation à titre onéreux du sol collectif pour la construction de logements des paysans, mais ces mesures d’expérimentation ont été abandonnées par la suite.
198
plus le droit de demander une nouvelle parcelle de terrain au nom du droit d’usage du
sol pour la construction d’habitations, sauf pour raison de déménagement 659 .
Troisièmement, les bâtiments d’habitations des paysans ainsi construits peuvent faire
l’objet du droit de succession, le successeur peut jouir du droit d’usage du fonds sur
lequel est construit le logement du foyer. Mais la loi exige que le successeur doive
avoir le statut de paysan –en vertu de l’enregistrement de résidence– comme condition
préalable à l’exercice du droit de succession. À cet égard, le droit d’usage pour la
construction d’habitations des paysans revêt par conséquent le caractère des « droits
attachés à la personne »660.
Sous-section 3. – Le droit d’usage du sol pour la construction
181. - Le régime juridique du droit du sol pour la construction est établi par la loi sur
l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines, entrée en vigueur le 1er
janvier 1995 et révisée en 2007. La loi sur les droits réels, en réaffirmant les principaux
dispositifs de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines,
insère des modifications et de nouvelles règles visant à mieux équilibrer les intérêts
entre l’État-propriétaire (§ 1) et les concessionnaires (§ 2) du droit d’usage du sol.
§ 1. – Des modifications pour l’intérêt de l’État
182. - Le droit chinois prévoit deux voies à l’établissement du droit d’usage du sol
pour la construction: l’attribution à titre gratuit et la concession du droit d’usage du sol
à titre onéreux. Cependant, la loi sur les droits réels pose le principe selon lequel
l’attribution à titre gratuit du droit d’usage du sol étatique est strictement encadrée, elle
ne s’applique qu’à titre exceptionnel et en vertu des dispositions législatives
spéciales661. Par conséquent, la concession est la principale voie pour établir le droit
d’usage du sol de propriété d’État. La restriction vise à assurer que les conditions 659 V., Ministère du territoire et des ressources, Communiqué sur le renforcement de l’administration du droit d’usage du sol pour la construction des logements des paysans, Guotuzifa (2004) n° 234. 660 Frédéric ZENATI-CASTAING, Thierry REVET, Les biens, op. cit., § 29. 661 V., article 137 de la loi sur les droits réels.
199
imposées par la loi sur la mise en oeuvre de l’attribution seront pleinement respectées,
tout en évitant les abus de pouvoir par les organes gouvernementaux compétents. Par
conséquent, l’intérêt financier de l’État dans l’attribution du droit d’usage peut être
mieux sauvegardé.
183. - Pour le même motif, les modalités de l’établissement du contrat de concession
sont davantage encadrées, dans la mesure où la loi sur les droits réels prévoit la
procédure obligatoire d’octroi de concession. Selon cette procédure, la concession est
attribuée par adjudication au plus offrant si au moins deux offres valables ont été
déposées pour cette concession et si les entreprises intéressées remplissent les
conditions générales d’octroi des concessions662, alors qu’en vertu de la loi sur
l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines, le lancement de la
procédure d’octroi de concession n’était que facultatif. Selon la loi sur l’administration
des biens immobiliers dans les zones urbaines, le contrat de concession peut
valablement s’établir aussi longtemps que la prime de concession consentie par les
deux parties du contrat –à savoir d’une part, les gouvernements locaux au niveau de
ville et de district en tant que représentants de l’État et, d’autre part, les
concessionnaires– ne soit pas inférieure au montant minimum fixé par l’État663. Or,
l’ambiguïté du dispositif de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les
zones urbaines avait largement permis à la relation interpersonnelle entre les
promoteurs immobiliers et les membres des gouvernements locaux d’influencer la
concession du droit d’usage du sol étatique, notamment à l’égard de la redevance du
concessionnaire664. La manipulation dans les coulisses et de graves corruptions ont
sensibilisé le public et le gouvernement central665. L’adoption de la procédure d’octroi
de concession par la loi sur les droits réels s’inscrit donc dans une série d’actions prises 662 V., article 137, alinéa 2 de la loi sur les droits réels. 663 V., article 13, alinéa 3 de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines. 664 V., Gregory M. STEIN, « Acquiring land use rights in today’s China: a snap shot from on the ground », 24 UCLA Pac. Basin L.J. 1, pp. 18, 19. 665 V., reportage de Gareth POWELL, « Real estate sector a hotbed for corruption: Minister », China Economic Review, 23 février 2007 ; v., aussi, reportage de SUN Yuting, « Jianchabu guotuziyuanbu tongbao shiqi tudi weifa weigui dianxi anjian (Le Ministère de la Surveillance et le Ministère du Sol et des Ressources Naturelles communiquent dix affaires typiques d’illégalité relatives au droit d’usage du sol) », disponible sur le site http://www.chinanews.com.cn/gn/news/2007/12-10/1100199.shtml, consulté le 22 mars 2008.
200
par l’État pour lutter contre les illégalités dans la concession du droit d’usage du sol
étatique666. Avec l’introduction de ce mécanisme de concurrence, la procédure de la
concession du droit d’usage du sol étatique s’améliore par la recherche de transparence
qui profite non seulement aux promoteurs nationaux, mais aussi aux investisseurs
étrangers pour lesquels l’accès au marché immobilier chinois est formellement
reconnu667.
§ 2. – De nouvelles règles pour l’intérêt des concessionnaires
184. - Quant à l’apport de la loi sur les droits réels aux intérêts des concessionnaires,
il convient d’abord de souligner qu’elle admet la possibilité d’établir des droits d’usage
distincts portant respectivement sur la surface du sol, le dessous et le dessus668, alors
qu’auparavant seule était prévue la surface du sol. Pour les juristes chinois, l’un des
apports importants de la loi sur les droits réels consiste néanmoins à accepter « le
principe d’intégration » en ce qui concerne le rapport entre le droit d’usage du sol pour
la construction et le droit de propriété des biens qui y sont édifiés669. Aux termes de
l’article 142, les titulaires du droit d’usage du sol pour la construction sont présumés
être propriétaires des biens édifiés, sauf preuve contraire. À première vue, la loi sur les
droits réels semble reconnaître l’acquisition de la propriété par accession et permettre
l’incorporation à l’immeuble des constructions qui y sont implantées. Mais il existe
une exception importante à ce principe d’intégration : l’État peut réserver la propriété
des biens édifiés sur le sol pour la construction lors de l’établissement du contrat de
concession. Dans ce cas-là, les biens édifiés sur le sol demeurent la propriété d’État,
666 V., Ministère de la Surveillance, Guanyu kaizhan guoyoutudi churang qingkuang zhuanxiang qingli gongzuo de tongzhi (Avis sur le recensement spécifique des concessions du droit d’usage du sol étatique), 8 août 2007, disponible sur le site http://www.gov.cn/zwgk/2007-08/20/content_721724.htm, consulté le 22 mars 2008. 667 V., infra, n° 633 et s. 668 V., article 136 de la loi sur les droits réels. 669 V., WANG Liming, « Guanyu woguo wuquanfa zhidingzhongde ruogan yinan wenti de tantao (Étude sur des questions difficiles dans l’élaboration de la loi sur les droits réels) », Zhengfa Luntan (Tribine of Political Science and Law), n° 6, 1995, pp. 46 à 54 ; v., aussi, LIANG Huixing, Zhongguo wuquanfa yanjiu (Étude des droits réels chinois), Law Press China, 1998, pp. 651 à 653 ; WANG Liming, YIN Fei, Wuquanfa, yongyi wuquan(Droit des biens : l’usufruit), Zhongguo fazhi chubanshe, 2005, pp. 224, 225.
201
bien qu’ils soient construits par le concessionnaire. Dans la pratique, il s’agit
notamment des installations à l’usage public. La réserve de propriété d’État rassure
l’usage public de ces biens670. Encore faut-il souligner que le principe d’intégration ne
s’applique qu’aux biens qui sont légalement édifiés sur le sol pour la construction671.
En d’autres termes, le concessionnaire ne saurait obtenir aucun titre légal sur les biens
illégalement construits en invoquant l’article 142.
185. - Les articles 146 et 147 expriment aussi la signification du principe
d’intégration dans le cas de la mutation de propriété: la disposition du droit d’usage du
sol pour la construction par la vente, l’échange, l’investissement ou la donation
entraîne en même temps la disposition de la propriété des biens édifiés, vice versa. En
d’autres termes, le principe d’intégration exige que le droit d’usage du sol pour la
construction et le droit de propriété des biens édifiés ne puissent pas être séparément
aliénés. Il en résulte que, par exemple, lors de transaction d’immeubles d’habitation,
les acheteurs acquièrent en même temps deux titres séparés : un titre sur la propriété de
l’immeuble d’habitation, et un titre sur le droit d’usage portant sur le fonds. Ainsi, les
bureaux locaux municipaux d’administration du sol et d’habitation peuvent être
reconnus la compétence pour la délivrance des deux titres via l’inscription des
immeubles au registre. Ce qui peut aider à résoudre la difficulté à laquelle se heurtent
souvent les copropriétaires quant à l’obtention du titre du droit d’usage sur le fonds.
Car, à cause de la séparation des deux systèmes d’enregistrement des biens
immobiliers –l’un sur le fonds, l’autre sur les bâtiments construits– il est très fréquent
que les copropriétaires soient théoriquement considérés comme titulaires du droit
d’usage du sol bâti, mais sans pour autant disposer d’aucun titre justificatif672.
670 Commission des travaux législatifs du Comité permanent de l’APN, Zhonghuarenmingongheguo wuquanfa : tiaowen shuoming, lifaliyou ji xiangguanguiding (La loi sur les droits réels, explications, motifs et dispositions pertinentes), op. cit., p. 266. 671 V., articles 73, 76 et 83 de la loi sur les droits réels. 672 L’arrêté de l’ancien Ministère de la Construction sur l’administration de la vente des habitations urbaines (2001) prévoit l’obligation des vendeurs –promoteurs immobiliers– d’assister les acquéreurs d’habitation pour se procurer le titre de droit d’usage, mais en pratique, dans la plupart des municipalités, deux organes administratifs locaux coexistent pour la délivrance des titres : le titre sur la propriété de l’immeuble d’habitation est délivré par les bureaux locaux d’administration d’habitation urbaine, alors que le titre sur le droit d’usage du sol bâti est délivré par les bureaux locaux d’administration du sol. La séparation des deux administrations a posé des problèmes aux acquéreurs des habitations. Car les
202
186. - La loi sur les droits réels ne prévoit le principe d’intégration que dans le cadre
du droit d’usage du sol pour la construction dans les zones urbaines. La réponse à la
question de savoir si le principe d’intégration s’applique aussi aux droits d’usages du
sol dans les zones rurales reste ouverte. Mais le principe d’intégration peut avoir des
conséquences particulières sur la limitation à la libre cession des droits d’usage du sol
collectif dans les zones rurales. En effet, si en l’état actuel le droit chinois n’admet pas
encore la libre cession des droits d’usage du sol collectif, il n’y a toutefois pas
d’interdiction formelle sur la transaction des biens immobiliers édifiés sur les terrains
de propriété collective. Or, dans la pratique, il arrive très souvent que le titulaire des
droits d’usage du sol collectif contourne la limitation à la cession de ces droits à travers
le transfert des bâtiments qui y sont construits. La séparation des deux titres, l’un
portant sur le fonds, l’autre sur les bâtiments construits, rend largement ineffective la
limitation à la libre cession du sol collectif. Étendre le champ d’application du principe
d’intégration aux droits d’usage du sol collectif tout en reconnaissant en même temps
la libre cession de ces droits semble être une solution souhaitable au problème actuel.
Le principe d’intégration a une signification particulière en droit chinois dans la
mesure où il modifie substantiellement la loi sur l’administration des biens immobiliers
dans les zones urbaines qui prévoyait l’appropriation à titre gratuit par l’État des
terrains soumis au contrat de concession à l’échéance de ce contrat, si le
concessionnaire ne demande pas le renouvellement du contrat de concession ou si la
demande est rejetée par l’État pour l’intérêt général673. Par le principe d’intégration, le
titulaire du droit d’usage du sol, qui est en même temps le propriétaire des biens édifiés
au terrain soumis au contrat de concession, a droit à l’indemnisation pour ses biens
édifiés à l’échéance du contrat de concession.
187. - Une autre nouveauté de la loi sur les droits réels consiste au principe de
renouvellement automatique du contrat de concession en ce qui concerne les bâtiments
bureaux locaux d’administration du sol ne délivrent le titre sur le droit d’usage du sol qu’aux concessionnaires –à savoir les promoteurs immobiliers, les acquéreurs des habitations demeurent théoriquement titulaires du droit d’usage du sol bâti en théorie, mais sans disposer d’aucun titre justificatif. Toutefois, le changement est en cours, des municipalités ont commencé à fusionner les deux administrations locales afin d’unifier la délivrance des deux titres. 673 V., article 22 de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines.
203
d’habitations674. C’est-à-dire, le droit d’usage du sol pour l’usage résidentiel devient
reconductible675. Ce principe contribue aussi à la consolidation du droit de propriété
privée sur les maisons et appartements construits sur les terrains étatiques. La solution
constitue donc une exception majeure à la solution prévue par la loi sur
l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines, selon lequel le
renouvellement doit être demandé un an avant l’expiration du terme et il peut être
refusé pour intérêt public. Il en résulte que le droit de propriété privée peut exister
aussi longtemps que l’existence physique des habitations comme ses objets, sans être
influencée par le terme du contrat de concession du droit d’usage du sol étatique.
Cependant, la loi sur les droits réels se contente de proclamer le principe de
renouvellement automatique, tout en laissant aux futures législations le soin d’élaborer
les règles concernant la prime de concession qui devraient être versée par le titulaire du
droit d’usage du sol lors du renouvellement. D’où l’incertitude pour les propriétaires
des habitations676.
Sous-section 4. – Les droits conférés par la servitude
188. - À la différence du Code civil français, la loi sur les droits réels proclame
d’emblée les droits conférés par la servitude qui sont établis par la convention entre le
titulaire des droits d’un bien immobilier dominant d’une part et, d’autre part, le
titulaire des droits d’un bien immobilier servant677, sans prévoir les servitudes qui
dérivent de la situation des lieux, ni la servitude établie par la loi. Pourtant, il convient
de souligner qu’un chapitre septième de la loi sur les droits réels intitulé « voisinage »
prévoit les règles qui correspondent pour l’essentiel à celles des servitudes qui dérivent
674 V., supra, § 19. 675 V., article 149 de la loi sur les droits réels. 676 Lors de la délibération sur le projet de loi sur les droits réels, certains membres du Comité permanent de l’APN ont proposé que le paiement des frais d’usage soit clarifié dans la disposition de la future loi. V., reportage de ZOU Shengwen, « Tudi qishinian shiyongqimanhou, guojia ying shenshou tudi shiyongfei (L’État devrait avoir la prudence sur le paiement des frais d’usage du sol à l’échéance du contrat de concession) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/politics/2006-08/23/content_4999091.htm, consulté le 22 mars 2008. 677 V., article 166 du projet de la loi sur les droits réels.
204
de la situation des lieux. En droit français, seules les servitudes « profitant à un fonds
de terre sont admises... par crainte de voir la servitude utilisée pour créer librement
des droits réels et attenter au régime d’ordre public des biens »678, alors qu’en Chine
les servitudes personnelles ne sont pas interdites sans équivoque selon la loi sur les
droits réels. Cependant, l’interdiction pourrait en être déduite, car l’article 166 précise
l’amélioration de l’utilité de l’immeuble est le but de la servitude.
189. - L’autre aspect particulier du droit chinois consiste à l’impact de la relation
entre le propriétaire et le titulaire du droit d’usage du fonds sur le régime juridique de
la servitude. D’abord, la liberté du propriétaire du fonds servant dans l’acception des
charges de servitude est limitée pour les intérêts du titulaire des droits d’usage pourtant
sur le même fonds. L’article 163 de la loi sur les droits réels prévoit que le propriétaire
du sol doit préalablement obtenir l’accord des titulaires du droit d’usage du sol pour
l’exploitation forfaitaire, du droit d’usage du sol pour la construction ou du droit
d’usage du sol pour la construction d’habitations des paysans, avant de consentir au
bénéficiaire sa prise en charge de la servitude. En revanche, la loi sur les droits réels
n’exige pas que les titulaires des droits d’usage du sol doivent avoir l’accord préalable
du propriétaire du sol pour établir la servitude avec un tirer bénéficiaire. Ensuite, les
droits conférés par la servitude ou les charges du servant déjà existants demeurent
valables après l’établissement des droits d’usage sur le fonds concerné. De même, au
cas où les droits conférés par la servitude et les droits d’usage coexisteraient sur le
même fonds, les uns ne peuvent pas être totalement ou partiellement cédés ou
hypothéqués de manière dissociée des autres, vice versa679.
SECTION III. – LES MODALITÉS DE MUTATION DES DROITS RÉELS
190. - La loi sur les droits réels, par son Chapitre 2 intitulé « [R]ègles communes
relatives à l’acquisition, à la modification, à la transmission et à l’extinction des
biens », pose les règles de droit commun concernant la constitution et la mutation des
droits réels. D’abord, l’accomplissement des opérations telles que la constitution, la
678 Frédéric ZENATI-CASTAING, Thierry REVET, Les biens, op. cit., § 297. 679 V., articles 164 à 167 de la loi sur les droits réels.
205
transmission et l’extinction des droits réels sont désormais subordonnées aux
formalités prévues par la loi : pour les biens meubles, la loi sur les droits réels affirme
le principe selon lequel le transfert de propriété est subordonné à la tradition, tandis
que pour les biens immeubles, il s’agit de l’inscription obligatoire au registre et ses
exceptions. Outre les règles de principe, la loi sur les droits réels complète le mode
d’acquisition de propriété privée par les règles spéciales d’acquisition de bonne foi.
Ces deux aspects, la formalité d’enregistrement (Sous-section 1) et l’acquisition de
bonne foi (Sous-section 2), sont des nouveautés en droit chinois. Cependant, comme
on l’a regretté, la loi sur les droits réels n’a pas pu aller jusqu’au bout pour établir le
régime de l’acquisition prescriptive 680 , de même que d’autres modes originaux
d’acquisition tels que l’accession, l’acquisition des biens vacants et sans maître.
Sous-section 1. – Les formalités d’enregistrement
191. - Le problème de l’effet juridique des modalités d’enregistrement sur le
transfert de propriété fut vivement débattu lors de l’élaboration de la loi sur les droits
réels681. Au lieu de s’aligner sur le principe solo consensus682, la loi sur les droits réels
établit le régime d’enregistrement obligatoire (§ 1), tout en admettant des exceptions
selon lesquelles l’enregistrement n’est que la condition d’opposabilité (§ 2). Comme le
professeur WANG Liming l’a constaté, « le droit chinois opte pour le compromis à
partir de l’hétérogénéité des pays de droit civil »683.
680 V., PENG Chengxin, LIU Zhi, «Qude shixiao de shijian jiazhi yu lifa sheji ( La valeur pratique et la construction du régime juridique de l’acquisition prescriptive) », Shehui kexue yanjiu (Social Science Study), n° 4, 2007 ; YANG Lixin, LIN Xuxiang, « Wuquanfa yingdang guiding qude shixiao zhidu (La loi sur les droits réels doit reconnaître l’acquisition prescriptive) », disponible sur le site http://www.yanglx.com/dispnews.asp?id=284, consulté le 25 mars 2008. 681 V., CUI Jianyuan, Woguo wuquan lifa nandian wenti yanjiu (Étude sur les difficultés dans l’élaboration de la loi sur les droits réels), Qinghua daxue chubanshe, 2005, p. 77. 682 V., Frédérique ZENATI-CASTAING, Thierry REVET, Les biens, op. cit., § 178. 683 WANG Liming, « Wuquanfa caoan zhongde budongchan biandongmoshi (Le mode de transfert des biens immobiliers dans le projet de loi sur les droits réels) », disponible sur le site http://www.npc.gov.cn/npc/oldarchives/zht/zgrdw/common/zw.jsp@label=wxzlk&id=341947&pdmc=1502.htm, consulté le 23 mars 2008.
206
§ 1. – L’enregistrement comme condition du transfert de propriété des biens
immeubles
192. - L’article 9, alinéa 1er, dispose que « la constitution, la modification, la
transmission ou l’extinction des droits immobiliers doivent être enregistrées
conformément à la loi ; lesdits actes ne produisent pas d’effet juridique sans
l’enregistrement, à l’exception des cas prévus par loi ». Il convient de souligner que
l’enregistrement obligatoire concerne non seulement le transfert de propriété, mais
aussi la constitution, la transmission, la modification et l’extinction du droit d’usage du
sol pour la construction684. La loi sur les droits réels précise que la constitution, la
modification, la transmission ou l’extinction du droit des biens prend effet juridique à
compter de leur inscription dans les registres fonciers établis par l’État 685 ,
enregistrement qui fait foi quant au titulaire et au contenu des droits enregistrés686, et
qui l’emporte sur le certificat de droit réel immobilier détenu par le titulaire à moins
que l’erreur contenue dans le registre soit établie687. Il en résulte que la signification de
l’enregistrement ne consiste pas à l’opposabilité comme en droit français « le transfert
de la propriété est, en principe, opposable aux tiers solo consensus »688, mais à la
réalisation du transfert. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de mutation de la propriété, si
celle-ci n’était pas enregistrée selon les dispositions légales.
193. - Pour protéger l’intérêt de l’acquéreur ayant cause, l’article 15 de la loi sur les
droits réels distingue encore l’effet juridique de l’enregistrement de celui du contrat
translatif de propriété. Selon cet article, la validité du contrat comme mode d’aliénation
des biens n’est pas mise en cause du fait que le bien faisant l’objet d’aliénation n’est
pas enregistré à la suite de l’établissement du contrat. Au cas où l’aliénateur
empêcherait l’enregistrement par le refus de transmettre les biens, l’acquéreur peut
invoquer l’article 15 pour obtenir la compensation des dommages-intérêts du fait de
l’inexécution du contrat par l’aliénateur. La disposition est d’autant plus importante
684 V, article 139, article 145, article 150 de la loi sur les droits réels. 685 V., article 14 de la loi sur les droits réels. 686 V., article 16 de la loi sur les droits réels. 687 V., article 17 de la loi sur les droits réels. 688 Frédérique ZENATI-CASTAING, Thierry REVET, Les biens, op. cit., §181.
207
qu’il y avait souvent des confusions considérant le système d’enregistrement
obligatoire comme « défavorable pour l’acquéreur, qui, avant l’enregistrement de son
droit, peut voir la vente résiliée ou le bien revendu par le propriétaire qui cherche à
profiter de la hausse du prix du marché immobilier »689. De surcroît, l’acquéreur qui a
la maîtrise effective des biens sans les avoir enregistrés, peut invoquer les règles
relatives à la possession prévue par la loi sur les droits réels690, dont la nature juridique
diffère de celles du droit français. Ce dernier distingue le détenteur précaire et le
possesseur : « un détenteur précaire réalise l’élément matériel de la possession, à
l’exclusion de l’élément intentionnel », par exemple, un locataire qui n’est pas
possesseur, mais, seulement détenteur691. À cet égard, la loi sur les droits réels se
contente de prévoir la maîtrise de la chose sur la base du contrat, dont le respect est
assuré par la loi692, sans pour autant distinguer le détenteur précaire ou un possesseur.
Car l’enregistrement obligatoire en droit chinois a pour effet de ne laisser aucune place
à la possession telle que reconnue en droit français selon lequel la possession
prolongée pendant le temps requis pour la prescription rend le possesseur
propriétaire693. Il en résulte qu’en Chine l’acquéreur ne peut qu’exiger le respect de sa
maîtrise matérielle de la chose pour bénéficier de la protection comme détenteur
précaire.
194. - Du fait du caractère obligatoire de l’enregistrement immobilier, il existe des
controverses sur la question de savoir si le droit chinois admet la dissociation entre
l’engagement des parties et la réalisation du transfert en s’inspirant du droit civil
allemand en la matière 694 . La majorité des civilistes chinois considèrent que
689 Xiao-Ying LI-KOTOVTCHIKHINE, « Entre économie de marché et socialisme : la nouvelle loi chinoise sur les biens », loc. cit. 690 V., article 245 de la loi sur les droits réels. 691 Pierre VOIRIN, Gilles GOUBEAUX, Droit civil, t. 1, op. cit., §646. 692 V., article 241 de la loi sur les droits réels. 693 Pierre VOIRIN, Gilles GOUBEAUX, Droit civil, t. 1, op. cit., §655. 694 Pour la thèse infirmative, v., par ex., LIANG Huixing, « Woguo minfa shifou chengren wuquan xingwei (Le droit civil reconnaît-il l’acte juridique de droit réel ) », Faxue yanjiu (Chinese Journal of law), n° 6, 1989; pour la thèse affirmative, v., par ex., SUN Xianzhong, « Deguo minfa dui zhongguo zhiding wuquanfa de jiejian zuoyong (Les inspirations du droit civil allemand sur l’élaboration de la loi sur les droits réels en Chine) », disponible sur le site http://www.iolaw.org.cn/shownews.asp?id=1473, consulté le 23 mars 2008.
208
l’enregistrement obligatoire est requis par le principe de publicité dont l’objectif est de
rendre public la mutation de la propriété afin d’assurer la sécurité des transactions et de
clarifier le rapport juridique des personnes au regard de l’appartenance des biens et
faciliter le contrôle fiscal de l’État, etc.695 Donc, il n’y a pas de lieu d’insister sur la
distinction artificielle entre contrat de vente et contrat pour le transfert de propriété.
Pourtant, l’amélioration de la sécurité de transactions immobilières repose sur
l’efficacité du système des registres fonciers. À cet égard, la loi sur les droits réels ne
pose que des principes sans pour autant préciser les règles pour rendre le système
d’enregistrement opérationnel. En l’état actuel, de multiples organes étatiques sont
compétents en matière d’enregistrement immobilier en fonction de différents critères
de distinction des biens, ce qui ne peut que nuire à l’effet de publicité696. La mise en
place d’un système unifié d’enregistrement immobilier au niveau national demeure le
pas à franchir après l’adoption de la loi sur les droits réels697. Des propositions ont été
présentées par des juristes chinois, parmi lesquelles figure celle qui réclame « une plus
grande intervention du notariat » 698 qui accroîtra la sécurité juridique des
transactions, s’inspirant de l’expérience du droit français. À l’heure actuelle, la
question reste toutefois ouverte : un projet de loi sur l’enregistrement des biens
immobiliers est au cours de rédaction sous l’égide de l’ANP, qui vise à fonder un
système complet et unique d’enregistrement immobilier 699 . En matière
695 WANG Liming, « Wuquanfa caoan zhongde budongchan biandongmoshi (Le mode de transfert des biens immobiliers dans le projet de loi sur les droits réels) », loc. cit. 696 LIU Kaixiang, « Guanyu budongchan dengji wenti de jidian sikao (Quelques réflexions sur des problèmes de l’enregistrement immobilier », disponible sur le site http://article.chinalawinfo.com/article/user/article_display.asp?ArticleID=27512, consulté le 23 mars 2008 ; v., aussi, A. VOINNESSON, « L’entreprise et la concurrence – Les droits réels, 7es Journées juridiques franco-chinoises », Revue Internationale de droit comparé, n°1, 2003, p. 235. 697 V., reportage de TANG Yaoguo, « Wuquanfa xiangguan peitao fagui ying jinkuai chutai (De nouveaux règlements devaient être adoptés récemment pour le besoin de la mise en oeuvre de la loi sur les droits réels) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/legal/2007-04/16/content_5980953.htm, consulté le 23 mars 2008. 698 SHEN Weixing, «Neirong yu xingshi zhijian : woguo wuquan dengji lifa de wanshan (Entre fond et forme : perfectionnement de la législation sur l’enregistrement de la propriété en Chine) », Peking University Law Review, n° 2, 2006, pp. 223 et s. 699 V., reportage de SONG Changqing, « Qiao hanrong daibiao: zhiding tongyi dengji zhidu peitao wuquanfa (Le député QIAO hanrong : construire un système unifié d’enregistrement immobilier pour compléter la loi sur les droits réels) », disponible sur le site
209
d’enregistrement des bâtiments d’habitations, il semble que l’organe administratif va
continuer à jouer le rôle principal, car le Ministère du Logement et du Développement
Urbain et Rural a adopté en janvier 2008 un arrêté qui s’intitule Mesures
d’administration sur l’enregistrement des bâtiments d’habitations700 pour abriter le
système d’enregistrement des habitations dans l’ensemble du territoire national,
désignant les bureaux locaux d’administration des immeubles d’habitations comme les
organes d’enregistrement.
§ 2. – Les exceptions à l’enregistrement obligatoire
195. - La loi sur les droits réels prévoit deux cas d’exception à l’enregistrement
obligatoire. D’abord, la loi sur les droits réels admet dans certains cas que l’inscription
au registre n’est pas la condition au transfert de propriété, mais à l’opposabilité du
transfert au tiers de bonne foi. Ainsi, l’enregistrement est facultatif. Les exceptions
concernent le droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire701, les droits conférés
par la servitude702, le droit d’usage du sol collectif pour la construction d’habitations
des paysans703. Selon WANG Liming, les exceptions ainsi prévues se justifient dans la
mesure où la cessibilité des droits susmentionnés est limitée par la loi, par exemple,
« le droit d’usage du sol collectif pour la construction d’habitations ne peut faire
l’objet de transmission que parmi les membres d’une même collectivité, ce qui tempère
l’utilité de la publicité par l’enregistrement »704 . D’ailleurs, pour certains biens
http://news.xinhuanet.com/misc/2008-03/05/content_7723488.htm, consulté le 23 mars 2008. V., aussi, WU Bangguo, Rapport de travail du Comité permanent de l’APN devant la 1re session plénière du XIe APN, 8 mars 2008, disponible sur le site http://npc.people.com.cn/GB/71673/7030565.html, consulté le 31 mars 2008. 700 L’arrêté est entrée en vigueur le 1er juillet 2008. Le texte de l’arrêté est disponible sur le site http://www.cin.gov.cn/zcfg/jsgz/200803/t20080321_147199.htm, consulté le 16 mai 2008. 701 V., article 129 de la loi sur les droits réels. 702 V., article 158 de la loi sur les droits réels. Toutefois, en vertu de l’article 169, l’enregistrement est obligatoire pour les droits conférés par la servitude déjà enregistrés en cas de modification, de transmission ou d’extinction ultérieure. 703 V., article 155 de la loi sur les droits réels. Toutefois, l’enregistrement est obligatoire pour le droit d’usage du sol pour la construction d’habitations des foyers ruraux déjà enregistrés en cas de transmission ou d’extinction ultérieure. 704 WANG Liming, « Wuquanfa caoan zhongde budongchan biandongmoshi (Le mode de transfert des
210
mobiliers tels que le navire, l’aéronef, le véhicule automobile, l’enregistrement est
requis pour que la mutation de propriété soit opposable au tiers de bonne foi705.
Dans un autre cas, l’enregistrement devient inutile du fait que la constitution, la
modification, la transmission ou l’extinction des droits des biens résulte du jugement,
de l’arbitrage, de la décision administrative, de la succession ou de la libéralité ou des
actes de fait706. De même, la propriété d’État sur les ressources naturelles, du fait de
son caractère hors commerce, n’est pas sujette à l’enregistrement707.
Sous-section 2. – L’acquisition de bonne foi des biens privés
196. - Alors que l’acquisition de bonne foi est reconnue par la doctrine civiliste et la
jurisprudence708, c’est la loi sur les droits réels qui adopte pour la première fois les
règles législatives en la matière. En revanche, à regarder de près, il y a des différences
importantes entre la loi sur les droits réels et le Code civil français, en ce qui concerne
l’acquisition de bonne foi des biens aussi bien meubles (§ 1) qu’immeubles (§ 2).
§ 1. – L’acquisition de bonne foi des biens meubles
197. - Les conditions constitutives de l’acquisition de bonne foi sont prévues par
l’article 106. Premièrement, l’acquéreur doit avoir la bonne foi au moment de
l’acquisition –ce qui ressemble à l’article 2269 du Code civil. Deuxièmement,
l’acquisition de propriété se fait au prix juste. Troisièmement, l’acquéreur doit avoir la
maîtrise effective des biens meubles. La deuxième condition est plus restrictive par
rapport au droit français, dans la mesure où elle exige non seulement que l’acquéreur
biens immobiliers dans le projet de loi sur les droits réels) », loc. cit. 705 V., article 34 de la loi sur les droits réels. 706 V., articles 28 à 30 de la loi sur les droits réels. 707 V., article 9 de la loi sur les droits réels. 708 V., LIANG Huixing, CHEN Huabin, Wuquan fa (Droit des biens), 2e éd., Law Press China, 2003, p. 203 ; YIN Tian, « Lun wuquanfa guiding qude shixiao de biyaoxing (Sur la nécessité de l’acception de l’acquisition prescriptive par la loi sur les droits réels) », Faxue (Law Science Monthly), 2005, n° 8, pp. 10 à 13.
211
ait un titre sur les biens –qu’il s’agisse des biens mobiliers ou immobiliers–, mais aussi
que le prix comme contrepartie du titre soit juste. Alors qu’en droit français, n’est
exigé que le juste titre pour les biens immeubles en vertu de l’article 2265 du Code
civil 709 ; pour les biens meubles, « la possession vaut titre » 710 . Il en résulte
l’acquisition à titre gratuit ou au prix qui n’est pas juste –sous le jugement souverain
du tribunal, le tiers ne serait protégé contre le propriétaire au procès de revendication,
bien qu’il soit la bonne foi. L’exigence d’un juste prix résulte du souci de maintenir
l’équité entre le propriétaire et le tiers acquéreur, traduisant donc la notion de justice
substantielle qui prévaut dans la connaissance du peuple chinois. Il en résulte qu’en
droit chinois si le tiers procure quelque chose pour rien ou à prix sensiblement bas par
rapport à la valeur de la chose, l’intérêt du propriétaire l’emporte sur la sécurité du
droit du tiers.
198. - Quant aux meubles perdus, la loi sur les droits réels reconnaît le droit de
revendication du propriétaire. Toutefois, les dispositions doivent être nuancées au
regard du Code civil français. D’abord, le délai de revendication est différent. En droit
français, le propriétaire peut revendiquer son bien perdu ou volé pendant trois ans à
compter du jour de la perte ou du vol contre le possesseur de bonne foi, alors qu’en
droit chinois, ce délai est réduit à deux ans à compter du jour où le propriétaire
identifie ou doit identifier le tiers possesseur. Plus important encore, la loi sur les droits
réels est beaucoup plus influencée par les bonnes moeurs chinoises que « la personne
qui trouve la chose perdue doit toujours la restituer au propriétaire, sans même
pouvoir exiger la compensation » 711. Pour cette raison, la loi sur les droits réels
impose le principe selon lequel celui qui trouve la chose perdue doit la restituer à la
personne ayant droit, ainsi que les procédures qui y sont applicables712. En vertu de ces
procédures, la personne qui a trouvé la chose perdue doit avertir le propriétaire ou
rendre la chose au commissariat de police ou à d’autres organes gouvernementaux qui 709 Le juste titre est celui qui, considéré en soi, serait de nature à transférer la propriété à la partie qui invoque la prescription. Civ. 3e, 29 févr. 1968: Bull. civ. III, n°83; 13 janv. 1999: ibid. III, n°13; JCP 1999. I. 175, n° 6, obs. Périnet-Marquet ; 30 avr. 2002: Bull. civ. III, n°89; D. 2002. Somm. 2510, obs. Reboul-Maupin; JCP 2002. I. 176, n° 4, obs. Périnet-Marquet. 710 V., article 2279 du Code civil français. 711 ZHENG Li, WANG Zuotang, Minfaxue (Droit civil), Beijing University Press, 1999, p. 157. 712 V., articles 109 à 111 de la loi sur les droits réels.
212
procèdent à la recherche du propriétaire par l’avis au propriétaire ou par l’avis public.
Si le propriétaire de la chose perdue ne se présente pas à l’échéance de six mois à
compter du jour de la publication de l’avis, l’État s’approprie la chose. À la différence
du droit français qui reconnaît la possibilité pour la personne qui trouve l’ « épave »
peut devenir propriétaire par prescription acquisitive713, la personne qui trouve la chose
perdue ne peut en aucun cas être l’acquéreur de bonne foi, ni bénéficier de la
protection possessoire aux termes de la loi sur les droits réels. Mais cette dernière
exige que le propriétaire doive donner une compensation pour les frais engagés par la
personne pour conserver la chose perdue714. Si la vertu morale de « ne pas cacher
l’argent qu’on a ramassé » (shijin bumei) demeure louable, le droit à compensation a
gagné l’approbation, puisqu’il est « justifié par l’intérêt légitime de la personne qui a
trouvé la chose perdue »715. De même, la loi sur les droits réels exclut l’applicabilité de
l’acquisition de bonne foi aux objets volés716, ce qui correspond aux pratiques
judiciaires chinoises selon lesquelles les victimes retiennent toujours le droit de suite.
§ 2. – L’applicabilité de l’acquisition de bonne foi aux biens immeubles
199. - En droit français, celui qui a acquis de bonne foi a non domino un immeuble
ne tiendra son droit de la loi qu’au terme d’une période de possession de dix à vingt
ans717. En revanche, en droit chinois, l’application de l’acquisition prescriptive n’existe
pas. D’autant que « le transfert de propriété s’effectue par l’enregistrement obligatoire,
il n’y a donc plus de lieu pour la protection du tiers de bonne foi en ce qui concerne les
biens immobiliers»718. Néanmoins, pour les autres juristes chinois, ils considèrent que
713 Frédéric ZENATI-CASTAING, Thierry REVET, Les biens, op. cit., §17. 714 V., article 112 de la loi sur les droits réels. 715 CHENG Xiao, « Shide yishiwu yingfufei shijinbumei meide buhui bianwei (Le droit à compensation ne dénature pas la vertu morale) », disponible sur le site http://www.china.com.cn/law/txt/2007-03/19/content_7981368.htm, consulté le 24 mars 2008. 716 YANG Jingyu, « Rapport sur les modifications du projet de loi sur les droits réels par le Comité des lois », loc. cit. 717 V., article 2265 du Code civil français. 718 LIANG Huixing, CHEN huabin, Droit des biens (Wuquanfa), 1997, Law Press China, p. 185 ; YU Haiyong, « Le principe fondamental de la protection du tiers de bonne foi dans le transfert de propriété (Wuquan biandong zhong disanren baohu de jiben yuanze) », Falü kexue (Science of Law), n° 4, 2001 ;
213
l’acquisition de bonne foi s’applique également aux immeubles dans le cas où
« l’acquéreur aurait la croyance sur l’enregistrement vicieux, c’est-à-dire les
informations souscrites au registre ne correspond pas à l’appartenance réelle des
biens » 719 et ainsi enterait dans la transaction. Du fait que « l’enregistrement constitue
l’apparence de la propriété immobilière »720, il y a lieu de rassurer le droit du tiers de
bonne foi qui s’appuie sur cet enregistrement. La loi sur les droits réels admet sans
équivoque l’applicabilité de l’acquisition de bonne foi aux biens immeubles. Toutefois,
selon l’article 106, l’acquisition de bonne foi des biens immeubles est soumise à la
condition, entre autres, d’enregistrement. À cet égard, on ne peut que se demander s’il
s’agit de conforter la valeur obligatoire de l’enregistrement ou de protéger le droit du
tiers de bonne foi.
SUN Xianzhong, «Wuquanfa jiben fanchou yu zhuyao zhidu fansi (Réflexions sur les catégories fondamentales et les institutions du droit des biens) », Zhongguo faxue (China Legal Science), n° 6, 1999, pp. 54 à 63. 719 CHANG Peng’ao, «Shanyi qude jinjin shiyongyu dongchan wuquan ma ? (L’acquisition de bonne foi devrait-elle s’appliquer uniquement aux biens meubles ?) », Peking Universtiy Law Journal, 2006, n° 6, p.656 à 668. ; YANG Lixin, « Gongtong gongyou budongchan jiaoyi zhongde shanyi qude (L’acquisition de bonne foi des biens immeubles indivis) », Faxue yanjiu (Chinese Journal of Law), n° 4, 1997, pp.150 à157. 720 CHANG Peng’ao, Wuquanfa dianxing panli yanjiu (Étude sur les grands arrêts de droit des biens), Renmin fayuan chubanshe, 2002, p.166.
214
CONCLUSION DU CHAPITRE
200. - L’adoption de la loi sur les droits réels ne se limite pas à remédier à la
dispersion et à l’émiettement des sources du droit des biens à travers le regroupement
rationnel de règles éparses. Il est vrai que « [toute] codification apparaît à l’origine
comme la réponse technique à un besoin de sécurité juridique »721, dans le cas de
l’élaboration de la loi sur les droits réels, la sécurité juridique s’entend au sens tant
formel que substantiel. Car la sécurité juridique suppose la systématisation des sources
juridiques du droit des biens pour répondre aux critiques que « le droit chinois n’est
guère prévisible »722, la solution aux problèmes surgis dans la vie quotidienne du
peuple, ainsi que la rationalisation du rapport entre l’État et ses citoyens au tour des
biens. Cependant, la volonté politique de légiférer ne suffit pas à apporter des solutions
à certaines questions qui ne sont pourtant pas moins importantes pour la sécurité
juridique. Tout d’abord, à défaut de notion du domaine public de l’État en droit chinois,
la propriété d’État est utilisée pour désigner les biens qui ne sont pas susceptibles
d’être propriété privée, ni collective, dont le fondement demeure le régime économique
socialiste ayant pour base l’appropriation publique des moyens de production, tandis
que la distinction étanche entre moyens de production et matériels de consommation
n’est plus viable. Pour éviter l’extension de la propriété d’État favorisée par la
confusion de la propriété et du pouvoir politique –ce qui peut présenter une menace
pour la propriété privée, le droit chinois a besoin d’y imposer une limite. La propriété
collective, au lieu d’être l’expression juridique des biens communaux, demeure « un
droit sans sujet » : elle est la propriété publique, mais ni l’État, ni la collectivité ne peut
en disposer, les membres de la collectivité n’ayant que les droits à la gestion. Quant à
la propriété privée, elle se réduit aux biens meubles et aux biens immeubles édifiés sur
le sol de propriété publique dont la sécurité juridique dépende plus ou moins de la
propriété publique, de même pour les droits d’usufruit. Il en résulte que le régime
juridique du droit de propriété reste à être amélioré, par voie législative, mais surtout
721 Rémy CABRIALLC, Les codifications, PUF, 2002, p. 68. 722 Robert GUILLAUMOND, « Le droit chinois est-il prévisible ? », in Gazette du Palais, n° spécial « La Chine et le droit : les évolutions récentes », le 16 décembre 1997, p. 1632.
215
judiciaire.
216
CONCLUSION DU TITRE
201. - Si le droit chinois est largement institutionnalisé, il ne faut pas pour autant
négliger la dimension politique de la proclamation constitutionnelle de l’inviolabilité
des biens des citoyens, ainsi que de la législation du droit des biens. En effet, « si
l’approche de la législation civile en Chine est pragmatique et instrumentaliste dans la
mesure où elle est soumise aux besoins immédiats du développement et d’ouverture de
la Chine, il y a toutefois un contenu non seulement plus technique et plus juridique
mais aussi plus institutionnel et par conséquent plus nettement politique de la
législation civile »723. Ainsi en est-il de l’affirmation du principe d’égalité de protection
des propriétés publique et privée, de la rénovation de la définition du droit de propriété
privée, de l’intégration de divers droits d’usage dans le régime juridique de l’usufruit,
de la restriction de la transaction du d’usage du sol collectif et du renforcement des
droits des membres de la collectivité dans la participation à la gestion des biens
collectifs, etc. Tous répondent aux besoins immédiats, mais aussi traduisent
l’orientation politique de l’État dans la construction d’un système juridique à la fois
compatible et « nécessaire au développement de l’économie de marché socialiste »724.
Il est nécessaire de souligner que la dimension politique du droit chinois réside non
seulement au fait que l’État se sert de la législation comme l’instrument de réforme
qu’il dirige, mais aussi à la volonté du peuple de recourir aux normes de droit pour se
défendre contre l’excès du pouvoir. Ce phénomène d’instrumentalisation à l’inverse du
sens de haut en bas se traduit par le mot d’ordre de « la vocation de la protection des
droits individuels de l’entreprise de codification civile »725. Mais il reste à demander si
la codification civile a la capacité et les moyens de réaliser pleinement sa vocation
espérée de la protection des droits individuels. À partir de l’affirmation sur « l’essence
723 V., Jean-Pierre CABESTAN, « Le contexte juridique chinois, évolutions institutionnelles et législatives », in Centre français de droit comparé, L’actualité du droit chinois des affaires, colloques du 14 novembre 2003, Société de législation comparée, 2004, p. 15. 724 Xiao-ying LI-KOTOVTHIKHINE, « La réforme du droit chinois par la codification », Revue Internationale de Droit Comparé, n° 3, 2000, p. 536. 725 SHI Jiayou, La Codification du droit civil chinois au regard de l’expérience française, op. cit., p.161.
217
du droit civil est droit privé »726, le professeur JIANG Ping soutient vivement la thèse
selon laquelle la protection des droits individuels contre l’empiètement du pouvoir ne
saurait être assurée sans le concours du droit public727. En effet, si les fondements de la
division droit public et droit privé sont habituellement invoqués par les juristes chinois
tout en insistant sur la différenciation entre l’État et la société civile, la position des
juristes « ne va pas jusqu’à parler de la relation d’opposition entre les deux »728. Il
reste donc à franchir un pas important vers la reconnaissance de la primauté du droit
privé qui « correspond au postulat typiquement idéologique selon lequel les droits de
l’individu sont antérieurs à toute organisation sociale»729. En ce qui concerne la
propriété, l’utilité de la loi ne consiste pas à la création de ce droit, mais à sa
confirmation dont l’efficacité nécessite le recours à elle, mais aussi le dépassement
d’elle. Car, « pour les libéraux, la bonté de l’homme ne représente rien de plus qu’un
argument qui servira à mettre l’État au service de la société ; elle signifie donc
simplement que la société trouve son ordre en elle-même et que l’État n’est que son
subordonné, maintenu dans des limites précises et contrôlé avec défiance »730.
202. - Du point de vue de sociologie juridique, la proclamation constitutionnelle de
l’inviolabilité des biens des citoyens, comme la législation du droit des biens, c’est
aussi « donner à une action ou à un discours la forme qui est reconnu comme
convenable, légitime, approuvée », qui permet la force symbolique à « s’exercer
pleinement en se faisant méconnaître en tant que force et en se faisant reconnaître,
approuver, accepter, par le fait de se présenter sous les apparences de l’universalité
–celle de la raison ou de la morale »731. La réhabilitation du droit de propriété privée
aurait pour effet de faire en sorte que la liberté s’enracine dans l’idée du peuple,
726 JIANG Ping, ZHANG Chu, « Minfa de benzhi shi sifa (L’essence du droit civil est droit privé) », Zhongguo faxue (Chinese Legal Science), n° 6, 1998, p.32. 727 JIANG Ping, « Minfa de huigu yu zhanwang (Rétrospectif et prospectifs du droit civil) », Bijiaofa yanjiu (Journal of Comparative Law), 2006, n° 2, p. 9. 728 Hélène PIQUET, La Chine au Carrefour des traditions juridiques, op. cit., p. 178. 729 François XAVIER, « La distinction du droit public et du droit privé est-il idéologique ? », Recueil Dalloz, 1998, p. 345. 730 C. SCHMITT, La notion de politique, Calmann-Lévy, 1972, p. 106. 731 Pierre BOURDIEU, « Codification », in Le sens commun, choses dites, Les éditions de minuit, 1987, p. 103.
218
puisque la propriété est le synonyme de liberté732. Par la légitimation et la légalisation
du droit de propriété privée, le droit chinois semble abandonner « la route de la
servitude » dans laquelle la liberté politique ne survenait pas à la planification
centralisée où « tous les moyens de production étaient concentrés dans une seule
main » du pouvoir total733. Pour que le sens du droit chinois s’éloigne encore de la
servitude, il faudrait des garanties non juridiques mais aussi politiques. Or, en ce qui
concerne le mécanisme de la mise en œuvre des droits constitutionnellement reconnus,
y compris la propriété privée, on ne trouve que l’écart entre la proclamation des droits
et leur réalisation dans la pratique, ce qui caractérise d’une certaine manière
l’indifférence du droit chinois à la promotion systématique des droits. Comme la
professeure Mireille DELMAS-MARTY l’a souligné, «qu’il s’agisse de principes
nouveaux (sur les droits de l’homme et le droit de propriété) ou déjà consacrés, comme
l’État de droit, l’effectivité de l’ensemble des droits fondamentaux inscrits dans la
Constitution dépendra avant tout de la possibilité d’un contrôle »734. Pour la propriété,
c’est un contrôle dont l’objectif est de garantir ce droit par la loi mais aussi contre la
loi.
732 V., Albert SOREL, « Introduction », in Jean-Louis HALPÉRIN (présentation), Le Code civil 1804-1904, Livre du centenaire, Paris : Dalloz, 2004, p. XXXI. 733 Friedrich A. HAYEK, La route de la servitude, 4e éd., PUF, 2005, p. 79. 734 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, Fayard, 2007, p. 565.
219
TITRE II. – LA MISE EN OEUVRE DES GARANTIES
DU DROIT DE PROPRIÉTÉ
203. - La proclamation du droit ne signifie pas pour autant qu’il soit effectif.
L’existence d’un « droit est liée à son inscription dans une norme, alors que l’existence
d’un mécanisme de contrôle n’est que le garant de son effectivité »735. Proclamé et
aménagé, le droit de propriété doit également être garanti, c’est-à-dire qu’il doit être
accompagné de sanctions juridiques qui le protègent contre d’éventuelles atteintes. Au
regard de la notion des libertés publiques, la méthodologie de l’étude des garanties
juridiques du droit de propriété peut s’organiser à partir de deux approches différentes :
la première met l’accent sur l’organe chargé de la sanction, la seconde s’attache à
l’origine de l’atteinte. Cette dernière approche est privilégiée, puisque «la notion même
de libertés publiques implique une protection de la personne à l’égard des atteintes
aux libertés commises par l’État ou en son nom », mais aussi, « chaque norme, dans
un État de droit, bénéficie de son propre mécanisme de sanction qui permet de garantir
les libertés publiques »736. C’est dans l’esprit selon lequel la hiérarchie des garanties
correspond à la hiérarchie des normes que seront ici successivement étudiées la mise
en oeuvre des garanties constitutionnelles (CHAPITRE I) et la mise en oeuvre des
garanties juridiques du droit de propriété prévues par la loi et d’autres textes normatifs
(CHAPITRE II), cherchant ainsi à démontrer l’écart existant entre la proclamation et
l’effectivité du droit dans le système juridique chinois.
735 Bertrand MATHIEU, Michel VERPEAUX, Contentieux constitutionnel et des droits fondamentaux, LGDJ, 2002, p. 12. 736 Claude-Albert COLLIARD, Roseline LETTERON, Libertés publiques, 8e éd., 2005, §115.
220
CHAPITRE I. – LA MISE EN OEUVRE DES
GARANTIES CONSTITUTIONNELLES DU DROIT DE PROPRIÉTÉ
204. - L’utilité et la nécessité de la constitutionnalisation du droit de propriété sont
évidentes, quand il s’agit d’un pays qui est en transition vers l’économie de marché,
pour empêcher l’éventuel retour excessif ou arbitraire de l’État dans la vie économique
de la société. Dans les pays où les législations civiles et pénales ont déjà une longue
expérience de garantie de la propriété, le problème concerne plutôt l’efficacité du
contentieux constitutionnel737. En droit français, « l’idée selon laquelle le droit de
propriété n’était pas un droit fondamental prévalait jusqu’en 1982 » 738 . La
Constitution de 1958 n’envisage pas particulièrement la garantie constitutionnelle du
droit de propriété sauf la garantie législative prévue par l’article 34 et sous l’angle de la
répartition des compétences normatives entre le législateur et le pouvoir réglementaire.
Il fallut attendre l’intégration de la Déclaration 1789 dans le bloc de constitutionnalité
par les décisions du Conseil constitutionnel pour que soit reconnue en droit français la
valeur constitutionnelle du droit de propriété et par conséquent la garantie
supralégislative de ce droit739. Dans tous les cas, il suppose le bon fonctionnement du
contrôle de constitutionnalité des normes juridiques. Pour la Chine, le contrôle de 737 Yoïchi HIGUCHI, « Rapport général, les garanties de la propriété dans une mutation de la vie économique », in La propriété, journées vietnamienne, T. LIII, 2003, Société de législation comparée, 2006, p. 500. 738 Michel VERPEAUX, « Le droit de propriété dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel : permanence et actualité », CJEG, décembre 1999, pp. 411 à 419. 739 Cons. const., 16 janv. 1982, D. 1983,169, note L. Hamon, JCP 1982, II. 19788, note Nguyen Quoc Vinh et C. Franck, Gaz. Pal. 1982, 1, 67, note A. Piedelièvre et J. Dupichot. V., aussi, P. BON, « Le statut constitutionnel du droit de propriété », RFD adm. 1989, n°6 ; F. BOUYSSOU, « Les garanties supra-législatives du droit de propriété », D. 1984, chron. 231 ; J.-Y. CHÉROT, « La protection de la propriété dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Mélanges Mouly, 1998, t. 1, pp. 405 et s. ; F. COLLY, « Le Conseil constitutionnel et le droit de propriété », RD publ. 1988, p.135 ; L. FAVOREU, « Le droit de propriété dans la déclaration de 1789 », in La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, 1989, PUF, p. 123 et s. ; R. LEGEAIS, « Le Conseil constitutionnel, protecteur du droit de propriété », Mélanges Flattet, 1985, pp. 61 et s. ; J.-L. MESTRE, « Le Conseil constitutionnel, la liberté d’entreprendre et la propriété », D. 1984, chron. 1 ; N. MOLFESSIS, Le Conseil constitutionnel et le droit privé, préf. M. GOBERT, Bibl. dr. privé, t. 287, LGDJ, 1997, n° 59 et s. ; R. SAVY, « La constitution des juges », D. 1983, chron. 105 ; F. ZÉNATI, « Sur la constitution de la propriété », D. 1985, chron. 171 ; Anne-Françoise ZATTARA, La dimension constitutionnelle et européenne du droit de propriété, Bibl. dr. privé t. 351, LGDJ, 2001, pp. 8 et 9.
221
constitutionnalité est d’autant plus important que les atteintes au droit de propriété
s’inscrivent dans le contexte de « désordre normatif » du droit chinois, dont les causes
principales sont « la libéralisation progressive de l’économie, la délimitation
insuffisante des pouvoirs normatifs et le pragmatisme de la politique législative »740. Il
en résulte que la protection du droit de propriété exige d’abord la rationalisation de la
loi qui « n’a plus tous les droits »741, d’autant plus que l’excès du pouvoir en Chine
prend souvent la forme de loi au sens large742.
205. - La protection constitutionnelle du droit de propriété implique la définition du
régime des atteintes portées à ce droit. Ce régime comporte des garanties en faveur du
propriétaire. En droit français, il s’agit de s’assurer que la privation ou la
réglementation du droit de propriété s’insère dans un cadre juridique préétabli et
répond notamment à des exigences constitutionnelles. Ces contraintes développent
leurs effets sur deux plans. D’une part, les règles strictes de compétence en matière
d’atteinte au droit de propriété ; d’autre part, les conditions applicables à la privation et
à la réglementation du droit de propriété743. Ces deux aspects des garanties du droit de
propriété, à savoir la répartition de compétence (SECTION I) et les conditions
applicables aux atteintes au droit de propriété (SECTION II), existe également en droit
chinois, dont l’effectivité est assurée par le mécanisme du contrôle établi par la
Constitution de 1982 et complété par la loi du 15 mars 2000 sur l’élaboration des
normes juridiques (lifa fa). Mais à la difficulté politique de la constitutionnalisation du
droit chinois744 s’ajoute la dominance politique de l’État-parti. Ces deux facteurs
limitent l’effectivité de la mise en oeuvre des garanties constitutionnelles par le
mécanisme de contrôle intitulé « supervision constitutionnelle» ou « supervision
740 Xiao-Ying LI-KOTOVTCHIKHINE, « La réforme du droit chinois par la codification », op. cit., p. 541. 741 Mireille DELMAS-MARTY, Vers un droit commun de l’humanité, Textuel, 2004, p. 43. 742 Par exemple, pour les lois stricto sensu, il peut y avoir 7 appellations : loi (fa), résolution (jueyi), décision (jueding), règlement (tiaoli), dispositions (guiding), solution (banfa), programme (fang’an). V., ZHOU Wangsheng, De la législation (lifa xue), Bejing University Press, 1994, p. 573. 743 V., Jérôme TRÉMEAU, « Fondement constitutionnel du droit de la propriété », JurisClasseur Civil Code, Art. 544, Fasc. 20 : PROPRIÉTÉ, § 83. 744 Voir notamment la réponse évasive du Premier ministre WEN Jiabao lors d’une conférence de presse en date du 14 mars 2004, face à la question relative au contrôle constitutionnel des lois et règlements, Les Nouvelles de Chine, La lettre du centre Asie, IFRI, n° 14, 2004, pp. 5 et s.
222
législative » 745 dont l’objectif est d’assurer la cohérence des normes de droit.
SECTION I. – LA MISE EN OEUVRE DES GARANTIES SUR LA
RÉPARTITION DES COMPÉTENCES
206. - En droit français, L’article 34 de la Constitution précise que la loi détermine
les principes fondamentaux du régime de la propriété. La compétence législative de
principe est encore renforcée par d’autres alinéas de l’article 34, comme celui relatif
aux nationalisations et aux transferts de propriété d’entreprises du secteur public au
secteur privé746. Par l’existence d’un « noyau de compétence législative exclusive », le
règlement n’a qu’une place secondaire pour la réglementation du droit de propriété : la
loi pose les normes primaires, tandis que le règlement est limité à l’exécution des
prescriptions législatives747.
207. - En droit chinois, la réserve de la compétence du législateur en matière de la
garantie du droit de propriété n’est pas directement affirmée par la Constitution de
1982. Or, de multiples renvois à la loi par les dispositions constitutionnelles concernant
le droit de propriété, ou d’autres droits réels, ainsi que les conditions de l’expropriation
et de la réquisition, impliquent que seule la loi joue le rôle décisif quant à la protection
et à la limitation du droit de propriété tout en restreignant l’intervention des pouvoirs
réglementaires en la matière (Sous-section 1). À cet égard, la loi sur l’élaboration des
normes juridiques non seulement réaffirme la réserve de compétence législative –le
deuxième chapitre de la loi sur l’élaboration des normes juridiques adoptée en 2000
comble désormais la lacune en précisant les matières réservées au pouvoir législatif
parmi lesquelles figure l’expropriation des biens non publics–, mais aussi prévoit la
procédure de contrôle pour assurer le respect de la compétence législative par le
pouvoir réglementaire (Sous-section 2). Étant donné que les atteintes au droit de
745 Peter Howard CORNE, « Creation and application of law in the PRC », 50 Am. J. Comp. L. 369, pp. 420, 423. 746 V., H. PAULIAT, Le droit de propriété dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, t. 1, LGDJ, 1994, pp. 210 et s. 747 Catherine HAGUENAU, « Le droit de la loi en droit français et en droit anglais », Revue française de droit constitutionnel, 22, 1995, p. 269.
223
propriété résultent des règlements administratifs au niveau national ou local plus que
des règles législatives, « réduire l’abus de pouvoir administratif par l’adoption des
règles strictes de répartition des compétences a été conçu comme l’un des objectifs de
la loi sur l’élaboration des normes juridiques »748. Il s’agit d’une réforme « vers une
hiérarchie plus rigoureuse des normes»749.
Sous-section 1. – L’affirmation de la compétence législative en matière du
droit de propriété
208. - Alors que la compétence législative en matière du droit de propriété est
affirmée par des normes constitutionnelles et par la loi sur l’élaboration des normes
juridiques qui énumère de manière plus précise les règles relevant obligatoirement du
domaine de la loi, il convient de souligner que la réserve de compétence législative en
matière de droit de propriété (§ 1) n’a qu’une portée relative, dans la mesure où le droit
chinois « ne clarifie pas la division des pouvoirs législatifs au sein de l’ensemble du
système d’élaboration de normes»750. L’imprécision des règles sur l’étendue de la
compétence législative ouvre la voie à l’empiètement éventuel de compétence par les
actes normatifs en matière de droit de propriété (§ 2).
§ 1. – L’émanation du principe de compétence législative en matière de
propriété
209. - En l’absence d’une proclamation constitutionnelle, la réserve de compétence
législative en matière de propriété peut être développée à travers le renvoi à la loi
effectué par les normes constitutionnelles (A). La loi sur l’élaboration des normes
juridiques confirme en effet cette hypothèse (B).
748 V., GU Angran, « Lifafa caoan shuoming (Explications sur le projet de loi sur la législation) », Renmin ribao (Quotidien du Peuple), 10 mars 2000, p. 2. 749 Yves DOLAIS, Banggui JIN, « Le droit en Chine: vers une légalité formelle et effective », Gaz. Pal., recueil juillet-août 2004, p. 2220. 750 J. M. OTTO, Yuwen LI, « An overview of law-making in China », in J. M. OTTO et al. (eds.), Law-Making in People’s Republic of China, Kluwer Law International, 2000, p. 13.
224
A. – Le renvoi à la loi par les normes constitutionnelles
210. - Il faut d’abord se référer à l’article 13 de la Constitution de 1982, révisée en
2004, qui proclame que la propriété privée légale des citoyens est inviolable. Par
l’adjectif « légale », la Constitution semble pose le principe de légalité dont la portée a
suscité des controverses depuis l’élaboration de l’amendement à l’article 13 de la
Constitution. Les uns pensaient que l’apposition du terme « légale » au terme de
propriété privée n’est pas redondante, il servirait à apaiser les inquiétudes concernant
la possibilité que des biens illégalement acquis –que ce soit par la corruption, le
détournement de biens publics ou par d’autres moyens illégaux– puissent devenir
intouchables751 . Certains considéraient que, dans l’esprit de la Constitution, les biens
illégalement acquis feraient l’objet des mesures de sanction en vertu de la loi. « La
réserve de légalité traduit bien le souci populaire dans la vie quotidienne de ne pas
étendre la protection constitutionnelle aux biens qui dérivent des activités portant
atteintes à la propriété publique »752. Pour d’autres, la distinction entre propriété légale
et illégale par la Constitution impliquerait des incertitudes pour les acteurs
économiques non publiques qui se développaient dans un contexte de transition de
l’économie planifiée à l’économie de marché. En effet, le cumul des richesses des
entrepreneurs privés s’effectuait parfois en profitant des lacunes du système juridique
chinois. Afin d’assurer la stabilité du développement économique, il serait opportun
d’opter pour la présomption de légalité de la propriété privée. Ainsi, dans la mise en
œuvre de l’article 13 de la Constitution, les biens individuels devraient-ils être
considérés comme légaux en l’absence de preuves contraires 753. Les débats sur
l’interprétation de la signification « de la propriété privée légale » portant sur la
légitimité des biens non publics, peut dans une moindre mesure impliquer le principe
751 V., CHEN Jianfu, « La dernière révision de la Constitution chinoise, Grand bond en avant ou simple geste symbolique? », Perspectives chinoises, n° 82, 2004, p. 21. 752 LI Nan, «Siyou caichan qingxi ruxian, caichan yuanzui youdai qiujie (La proclamation constitutionnelle de la propriété privée et son origine illégale) », China News Week, n° 163, 2004, p.4. 753 CHEN Su, « Dui gongmi caichan shixing tuiding hefa (Pour la présomption légale de la propriété des citoyens) », Jingji cankao bao (Economic Information Daily), 22 mars 2004.
225
de légalité : seule la loi peut déterminer si les biens privés sont légalement ou
illégalement acquis et peut assurer d’une certaine manière la sécurité juridique de la
propriété des biens privés, excluant ainsi toute intervention d’autres sources de droit
tels que les règlements administratifs qui ne cessent de proliférer et de se modifier.
211. - La compétence législative en matière de propriété est aussi implicitement
prévue par l’article 11 de la Constitution selon lequel les acteurs économiques non
publics, qui s’entreprennent dans les limites définies par la loi, constituent une partie
importante de l’économie de marché socialiste ; l’État protège les droits et les intérêts
légitimes des acteurs économiques non publics ; l’État contrôle et administre les
activités des acteurs économiques non publics selon la loi. Les expressions telles que
« dans les limites définies par la loi », « légitimes » et « selon la loi » affirment la
compétence législative en ce qui concerne la protection et le contrôle sur les économies
non publiques. Reconnaître la compétence législative en matière de régulation sur les
acteurs économiques non publics est en elle-même la réaffirmation sur la propriété
privée, du fait du lien étroit entre les acteurs économiques privés et la propriété privée.
212. - En ce qui concerne les droits portant sur le sol, les articles 8 et 10 de la
Constitution de 1982 prévoient également la réserve de compétence législative en la
matière. Selon l’article 8, les paysans membres des collectivités rurales ont le droit,
dans les limites définies par la loi, d’exploiter des parcelles de terre de propriété
collective. Cette disposition constitue donc la base constitutionnelle de la loi 2002 sur
l’exploitation forfaitaire du sol rural. En vertu de l’alinéa 3 de l’article 10, l’État peut,
dans l’intérêt public, procéder à des expropriations ou à des réquisitions de terres pour
son usage selon la loi et moyennant l’indemnisation. L’alinéa 4 de l’article 10 prévoit
également que le droit d’usage du sol terres est cessible conformément à la loi. En se
référant à la loi, la Constitution de 1982 implique que l’édiction des règles s’imposant
aux expropriations et aux réquisitions de terres tombe dans la compétence législative.
À cet égard, la loi sur l’administration du sol adoptée en 1986 et la loi sur
l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines adoptée en 1994
constituent la base législative principale du droit d’usage du sol de propriété publique,
et celle des conditions de l’expropriation et de la réquisition.
Il convient de souligner qu’à la différence de la Constitution française, la
226
Constitution chinoise de 1982 ne mentionne ni la nationalisation, ni la privatisation. Il
en résulte qu’en principe ces deux mesures de transfert de propriété ne sont pas
constitutionnellement reconnues.
B. – La précision sur la compétence législative par la loi sur
l’élaboration des normes juridiques
213. - La loi de 2000 sur l’élaboration des normes juridiques énumère les matières
réservées à la compétence législative. Le Chapitre II, section I « La compétence
législative » de ladite loi précise d’abord que les règles concernant l’expropriation des
biens non étatiques doivent être édictées par la loi754 . Par la loi de 2000 sur
l’élaboration des normes juridiques, le terme « expropriation » figure pour la première
fois dans un texte législatif avant que la révision constitutionnelle de 2004 ne proclame
les normes de garantie en la matière. Il faut souligner qu’un autre apport de la loi de
2000 consiste à ce que la notion de « biens non étatiques » est plus large que les terres
non étatiques et la propriété privée. Par conséquent, le législateur a le monopole de la
compétence non seulement en ce qui concerne l’expropriation des terres et de la
propriété privée, mais aussi d’autres biens non étatiques. Mais il est regrettable que la
loi de 2000 ne distingue pas les meubles des immeubles pour préciser que seules les
biens immobiliers peuvent faire l’objet de l’expropriation.
214. - Il est également important que la loi sur l’élaboration des normes juridiques
reconnaisse la compétence exclusive du législateur sur l’adoption des règles
concernant « les régimes fondamentaux de droit civil »755, alors qu’il ne précise pas en
quoi consistent « les régimes fondamentaux de droit civil ». Il semble donc que la
disposition selon laquelle les régimes fondamentaux de droit civil sont de la
compétence du législateur n’ait qu’une valeur symbolique, puisque le Comité
permanent de l’APN n’a jamais annulé un règlement pour que celui-ci adopte des
règles concernant les régimes fondamentaux de droit civil.
754 V., article 8, paragraphe 6 de la loi sur l’élaboration des normes juridiques. 755 V., article 8, paragraphe 7 de la loi sur l’élaboration des normes juridiques.
227
§ 2. – L’atténuation du principe de compétence législative en matière du droit
de propriété
215. - La structure législative en vigueur en Chine est celle qui, placée sous la
direction unifiée de l’autorité centrale, applique une certaine division des pouvoirs
législatifs en plusieurs niveaux et plusieurs catégories756. Or, à défaut de démarcation
stricte entre les différents pouvoirs normatifs, la loi 757 et les autres textes normatifs
peuvent aisément entrer en conflit. Il en résulte que l’affirmation de compétence
législative en matière de droit de propriété n’a qu’une valeur relative. De surcroît, « le
désordre de l’interprétation des règles normatives brouille la ligne de démarcation
entre la législation et l’application »758, ce qui ne peut que davantage relativiser la
réserve de compétence législative en matière de droit de propriété. En conséquence, la
compétence législative en matière de propriété se voit atténuer au profit des pouvoirs
administratifs sur le plan national (A) et des pouvoirs locaux (B).
A. – L’atténuation de la compétence législative au profit des pouvoirs
administratifs
216. - Sur le plan national, on notera d’abord l’ambiguïté de la répartition des
pouvoirs législatifs entre l’APN d’une part et son Comité permanent d’autre part. En
effet, l’APN a le pouvoir de légiférer et modifier les lois fondamentales en matière de
droit pénal, droit civil et organes étatiques759, tandis que le Comité permanent de
l’APN dispose du pouvoir de légiférer et de modifier les lois autres que les lois
756 Les activités législatives en Chine comprennent celles de l’APN et de son Comité permanent (lois), celles du CAE (règlements administratifs) et des divers départements ministériels (arrêtés), celles des autorités locales (règlements et arrêtés locaux), celles des circonscriptions autonomes de minorités ethniques, celles des zones économiques spéciales (règlements spéciaux) et celles des régions administratives spéciales. 757 Dans un sens étroit, l’expression « loi » se rapporte uniquement aux textes désignés par ce terme et adoptés par l’APN ou son Comité permanent. 758 Stanley LUBMAN, Bird in a cage: Legal Reform in China after Mao, op. cit., p.145; v., aussi, Peter Howard CORNE, « Creation and application of law in the PRC », op. cit., p. 395. 759 V., article 62, paragraphe 3 de la Constitution 1982.
228
fondamentales760. Pourtant, la Constitution de 1982 ne précise pas le critère sur la
qualification de lois fondamentales, ce qui détermine la répartition du pouvoir législatif
entre l’APN et son Comité permanent761. En pratique, les lois de même nature aux
termes d’importance ont été élaborées tantôt par l’APN tantôt par son Comité
permanent762. Mais c’est le Comité permanent qui « exerce le véritable pouvoir
législatif car il siège en permanence »763, alors que « l’APN se marginalise »764. Tel a
été le cas concernant l’élaboration de la loi sur les droits réels, le Comité permanent de
l’APN attachait une grande importance à l’élaboration de la loi : sept délibérations sur
le projet de loi avaient été organisées depuis 2002 avant de le mettre aux voix devant
l’APN en 2007, établissant un nouveau record des travaux législatifs du Comité
permanent765.
217. - Mais les problèmes surgissent surtout en matière de distinction entre le
pouvoir législatif de l’APN et le pouvoir réglementaire du CAE qui ont entraîné « des
contradictions fréquentes entre les lois et les règlements adoptés par le CAE qui ont 760 V., article 67, paragraphe 2 de la Constitution 1982. 761 L’arrière-plan de la répartition du pouvoir législatif entre l’APN et son comité permanent a été révélé par l’ancien président de l’APN, PENG Zhen. Selon lui, « compte tenu de l’impossibilité de la réduction du nombre des députés à l’APN, la nouvelle Constitution attribue une partie des fonctions et pouvoirs de l’APN à son Comité permanent en vue de mieux assurer le bon fonctionnement de ces organismes d’État ». Cf., Explications sur le projet de révision de la Constitution de la RPC, présentées par PENG Zhen à la 23e session du Comité permanent de la 5e APN, in Beijing Information, n° 19, 1982, pp. 19 à 27. 762 Par exemple, la loi sur le mariage est promulguée par l’APN, alors que la loi sur l’adoption est promulguée par le Comité permanent de l’APN ; la loi des contrats est promulguée par l’APN, alors que la loi des sociétés est promulguée par le Comité permanent de l’APN. Des critiques furent faites dans le sens où la loi sur le mariage et la loi sur l’adoption devraient être regroupées dans la même catégorie des lois fondamentales de droit civil ; et la loi des contrats et la loi des sociétés devraient avoir la même nature fondamentale en ce qui concerne l’ordre économique. V., WANG Kejin, «Woguo lifafa de quexian fenxi (L’analyse sur les faiblesses de la loi sur l’élaboration des normes juridiques) », Recueil de droit et politique (Zhengfa luncong), n° 3, 2002, pp. 47 à 50. 763 Mireille DELMAS-MARTY, La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation, in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Etienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., p.555. 764 MO Jihong, Xiandai xianfa de luoji jichu (Le fondement logique de la constitution moderne), Law Press China, 2001, p. 248. 765 V., Reportage du Centre d’Informations Internet de Chine, « WU Bangguo: le Xe Comité permanent attache une grande importance à l’élaboration de la loi sur la propriété », disponible sur le site http://french.china.org.cn/archives/lianghui2008/2008-03/08/content_12004701.htm, consulté 8 mars 2008.
229
pour l’objectif de mettre en œuvre des lois »766. Au regard de la hiérarchie des normes,
les règlements administratifs sont inférieurs à la Constitution et aux lois, mais
supérieurs aux lois et règlements à caractère local, et exercent leur effet à l’échelle
nationale. L’exercice du pouvoir d’élaborer des lois et règlements administratifs a pour
but fondamental d’appliquer la Constitution et les lois et de concrétiser leurs principes
et leur esprit. Or, le CAE dispose des pouvoirs extensifs réglementaires selon l’article
89, paragraphe 1er de la Constitution qui constitue « la base constitutionnelle de la
délégation du pouvoir législatif au CAE »767. Ce dernier est « l’organe de facto le plus
puissant de législation en Chine »768. De surcroît, contraire au droit français où la
réserve de loi interdit l’habilitation législative769, la délégation des pouvoirs législatifs
est admise par la Constitution chinoise770. Par la décision du 10 avril 1985771, le CAE
est reconnu le pouvoir d’édicter les règlements en matière de réforme économique et la
politique d’ouverture conformément à la Constitution et aux principes fondamentaux
des lois et des décisions adoptées par l’APN ou par son Comité permanent. Il s’agit
donc d’une délégation du pouvoir législatif de portée générale, dans la mesure où
l’APN n’a pas précisé ni le contenu ni la limite de la délégation en empruntant à la
formule abstraite « en matière de réforme économique et politique d’ouverture ». En
effet, seules les matières du droit pénal et de la procédure pénale sont clairement visées
766 Peter CORNE, « Legal system reforms promise substantive –but limited –improvement», China Law and Practice, June 1997, pp. 33, 34. 767 CAI Dingjian, Xianfa Jingjie(Constitution: An intensive reading), Law Press China, 2004, p. 355. 768 CHEN Jianfu, Towards an Understanding of Chinese Law, Its Nature, and Development, Cambridge: Kluwer Law International, 1999, p. 103. Jan Michiel OTTO, Maurice V. POLAK, Jianfu CHEN, Yuwen LI (eds), Law making in the People’s Republic of China, Kluwer Law International, 2000, p. 13, sp, pp. 103, 104. 769 V., Louis FAVOREU, « Le pouvoir normatif primaire du gouvernement en droit français », in Louis FAVOREU, Légiférer par décret, PUF, 1997, p. 720. 770 La Constitution chinoise de 1982 distingue trois cas de figure : la délégation du pouvoir législatif par l’APN à son Comité permanent, la délégation au CAE des pouvoirs d’adopter des règlements administratifs sur les matières appartenant à la compétence de la loi, l’autorisation aux législatures des quatre Zones Économiques Spéciales d’adopter par celles-ci les règlements locaux. V., ZHOU Wangsheng, « Guanyu shouquan lifa de jige jiben wenti (On several essential problems of delegated legislation) », China Legislation Review, n° 5, Peking University Press, 2005, p. 20. 771 APN, La décision sur l’autorisation au CAE d’adopter les règlements provisoires en matière de réforme économique et de politique d’ouverture, 10 avril 1985.
230
comme ne relevant pas de la réforme économique ni de la politique d’ouverture772, et
donc ne peuvent pas faire l’objet d’une délégation au CAE. De surcroît, il s’agit d’une
délégation qui demeure valable depuis lors, faute d’une durée préalablement
déterminée. Il en résulte qu’à partir de la décision du 10 avril 1985, le CAE est
partiellement délégué le pouvoir législatif auparavant réservé à l’APN et son comité
permanent773. Aux termes de la décision du 10 avril 1985 de l’APN, le CAE peut
même adopter les règlements en matière de droit de propriété. Car, le droit de propriété
relève sans doute des matières de réforme économique et de politique d’ouverture. La
délégation traduit en réalité l’approche flexible et instrumentaliste de l’APN et son
Comité permanent dans l’exercice de ses pouvoirs législatifs. Il s’agit d’une méthode
expérimentale selon laquelle « la loi peut être adoptée uniquement lorsque les
conditions sont réunies»774. Avant l’avènement d’une loi, le CAE pouvait adopter des
mesures réglementaires pour combler à titre temporaire et expérimental des lacunes de
la loi. Cette approche est critiquable, car « la délégation au CAE était largement
pratiquée comme mesure palliative substituant le règlement administratif à la
législation nationale, par conséquent, méconnaît l’objectif constitutionnel de la
construction d’un État de droit socialiste »775.
218. - La prédominance des règlements administratifs existe bel et bien dans le
domaine du droit des biens. À cet égard, il faut surtout évoquer le Règlement
772 V., WANG Hanbin, « Guanyu shouquan guowuyuan zai jingji tizhi gaige he duiwai kaifang fangmian zhiding zanxing de guiding huozhe tiaoli de jueding de shuoming (Explications sur le projet de décision sur l’autorisation au CAE à adopter les règlements provisoires en matière de réforme économique et de politique d’ouverture)», Quanguo Renda Changweihui Gongbao (Bulletin officiel du Comité permanent de l’APN), 3 avril 1985. 773 On constate en outre que la délégation pourrait découler de l’ambiguïté de l’article 89 de la Constitution. En effet, de nombreuses lois prévoient que les règles détaillées de leur application seront déterminées par le CAE, ce qui constitue un phénomène usuel en droit chinois. Il suscite des controverses en droit chinois sur la question de savoir si le pouvoir d’élaborer et de modifier les règles d’application de lois relève du pouvoir d’adoption des règlements administratifs selon l’article 89, paragraphe 1 ou du pouvoir législatif au titre de délégation dont l’article 89, paragraphe 18 constitue la base juridique, ou du pouvoir quasi-législatif. V., MO Jihong, Xiandai xianfa de luoji jichu (Le fondement logique de la constitution moderne), op. cit., p. 246. 774 V., ZHOU Wangsheng, « Guanyu shouquan lifa de jige jiben wenti (On several essential problems of delegated legislation)», op. cit., p.19. 775 Perry KELLER, « The National People’s Congress», in Jan Michel OTTO et al. (eds.), Law-making in the People’s Republic of China, Kluwer Law International, 2000, p.78.
231
provisoire sur la concession et l’attribution du droit d’usage du sol appartenant à l’État
adopté par le CAE en 1990. En dépit de la révision constitutionnelle de 1988 qui
dispose que « le droit d’usage du sol peut être cédé conformément à la loi », les
procédures d’octroi du droit d’usage du sol étatique ne sont légiférées qu’avec
l’adoption en 1994 de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones
urbaines. Entre-temps, c’était le règlement provisoire de 1990 qui constituait la base
juridique de la mise en œuvre de l’attribution et du transfert du droit d’usage du sol
étatique. Il faut souligner que ce Règlement provisoire de 1990 demeure valable après
l’entrée en vigueur en 1995 de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans
les zones urbaines, notamment en ce qui concerne la durée maximale du contrat de
concession du droit d’usage du sol, auquel renvoie ladite loi. Si le règlement a le
mérite de rendre les normes législatives plus opérationnelles en y apportant les
précisions ou d’anticiper la loi comme en normalisant les mesures de réformes
reconnaissantes des droits, l’instrumentalisation du règlement administratif peut
également porter atteinte au droit ou le rendre précaire. Tel est le cas en matière
d’expropriation pour cause d’utilité publique. En dépit de la révision constitutionnelle
de 2004 qui prévoit que l’expropriation et la réquisition doivent être réalisées selon la
procédure définie par la loi, l’expropriation des bâtiments dans les zones urbaines est
cependant soumise aux dispositions du Règlement d’administration sur la démolition
des bâtiments dans des zones urbaines (Chengshi fangwu chaiqian guanlitiaoli) adopté
par le CAE776. Ce dernier Règlement demeure la principale source de droit en matière
d’expropriation des immeubles dans les zones urbaines, avant l’avènement d’une loi
sur l’expropriation pour cause d’utilité publique dont le projet est au cours de
préparation sous l’égide du Comité permanent de l’APN. La position actuelle est
réaffirmée par la révision en 2007 de la loi sur l’administration des biens immobiliers
dans les zones urbaines. Après avoir précisé la démolition des bâtiments dans des
zones urbaines comme mesure d’expropriation et après avoir imposé les conditions
d’indemnisation, notamment l’obligation des expropriants à reloger les expropriés, la
776 Le premier règlement sur la démolition et le déplacement des habitations urbaines a été adopté en 1991, puis remplacé par le Règlement sur la démolition et le déplacement des habitations urbaines adopté en 2001.
232
révision ajoute que l’élaboration des mesures concrètes relatives à l’expropriation des
bâtiments des les zones urbaines est confiée au CAE.
219. - Quant à l’expropriation du sol collectif, la loi sur l’administration du sol ne
prévoit que des principes généraux relatifs à l’indemnisation par 3 articles777, alors que
les dispositions plus précises sont adoptées par le CAE dans le Règlement
d’application de la loi sur l’administration du sol.
220. - Le rôle prédominant des règlements administratifs est plus évident en matière
de gestion des biens étatiques. À l’heure actuelle, le projet de loi sur la gestion des
biens étatiques est en cours d’élaboration sous l’égide du Comité permanent de l’APN,
de divers règlements du CAE778, ainsi que de multiples arrêtés de la Commission du
CAE chargée de la supervision et de la gestion des actifs d’État (SASAC)779 ,
constituent les sources juridiques opérationnelles du droit de propriété étatique en
dehors de la loi sur les droits réels qui ne pose que les règles générales en la matière. Il
en résulte qu’alors que la propriété publique est constitutionnellement « sacrée et
inviolable », son régime juridique n’est qu’une coquille quasiment vide, uniquement
complétée par lesdits textes administratifs qui sont parfois décrits comme « loi
politique »780. La situation peut être changée avec la promulgation en 2008 de la loi sur
les actifs d’État des entreprises, dans la mesure où la législation commence à prendre
son ampleur dans le domaine des biens publics.
B. – L’atténuation de la compétence législative au profit des pouvoirs
locaux
221. - L’atténuation de la compétence législative s’avère plus nettement dans le
domaine du droit foncier (1). Mais deux exemples d’actualité démontrent que la
777 Il s’agit des articles 47, 48 et 49 de la loi sur l’administration du sol, modifiée en 2004. 778 Il s’agit du Règlement provisoire sur la supervision et la gestion des actifs d’État des entreprises, adopté en 2003. 779 V., par ex., Mesures provisoires sur la supervision et la gestion des affaires d’investissement des entreprises centrales, adoptées le 28 juin 2006 par la Commission du CAE chargée de la supervision et la gestion des actifs d’État des entreprises. 780 MENG Qinguo, « Guanyu zhengcelifa de yixie wenti (Problèmes de la loi politique) », Tianjin shehui kexue (Tianjin Social Science), n° 1, 1990, pp. 55 à 58.
233
dilatation des pouvoirs locaux s’étend à d’autres domaines relevant plus ou moins de
l’exercice du droit de propriété (2).
(1). – L’atténuation de la compétence législative nationale dans le domaine du droit
foncier
222. - En droit chinois, le pouvoir législatif local a été reconnu par l’adoption en
1979 de la loi organique sur les assemblées populaires locales et les gouvernements
locaux de différents échelons, et affirmée par la Constitution de 1982 781 . Les
règlements et arrêtés locaux ainsi adoptés concernent principalement trois domaines. Il
s’agit d’abord de l’application des lois, règlements et arrêtés ministériels à l’échelle
locale ; ensuite de la gestion des affaires locales, à savoir les affaires qui ne peuvent
être traitées que localement ; et de mettre en place des règlements locaux à titre
expérimental. Or, en pratique, « la distinction entre la législation et l’application des
règles législatives par les textes locaux n’est pas toujours claire»782. Par exemple,
l’adoption des règlements locaux à titre expérimental est particulièrement importante,
dans la mesure où des lois nationales sont souvent anticipées par les règlements locaux
dans un domaine juridique nouveau. Dès que le moment est venu, un tel règlement
local peut « servir de modèle à un texte national »783. Comme on l’a constaté, « en
dépit des efforts du pouvoir central pour unifier le droit foncier, les autorités locales
permettent encore souvent des pratiques qui devient des lignes directrices tracées par
le législateur national »784. La législation sur la concession du droit d’usage du sol
781 Il s’agit trois catégories d’organes détenteurs de pouvoirs législatifs à l’échelle locale: les assemblées populaires et leurs comités permanents à l’échelon provincial, y compris les régions autonomes et les municipalités placées sous l’administration du CAE ; les assemblées populaires des « plus grandes villes » et leurs comités permanents, soit une catégorie qui fait référence aux villes dans lesquelles siègent les gouvernements provinciaux ou dans lesquelles sont situées des zones économiques spéciales et les autres agglomérations ayant obtenu le statut de « grande ville » ; enfin, les assemblées populaires de régions, préfectures et cantons autonomes. 782 Stanley LUBMAN, Bird in a Cage: legal Reform in China after Mao, op. cit., p.143. 783 ZOU Keyuan, « La difficile harmonisation des législations locale et nationale », Perspectives chinoises, n° 81, 2004, pp. 44 à 53. 784 Jingzhou TAO, Droit chinois des affaires, Economica, 1999, p. 211.
234
étatique était l’ « un des exemples les plus connus des limites de la loi nationale »785.
Au milieu des années 80, la concession du droit d’usage du sol étatique était
réglementée à titre expérimental dans certaines municipalités dans les zones côtières786,
bien avant la révision constitutionnelle de 1988 proclamant la mise en place d’un
régime d’utilisation du sol étatique à titre onéreux et la cessibilité du droit d’usage du
sol étatique légalement acquis.
223. - Tout comme le règlement administratif, tandis que les règlements locaux sont
utiles dans la reconnaissance à titre expérimental des droits qui tombent dans la
catégorie juridique des biens, ils trouvent pourtant leur limite dans certains autres cas.
D’autant que la situation la plus inquiétante se trouve dans l’éventuel conflit entre les
règlements locaux et des arrêtés locaux d’un côté et la loi et le règlement nationaux de
l’autre côté, à défaut de la démarcation précise des compétences législatives entre les
autorités nationales et locales. La situation est particulièrement préoccupante en
matière d’expropriation787, d’autant plus que le pouvoir de procéder à l’expropriation
est décentralisé au lieu d’être soumis « au monopole de l’État » représenté par le
gouvernement central 788 . En dépit de la révision constitutionnelle de 2004 qui
proclame le principe selon lequel l’État peut procéder à l’expropriation ou à la
réquisition, les règles législatives pertinentes donnent une explication lato sensu à
l’expression de l’État comme comportant les collectivités locales. En ce qui concerne
l’expropriation du sol collectif dans les zones rurales, l’article 45 de la loi sur
l’administration du sol prévoit la répartition des pouvoirs de décision entre le CAE et
les gouvernements provinciaux, des régions autonomes et des municipalités 785 Perry KELLER, « Legislation in the People’s Republic of China», University of British Columbia Law Review, 1989, Vol. 23, p.659; « The National People’s Congress and the Making of National Law », in J. M. OTTO (et al.), Law-Making in the People’s Republic of China, op. cit., p.78. 786 V., par exemple, Règlement sur l’administration du sol adopté par le comité permanent de l’Assemblée Populaire du province de Guangdong, en date du 29 décmbre1987. 787 WANG Cailiang (et al.), Fangwu chaiqian yinan wenti jieda (Réponses aux questions difficiles relatives à l’expropriation des immobiliers dans les zones urbaines), Law Press China, 2005, p.8. 788 En droit français, « seul l’État est titulaire du pouvoir d’exproprier. En revanche, les initiateurs d’une expropriation peuvent être aussi bien une personne publique qu’une personne privée. Il en va de même des bénéficiaires de l’expropriation ». V., Jean-Marie AUBY, Pierre BON, Jean-Bernard AUBY, Philippe TERNEYRE, Droit administratif des biens, 5e éd., 2008, p. 491. À la différence au droit français, le droit chinois confère le pouvoir d’expropriation aux collectivités locales, sans pour autant distinguer le titulaire du pouvoir d’exproprier, les initiateurs de l’expropriation et les bénéficiaires.
235
subordonnées directement à l’autorité centrale 789 . L’exécution des décisions
d’expropriation est d’autant plus décentralisée que la mise en oeuvre du projet
d’expropriation déjà légalement approuvée est assumée par les gouvernements locaux
de district et supérieurs790. En pratique, ces derniers peuvent modifier le détail du
projet d’expropriation en fonction du besoin de l’exécution. À défaut d’une
démarcation claire et d’un contrôle sur la distinction entre décision et exécution des
décisions, les gouvernements locaux peuvent facilement empiéter sur les pouvoirs des
gouvernements supérieurs et surtout celui du gouvernement central. L’effet pervers de
la décentralisation de l’expropriation du sol rural réside surtout en l’indemnisation des
expropriés. Tandis que l’indemnisation juste est législativement prévue par la loi sur
l’administration du sol, chaque collectivité locale adopte toutefois ses propres mesures
d’exécution sous divers titres tels que règlement (tiaoli), mesure (banfa), disposition
(guiding), etc., qui comportent les critères locaux plus précis en vertu desquels est fixé
le montant des indemnités en tenant compte de la spécificité locale. Le risque n’est
donc « pas le manque de règles mais leur surabondance, sans véritable système
permettant de définir et de garantir une cohérence d’ensemble »791. L’indemnisation
injuste dans les pratiques d’expropriation a provoqué un mouvement de protestation
des paysans qui revendiquent le contrôle plus strict sur la mise en oeuvre des
expropriations par les gouvernements locaux.
224. - La décentralisation existe également en matière de concession du droit
d’usage du sol étatique, ici c’est l’intérêt de l’État-propriétaire du sol qui est en jeu.
L’article 11 prévoit même la répartition des pouvoirs de décision entre le CAE et les
gouvernements aux niveaux provinciaux relatifs à la concession du droit du d’usage du
sol étatique, ainsi que le pouvoir d’exécution du projet de concession par les
gouvernements locaux de niveau district. Certes, en pratique, les gouvernements
789 Sont subordonnée au pouvoir de décision du CAE, les expropriations des terrains agricoles élémentaires délimités par le plan général d’exploitation du sol, ou des parcelles des terrains arables dont la surface est supérieure à 35 hectares, ou des parcelles des autres terrains dont la surface est supérieure à 70 hectares. L’expropriation des terrains qui ne figurent pas dans lesdites situations peut être décidée par les gouvernements locaux de niveau provinciaux. 790 V., article 46 de la loi sur l’administration du sol. 791 Mireille DELMAS-MARTY, « La Constitution d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p. 555.
236
locaux et leurs membres n’hésitent pas à chercher leurs propres intérêts et ceux de
leurs alliances tout en se méfiant de la loi nationale dans la concession du droit d’usage
du sol étatique. La marge de manoeuvre de l’autorité locale se manifeste surtout « par
la sous-évaluation intentionnelle de la valeur des terrains à concéder par rapport au
prix vénal »792, en contrepartie, le concessionnaire s’engage à partager les bénéfices
ainsi acquis avec les gouvernements locaux. Dans cette transaction caractérisée par
« l’approvisionnement de la propriété privée par le gouvernement »793, les textes
normatifs locaux engendrent « le protectionnisme local organisé sous les auspices de
la loi et conduisent également à la corruption collective »794.
(2). – Deux exemples d’actualité illustrant la dilatation des pouvoirs locaux sur
l’exercice du droit de propriété
225. - Il existe des cas où l’intervention des pouvoirs locaux constitue une ingérence
non seulement dans l’exercice du droit de propriété, mais aussi dans les libertés du plus
grand nombre telles que la liberté d’entreprendre et de faire du commerce, par exemple.
Nous présenterons deux exemples ayant des répercussions sociales dans les zones
urbaines: l’un relève de la réglementation du para-commercialisme, c’est-à-dire le fait
d’exercer un commerce sans autorisation, l’autre concerne la réglementation de
l’élevage des animaux domestiques.
226. - Avant d’expliquer le problème de réglementation du para-commercialisme en
Chine, il faut rappeler qu’en droit français, toute personne qui exerce une activité
commerciale doit satisfaire aux conditions générales auxquelles sont assujettis les
792 Nelson CHAN, « Land-use rights in mainland China: problems and recommendations for improvement », Journal of Real Estate Litterature, n°7, 1999, p.59. 793 Jieming ZHU, « From land use right to land development right: Institutional changes in china’s urban development », Urban Studies, vol. 41, n° 7, 2004, pp.1263, 1264. 794 V., ZOU Keyuan, « La difficile harmonisation des législations locale et nationale », op. cit., p.49. Aussi, Jean-Pierre CABESTAN, « L’impossible avènement d’un État de droit en Chine populaire : est-ce la faute aux valeurs asiatiques, au communisme ou au retard économique ? », in Thierry Marrès & Paul Servais (Sous la dir. de), Droits humains et valeurs asiatiques. Un dialogue possible?, Bruyant, Louvain-la-Neuve, 2002, pp.77 à 90; « Le contexte juridique chinois, évolutions institutionnelles et législatives », in Centre français de Droit Comparé, L’actualité du droit chinois des affaires, colloque du 14 novembre 2003, Société de Législation Comparée, 2004, pp. 13 à 19.
237
commerçants traditionnels, les personnes qui pratiquent le commerce ambulant, la
vente au déballage, etc., doivent encore respecter les normes de réglementation
spéciales, telles que l’autorisation ou la réglementation relative à l’utilisation du
domaine public en cas de vente sur la voie publique795. Si, en France, la règlementation
administrative encadre lesdites activités commerciales selon les exigences de légalité,
le droit chinois s’avère quant à lui très lacunaire en la matière. En effet, aucun texte
législatif ou réglementaire n’existe sur le plan national qui impose les règles précises
relatives à la réglementation des activités para-commercialistes. Il en résulte que ce
sont les autorités locales qui exercent le pouvoir réglementaire dans les territoires sous
leurs juridictions. Si les contenus des textes locaux sont très diversifiés en la matière, il
existe des points communs entre eux : le commerce ambulant hors des marchés et
foires autorisés est généralement interdit pour préserver la tranquillité, la propreté et le
bon ordre de la vie sociale. Pour assurer le respect de l’interdiction, les brigades de
réglementation de la ville (chengshi guanli) ont été pratiquement créées dans presque
toutes les villes et deviennent de facto organes des gouvernements locaux dont le statut
juridique n’est cependant jamais officiellement reconnu par la législation nationale. Il
faut encore souligner que ces brigades de réglementation de la ville exercent de
multiples fonctions réglementaires qui ne sont jamais clairement définies et qui
peuvent partiellement empiéter sur les fonctions d’autres organes étatiques, y compris,
la Police, l’Administration d’État pour l’Industrie et le Commerce, l’Administration
d’État des Impôts, etc. Dans la pratique, la prévention et la sanction du commerce
ambulant qui provisoirement occupe les lieux publics sont l’une des tâches les plus
importantes. Outre infliger des amendes pécuniaires, les brigades de réglementation de
la ville peuvent confisquer les produits et les biens ayant permis la vente des produits
ou l’offre des services, sans être toutefois assujetties à de véritables garanties
procédurales. Par ailleurs, les petits marchands ambulants, qui sont souvent des
chômeurs, des personnes n’ayant jamais eu d’activités ou des paysans migrants, n’ont
aucun recours judiciaire. Alors que la confiscation –qui sans doute porte atteinte au
795 V., Olivier RENARD-PAYEN, « Ventes et produits réglementés », JurisClasseur Administratif, Fasc. 261-10, Côte 11-2004 ; v., aussi, « Vente sur la voie publique », La revue fiduciaire, 1er juin 2007, FH 3201, pp. 295 à 299.
238
droit de propriété et donc doit être décidée par le juge– est effectuée par un organe
gouvernemental sans aucun fondement légal, les brigades de réglementation sont
paradoxalement appelées dans la pratique à prendre les mesures d’exécution de la loi.
Les conflits corporels entre le personnel des brigades de réglementation de la ville et
les commerçants ambulants lors de l’ «exécution de la loi »796, débouchant sur les
incidents sanglants ou même mortels, ont déjà suscité de vives critiques appelant
l’abolition des brigades de réglementation de la ville et la réforme du régime
réglementaire répandu au niveau local797. La contestation des citoyens est d’autant plus
remarquable qu’elle se fonde sur la protection du droit de propriété en invoquant,
notamment, la loi sur les droits réels et s’appuie sur des arguments juridiques pour
remettre en cause le pouvoir des brigades de réglementation de la ville798. Les brigades
de réglementation de la ville et leurs pouvoirs de confiscation à l’encontre des
commerçants ambulants naissent des pratiques des gouvernements locaux dans
l’exercice de leurs pouvoirs réglementaires. Leur caractère sans fondement au niveau
national témoigne de l’expansion des pouvoirs locaux qui est à l’origine des atteintes
aux droits des citoyens. Pour renforcer la garantie de ces droits, y compris le droit de
propriété qui est toujours sous menace réelle dans le cas de réglementation de la ville,
l’encadrement des pouvoirs locaux par la législation nationale est l’une des mesures
indispensables.
227. - L’élevage des animaux domestiques, notamment les « animaux de
compagnie », fait aussi l’objet de restriction. Il convient d’abord de souligner qu’en
droit chinois, l’animal est protégé, comme dans certains pays, « en tant que
composante de l’environnement humain, une composante qu’il est jugé indispensable
de préserver en raison du rôle bénéfique que l’animal joue pour l’homme et son
796 V., par ex., un reportage du CNN, « Man beaten to death in China for taking pictures », disponible sur le site http://edition.cnn.com/2008/WORLD/asiapcf/01/11/china.blogger/index.html?iref=topnews, consulté le 11 décembre 2008. 797 XU Kai, « Chengguan zhifa zhengyi (La contestation sur l’exécution de la loi par les brigades de réglementation de la ville) », Caijing (Finance), 21 janvier 2008, n° 203, p. 122 à 125. 798 V., reportage de Coldness KWAN, « Property law challenges power of ‘Chengguan’? », disponible sur le site http://www.chinadaily.com.cn/china/2007-04/03/content_842743.htm, consulté le 11 décembre 2008.
239
écosystème »799. En témoigne la loi sur la protection des animaux sauvages, adoptée en
1989 et révisée en 2004. La loi sur les droits réels réaffirme qu’en vertu des
dispositions législatives, les animaux et la flore sauvages, en tant que ressources
naturelles, sont propriété d’État800. En ce qui concerne l’animal domestique, celui-ci
est considéré comme une chose, un meuble, donc l’objet du droit. Certes, si les règles
de la protection du droit de propriété s’appliquent certainement à l’animal, le
propriétaire subit en revanche des restrictions dans l’exerce de son droit à l’élevage de
l’animal. À la différence de l’opposition sur la question s’il y a lieu de reconnaître les
droits de l’animal801, la divergence en Chine porte sur la question de l’existence de la
liberté d’élever l’animal domestique, et surtout le chien. Alors que les propriétaires des
chiens peuvent se référer à la loi sur les droits réels pour justifier l’élevage des chiens
au nom de l’exerce du droit de propriété, les règlements locaux prolifèrent et imposent
de lourdes restrictions en la matière. Il s’agit essentiellement d’un régime de contrôle
qui se fonde sur la délivrance d’un permis, établit généralement par les gouvernements
locaux. Les personnes ne peuvent « légalement » élever leurs propres chiens qu’après
avoir obtenu le permis selon les conditions et les procédures prévues par les règlements
locaux. Par exemple, selon les Mesures réglementaires relatives à l’élevage des
chien(ne)s, adoptées en 2003 par l’Assemblée populaire de la municipalité de Pékin,
un foyer ne peut élever qu’un(e) chien(ne) de petite ou moyenne taille qui ne doit pas
être, en plus, de caractère « féroce »802. Les pôles du commissaire de Police au niveau
du district sont les organes qui examinent les conditions et décident de la délivrance du
permis à la demande du foyer. Ce dernier doit encore préalablement obtenir le
consentement du comité des habitants ou du comité des villageois auquel il
appartient803. Le foyer demandant le permis doit verser une somme de mille yuans
comme frais annuels de service pour la première année, et cinq cents yuans pour les
799 Olivier LE BOT, « La protection de l’animal en droit constitutionnel, étude de droit comparé », Revue de la recherche juridique, droit prospectif, 2007, n° 4, p. 1824. 800 Article 49 de la loi sur les droits réels. 801 V., Georges CHAPOUTHIER, Les droits de l’animal, Que sais-je ?, P. U. F., 1992, pp. 4 et s. 802 Article 10 des Mesures réglementaires relatives à l’élevage des chiens de la municipalité de Pékin. 803 Article 12 des Mesures réglementaires relatives à l’élevage des chiens de la municipalité de Pékin.
240
années suivantes804. Les personnes ayant obtenu le permis doivent respecter les règles
de comportement relatives à l’élevage des chien(ne)s, dont l’objectif est de ne pas
causer le trouble au voisinage et au quartier, la nuisance à l’hygiène et le trouble à
l’ordre de la vie sociale805. La violation des règles de comportement, y compris surtout
l’élevage des chien(ne)s sans permis, entraîne des pénalités telles qu’amende, retrait du
permis, confiscation des chien(ne)s, et autres sanctions disciplinaires. Les mesures
réglementaires de Pékin donnent le cadre général de la réglementation de l’élevage des
chien(ne)s en Chine. En effet, presque chaque municipalité a son propre règlement
dans ce domaine, dont les contenus peuvent varier sur le détail. Dans la pratique, la
mise en oeuvre des règlements avec férocité –la confiscation et l’extermination des
chien(ne)s sans permis ou comme la conséquence de la violation par son propriétaire
des mesures réglementaires–, n’apporte pas de soulagement aux gens de cynophobie,
par contre, elle mécontente des cynophiles qui protestent l’excessive règlementation
empêchant la jouissance de la liberté des individus dans l’élevage de l’animal de
compagnie806. Il est vrai que les protestataires prennent comme arme juridique le droit
de propriété, en invoquant la Constitution et la loi sur les droits réels. Mais l’effectivité
de cette référence ne semble pas à la hauteur de leur espérance. Ce qui montre combien
il est important de soumettre les pouvoirs locaux aux principes constitutionnels et
législatifs, d’autant plus que la dilatation des pouvoirs locaux touche plus concrètement
les différents aspects de l’exerce du droit de propriété dans la vie quotidienne.
Sous-section 2. – La faiblesse du mécanisme de contrôle sur le respect de la
compétence législative en matière de droit de propriété
228. - Dans un objectif de réaliser « l’intégrité et l’unité du système législatif »807, la
loi de 2000 sur l’élaboration des normes juridiques consolide les mécanismes visant à
804 Article 13 des Mesures réglementaires relatives à l’élevage des chiens de la municipalité de Pékin. 805 Article 17 des Mesures réglementaires relatives à l’élevage des chiens de la municipalité de Pékin. 806 V., reportage de Jim YARDLEY, « A law that says a man can have only one ‘best friend’ », New York Times, 14 novembre 2006. 807 Jianfu CHEN, « Unanswered questions and unresolved issues », in Law making in the People’s Republic of China, op. cit., p. 241.
241
assurer le respect de la répartition des compétences ainsi que le respect de la hiérarchie
des normes. L’importance de la loi de 2000 réside non seulement dans le fait qu’elle
précise davantage la répartition des compétences normatives parmi les organes
nationaux et locaux, mais aussi qu’elle précise le mécanisme de contrôle établi pour
faire respecter la loi. Bien que la loi de 2000 n’ait pas valeur constitutionnelle, et que
« la mise en place d’un contrôle de constitutionnalité est l’étape décisive qui reste à
franchir »808, la loi de 2000 marque « la première étape du contrôle constitutionnel sur
les règlements administratifs et locaux »809. Par la loi de 2000, l’APN et son Comité
permanent peuvent encadrer le dispositif législatif en définissant le domaine de chaque
catégorie de norme, leur procédure d’élaboration, leur hiérarchie de valeur juridique et
les rapports entre elles, la solution en cas de conflits, en empruntant au système de
notification (beian) qui consiste « à imposer aux autorités inférieures de notifier aux
autorités désignées à cet effet par la loi la publication d’un texte normatif pour que
celles-ci en prennent acte et procèdent éventuellement à un contrôle de
constitutionnalité ou de légalité »810. Ce système de notification est complété par le
mécanisme selon lequel certaines catégories de personnes publiques811 et toutes les
personnes privées physiques ou morales ont désormais le droit de proposer au Comité
permanent de l’APN d’examiner des règlements et des arrêtés dont ils contestent la
légalité ou la constitutionnalité. Le mécanisme de contrôle sur les règlements et arrêtés
établi par la loi de 2000 est repris par la loi de 2006 sur la supervision par les comités
permanents des assemblées populaires de différents échelons 812 . Le droit de
808 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p. 563. 809 WANG Zhenmin, « Woguo xianfa kefou jinru susong ? (La Constitution chinoise peut-elle être invoqué devant le tribunal ?) », in XIA Yong (éd.), Gongfa (Droit public), vol. 2, Law Press China, 2000; WU Shaokui, «Dui guifanxing wenjian bei’an shencha zhidu de sikao (Réflexions sur le régime de dépôt et examen des textes normatifs) », Zhongguo renda (L’APN chinoise), 10 janvier 2005, pp. 35 à 37. 810 Yves DOLAIS, Banggui JIN, « Le droit en Chine: vers une légalité formelle et effective », op. cit., p. 2221. 811 En vertu de l’article 90 de la loi de 2000, les personnes publiques qui ont le droit de proposition sur l’examen des règlements et arrêtés sont les organes étatiques autres que le CAE, le Comité central militaire, la Cour populaire suprême, le Procureur suprême, les comités permanents des Assemblées populaires d’échelon provincial. 812 V., le Chapitre V de la loi de 2006 qui s’intitule « Dépôt et examen des textes normatifs »
242
proposition a pour effet d’ « augmenter le niveau de connaissance de la Constitution
du peuple »813 et contribue à renforcer le contrôle sur les textes administratifs par le
législateur. Toutefois, celui-ci s’avère assez réticent à effectuer le mécanisme de
contrôle à cause des limites du mécanisme établi par la Constitution de 1982 et la loi
de 2000 (§ 1), tout en laissant une marge importante de manoeuvre au pouvoir
règlementaire dans la garantie du droit de propriété (§ 2).
§ 1. – Les limites du mécanisme de contrôle
229. - Les limites du mécanisme de contrôle existent aussi bien en ce qui concerne le
contrôle d’office (A), qu’en ce qui concerne le contrôle sur proposition (B).
A. – La limite du contrôle d’office
230. - Dans le but d’unifier les pouvoirs législatifs et de renforcer l’autorité de
l’APN et de son Comité permanent et de remédier à l’insuffisance de la réserve du
pouvoir législatif au niveau national, la loi sur l’élaboration des normes juridiques
précise les matières réservées à la législation nationale tout en réduisant par conséquent
les pouvoirs législatifs des collectivités locales814. À cet égard, il faut souligner que la
loi de 2000 prévoit les conditions815 et les procédures816 applicables à la délégation du
(Guifanxing wenjian de bei’an shencha). 813 V., Jianfu CHEN, « La dernière révision de la Constitution chinoise », op. cit., notes 79 et 82. 814 V., LI Yahong, « The law-making law: A solution to the problems in the Chinese legislative system? », 30 H.K.L.J. 120, 2000, pp. 125, 126. 815 Selon l’article 9 de la loi sur l’élaboration des normes juridiques, l’APN et son Comité permanent peuvent prendre la décision, le cas échéant, d’autoriser le CAE à adopter des règlements administratifs pour les matières devant être traitées par la loi en vertu de l’article 8, sous réserve toutefois, d’une part, qu’aucune loi n’ait été adoptée dans ces matières et, d’autre part, que les matières de droit pénal, de mesures forcées ou de sanctions ayant pour effet de priver les droits politiques ou les libertés physiques des personnes privées, et les matières relevant des institutions judiciaires soient exclues du champ de délégation. Certes, le droit de propriété ne figure pas dans les matières qui ne peuvent pas faire l’objet de délégation selon l’article 9, la délégation est donc permise en la matière. 816 L’article 10, alinéa 1, de la loi sur l’élaboration des normes juridiques exige que la décision de l’APN et son Comité permanent doive préciser le but et l’étendue de l’autorisation. La délégation de portée générale ne serait donc plus admise par la loi sur l’élaboration des normes juridiques. En vertu de
243
pouvoir législatif. Mais la loi de 2000 « contient elle-même des limites puisqu’elle
laisse au législateur la possibilité de déléguer » sans pourtant le soumettre à aucun
contrôle extérieur817. Par exemple, l’article 10 de la loi sur l’élaboration des normes
juridiques n’impose pas que la délégation soit limitée pendant une durée préalablement
déterminée, la possibilité de délégation de portée générale n’est donc pas
complètement exclue818. Mais l’APN et son Comité permanent s’engagent à légiférer
en temps utile sur les matières faisant l’objet de délégation, ce qui implique
indirectement la limite temporelle de la délégation819. Comme le responsable des
organes législatifs l’a révélé, « la délégation serait de plus en plus réduite tout au long
de la formation d’un système légal en bonne fonction »820, d’autant plus que l’article
88, paragraphe 7, précise que l’APN et son Comité permanent peuvent modifier ou
annuler les règlements administratifs ou locaux qui outrepassent les pouvoirs délégués
ou dénaturent le but défini par la délégation, et même annuler la décision de délégation
des pouvoirs législatifs en cas nécessaire. Il s’agit du contrôle d’office par l’APN dont
l’efficacité dépend toutefois largement de la coopération des autorités administratives
et locales. Tout d’abord, le contrôle est anticipé par la notification des règlements
administratifs et locaux par leurs auteurs821. Ensuite, par le mécanisme de filtrage, les
l’article 10, alinéas 2 et 3, le CAE est imposé l’obligation de respecter le but et l’étendue de la délégation dans l’exercice de son pouvoir et s’interdire de subdéléguer à d’autres organes les pouvoirs qui lui sont conférés par la décision de délégation. 817 Banggui JIN, « La répartition des compétences normatives nationales en France et en Chine », Revue internationale de droit comparé, 2001, n° 4, pp. 963, 964. 818 SU Yuanhua, « Guanyu wanshan woguo shouquan lifa zhidu de jige wenti (Réflexions sur l’amélioration de la délégation du pouvoir législatif en droit chinois) », Renda Yanjiu (Étude de l’APN), n° 9, 2005. 819 ZHOU Wangsheng, « Guanyu shouquan lifa de jige jiben wenti (On several essential problems of delegated legislation) », op. cit., p. 20. 820 ZHANG Chunsheng, « Guanyu lifafa caoan de shuoming (Explications sur le projet de loi sur l’élaboration des normes juridiques) », présentation devant le 12e session du Comité permanent du IXe APN, disponible sur le site http://www.people.com.cn/item/lifafa/bj13.html, consulté le 2 avril 2008. 821 L’article 89 de la loi de 2000 exige que tous les règlements administratifs et locaux, les statuts et règlements particuliers des régions autonomes et des arrêtés doivent être rapportés à des organes déterminés dans les 30 jours à partir de leur publication : les règlements administratifs adoptés par le CAE doivent être rapportés au Comité permanent de l’APN ; les règlements locaux adoptés par les Assemblées Populaires locales et leurs Comités permanents de niveau provincial doivent être rapportés au Comité permanent de l’APN et au CAE; les règlements locaux adoptés par les Assemblées Populaires et leurs Comités permanents des grandes villes doivent être présentés par les Assemblés Populaires
244
commissions spécifiques au sein du Comité permanent822 peuvent décider de faire
l’examen sur la légalité ou la constitutionnalité des règlements dont l’illégalité ou
l’inconstitutionnalité est soupçonnée. Ces commissions spécifiques peuvent d’ailleurs
donner leurs avis aux organes en cause en leur indiquant des mesures nécessaires pour
rendre leurs règlements compatibles à la loi et à la Constitution. La procédure
d’examen se termine, dès lors que les organes qui ont adopté lesdits règlements
réagissent conformément aux avis des commissions spécifiques dans les deux mois à
compter du jour où les avis leur sont parvenus. Dans le cas contraire, les commissions
spécifiques peuvent présenter les propositions d’annulation ou de modification des
règlements à la réunion présidentielle du Comité permanent de l’APN qui détermine
s’il y a lieu de transférer les propositions au vote du Comité permanent de l’APN823. Le
parcours au sein du Comité permanent de l’APN n’est ni transparent ni encadré par des
règles procédurales déterminées824, la crédibilité du contrôle d’office ne peut qu’être
largement mise en cause.
B. – La limite du contrôle sur proposition
231. - En parallèle avec l’examen d’office, l’article 87 de la loi de 2000 prévoit la
provinciales au Comité permanent de l’APN et au CAE; les statuts et règlements particuliers émanant des régions autonomes doivent être rapportés par les Assemblés Populaires provinciales au Comité permanent de l’APN et au CAE; les arrêtés ministériels et les arrêtés des gouvernements locaux doivent être rapportés au CAE; les arrêtés des gouvernements locaux devant également être rapportés aux Assemblées Populaires locales de même niveau ; les arrêtés des gouvernement locaux des grandes villes doivent être rapportés aux Assemblées Populaires provinciales. 822 Les commissions spécifiques au sein du Comité permanent de l’APN sont la Commission des affaires ethniques, la Commission des travaux législatifs, la Commission des affaires intérieures et judiciaires, la Commission des affaires économiques et financières, la Commission de l’éducation, de la science, de la culture et de la santé publique, la Commission des affaires étrangères, la Commission des affaires des émigrants, la Commission de la protection de l’environnement et des ressources naturelles, la Commission des affaires d’agriculture et rurales. 823 V., article 91 de la loi sur l’élaboration des normes juridiques. 824 Lors d’une réunion présidentielle du Comité permanent de l’APN tenue en décembre 2005, se sont précisées dans un document intérieur les modalités par lesquelles le Comité permanent examine d’office des textes administratifs qui lui sont notifiés. V., reportage de MENG Na, « L’examen des règlements et des opinions judiciaires par le Comité permanent», disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/legal/2005-12/19/content_3941558.htm, consulté le 2 avril 2008.
245
possibilité pour les organes étatiques et les citoyens de proposer au Comité permanent
de l’APN d’annuler des règlements administratifs illégaux. Le droit de proposition
ainsi reconnu a pour effet de combler la lacune du droit chinois qui ne prévoit pas le
recours juridique effectif pour les citoyens de contester les textes normatifs de
l’administration. Il faut souligner que selon la loi sur le contentieux administratif
adoptée en 1989, les personnes physiques ou morales et les organes ne peuvent
invoquer le contentieux administratif qu’à l’encontre des actes administratifs
concrets825. Il en résulte que sont irrecevables les contentieux intentés contre les actes
administratifs de portée générale tels que les règlements administratifs adoptés par le
CAE, les arrêtés ministériels ou les arrêtés des gouvernements locaux826. Pour le même
motif de renforcer l’autorité de l’APN par rapport au CAE et aux gouvernements
locaux afin d’assurer la hiérarchie des normes et « la représentativité du système
légal »827, le droit de proposition fut reconnu par la loi de 2000828. Certes, il ne faut pas
exagérer l’utilité du recours individuel en exerçant le droit de proposition. Tout d’abord,
le mécanisme d’examen ne s’applique pas à la délégation de la compétence législative.
Les personnes publiques et privées ne peuvent donc pas contester la décision de
délégation –en exerçant leur droit de proposition– au motif que la décision de
délégation n’a pas respecté les conditions applicables prévues par la loi de 2000.
C’est-à-dire que le droit de proposition ne peut pas être appuyé pour censurer les
carences du législateur. Ensuite, le mécanisme d’examen institué par la loi de 2000 ne
concerne pas les arrêtés, alors que ces derniers touchent plus directement les droits et
intérêts des administrés. Il s’agit des actes administratifs abstraits, dotés d’une force
obligatoire et de portée générale, comme les règlements administratifs829. Ils sont
825 V., article 2 de la loi sur le contentieux administratif. 826 V., YING Songnian, Xingzhengfa yu xingzheng susongfaxue (Droit administratif et contentieux administratif), Law Press China, 2005, p.465. V., aussi, Cour populaire suprême, Guanyu zhixing zhonghua renmin gongheguo xingzheng susongfa ruogan wenti de jieshi (Explications sur l’exécution de la loi sur le contentieux administratif), 8 mars 2000, article 3. 827 Laura PALER, « China’s legislation law and the making of a more orderly and representative legislative system », The China Quarterly, 2005, pp. 301 à 318. 828 V., article 90 de la loi sur l’élaboration des normes juridiques. 829 En droit chinois, les arrêtés existent aussi bien au niveau national (ministères et commission du CAE) qu’au niveau local (provinces, villes et régions autonomes). On distingue donc entre les arrêtés ministériels et les arrêtés des gouvernements locaux.
246
d’ailleurs plus concrets et plus opérationnels que les lois et les règlements
administratifs. Dans le domaine de la gestion administrative, ils guident et encadrent
plus directement les activités des citoyens, des personnes morales et des autres
organisations. D’ailleurs, les arrêtés ont un effet juridique complet à l’égard non
seulement des administrations mais aussi des juges830. Et il est fréquent que « certains
arrêtés dépassent le cadre des lois et règlements en vertu desquels ils avaient été
élaborés, et leurs auteurs outrepassent leur compétence normative »831. Comme les
citoyens ne peuvent pas contester l’illégalité des règlements par voie de contentieux
administratifs, les arrêtés échappent aussi au contrôle judiciaire. Cette lacune de la loi
sur le contentieux administratif n’est pas comblée par la loi de 2000, dans la mesure
où le contrôle des normes juridiques sur proposition ainsi reconnu aux citoyens ne
s’applique pas aux arrêtés.
232. - Le Comité permanent entend bien canaliser les voies d’exercice du droit de
proposition par les personnes privées en prenant les mesures complémentaires. En mai
2004, fut instituée au sein de la Commission des travaux législatifs du Comité
permanent une cellule chargée de la réception des propositions écrites sur l’examen des
règlements832. L’exerce du droit de proposition par des personnes privées et des
personnes publiques est d’autant plus assuré que la cellule chargée de la réception des
propositions s’engage à répondre aux personnes en précisant la conclusion de l’examen
des règlements contestés. Cependant, le mécanisme d’examen des règlements ne doit
pas être assimilé au contrôle constitutionnel. Car « la constitutionnalité des lois n’est
830 L’article 53 de la loi sur le contentieux administratifs dispose que « dans les litiges administratifs, les tribunaux populaires se réfèrent (canzhao) aux arrêtés élaborés conformément aux lois et règlements administratifs, par les ministères et commission du CAE ou par les gouvernements locaux, qu’il s’agisse de ceux de provinces, régions autonomes ou de leurs chefs-lieux mais aussi des gouvernements de municipalité relevant de l’autorité centrale ou de grande villes ». 831 V., LIU Han, « L’importance de la place et du rôle des arrêtés », in Xiao-Ying LI-KOTOVTCHIKHINE (sous la dir. de), Les sources du droit et la réforme juridique en Chine, actes du colloque international des 7 et 8 octobre 2002, Palais du Luxembourg, Paris, Litec, 2003, pp. 89 à 103. 832 V., Reportage de CUI Li, « L’institution d’une cellule de réception des propositions sur l’examen des règlements par le Comité permanent de l’APN », China Youth Daily (Zhongguo qingnianbao), 21 juin 2004.
247
pas visée par ce mécanisme »833. L’examen de la légalité et de la constitutionnalité des
règlements est assuré « par le législateur lui-même au lieu d’un organe indépendant du
pouvoir législatif »834 . Mais il faut remarquer que le mécanisme d’examen des
règlements sur proposition des organes étatiques ou des personnes privées aurait pour
effet de « davantage promouvoir la connaissance constitutionnelle du peuple
notamment à l’égard de la protection des droits fondamentaux »835, et par conséquent,
d’inciter le Comité permanent de l’APN à davantage remplir leur fonction de contrôle
normatif par le biais du mécanisme d’examen. Certes, jusqu’à présent, le Comité
permanent n’a jamais officiellement annulé un règlement administratif selon ladite
procédure, alors que la violation de la compétence législative par les règlements
administratifs est plus que jamais contestée et est considérée comme la cause des
atteintes aux droits fondamentaux des citoyens parmi lesquelles figure le droit de
propriété privée836. Selon un reportage, les propositions sur l’examen de la légalité du
Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines
ont été présentées au Comité permanent. Ces propositions contestent, entre autres, la
violation par le Règlement de l’article 8 de la loi de 2000 selon lequel l’expropriation
des biens non étatiques relève de la compétence de la loi837. En d’autres termes, la
833 CAI Dingjian, « Fagui bei’an shencha budengyu weixian shencha (L’examen des règlements n’est pas le contrôle constitutionnel) », Zhongguo xinwen zhoukan (China Newsweek), 9 janvier 2006, p. 84. 834 ZHANG Zhenqiang, « Weixian shenchaquan yinggai duliyu lifaquan (Le pouvoir de contrôle constitutionnel doit être indépendant du pouvoir législatif) », Étude de l’APN (Renda yanjiu), n° 4, 2006, pp. 40, 41. 835 Une étude publiée en 2002 par l’Université de Suzhou a signalé que 96,9% des personnes interrogées connaissaient l’existence de la constitution et 66% estimaient qu’elle servait à imposer des contraintes au gouvernement et à protéger les droits des citoyens V., Chen Jianfu, « La dernière révision de la Constitution chinoise », op. cit. ; XIAO Yang, « Legislative review panel to smooth legal bumps », China Daily, 21 juin 2004; YUE Jianguo, « Zhide qidai de yixiaobu (À petits pas dignes d’être attendus) », China Econ. Times, 22 juin 2004. 836 V., par ex., ZENG Xianghua, « Xingzheng lifa de zhengdangxing yanjiu (On the appropriateness of administrative legislation) », Jiangsu shehui kexue (Jiangsu Social Sciences), n° 2, 2005, pp. 110 à 116; LIN Jichang, LI Jitian, « Lun quanli jiguan dui xingzheng lifa de jiandu (Le contrôle du législateur sur le pouvoir normatif de l’Administration) », Xingzheng yu fa (Public Administration & Law), n° 10, 2002, pp. 42 à 44 ; WANG Kejin, «Woguo lifafa de quexian fenxi (L’analyse sur la faiblesse de la loi sur l’élaboration des normes juridiques)», Zhengfa Luncong (Journal of Political Science and Law), n° 2, 2002, pp. 47 à 50. 837 V., Propositions au Comité permanent de l’APN sur l’examen du règlement des démolitions et déplacements immobiliers dans les zones urbaines, disponibles sur le site
248
démolition des bâtiments est une forme d’expropriation des biens non étatiques et, par
conséquent, l’adoption dudit Règlement par le CAE constitue un empiètement de la
compétence législative. Jusqu’aujourd’hui, aucune procédure formelle d’examen sur
l’illégalité dudit Règlement n’a pas été engagée. Ce qui démontre aussi la limite du
contrôle sur proposition dans la mesure où l’APN et son Comité permanent demeurent
largement discrétionnaire quant à la prise de décision sur le déclenchement de la
procédure d’examen.
§ 2. – La marge de manoeuvre du pouvoir réglementaire
233. - La faiblesse de la mise en oeuvre des garanties constitutionnelles réside non
seulement en la limite du mécanisme de contrôle, mais également en la volonté des
auteurs du contrôle de s’abstenir d’emprunter des voies de contrôle pour annuler ou
modifier les normes administratives en conflit avec les normes de hiérarchie supérieure.
En matière de droit de propriété, il faut notamment souligner l’inertie du Comité
permanent au Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des
zones urbaines. Alors qu’il existe de l’utilisation abusive de la marge de manoeuvre par
le pouvoir réglementaire(A), les opérations récentes du CAE pour freiner les mesures
d’expropriation illégales dans les zones urbaines comme dans les zones rurales ont
pourtant montré en quelque sorte l’utilité de la marge de manoeuvre du pouvoir
règlementaire dans la mise en oeuvre des garanties du droit de propriété (B).
A. – L’utilisation abusive de la marge de manoeuvre par le pouvoir
réglementaire
234. - En l’état actuel, la démolition des bâtiments dans des zones urbaines (1) et
l’expropriation du sol collectif (2) sont les deux domaines où l’abus de pouvoir
réglementaire est relativement plus fréquent838.
http://www.calaw.cn/lesson/main%20frames/J%20X%20S%20X/JXSX_right.htm, consulté le 15 décembre 2005. 838 V., HE Qinglian, « Geige sanshinian : guojia nengli de jixing fazhan jiqi houguo (Trent ans de
249
(1). – L’exemple de la démolition des bâtiments dans des zones urbaines
235. - L’article 8, paragraphe 6 de la loi de 2000 précise que l’expropriation des
biens non étatiques relève de la compétence exclusive de la loi. Or, le CAE, en
adoptant le Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones
urbaines du 1991, a méconnu de manière flagrante la réserve de compétence législative
affirmée par la Constitution ainsi que par la loi de 2000839. Mais il constitue de facto la
base juridique des expropriations des bâtiments pour renouvellement urbain. Le
développement du marché foncier débuté au milieu des années 90 s’est accompagné de
la flambée du prix de l’immobilier et a amené les gouvernements locaux à participer à
l’exploitation foncière en s’appropriant des terrains occupés840. D’où les vagues de
privation des bâtiments de leurs propriétaires par l’abus d’expropriation pour but
d’intérêt public. C’est dans ce contexte que la légalité du règlement 1991 a fait l’objet
de vives critiques841. Sous l’influence de ces critiques, le CAE a modifié son règlement
en 2001, en imposant des contraintes aux pouvoirs des gouvernements locaux dans
l’exécution des mesures de démolition. Certes, le CAE aurait dû abroger ce règlement
ou le modifier après l’adoption des révisions constitutionnelles en 2004 et la
promulgation de la loi 2000, afin de s’aligner sur la Constitution en ce qui concerne la
réserve de compétence de la loi. L’empiètement du pouvoir législatif par le Règlement
du CAE est d’autant plus évident que la loi sur les droits réels précise que
l’expropriation des bâtiments d’usage individuel pour cause d’utilité publique doit
s’effectuer selon la compétence et la procédure prévues par la loi842. Le professeur
Réformes: le développement difforme du pouvoir étatique et ses conséquences) », Modern China Studies, 2008, n° 4, p. 3 et s. 839 WANG Zhao, «Dui chenshi fangwu chaiqian tiaoli zhong ruogan wenti de yanjiu ( Étude sur les questions du règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines) », Xiandai shangye (Modern Business), 2007, n°16, p. 200. 840 V., Aimin CHEN, « China’s urban housing market development: problems and prospects », Journal of Contemporary China, 1998, vol.7, n° 17, pp. 43 et s; Yanzhong HUANG, Dali L. YANG, « The political dynamics of regulatory change: speculation and regulation in the real estate sector », Journal of Contemporary China, 1996, vol.5, n° 12, pp. 171 et s. 841 V., par ex., Eva PILS, « Land disputes, rights assertion, and social unrest in China: a case from Sichuan », Columbia Journal of Asian Law, Vol. 19, n° 1, 2005, p. 249. 842 V., l’article 42 de la loi sur les droits réels.
250
WANG Liming, en s’appuyant sur la loi sur les droits réels, considère que « la
démolition des bâtiments porte atteinte au droit le plus fondamental des citadins dans
leur vie quotidienne, à savoir la propriété des maisons, il en résulte que seule la
compétence et la procédure définie par la loi peuvent s’appliquer »843, et que ledit
Règlement du CAE est illégal. En exerçant le droit de proposition reconnu par la loi de
2000, des propositions sur l’examen dudit Règlement ont été présentées par des juristes
universitaires au Comité permanent en 2004844. Néanmoins, jusqu’à présent, ni l’APN,
ni son Comité permanent n’a déclenché le contrôle d’office sur la constitutionnalité et
la légalité dudit règlement du CAE. L’inertie du Comité permanent dans le contrôle
formel du règlement du CAE s’explique par le fait que le projet de loi sur
l’expropriation des biens immobiliers pour cause d’utilité publique est en cours de
rédaction. En d’autres termes, le Comité permanent entend bien priver la valeur dudit
Règlement par l’avènement d’une nouvelle loi dans le futur. Entre temps, c’est la loi
sur les droits réels qui prend plus de poids dans le contrôle juridictionnel des mesures
d’expropriation, dont l’application effective dépend du juge qui doit préférer la loi sur
les droits réels sur le règlement du CAE. C’est la raison pour laquelle la Cour populaire
suprême élabore actuellement les avis d’interprétation judiciaire relatifs à l’application
de la loi sur les droits réels afin de répondre à l’attente des citoyens845, y compris des
avis d’interprétation judiciaire plus précis et opérationnels en matière d’expropriation.
(2). – L’exemple de l’expropriation du sol collectif
236. - L’utilisation du pouvoir réglementaire est abusive non seulement à cause de l’
843 WANG Liming, « Gongmin caichanquan baohu he zhengshou zhengyong lifa (La protection des biens des citoyens et l’expropriation, la réquisition) », Guangming ribao (Quotidien des Lumières), 6 août 2007. 844 V., WANG Cailiang, Fangwu chaiqian jiufen jiaodian shiyi (Explications sur les conflits dans la démolition et le déplacement urbains), Law Press China, 2004, p. 282 ; DAI Xiaoli (et al.), « Guanyu chengshi fangwu chanqian guali tiaoli weixianshencha de jianyi (Propositions sur le contrôle de constitutionnalité du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines) », en date du 14 avril 2004, 25 avril 2004, disponibles sur le site http://www.calaw.cn, consulté le 15 décembre 2005. 845 Jusqu’au présent, la Cour populaire suprême n’a élaboré que deux projets d’avis d’interprétation concernant la copropriété. V., supra., n° 171.
251
empiètement sur le pouvoir législatif, mais surtout en raison de la contradiction entre le
règlement et les normes législatives, méconnaissant ouvertement la hiérarchie des
règles de droit. Tel est le cas du règlement du CAE adopté en 1991 sur l’indemnisation
et la réinstallation des foyers dans l’expropriation des terres labourées pour les grands
travaux hydrauliques et d’hydro-électricité. Les indemnités prévues par le règlement de
1991 étaient en contradiction avec celles prévues en vertu de la loi de 1986 sur
l’administration du sol. En effet, selon le règlement de 1991, le montant de l’indemnité
sur l’usage du sol collectif était fixé entre 3 ou 4 fois la valeur moyenne de production
des terres labourées des trois années précédentes à la date d’expropriation, tandis qu’en
vertu de la loi de 1986 la fourchette du montant est entre 6 à 10 fois la valeur moyenne
de production. D’ailleurs, selon le règlement de 1991, le montant de l’indemnité pour
la réinstallation des paysans était fixé entre 2 à 3 fois la valeur moyenne de production
des terres labourée des trois années précédentes à la date d’expropriation, tandis qu’en
vertu de la loi de 1986, la fourchette est entre 4 à 6 fois de la valeur moyenne de
production. Le règlement de 1991 prévoyait également la possibilité pour le Ministère
de l’Hydraulique de réduire l’indemnité pour l’usage du sol et celle pour la
réinstallation. Le règlement de 1991 demeurait valable, en dépit de sa contradiction
avec la loi de 1986, pour le calcul du montant des indemnités jusqu’à l’adoption d’un
nouveau règlement en 2006 qui le remplace. Il est intéressant de souligner que le
nouveau règlement de 2006 a significativement augmenté le montant des indemnités
en supprimant la fourchette dans le calcul des indemnités. Désormais, la somme de
l’indemnité pour l’usage du sol et l’indemnité pour la réinstallation est égale à 16 fois
de la valeur moyenne de production des terres labourées des trois années précédentes à
la date d’expropriation846. À cet égard, le règlement de 2006 peut favoriser les
expropriés en prévoyant la hausse des indemnités, en dépassant la limite imposée par la
loi de 1986.
846 V., article 22 du règlement sur l’indemnisation et la réinstallation des foyers dans l’expropriation des terres labourées pour les grands travaux hydrauliques et d’hydro-électricité, adopté par le CAE en date du 7 juillet 2006 et entré en vigueur le 1er septembre 2006.
252
B. – L’utilité de la marge de manoeuvre du pouvoir réglementaire
237. - L’utilité du pouvoir réglementaire se manifeste par les efforts du
gouvernement central dans le maintien de la stabilité sociale menacée par les réactions
du peuple qui subissait des atteintes au droit de propriété causées par des actes des
gouvernements locaux. En effet, « des expropriations illégales des terres rurales
collectives et des démolitions des bâtiments dans les zones urbaines, conduits par le
rapide développement d’urbanisation, sont les deux principales causes des
mécontentements du peuple envers le gouvernement »847, dans la mesure où ces
mesures de privation n’étaient pas justifiées par l’intérêt général, « ni les
indemnisations était raisonnables par rapport aux atteintes subies par les personnes
ainsi dépouillées de leurs droits constitutionnellement reconnus » 848 . Avec
l’amélioration de la connaissance constitutionnelle du peuple, et notamment grâce à
l’exercice du droit de proposition en vertu de la loi de 2000, les citoyens se sont
mobilisés en revendiquant les mesures législatives pour défendre leur droit de propriété.
Ils demandent que les mesures gouvernementales affectant le droit de propriété soient
compatibles avec les normes de garanties constitutionnellement reconnues. La
revendication des droits par les citoyens a eu parfois des répercussions politiques et a
pu sensibiliser le gouvernement central849. En témoigne le reportage sur un résident
âgé de Pékin qui, deux semaines après la promulgation des révisions constitutionnelles
sur la protection de la propriété privée, avait invoqué la Constitution à l’encontre d’une
décision de démolir sa maison construite cent ans avant850. Dans certains cas, la
tension sociale s’aggravait puisque des gouvernements locaux, en abusant de leur
pouvoir quasi-autonome d’arrêter le plan d’urbanisme, assimilaient l’expropriation des 847 Katherine WILHELM, « Rethinking property rights in urban China », Journal of International Law and Foreign Affairs, fall/winter 2004, pp. 227 et s. 848 Pamela N. PHAN, « Enriching the land of the political elite? Lessons from China on democratization of the urban renewal process », 14 Pac. Rim. L. & Pol’y J. 607, 2005, pp. 607 et s. 849 V., reportage du Reuters et AP, «À Donghzou, la police chinoise ouvre le feu sur des villageois expropriés », Le Monde, 12 septembre 2005 ; Bruno PHILIP, « En Chine du Sud, la police chinoise a réprimé dans le sang une manifestation de paysans », Le Monde, 12 décembre 2005 ; Eric ECKHOLM, « Where workers, too, rust, bitterness boils », The New York Times, 20 mars 2002. 850 YAN Yang, « Xiang shouchi xianfa weiquan de laoren zhijing (Saluer la personne qui a protégé ses droits avec la Constitution sur ses mains) », Remin ribao (Quotidien du peuple), 14 avril 2004, p. 13.
253
bâtiments dans les zones urbaines au projet de renouvellement urbain « qui n’était pas
nécessairement pour réaliser le bien commun ou la justice sociale en raison de
l’absence d’un encadrement bien précis »851. Ce fut typiquement le cas lorsque les
gouvernements locaux prêtèrent leur concours aux promoteurs immobiliers dans le
processus d’appropriation des terrains occupés par les habitants actuels, en exécutant
des mesures de démolition forcée afin de dépouiller les habitants des terrains convoités
par les promoteurs852. La collaboration entre les membres des gouvernements locaux et
les promoteurs immobiliers dans l’exploitation des terrains urbains a également
entraîné la corruption des fonctionnaires locaux et par conséquent les protestations du
peuple853.
238. - Face au désordre des opérations d’expropriation menées par les
gouvernements locaux, le CAE a réagi en adoptant des mesures visant à régulariser la
démolition des bâtiments dans des zones urbaines et l’expropriation des terres rurales,
en vue d’assurer la stabilité sociale. En dépit de la loi sur l’administration du sol et du
règlement administratif portant sur l’application de la loi sur l’administration du sol,
ainsi que du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des
zones urbaines, le CAE a imposé des contraintes plus strictes aux gouvernements
locaux quant à la réalisation du projet d’expropriation. Au lieu d’adopter des
règlements spécifiques, de récentes mesures de contrôle du CAE prirent les formes
plus simples de décision, d’avis ou d’opinion, traduisant donc sa flexibilité dans
l’élaboration des règles administratives854. L’intervention du CAE eut pour but de
851 Daniel Benjamin ABRAMSON, « Urban planning in China », Journal of American Planning Association, Spring 2006, Vol. 72, n° 2, pp. 197, 198. 852 George C. S. LIN, Samuel P. S. HO, « The State, land system, and land development processes in contemporary China », Annals of the Association of American Geographers, p. 422; Eva PILS, « Land disputes, rights assertion, and social unrest in China: a case from Sichuan », loc. cit. 853 Xiaolin GUO, « Land expropriation and rural conflicts in China », The China Quarterly, 2001, n° 166, p. 422 à 439; Eva PILS, « Land disputes, rights assertion, and social unrest in China: a case from Sichuan », loc. cit. 854 Il s’agit du communiqué officiel urgent sur l’administration de la démolition des bâtiments pour le maintien de la stabilité sociale, adopté le 19 septembre 2003 ; le communiqué officiel sur le renforcement du contrôle sur l’envergure des démolitions des habitations urbaines, adopté le 6 juin 2004 ; la décision sur l’approfondissement de la réforme et le renforcement de l’administration du sol adoptée le 21 octobre 2004 ; le communiqué officiel sur le renforcement de la règlementation du sol adopté le 31 août 2006.
254
suspendre toutes les expropriations illégales en cours, d’imposer des charges et des
responsabilités plus lourdes aux autorités locales qui entendirent procéder à
l’expropriation, ainsi que de préciser les garanties utiles pour les expropriés. En somme,
le CAE réussit à bloquer l’expansion des expropriations désordonnées par la prise des
mesures ponctuelles ciblant des pratiques vicieuses des autorités inférieures. Le
pouvoir réglementaire détenu par le CAE continue d’être utile dans la mesure où le
système de pétition du peuple est permis dans le système politique chinois, et « les
autorités inférieures sont d’autant plus responsables à l’autorité supérieure qu’au
public, celui-ci pourrait par conséquent faire entendre sa demande légitime par les
gouvernements locaux en imposant la pression à l’autorité supérieure »855. Le CAE
fonctionne comme clef de voûte dans cette communication établie entre le détenteur du
pouvoir et les citoyens, alors que l’APN et son Comité permanent ne jouent qu’un rôle
secondaire dans le système juridico-politique qui n’a pas abouti à la démocratisation.
SECTION II. – LE CONTRÔLE DES ATTEINTES AU DROIT DE PROPRIÉTÉ
239. - En droit français, la mention de l’article 544 du Code civil du caractère absolu
du droit de propriété ne doit pas être interprétée comme proscrivant toute limitation de
ce droit, contrairement à ce qu’avait proclamé la doctrine de la fin du XIXe siècle856.
Le juge constitutionnel admet lui aussi que le droit de propriété puisse faire l’objet
d’atteinte de la part de l’autorité étatique. Il s’agit donc d’un droit susceptible d’être
limité, puisque non intangible. La jurisprudence du Conseil constitutionnel français
permet de dresser une typologie des atteintes au droit de propriété. le Conseil
constitution français vérifie aussi que les atteintes ne dénaturent pas le droit lui-même.
Dès lors qu’elles respectent certaines limites et certaines règles, les lois diminuant ou
supprimant les prérogatives des propriétaires passent l’épreuve du contrôle de
855 Yongshun CAI, « Managed participation in China », Political Science Quarterly, 2004, Vol. 119, n° 3, p. 427. 856 C. ATIAS enseigne que « juridiquement, la propriété ne se définit qu’assortie de limites, de bornes, de restrictions », « Le qualificatif d’absolu suppose seulement que la propriété revêt trois caractéristiques : elle n’est pas un élément d’un autre droit ; elle est le régime normal des biens et elle est le droit le plus complet ». V., C. ATIAS, Droit civil, les biens, op. cit., pp. 91, 98.
255
constitutionnalité. Il existe ainsi un véritable régime juridique des atteintes au droit de
propriété. Il faut souligner que le Conseil constitutionnel français étend les garanties
constitutionnelles du droit de propriété privée au droit de propriété des personnes
publiques, en affirmant que la garantie des biens publics trouve « un fondement dans
les dispositions de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 relatives au droit de
propriété et à la protection qui lui est due ; cette protection ne concerne pas seulement
la propriété privée des particuliers mais aussi, à un titre égal, la propriété de l’État et
des autres personnes publiques »857. Il en résulte que les garanties du droit de propriété
en cas des atteintes s’appliquent sans différence à la propriété publique et privée.
240. - En droit chinois, les garanties concernant l’expropriation et la réquisition des
terres et de la propriété privée sont désormais proclamées par les révisions
constitutionnelles de 2004. Il s’agit, outre le respect à la compétence législative, de la
justification d’intérêt public d’une part et d’autre part, le versement des indemnités.
Toutefois, la Constitution chinoise ne prévoit pas que lesdites normes de garanties en
matières des atteintes au droit de propriété s’appliquent également pour la sauvegarde
des propriétés publiques, notamment de la propriété étatique. En effet, la Constitution
chinoise exprime simplement la politique de l’État pour le maintien du « régime
économique fondamental dans lequel la propriété publique occupe une place
prépondérante »858, sans pour autant préciser les normes de garanties constitutionnelles
spécifiques. Les dispositions en faveur de la garantie de la propriété publique sont
adoptées par la loi sur les droits réels et par la loi sur les actifs d’État des entreprises
promulguée le 28 octobre 2008, mais elles n’ont pas comblé la lacune des garanties
constitutionnelles. Car ces dispositions s’inscrivent dans l’approche de protéger les
biens publics en s’appuyant sur les normes législatives spéciales qui n’ont toutefois pas
de valeur constitutionnelle. D’ailleurs, les « droits de propriété mieux définis et plus
certains seraient à même de favoriser le retrait de l’Etat des secteurs clés de
l’économie chinoise et de faire entrer l’acteur individuel au centre de cette
857 CC, déc. n° 86-207 DC des 25-26 juin 1986, Privatisations : RJC I-254, 58e considérant; CC, déc. n° 86-217 DC, 18 sept. 1986, Liberté de communication : RJC I-283, 47e considérant ; CC, déc. n° 94-346 DC, 21 juill. 1994, Droits réels sur le domaine public : RJC I-598, 3e considérant. 858 V., article 6, alinéa 2 de la Constitution de 1982.
256
économie »859. En d’autres termes, la mise en oeuvre des garanties constitutionnelles
de la propriété privée revêt la signification particulière au regard de la transformation
du droit chinois. Ainsi, sous l’angle de la garantie des biens essentiellement privés,
sont ici successivement examinées la typologie des atteintes au droit de propriété
(Sous-section 1) et les conditions qui y sont applicables (Sous-section 2).
Sous-section 1. – La typologie des atteintes au droit de propriété
241. - En ce qui concerne des normes de garantie du droit de propriété, la
contribution de la révision constitutionnelle en 2004 consiste d’abord en la distinction
des mesures d’expropriation (§ 1) et de réquisition (§ 2) qui furent longtemps
confondues en droit chinois. Les modifications des dispositions législatives ont été
effectuées pour tenir compte de la révision constitutionnelle. Certes, en contraste avec
la jurisprudence du Conseil constitutionnel français qui permet de dresser une
typologie des atteintes au droit de propriété, à savoir la privation de la propriété et la
simple réglementation de l’usage des biens, la Constitution chinoise ne procède pas à
la distinction des mesures de privation et de réglementations. De surcroît, la
Constitution chinoise ne stipule pas de normes applicables à la nationalisation, ni à la
privatisation des propriétés publiques. Ainsi, le droit chinois est dépourvu de principes
constitutionnels en matière de nationalisation, sauf de rares dispositions législatives
prévoyant l’engagement de l’État chinois à ne pas procéder à la nationalisation des
entreprises à investissement étranger860.
§ 1. – L’expropriation
242. - La notion d’expropriation n’apparaît dans le texte de la Constitution qu’après
859 J. GIBSON, B. de MARRAI (sous la dir. de), Réforme du droit économique et développement en Asie, op. cit., p. 228. 860 Par exemple, l’article 5 de la loi sur les entreprises étrangères et l’article 2, alinéa 3, de la loi sur les joint-ventures prévoient que l’État ne procède pas à la nationalisation ni à l’expropriation des entreprises étrangère sauf au nom d’intérêt public, selon la procédure légale et moyennant une juste indemnisation ; de même, pour la loi sur les joint-ventures.
257
la révision de 2004. Il s’agit d’abord de l’article 10, alinéa 3 de la Constitution qui
proclame que dans l’intérêt public, l’État peut procéder à des expropriations ou à des
réquisitions de terres pour son usage selon la loi et moyennant indemnisation. Avant la
révision en 2004, l’article 10, alinéa 3 ne prévoyait que les réquisitions des terres.
L’assimilation de l’appropriation des terres rurales par l’État à la notion de réquisition
est ainsi supprimée. Ensuite, l’article 13 de la Constitution, par la révision en 2004,
insère un nouvel alinéa 3 disposant que « [D]ans l’intérêt public, l’État peut procéder
à des expropriations ou à des réquisitions des propriétés selon la loi et moyennant
indemnisation». Cela pose en effet le principe d’expropriations et de réquisitions dans
une norme constitutionnelle qui est consacrée à la reconnaissance de la propriété privée.
Ces deux articles constitutionnels imposent désormais les conditions applicables aux
mesures d’expropriations et de réquisitions, à savoir le but d’intérêt public, l’exigence
de légalité et l’indemnisation. Il y a lieu de rechercher en quoi constitue l’expropriation
en droit chinois en comparaison avec le droit français en la matière.
243. - L’expropriation se définit en droit français tout d’abord par son objet : la
cession forcée d’un bien qui peut être un immeuble ou un droit réel immobilier mais
non un meuble861 ; par ailleurs, les réquisitions portant sur les immeubles ne peuvent
concerner que leur usage et en aucun cas leur propriété ; à l’inverse, les réquisitions
portant sur les meubles peuvent porter soit sur l’usage du meuble soit sur sa
propriété862. Au regard du droit français, la Constitution chinoise ne précise pas
l’étendu des objets de l’expropriation. Ainsi en est-il, l’article 13 de la Constitution, en
imposant les mêmes conditions aux mesures prises par l’État en matière
d’expropriation et de réquisition, ne semble pas chercher à les distinguer à l’égard de
leurs objets. L’ambiguïté de la Constitution chinoise a suscité des critiques doctrinales.
Le professeur LIANG Huixing a considéré que les objets de l’expropriation ne peuvent
qu’être des droits immobiliers, à savoir notamment la terres de propriété collective et le
droit d’usage portant sur les terres publiques, alors que la réquisition peut viser tant
aux meubles qu’aux immeubles et constitue un acte provisoire s’exécutant notamment
861 V., Jean-Marie AUBY, Pierre BON, Jean-Bernard AUBY, Droit administratif des biens, op. cit., p. 427. 862 Ibid., p. 429.
258
en cas d’urgence863. Pour d’autres, l’expropriation peut viser non seulement les droits
réels immobiliers mais aussi les meubles, même les biens immatériels864. Mais il n’est
guère contesté que l’expropriation constitue une mesure privative des droits. Par la loi
sur les droits réels, l’expropriation des biens immobiliers et la réquisition qui peut
porter sur les biens mobiliers et immobiliers sont deux différents concepts juridiques.
En ce qui concerne l’expropriation, la Constitution chinoise précise respectivement
l’expropriation du sol collectif (A) et l’expropriation des biens privés (B).
A. – L’expropriation du sol collectif
244. - Comme l’un de ses apports, la révision constitutionnelle en 2004 soumet au
régime juridique de l’expropriation les activités d’appropriation du sol collectif (1) et
du droit d’usage (2) pour cause d’intérêt public.
(1). – L’encadrement de l’appropriation du sol collectif par l’expropriation
245. - Avant la révision de 2004, l’article 10, alinéa 3 de la Constitution ne prévoyait
que la réquisition du sol par l’État, qui englobait toutefois la situation dans laquelle
l’État s’approprie des terrains collectifs. Avec la révision de 2004, l’ancienne
formulation selon laquelle l’État peut procéder à la réquisition du sol est remplacée par
« l’État peut procéder à l’expropriation ou la réquisition du sol ». Ce changement a
863 LIANG Huixing, «Tan xianfa xiuzheng’an dui zhengshou he zhengyong de guiding (À propos des normes constitutionnelles relatives à l’expropriation et à la réquisition) », Zhejiang xuekan (Zhejiang Academic Journal), 2004, n° 4, pp. 116 à 120. V., aussi FEI Anling, « Budongchan zhengshou de sifa sikao (Thinking about the real estate expropriation from the perspective of private law)», Zhengfa luntan (Tribune of Political Science and Law), 2003, n° 1, pp. 116 à 124. 864 V., DAI Mengyong, « Wuquanfa shiye zhong de zhengshou zhidu (L’étude sur l’expropriation au regard de droits réels) », Zhengzhi yu falü (Political Science and Law), 2005, n° 5, pp. 18 à 23 ; YANG Jiejun, GU Yeqing, « Xianfa goujia xia zhengshou zhengyong zhidu zhi zhenghe (L’intégration des régimes constitutionnels de l’expropriation et de la réquisition) », Fashang yanjiu (Studies in Law and Business), 2004, n° 5, pp. 39 à 48; ZHENG Chuankun, TANG Zhongmin, « Wanshan gongyi zhengshou zhengyong falü zhidu de xikao (Thinking about perfecting the legal system of expropriation and requisition for commonweal)», Zhengfa luntan (Tribune of Political Science and Law), 2005, n° 2, pp. 133 à 140; QU Maohui, ZHANG Hong, « Lun Zhengshou falü zhidu de jige wenti (À propos des questions relatives à l’expropriation) », Faxue pinglun (Law Review), 2003, n° 2, pp. 50 à 57.
259
pour effet l’acceptation de la distinction entre l’expropriation et la réquisition en droit
chinois. La loi sur l’administration du sol fut modifiée en 2004 suite à la révision de la
Constitution, réaffirmant sans équivoque que l’appropriation des terres collectives
constitue une expropriation et non plus une réquisition865 et en y substituant les
conditions applicables à l’expropriation. Du fait que la propriété collective du sol rural
est de nature juridique de propriété publique, le droit chinois se différencie du droit
français où la jurisprudence a consacré depuis longtemps la solution selon laquelle
l’expropriation ne vise pas la propriété publique, avec toutefois certaines atténuations
de la désaffectation 866 . Mais il faut notamment souligner l’importance de la
reconnaissance constitutionnelle de l’expropriation du sol collectif au regard des
exigences de la protection du sol rural. Car, par la distinction entre droit d’usage du sol
étatique et droit d’usage du sol collectif, l’État ne peut pas concéder le droit du d’usage
portant sur les terrains collectifs sans se les avoir préalablement appropriés. La
modification de la propriété collective des terrains concernés en propriété étatique est
donc l’étape précédant la concession du droit d’usage qui s’inscrit souvent dans la mise
en oeuvre du plan d’urbanisme. Assujettir l’appropriation du sol collectif au régime de
l’expropriation constitue donc un encadrement à la concession du droit d’usage du sol
dans la mesure où les autorités compétentes doivent respecter les conditions de
l’expropriation, à savoir, l’intérêt public, la procédure légale et surtout l’exigence
d’indemnisation.
(2). – L’applicabilité de la procédure d’expropriation au droit d’usage
246. - Quant à la question de savoir si les droits d’usage portant sur les terres
publiques –à savoir principalement le droit d’usage du sol étatique, le droit
d’exploitation forfaitaire du sol rural– peuvent faire l’objet de l’expropriation, la
réponse ne peut qu’être ambiguë selon la Constitution chinoise, puisque celle-ci se
contente d’affirmer, par l’article 10, alinéa 4, que « le droit d’utiliser des terres peut
865 V., article 43, alinéa 2 de la loi sur l’administration du sol. 866 V., Jean-Marie AUBY, Pierre BON, Jean-Bernard AUBY, Droit administratif des biens, op. cit., p. 158.
260
être cédé conformément à la loi ». Avant l’adoption de la loi sur les droits réels, les
dispositions législatives contournaient aussi la question. Ainsi en était-il de la loi sur
l’administration du sol –avant sa modification en 2004– qui disposait de la suppression
du droit d’usage par l’État dans plusieurs articles : l’article 58 imposait les conditions
dans lesquelles l’administration du sol peut supprimer le droit d’usage qu’elle a
concédé, pour cause d’intérêt général et d’urbanisation, et les titulaires du droit d’usage
ont le droit à indemnisation appropriée pour les atteintes causées par la suppression du
droit d’usage ; l’article 65 prévoyait également la possibilité pour les collectivités
locales de supprimer, moyennant indemnisation, le droit d’exploitation forfaitaire
portant sur certaines parcelles du sol rural. De même, l’article 20 de la loi sur
l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines dispose que l’État ne
supprime pas le droit d’usage avant l’échéance du contrat sauf pour des raisons
d’intérêt général ; la suppression du droit d’usage doit être effectuée selon la procédure
légale ; l’indemnisation aux titulaires du droit d’usage se calcule en fonction du terme
du contrat de concession et de l’état d’exploitation des terrains. La loi sur l’exploitation
forfaitaire du sol rural prévoit que les titulaires du droit d’exploitation forfaitaire ont le
droit à l’indemnisation en cas d’occupations des terres auxquelles porte le droit
d’exploitation forfaitaire867 . Toutes ces dispositions susmentionnées n’utilisent ni
l’expression d’ « expropriation », ni celle de « réquisition » pour désigner l’acte de
suppression du droit d’usage. Il existait également des opinions différentes dans la
doctrine. Pour les uns, la suppression du droit d’usage ne constituait pas la mesure
d’expropriation mais la simple conséquence de l’exercice du droit de propriété par
l’État sur les terres qui lui appartenaient868. Pour les autres, afin de mieux protéger les
droits des usagers, il faudrait encadrer la suppression du droit d’usage portant sur des
terres étatiques par l’application des règles constitutionnelle relatives à
l’expropriation869.
247. - L’incertitude juridique en la matière a été désormais supprimée avec
867 V., article 16, paragraphe 2 et article 26, alinéa 4 de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural. 868 V., par exemple, WANG Weiguo, Zhongguo tudi quanli yanjiu (Étude sur les droits fonciers en Chine), Zhongguo zhengfa daxue chubanshe, 1997, p.119. 869 V., par exemple, GAO Fuping, HUANG Wushuang, Fangdichan faxue (Real Property Law), Pékin : Higher Education Press, 2003, p. 46.
261
l’adoption de la loi sur les droits réels. L’article 121 dispose sans équivoque qu’en cas
où l’expropriation ou la réquisition des biens entraînerait l’extinction des droits
d’usufruit ou ferait obstacle à l’exercice des droits d’usufruit, les usufruitiers ont le
droit à l’indemnisation en vertu des dispositions relatives à l’expropriation870 ou celles
relatives à la réquisition 871 . En reconnaissant l’applicabilité de la procédure
d’expropriation aux droits d’usage et à d’autres droits d’usufruit, l’intérêt des
usufruitiers est mieux garanti grâce aux conditions d’expropriation imposées par la loi
sur les droits réels, « mais il faut encore que les critères d’indemnisation soient
précisés par la législation spéciale»872.
B. – L’expropriation des biens privés
248. - L’alinéa 3 de l’article 13 dispose que « [D]ans l’intérêt public, l’État peut
procéder à des expropriations ou à des réquisitions des propriétés privées selon la loi
et moyennant indemnisation». Reste à préciser l’étendu des propriétés privées qui
peuvent faire l’objet de l’expropriation en vertu de cet article. À cet égard, les
controverses portent notamment sur la question de savoir si les garanties
constitutionnelles s’appliquent aux pratiques de démolition des bâtiments dans des
zones urbaines. Selon le Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments
dans des zones urbaines du CAE, les bâtiments construits sur le fonds de propriété
étatique dans les zones urbaines peuvent faire l’objet de destructions par mesures
forcées prises par le gouvernement municipal. La particularité du problème consiste à
ce que les propriétaires des bâtiments ne disposaient pas nécessairement du droit
d’usage sur les fonds des bâtiments: il existe des bâtiments construits sur les terrains
dont l’usage a été attribué par l’État à titre gratuit, tel était le cas notamment avant
l’établissement du système de la concession du droit d’usage du sol étatique à titre
onéreux. Selon le professeur WANG Liming, dans le cas où « l’État demeure le
propriétaire des parcelles du terrain dont le droit d’usage n’a pas été concédé, la 870 V., article 42 de la loi sur les droits réels. 871 V., article 44 de la loi sur les droits réels. 872 WANG Liming, « Gongmin caichanquan baohu he zhengshou zhengyong lifa (La protection des biens des citoyens et l’expropriation, la réquisition) », loc. cit.
262
démolition des bâtiments peut se faire sans l’expropriation préalable »873. Il s’agit
d’une notion stricte d’expropriation retenue par l’auteur, qui ne s’applique qu’au sol, à
l’exclusion des constructions qui y sont édifiées. Certes, pour la majorité des auteurs,
la révision constitutionnelle de 2004 a pour effet d’encadrer les mesures de démolition
des bâtiments dans des zones urbaines par les normes constitutionnelles
d’expropriation 874 . Car ledit Règlement accorde aux gouvernements locaux les
pouvoirs de décision sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines, mais
aussi leur permet de prendre les mesures d’exécution forcée dans la mise en oeuvre de
décision de démolition, ce qui constitue sans doute une forme concrète de
l’expropriation875. Selon certains auteurs, il serait nécessaire de qualifier la démolition
des bâtiments dans des zones urbaines comme mesure d’expropriation, d’autant plus
que les décisions des gouvernements locaux étaient rarement justifiées par la cause
d’intérêt général, mais plutôt pour le but commercial. Il en résulte qu’en l’état actuel
du droit chinois, l’intégration de la démolition des bâtiments dans des zones urbaines
dans la catégorie juridique d’expropriation a pour l’objectif « moins de légitimer les
atteintes au droit de propriété que de limiter l’abus de pouvoir par les autorités
locales » 876. La loi sur les droits réels a confirmé cette hypothèse, puisque l’article 42
prévoit spécifiquement les bâtiments à l’usage personnel peuvent faire l’objet
d’expropriation, mais à condition qu’elle soit justifiée par la cause d’utilité publique,
selon la compétence et la procédure définies par la loi et moyennant l’indemnisation. 873 WANG Liming, « Wuquanfa caoan zhong zhengshou zhengyong zhidu de wanshan (Amélioration des règles d’expropriation et de réquisition dans le projet de loi sur les droits réels) », Zhongguo faxue (China Legal Science), 2005, n° 6, p. 63. 874 V., par exemple, LIN Zhe, «Qiangzhi chaiqian yu gonggong liyi (L’intérêt public et la destruction et le déplacement forcés) », Liaowang xinwen zhoukan (Outlook Weekly), 2005, n° 6, pp. 26 à 29 ; LI Rui, « Fangwu chaiqian buchang yu gongmin caichanquan de xianfa baozhang (L’indemnisation en cas de demolition des constructions d’habitation urbaines et la protection constitutionnelle de la propriété privée) », Hebei faxue (Hebei Law Science), 2004, n° 10, pp. 40 à 44 ; WANG Guozhu, «Wei gonggong liyi jinxing de fangwu chaiqian zhong beichaiqianren liyi de baohu (The protection of the interests of the person whose building is removed for the purpose of promoting the public interests) », Xingzheng yu fa (Public Administration & Law), 2005, n° 6, pp. 126, 127. 875 V., articles 16 et 17 du règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines, adopté par le CAE en 2001. 876 JIANG Dehai, « Weihu chaiqian jumin de xianfa quanli (La protection du droit constitutionnel des habitants victimes de destructions et de déplacements urbains) », Tansuo yu zhengming (Exploration and Free Views), 2004, n° 1, pp. 18 à 20.
263
L’article 42, alinéa 3, de la loi sur les droits réels précise également les habitants
expropriés doivent être assurés la condition d’habitat, comme condition
complémentaire à l’indemnisation. La précision sur la nature de la démolition des
bâtiments dans des zones urbaines comme mesure d’expropriation par la loi sur les
droits réels a été reprise par la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les
zones urbaines : la révision de ladite loi en 2007 y insère un nouvel article 6 qui
réaffirme que l’État peut procéder à l’expropriation des bâtiments construits sur le sol
étatique pour l’intérêt général et moyennant l’indemnisation.
§ 2. – La réquisition
249. - En droit français, la réquisition est conçue comme l’acte par lequel l’autorité
administrative impose dans un intérêt général à une personne privée le transfert de la
propriété d’un bien ou le louage d’une chose, moyennant indemnisation877. En droit
chinois, la réquisition ne fut reconnue qu’en matière de terres de propriété collective.
L’article 10, alinéa 3 de la Constitution, avant d’être révisé en 2004, disposait que
« dans l’intérêt public, l’État peut réquisitionner la terre selon les dispositions de la
loi ». Il s’agissait en effet d’une mesure forcée par laquelle l’État s’appropriait des
terres collectives moyennant indemnisation. Corrélativement, la loi sur l’administration
du sol avant la modification en 2004 ne prévoyait que la réquisition des terres pour
désigner le transfert forcé du sol collectif à l’État. À cet égard, le droit chinois
confondait la réquisition et l’expropriation au regard du droit français, dans la mesure
où la réquisition en droit français peut être un mode de cession forcée des meubles
mais non des immeubles. La confusion pouvait s’analyser d’une certaine manière par
le fait que « pendant longtemps le droit chinois n’effectuait pas la distinction entre
biens mobiliers et immobiliers, mais celle entre les moyens de production et les biens
de consommation »878 . Par la révision constitutionnelle de 2004, notamment la
modification de la loi sur l’administration du sol par laquelle tous les articles utilisant 877 Cf., Pascal PLANCHET, « Réquisition de biens.– Exercice du droit de réquisition », JurisClasseur Administratif, Fasc. 480, 1998. 878 CHEN Yunsheng, « Législation comparée : Chine », Juris-Classeur Notarial Formulaire, Fasc. unique, 1993, § 79.
264
le terme « réquisition » pour désigner l’appropriation par l’État des terres collectives
doivent dorénavant le remplacer par le terme « expropriation »879, le droit chinois ne
fait donc plus la confusion entre l’expropriation et la réquisition qui ne concerne que
l’usage des immeubles. Cette distinction a été bien prise en compte par la doctrine.
Selon la plupart des auteurs, la réquisition porte sur l’usage des terres à titre provisoire,
alors que l’expropriation a pour effet d’en priver la propriété 880 . La loi sur
l’administration du sol prévoit aussi que les occupations provisoires des terres
collectives pour faciliter les travaux de construction des infrastructures et l’exploration
géographique constituent les cas de réquisition881.
250. - Cependant, l’article 13, alinéa 3, de la Constitution pose un nouveau problème
dans la mesure où il impose des conditions communes à l’expropriation et à la
réquisition. Ainsi proclame-t-il, « dans l’intérêt général, l’État peut procéder à des
expropriations ou à des réquisitions des propriétés selon la loi et moyennant
indemnisation ». Il semble que si l’expropriation se différencie de la réquisition à
l’égard des objets qu’elles visent, leurs conditions d’application sont toutefois
identiques. Néanmoins, selon le professeur LIANG Huixing, « l’expropriation doit se
justifier par l’intérêt général en temps normal, tandis que la réquisition ne s’applique
qu’en cas d’urgence, ce qui revient à exiger la simplification de la procédure de la
réquisition pour répondre à l’impératif de l’urgence»882. Il faut souligner qu’en droit
chinois, les normes de réquisitions sont comprises dans de différents textes législatifs.
Il s’agit par exemple des réquisitions militaires883, des réquisitions exigées par l’état de
siège884, des réquisitions pour le secours en cas de tremblement de terre885, des
879 Il s’agit des articles 43, alinéa 2, 45, 46, 47, 49, 51, 78 et 79 de la loi sur l’administration du sol. 880 V., par exemple, WANG Liming, «Xianfa yu siyou caichan de baohu (La Constitution et la protection de la propriété privée) », Faxue zazhi (Law Science Magazine), 2004, n° 3, pp. 9 à 12 ; DAI Mengyong, « Wuquanfa shiye zhong de zhengshou zhidu (L’étude sur l’expropriation au regard de droits réels) », loc. cit.; HOU Xiaoguang, « Lun gongyi zhengshou (On public expropriation)», Xingzheng faxue yanjiu (Administrative Law Review), 2004, n°3, pp. 66 à 73. 881 V., article 57 de la loi sur l’administration du sol. 882 LIANG Huixing, « Tan xianfa xiuzheng’an dui zhengshou yu zhengyong de guiding (Libre propos sur la révision constitutionnelle relative à l’expropriation et la réquisition) », op. cit., p. 120. 883 V., article 48 de la loi de défense nationale adoptée le 14 mars 1997. 884 V., article 17 de la loi martiale adoptée le 1er mars 1996. 885 V., articles 32 et 38 de la loi de la prévention du séisme adoptée le 29 décembre 1997.
265
réquisitions pour le secours en cas d’inondation886, des réquisitions pour la prévention
des maladies contagieuses887, etc. Lors de l’élaboration de la loi sur les droits réels, le
professeur WANG Liming proposait la distinction entre l’expropriation et la réquisition,
d’autant que les objets, les conditions d’application, l’effet à la propriété des biens
concernés, et les critères d’indemnisation sont différents dans les deux catégories
juridiques888. La loi sur les droits réels retient la proposition de WANG Liming. Selon
l’article 44, la réquisition doit répondre au besoin de secours en cas de désastres et
d’autres urgences et selon la compétence et procédure définies par la loi. En outre, la
réquisition entraîne la transition provisoire du droit d’usage des biens, au cas où les
biens réquisitionnés seraient périmés ou endommagés, le propriétaire des biens
réquisitionnés a droit à indemnisation.
Sous-section 2. – Les conditions applicables à l’expropriation et à la
réquisition
251. - Les garanties constitutionnelles en matière d’atteintes au droit de propriété
sont prévues par l’article 10, alinéa 3 et l’article 13, alinéa 3. Premièrement, les
mesures d’expropriation et de réquisition doivent être justifiées par le but d’intérêt
public. Deuxièmement, l’expropriation et la réquisition doivent s’effectuent selon la
compétence et la procédure prévues par la loi. Et troisièmement, le versement des
indemnités. La réserve de compétence législative étant étudiée dans la Section I du
chapitre, on se contente d’analyser ici la justification des atteintes au droit de propriété
par l’intérêt public (§ 1) et l’exigence d’indemnisation (§ 2) en vertu de la Constitution
1982. La loi sur les droits réels a largement repris ces garanties constitutionnelles tout
886 V., article 45 de la loi sur la prévention des inondations adoptée le 29 août 1997. 887 V., article 45 de la loi sur la prévention des maladies contagieuses adoptée le 21 février 1989 et modifiée le 28 août 2004. L’application récente de la réquisition pour la prévention des maladies contagieuses était la réquisition des habitations dans la ville de Pékin pour lutter contre la pneumonie atypique en 2003. V., Municipalité de Pékin, « Notice on Temporary Requisitions of Housing for Use in Controlling and Preventing Atypical Pneumonia », Chinese Law and Government, vol. 40, n° 1, 2007, pp. 113, 114. 888 WANG Liming, « Wuquanfa caoan zhong zhengshou zhengyong zhidu de wanshan (Amélioration des règles d’expropriation et de réquisition dans le projet de loi sur les droits réels) », op. cit., pp. 61, 62.
266
en y apportant des précisions en vue de les rendre plus opérationnelles.
§ 1. – Le but d’intérêt public
252. - En droit français, la jurisprudence constitutionnelle laisse croire que la notion
de nécessité publique, comme celle de la notion d’utilité publique ou d’intérêt général
est impossible à cerner puisqu’elle est à la fois évolutive, extensive et contingente889.
La difficulté dans la définition de l’intérêt public existe également en droit chinois.
Outre les débats sur la signification de l’intérêt public, le problème réside surtout sur la
valeur juridique de la notion. En effet, en l’absence du contrôle constitutionnel des lois
par un organe indépendant, la notion d’intérêt public semble n’avoir qu’une valeur
symbolique et donc dépourvue de force contraignante. L’abus d’expropriation au nom
de l’intérêt public dans la pratique de démolition appelle toutefois la mise en oeuvre
effective de la garantie constitutionnelle d’intérêt public. C’est la raison par laquelle les
travaux législatifs sont en cours pour compléter la définition actuelle de l’intérêt public
(A), en vue de réduire l’abus de cette notion dans la pratique (B).
A. – La notion de l’intérêt public telle qu’elle est définie en droit
chinois
253. - La notion de l’intérêt public peut être définie par la loi formelle (1), mais
aussi plus remarquablement être expliquée et déterminée par la politique de l’État (2)
qui occupe une place prédominante par rapport au droit dans la Chine actuelle.
(1). – La définition de l’intérêt public par les dispositions législatives
889 René HOSTIOU, « Deux siècles d’évolution de la notion d’utilité publique », in Un droit inviolable et sacré, la propriété, ADEF, 1989, p. 30 à 45 ; J. –F. COUZINET, « De la nécessité publique à l’utilité publique : les évolutions du fait justificatif de l’expropriation », in Propriété et Révolution, actes du Colloque de Toulouse 12-14 octobre 1989, Éditions du CNRS, Service des Publications de Toulouse I, 1990, pp. 165 et s.
267
254. - Avant la révision constitutionnelle, la notion d’intérêt public figure déjà dans
de multiples lois qui prévoient les cas concrets dans lesquels l’État peut procéder à
l’expropriation ou à la réquisition. Il est donc possible d’en déduire le sens d’intérêt
public retenu par le législateur. Ainsi, la loi sur l’énergie électrique prévoit que l’État
peut exproprier les terrains pour la construction des équipements d’électricité890; la loi
sur les chemins de fer prévoit l’expropriation des terrains pour l’installation des voies
ferrées891 ; la loi sur les charbons prévoit l’expropriation des terrains pour l’exploration
des mines 892 ; la loi sur la protection des établissements militaires prévoit
l’expropriation des terrains pour établir des zones militaires interdites ou des zones de
contrôle militaires893. Quant aux mesures de réquisitions, celles-ci sont justifiées soit
par la défense nationale s’agissant des réquisitions ayant des objectifs militaires894, soit
par la sécurité nationale s’agissant des réquisitions dans l’état d’urgence895, soit par la
sûreté publique s’agissant des réquisitions pour les secours en cas des désastres
naturelles896, soit par la santé publique s’agissant des réquisitions pour la prévention
des maladies contagieuses897. La révision constitutionnelle de 2004 a incité la doctrine
chinoise à approfondir la recherche sur la signification de l’intérêt public. Certains
auteurs distinguent l’intérêt public d’autres notions semblables, par exemple, l’intérêt
étatique, l’intérêt collectif, l’intérêt social, l’ordre public, l’ordre social, la sûreté
nationale et la sécurité publique qui figurent dans de différentes normes
constitutionnelles ou législatives. Certains d’entre eux considèrent que « l’intérêt
public a la valeur juridique supérieure et ne saurait être substitué par les autres
notions semblables »898. En revanche, la doctrine avait pendant longtemps confondu
890 V., article 16 de la loi sur l’énergie électrique adoptée le 28 décembre 1995. 891 V., article 36 de la loi sur le chemin de fer adoptée le 7 septembre 1990. 892 V., article 20 de la loi sur le charbon adoptée le 29 août 1996. 893 V., article 12 de la loi sur la protection des établissements militaires adoptée le 23 février 1990. 894 V., article 48 de la loi de la défense nationale adoptée le 14 mars 1997. 895 V., article 17 de la loi martiale adoptée le 1er mars 1996. 896 V., articles 32 et 38 de la loi sur la prévention du séisme adoptée le 29 décembre 1997 ; article 45 de la loi de la prévention des inondations adoptée le 29 août 1997. 897 V., article 45 de la loi sur la prévention des maladies contagieuses adoptée le 21 février 1989 et modifiée le 28 août 2004. 898 V., HU Jinguang, WANG Kai, « Lun woguo xianfa zhong gonggong liyi de jieding (Étude sur la notion d’intérêt public dans la Constitution chinoise) », Zhongguo faxue (China Legal Science), 2005, n°
268
l’intérêt public et l’intérêt étatique899. Avec la révision constitutionnelle de 2004, les
auteurs commencent à accepter la considération selon laquelle « tous les intérêts de
l’État ne sont pas nécessairement compatibles à l’intérêt public »900. Cela signifie que
des expropriations réalisées par l’État pour la réalisation des projets commerciaux ne
doivent pas être considérées comme étant d’intérêt public. Dans l’avant-projet de loi
sur les droits réels rédigé par le professeur LIANG Huxing, celui-ci tenta de définir
l’intérêt public par mesure d’énumération. Selon lui, s’agissant du but d’intérêt public
dans les domaines du transport routier commun, de la santé publique, de la prévention
des désastres, dans les domaines scientifiques et de l’éducation, de la protection de
l’environnement, de la protection des biens culturels et des reliques historiques, de la
protection des sources d’eau et des forêts901. Certes la signification de la notion
d’intérêt public demeure incertaine selon la doctrine902. Pour les uns, « l’intérêt public
est la somme des intérêts privés des individus ; il y a la complémentarité entre l’intérêt
public et l’intérêt privé, au lieu de conflit fondamental » 903; pour les autres, « l’intérêt
public est l’intérêt prédominant de la société dans son ensemble ou du peuple tout
1, pp. 18 à 27. 899 V., par exemple, SHEN Zongling, Falixue yanjiu (Théorie du droit), Shanghai renmin chubanshe, 1990, p. 61. 900 V., par exemple, WANG Liming, « Heli hefa youxu youdu (La limitation au droit de propriété par l’intérêt public) », Renmin ribao (Quotidien du Peuple), 7 novembre 2004, p. 7 ; ZHANG Wuyang, « Gonggong liyi jieding de shijianxing sikao (Réflexions sur la définition d’intérêt public) », Faxue (Law Science Monthly), 2004, n° 10, pp. 20 à 22 ; YANG Feng, « Caichan zhengshou zhong gonggong liyi ruhe jieding (La qualification d’intérêt public dans les expropriations) », Faxue (Law Science Monthly), 2005, n° 10, pp. 94 à 117. 901 LIANG Huixing, Zhongguo wuquanfa cao’an jianyigao (Propositions sur le projet de loi sur les droits réels), Shehui kexue wenxian chubanshe, 2000, pp. 191,192. 902 V., par exemple, HU Jianmiao, XING Yijing, « Gonggong liyi gainian touxi (Étude sur la notion d’intérêt public) », Faxue (Law Science Monthly), 2004, n° 10, pp. 3 à 8 ; HUANG Xuexian, « Gonggong liyi jieding jiben yaosu ji yingyong (Les éléments de la définition d’intérêt public et leur application) », Faxue (Law Science Montly), 2004, n° 10, pp.10 à 13 ; ZHANG Wuyang, «Gonggong liyi jieding de shijianxing sikao (Réflexions sur la définition d’intérêt public) », loc. cit. ; YANG Feng, « Caichan zhengshou zhong gonggong liyi ruhe jieding (La qualification d’intérêt public dans les expropriations) », loc. cit. ; HU Jingguang, WANG Kai, « Lun woguo xianfa zhong gonggong liyi de jieding (Étude sur la notion d’intérêt public dans la Constitution chinoise) », loc. cit. 903 V., par ex., ZHANG Qianfan, « Gonggong liyi de goucheng : dui xingzhengfa de mubiao he yiji pingheng yiyi de tantao (La constitution de l’intérêt public : réflexions sur l’objectif du droit administratif et la signification de l’équilibre)», Bijiaofa yanjiu (Journal of Comparative Law), 2005, n° 5, pp. 3 et s.
269
entier représenté par l’État »904. Un autre courant de pensée considère que « la notion
d’intérêt public est impossible à définir précisément »905, de la sorte que « l’efficacité
des garanties du droit de propriété ne réside donc qu’en l’exigence
d’indemnisation »906. Lors de l’élaboration de la loi sur les droits réels, le professeur
WANG Liming proposait qu’ « au lieu de définir la notion d’intérêt public, la loi sur
les droits réels [doit] préciser la compétence et la procédure applicables à
l’expropriation et à la réquisition, dont le respect [est] contrôlé par le juge»907, de
sorte que l’abus d’expropriation au nom de l’intérêt public soit effectivement contrôlé.
(2). – Le sens de l’intérêt public au regard des politiques gouvernementales
255. - Si le contenu de la notion de l’intérêt public est difficile à définir, certains
principes restent aussi fondamentaux en droit chinois et ont pour effet de proscrire
l’expropriation de certains biens, ce qui peut être considéré comme la limite à
l’appréciation de la notion d’intérêt public. Il s’agit de l’expropriation du sol rural de
propriété collective dont la plupart sont les champs cultivés. Pour nourrir la population
chinoise, la protection des champs cultivés pour assurer la production agricole est
consacrée comme « la politique la plus fondamentale du pays »908. La responsabilité
du respect de cette politique pèse sur tous les organes étatiques et locaux. À cet égard,
la loi sur l’administration du sol établit, parallèlement au système d’autorisation des
904 V., par ex., CHEN Xiaochun, HU Yangming, « Jianshe yi gonggongliyi wei daoxiang de fuwuxing zhengfu (Construire le gouvernement de service dirigé par l’intérêt public)», Guangming ribao (Quotidien des Lumières), 13 avril 2005, p. 8. 905 JIANG Bixin, LIANG Fengyun, « Wuquanfa zhong de xingzhengfa wenti (Des problèmes de droit administratif dans la loi sur les droits réels) », Zhongguo faxue (China Legal Science), 2007, n° 3, p. 139. 906 V., ZHANG Qianfan, « Gongzheng buchang yu zhengshouquan de xianfa xianzhi (L’indemnisation juste et la restriction constitutionnelle au prérogative d’expropriation) », Faxue yanjiu (Chinese Journal of Law), 2005, n° 2, pp. 25 à 37. 907 WANG Liming, « Wuquanfa caoan zhong zhengshou zhengyong zhidu de wanshan (Amélioration des règles d’expropriation et de réquisition dans le projet de loi sur les droits réels) », op. cit., p. 60, 61. 908 Par la Résolution 1991 du Comité permanent sur le programment décennal de développement social et économique national et le huitième plan quinquennal, la protection des terres cultivable, le planning familial et la protection de l’environnement est consacrés comme les trois politiques du pays les plus fondamentales. V., aussi, l’article 3 de la loi sur l’administration du sol.
270
expropriations, un système d’autorisation hiérarchique au changement des champs
cultivés à l’usage non agricole –c’est-à-dire industriel, commercial, etc., en vue de
sauvegarder les terres de propriété collective contre la croissance déraisonnable de
l’expropriation impulsée par la vague d’urbanisme et la flambée du prix foncier des
années récentes909. Pour cette fin, la loi sur l’administration du sol a élevé le niveau
d’autorisation pour toute expropriation des champs cultivés. En vertu de l’article 45,
alinéa 1er, de ladite loi, un projet d’expropriation visant les trois catégories suivantes
des terrains relève du pouvoir d’autorisation du CAE : il s’agit des champs agricoles
fondamentaux (jiben nongtian), des champs cultivés autres que ceux à usage
fondamental agricole dont la surface est supérieure à 35 hectares, et d’autres terrains
dont la surface est supérieure à 70 hectares. Pour un projet d’expropriation des autres
terrains qui ne sont pas spécifiquement visés par l’article 45, alinéa 1er, les
gouvernements locaux d’échelon provincial ont le pouvoir d’autorisation910. Par la
répartition des compétences en matière d’expropriation des terres collectives au profit
de l’autorité centrale, tout en réduisant la marge de manoeuvre des autorités locales, la
loi sur l’administration du sol dresse une limite importante à l’expropriation des terres
collectives ayant pour objet l’intérêt public. L’abus des pratiques d’expropriation a
aussi conduit le gouvernement central à lancer des campagnes visant à préserver les
champs cultivés et à davantage encadrer l’exercice du pouvoir d’expropriation par les
gouvernements locaux, qui restent toujours l’une des priorités du CAE911.
909 Selon le Ministère du Territoire et des Ressources, près de 6 millions d’hectares de champs cultivés ont disparu en Chine pour répondre aux besoins de l’urbanisation, être utilisés à des fins commerciales ou industrielles ou encore ces terres ont été laissées en friche en attendant d’être vendues au plus offrant. La situation est d’autant plus grave que 122 millions d’hectares de champs cultivés sont placés sous le régime de la propriété collective, ce qui représente moins de 0,1 hectare par habitant. V., Ministère du Territoire et des Ressources, Communiqué officiel sur le territoire et les ressources 2005, publié le 1er mars 2006. Selon le rapport rédigé par le Ministère du Territoire et des Ressources en date du 14 juin 2006, 60% des cas d’utilisation du sol sont illégaux, qui occupe 50% des cas d’utilisation du sol pour la construction. V., Beijing Review, 9 juillet 2007, Vol. 49, n° 36, pp. 22, 23. 910 En vertu de l’article 45, alinéa 2, de la loi sur l’administration du sol, les actes d’autorisation doivent être déposés au CAE. Il s’agit donc d’une exigence de formalité, sans pour autant reconnaître au CAE le pouvoir de contrôle sur les autorisations données par les gouvernements locaux. 911 V., Commission nationale du développement et de la réforme, « Rapport sur l’exécution du plan de 2006 pour le développement économique et le progrès social et sur le projet de plan 2007 », présenté le 5 mars 2007 à la 5e session de la Xe APN, disponible sur le site
271
B. – Les travaux législatifs visant à réduire l’abus d’expropriation
256. - Les abus d’expropriation au nom de l’intérêt public par des gouvernements
locaux (1) ont conduit le gouvernement central à adopter de nouvelles règles (2) afin
d’encadrer les pratiques d’expropriation en conformité avec la révision
constitutionnelle de 2004.
(1). – Les abus d’expropriation au nom de l’intérêt public par les gouvernements
locaux
257. - L’abus d’expropriation pour intérêt public réside notamment en la démolition
des bâtiments dans des zones urbaines. Les gouvernements locaux s’y impliquent à
travers l’exercice de leurs pouvoirs de régulation. Il faut tout d’abord souligner que le
règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines,
adopté en 1991 et révisé en 2001 par le CAE, est toutefois la cause principale de l’abus
d’expropriation. En effet, au lieu de définir clairement le but d’intérêt public comme la
justification de l’expropriation, ledit Règlement y substitue le plan d’urbanisme. Selon
l’article 2 dudit Règlement, la démolition des bâtiments dans des zones urbaines peut
être autorisée pour la réalisation du plan d’urbanisme. Or, le plan d’urbanisme qui est
rédigé par les gouvernements locaux présente souvent le caractère de partenariat public
et privé, dans la mesure où les gouvernements locaux permettent généralement
l’introduction de capitaux privés pour l’exécution de projet de renouvellement du
territoire local y compris dans le plan d’urbanisme. Le plus souvent dans la pratique, le
projet de renouvellement est conjointement élaboré par les gouvernements locaux et
les promoteurs immobiliers. Par des engagements réciproques, les gouvernements
locaux concèdent le droit d’usage du sol étatique aux promoteurs immobiliers, ces
derniers s’engagent à réaliser le projet de renouvellement en apportant leurs propres
capitaux. La démolition des bâtiments dans des zones urbaines et le déplacement des
foyers ne constituent qu’une étape dans le projet de renouvellement urbain qui déblaie
les terrains occupés pour les promoteurs immobiliers. Selon le Règlement du CAE, les http://www.french.xinhuanet.com/french/2007-03/18/content_402842.htm, consulté le 11 avril 2008.
272
promoteurs immobiliers doivent se munir d’un permis de démolir des bâtiments délivré
par des gouvernements locaux avant qu’ils ne puissent légalement procéder à
l’exécution du projet de renouvellement912. Or, dans le contexte où les promoteurs
immobiliers ont activement participé à l’élaboration du projet de renouvellement
urbain, l’obtention de l’autorisation n’est qu’une exigence de formalité ayant peu de
signification913. Plus regrettable encore, la loi sur la planification urbaine adoptée en
1989 –avant qu’elle ne soit modifiée en 2007, qui est la base juridique de la rédaction
du projet de renouvellement, n’exigeait pas que l’élaboration des plans d’urbanisme
par les gouvernements de différents échelons soit strictement subordonnée au but
d’intérêt public914. Les implications des gouvernements locaux dans les pratiques de
renouvellement urbains ont pu largement brouiller la frontière entre la démolition des
bâtiments dans des zones urbaines pour but d’intérêt public et celle comprise dans le
projet d’exploitation foncière poursuivant des buts commerciaux915. À cet égard, le
Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines
est vivement critiqué non seulement parce qu’il méconnaît la réserve de compétence
législative en matière d’expropriation des propriétés non étatiques, mais surtout parce
qu’il permet aux gouvernements locaux d’expulser les habitants occupant les terrains
au nom de renouvellement du territoire soumis au plan d’urbanisme, alors que le projet
de renouvellement poursuit le but d’exploitation commerciale 916 . En réalité, les
912 V., les articles 4, 6 et 7 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. 913 WU Jing, « Chaiqian buchang tieshang ‘heli’ biaoqian (L’indemnisation à la démolition est apposée le visa de ‘juste’) », Remin ribao (Quotidien du peuple), 28 juin 2005, p. 10. 914 WANG Zhuguo, WANG Aihui, « Chengshi guihua : gonggong liyi, quanli jiuji : jianlun xiuding zhonghua renmingongheguo chengshi guihuafa (Planification urbaine : l’intérêt public et recours des droits, à propos de la révision de la loi sur la planification urbaine) », Guoji chengshi guihua (Planification Urbaines Internationale), n° 3, 2004, p. 79. 915 ZHOU Fen, « Chaiqianzhong zhengfu de falü dingwei yu zhize (La position et la responsabilité du gouvernement dans la démolition des bâtiments dans des zones urbaines) », Fazhi yu shehui (Legal System and Society), 2007, n°7, pp. 412, 413. 916 V., par exemple, HU Yi, « Chengshi fangwu chaiqian de zhidu fenxi (Institutional Analysis on Urbain Refurbishment) », Gaige (Reform), 2005, n°2, pp. 126 à 128 ; YANG Jianshun, «Lun fangwu chaiqian zhong zhengfu de zhineng (Le rôle du gouvernement dans la mise en œuvre de démolitions et déplacements) », Falü shiyong (National Judges College Law Journal), 2005, n°5, pp. 2 à 5 ; WU Jiandong, SHA Chunsheng, « Jige dianxing chaiqian wenti de sikao (Réflexions sur des questions majeures de démolitions et déplacements) », Chengshi fangwu chaiqian (Démolition des bâtiments dans
273
bénéfices exorbitants dans la promotion foncière ont conduit aux collusions entre les
membres des gouvernements locaux et les promoteurs immobiliers. En exerçant leur
pouvoir d’expropriation les gouvernements locaux s’approprient les terrains occupés
moyennant une indemnisation médiocre aux habitants, puis les concèdent aux
promoteurs immobiliers qui partagent une part de leurs bénéfices avec les
gouvernements locaux et leurs dirigeants917. Le tour de passe-passe a souvent provoqué
le mécontentement des habitants, dans certains cas radicaux ont été survenus les
« événements de masse (quntixing shijian) »918. Le CAE n’a pas tardé à réduire
l’ampleur du mouvement des démolitions urbaines jugé élément déstabilisateur, pour
contrôler la répercussion sociale des démolitions. Ainsi, par le communiqué officiel n°
46 en date du 6 juin 2004, le CAE a ordonné la suspension de l’exécution de tous les
projets de démolitions urbaines, à l’exception ceux précisément exemptés par le
CAE919. Il faut souligner qu’entre la stabilité sociale et le respect du droit de propriété
des citoyens, le communiqué officiel susmentionné manifeste la volonté du
gouvernement central de mettre plus l’accent sur la stabilité sociale dans le processus
accéléré d’urbanisation. La mesure prise par le CAE n’est que tactique et
conjoncturelle. Elle n’a pas abouti à modifier le Règlement d’administration sur la
démolition des bâtiments dans des zones urbaines conformément aux normes
constitutionnelles d’expropriation et de réquisition des propriétés privées.
des zones urbaines), 2004, n° 12, pp. 30, 31. 917 V., par exemple, LEI Tao, « Buhexie de chaiqian (Des démolitions et déplacements inharmonieux) », Zhongguo gaige (China Reform), 2005, n° 8, pp. 47 à 49 ; SHI Youqi, « Lun chengshi fangwu chaiqian yu siyou caichanquan baohu (La démolition des bâtiments dans des zones urbaines et la protection de la propriété privée) », Zhongnan caijing zhengfa daxue yanjiusheng xuebao (Journal des Masters de l’Université de Science Economique et Juridique du Centre Sud), 2006, n°6, pp. 8, 9. 918 Dans les discours officiels du PCC, on utilise l’expression « événements des masses » (quntixing shijian) et non « émeute » pour désigner les réactions du peuple à l’encontre du gouvernement. V., par exemple, HU Jintao, « Zai shengbuji zhuyao lingdao ganbu tigao goujian shehui zhuyi hexie shehui nengli zhuanti yantaoban shang de jianghua (Discours devant le séminaire des dirigeants de niveau provincial sur la promotion de la capacité de la construction d’une société harmonieuse », Remin ribao (Quotidien du Peuple), 27 juin 2005, p. 1. 919 Les projets de démolition autorisés par le CAE concernent les démolitions pour la construction des infrastructures d’énergie, de transports en commun, d’ouvrages hydrauliques, pour la construction des habitats à loyer modéré et pour la réhabilitation des habitats, etc.
274
(2). – L’encadrement des pratiques d’expropriation par de nouvelles règles de droit
258. - La révision constitutionnelle de 2004 a exigé la modification de la loi sur la
planification urbaine dont l’objectif consiste à rendre le plan d’urbanisme davantage
compatible à l’exigence d’intérêt public. En matière d’utilisation du sol, par la nouvelle
loi sur la planification urbaine et rurale adoptée le 28 octobre 2007, la marge de
manoeuvre des gouvernements locaux dans l’expropriation des terrains se voit réduire.
Il faut souligner en outre que la nouvelle loi de 2007 s’applique non seulement à la
planification des zones urbaines mais aussi à celle des zones rurales. Comme l’ancien
Ministère de la Construction l’a révélé, par la nouvelle loi de 2007, « il faut
particulièrement exercer un contrôle sur l’utilisation des terres d’une manière explicite
et ferme, et prévenir l’occupation abusive des champs cultivés »920. L’élaboration des
plans urbains et ruraux par les gouvernements locaux est désormais encadrée en amont
par la concertation des habitants locaux ou par le comité des villageois921 –alors
qu’auparavant le plan d’urbanisme était confidentiel en excluant la participation des
citoyens 922 . Le projet de plan urbain ou rural doit ensuite obtenir l’accord des
assemblées populaires locales923, avant d’être approuvé par l’autorité supérieure. En ce
qui concerne le contenu du plan urbain ou rural, il doit prévoir les conditions relatives
à l’attribution du droit d’usage du sol à titre gratuit, à la concession du droit d’usage du
sol étatique et à l’expropriation poursuivie en vue de l’aménagement du territoire. Les
citoyens disposent du droit de veiller à ce que l’utilisation du sol par les
gouvernements locaux soit compatible avec le plan approuvé924. Il faut rappeler qu’en
droit français « si la déclaration d’utilité publique doit désormais être compatible avec
les documents d’urbanisme, le principe d’indépendance des législations demeure dans 920 V., reportage du Centre d’Information Internet de Chine, « La Chine transformera le mode de développement urbain par la rectification du plan d’urbanisme », disponible sur le site http://french.china.org.cn/china/txt/2005-07/22/content_2185404.htm, 22 juillet 2005, consulté le 9 avril 2008. 921 V., articles 22 et 26 de la loi sur la planification urbaine et rurale 2007. 922 V., reportage de YAN Xiaoming, CHENG Jiaxing, « Gongzhong canyu yu chengshi guihua (Concertation publique et planification urbaine) », Renmin ribao (Quotidien du Peuple), 17 décembre 2001, p. 2. 923 V., articles 16 et 20 de la loi sur la planification urbaine et rurale 2007. 924 V., article 9 de la loi sur la planification urbaine et rurale.
275
une version moins rigoureuse »925, alors que le législateur chinois tente de contrôler
l’abus d’expropriation en exigeant d’emblée la compatibilité de la déclaration d’intérêt
public avec la planification urbaine et rurale. Dans le contexte où l’État reste
propriétaire du sol urbain, soumettre l’aménagement du territoire à la condition
d’intérêt public a pour objectif principal de mieux respecter les intérêts des titulaires du
droit d’usage du sol et des propriétaires des bâtiments qui y sont édifiés. La
participation des citoyens à la création du plan urbain et rural par des audiences
publiques est une sorte de limitation à l’exercice du droit de propriété de l’État sur les
terres qui lui appartiennent. À la différence de la procédure d’expropriation pour cause
d’utilité publique en droit français, l’expropriation dans les zones urbaines chinoises se
caractérise par la coexistence dans un même territoire des propriétés publique et privée.
Dans le cadre de la démolition des bâtiments dans les zones urbaines, il existe non
seulement le conflit d’intérêt entre expropriant et exproprié, mais aussi celui entre
l’État-propriétaire du sol et les expropriés qui sont propriétaires des immeubles bâtis.
Le principe d’égalité de protection des toutes les propriétés, tel que proclamé par la loi
sur les droits réels, appelle donc une solution équitable par mesure de conciliation en
matière d’expropriation pour l’intérêt public.
259. - Certes, l’effectivité de l’approche du droit chinois trouve sa limite dans la
mesure où la procédure d’expropriation est très peu développée au regard de
l’expérience du droit français. De surcroît, en droit français, « hormis les rares
hypothèses où des textes précis ont spécifié que certaines circonstances clairement
définies justifient le recours à l’expropriation, c’est la jurisprudence qui a dû définir le
contenu de la notion d’utilité publique, laquelle présente, de ce fait, un caractère
casuistique extrêmement marqué »926 . Tel est notamment le cas d’expropriations
poursuivies en vue de l’aménagement et de l’urbanisme où l’appréciation du juge est
déterminante, en s’appuyant sur la théorie de bilan inaugurée par le Conseil d’État927.
925 Cf., Pierre TIFINE, « Expropriation.- Régime général et objet de la procedure », JurisClasseur Administratif, Fasc. 400-10, Cote : 01, 2008 § 20. 926 Ibid., §51. 927 CE, ass., 28 mai 1971, Ministre de l’équipement et du logement c/ Féd. de défense des personnes concernées par le projet actuellement dénommé Ville nouvelle-Est : Rec. CE 1971, p. 409, concl. Braibant ; D. 1972, jurispr. p. 194, note Lemasurier ; RD publ., 1972, p. 454, note M. Waline ; AJDA,
276
Or, en Chine, l’expropriation s’inscrit souvent dans l’ « aménagement sans
concertation » dont « les méthodes sont surprenantes pour les professionnels français
qui savent que les risques d’une erreur de déroulement des procédures de concertation
peuvent peser lourd sur l’économie d’une opération mais qui apprécient les
enrichissements possibles à leurs projets liés à une concertation bien menée »928. Les
lacunes de « la phase administrative » de l’expropriation en droit chinois est d’autant
plus défavorables aux expropriés que le juge joue un rôle minime dans « la phase
judiciaire ». En attendant l’avènement de la loi sur l’expropriation pour l’intérêt public,
l’expropriation arbitraire à la chinoise n’est pas à l’abri des critiques929, surtout en ce
qui concerne le mode injuste de l’indemnisation.
§ 2. – Les exigences relatives à l’indemnisation
260. - Qu’il s’agisse de l’expropriation des terres rurales collectives ou de la
démolition des bâtiments dans des zones urbaines dans l’aménagement urbain ou
l’exploitation commerciale, l’indemnisation inéquitable des expropriés est la cause
principale des manifestations régulières de mécontentement 930 . La révision
constitutionnelle de 2004 proclame le principe selon lequel l’État doit verser les
indemnités en cas d’expropriations et de réquisitions, sans pour autant préciser que
l’indemnisation soit juste et préalable. Le professeur CAI Dingjian rappelle que lors de
la délibération sur le projet de révision constitutionnelle, certains proposaient
d’apporter des améliorations non sans importance sur la formulation de l’article 10,
1971, p. 404, chron. Labetoulle et Cabanes, concl. Braibant ; Rev. adm., 1971, p. 422, concl. Braibant ; JCP G 1971, II, 16873, note Homont ; CJEG, 1972, p. 35, note J. Virole. 928 Michel MICHEAU, « La production accélérée des villes chinoises », Études foncières, n° 130, 2007, p. 12. 929 V., par ex., Philippe PATAUD-CÉLÉRIER, « La Chine en mutation, Shanghaï sans toits ni lois », Le Monde diplomatique, mars 2004. 930 V., Isabelle THIREAU, HUA Linshan, « Introduction », Études rurales, D’une illégitimité à l’autre dans la Chine rurale contemporaine, n° 179, 2007, pp. 9 à 18 ; Valérie LAURANS, « Shanghai : l’argument du confort pour déplacer les résidents urbains », Perspectives chinoises, n° 87, 2004 ; Eva PILS, « Land disputes, rights assertion, and social unrest in China: a case from Sichuan », loc. cit. ; Howard W. FRENCH, « Chongqing Journal : Homeowner Stares Down Wreckers, at Least for a While », New York Times, 27 mars 2007.
277
alinéa 3 et de l’article 13, alinéa 3, en vue d’éviter le malentendu dû au fait que le
critère d’indemnisation ne serait pas encadré par la loi. La proposition fut bien
acceptée et il en résulta que non seulement la compétence et la procédure mais aussi
l’indemnisation furent définies par loi en cas d’expropriation et de réquisition931.
Cependant, la pratique montre que les autorités locales disposent en effet d’une large
marge de manœuvre dans l’interprétation des règles législatives d’indemnisation en
l’absence d’une procédure équitable de négociation avec les expropriés. Outre
l’indemnisation problématique en cas d’expropriation pour l’intérêt public (A),
l’ambiguïté en matière d’indemnisation existe aussi dans d’autres cas où les mesures
privatives ou restrictives portent atteinte au droit de propriété (B). Dans ces derniers
cas, il s’agit souvent de la réquisition d’une part et, d’autre part, de la réglementation
de l’usage des biens.
A. – Les règles d’indemnisation en cas d’expropriation pour l’intérêt
public
261. - La Constitution de 1982, telle qu’elle a été révisée en 2004, prévoit dans deux
articles les règles d’indemnisation en cas d’expropriation qui sont en substance
identiques. Il s’agit d’abord de l’article 10, alinéa 3, qui contient les règles
d’indemnisation applicables à l’expropriation du sol collectif (1); ensuite, de l’article
13, alinéa 3, qui dispose des règles d’indemnisation en cas d’expropriation des biens
privés des citoyens. Par ailleurs, des règles d’indemnisation se sont développées dans
la pratique, notamment dans le domaine de la démolition des bâtiments dans des zones
urbaines (2) auquel s’appliquent les règles d’expropriation des biens privés.
(1). – Les règles d’indemnisation relatives à l’expropriation du sol collectif
262. - Les problèmes actuels des règles d’indemnisation relatives à l’expropriation
du sol collectif sont critiquables pour de multiples raisons (a). Pour mettre en oeuvre
du principe établi par la Constitution de 1982, les réformes vers l’amélioration des 931 CAI Jingjian, Xianfa jingjie (Constitution: An intensive reading), op. cit., p. 198.
278
règles sont indispensables (b).
(a). – Les problèmes actuels
263. - La loi sur l’administration du sol prévoit les règles d’indemnisation en matière
d’expropriation des terres collectives. Toutefois, il ne s’agit pas d’une réparation
intégrale des préjudices directs, matériels et pour certains subis du fait de
l’expropriation telle que prévue en droit français932, mais d’une compensation partielle
à la perte de la valeur des productions résultant de l’expropriation. Selon l’article 47, le
montant de l’indemnité doit en principe correspondre à la valeur des productions des
terrains concernés et être évalué en fonction de la productivité des terres avant
l’expropriation. Par la suite, les autorités locales –qui sont déjà très autonomes par
rapport au gouvernement central en ce qui concerne le financement des projets
d’aménagement territorial, y compris notamment le projet d’expropriation du sol
collectif– sont déléguées le pouvoir d’adopter les règles plus précises pour mettre en
oeuvre ledit principe concernant l’expropriation des champs cultivés, car la plupart des
terres de propriété collective sont destinées à l’exploitation agricole933. Les éléments
qui sont pris en compte dans le calcul du montant de l’indemnité comportent la
compensation sur la perte pécuniaire entraînée par l’interruption de la production
agricole sur les terrains expropriés, le coût financier de la réinstallation des paysans, la
compensation pour la destruction des cultures sur les champs cultivés, ainsi que pour la
démolition des habitations, etc. 934 Les gouvernements d’échelon provincial
déterminent le critère d’indemnisation des terres non cultivées par référence aux règles
d’indemnisation des champs cultivés935. Il faut souligner qu’aux termes de l’article 47
de la loi sur l’administration du sol, l’indemnité ne se calcule pas sur la base de la
932 Jean-Marie AUBY, Pierre BON, Jean-Bernard AUBY, Philippe TERNEYRE, Droit administratif des biens, op. cit., § 682. 933 L’article 47, alinéa 3 de la loi sur l’administration du sol délègue aux provinces, régions autonomes et municipalités relevant directement de l’autorité centrale le pouvoir d’édicter les règles d’indemnisation pour l’expropriation des terres non cultivées, en se référant aux règles d’indemnisation applicables aux champs cultivés telles que proclamées par l’alinéa 2 du même article. 934 V., article 47, alinéa 2 de la loi d’administration du sol. 935 V., article 47, alinéas 3 et 4 de la loi d’administration du sol.
279
valeur réelle des terrains expropriés, car la libre cession des terres collectives est en
principe interdite en droit chinois.
264. - La limite des règles d’indemnisation telles que prévues en droit chinois réside
dans le fait que l’expropriation entraîne la privation des moyens de production,
« menaçant par conséquent la subsistance des paysans » 936 . L’insuffisance de
l’indemnité qui résulte souvent des abus d’expropriation par les gouvernements
locaux937, entraîne « la paupérisation des paysans expropriés »938. Des paysans sont
davantage défavorisés en cas d’expropriation des terres collectives dans la mesure où
ils n’ont pas le titre de propriétaires. En réalité, le droit de propriété sur des terres
collectives est de facto exercé par des entités économiques collectives, à savoir
notamment des villages au nom de leurs membres. Mais ceux-ci n’occupent toutefois
qu’une position très faible dans le système bureaucratique et n’exerce pas d’influence
dans la négociation des indemnités avec les gouvernements locaux939. En outre, dans la
plupart des cas, des villageois n’étaient pas directement indemnisés par les
gouvernements locaux. Ce sont les villages, comme propriétaires des terres collectives,
qui procurent d’abord des indemnités et les distribuent parmi les villageois. Il était
fréquent que « les dirigeants des villages collaboraient avec les membres des
gouvernements locaux en réduisant intentionnellement le montant des indemnités et
par conséquent portaient atteintes aux intérêts des paysans »940. Des paysans, en tant
que membres des entités économiques collectives, n’avaient aucun rôle à jouer dans la
détermination des indemnités. Dans ce contexte, les détenteurs du pouvoir
936 HAN Jun, « Jujiao shidi nongmin (Focalisation sur les paysans sans terres) », Zhongguo gaige (China Reform), 2005, n° 9, p. 64. 937 V., par exemple, HAN Jun, « Zhiyi xingzheng qiangzhixing tudi guoyouhua (Critiques sur les expropriations des terres) », Caijing (Finance), 2004, n° 18 ; LIU Jianping, DAI Dunfeng, « Bieduozou wode maitian : Shandong Qihe quandi yundong de zhongjie (Étude sur l’expropriation illégale des terres au province de Shandong) », Nanfang Zhoumo (Journal Week-end du Sud), 8 janvier 2004. 938 CAO Peizhong, « Zhongguo ‘shidi nanmin’ xianxiang fali toushi he zhidu jiuji (Perspectives of China’s refugee of losing land and system remedy) », Faxue zazhi (Law Science Magzine), 2005, n° 5, p. 40. 939 Peter HO, Institutions in transition: land ownership, property rights, and social conflict in China, op. cit., p.45. 940 YU Guangjun, « Nongmin tudi chengbao jingyingquan de xin falü baozhang (New legal protection for farmers’ right: discussing on reforming the requisition of land in village) », Xingzheng yu fa (Public Administration & Law), n° 8, 2005, pp. 77 à 78.
280
d’expropriation –souvent les autorités locales de district et supérieures– s’approprient
des terres arables collectives, puis les concéder aux promoteurs immobiliers pour
l’usage industriel ou commercial pour pallier les insuffisances des finances locales ou
pour s’enrichir en participant à la spéculation foncière941. Renforcer la garantie des
intérêts des paysans expropriés et élever le critère de l’indemnisation furent des
mesures largement proposées comme prioritaires pour protéger les champs cultivés et
les intérêts des paysans qui les exploitent 942 . Les critiques des pratiques
d’indemnisation injuste et surtout l’ampleur de la diminution des champs cultivés
provoquée par des expropriations abusives ont sensibilisé le gouvernement central943.
Ce dernier a pris des mesures mettant l’accent sur l’indemnisation « à temps et
raisonnable » aux paysans en cas d’expropriation des champs cultivés944. Mais il s’agit
moins de l’élaboration de nouvelles règles que de leur mise en oeuvre. Car, aux termes
de l’article 47, alinéa 6, de la loi sur l’administration du sol, au cas où le niveau de vie
des paysans ne pourrait être maintenu suite à l’expropriation, les gouvernements
locaux d’échelon provincial peuvent décider d’augmenter l’indemnité de réinstallation.
L’article 47, alinéa 7, prévoit qu’en cas particulier, le CAE peut être exonéré
l’obligation de respecter le plafond légal en prenant la décision d’augmenter les
indemnités. L’article 16 de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural réaffirme le
941 ZHOU Feizhou, « Feishuizhi shinian : zhidu jiqi yingxiang (La mise en place d’un double système fiscal depuis dix ans: institutions et ses influences) », Zhongguo shehui kexue (Social Sciences in China), 2006, n° 6, pp. 100 à 116. 942 V., par exemple, ZHANG Qianfan, « Gongzheng buchang yu zhengshouquan de xianfa xianzhi (L’indemnisation juste et la restriction constitutionnelle au prérogative d’expropriation) », loc. cit., QIAO Xinsheng, « Zhengdi buchang xuyao chulihao sige guanxi (L’amélioration du régime d’indemnisation en matière d’expropriations des terres) », Guangming Ribao (Quotidien des Lumières), 23 novembre 2004 ; WU Jianhua, LAI Chaochao, «Sichan zai zhengshou zhengyong zhong de gongfa baozhang jizhi yanjiu (Les garanties du droit de propriété en matière d’expropriations et de réquisitions au regard du droit public) », Zhongguo Faxue (China Legal Science), 2004, n° 6, pp. 48 à 53. 943 V., ZOU Jiahua, « Guanyu tudi guanli fa zhifa jiancha de baogao (Rapport du Comité permanent sur l’examen de l’exécution de la loi d’administration », Quanguo renda changweihui gongbao (Gazette du Comité permanent de l’APN), 2000, n° 5 ; CHANG Xiaohong, « Zhongguo gengdi liushi youhuan (La perte des terres cultivable en Chine) », Caijing (Finance), 2004, n° 8 ; REN Bo, HU Yifan, «Zhengdi zhidu gaige : tianping xiang hefang qingxie (À propos de réforme de l’expropriation des terres) », Caijing (Finance), 20 mars 2004. 944 WEN Jiabao, Rapport d’activités du Gouvernement présenté à la 2e session de la Xe APN en date du 5 mars 2004, disponible sur le site http://www.npc.gov.cn, consulté le 12 janvier 2006.
281
principe selon lequel le foyer a droit à l’indemnisation en cas d’expropriation et de
réquisition des terres collectives faisant l’objet du contrat d’exploitation forfaitaire. La
loi sur les droits réels, quant à elle, prévoit le droit des villageois à la participation sur
la décision relative à la distribution et à l’utilisation des indemnités en cas
d’expropriation du sol soumis au régime d’exploitation forfaitaire945.
(b). – La tendance de réforme vers l’amélioration
265. - La tendance de réforme consiste à assurer le niveau de vie des paysans en cas
d’expropriation des champs cultivés. Selon l’orientation politique du gouvernement
central, l’indemnisation exige non seulement le paiement d’une indemnité en
numéraire mais aussi les mesures de réinstallation des paysans. Le CAE adopta une
décision spéciale selon laquelle les mesures de réinstallation des paysans en cas
d’expropriation des champs cultivés consistèrent à attribuer à des paysans de nouvelles
parcelles de terres cultivables, de fournir des aides en matière d’emploi, de permettre
l’adhésion des paysans au régime de sécurité sociale dont bénéficièrent seuls les
habitants urbains946. Lesdites mesures de réinstallation furent réaffirmées par le CAE
dans son Règlement de migration pour les travaux hydrauliques de Trois Gorges
(Changjiang sanxia gongcheng jianshe yimin tiaoli) adopté en 2001, et par le
Règlement sur l’indemnisation et la réinstallation des foyers dans l’expropriation des
terres labourées pour les grands travaux hydrauliques et d’hydro-électricité adopté en
2006, dont l’objectif fut le maintien et la promotion du niveau de vie des paysans
concernés par les travaux hydrauliques947. Outre l’indemnisation numéraire, furent
prévus par lesdits règlements des mesures de réinstallation des paysans dans d’autres
entités collectives rurales en leur attribuant des terres cultivables ayant la même
productivité; la construction de nouvelles habitations pour reloger les émigrés suite à
l’expropriation des terres ; le changement du statut des paysans à celui des habitants
urbains par la modification de l’enregistrement de la résidence ; l’aide à la réinsertion 945 V., article 42, alinéa 2, l’article 132 et l’article 59 (3) de la loi sur les droits réels. 946 CAE, décision n° 2004 (28) du 21 octobre 2004, disponible sur le site http://www.mlr.gov.cn/pub/gtzyb/zcfg/tdglflfg/t20060112_72080.htm, consultée le 12 janvier 2006. 947 V., article 3 du Règlement sur l’émigration pour les travaux hydrauliques de Trois Gorges.
282
professionnelle des paysans expropriés dans les secteurs économiques urbains948. Ces
mesures ont été largement reprises par l’article 42, alinéa 2 de la loi sur les droits
réels qui énumère les contenus des indemnités telles que l’indemnité à l’usage du sol,
les frais de réinstallation des paysans, l’indemnité à la construction et les cultures sur
les champs expropriés, la somme pour la cotisation de sécurité sociale des paysans
expropriés, ainsi que l’obligation des gouvernements locaux d’assurer la condition de
vie des paysans.
266. - En revanche, à la différence du droit français qui exige l’indemnisation
préalable en cas de privation du droit de propriété, ni la Constitution chinoise ni les
normes législatives chinoises ne prévoient que l’indemnisation doit précéder le
transfert de propriété des terres collectives en cas d’expropriation. La loi sur les droits
réels dispose seulement que le retard et l’amortissement du paiement des indemnités
sont interdits, sans pour autant imposer le paiement des indemnités comme condition
préalable au transfert de propriété949. Cependant, le gouvernement central a veillé à
apporter des solutions adéquates aux problèmes d’indemnisation versées avec retard
portant atteintes aux intérêts des paysans. En vertu de ladite décision du CAE,
l’utilisation par les gouvernements locaux des terres expropriées doit être précédée de
l’attribution des indemnités numéraires et de la réalisation des projets de réinstallation
des paysans. Selon le rapport d’activités du gouvernement en 2005, le CAE avait pris
des mesures par lesquelles « les arriérés d’indemnités d’expropriation de terrains dus
aux paysans [ont] été payés pour l’essentiel »950. Il convient de souligner que si
l’indemnisation injuste résultait de « l’imprécision juridique » du droit de propriété
collective951 ou même de « la pauvreté de droit des paysans »952, la lacune législative
948 Sur la question de la réinsertion professionnelle des paysans et de leurs difficultés dans ce processus, v., par exemple, LI Youmei, « Processus d’émancipation et de production d’action individuelle et collective : étude sur la question paysanne dans l’ouverture et le développement de la nouvelle zone de Pudong dans les années 1990 », in Laurence Roulleau-Berger, GUO Yuhua, LI Peilin, LIU Shiding (sous la dir. de), La nouvelle sociologie chinoise, op. cit., pp 267 à 296. 949 V., article 42, alinéas 2 et 4 de la loi sur les droits réels. 950 WEN Jiabao, Rapport d’activités du Gouvernement présenté à la 3e session de la Xe APN en date du 5 mars 2005, disponible sur le site http://www.10thnpc.org.cn/french/163311.htm, consulté le 12 janvier 2006. 951 Isabelle THIREAU, HUA Linshan, « Introduction », op. cit., p.14 ; v., aussi, WANG Weicai, «Nongcun jinti tudi suoyouquan de tizhi queshi jiqi wanshan (La faiblesse systématique du droit de
283
a été largement comblée par la législation récente. Il se pose donc la question de savoir
comment assurer le respect des normes de droit surtout par les autorités locales qui
sont pourtant « les principaux transgresseurs du droit foncier »953. Ce qui amène le
gouvernement central à renforcer la remise en ordre spécifique, «consistant à résoudre
en priorité les problèmes qui ont suscité de fortes réactions parmi les masses
populaires », parmi lesquels figure « l’expropriation et la réquisition de terres, la
démolition de vieilles maisons, etc.»954.
(2). – Les règles d’indemnisation relatives à la démolition des bâtiments dans des
zones urbaines
267. - Les règles plus détaillées relatives à l’indemnisation en cas de démolitions des
bâtiments dans des zones urbaines ont été adoptées par le règlement du CAE. Ces
règles sont complémentaires à la norme constitutionnelle, dans la mesure où elles
précisent non seulement le contenu des indemnités (a) mais aussi le moyen de la
détermination (b).
(a). – Le contenu des indemnités
268. - En vertu du règlement du CAE, l’indemnisation relative à la démolition des
bâtiments dans des zones urbaines peut prendre deux formes. Il s’agit soit du paiement
des indemnités numéraires soit du relogement des habitants expropriés en leur offrant propriété collective dans les zones rurales et la résolution) », Jingji luntan (Economic Tribune), 2005, n° 18, pp. 98, 99. 952 LIU Xiaoren, « Shidi nongmin quanli pinkun shi tudi weifa gaofa de shencengci dongyin (La pauvreté du droit des paysans expropriés est la cause principale des illégalités flagrantes en matière foncière) », Guangmin ribao (Quotidien des Lumières), 22 janvier 2008. 953 V., reportage de ZHANG Xiaosong, « Jingti difang zhengfu chengwei tudi weifa zhuti (État d’alerte: les gouvernements locaux sont les principaux auteurs de l’illégalité en matière foncière) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/newscenter/2006-06/11/content_4678597.htm, consulté le 12 avril 2008. 954 WEN Jiaobao, Rapport d’activités du gouvernement 2007, présenté le 5 mars 2007 à la 5e session de la Xe APN, disponible sur le site http://french.china.org.cn/archives/lianghui2008/2008-03/19/content_13072142_50.htm, consulté le 12 avril 2008.
284
de nouvelles habitations955. Les indemnités numéraires sont en principe fixées selon la
valeur réelle des bâtiments sur le marché immobilier, en prenant compte des éléments
tels que le site, la surface et l’utilisation des bâtiments, etc. Mais les constructions
illégales ne sont jamais indemnisées en cas de démolition. Les gouvernements locaux
de niveau provincial peuvent adopter les règles d’application du principe
d’indemnisation ainsi prévu par ledit règlement. Mais il faut souligner que le règlement
du CAE néglige la réalité que le droit d’usage des propriétaires portant sur le fonds des
bâtiments démolis est aussi influencé par la démolition et le déplacement des habitants.
Le règlement ne prévoit donc pas l’indemnisation du droit d’usage du sol étatique aux
expropriés. C’est la raison pour laquelle l’indemnisation est systématiquement
insuffisante et, par conséquent, la démolition des bâtiments dans des zones urbaines
peut être en soi considérée injuste956. L’indemnisation du droit d’usage est d’autant
plus nécessaire que les bâtiments faisant l’objet de démolition sont souvent vétustes ou
insalubres, donc peu de valeur à l’égard du courant de marché immobilier. C’est aussi
le motif pour lequel l’aménagement urbain est souvent projeté par les gouvernements
locaux : le vrai intérêt des habitants réside moins en l’immeuble d’habitation qu’en la
valeur du fonds. La loi sur les droits réels affirme sans équivoque l’indemnisation du
droit d’usage du sol en cas d’expropriation957. Certes, en l’état actuel où le prix
immobilier s’envole dans les zones urbaines, les indemnités sont souvent loin d’être
suffisantes pour que les habitants aient le moyen suffisant pour se reloger dans une
nouvelle habitation et, pour la même raison, les « expropriants »958 préfèrent le
paiement des indemnités numéraires au relogement des expropriés959. Car la pénurie du
955 V., article 23 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. 956 V., par ex., LI Rui, « Fangwu chaiqian buchang yu gongmin caichanquan de xianfa baozhang (L’indemnisation en cas de démolition des constructions d’habitation urbaines et la protection constitutionnelle de la propriété privée) », loc. cit.. 957 V., articles 41, 42, 121 de la loi sur les droits réels. 958 À la différence du droit français où les expropriants sont les initiateurs de l’expropriation, l’expression des expropriants en droit chinois désigne ceux qui sont autorisés par le gouvernement local à procéder à la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. Il s’agit généralement de personnes privées, promoteurs fonciers. 959 LEI Tao, « Chengshi chaiqian zhongde liyi chongtu jiqi tiaozheng (Explore on the interest conflict and adjustment of urban demolition) », Beijing shehui kexue (Science sociale of Beijing), 2006, n° 2,
285
fonds disponible pour la construction des logements, notamment dans des villes à forte
densité de population, rend le relogement des anciens propriétaires plus onéreux que
l’indemnisation numéraire. Mais cela soulève encore le problème du relogement qui
s’effectue souvent par le déplacement des habitants vers des zones périphériques de la
ville qui s’avère peu commode et rend la vie quotidienne plus difficile qu’avant la
démolition. C’est la raison pour laquelle le Règlement du CAE prévoit que les
habitants déplacés ont droit à compensation pour la différence de valeur entre
l’immeuble détruit et la nouvelle habitation offerte au nom de relogement960. Mais le
règlement du CAE n’impose pas à l’expropriant l’obligation de relogement961. Dans
l’intérêt des expropriés, le relogement des habitants est de plus en plus sollicité à se
substituer à l’indemnisation numéraire. D’ailleurs, l’indemnisation par le relogement
répond à l’attente légitime des citoyens qui souhaitent profiter de l’amélioration de leur
habitat grâce à l’accélération de l’urbanisme conduit par le gouvernement962. La loi sur
les droits réels précise par son article 42, alinéa 3, que l’expropriant doit assurer les
conditions de logement des habitants concernés par l’expropriation pour but d’intérêt
public, réaffirmant indirectement l’obligation de l’expropriant à reloger les expropriés.
Rappelons qu’à l’origine les habitations actuellement menacées de démolition furent
souvent des allocations versées par l’État à l’époque de l’économie planifiée pour le
bien-être des travailleurs urbains963, mais aussi une sorte de compensation à leurs
salaires qui furent dévalorisés964. Si l’intérêt public exige la démolition des bâtiments
p.46. 960 V., article 23 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. 961 En vertu de l’article 27, alinéa 2 du règlement, le relogement est obligatoire dès que l’immeuble est soumis au contrat de location qui n’est pas résilié au jour de la démolition par l’accord entre le propriétaire et le locataire. C’est donc pour la protection du locataire que le règlement exige l’offre de nouvelles habitations aux anciens propriétaires des immeubles démolis. 962 La création au plus vite d’ « un système de garantie en matière de logement » est devenue l’une des politiques sociales menées par le gouvernement central, V., WEN Jiabao, Rapport d’activités du gouvernement de 2007, loc. cit. 963 V., Valérie LAURANS, « Shanghai : l’argument du confort pour déplacer les résidents urbains », loc. cit. ; Thierry PAIRAULT, « L’affaire de SUN Dawu : Codification des droits réels et microfinance », op. cit., p. 30. 964 MA Congmin, «Qiantian gongyou zhufang zujin gaige youguan wenti (À propos des questions sur la réforme des loyers des habitations de propriété publique)», disponible sur le site
286
dans des zones urbaines avec indemnisation, le relogement des habitants avec
l’amélioration de l’habitat sera en cohérence avec la poursuite du but d’intérêt public.
Par la révision en 2007 de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les
zones urbaines, l’obligation d’assurer de bonnes conditions de relogement a été
dorénavant formellement imposée aux expropriants en cas d’expropriation des
logements urbains.
269. - Outre les indemnités sur les bâtiments démolies, le règlement du CAE prévoit
l’indemnisation pour préjudices causés par la suspension des affaires en cas de
démolition des bâtiments qui ne sont pas uniquement à usage d’habitation. Mais le
Règlement ne dispose que d’une indemnisation « appropriée » sans pour autant
préciser les critères opérationnels965. Les compensations pour le déplacement des
habitants sont également prévues par le règlement du CAE, il s’agit du paiement d’une
somme d’argent –dont les montants sont généralement précisés par les gouvernements
locaux– par l’expropriant aux expropriés ou locataires pour compenser leurs frais et
dépenses encourus par le déménagement et par la réinstallation provisoire avant d’être
définitivement relogés966. Dans la pratique, les montants des compensations payées par
l’expropriant varient en fonction de la « performance » de la vitesse du déménagement
des habitants. Ceux qui abandonnent leurs maisons le plus vite peuvent toucher des
compensations plus intéressantes que ceux qui refusent l’offre de l’expropriant et qui
occupent leurs bâtiments pendant la négociation des indemnités. La flexibilité du
paiement des compensations a été toutefois souvent abusée dans la pratique par
l’expropriant comme une mesure incitative pour accélérer le processus d’évacuation
des terrains occupés.
(b). – La détermination des indemnités
270. - Au regard de la procédure par laquelle l’indemnisation est fixée, le Règlement
http://www.ggj.gov.cn/qgjggzxx/llyj/200501/t20050104_1768.htm, consulté le 12 avril 2008. 965 V., article 33 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. 966 V., article 31 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines.
287
du CAE est d’autant plus critiquable. En effet, en vertu de l’article 13 du Règlement,
les personnes qui sont autorisées à procéder aux démolitions d’une part et d’autre part
les expropriés –les propriétaires, à l’exclusion des locataires des bâtiments faisant
l’objet de la démolition967– peuvent négocier le montant des indemnités par accord
contractuel. Si aucun accord n’est conclu, les administrations compétentes968 peuvent
décider du montant des indemnités. Cette décision peut faire l’objet du contrôle par les
tribunaux populaires locaux. En revanche, le recours juridictionnel contre la décision
des administrations concernant l’indemnisation n’entraîne pas la suspension des
mesures d’exécution du projet de démolition969. Par conséquent, dès lors qu’une
décision administrative est prise sur l’indemnisation –en dépit du fait que celle-ci
pourrait être ultérieurement annulée ou modifiée à l’issue de procédures
juridictionnelles– la procédure de la démolition des bâtiments devient irréversible. Ce
mécanisme de la détermination des indemnités est inéquitable non seulement du fait du
rôle marginal laissé au juge, mais surtout du fait de multiples rôles joués par les
administrations. Celles-ci ont le pouvoir d’autoriser la démolition des bâtiments au
nom du plan d’urbanisme, de décider du montant des indemnités et, surtout, de réaliser
le projet de démolition par mesures d’exécution forcée parfois brutales et abusives970.
En pratique, les autorités locales, comme leurs dirigeants, s’immisçaient
systématiquement dans les procédures de démolition comme « fonctionnaires
entreprenants » 971 . La collaboration entre les promoteurs immobiliers ou les
développeurs fonciers qui sont les vrais maîtres d’ouvrages d’une part et, d’autre part,
les gouvernements locaux qui voulaient tirer de la concession de terrains leurs
principales sources financières était à l’origine des injustices en matière
967 V., article 4 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. 968 En vertu du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines, l’administration compétente à l’échelon national en matière de démolitions et de déplacements est le Ministère de la Construction. Les administrations locales compétentes à l’échelon supérieur des districts ne sont pas précisées. Dans la pratique, il s’agit notamment des bureaux chargés d’urbanisation. 969 V., article 16 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. 970 GUO Guosong, « Jiahe shijian : jiti lanyong xingzhengquan de biaoben (L’affaire de Jiahe : cas typique de l’abus de pouvoir administratif)», Nanfang zhoumo (Journal Week-end du Sud), 8 juillet 2004. 971 Michel MICHEAU, « La production accélérée des villes chinoises », op. cit., p. 7.
288
d’indemnisation. Dans ce contexte, il n’y avait donc pas de « véritables négociations et
encore moins de juste compensation du préjudice, puisque les autorités fixaient
arbitrairement le montant des indemnités ou proposaient des lieux de relogement »972.
Pour que l’utilité de l’indemnisation ne soit pas mise en cause, le consentement des
expropriés doit être plus rigoureusement protégé par les dispositions législatives, tout
en réduisant les pouvoirs exorbitants des autorités locales en matière d’indemnisation.
B. – Les règles d’indemnisation dans les autres cas d’atteinte au droit
de propriété
271. - La Constitution de 1982 n’impose que le principe d’indemnisation en cas de
réquisition des biens, alors que les règles relativement plus précises sont prévues par
différentes lois (1). Certes, ni la Constitution de 1982 ni les textes législatifs ne sont
clairs en ce qui concerne l’indemnisation en cas de la réglementation de l’usage des
biens (2).
(1). – Les règles d’indemnisation relatives à la réquisition
272. - En droit français, la différence entre l’expropriation pour l’utilité publique et
la réquisition est essentielle : la réquisition, ayant pour effet la dépossession définitive
d’un bien ou la perte temporaire de l’usage d’un bien, porte atteinte au droit de
propriété privée, alors que l’indemnisation n’est pas préalable à la prise de
possession973. En droit chinois, la révision constitutionnelle de 2004 n’impose pas de
règles d’indemnisation qui se différencient de celles applicables aux expropriations. En
revanche, les règles législatives en la matière ne sont pas unifiées. Différentes
formulations telles que l’ « indemnisation appropriée » 974 , l’ « indemnisation
972 Ibid, p. 10 ; v., aussi, JIN Jian, Zhongguo zhuzhaifa yanjiu (Housing Law of China), Law Press China, 2004, p. 93; WANG Kewen (et al.), Chengshi chaiqian falü wenti yanjiu (Étude des problèmes juridiques en matière de démolitions et déplacements urbains) », Zhongguo fazhi chuban she, 2007, p. 220. 973 Pascal PLANCHET, « Réquisition de biens.– Exercice du droit de réquisition », op. cit., §§ 4, 20. 974 V., article 45, alinéa 2 de la loi sur la prévention des inondations ; article 38 de la loi sur la
289
raisonnable »975, l’ « indemnisation proportionnée »976 sont utilisées dans les textes
législatifs. Les législations récentes ont toutefois tendance à imposer simplement
l’exigence d’une indemnisation, sans pour autant préciser le caractère. Il en est ainsi de
la loi sur les eaux, modifiée en 2002, qui prévoit l’indemnisation des migrants en cas
de réquisition pour les travaux hydrauliques977, de même que l’indemnisation en cas de
réquisition pour la prévention des maladies contagieuses en vertu de l’article 45 de la
loi sur la prévention des maladies contagieuses modifiée le 28 août 2004. Il est aussi
regrettable que la juste indemnisation n’ait pas été clairement exigée par la
Constitution chinoise en matière de réquisition. Par conséquent, la marge de
manoeuvre est laissée aux autorités administratives. Cette incertitude de
l’indemnisation « constitue donc une menace au droit de propriété des citoyens »978.
Certes, avec l’adoption de la loi sur les droits réels, l’indemnisation en cas de
réquisition n’est exigée que si les biens réquisitionnés sont périmés ou endommagés. Il
semble donc que la réquisition qui n’a pas entraîné la perte des biens ne donne pas lieu
à indemnisation.
(2). – Le problème de l’indemnisation en cas de réglementation de l’usage des biens
273. - La question de savoir si l’indemnisation peut s’appliquer plus largement à la
réglementation de l’usage des biens demeure ouverte en droit chinois. À cet égard, en
droit français, le Conseil constitutionnel s’appuie tantôt sur le principe d’égalité devant
les charges publiques tantôt sur l’article 2 de la Déclaration de 1789 pour dégager
l’exigence d’une indemnisation pour la réglementation de l’usage des biens979. Par la
lecture de l’article 10, alinéa 3 et de l’article 13, alinéa 3, de la Constitution chinoise, il
prévention du séisme ; article 48 de la loi de la défense nationale. 975 V., article 36 de la loi sur les ressources minières. 976 V., article 17 de la loi martiale. 977 V., article 29 de la loi sur les eaux modifiée le 29 août 2002. 978 V., QING Feng, ZHANG Shuihai, « Zhongguo xingzheng buchang zhidu zonglun, lishi, xianzhuang yu fazhan qushi (Étude sur l’indemnisation administrative en droit chinois : histoire, perspective et futur) », Shehui kexue luntan (Tribune of Social Sciences), 2005, n° 9, pp. 23 à 40. 979 V., Jérôme TRÉMEAU, Jérôme TRÉMEAU, « Fondement constitutionnel du droit de la propriété », op. cit., §§122 à 132.
290
semble que l’indemnisation n’est pas exigée en matière de réglementation de l’usage
des biens. En outre, il existe des lois et règlements qui permettent la limitation à
l’usage des biens sans indemnisation. Par exemple, la loi sur les forêts établit le régime
d’autorisation préalable pour l’abattage des bois980; la loi sur la protection des
patrimoines culturels limite les travaux à l’intérieur et à l’entourage des sites protégés
en appliquant un régime d’autorisation préalable981 ; le Règlement du CAE sur la
préservation des zones naturelles impose le principe d’interdiction des exploitations
commerciales et des installations des édifices au sein des zones naturelles protégées982,
etc. Aucune exigence de l’indemnisation n’a été prévue dans les cas susmentionnés qui
constituent toutefois les formes concrètes de la réglementation de l’usage des biens.
Selon la doctrine dominante des juristes chinois, l’indemnisation se distingue de la
compensation au regard de la nature juridique. La première résulte des actes licites de
l’administration, alors que la seconde est une forme de responsabilité imposée aux
auteurs des actes illégaux, qu’il s’agisse des personnes privées ou des administrations.
Les mesures de réglementation de l’usage des biens prises par l’administration étant
licites, la compensation ne s’y applique pas. Mais certaines juristes chinois ont proposé
que pour l’exigence de la protection du droit fondamental de l’homme, le respect au
principe d’équité, ainsi que pour la protection des intérêts des opérateurs économiques
selon la règle de marché, les atteintes aux droits des propriétaires en raison des
mesures limitant l’usage des biens doivent être indemnisables983. Certains juristes
chinois ont d’ailleurs proposé l’élaboration d’une loi spéciale relative à l’indemnisation
des atteintes causées par les actes administratifs984 . Ainsi peut-on croire que la
résolution du problème de l’indemnisation en cas de la réglementation de l’usage des
980 V., article 32 de la loi sur les forêts adoptée le 20 septembre 1984, modifiée le 29 avril 1998. 981 V., articles 17, 18 et 19 de la loi sur la protection des patrimoines culturels adoptée en 19 novembre 1982, modifiée le 28 octobre 2002. 982 V., articles 28, 29 et 32 du règlement sur la préservation des zones naturelles adopté le 9 octobre 1994. 983 V., par ex., ZHANG Peng, « Caichanquan heli xianzhi de jiexian yu woguo gongyong zhengshou zhidu de wanshan (La limitation au droit de propriété et l’amélioration de la procédure d’expropriation et de réquisition en droit chinois) », Fashang Yanjiu (Studies in Law and Business), 2003, n° 4, pp. 80 à 86. 984 V., JIANG Ming’an, « Xingzheng buchang zhidu yanjiu (Étude sur l’indemnisation administrative) », Faxue zazhi (Law Science Magazine), 2001, n° 5, pp. 14 à 17.
291
biens dépend du progrès de la législation.
292
CONCLUSION DU CHAPITRE
274. - L’utilité et la nécessité de la constitutionnalisation du droit de propriété sont
évidentes, quand il s’agit d’un pays qui est en transition vers l’économie de marché,
pour empêcher l’éventuel retour excessif ou arbitraire de l’État dans la vie économique
de la société. Dans les pays dans lesquels les législations civiles et pénales ont déjà une
longue expérience de garantie de la propriété, le problème concerne plutôt l’efficacité
du contentieux constitutionnel985 . Certes, le bon fonctionnement d’un régime de
contrôle constitutionnel qui est la base de la constitutionnalisation du droit chinois986
n’est pas bien garanti. En témoigne le critique sur le caractère peu hiérarchisé du droit
chinois987. Le contrôle de constitutionnalité est d’autant plus important que « ce qui
contribue probablement le plus à éloigner la Chine de l’État de droit est la vacuité de
son droit constitutionnel »988. Un régime de contrôle efficace est nécessaire pour
assurer la compatibilité des dispositions normatives avec les principes constitutionnels
relatifs à la garantie du droit de propriété en cas d’atteintes. Mais l’utilité du contrôle
de constitutionnalité des lois au niveau national par un organe indépendant est
largement réduite dans la mesure où l’APN est l’organe suprême des pouvoirs de l’État.
Il exerce à la fois les pouvoirs de réviser la Constitution et de légiférer. Son Comité
permanent détient le pouvoir d’interpréter la Constitution et de surveiller sa mise en
oeuvre, ce qui pourrait éviter des conflits éventuels entre la Constitution et les lois
nationales, qui sont les oeuvres du même auteur –l’APN et son Comité permanent.
Mais cette hypothèse suppose, d’une part, que les travaux législatifs de l’APN soient
eux-mêmes complets et cohérents et, d’autre part, que les pouvoirs législatifs soient
effectivement contrôlés par l’APN et son Comité permanent. Mais on ne peut que
regretter que ces deux conditions ne soient pas remplies dans la pratique. Ce constat est
985 Yoïchi HIGUCHI, « Rapport général, les garanties de la propriété dans une mutation de la vie économique », in La propriété, journées vietnamienne, T. LIII, 2003, Société de législation comparée, 2006, p. 500. 986 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., pp.565, 566. 987 Stanley LUBMAN, « Looking for law in China », 20 Colum. J. Asian L. 1, p. 29, pp. 34, 36. 988 J. –P. CABESTAN, « Chine: un État de lois sans État de droit », Revue Tiers-Monde, n° 147, 1996, p. 660.
293
aussi vrai pour la garantie du droit de propriété. Tout d’abord, à défaut d’un régime de
contrôle constitutionnel par l’organe indépendant de l’APN et son comité permanent,
les garanties constitutionnelles du droit de propriété ne veillent pas à restreindre la
réglementation excessive de l’usage des biens conduisant à la privation du contenu du
droit de propriété, alors qu’en droit français, dans de nombreuses décisions, le Conseil
constitutionnel s’attache à rechercher l’absence de dénaturation du droit de propriété
qui résulte d’une réglementation excessive de ce droit989. Ensuite, la compétence
législative est largement partagée par le CAE à cause de la délégation du pouvoir
législatif à la « carte blanche » 990 , encore renforcée par la « législation
administrative »991 pour désigner le phénomène que l’autorité administrative adopte
des règles normatives au nom de l’interprétation des règles législatives. Le pouvoir
législatif de l’APN est de plus partagé par les autorités locales, ce qui rend difficile
l’ « harmonisation des législations locale et nationale »992 et conduit les conflits
omniprésents entre lois nationales et lois locales. Ce qui reflète en effet la formation du
« fédéralisme de facto dans la relation entre l’État central et les autorités locales»993.
Tous illustrent « l’écart profond entre le système juridique chinois et celui de la
plupart des pays démocratiques libéraux »994. Par exemple, en France, soumettre le
législateur au respect de la Constitution est «l’affirmation fondamentale de la plénitude
de la réalisation de l’État de droit » 995 , tandis qu’en Chine, la difficulté de
l’assujettissement du législateur consiste avant tout en la fragmentation du pouvoir
normatif dont la mise en ordre doit être le premier objectif du contrôle qui se heurte
989 V., CC, n° 84-172 DC du 26 juillet 1984, Structure des exploitations agricoles ; CC, déc. n° 89-254 DC, 4 juill. 1989, Modalités d’application des privatisations ; CC, déc. n° 90-287 DC du 16 janvier 1991, Santé publique et assurance sociale ; CC, déc. n° 2000-436 DC, 7 déc. 2000, Loi SRU ; aussi CC, déc. n° 2000-434 DC, Loi sur la chasse. 990 M. DOWDLE, « The constitutional development and operations of the National People’s Congress », Columbia Journal of Asian Law, Vol. 11, 1998, p.85. 991 Stanley LUBMAN, Bird in a Cage: Legal Reform in China after Mao, op. cit., pp.144, 145. 992 ZOU Keyuan, « La difficile harmonisation des législations locale et nationale », op. cit., p.44. 993 V., ZHENG Yongnian, De facto federalism in China: Reforms and dynamics of central-local relations, Singapore and London: World Scientific Publishing, 2007. 994 Perry KELLER, « The National People’s Congress and the making of national law », op. cit., p.79. 995 Louis FAVOREU, Loïc PHILIP, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 10e éd., Dalloz, 1999, p. 483.
294
toutefois à l’obstacle politique996. Mais le dynamisme pour surmonter cet obstacle ne
manque pas. En effet, le mot d’ordre en Chine n’est pas celui du droit constitutionnel
français « la remise en cause du droit de propriété par les droits justifiés par l’intérêt
général »997, mais « assurer la protection efficace des intérêts vitaux du peuple en cas
d’expropriation »998. La croissance de la conscience du droit des citoyens chinois, qui
s’accompagne de l’augmentation des recours juridictionnels, des protestations contre
l’abus de pouvoir, ainsi que de la revendication des droits, peut accélérer le processus
de la transformation du droit chinois vers l’avènement d’un mécanisme de contrôle
garantissant le respect de la Constitution par tous les pouvoirs. 996 Un Comité de supervision législative selon le modèle du comité constitutionnel a été conçu lors de l’élaboration de la loi sur l’élaboration des normes juridiques de 2000, mais cette initiative n’a pas été acceptée par la loi promulguée. V., LI Buyun, « Explanations on the proposed law on law-making of the People’s Republic of China », in J. M. OTTO (et al.), Law-making in the People’s Republic of China, op. cit., p.173. 997 Michel FONTAINE (et al.), Notions fondamentales de droit, Foucher, 2006, 5e éd, pp. 110. 998 WANG Zhaoguo, « Guanyu wuquanfa caoan de shuoming (Explications sur le projet de loi sur les droits réels) », loc. cit.
295
CHAPITRE II. – LA MISE EN ŒUVRE DES GARANTIES JURIDIQUES DU
DROIT DE PROPRIÉTÉ
275. - En droit français, le juge apparaît comme l’instrument le plus efficace de la
protection des libertés publiques face aux abus de l’administration ; les atteintes aux
libertés commises par l’Exécutif peuvent donner lieu à différents recours, devant les
différents juges999. En ce qui concerne la protection du droit de propriété, il existe une
convergence entre la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel : la Déclaration
des droits de l’homme de 1789 et l’article 544 du Code civil ont sans doute utilisé une
formulation volontairement maximaliste, par réaction aux atteintes portées à la
propriété1000. Selon la doctrine majoritaire en droit français, la définition du droit
fondamental repose avant tout sur le rang normatif et sur l’existence d’un contrôle
juridictionnel pour assurer la justiciabilité des droits ainsi reconnus1001. La référence
aux droits fondamentaux appelle et légitime en même temps l’accroissement du rôle du
juge et la multiplication des garanties de procédure au point que la garantie
juridictionnelle est consacrée comme un instrument de définition des droits
fondamentaux1002 . D’ailleurs, la mise en place d’un mécanisme de référé-liberté
fondamentale par la loi du 30 juin 2000 (article L. 521-2 du Code de justice
administrative) représente une accélération considérable dans l’exercice par le juge
administratif d’un contrôle de constitutionnalité1003 qui renforce la garantie du droit de
999 Claude-Albert COLLIARD, Roseline LETTERON, Libertés publiques, 8e éd., Dalloz, 2005, §175. 1000 V., Yves GUYON, « Le droit de propriété devant la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel », in La Cour de cassation et la Constitution de la République, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, pp. 180, 181 ; Anne-Françoise ZATTARA, La dimension constitutionnelle et européenne du droit de propriété, LGDJ, 2001. V., aussi, Cass. 1re civ., 4 janv. 1995, n° 92-20.013: Bull. civ. 1995, I, n° 4. 1001 V., notamment, François TERRÉ, « Sur la notion de libertés et droits fondamentaux », in Rémy CABRIALLC, Marie-Anne FRISON-ROCHE, Thierry REVET (sous la dir. de), Libertés et droits fondamentaux, 14e éd., 2008, pp. 3 à 6 ; Louis FAVOREU, Patrick GAÏA, Richard GHEVONTIAN (et al.), Droit des libertés fondamentales, 4e éd., Dalloz, 2007; Bertrand MATHIEU, Michel VERPEAUX, Contentieux constitutionnel et des droits fondamentaux, LGDJ, 2002, pp. 10 à 12. 1002 Marie-Joëlle REDOR, « Garantie juridictionnelle et droit fondamentaux », C. R. D. F., n° 1, 2002, pp. 95 et s. 1003 L. FAVOREU, « La notion de liberté fondamentale devant le juge administratif des référés », D, 2001, pp. 1739 et s. V., aussi, Marie-Joëlle REDOR, « Garantie juridictionnelle et droits fondamentaux », op. cit., pp. 94, 95.
296
propriété. Car « la propriété, qui est une forme de liberté, bénéficie naturellement aussi
de ce référé »1004. La protection de la propriété comme droit fondamental exige donc
« la promotion du juge » qui est le garant de la réalisation de l’État de droit et en même
temps le gardien des droits fondamentaux1005.
276. - Au regard de l’expérience du droit français, établir la garantie particulière des
droits fondamentaux n’est pas encore envisagé en droit chinois. Pourtant, la
revendication des victimes qui subissent des atteintes au droit de propriété appelle le
juge à jouer ce rôle. L’effectivité des recours juridictionnels qui ont vocation à assurer
le respect des normes de garanties dépend toutefois de la compétence et des pouvoirs
du juge dans le traitement des litiges. Quant à la Chine, la pleine réalisation du rôle du
juge comme « gardien»1006 du droit de propriété repose sur l’abolition de l’approche
instrumentaliste du droit chinois qui insistait « beaucoup plus sur la mise en place de
lois, de règles formelles, que sur leur application et leur contrôle par des institutions
judiciaires notamment par des tribunaux indépendants »1007. Alors que l’approche
instrumentaliste du droit chinois n’est pas encore totalement marginalisée, de nouveaux
dynamismes peuvent pousser l’avancement du droit chinois vers son effectivité. À cet
égard, il faut en outre constater le recours au rapport de force dans la pratique qui est
devenu complément des recours juridictionnels quand ces derniers n’ont pas pu
répondre à l’attente des citoyens. Ce qui revient à mettre le gouvernement en jeu dans
la mise en oeuvre des garanties juridiques du droit de propriété. Car le gouvernement
1004 Bernard PACTEAU, Contentieux administratif, PUF, 2002, p. 324 ; v., aussi, François BRENET, « La notion de liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 CJA », Revue du droit public, n° 6, 2003, pp. 1536 à 1579. 1005 Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, Hélène GAUDIN, Jean-Pierre MARGUÉNAUD, Stéphane RIALS, Frédéric SUDRE (sous la dir. de), Dictionnaire des Droits de l’Homme, PUF, 2008, p. 284. 1006 En droit français, aucun élément du bloc de constitutionnalité n’établit de lien entre le droit de propriété et le juge judiciaire. Aussi était-il tentant d’utiliser l’article 66 de la Constitution (aux termes duquel l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle) pour opérer ce rapprochement. Cette argumentation s’est heurtée à une fin de non recevoir dans la décision du Conseil constitutionnel 85-189 DC du 17 juillet 1985, Principes d’aménagement, considérant n° 3. Mais, en droit chinois, il n’existe pas la dualité des juridictions ; par conséquent, il y n’a pas lieu de procéder à la répartition des compétences entre juge judiciaire et juge administratif 1007 Jean-Pierre CABESTAN, « Le contexte juridique chinois : évolutions institutionnelles et législatives », in L’actualité du droit chinois des affaires, colloques du 14 novembre 2003, Société de législation comparée, 2004, p.15.
297
central joue toujours « les pompiers en trouvant l’argent nécessaire et l’autorité
indispensable pour mettre fin aux conflits sociaux les plus pressants »1008. La quête de
la croissance économique et surtout de l’urbanisation a conduit à l’expropriation et à la
réquisition des terres cultivables et de l’immobilier urbain en méconnaissant de
manière flagrante les droits et intérêts légaux des propriétaires ou des titulaires du droit
d’usages des terres1009. Le gouvernement central, qui considère la stabilité sociale
comme la priorité de toutes ses politiques, est ainsi tenu de réduire la tension sociale
résultant des conflits fonciers en conciliant les intérêts des gouvernements locaux, ceux
des élites « entreprenariales » et ceux des citoyens1010. C’est ainsi que s’amorcent des
améliorations ponctuelles de la mise en oeuvre des garanties juridiques qui redressent
les atteintes au droit de propriété. En outre, l’autorité administrative s’avère également
prédominante à l’égard de la propriété publique dont la protection et la gestion
s’appuient essentiellement sur des mesures administratives qui ne sont pourtant pas
véritablement assujetties au contrôle juridictionnel effectif. Il en résulte que la mise en
oeuvre des garanties juridiques du droit de propriété se caractérise donc par le
contraste entre d’une part le très faible rôle des organes juridictionnels (SECTION I) et
d’autre part la prédominance de l’autorité administrative (SECTION II). Ce qui
représente néanmoins une vraie menace pour la protection de la propriété.
SECTION I. – LE ROLE DES ORGANES JURIDICTIONNELS DANS LA
MISE EN OEUVRE DES GARANTIES JURIDIQUES DU DROIT DE
PROPRIÉTÉ
277. - La mise en oeuvre des normes de garantie du droit par voie juridictionnelle
repose sur la puissance de juger qui elle-même suppose l’indépendance judiciaire, ainsi
1008 Jean-Louis ROCCA, « Le capitalisme chinois ou les paradoxes du flou », Pouvoirs, n° 81, 1997, p. 28. 1009 V., reportage de l’Agence de presse Xinhua, « La Chine renforce l’administration des terres pour lutter contre le surchauffe économique », disponible sur le site http://french.china.org.cn/french/253761.htm, consulté le 16 août 2006. 1010 Pamela N. PHAN, « Enriching the land or the political elite? Lessons from China on democratization of the urban renewal process », 14 Pac. Rim. L. & Pol’y J. 607, pp. 607 et s.
298
que l’effectivité de l’appareil à l’intérieur duquel les juges officient1011. En droit
français, l’indépendance de l’autorité judiciaire est garantie par la Constitution et
consolidée par des décisions du Conseil constitutionnel. D’ailleurs, « on distingue en
fait deux applications possibles du principe d’indépendance, l’une générale au corps
judiciaire et à ceux qui y sont assimilés et qui s’attache au statut, l’autre concernant
plus précisément les juges et qui se rapporte à l’exercice des fonctions »1012. Certes, le
droit chinois n’a pas reconnu le principe d’indépendance des juges1013. Quant au statut
juridique des organes juridictionnels par rapport à d’autres organes étatiques, la
Constitution chinoise dispose que « les tribunaux populaires procèdent de façon
indépendante, conformément aux dispositions de la loi, et ne souffrent aucune
ingérence des organes administratifs, des groupements sociaux ou des individus »1014.
Il s’agit de proclamer simplement la fonction indépendante des organes juridictionnels.
Or, même cette indépendance très réduite de la fonction des juges n’est pas
sérieusement garantie dans la pratique. Parmi les organes étatiques, il est désormais
admis que l’APN et les assemblées populaires ne doivent pas intervenir dans la
fonction judiciaire1015. Certes, l’autonomie du juge se heurte systématiquement à la
coordination politico-administrative qui exige des tribunaux à « s’en tenir au sens
politique correct »1016. Dans le contexte où les instances juridictionnelles s’immiscent
dans les «institutions bureaucratiques » et même en font la composante1017, la marge
de manoeuvre du juge est cantonnée dans les recherches de la conciliation entre la
revendication des droits des citoyens d’un côté et de l’autre l’emprise des politiques
1011 Raymond MARTIN, « Les cheminements des pourvois judiciaires depuis 1789 », RTDciv., 2004, pp. 251 à 259. 1012 Guy CANIVET, « Le juge judiciaire dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », in Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 16, 2004, p. 128. 1013 LUO Wei, The civil procedure law and court rules of the People’s Republic of China, New York: W. S. Hein, 2006, p. 6. 1014 V., article 126 de la Constitution de 1982. 1015 V., WU Bangguo, « Discours devant la première session du Comité permanent du XIème APN en date du 19 mars 2008 », Qiushi, 2008, n° 8, p.4. 1016 LUO Shuzhen, « Jianchizou zhongguo tese shehuizhuyi daolu budongyao : Dafaguan taolun HU Jintao jianghua shilu (Poursuivre sans faille dans la voie de socialisme à la chinoise : compte rendu sur les discussions des juges sur le rapport de HU Jintao)», disponible sur le site http://www.court.gov.cn/news/bulletin/activity/200712270005.htm, consulté le 16 avril 2008. 1017 Stanley LUBMAN, Bird in a cage: legal reform in China after Mao, op. cit., p.295.
299
gouvernementales, en s’efforçant de minimiser la tension suscitée par le recours au
rapport de force. Car maintenir la stabilité sociale est souvent considéré comme la
mission importante des organes juridictionnels « pour le peuple »1018. L’examen de la
compétence (Sous-section 1) et des pouvoirs (Sous-section 2) du juge en matière de
protection de la propriété confirme cette observation sur la position difficile des juges
chinois.
Sous-section 1. – La compétence du juge
278. - En vertu de la loi sur les droits réels, la conciliation, la médiation, l’arbitrage
et le contentieux juridictionnel sont les voies de recours que le titulaire peut emprunter
en cas d’atteinte au droit de propriété1019. La compétence du juge chinois pour
connaître des contentieux relevant du droit de propriété est précisée aussi bien par la
loi que par certaines interprétations judiciaires (sifa jieshi) rendues par la Cour
populaire suprême qui sont généralement considérées comme ayant valeur
législative1020. Tandis que le droit chinois ne connaît pas la répartition des compétences
entre juge judiciaire et juge administratif comme en droit français, il existe cependant
des différences entre contentieux civil (§ 1) et contentieux administratif (§ 2) dans un
même corps juridictionnel. À l’heure actuelle, la compétence du juge chinois dans
l’interprétation des règles de droit à travers des contentieux n’a pas abouti au contrôle
de constitutionnalité des règles de droit, comme le judicial review en droit des
États-Unis.
§ 1. – La compétence du juge dans le contentieux civil relatif au droit de
propriété
1018 XIN Chunying, Chinese courts: history and transition, Law Press China, 2004, p. 178. 1019 V., article 32 de la loi sur les droits réels. 1020 CHEN Jianfu, « Unanswered questions and unresolved issues: comments on the law of law-making », in J. M. OTTO (et al.), Law-making in the People’s Republic of China, op. cit., p.250.
300
279. - Dans le contentieux civil, le juge chinois est compétent pour trancher les
contentieux entre les parties comme « sujets égaux en droit civil »1021. L’entrée en
vigueur de la loi sur les droits réels, qui s’accompagne de l’augmentation des litiges
devant les tribunaux, a conduit la Cour populaire suprême à renouveler son règlement
intérieur relatif à la catégorisation des objets du litige en matière civile1022. Dans le
règlement intérieur sur les objets du litige, qui s’applique depuis le 1er avril 2008, est
inséré une troisième partie qui précise les objets du litige en droit des biens qui se
répartissent en six groupes. Il s’agit des litiges portant sur l’enregistrement des biens
immobiliers, sur la protection des droits réels, sur le droit de propriété, sur les droits
d’usufruit, des litiges portant sur les sûretés et sur la possession. Il en résulte que les
règles pour réaliser le droit au juge sont plus claires qu’auparavant. Cette amélioration
est d’autant plus importante que l’une des parties au contentieux appartient au groupe
« des personnes vulnérables ». En témoignent des usufruitiers qui sont souvent les
victimes de la violation du contrat de concession du droit d’usage du sol étatique ou
celle du contrat d’exploitation forfaitaire du sol rural. Comme l’ancien président de la
Cour populaire suprême XIAO Yang l’a révélé, l’amélioration du traitement des
contentieux civils relatifs au droit d’usage du sol étatique (A) et au droit d’exploitation
forfaitaire du sol rural (B) a été considérée comme l’une des priorités des activités des
tribunaux chinois1023.
A. – La compétence du juge dans le contentieux civil relatif au droit
d’usage du sol étatique
1021 V., article 8 de la loi de procédure civile. 1022 V., Cour populaire suprême, Avis sur la publication du règlement sur l’objet du litige (Guanyu yinfa minshi anjian anyou guiding de tongzhi), 4 février 2004, disponible sur le site http://www.court.gov.cn/lawdata/explain/civilcation/200803030002.htm, consulté le 16 avril 2008. 1023 XIAO Yang, Rapport d’activités de 2005 de la Cour populaire suprême, présenté devant la 4e session plénière de la Xe APN, disponible sur le site http://www.npc.gov.cn/dbdh/common/zw.jsp?label=WXZLK&id=347871&pdmc=zxbd, consulté le 19 mars 2006.
301
280. - À défaut de règles législatives précises, la Cour populaire suprême a affirmé
ses compétences juridictionnelles par l’avis d’interprétation judiciaire1024 en ce qui
concerne le contentieux portant sur la validité ou la résiliation du contrat de concession
du droit d’usage du sol étatique. L’objectif de cet avis d’interprétation judiciaire
consiste à réduire la suppression arbitraire du droit d’usage du sol de la part des
autorités locales par le contrôle juridictionnel. Car, selon ledit avis d’interprétation, le
contrat de concession ne peut devenir caduc qu’en vertu de la décision du juge à l’issue
du contentieux. Il en résulte également que le titulaire du droit d’usage a le droit d’être
entendu par un juge en cas de violation du contrat de concession par des autorités
locales lui portant atteinte. Outre des règles procédurales, l’avis d’interprétation
judiciaire susmentionné prévoit les règles substantielles qui précisent les causes pour
lesquelles le contrat de concession peut être déclaré invalide. Il s’agit, outre les causes
de nullité du contrant de droit commun, des cas où les autorités locales ont outrepassé
leur compétence dans l’établissement du contrat de concession ou la prime de
concession est inférieure au plancher défini par la loi1025. Le juge peut également
décider la résiliation du contrat à la demande des autorités locales comme
concédant, lorsque le concessionnaire modifie l’usage des terres sans l’accord
préalable du concédant1026. Il faut souligner que le juge veille également à ce que
soient protégés les intérêts de la partie privée du contrat de concession. Car, à la
demande du concessionnaire –titulaire du droit d’usage– le contrat de concession peut
être résilié au cas où la partie de l’autorité locale refuserait de remplir ses obligations
contractuelles 1027 . Dans un cas comme dans l’autre, l’exécution du contrat de
concession du droit d’usage du sol est soumise au contrôle juridictionnel.
L’intervention du juge peut assurer, par son jugement impartial, l’équité entre les deux
parties du contrat. Le recours juridictionnel peut être utilisé par les concessionnaires
pour défendre leurs droits, alors que comme personnes privées ils ont une faible
position contractuelle par rapport à celle des autorités locales dans l’exécution du
contrat de concession. 1024 Cour populaire suprême, Avis d’interprétation n° 5 (2005), 18 juin 2005. 1025 V., articles 2 et 3 de l’avis d’interprétation de la Cour populaire suprême, n° 5 (2005). 1026 V., article 6 de l’avis d’interprétation de la Cour populaire suprême, n° 5 (2005). 1027 V., article 4 de l’avis d’interprétation de la Cour populaire suprême, n° 5 (2005).
302
B. – La compétence du juge dans le contentieux civil relatif au droit
d’exploitation forfaire du sol rural
281. - Quant au contrat d’exploitation forfaitaire du sol rural, la Cour populaire
suprême a adopté un autre avis d’interprétation judiciaire en donnant les indications
plus précises pour résoudre les conflits relevant de l’exploitation forfaitaire du sol
rural1028. En effet, par l’avis d’interprétation judiciaire n° 6 (2005), la Cour populaire
suprême affirme que les tribunaux locaux de différents échelons sont compétents pour
traiter des contentieux civils relatifs à l’exercice du droit d’exploitation forfaitaire du
sol rural, ceux issus de l’exécution du contrat d’exploitation forfaitaire, ceux dans
lesquels le droit d’exploitation forfaitaire du sol a subi des atteintes à cause tous
d’autres actes illégaux. En pratique, les tribunaux locaux admettent les litiges qui
portent par exemple sur le transfert du droit d’exploitation forfaitaire du sol rural, la
distribution des indemnités parmi les membres de la collectivité concernés par les
mesures d’expropriation des terres collectives, ainsi que sur succession du droit
d’exploitation forfaitaire du sol, etc. Dans tous les cas, ce sont souvent les paysans qui
font grief des actes illégaux des entités économiques collectives dont ils sont membres.
L’intervention du juge peut avoir pour effet de réduire la possibilité de l’abus de
pouvoir par ces entités collectives dans l’administration et la gestion des terres
collectives. Par exemple, la suppression du droit d’usage par la résiliation unilatérale
du contrat forfaitaire sans cause justificative peut faire l’objet du contrôle
juridictionnel par voie de contentieux civil dès lors que les paysans dont les droits et
intérêts sont endommagés portent plaintes devant les tribunaux locaux.
282. - Néanmoins, la Cour populaire suprême s’abstient d’affirmer la compétence
juridictionnelle sur les contentieux liés à l’attribution du droit d’exploitation forfaitaire
du sol rural en vertu de la loi applicable1029. C’est-à-dire que les conflits entre les
collectivités locales d’une part et d’autre part leurs membres en ce qui concerne
l’attribution des terrains soumis au contrat d’exploitation forfaitaire ne constituent pas
1028 Cour populaire suprême, Avis d’interprétation n° 6 (2005), 29 juillet 2005. 1029 V., article 1, alinéa 2 de l’avis d’interprétation, n° 6 (2005).
303
de contentieux civils admissibles devant les tribunaux. Selon l’avis d’interprétation de
la Cour populaire suprême, les affaires de ce genre devraient être d’abord traitées par
les gouvernements locaux compétents auxquels sont soumises les collectivités locales.
En amont, ce sont généralement les gouvernements locaux d’échelon de base qui
contrôlent, par voie administrative, la légalité et l’opportunité de l’attribution du droit
d’exploitation forfaitaire du sol rural par la collectivité locale. Au cas où les membres
d’une collectivité locale contesteraient la légalité de la décision du gouvernement local
qui contient son appréciation sur l’attribution des terres faite par ladite collectivité
locale, ils peuvent avoir recours devant les tribunaux compétents par voie de
contentieux administratif, car c’est l’acte administratif du gouvernement local qui
serait mis en cause. Ainsi, le droit des paysans à l’exploitation forfaire du sol rural
échappe au contentieux civil, mais peut être garanti à travers le contentieux
administratif.
Certes, il faut souligner qu’en vertu du règlement intérieur sur les objets du litige
qui s’applique depuis le 1er avril 2008, toutes les atteintes aux droits et intérêts des
membres de la collectivité sont considérées comme l’objet du contentieux civil. Il
semble donc que le juge peut désormais exercer un contrôle juridictionnel sur
l’attribution des terres collectives qui s’effectue dans le cadre de l’établissement du
contrat d’exploitation forfaitaire. Car, il n’y a guère doute que l’attribution du droit
d’exploitation forfaitaire soit dans les droits et intérêts des membres de la collectivité.
Par conséquent, on peut en déduire qu’est recevable le litige intenté par des paysans
membres à l’encontre de la collectivité à laquelle ils appartiennent concernant
l’attribution du droit d’exploitation forfaire du sol rural. À cet égard, l’avis
d’interprétation de la Cour populaire suprême semble avoir été modifié par le
règlement intérieur de 2008. Ce dernier est plus favorable aux paysans membres de la
collectivité dans la mesure où le recours à l’organe administratif supérieur n’est plus la
condition préalable obligatoire à l’action en justice, par conséquent, les paysans
peuvent être plus facilement entendus par le juge.
283. - Or, il est regrettable que l’avis d’interprétation de la Cour populaire suprême
limite la compétence du juge en matière d’indemnisation en cas d’expropriation des
terres collectives. Selon ledit avis d’interprétation judiciaire, doit être jugé irrecevable
304
l’action intentée par les membres de la collectivité qui contestent le montant de
l’indemnisation au droit d’usage du sol en cas d’expropriation1030. Cette limitation peut
s’expliquer par la modalité de l’indemnisation établie par la loi sur l’administration du
sol. En effet, c’est la collectivité locale en tant que représentant de ses membres qui
reçoit directement les indemnités fixées dans la décision de l’autorité locale, ensuite,
les distribue parmi ses membres. Ces derniers n’ont pas le droit de contester la décision
de l’autorité locale en matière d’indemnisation puisque la propriété du sol collectif est
exercée non pas directement par les membres eux-mêmes mais par la collectivité qui
est, elle-même, l’expropriée de jure. Il faut toutefois souligner que la limitation à la
recevabilité de l’action intentée par les paysans ayant pour objet de contester
l’indemnisation injuste n’est plus légale avec l’entrée en vigueur de la loi sur les droits
réels, car l’article 42 de celle-ci prévoit sans équivoque le droit à l’indemnisation des
membres de collectivité en cas d’expropriation du sol collectif. Cette nouvelle
disposition établie par la loi sur les droits réels a pour effet de modifier la procédure
d’indemnisation prévue par la loi sur l’administration du sol, dans la mesure où la loi
sur les droits réels reconnaît désormais aux paysans le droit d’obtenir directement des
indemnités, tout en supprimant l’intermédiaire de la collectivité locale à laquelle
appartiennent les paysans membres. Pour que l’apport de la loi sur les droits réels soit
pleinement pris en compte dans la pratique judiciaire, l’avis d’interprétation
susmentionné de la Cour populaire doit être abrogé ou modifié, puisqu’il est en
contradiction avec la disposition de la loi sur les droits réels. En résumé, si le juge n’est
pas compétent pour trancher le litige en matière d’indemnisation par contentieux civil,
ce litige doit être recevable par voie de contentieux administratif.
§ 2. – La compétence du juge dans le contentieux administratif relatif au
droit de propriété
284. - Le contentieux administratif a pour objectif de protéger les citoyens contre
l’abus de pouvoir administratif et de contrôler la légalité des actes administratifs1031.
1030 V., article 1, alinéa 3 de l’avis d’interprétation n° 6 (2005). 1031 V., article 1er de la loi sur le contentieux administratif.
305
La fonction du contentieux administratif en matière de droit de propriété est d’autant
plus importante que le civiliste chinois considère que l’exclusivité du droit de
propriété « appelle la démarcation entre droit privé et droit public »1032. L’impact du
droit administratif sur le droit des biens a été bien reconnu par les juristes chinois. Le
professeur YING Songnian a constaté que « le pouvoir administratif intervient par
divers moyens dans l’ensemble des mécanismes du droit des biens relatifs à
l’acquisition, à la modification, à la mutation et à l’extinction des biens »1033, et qu’il
est nécessaire de procéder à un « recensement des matières de droit administratif dans
la loi sur les droits réels»1034 afin que la protection du droit de propriété en droit privé
soit complétée par le droit public1035.
285. - Certes, la loi sur le contentieux administratif, qui est la source principale du
droit administratif en Chine, ne reconnaît pas au juge la compétence universelle à
l’égard du contrôle judiciaire des actes administratifs. En matière de droit de propriété,
il faut souligner qu’en dépit de l’affirmation de la compétence du juge (A), la
limitation de celle-ci (B) est imposée non seulement par les règles générales
applicables au contentieux administratif, mais aussi par les règles spéciales concernant
les recours juridictionnels en cas d’atteinte au droit de propriété résultant des actes
illégaux de l’administration. L’effectivité de la protection du droit de propriété exige
donc l’élargissement de la compétence juridictionnelle en matière de contentieux
administratif.
A. – L’affirmation de la compétence du juge dans le contentieux
administratif relevant du droit de propriété
1032 LIANG Huixing, « Zhiding he shishi wuquanfa yiyi zhongda (L’importance de l’élaboration et de la mise en oeuvre de la loi sur les droits réels)», Journal de la Cour populaire (Renmin fayuanbao), 5 avril 2007. 1033 YING Songnian, « Xingzhengquan yu wuquan zhi guanxi yanjiu (Étude sur la relation entre le pouvoir administratif et le droit des biens) », Zhongguo faxue (China Legal Science), n°5, 2007, p. 66. 1034 JIANG Bixin, LIANG Fengyun, « Wuquanfa zhong de ruogan xingwhengfa wenti (Les matières de droit administratif dans la loi sur les droits réels)», Zhongguo faxue (China Legal Science), n°3, 2007, pp. 138 et s. 1035 YING Songnian, « Xingzhengquan yu wuquan zhi guanxi yanjiu (Étude sur la relation entre le pouvoir administratif et le droit des biens) », loc.cit., p.72.
306
286. - Le juge est compétent pour contrôler la légalité de certains actes
administratifs en vertu de la loi sur le contentieux administratif, entrée en vigueur le 1er
octobre 1990. L’article 11 de la loi de 1990 énumère les cas dans lesquels les
administrés peuvent intenter une action en cas de litige pour illégalité des décisions
administratives. Pour ce qui relève du droit des biens, il faut notamment souligner les
décisions administratives relatives à la confiscation des biens et à la limitation de
l’usage des biens tels que le gel, la saisie de biens1036. Il est également prévu que le
juge est compétent pour traiter le contentieux administratif contre le manquement de
l’administration à remplir ses fonctions de protection des biens des citoyens1037. De
manière plus générale, l’article 11 de la loi sur le contentieux administratif dispose que
le juge est compétent à traiter les litiges concernant les actes administratifs portant
atteinte à d’autres droits patrimoniaux des citoyens1038. Par la loi sur le contentieux
administratif, il est de principe que le juge puisse intervenir dans les litiges où les biens
des citoyens sont mis en cause par l’administration.
287. - La loi sur la révision administrative, entrée en vigueur depuis 1999, précise
davantage les actes de l’administration qui peuvent être révisés par l’autorité
compétente de hiérarchie supérieure dont la décision peut elle-même faire l’objet du
contentieux administratif1039. Parmi les actes de l’administration qui peuvent faire
l’objet de révision administrative, relayé par le contrôle juridictionnel, figurent ceux
qui relèvent du droit de propriété. Ainsi, l’article 6 de ladite loi prévoit que la
confiscation des biens et revenus, les mesures d’exécution prises par l’administration
telles que la saisie de biens et le gel de capitaux, ainsi que la décision administrative
confirmant la propriété ou le droit d’usage du sol et des ressources naturelles, peuvent
faire l’objet de révision. Il est également prévu par l’article 6 de la loi sur la révision
administrative que les individus, les personnes morales et d’autres organisations
sociales peuvent également contester l’illégalité des actes de l’administration portant
atteinte aux droits patrimoniaux en raison de la résiliation ou de la modification
1036 V., article 11, alinéa 1, paragraphes 1 et 2 de la loi sur le contentieux administratif. 1037 V., article 11, alinéa 1er, paragraphe 5 de la loi sur le contentieux administratif. 1038 V., article 11, alinéa 1er, paragraphe 8 de la loi sur le contentieux administratif. 1039 V., article 5 de la loi sur la révision administrative.
307
unilatérale du contrat d’exploitation forfaitaire par l’administration 1040 ou de
l’imposition des charges pécuniaires en violation des lois1041, ainsi que le manquement
de l’administration dans l’accomplissement de ses fontions en matière de protection du
droit des biens1042. La loi sur la révision administrative prévoit en outre que les
administrés peuvent demander la révision des actes de l’administration portant atteinte
à leur droit à la liberté d’entreprendre, ce qui peut aussi contribuer à la protection du
droit de propriété du fait de son lien avec cette liberté.
288. - Il faut encore souligner l’apport de la loi sur l’autorisation administrative,
promulguée le 27 août 2003 et entrée en vigueur le 1er juillet 2004, en ce qui concerne
le contrôle juridictionnel sur les mesures de démolition des bâtiments dans des zones
urbaines. Le Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des
zones urbaines prévoit comme condition préalable à l’expropriation l’obtention du
permis de démolir. Celui-ci doit être sollicité par l’expropriant auprès des
gouvernements locaux à l’échelon du district 1043 . L’objectif de cette exigence
procédurale relative à la délivrance du permis de démolir est d’assurer par les
gouvernements locaux compétents la conformité du projet de démolition avec ledit
Règlement du CAE. Selon la loi sur l’autorisation administrative, le permis de démolir
tombe par nature dans la catégorie d’autorisation administrative qui peut faire l’objet
de contrôle juridictionnel à la demande des individus, des personnes morales et des
organisations sociales1044. Dans la pratique judiciaire, les habitants concernés par le
projet de démolition peuvent demander l’annulation du permis de démolir mais aussi
l’annulation des autres décisions administratives dans la phase précédant la démolition,
à savoir l’autorisation issue des organes de planification urbaine, l’autorisation
administrative concédant à l’expropriant le droit d’usage portant sur les parcelles de
terres où sont édifiées les habitations faisant l’objet de démolition1045. L’importance de
1040 V., article 6, paragraphe 6 de la loi sur la révision administrative. 1041 V., article 6, paragraphe 7 de la loi sur la révision administrative. 1042 V., article 6, paragraphe 9 de la loi sur la révision administrative. 1043 V., articles 6 et 7 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. 1044 V., article 7 de la loi sur l’autorisation administrative. 1045 PU Jingli, «Fangwu chaiqian xingzheng anjian de shouli yu shencha ( La recevabilité et l’examen des contentieux administratifs relatifs à la démolition des bâtiments dans des zones urbaines) »,
308
la loi sur l’autorisation administrative réside également en son article 47 qui établit la
procédure d’audience publique préalable à l’adoption de toutes les autorisations qui
pourraient avoir des incidences sur les droits et intérêts des citoyens. Outre le cas où
l’audience publique peut être organisée d’office par le département gouvernemental,
elle peut également être initiée par les administrés concernés. Il ne fait guère de doute
que le permis de démolir affecte le droit de propriété des habitants, ceux-ci ont donc le
droit de demander l’audience publique et d’y assister afin de faire entendre leurs
opinions. La méconnaissance totale de la phase d’audience publique peut entraîner
l’annulation du permis de démolir pour vice de procédure des actes administratifs en
vertu de l’article 69 de la loi sur l’autorisation administrative. En s’appuyant sur cet
article, les habitants concernés par le permis de démolir peuvent donc demander devant
les tribunaux l’annulation de la décision administrative accordant le permis de démolir.
B. – La limitation de la compétence du juge dans le contentieux
administratif relevant du droit de propriété
289. - La limitation de la compétence du juge peut résulter de la disposition
législative (1). Plus paradoxalement, le règlement administratif peut aussi limiter la
compétence juridictionnelle sur certaines catégories de contentieux administratif, et la
Cour populaire suprême peut même refuser d’entendre certaines affaires par l’adoption
de l’avis d’interprétation judiciaire (2).
(1). – La limitation imposée par la loi
290. - La loi sur le contentieux administratif exclut le recours juridictionnel contre
les actes administratifs qui ne sont pas concrets, ainsi que les actes administratifs
légalement qualifiés comme « définitifs ». Selon l’article 2 de la loi sur le contentieux
administratif, seuls les actes administratifs concrets sont susceptibles d’être contrôlés
disponible sur le site http://www.chinacourt.org/public/detail.php?id=172308, publié le 5 août 2005 ; V., aussi, WANG Cailiang, Fangwu chaiqian yinan wenti jieda (Réponses aux questions difficiles relatives à l’expropriation des biens immobiliers dans les zones urbaines), Law Press China, 2005, pp. 35, 36.
309
par le juge. Au lieu de donner une définition sur l’acte administratif concret, l’article
12, paragraphe 2, de la loi énumère les actes administratifs qui ne sont pas concrets. En
conséquence, c’est par l’interprétation a contrario qu’on peut en déduire ce qu’est
l’acte administratif concret. En vertu de cette disposition, le règlement, l’arrêté, ainsi
que la décision administrative « de portée générale, ayant vocation à s’appliquer à
l’ensemble des administrés »1046 ne sont pas les actes administratifs concrets, et par
conséquent, sont exclus du contentieux administratif. Selon la doctrine, ils sont les
actes administratifs « abstraits » qui s’étendent aux arrêtés locaux adoptés par les
gouvernements locaux au niveau provincial et aux arrêtés ministériels1047. Car il
appartient au pouvoir législatif de contrôler la légalité de ces actes administratifs qui
prennent la forme de textes normatifs, en vertu de la loi de 2000 sur l’élaboration des
normes juridiques et de la loi de 2007 sur la supervision par les comités permanents de
différents échelons1048.
291. - Certes, la différenciation entre les actes administratifs concrets et les actes
administratifs abstraits traduit la faiblesse du droit administratif substantiel en Chine,
puisque « rien ne permet de s’accorder sur la distinction entre un ordre de nature
générale (Allgemeinverfügung) qui peut être jugé devant un tribunal et un acte
normatif contre lequel aucune action en justice ne peut être entamée »1049. Cette
1046 Cour populaire suprême, Explications relatives à l’application de la Loi sur le contentieux administratif, publiées le 24 novembre 1999, l’article 3. 1047 Dans la pratique, l’élaboration des arrêtés tend à avantager les départements gouvernementaux dans leurs relations avec les administrés en élargissant leurs propres pouvoirs ou en renforçant leur contrôle sur les activités des individus. V., LI Shishi, « The State Council and law-making », in J. M. OTTO (et al.), Law-making in the People’s Republic of China, op. cit. p.104. 1048 V., Chapitre V de la loi sur la supervision par les comités permanents aux différents échelons. L’article 53 de la loi sur le contentieux administratif dispose que « dans les litiges administratifs, les tribunaux populaires se réfèrent aux arrêtés élaborés conformément aux lois et règlements administratifs ». Le terme « se référer » ne signifie pas qu’il faut totalement appliquer ou ignorer un texte, mais préconise que l’on s’y réfère et que l’on agisse selon les circonstances avec souplesse. À la différence de « suivre » ou « appliquer » un texte, « s’y référer » laisse un pouvoir d’appréciation: il est possible de l’admettre et de l’appliquer, totalement ou partiellement ou au contraire de ne pas le faire. Mais ce pouvoir discrétionnaire se limite à l’application concrète ; l’auteur de la référence ne peut pas, contrairement à l’autorité de contrôle ou d’approbation, confirmer ou infirmer l’objet de référence lui-même. V., LIU Han, « L’importance de la place et du rôle des arrêtés », in Li-Kotovtchikhine Xiao-Ying (sous la dir. de), Les sources du droit et la réforme juridique en Chine, op. cit., p.96. 1049 Robert HEUSER, « Le rôle des tribunaux administratifs dans les litiges entre les citoyens et le
310
faiblesse qui exclut le contrôle juridictionnel sur des actes normatifs peut mettre en
cause le droit de propriété, ainsi en est-il en cas d’expropriation des terres collectives.
En vertu de l’article 45 de la loi sur l’administration du sol, le projet d’expropriation
des terres collectives doit être approuvé soit par le CAE, soit par les gouvernements
provinciaux, en fonction de la catégorie des terres en cause. Certes, les décisions
d’approbation du CAE ou des gouvernements provinciaux ne peuvent pas être
considérées comme actes administratifs concrets aux termes de l’article 2 de la loi sur
le contentieux administratif. D’autant que de manière constante, le CAE –en tant que
gouvernement central de l’État– n’adopte que l’acte administratif abstrait sous forme
de règlements et que les décisions d’approbation données par les gouvernements
provinciaux ne s’adressent non plus directement aux expropriés déterminés. Il s’agit
des documents officiels de portée générale qui s’appliquent aux tous les sujets qui se
trouvent sur le territoire local sous leurs propres juridictions. Par conséquent, les
expropriés –dans la plupart des cas, des collectivités de paysans du village ou du
canton en cas d’expropriation des terres collectives– ne peuvent pas contester
l’illégalité des décisions d’approbation par voie de contentieux administratif, afin de
faire suspendre ou de faire abandonner le projet d’expropriation, même si ce projet ne
se justifie pas par l’intérêt public et moyennant l’indemnisation juste. La condition
d’intérêt public à l’expropriation des terres collectives échappe donc au contrôle
juridictionnel du fait de l’incompétence du juge face aux décisions d’approbation du
CAE ou des gouvernements provinciaux. Dans ce contexte, le contrôle juridictionnel
se réduit aux contentieux administratifs portant soit sur l’illégalité des actes des
gouvernements locaux d’échelon de base dans l’exécution du projet d’expropriation
déjà approuvé, soit sur l’expropriation manifestement illégale, à savoir l’appropriation
des terres collectives sans être préalablement approuvée selon la procédure définie par
la loi sur l’administration du sol. La distinction entre actes administratifs concrets et
actes administratifs abstraits qui sont exclus du contrôle juridictionnel est critiquable,
puisqu’un grand nombre d’actes administratifs concrets sont accomplis en vertu des
actes abstraits, et lorsque les juges examinent un acte concret, il est impossible de le
dissocier de l’acte administratif abstrait. Sans le pouvoir de contrôle d’un acte abstrait gouvernement chinois », Perspectives chinoises, n°78, 2003, p. 23.
311
qui serait lui-même illégal, le contrôle de l’acte concret par les juges perd son sens, et
il leur est alors impossible de rendre un jugement légal, raisonnable et convaincant1050.
292. - L’article 12 de la loi sur le contentieux administratif exclut le droit des
citoyens au recours juridictionnel contre les actes administratifs qualifiés par la loi
comme « définitifs ». Ce qui est toutefois jugé inacceptable, car « l’exclusion de la
compétence judiciaire sur lesdits actes administratifs est en conflit avec le principe
d’État de droit »1051. En matière de droit des biens, il s’agit des cas énumérés par
l’article 30, alinéa 2, de la loi de 1999 sur la révision administrative. Outre les
décisions d’approbation sur l’expropriation des terres collectives qui sont également
des actes administratifs « définitifs », les décisions sur la révision administrative
adoptées par le CAE ou par les gouvernements au niveau de la province, de la région
autonome ou des municipalités subordonnées directement à l’autorité centrale, les
décisions administratives sur l’appartenance ou la concession du droit d’usage des
ressources naturelles échappent également au contrôle juridictionnel. Par conséquent,
le CAE et les gouvernements provinciaux ont le dernier mot sur la légalité des actes
administratifs qui eux-mêmes pourraient mettre en cause le droit de propriété au sens
large.
293. - L’article 30, alinéa 1er, de la loi de 1999 sur la révision administrative prévoit
également que des actes administratifs concrets susceptibles de porter atteinte au droit
de propriété sur les ressources naturelles ou au droit d’usage des personnes privées sur
les ressources naturelles –y compris les ressources minérales, les eaux, les forêts, les
montagnes, les prairies, les terres incultes, les bancs de sable et de vase, ainsi que les
zones maritimes– ne peuvent être contrôlés par le juge qu’après la procédure de
révision administrative. Il s’agit d’une procédure préalable de contrôle administratif
obligatoire au contentieux administratif. Ainsi, les victimes des décisions illégales
doivent préalablement demander la révision des actes en cause à l’organe administratif
de hiérarchie supérieure. Dès lors que l’organe administratif supérieur adopte sa
décision à l’issue de la procédure de révision, les personnes concernées par la décision
1050 V., LIU Han, « L’importance de la place et du rôle des arrêtés », op. cit., p. 102. 1051 YING Songnian (ed.), Xingzhengfa yu xingzheng susongfaxue (Droit administratif et contentieux administratif), Law Press China, 2005, p. 467.
312
de l’organe administratif supérieur peuvent saisir le juge en vue de déclencher la
procédure de contentieux administratif.
(2). – La limitation imposée par le règlement et l’avis d’interprétation judiciaire
294. - La limitation de la compétence du juge par le règlement et l’interprétation
judiciaire existe dans les affaires de démolition des bâtiments dans des zones urbaines.
L’article 13 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des
zones urbaines dispose que l’expropriant qui a obtenu le permis de démolir doit
conclure un accord avec les propriétaires ou les locataires des bâtiments d’habitations
en ce qui concerne l’indemnisation. Le mécanisme d’arbitrage administratif est prévu
en cas de conflit entre l’expropriant et les expropriés concernant le montant des
indemnités. Il s’agit de l’arbitrage par le département responsable des affaires de
démolition ou le gouvernement local auquel ledit département est adjoint1052. La
décision d’arbitrage ainsi adoptée constitue l’acte administratif qui vise à trancher les
conflits entre deux parties dont les statuts sont présumés égaux l’un par rapport à
l’autre1053. Cette décision est susceptible d’être contestée par voie de contentieux
administratif selon l’article 16, aliéna 2, dudit Règlement du CAE. En d’autres termes,
la décision d’arbitrage sur les disputes en matière d’indemnisation et de relogement
n’est pas décisive. Certes, selon l’article 16, alinéa 2, du Règlement du CAE, le recours
juridictionnel à l’encontre de la décision d’arbitrage administratif n’a pas d’effet
suspensif, dès lors que l’expropriant a versé l’indemnité monétaire aux habitants ou a
fourni une nouvelle habitation pour le but de relogement. C’est-à-dire que le recours
juridictionnel intenté par les expropriés contre l’expropriant au sujet de l’indemnisation
n’empêche pas la destruction de leurs bâtiments d’habitations par les mesures
d’exécution prises par les gouvernements locaux, souvent avec le concours de la force
1052 Les règles procédurales de l’arbitrage administratif en matière de démolition des bâtiments dans des zones urbaines sont davantage précisées par l’arrêté du Ministère de la Construction en date du 30 décembre 2003. 1053 YING Songnian, Xingzhengfa yu xingzheng susongfa (Administrative law and administrative litigation law), op. cit., p. 265.
313
publique ordonné par les tribunaux locaux en vertu de la loi de procédure civile1054. Il
est très fréquent que la démolition des bâtiments soit réalisée, alors même qu’est en
cours devant le juge le contentieux administratif mettant en cause le caractère injuste et
irraisonnable de l’indemnisation ou de la condition du relogement. Cette situation là ne
peut être très défavorable aux expropriés.
295. - La Cour populaire suprême, par son avis d’interprétation judiciaire n° 9
adopté en 2005, dispose que le contentieux administratif portant sur l’indemnisation et
la condition de relogement dans le cas de démolition des bâtiments dans des zones
urbaines doit être obligatoirement précédé par la procédure d’arbitrage administratif
prévue par ledit Règlement du CAE. Il en résulte que la plainte visant à contester
l’indemnisation injuste portée par l’exproprié qui n’a pas préalablement demandé
l’arbitrage administratif est irrecevable devant les tribunaux1055. Dans ce contexte,
l’utilité du contrôle par le juge sur la légalité des décisions administratives autorisant la
démolition des bâtiments dans des zones urbaines ne peut qu’être mise en cause. Car,
en aucun cas le recours juridictionnel demandé par les expropriés ne peut empêcher la
démolition de leurs habitations par les autorités gouvernementales, alors que la
fonction du juge se réduit par conséquent à évaluer l’indemnisation1056. Suite à la
promulgation de la loi sur les droits réels en 2007, la Cour populaire suprême envisage
à élaborer de nouveaux avis d’interprétation judiciaire qui peuvent renforcer la
compétence du juge dans le contentieux administratif relatif à la démolition des
bâtiments dans des zones urbaines1057. Cela pourrait davantage permettre « à la justice
administrative de redevenir conforme aux dispositions législatives »1058. Mais il reste à
examiner si le juge a les pouvoirs suffisants pour effectivement contrôler les actes
administratifs. 1054 La loi de procédure civile fut promulguée le 9 avril 1991 et modifiée le 28 octobre 2007. La loi telle que modifiée en 2007 est entrée en vigueur le 1er avril 2008. 1055 Cour populaire suprême, Réponse à la question d’interprétation demandée par la Cour supérieure de province Zhejiang, 1er août 2005. 1056 WANG Cailiang, Fangwu chaiqian jiufen jiaodian shiyi (Explications sur les conflits dans la démolition et le déplacement urbains), Law Press China, 2004, p. 111. 1057 WANG Cailiang, Fangwu chaiqian yinan wenti jieda (Réponses aux questions difficiles relatives à l’expropriation des biens immobiliers dans les zones urbaines), op. cit., pp. 112, 113. 1058 LI Changdao, ZHANG Li, « L’évolution récente du contentieux administratif en Chine », Gazette du Palais, recueil juillet-août 2004, p. 2230.
314
Sous-section 2. – Les pouvoirs du juge
296. - Si, en droit français, les juges administratifs et judiciaires ne sont pas à l’abri
des critiques en matière de contrôle juridictionnel sur les atteintes au droit de
propriété1059, les juges chinois sont d’autant plus critiquables qu’ils se montrent tantôt
réticents tantôt impuissants à pleinement exercer leur fonction dans la garantie
juridictionnelle du droit de propriété dont l’effectivité et l’efficacité ne peuvent qu’être
largement affaiblies. La limite des pouvoirs des juges dans l’exercice de la compétence
de contrôle juridictionnel sur les atteintes au droit de propriété n’est que la
manifestation concrète du statut problématique du juge chinois : tant que
l’indépendance judiciaire n’est pas assurée, le pouvoir du juge se heurte aux limites
imposées à la fois par le pouvoir législatif (§ 1) et par le pouvoir réglementaire (§ 2).
§ 1. – La limite des pouvoirs du juge au regard du pouvoir législatif
297. - Les pouvoirs du juge sont limités par le législateur dans la mesure où il est
impossible pour le juge de contrôler la constitutionnalité des normes juridiques (A)
d’une part et, d’autre part, l’avis d’interprétation judiciaire des règles de droit qui est
utile dans la mise en oeuvre des garanties de droit fait aussi l’objet de contrôle par le
pouvoir législatif. Ce contrôle est exercé par le Comité permanent de l’APN et les
comités permanents des assemblées populaires locales au nom de la supervision
constitutionnelle et de la supervision législative (B).
A. – L’impossible contrôle juridictionnel de constitutionnalité des
normes juridiques
298. - Selon la doctrine française, il est admis que le juge ordinaire peut contrôler la
constitutionnalité d’un acte administratif ou d’un acte de droit privé, même des lois et
1059 V., par ex., Gilbert GANEZ-LOPEZ, « Le juge de l’expropriation entre la puissance publique et le propriétaire », in Un droit inviolable et sacré : La propriété, Association des Études foncières, 1989, pp. 170 à 187.
315
des traités, comme un prolongement logique, naturel et nécessaire des exigences de
l’État de droit et le résultat de l’emprise des droits et libertés fondamentaux sur le
système juridique1060. Certes, « le contrôle de constitutionnalité des normes relève, de
manière générale de la compétence du Conseil constitutionnel, et les juridictions
ordinaires ne disposant à ce titre que d’une compétence subsidiaire »1061.
En contraste, en vertu de la Constitution chinoise, l’APN et son Comité
permanent conservent le monopole du pouvoir d’interpréter la Constitution et de
superviser l’application de la Constitution par tous les autres sujets. La loi de 2000 sur
l’élaboration des normes juridiques consolide ce monopole dans la mesure où est
désormais institué le régime d’examen par l’APN et son Comité permanent sur les
règlements administratifs et locaux et les arrêtés, afin de contrôler par ces derniers sur
la constitutionnalité, la légalité ainsi que le respect de la hiérarchie de différentes
normes. Dans l’affaire « des semences de Luoyang » en 20031062, madame la juge LI
Huijuan annulait dans un contentieux civil le règlement d’administration des semences
adopté par l’assemblée populaire provinciale du Henan au motif que le règlement local
en cause était en conflit avec la loi nationale. La juge provocatrice mécontentait
l’assemblée populaire provinciale du Henan qui publiait ensuite un communiqué
officiel exigeant de la cour intermédiaire de Luoyang qu’elle poursuivît en
responsabilité la juge LI, en lui reprochant d’avoir illégalement annulé le règlement
local, car le pouvoir d’annulation des règlements locaux appartient au Comité
permanent de l’APN en vertu de la loi de 2000. Malgré la réintégration de Madame LI
dans ses fonctions en février 2004, l’affaire est typique dans la mesure où elle
démontre que les juges chinois sont dépourvus de pouvoir dans l’annulation des
règlements par voie d’exception d’illégalité dans le traitement des contentieux.
D’ailleurs, l’article 90 de la loi de 2000 prévoit seulement la possibilité pour la Cour
suprême de demander à l’APN et à son Comité permanent d’examiner des règlements
1060 Bertrand MATHIEU, Michael VERPEAUX, Contentieux constitutionnel et des droits fondamentaux, LGDJ, 2002, pp. 116, 117. 1061 Ibid., p. 118. 1062 V., reportage de TIAN Yi, WANG Ying, « Yige faguan de mingyun yu ‘fatiao dichu zhibian’ (Le destin d’une juge et le débat sur le conflit entre les normes de droit) », Ershiyi shiji jingji baodao (21st Century Business Herald), 17 novembre 2003, p. 5.
316
qu’elle juge inconstitutionnels ou illégaux. En théorie, si un juge met en doute la
constitutionnalité ou la légalité d’un règlement dans un litige, il doit suspendre la
procédure juridictionnelle et solliciter l’avis de la Cour populaire suprême qui
elle-même peut solliciter le Comité permanent de l’APN d’examiner règlement en
cause. Dès que le Comité permanent de l’APN débouche sur le résultat de l’examen, le
juge reprend la procédure juridictionnelle et tranche l’affaire prenant dûment en
compte la décision du Comité permanent sur la constitutionnalité ou la légalité du
règlement. Cependant, dans la pratique, le mécanisme d’examen des règlements
institué par la loi de 2000 pouvait souvent être dispensé par le juge en empruntant la
technique d’ « interprétation conforme ». Car, en interprétant le règlement en cause de
manière à le rendre conforme à la Constitution et à la loi, le juge chinois peut
contourner la phase de l’examen par le Comité permanent par souci d’efficacité du
traitement des litiges1063.
299. - Quant à la question de savoir si le juge chinois peut écarter l’application des
lois par voie d’exception d’inconstitutionnalité, la réponse ne peut qu’être négative
selon la Constitution de 1982 et la loi de 2000 sur l’élaboration des normes juridiques,
puisque toutes les deux conservent le pouvoir d’annulation ou de modification des lois
à l’APN et à son Comité permanent. Toutefois, le juge chinois a tenté de faire des
avancées dans certaines affaires, provoquant ainsi des débats concernant la mise en
place d’un véritable régime de contrôle de constitutionalité des lois en droit chinois.
Ainsi, par un avis d’interprétation du 13 août 2001, la 1ère chambre civile de la Cour
suprême a-t-elle pour la première fois considéré que la violation d’un principe
constitutionnel –précisément dans cette affaire le droit à l’éducation– peut donner lieu
à la responsabilité de réparation sans le support d’une loi1064. Certes, l’affaire s’agissait
d’un conflit privé. L’avis d’interprétation de la Cour populaire suprême n’était pas à la
hauteur de l’attente selon laquelle un mécanisme de contrôle constitutionnel sur les 1063 V., HAN Dayuan, Zhongguo xianfa shili yanjiu (Étude sur les affaires constitutionnelles en Chine), Law Press China, 2005, p. 302. 1064 Par la décision récente de la Cour populaire suprême, l’avis d’interprétation sur le droit à l’éducation fut aboli au motif qu’il fut déjà suspendu d’être appliqué. V., Cour populaire suprême, Décision relative à l’abolition de certains avis d’interprétation adoptés avant la fin de 2007, Fashi (2008) 15, publié par le communiqué officiel du 18 décembre 2008 et entré en vigueur le 24 décembre 2008.
317
textes normatifs pourrait s’établir sur la base de l’avis d’interprétation judiciaire au
nom de la protection des droits fondamentaux. Car il reste hautement improbable
jusqu’à aujourd’hui qu’un plaignant obtienne réparation de l’État en cas de violation
par la puissance publique des droits fondamentaux reconnus par la Constitution, par
excellence, le droit à la liberté d’expression, de réunion et de manifestation proclamé
par l’article 35 de la Constitution de 19821065. À la suite de l’affaire dite « des
semences de Luoyang » susmentionnée, a resurgi le débat sur la mise en place d’un
régime de contrôle de constitutionnalité par le renforcement du pouvoir du juge en lui
permettant d’annuler les textes normatifs issus des assemblées populaires locales par
voie d’exception d’illégalité ou d’inconstitutionnalité1066. À l’occasion des travaux
préparatoires pour la modification de la loi sur l’organisation des cours populaires1067,
certains juristes ont proposé de revaloriser le statut des organes juridictionnels par
rapport aux organes législatifs locaux visant à reconnaître la pleine indépendance du
pouvoir judiciaire1068. Certes, à défaut d’engagements de la part du gouvernement, la
réforme des organes juridictionnels ne peut qu’être sporadique1069. À cet égard, force
est de constater qu’au lieu de redresser le déséquilibre qui se caractérise par la faiblesse
des organes juridictionnels par rapport au pouvoir législatif, la tendance est de
restreindre les pouvoirs du juge notamment en ce qui concerne l’interprétation
judiciaire des règles de droit.
B. – Le contrôle législatif sur l’avis d’interprétation judiciaire
1065 V., Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p.565. 1066 V., CHANG An, « Guanyu luoyang zhongzi shijian de xikao (À propos de l’affaire « des semences de Luoyang) », disponible sur le site http://www.law-thinker.com/special.asp?SpecialID=41, consulté le 18 octobre 2006. V., aussi, reportage de ZENG Quansheng, «LI Huijuan shijian zai diaocha (De nouvelles investigations sur l’affaire LI Huijuan) », Shidaichao (Chinese times), 2004, n° 10, pp. 36, 37. 1067 La loi fut adoptée en 1979 et modifiée en 1983 et 2006. 1068 HE Weifang, « Fayuan mingcheng de bian yu bubian (Changer ou ne pas changer le nom des cours)», disponible sur le site http://www.carnegieendowment.org/pdf/2005-04-18/He_Courtsname.pdf, consulté le 2 mai 2008. 1069 LI Yuwen, « Court reform in China: problems, progress and prospects », in Jianfu CHEN, Yuwen LI, Jan Michiel OTTO (eds.), Implementation of law in the People's Republic of China, Kluwer Law International, 2002, pp. 80, 81.
318
300. - Alors que la notion de jurisprudence est destinée à réduire la tension qui
existe entre la fonction de légiférer et celle de juger1070, la création du droit par les
juges en Chine prend toutefois la forme spéciale de l’avis d’interprétation judiciaire.
La Cour populaire suprême et le Parquet populaire suprême peuvent édicter, dans leur
activité d’interprétation, des règles de portée générale ayant force obligatoire. Leurs
avis d’interprétation judicaire sont donc considérés comme véritable source du droit
chinois1071. D’ailleurs, selon l’interprétation stricte de la Constitution de 1982, les
tribunaux chinois sont même tenus à prendre en compte dans leurs décisions la
protection des droits de l’homme dont le principe a été proclamé par la révision
constitutionnelle de 2004, tout au moins lorsque la loi chinoise n’est pas claire ou est
ambiguë sur certains points1072. Certes, si l’avis interprétation judiciaire peut être
utilisé par le juge pour conserver une certaine marge de manoeuvre dans la mise en
oeuvre des règles de droit pour trancher les affaires qui sont portées devant lui (1),
l’exception d’inconstitutionnalité est toutefois hors de question. Le pouvoir
quasi-normatif du juge par le biais des avis d’interprétation judiciaire est d’autant plus
restreint que la loi sur la supervision par les comités permanents des assemblées
populaires de différents échelons établit le mécanisme de contrôle qui peut
éventuellement réduire l’utilité de l’interprétation judiciaire dans sa fonction de
combler les lacunes législatives (2).
(1). – L’exemple de l’utilité de l’interprétation judiciaire en matière de droit de
propriété
301. - Suite à la proclamation constitutionnelle du droit de propriété privée,
l’amélioration du traitement des contentieux relatifs au droit d’usage du sol étatique et
au droit d’exploitation forfaitaire du sol rural fut considérée comme la priorité des
1070 V., Guy CANIVET, « Activisme judiciaire et prudence interprétative : Introduction générale », in La création du droit par le juge, Archives de philosophie du droit, t. 50, 2007, pp. 7 à 32. 1071 X.-Y LI-KOTOVTCHIKHINE, « L’évolution des sources du droit chinois, de la première à la deuxième modernisation », in X.-Y LI-KOTOVTCHIKHINE (sous la dir. de), Les sources du droit et la réforme juridique en Chine, op. cit., p.33. 1072 CHEN Jianfu, « La dernière révision de la Constitution chinoise », op. cit., p.20.
319
activités judiciaires par la Cour populaire suprême1073. Celle-ci adopta en 2005 deux
avis d’interprétation judiciaire visant à consolider l’ordre juridique de droits réels
établis sur les terres publiques, en apportant des règles complémentaires aux
législations déjà promulguées.
302. - Aux termes de l’avis d’interprétation judiciaire n° 5 (2005) relatif au
traitement des litiges issus du contrat de concession du droit d’usage du sol étatique, la
Cour populaire suprême précise les conditions dans lesquelles le juge peut décider la
nullité du contrat de concession du droit d’usage du sol étatique, ainsi que sur le
réajustement de la prime de concession du droit d’usage du sol étatique. L’intervention
du juge dans l’exécution du contrat de concession du droit d’usage du dol étatique peut
redresser le rapport inégal des deux parties du contrat, à savoir les personnes privées
concessionnaires du droit d’usage d’une part et, d’autre part, le gouvernement local
représentant l’État-propriétaire du sol : la résiliation unilatérale du contrat de
concession par l’autorité locale qui met en cause le droit d’usage du sol des personnes
privées peut faire l’objet du contrôle juridictionnel de la part du juge.
303. - L’avis d’interprétation n° 6 (2005) relatif au droit d’exploitation forfaire du
sol rural précise les conditions applicables à la cession du droit d’exploitation
forfaitaire du sol rural entre les membres d’une même entité économique collective.
Selon ledit avis d’interprétation judiciaire, la cession du droit d’exploitation forfaitaire
devient valide si l’entité économique collective à laquelle appartient le titulaire du droit
d’exploitation forfaitaire du sol s’abstient d’approuver dans un délai raisonnable ou
refuse de donner l’approbation sans fondement légal 1074 . L’entité économique
collective ne peut pas demander l’annulation du contrat de sous-traitance, du bail ou du
contrat d’échange ayant pour l’objet le droit d’exploitation forfaitaire du sol au seul
motif qu’elle a pas été préalablement notifiée 1075 . L’avis d’interprétation admet
également la succession du droit d’exploitation forfaitaire du sol rural avant l’échéance
du droit d’exploitation forfaitaire1076. De surcroît, en ce qui concerne la distribution des
1073 XIAO Yang, Rapport d’activités de 2005 de la Cour populaire suprême, disponible sur le site http://politics.people.com.cn/GB/1026/4215718.html, consulté le 2 mai 2008. 1074 V., article 13 de l’avis d’interprétation n° 6 (2005) de la Cour populaire suprême. 1075 V., article 14 de l’avis d’interprétation n° 6 (2005) de la Cour populaire suprême. 1076 V., article 25 de l’avis d’interprétation n° 6 (2005) de la Cour populaire suprême.
320
indemnités en cas d’expropriation des terres collectives, l’avis d’interprétation précise
non seulement des indemnités pour certaines pertes encourues par les paysans1077, mais
aussi la procédure de délibération au sein des entités économiques collectives afin de
déterminer les modalités de la distribution des indemnités parmi les membres de
l’entité économique collective1078. Ces dispositions de l’avis d’interprétation judiciaire
ont été largement reprise par la loi sur les droits réels de 2007. Cependant, l’avis
d’interprétation interdit aux membres de l’entité économique collective d’hypothéquer
son droit d’exploitation forfaitaire ou de s’acquitter des dettes en cédant son droit
d’exploitation forfaitaire du sol à la personne autre que membre de la même entité
économique collective –en pratique, il s’agirait souvent des banques ou d’autres
institutions financières1079. Cette interdiction limite par conséquent la cessibilité du
droit d’exploitation forfaitaire qui lui-même est pourtant conçu comme droit réel. Il
faut constater que l’avis d’interprétation judiciaire n° 6 (2005) s’abstient d’apporter des
précisions sur les règles en vertu desquelles est défini le statut de membre d’une entité
économique collective ou d’une collectivité locale. Ces règles conditionnent pourtant
l’acquisition du droit d’exploitation forfaitaire du sol rural par les individus et le droit
de ces derniers à l’indemnisation en cas d’expropriation des terres collectives. Car
seule la personne ayant statut juridique de membre d’une entité économique collective
ou collectivité locale peut avoir le droit d’exploitation forfaitaire portant sur le sol sous
la juridiction territoriale de l’entité collective ou collectivité locale. Selon la Cour
populaire suprême, les règles ayant vocation à définir le statut de l’individu en tant que
membre de la collectivité relèvent des droits civils fondamentaux des paysans, par
conséquent, ces règles doivent être édictées par le Comité permanent de l’APN sous
forme de loi1080.
304. - L’interprétation judiciaire est d’autant plus attendue que de nouvelles
questions ont été soulevées avec l’entrée en vigueur de la loi sur les droits réels en 1077 V., articles 22 à 24 de l’avis d’interprétation n° 6 (2005) de la Cour populaire suprême. 1078 V., article 25 de l’avis d’interprétation n° 6 (2005) de la Cour populaire suprême, article 59 (3) de la loi sur les droits réels. 1079 V., article 15 de l’avis d’interprétation n° 6 (2005) de la Cour populaire suprême. 1080 CHEN Si, « Nongcun jiti jingji zuzhi chengyuan zige you renda jieshi (Le statut des individus membres de la collectivité doit être interprété par l’APN) », disponible sur le site http://www.chinacourt.org/public/detail.php?id=171383, consulté le 30 mars 2008.
321
2007. Ces questions appellent des réponses précises pour que soit facilitée la mise en
oeuvre des règles de droit par le juge. Il s’agit d’abord de savoir comment concilier
l’éventuel conflit entre les nouvelles règles de la loi sur les droits réels et celles qui ne
sont pourtant pas abrogées, notamment en matière de sûretés réelles. Ensuite, de
nombreuses règles de la loi sur les droits réels relèvent de questions juridiques de droit
administratif, telles que l’expropriation et la réquisition, les conditions et modalités
relatives à l’inscription des biens immobiliers au registre, le statut juridique du comité
des villageois dans l’exercice du droit du sol collectif et l’acquisition du droit d’usage
du sol collectif pour la construction d’habitations, etc. De surcroît, l’accroissement des
confits en matière de copropriété conduirait également le juge à préciser davantage les
règles de droit par l’avis d’interprétation judiciaire1081. Lors d’une conférence de presse,
le vice-président de la Cour populaire suprême a révélé que celle-ci est en train
d’élaborer les avis d’interprétation judiciaire sur l’application des règles de droit dans
les contentieux auxquels s’applique la loi sur les droits réels1082. Il s’agirait des règles
plus précises et opérationnelles adoptées par la Cour populaire suprême qui
constituerait une source juridique complémentaire aux dispositions de la loi sur les
droits réels.
305. - Suite à l’entrée en vigueur de la loi sur les droits réels au 1er octobre 2007, les
litiges relevant des droits réels tendent à s’accroître devant les tribunaux et les cours
populaires. Les juges chinois se mettent actuellement à l’épreuve d’appliquer les
dispositions de la loi sur les droits réels dans les affaires concrètes. Sachant que de
nombreux avis d’interprétation furent adoptés par la Cour populaire suprême pour
guider les juges inférieurs dans le traitement des contentieux de droits réels avant
l’adoption de la loi sur les droits réels, et que certains avis d’interprétation ne sont plus
compatibles avec la loi sur les droits réels, la Cour populaire suprême n’a pas hésité à
donner de nouvelles directives quant à la relation entre les anciens avis d’interprétation
1081 Pour la présentation sur le contenu des avis d’interprétation en matière de copropriété, v., supra, n° 171, n° 172. 1082 V., reportage de TIAN Yu, DING Bing, « Zuigao fayuan yiqidong wuquanfa sifa jieshi qicao gongzuo (La Cour populaire suprême a entamé l’élaboration de l’avis d’interprétation judiciaire sur la loi sur les droits réels) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/legal/2007-07/04/content_6330119.htm, consulté le 2 mai 2008.
322
et la loi sur les droits réels. En effet, par la décision relative à l’abolition de certains
avis d’interprétation adoptés avant la fin de 20071083, la Cour populaire suprême
énumère les avis d’interprétation qui ne sont plus applicables dans la pratique
judiciaire. La majorité des avis d’interprétation ainsi abrogés relèvent de différences
aspects des droits réels. Les motivations pour l’abolition des avis d’interprétation
concernent trois cas de figure : il s’agit d’abord des avis d’interprétation dont les
situations auxquelles ils s’appliquaient sont devenues désuètes –ce qui concerne
principalement les affaires relatives à la mutation de la propriété immobilière effectuée
pendant le mouvement de socialisation. Ensuite, des avis d’interprétation dont les
dispositions sont désormais remplacées par la loi sur les droits réels –c’est-à-dire que
ces dispositions ne sont pas contraires à la loi sur les droits réels, mais elles sont
remplacées par l’application du principe de lex posterior derogat legi priori. Il s’agit
des avis d’interprétation concernant le droit d’usage du sol collectif pour la
construction d’habitations des paysans et le droit d’exploitation forfaitaire du sol rural.
Troisièmement, certains avis d’interprétation sont abrogés pour leur manifeste
contradiction avec certaines dispositions de la loi sur les droits réels. Dans ce dernier
cas, il s’agit des avis d’interprétation qui refusèrent de reconnaître la validité du contrat
de vente des biens immobiliers à cause de l’absence de l’inscription obligatoire au
registre, des avis d’interprétation comportant certaines règles de sûretés réelles, ainsi
que des avis d’interprétation concernant les obligations et les responsabilités du
possesseur des choses perdues, les prescriptions, etc. Ces avis susmentionnés ne sont
plus compatibles avec la loi sur les droits réels, ont été par conséquent abrogés par
ladite décision de la Cour populaire suprême.
(2). – Le contrôle sur l’interprétation judiciaire
306. - Par la résolution sur le renforcement des activités d’interprétation des lois
adoptée par le Comité permanent de l’APN en 1981, la Cour populaire suprême et le
1083 Cour populaire suprême, Décision relative à l’abolition de certains avis d’interprétation adoptés avant la fin de 2007, Fashi (2008) 15, publié par le communiqué officiel du 18 décembre 2008 et entré en vigueur le 24 décembre 2008.
323
Parquet suprême se sont vus confier le pouvoir d’interprétation des règles législatives
dans l’application des lois dans les cas concrets. Certes, dans la pratique,
l’interprétation judiciaire est créatrice dans la mesure où la Cour populaire suprême
élabore, à partir d’enquêtes et de recherches approfondies mais aussi de la pratique, des
interprétations abstraites afin de répondre aux questions générales posées par
l’application de la loi et aux sollicitations des tribunaux inférieurs. « Ainsi, l’interprète
agit à sa guise en laissant de côté la loi interprétée, comme si l’objet de
l’interprétation était tout le texte de cette loi »1084. Parce qu’il est utile de combler les
lacunes des lois, « l’interprétation judiciaire ultra vires était largement tolérée par
l’acquiescence tacite du législateur »1085. Les interprétations prennent en général la
forme d’avis, de circulaires ou de mesures, et jouent un rôle aussi important que la loi
et constituent un fondement direct dans l’activité judiciaire. Néanmoins, au lieu de
marginaliser la loi, « l’interprétation de la loi en Chine traduit pleinement les
exigences politiques liées au régime d’assemblées populaires et au centralisme
démocratique »1086. Pourtant, l’interprétation judiciaire est critiquée pour ses défauts
du fait de son empiètement sur le pouvoir législatif et du fait de son caractère non
uniforme et la procédure peu transparente de l’élaboration de l’avis d’interprétation
judiciaire1087. La loi de 2000 sur l’élaboration des normes juridiques ne prévoit que
l’examen des règlements et des arrêtés par le Comité permanent de l’APN, alors qu’en
vertu de la loi sur la supervision par les comités permanents des assemblées populaires
de différents échelons, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, le pouvoir d’examen du
Comité permanent de l’APN s’étend aux avis d’interprétation de la Cour suprême
populaire ainsi qu’à ceux du Parquet suprême, dont l’objectif est d’« assurer la
compatibilité entre les avis d’interprétation judicaire et la loi »1088. La loi de 2007
1084 DONG Gao, Sifa jieshi lun (L’interprétation judiciaire), zhongguo zhengfa daxue chubanshe, 1999, p.16. 1085 LI Wei, « Judicial interpretation in China », 5 Willamette J. Int’l L. & Disp. Resol. 87, pp. 104, 105. 1086 CHEN Chunlong, « La place et les fonctions de l’interprétation judiciaire en Chine », in Les sources du droit et la réforme juridique en Chine, op. cit., p. 221. 1087 Stanley LUBMAN, Bird in a cage: legal reform in China after Mao, op. cit., p. 284. 1088 QIAO Xiaoyang, « La loi sur la supervision et les travaux de supervision du Comité permanent de l’APN (Jiandufa yu quanguo renda de jiandu gongzuo) », conférence donnée aux membres du Comité permanent et aux membres des comités spécifiques de l’APN, disponible sur le site
324
dispose que les avis d’interprétation émanant de la Cour populaire suprême ou du
Parquet populaire suprême, généralement dénommés comme l’« interprétation
judiciaire », doivent être rapportés au Comité permanent dans les 30 jours à partir de la
date de son adoption. Le Comité permanent de l’APN peut examiner soit d’office, soit
sur la proposition des personnes publiques déterminées ou des personnes privées, la
légalité des avis d’interprétation qui lui sont soumis 1089 . Au cas où des avis
d’interprétation seraient considérés incompatibles avec les règles législatives par le
Comité des lois et d’autres comités spéciaux de l’APN, ces comités de l’APN auraient
le droit d’initier la proposition sur l’abrogation ou la modification des avis
d’interprétation en cause par la Cour populaire suprême ou le Parquet suprême. Au cas
où ces derniers refuseraient de les abroger ou de les modifier, ces comités de l’APN
peuvent demander au Comité permanent de l’APN de donner l’interprétation
législative en vue d’annuler les avis d’interprétation judiciaire contraires aux lois1090. Il
en résulte que désormais, l’« interprétation judiciaire », comme les règlements
administratifs et locaux, sont mêmes contrôlés par le Comité permanent de l’APN. Le
Président du Comité permanent de l’APN WU Bangguo a fait état lors de la 4e session
de la Xe APN que l’examen des règlements et de l’ « interprétation judiciaire » est la
mesure concrète pour régulariser le fonctionnement du Comité permanent et renforcer
le contrôle des textes normatifs qui figurent parmi les objectifs poursuivis par
l’APN en tant qu’organe suprême des pouvoirs de l’État1091. Il faut remarquer qu’en
subordonnant l’« interprétation judiciaire » au contrôle de la légalité par le Comité
permanent de l’APN, la marge de manoeuvre de l’autorité judiciaire est plus restreinte
qu’auparavant.
http://npc.people.com.cn/GB/28320/120667/7185572.html, consulté le 10 mai 2008. 1089 V., articles 31 et 32 de la loi sur la supervision par les comités permanents des assemblées populaires de différents échelons. 1090 V., article 33 de la loi sur la supervision par les comités permanents des assemblées populaires de différents échelons. 1091 WU Bangguo, Rapport d’activités du Comité permanent de l’APN, présenté devant la 4e session de la Xe APN, disponible sur le site http://www.npc.gov.cn/dbdh/home/index.jsp?hyid=011004, consulté le 18 mars 2006.
325
§ 2. – La limite des pouvoirs du juge au regard de l’autorité administrative
307. - Le droit chinois permet aux organes administratifs de prendre certaines
mesures qui pourraient porter atteinte au droit de propriété, sans pour autant prévoir
l’intervention du juge comme condition préalable à la prise de ces mesures. S’il est
vrai que le contrôle juridictionnel sur les mesures administratives est très marginalisé
en Chine (A), ce contrôle peut, dans une moindre mesure, viser les actes
d’expropriation manifestement illégaux, y compris par exemple l’expropriation des
terres collectives sans l’approbation préalable selon l’exigence de la loi applicable.
Certes, même dans des cas où la légalité des actes de l’administration est
manifestement mise en cause, le pouvoir d’injonction des organes juridictionnels
éprouve des difficultés (B), de sorte que l’utilité du contrôle juridictionnel des atteintes
au droit de propriété ne peut qu’être relativement réduite.
A. – La marginalisation du contrôle juridictionnel sur la prise des
mesures administratives
308. - De manière plus concrète, la faiblesse du contrôle juridictionnel existe non
seulement dans la procédure de démolition des bâtiments dans des zones urbaines (A),
mais aussi dans bien d’autres domaines où le droit de propriété peut être mis en cause
par les mesures administratives (B).
(1). – Le faible contrôle juridictionnel sur la démolition des bâtiments dans des zones
urbaines
309. - En droit français, le recours à la contrainte par l’administration comme moyen
d’exécution d’office ou d’exécution forcée est enfermé dans des conditions précises
définies par la loi ou développé par la jurisprudence1092, alors qu’en droit chinois le
pouvoir de l’administration est beaucoup moins contrôlé et par conséquent plus
discrétionnaire dans la prise des mesures forcées. En cas de démolition des bâtiments 1092 Jean RIVEO, Jean WALINE, Droit administratif, 22e éd., Dalloz, 2008, §423.
326
dans des zones urbaines, le règlement du CAE confère aux gouvernements locaux au
niveau du district ou de la commune le pouvoir de procéder d’office à la démolition
des habitations, à l’échéance du terme défini par le permis de démolir ou par la
décision d’arbitrage administratif concernant l’indemnisation. Les gouvernements
locaux peuvent même solliciter le concours de l’autorité judiciaire à la démolition des
bâtiments par les mesures d’exécution forcée prévues par la loi de procédure civile1093.
À cet égard, il faut notamment souligner l’article 226 de la loi de procédure civile qui
précise les modalités de l’exécution de la démolition des bâtiments dans des zones
urbaines ou de l’expropriation des terres collectives dans des zones rurales. Selon cet
article, les biens personnels des expropriés peuvent être déménagés sans leur
consentement préalable pour effectuer la destruction des habitations ou pour évacuer
les terres occupées. La loi de procédure civile prévoit également que des actions de
résistance à l’encontre des mesures d’exécution prises par les tribunaux constituent une
infraction faisant l’objet de sanctions administratives qui sont l’astreinte, la détention
provisoire de la personne. En cas de gravité, les personnes qui ont commis lesdites
infractions seront sanctionnées par la loi pénale1094. C’est la raison pour laquelle
l’expropriation des habitations urbaines se nomme plus pratiquement « démolition et
expulsion forcées ». Il faut rappeler qu’en droit français, « en confiant une partie de
contentieux de l’expropriation au juge judiciaire, le législateur français ne l’a pas fait
sans réticences, et de nombreuses dispositions, tant de procédure que de fond,
témoignent de la méfiance des pouvoirs publics à son encontre »1095. Au regard de
l’expérience du droit français, le rôle du juge chinois est beaucoup plus marginalisé
face à l’autorité administrative. À la possibilité pour les gouvernements locaux de
procéder à l’exécution d’office de la démolition, s’ajoute le caractère non suspensif du
contentieux administratif, ce qui met l’exproprié dans une situation assez défavorable
et précaire. Car les gouvernements locaux peuvent d’abord délivrer à l’expropriant le
permis de démolir en indiquant une période de démolition en faveur de l’expropriant
1093 V., article 17 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. 1094 V., article 102 (5), (6) de la loi de procédure civile ; article 313 de la loi pénale. 1095 Gilbert GANEZ-LOPEZ, « Le juge de l’expropriation entre la puissance publique et le propriétaire », in Un droit inviolable et sacré : La propriété, op. cit., p. 174.
327
mais qui s’impose comme une contrainte aux exproprié, puis procéder d’office à la
démolition ou demander aux tribunaux locaux de prendre des mesures d’exécution
forcée de la démolition à l’issue de la période ainsi indiquée. En pratique, sous la
pression du gouvernement local, les tribunaux locaux ne peuvent que consentir à
apporter leur concours pour les mesures d’exécution forcée. L’examen par le juge sur
le bien-fondé du permis de démolir par voie de contentieux administratif est donc
illusoire. Dans ce contexte où les tribunaux locaux collaborent avec les gouvernements
locaux, il existe de nombreux cas où le droit de propriété des habitants urbains sur
leurs bâtiments d’habitations s’expose à l’abus flagrant du pouvoir des gouvernements
locaux1096. Ces derniers n’ont pas hésité, dans certains cas radicaux, à prendre des
mesures portant atteinte à la liberté individuelle ou à la personne physique des
habitants urbains, afin de démolir les bâtiments d’habitations1097.
(2). – Le faible contrôle juridictionnel dans d’autres cas d’atteinte au droit de propriété
310. - Outre la démolition des bâtiments dans des zones urbaines –qui avait pris une
certaine ampleur et par conséquent avait provoqué des répercussions sociales, avant
que le gouvernement central n’ait pris la décision de la soumettre au contrôle plus
rigoureux–, le pouvoir de prendre la mesures d’exécution sur les biens des administrés
dans bien d’autres domaines est également conféré aux organes administratifs. Parmi
ces cas d’atteintes au droit de propriété, il faut notamment citer le pouvoir des
administrations fiscales dans l’exercice des contraintes sur les biens des contribuables.
En vertu de l’article 40 de la loi d’administration fiscale de 2001, les administrations
fiscales au niveau du district et au niveau supérieur peuvent décider du prélèvement sur
le compte bancaire du contribuable à un certain montant ou de la saisie, du gel et de la
vente des biens du contribuable dans la limite de la valeur correspondant aux impôts
1096 V., par ex., reportage de l’Agence de presse Xinhua, « Hunansheng, jianshebu yasu chachu jiahe weifa qiangzhi chaiqian anjiqn (La province du Hunan et le Ministère de la Construction sanctionnent sévèrement la démolition forcée illégale à Jiahe) », disponible sur le site http://www.people.com.cn/GB/shizheng/1027/2547737.html, consulté le 4 juin 2004. 1097 WANG Cailiang, Fangwu chaiqian yinan wenti jieda (Réponses aux questions difficiles relatives à l’expropriation des biens immobiliers dans les zones urbaines), op. cit., pp. 239, 266 et 332.
328
qui n’ont pas été dûment acquittés, à l’exception toutefois des biens nécessaires pour la
vie quotidienne tels que la maison ou d’autres objets d’usage courant. D’ailleurs,
l’article 54 de la loi d’administration fiscale dispose que les administrations fiscales
peuvent mener l’inspection, dans le lieu d’opération l’entreprise, sur les produits et
marchandises et d’autres biens des contribuables afin de lutter contre la fraude fiscale.
Toutes ces mesures susmentionnées peuvent être prises de manière autonome par les
administrations fiscales et sans intervention préalable du juge. Les personnes qui ont
subi des atteintes causées par lesdites mesures ne peuvent que présenter a posteriori la
plainte par voie de contentieux administratif en vue d’obtenir la réparation.
311. - La loi sur les sanctions administratives adoptée en 1996 constitue la base
juridique sur laquelle les organes administratifs compétents peuvent imposer des
sanctions administratives aux administrés au motif que les activités de ceux-ci ont
violé les règles de police administrative. Parmi les sanctions administratives prévues
par loi, figure l’amende, la confiscation de revenus et biens illégaux1098. Comme
mesures d’exécution des sanctions administratives, l’astreinte, la saisie de biens et le
gel de comptes bancaires, ainsi que la vente des biens détenus par les organes
administratifs peuvent être employés par les organes administratifs à l’encontre des
administrés désobéissants1099. Les sanctions administratives peuvent faire l’objet de
contrôle a posteriori juridictionnel ou non juridictionnel par voie de révision
administrative1100. En vue de contraindre les organes administratifs et leurs agents à ne
pas abuser les sanctions administratives, les responsabilités civiles de compensation
des organes administratifs et de leurs agents et les sanctions disciplinaires sont prévues
en cas où la prise des sanctions administratives serait illégale, et par conséquent,
porterait atteinte au droit de propriété des administrés1101. Certes, l’abus de sanction
administrative par les organes administratifs dans la quête de leurs propres intérêts
illégitimes et les abus de pouvoir par leurs agents continuent d’être un phénomène
préoccupant. « L’amende abusive, la perception abusive des frais pour le service
public et la distribution abusive des charges pécuniaires » – phénomène souvent 1098 V., article 8 de la loi sur les sanctions administratives. 1099 V., article 51 (1), (2) de la loi sur les sanctions administratives. 1100 V., article 6 de la loi sur les sanctions administratives. 1101 V., articles 59 et 60 de la loi sur les sanctions administratives.
329
appelé dans la langue courante comme « trois mesures abusives » ( sanluan)– sont les
abus généralisés de pouvoir administratif portant l’atteinte directe au droit des biens
des administrés. Ces abus constituent aussi justement les formes concrètes de la
corruption1102. Pour lutter contre les sanctions illégales qui prolifèrent au niveau local,
l’Office de la correction des actes abusifs (Jiuzheng hangye buzheng zhifeng
ban’gongshi) fut établi au sein du CAE qui entendit contrôler de manière plus effective
les activités des autorités administratives locales. L’objectif dudit Office est de
renforcer l’exercice du pouvoir de surveillance et d’inspection sur la légalité des actes
des organes administratifs dans tous les secteurs. La répression des abus de sanction
administrative, y compris notamment le phénomène de « sanluan » susmentionné, est
la priorité des activités de contrôle menées par l’Office1103. Mais la création dudit
Office, qui s’inscrivait dans la prolifération des institutions de contrôle au sein de
l’Administration, aurait pour effet de davantage marginaliser le rôle du contrôle
juridictionnel par l’avènement d’un régime d’« autorégulation » des organes
administratifs.
B. – La contrainte au pouvoir d’injonction face aux atteintes illégales
au droit de propriété
312. - En droit français, le juge administratif peut enjoindre à l’administration des
mesures d’exécution en cas d’atteintes illégales au droit de propriété. Dans la tendance
de renforcement de la protection de la propriété, la Cour de cassation a abandonné la
théorie de l’expropriation indirecte1104 sous l’impact de la Convention européenne des
droits de l’homme. En effet, les principes de légalité, de prévisibilité et de sécurité
juridique exigent la destruction des immeubles édifiés par voie d’expropriation
1102 SHI Zhanqi, « Luanfakuan yeshi fubai (L’amende abusive est une corruption) », Jiancha ribao (Quotidien de Parquet), 13 juin 2006, p.8. 1103 Sur l’organisation, la fonction et le rapport d’activités de l’Office de la correction des actes abusifs, v., son site officiel http://www.mos.gov.cn/gjb/index.jsp. 1104 Cass., Ass. Plén., 6 janvier 1994, Cts Baudon de Mony c. Electricité de France, AJDA, 2004, p. 339, note R. Hostiou.
330
illégale1105. En droit chinois, l’effectivité du contrôle juridictionnel sur les atteintes au
droit de propriété est largement remise en cause dans la mesure où les organes
juridictionnels rencontrent des difficultés dans l’exercice de leur pouvoir d’enjoindre à
l’occupant de mettre un terme à son emprise si celle-ci est irrégulière, et surtout
d’interrompre les travaux engagés et d’ordonner la démolition des ouvrages réalisés.
Dans un communiqué de presse, le Ministère du Territoire et des Ressources a bien
révélé que la réticence des cours populaires à décider la destruction des immeubles
implantés sur les terrains illégalement expropriés constitue l’un des éléments
contribuant à la généralisation des expropriations illégales des terres1106. La réticence
des tribunaux tient au fait que la destruction des immeubles implantés sur les terres
illégalement expropriées peut compromettre l’intérêt des gouvernements locaux. Et
ceux-ci réagissent en faisant pression sur les tribunaux locaux afin d’empêcher
l’adoption de l’injonction de destruction. Face à l’influence des gouvernements locaux,
les tribunaux locaux se contentaient de statuer sur l’indemnisation sans pour autant
ordonner la restitution des terres par la destruction des immeubles édifiés1107. Il en
résulte que le contrôle juridictionnel sur les atteintes au droit de propriété est dénaturé
en sorte qu’il constitue l’instrument de l’appropriation illégale des terres par les
gouvernements locaux moyennant le paiement d’indemnités qui ne sont souvent ni
justes, ni raisonnables.
313. - En cas de démolition des bâtiments dans des zones urbaines, les tribunaux
locaux peuvent même se transformer en instrument des gouvernements locaux en
matière de privation de propriété, alors que l’expropriation n’est pas nécessairement
justifiée par le but d’intérêt général. Selon le Règlement d’administration sur la
démolition des bâtiments dans des zones urbaines, le tribunal local peut à la demande
du gouvernement local prendre les mesures exécutoires pour effectuer la démolition
1105 V., René HOSTIOU, « La Cour européenne des droits de l’homme et la théorie de l’expropriation indirecte », Revue trimestrielle des droits de l’homme, n° 70, 2007, pp. 385 à 395. 1106 V., Ministère du territoire et des ressources, Analyse sur les causes des expropriations illégales des terres collectives (Difang zhengfu weifa zhengdi yuanyin diaocha yu sikao), disponible sur le site http://www.mlr.gov.cn/pub/gtzyb/gtzyxw2/gtzyxw/t20061013_76812.htm, consulté le 13 octobre 2006. 1107 Groupe d’étude sur l’expropriation des terres collectives, Tudi zhengyong buchang biaozhun yu anli (La jurisprudence sur l’indemnisation en cas d’expropriation des terres collectives), Law Press China, 2006, p. 227.
331
des bâtiments dans des zones urbaines. Certes, au cas où le gouvernement local
procéderait d’office à la démolition, il est très rare que le tribunal local ordonne la
suspension à la demande des expropriés qui invoquent l’article 44 de la loi sur le
contentieux administratif. Ledit article prévoit des exceptions à l’effet non suspensif du
contentieux administratif à l’exécution des actes administratifs concrets. Selon ce
dernier, le tribunal local peut, en théorie et dans les cas d’exception prévus par la loi
sur le contentieux administratif, ordonner la suspension de l’exécution des mesures
administratives en cas d’urgence et au motif que les mesures en cause peuvent
entraîner des dégâts irréparables, et que la suspension de l’exécution des mesures ne
compromet pas l’intérêt public1108. Certes, en pratique, à cause de la faible position des
tribunaux et cours populaires par rapport aux organes administratifs dans l’ensemble
du système hiérarchique des autorités publiques, le juge chinois ne peut que s’abstenir
à ordonner l’injonction pour son propre intérêt. Ainsi, le déséquilibre s’établit entre
l’administration et l’administré quant au recours juridictionnel: en ce qui concerne
l’expropriation des biens, le tribunal local favorise l’administration davantage que
l’administré. L’indépendance et l’impartialité du tribunal local ont été ainsi remises en
cause dans les affaires dans lesquelles s’immiscent les gouvernements locaux.
L’inutilité du recours juridictionnel n’est que a raison principale des recours au rapport
de force par les citoyens pour défendre leurs droits reconnus par la loi mais sans être
effectivement garantis par voie judiciaire. C’est pourquoi l’autorité administrative est
poussée à la « ligne du front » pour résoudre les conflits qui n’ont pas été tranchés par
les organes juridictionnels qui « ne dispose[nt] pas encore de l’autonomie nécessaire
vis-à-vis des assemblées populaires et des organes administratifs et politiques »1109.
SECTION II. – LE ROLE DE L’AUTORITÉ ADMINISTRATIVE DANS LA
MISE EN OEUVRE DES GARANTIES DU DROIT DE PROPRIÉTÉ
1108 V., article 44 (2) de la loi sur le contentieux administratif. 1109 Pierre BORRA, Haifeng ZHAO, « La réforme judiciaire en Chine », Gazette du Palais, 17 juillet 2004, n° 199, p. 12.
332
314. - Jusqu’à aujourd’hui, l’autorité administrative demeure « la partie prenante »
dans la mise en oeuvre des garanties du droit de propriété dans le contexte spécial de
droit chinois. D’une part, la dépendance des organes juridictionnels entraîne la
méfiance des citoyens envers le recours juridictionnel pour remédier aux atteintes au
droit de propriété privée. La revendication de ce droit s’accompagne parfois d’un
rapport de force avec l’autorité administrative lequel reste le dernier recours utilisable
par les citoyens (Sous-section 1). D’autre part, la sauvegarde des biens publics est
largement confiée au pouvoir exécutif, le juge ne jouant qu’un rôle très marginalisé en
matière d’administration et de gestion des biens publics qui sont loin d’être
judiciarisées (Sous-section 2).
Sous-section 1. – Le rôle de l’autorité administrative à l’épreuve de la
revendication des droits par les citoyens
315. - Le manque d’intérêt dans le concept de séparation des pouvoirs, et donc dans
celui d’indépendance judiciaire et dans la dépolitisation de l’appareil judiciaire,
constitue l’obstacle principal à l’application du droit par les juges chinois. C’est
également les raisons pour lesquelles la revendication des droits contourne souvent les
organes juridictionnels et s’adresse directement aux organes administratifs qui
considèrent comme prioritaire le maintien de la stabilité sociale (§ 1). L’autorité
administrative entend faire des concessions nécessaires destinées à améliorer la
protection de droits, mais la répression peut être utilisée au moment où la pérennité du
régime serait menacée par la revendication des droits (§ 2). Tandis que la conscience
du droit ne cesse de s’accroître et contribue aux « résistances pour le droit »1110, la
répercussion sociale du recours au rapport de force met en relief l’importance de la
modération des mouvements des citoyens dont l’objectif est toutefois moins politique
que juridique1111. La tension entre la dominance de l’autorité administrative et la
revendication des droits des citoyens pourrait entraîner le changement 1110 O’Brien Kevin J., LI Lianjiang, Rightful resistance in China, Cambridge University Press, 2006, p. 5 1111 Keith J. HAND, « Using law for a righteous purpose: the SUN Zhigang incident and evolving forms of citizen action in the People’s Republic of China », 45 Colum. J. Transnat’l L. 114, p. 119.
333
juridico-politique de la Chine du fait que le droit de propriété est l’un des éléments
relativement plus importants de la réforme du droit chinois.
§ 1. – La revendication des droits des citoyens
316. - L’inutilité du recours juridictionnel est la cause principale de la revendication
des droits par voie non juridictionnelle (A). Mais cette revendication qui s’est
caractérisée dans un premier temps par la demande de l’effectivité des droits s’est
étendue à certains droits qui ne sont pas encore légalement reconnus et à la restitution
des certains biens qui furent privés au temps passé (B).
A. – La revendication des droits comme remède à l’inutilité du recours
juridictionnel
317. - La revendication des droits par le peuple chinois, qu’il s’agisse des paysans
ou des citadins, s’inscrit dans « un mouvement de défense des droits qui a évolué,
passant d’une résistance en vue de défendre de simples intérêts à une résistance
politique pour la protection de droits »1112 . Dès lors, c’est la nature légale du
mouvement qui constitue sa spécificité. Mais il faut encore nuancer la revendication
qui vise à l’effectivité des garanties de droits (2) et celle qui vise à faire reconnaître les
droits par l’État. Alors que la première se sert de la loi comme une sorte d’arme, la
seconde entretient plutôt une vision critique envers la loi en recourant à la notion
fondamentale de justice. Cependant, la différence n’est pas absolue, l’ineffectivité des
garanties des droits résulte souvent de l’ambiguïté des droits formellement garantis par
la loi. L’ambiguïté des droits reconnus par la loi n’est qu’une des causes de l’inutile
recours juridictionnel (1).
(1). – Les causes de l’inutile recours juridictionnel 1112 YU Jianrong, « Conflits dans les campagnes: la naissance d’une conscience politique paysanne », Perspectives chinoises, n° 3, 2007, p. 36 ; même auteur, « Dangqian nongmin weiquan huodong de yige jieshi kuangjia (Un cadre explicatif du mouvement de défense par les paysans de leurs droits) », Shehuixue yanjiu (Sociological Studies), 2004, n° 2, pp. 49 à 55.
334
318. - Après plus vingt ans de retour au droit, l’autonomie judiciaire en Chine subit
toujours des contraintes extérieures provenant du régime de l’État-Parti, tant au niveau
national qu’au niveau local1113. Ces contraintes deviennent aussi les obstacles d’ordre
politique à l’impartialité du juge. En l’état actuel, il est prématuré de parler de véritable
suprématie du droit ou de la Constitution en Chine où existe l’opposition entre « la
suprématie de la Constitution et la direction du pays par le PCC »1114. En d’autres
termes, il s’agit d’une incompatibilité manifeste entre la suprématie absolue du PCC et
l’État de droit1115. Dans ce contexte, pour maintenir la pérennité du régime, le PCC
rejette constamment la notion de la séparation des pouvoirs telle que développée par
Montesquieu 1116 . L’indépendance du pouvoir judiciaire, selon la conception
occidentale –surtout l’autonomie du juge dans l’exercice de sa fonction– n’est pas
encore acquise en Chine1117. Par conséquent, l’exercice de la fonction juridictionnelle
soumet le juge à diverses pressions de nature institutionnelle. Par excellence, les juges
eux-mêmes doivent aligner leurs opinions et décisions sur les opinions du Comité
judiciaire dont le président est généralement membre du PCC1118. L’impartialité du
juge chinois est souvent mise en doute dans les affaires où sont impliqués les intérêts
du gouvernement local, tel est le cas du contentieux portant sur la démolition des
bâtiments dans des zones urbaines. Il arrive très souvent que les personnes qui
maintiennent des relations personnelles avec les officiels locaux prennent leurs parts
pour s’enrichir dans un projet d’exploitation commerciale des terrains1119. Le refus de
traiter certaines affaires dans lesquelles sont impliqués les intérêts du gouvernement 1113 Stanley LUBMAN, « Bird in a cage: Chinese law reform after twenty years », 20 Nw. J. Int'l L. & Bus. 383, pp. 395, 396. 1114 CHEN Jianfu, « La révision de la Constitution en République populaire de Chine », Perspectives Chinoises, 1999, n° 53, p. 65. 1115 V., J. –P. CABESTAN, « Chine : un État de lois sans État de droit », Revue Tiers-Monde, 1996, n° 147, p. 663 à 666. 1116 V., WU Bangguo, « Discours devant la 1ère session du Comité permanent du XIème APN en date du 19 mars 2008 », loc. cit. 1117 XIN Chunying, Chinese Courts: history and Transition, Law Press China, 2004, p.177. 1118 Ibid., p. 180. 1119 V., Gregory M. STEIN, « Acquiring land use rights in today’s China: A snapshot from on the ground », 24 UCLA Pac. Basin L.J. 1, pp. 16, 18, 45; Pamela N. PHAN, « Enriching the land or the political elite? Lessons from China on democratization of urban renewal process », op. cit., pp. 608 et s.
335
local et de ses membres constitue parfois une stratégie pour le tribunal local afin
d’éviter de se confronter aux organes administratifs ou d’être mis à l’index par les
citoyens1120. Il en fut ainsi lorsque la Cour populaire suprême s’abstint d’examiner
directement les affaires d’indemnisation en cas d’expropriation en exigeant l’arbitrage
administratif comme préalable obligatoire à tout contentieux administratif. Certes, le
recul stratégique du juge dans les affaires sensibles a pour effet de placer les organes
administratifs au centre des conflits.
319. - L’ambiguïté du raisonnement juridique est aussi un obstacle à la confiance des
citoyens sur l’autorité judiciaire. En effet, il est généralement vain de songer à la
jurisprudence pour évaluer le rôle du juge, puisque le motif des décisions judiciaires
est souvent mal prononcé et parfois indétectable. Du fait de l’existence de nombreuses
interprétations judiciaires créatrices, les juges des cours inférieures s’habituent, dans
l’exercice de leur fonction juridictionnelle, à d’abord apprécier les faits, puis à les
rattacher à des textes pour rendre leur décision. Il semble donc qu’ils n’aient pas
besoin d’interpréter eux-mêmes les lois, et que l’acte de juger se limite à appliquer
machinalement un texte de loi à des faits concrets. On a souligné qu’en respectant « les
faits comme base, et la loi comme critère », un slogan qui est la ligne directrice des
juges chinois, ces derniers se soustraient de leur fonction dans l’interprétation
« concrète » des règles de droit1121. Par conséquent, si l’on fait la lecture sur des
jugements des tribunaux et des arrêts des cours populaires, on ne trouve que
l’énumération des articles des textes normatifs applicables et la conclusion sur l’affaire
jugée dans le corps des jugements et des arrêts, la motivation des juges faisant presque
toujours défaut. L’absence de motivation peut contribuer à l’arbitraire du juge. Il n’y a
donc pas de prévisibilité en matière de résolution des litiges par voie juridictionnelle.
La pratique démontre que le juge chinois est sensible à l’influence extérieure telle que
l’opinion publique ou à l’avis des autorités gouvernementales qui peuvent avoir
d’importantes incidences sur la décision judiciaire finale. Dans certains cas, la décision
judiciaire ne pouvait que partiellement ou complètement méconnaître des règles de 1120 V., Xin HE, « Why did they not take the disputes? Law, power, politics in the decision-making of Chinese Court », International Journal of Law in Context, n° 3, 2007, pp. 203 à 225. 1121 CHEN Chunlong, « La place et les fonctions de l’interprétation judiciaire en Chine », op. cit., p. 228.
336
droit pour se rendre compatible avec la volonté du gouvernement ou pour répondre à
l’opinion publique. C’est la raison pour laquelle les parties au contentieux mobilisent
souvent les médias, l’autorité gouvernementale locale ou supérieure, afin d’influencer
la formation de la décision judiciaire en provoquant des répercussions sociales de
l’affaire1122. Ce fut notamment le cas lors que le droit d’exploitation forfaitaire du sol
rural fut en cause, le juge maintint sa neutralité et se montre parfois plutôt bienveillant
envers les villageois à cause de leurs efforts de mobilisation1123.
320. - L’impuissance de l’autorité judiciaire se traduit également lors de l’exécution
des jugements. En effet, l’exécution des décisions judiciaires par les tribunaux ou les
cours populaires rencontre souvent de graves difficultés liées principalement au
pouvoir administratif –par exemple, le phénomène ancien et connu du protectionnisme
judiciaire local1124. Parmi les causes majeures de la non-exécution des jugements –tels
que la culture juridique traditionnelle, la position des tribunaux et des cours au sein de
l’appareil politique chinois, le retard des réformes juridiques sur les réformes
économiques et les changements sociaux, le rôle particulier de l’État–, les plus sérieux
sont les interférences de l’administration ou du PCC, phénomènes profondément
ancrés dans le paysage institutionnel chinois et en contradiction avec le principe
d’indépendance judiciaire1125. Car les tribunaux sont même considérés comme une
partie et une partie seulement de la structure de pouvoir du gouvernement et non pas
comme distincts des organes administratifs1126.
321. - À la dépendance de l’autorité judiciaire à l’autorité administrative, s’ajoute le
fonctionnement du système judiciaire selon le modèle de la hiérarchie bureaucratique
1122 V., WU Jing, « Yulun jiandu sifa de pinghengdian (Le point d’équilibre dans la surveillance médiatique sur le judiciaire) », Remin fayuanbao (People’s Court Daily), 19 juin 2006, B1. 1123 V., par exemple, WANG Hansheng, SHEN Jing, « La formation des droits de propriété dans les campagnes chinoises », Études rurales, 2007, n°179, pp. 198, 199 ; Eva PILS, « Land disputes, right assertion, and social unrest in China: a case from Sichuan », 19 Colum. J. Asian L. 235, pp. 271 à 275; Peter HO, Institution in transition: land ownership, property rights, and social conflict in China, op. cit., p.50. 1124 CHEN Jianfu, « L’application du droit en Chine : une bataille politico-légale », Perspectives chinoises, n° 72, 2002, pp. 28 à 38. 1125 V., Donald C. CLARKE, « Power and politics in the Chinese court system », Columbia Journal of Asian Law, 1996, Vol. 10, n° 1, pp. 8 à 11, 41 à 49. 1126 CHEN Jianfu, « L’application du droit en Chine : une bataille politico-légale », op. cit., p. 33.
337
de l’Administration dans lequel la responsabilité individuelle du juge est minimisée.
L’inexistence d’un régime de responsabilité individuelle du juge est aussi considérée
comme l’une des causes de la corruption judiciaire en Chine1127. Dans la première
réforme judiciaire quinquennale, la lutte contre la corruption judiciaire semblait avoir
constitué un objectif prioritaire. Le code de déontologie adopté par la Cour populaire
suprême en 2001 indique en détail aux juges ce que l’éthique professionnelle
commande ou interdit. Mais la Cour populaire suprême a confondu dans une large
mesure la déontologie judiciaire avec la moralité du juge qui elle-même relève de la
conscience personnelle. D’ailleurs, « la lourdeur de sa pédagogie peut apparaître
comme un indice de la profondeur des racines du mal »1128. On ne peut regretter que le
code déontologie judiciaire élaboré par la Cour populaire suprême n’ait pas débouché
sur l’amélioration de la garantie juridictionnelle des droits des citoyens. Très
récemment, suite à l’explosion des scandales impliquant un vice-président de la Cour
populaire suprême1129, l’autorité centrale a modifié son attitude. Le mot d’ordre
politique est désormais de renforcer davantage la lutte contre la corruption judiciaire et
de « réparer l’image déjà abîmée de la justice»1130. Il reste toutefois à vérifier si la
campagne lancée par la Cour populaire suprême peut produire des résultats positifs en
améliorant l’effectivité du recours juridictionnel en Chine. Il faut remarquer que dans
un contexte où l’autorité judiciaire se transforme en un pouvoir privatisé, personnalisé
et localisé, l’idée selon laquelle l’autorité judiciaire est le gardien de justice n’est donc
guère donc convaincant pour les citoyens. La « méfiance générale sur les organes
juridictionnels »1131 ne peut que conduire les citoyens à revendiquer leurs droits en
empruntant les voies administratives plutôt que juridictionnelles.
1127 Ting GONG, « Dependant judiciary and unaccountable judges: judicial corruption in contemporary China », The China Review, Vol. 4, n° 2, 2004, pp. 44, 50. 1128 Pierre BORRA, Haifeng ZHAO, « La réforme judiciaire en Chine », loc. cit. V., aussi, LI Yuwen, « Professional ethics of Chinese judges », Perspectives Chinoises, n° 76, 2003, pp. 38 à 51. 1129 V., reportage de China Daily, « Top court official, 3 lawmakers removed », disponible au site http://english.people.com.cn/90001/6523140.html, consulté le 29 octobre 2008. 1130 V., reportage de LI Xiaoye, « Zuigao fayuan xianqi fantan suzheng fengbao, xiufu renmin fayuan xingxiang (La Cour populaire suprême lance une campagne de lutte contre la corruption et de régularisation afin de restaurer l’image des cours populaires) », Ershiyi shiji jingji baodao (21st Century Business Herald), 9 janvier 2009. 1131 CAI Dingjian, « Development of the Chinese legal system since 1979 and its current crisis and
338
(2). – La revendication des garanties effectives des droits
322. - La forme non juridicitionnelle de la revendication des garanties effectives des
droits est le plus souvent l’action de « lettres et visites » (xinfang), c’est-à-dire de
déposer des plaintes et de solliciter l’intervention de l’autorité de hiérarchie supérieure
en effectuant des visites ou en envoyant des courriers à cette dernière afin de faire
corriger les erreurs des autorités hiérarchiques inférieures. Le traitement des actions
par lettres et visites par les autorités gouvernementales fut institutionnalisé en Chine
comme l’ « instrument alternatif de gouvernance »1132. En d’autres termes, « ‘lettres et
visites’, enfin, sont présentées comme contribuant à la supervision de
l’administration »1133. Le Règlement sur les activités des lettres et visites adopté par le
CAE en 1995 et révisé en 2005 est la source juridique principale en la matière. La
fonction des activités des lettres et visites pourrait être mieux comprise au regard du
droit de pétition en droit français qui est considéré comme l’un des moyens de
protection des libertés non organisés par le droit positif. « Dépourvu de sanctions
directes, le droit de pétition vaut surtout en tant que moyen de pression » et connaît un
déclin relatif en France1134. Certes, la « pétition chinoise » –pour désigner les activités
de lettres et visites dans le cadre du droit chinois– est largement utilisée par les
citoyens pour remédier à l’insuffisance des voies de recours juridictionnel en vue de
résoudre les questions de droit, par exemple, celles liées à la perception illégale des
impôts ou d’autres contributions non prévues par la loi, ainsi que les conflits relatifs à
l’usage du sol rural. D’ailleurs, tous ces problèmes susmentionnés relèvent de la
jouissance du droit des paysans sur leurs biens. Les visites collectives représentent le
mouvement typique par lequel les masses populaires appartenant aux couches
inférieures utilisent le procédé de pétition pour faire valoir leurs droits, protéger leurs
intérêts et faire entendre leurs exigences. À cause des mesures d’expropriations, de transformation », Cultural Dynamics, Vol. 11, N° 2, 1999, p.154. 1132 Carl F. MINZNER, « Xinfang: An alternative to formal Chinese legal institutions », 42 Stan. J. Int’l L. 103, p. 107. 1133 Thierry SANJUAN (Sous la dir. de), Dictionnaire de la Chine contemporaine, Armand Colin, 2006, p. 27. 1134 Jean RIVERO, Hugues MOUTOUH, Libertés publiques, t. 1, 9e édition mise à jour, PUF, 2003, p. 265.
339
réquisition ou d’autres formes d’occupations jugées illégitimes, le nombre d’actions
collectives et de protestations paysannes n’a fait que croître depuis 19951135. Toutefois,
à défaut de statistiques officiels, il est difficile de préciser les nombres. Mais les
reportages fréquents sur des affaires de pétitions liées à l’expropriation des terres
rurales ou à la démolition des bâtiments dans des zones urbaines peuvent donner une
idée de l’ampleur de la situation1136. En matière d’expropriation des terres rurales, il
n’est pas rare que les paysans des villages concernés par l’expropriation fassent
parvenir des pétitions devant le CAE et ses ministères compétents en vue d’obtenir la
juste indemnisation contre le gouvernement local responsable des mesures
d’expropriation1137.
323. - La revendication des droits par lettres et visites en cas d’expropriation prend
une signification particulière dans la mesure où elle puise son origine dans le conflit
entre les droits et intérêts des citoyens et ceux de l’État. C’est notamment le cas de
l’affaire retentissante des entreprises pétrolières à la province du Shanxi1138. Cette
province est riche de ressources pétrolières dont l’exploitation fut longtemps
monopolisée par l’entreprise d’État Petrochina. En 1994, en vue de réaliser davantage 1135 YING Xing, « Les visites collectives des paysans auprès des autorités supérieures », Études rurales, 2007, n° 179, p. 157 ; v., aussi, YANG Weidong, « Woguo xinfang zhidu de chonggou –jianlun xin xinfang tiaoli de queshi (Sur la reconstruction du système des lettres et visites : à propos des faiblesses du nouveau règlement sur les lettres et visites) », Guojia xingzheng xueyuan xuebao (Journal of China National School of Administration), 2005, n° 6, pp. 34 à 37. 1136 V., reportage de MENG Hai, « Chaiqian shangfang yueyanyuelie, chaiqian gongcheng heshi caineng budongyong jingli ? (La pétition en matière de démolition des bâtiments dans des zones urbaines prend son ampleur : la mobilisation de la force de police serait-il toujours indispensable ? )», disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/newscenter/2004-04/26/content_1440743.htm, consulté le 5 mai 2008 ; XIE Wei, « Jianshebu : shangbannian chaiqian zhengdi shangfang chaoguo qunina zongliang (Le nombre de pétitions accueillies par le Ministère de la Construction fin du juin en matière d’expropriation des terres collectives et de démolition des bâtiments dans des zones urbaines dépasse la totalité de celles de l’année dernière)», Xinjingbao (The Beijing News), 5 juillet 2004. 1137 Eva PILS, « Land disputes, right assertion, and social unrest in China: a case from Sichuan », op. cit., p. 266. 1138 V., YANG Peng, « Jingji wenti zhengzhihua de weixian: shanbei shiyouan dongtai fenxin (Les risques de la politisation des questions économiques: l’analyse sur l’affaire de pétrole de Shanbei ) », Zhongguo gaige (China Reform), 2005, n° 7, pp. 61 à 62 ; v., aussi reportage de GAO Zhan, « Shanbei shiyouan zhengzhihua : minqi kaicai shiyou shifou hui wangdang wangguo? (La politisation de l’affaire des entreprises pétrolières dans la province du Shanxi : l’extraction du pétrole par les entreprises privées est-elle une menace pour l’État-Parti ?) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/report/2005-07/11/content_3204440.htm, consulté le 6 mai 2008.
340
de profits de l’extraction des réserves de pétrole, un accord fut établi entre Petrochina
et le gouvernement provincial de Shanxi selon lequel Petrochina consentait à transférer
certains territoires au gouvernement provincial du Shanxi en permettant à ce dernier
d’exploiter les réserves de pétrole. Par la suite, sous contrôle du gouvernement
provincial du Shanxi, les gouvernements locaux furent autorisés à solliciter des
investissements privés dans l’extraction du pétrole sous forme de contrat de concession
du droit d’exploitation. D’où une vague de « privatisation » de l’exploitation des
réserves de pétrole par les entreprises privées. Certes, dès 1999, la fluctuation du prix
du pétrole et l’augmentation considérable de la demande conduisit le gouvernement
central à soumettre les exploitations pétrolières sous contrôle direct de l’État. La
politique macro-économique de concentration visa, entre autres, la suppression du droit
d’exploitation des réserves de pétrole déjà concédé par les gouvernements locaux, en
dépit du fait que la plupart des contrats de concession furent encore valables. En 2003,
pour répondre à l’exigence du gouvernement central, le gouvernement provincial du
Shanxi permit aux gouvernements locaux d’adopter des mesures forcées, y compris le
déploiement de la force de police, afin de mettre fin à l’opération des entreprises
privées et à les expulser des territoires où se trouvaient des forages. Ces mesures se
heurtèrent à la résistance des investisseurs privés ainsi qu’aux paysans locaux avec des
conflits physiques parfois sanglants. Pour trouver une issue dans cette affaire, les
investisseurs privés locaux s’organisèrent pour revendiquer leurs droits au moyen de la
pétition devant l’autorité nationale. La lettre de pétition fut même présentée au Premier
ministre WEN Jiabao. Parallèlement, des contentieux administratifs furent menés
contre les gouvernements locaux et le gouvernement provincial du Shanxi. Des
économistes, des juristes et des avocats furent mobilisés par les investisseurs pour
renforcer la revendication de leurs droits. L’enjeu dans cette affaire fut le montant de
l’indemnisation versée par les gouvernements de différents échelons de la province du
Shanxi: environ mille entreprises privées concernées réclamèrent des
dommages-intérêts évalués à 7 milliards yuans pour la violation du contrat de
concession. Le processus de la pétition, déjà assimilé à la négociation informelle entre
le gouvernement et les entrepreneurs privés, fut préféré au recours juridictionnel. Ainsi,
jusqu’à aujourd’hui, aucun jugement n’a jamais été rendu dans cette affaire.
341
La revendication des droits se transforme dans la pratique en un jeu de rapport de
force. D’un côté, l’intimidation et la répression imposées par les gouvernements locaux,
de l’autre, la pression par la résistance et la menace de la mobilisation sociale par les
entrepreneurs privés, sont en Chine des stratégies de négociation, mais aussi un jeu de
rapport de force entre gouvernement et gouvernés dont le résultat reste imprévisible. Il
est regrettable que le système juridique qui établit la voie formelle de recours
juridictionnel soit marginalisé par le système de pétition1139. En conséquence, certaines
questions juridiques majeures restent ouvertes: la suppression du droit d’exploitation
par la résiliation unilatérale du contrat de concession constitue-t-elle dans la présente
affaire une forme de nationalisation ? Est-elle compatible avec la Constitution ? Selon
quels critères déterminer le montant juste de l’indemnisation dans l’hypothèse où les
biens privés sont expropriés par les actes du gouvernement, alors que celui-ci demeure
interventionniste dans la régulation économique? L’effet de la revendication de
l’effectivité des garanties du droit est donc variable selon le résultat du jeu des
pouvoirs qui n’est donc pas nécessairement compatible avec les règles de droit. II est
aussi regrettable que récemment la tendance de recourir à la violence s’accentue
notamment dans le domaine de démolition des bâtiments dans des zones urbaines1140,
ce qui reflète d’une certaine manière la marginalisation du recours juridictionnel
auquel les citoyens semblent avoir totalement perdu leur confiance1141. Les personnes
menacées par l’expropriation retournent vers la protestation physique en déstabilisant
l’ordre social, en vue d’obtenir des concessions de la part des gouvernements central et
local qui considèrent comme politique prioritaire le maintient de la stabilité sociale.
B. – Le développement de la revendication des droits
1139 Carl F. MINZNER, « Xinfang: An alternative to formal Chinese legal institutions », loc. cit. 1140 V., reportage de Reuters sur l’insurrection à la province du Gansu provoquée par le projet d’expropriation du gouvernement local de Longnan, « Top official meets rioters as China seeks stability », disponible sur le site http://www.reuters.com/article/worldNews/idUSTRE4AK0H820081121, consulté le 14 janvier 2009. 1141 V., Xiaoping CHEN, « The difficult road for rights advocacy : an unpredictable future for the development of rule of law in China », 16 Transnat’l L. & Contemp. Probs. 221, pp. 238 et s.
342
324. - Les propos de reforme sur la privatisation des terres collectives (1) et la
revendication de la restitution de certains biens immobiliers expropriés (2) sont deux
exemples du développement de la revendication des droits dont l’effet potentiel sur la
transformation du droit chinois ne doit pas être sous estimé.
(1). – Les propos de privatisation des terres collectives
325. - L’ineffectivité des garanties du droit est souvent liée à l’imprécision,
l’ambiguïté et parfois à l’aspect contradictoire des textes adoptés1142. En matière de
terres collectives, les textes législatifs tendent, d’une part, à protéger le droit de l’État
et de ses représentants à procéder à des expropriations et, d’autre part, à protéger le
droit des paysans à exploiter les terres collectives et à contrôler les transferts du droit
d’exploitation forfaitaire des terres rurales. « Mais tant qu’aucune mesure ne sera
adoptée pour modifier le rapport de force entre les paysans et les gouvernements
locaux qui apparaissent comme les porte-parole de la collectivité, ces droits seront
difficiles à mettre en application »1143. Cette incapacité ne tient pas seulement aux
contradictions internes aux textes de lois, à l’importance des bénéfices générés par les
transactions, aux besoins croissants des finances locales ou aux tensions existant entre
les différents échelons administratifs. « Elle provient avant tout des difficultés
rencontrées pour fonder, en toute légitimité et en toute légalité, le régime actuel de
propriété collective des terres agricoles»1144. En d’autres termes, c’est la légitimité de
la propriété collective des terres elle-même qui est mise en doute. Dans la pratique,
« rendez-nous nos terres ! » sont les mots souvent utilisés par les paysans pour
revendiquer leurs droits1145. L’idée de reconnaître les droits réclamés par les paysans
est partagée par certains intellectuels. Ces derniers font également appel à la réforme
du régime de propriété publique des terres par la privatisation afin d’accorder le droit
de propriété des terres au peuple qui les exploite et dont leur subsistance dépend. Peu
1142 V., Matthew S. ERIE, « China’s post-socialiste property rights regime: assessing of the impact of the property law on illegal land takings », 37 HKLJ 919, pp. 946 à 948. 1143 Isabelle THIREAU, HUA Linshan, « Introduction », Études rurales, 2007, n°179, p.13. 1144 Ibid., p.14. 1145 Ibid., p.16.
343
de temps après la promulgation de la loi sur les droits réels, le professeur QIN Hui
publia son article critiquant la propriété collective des terres en droit chinois comme
étant l’origine des atteintes aux droits de paysans. L’auteur a souligné que
l’indemnisation injuste en cas d’expropriation est inhérente au régime de propriété
collective, que la propriété collective est en-soi incompatible avec l’économie de
marché1146. L’auteur a même renversé l’hypothèse sur les risques de la privatisation
selon laquelle la privatisation des terres entraînerait l’annexion des terres et la
paupérisation des paysans individuels qui menaceraient par conséquent la stabilité du
régime politique 1147 . L’idée de privatiser les terres collectives 1148 a récemment
provoqué les débats sur le fondement légitime du régime de propriété collective. Cela
signifie que l’adoption de la loi sur les droits réels n’a pas pu mettre le point final aux
propos de réforme.
326. - Les propos de privatisation s’appuient principalement sur des études qui
établissent que la propriété collective des terres cultivables et l’insécurité qui en
découle constituent les obstacles au développement rural. En effet, l’absence de
perspective à long terme, qui est le résultat de droits de propriété incomplets, empêche
les paysans d’investir dans leurs terres de peur que les fruits de leur investissement
soient récoltés par d’autres. C’est-à-dire que l’absence de droits de propriété privée
pour les terres cultivables et donc d’un véritable marché foncier est perçue comme un
obstacle à l’attribution et à l’exploitation efficace des terres1149. « Toutes ces analyses
militent en faveur d’une privatisation radicale des droits fonciers en Chine pour des
raisons d’efficacité et d’équité »1150. Le propos de privatisation a été récemment
réactualisé par la publication d’un rapport d’étude intitulé « [L]a réalisation et la
1146 QIN Hui, «Nongmin diquan liulun (Six propos sur les droits des paysans sur le sol) », Shehui kexue luntan (Tribune of social sciences), n° 9, 2007, pp.122 à 146. 1147 V., par exemple, LI Changping, « Shenyan nongcun tudi siyouhua (Propos prudent sur la privatisation des terres rurales) », Dushu (Lecture), n° 6, 2003, pp. 93 à 95. 1148 Pour ceux qui contestent aussi le régime de propriété collective des terres, v., aussi, CHEN Wendi, WU Chuntao, Les paysans chinois aujourd’hui : trois années d’enquête au coeur de la Chine, traduit du chinois par Shenyi LUO, Bourin Éditeur, 2007, pp. 206 et s. 1149 V., par ex.,DONG Xiaoyuan, « Two-tier land tenure system and sustained economic growth in post-1978 rural China », World Development, vol. 24, n° 5, 1996, p. 915 à 928. 1150 Maëlys DE LA RUPELLE, DENG Quheng, LI Shi, Thomas VENDRYES, « Insécurité foncière et flux migratoires intérieurs en Chine », Perspectives chinoises, 2008, n° 2, p. 38 ;
344
protection de la propriété foncière dans le contexte de l’urbanisation »1151. Dans ce
rapport, l’étude menée par l’économiste chinois MAO Yushi montre que la libre
cession du droit d’usage du sol collectif par la suppression des limitations au
changement de l’utilisation agricole des terrains ruraux peut contribuer non seulement
à mieux protéger les droits et intérêts des paysans, mais aussi à répondre aux besoins
de l’urbanisation en facilitant la transformation des terres rurales à l’usage de
construction. En s’appuyant sur les différentes expériences des localités dans le
transfert du droit d’usage du sol rural permettant la transformation à l’usage industriel
et commercial, l’auteur estime que le contrôle gouvernemental à l’usage agricole des
terrains est contraire aux règles de marché et constitue l’obstacle principal à la mise en
valeur de la propriété foncière des paysans par rapport à la propriété foncière dans les
zones urbaines. Reconnaître la libre cession du droit d’usage du sol collectif d’une part,
et, d’autre part, supprimer le régime d’expropriation des terres collectives –mesure
principale par laquelle l’État et les gouvernements locaux maintiennent leurs pouvoirs
de contrôle sur le changement de l’usage agricole des terres–, sont les réformes qui
peuvent contribuer à l’amélioration de la protection du droit d’usage portant sur le sol
collectif sans pour autant abolir complètement le régime de propriété collective. Il faut
remarquer que le rapport d’étude n’envisage pas la privatisation, au contraire, il
affirme le maintien du régime de propriété collective des terres. Pourtant, les réformes
ainsi envisagées sont vivement critiquées. Par exemple, M. WEN Tiejun, chercheur
chinois connu sur le sujet des réformes rurales, considère que la suppression du
contrôle étatique sur l’usage agricole du sol rural en reconnaissant la libre cession de
ce droit est la privatisation de facto de la propriété collective des terres. La libre
cession du droit d’usage du sol rural peut menacer la sécurité de la production agricole,
l’économie nationale et compromettre les intérêts de la majorité des paysans chinois
dans la mesure où elle creuse l’écart entre revenus comme résultat de la concentration
des terres sur les mains des grands propriétaires1152. Force est de constater que les
1151 Cf., Unirule Institute of Economics, La réalisation et la protection de la propriété foncière dans le contexte de l’urbanisation, disponible sur le site http://www.unirule.org.cn/xiazai/20081/20080115.pdf, consulté le 21 janvier 2009. 1152 V., WEN Tiejun, « Woguo weishenme buneng shixing tudi siyouhua (Pourquoi la Chine ne doit pas privatiser les terres) », Hongqi wengao (Red Flag Manuscript), n° 2, 2008.
345
débats à propos de la réforme relèvent moins du fondement idéologique de la propriété
publique que de la fonction d’utilité de l’administration du droit d’usage portant sur les
terres rurales. C’est-à-dire que les mesures de réforme seront mises à l’épreuve pour
déterminer si elles peuvent optimiser ou non le bien-être des paysans chinois. Il semble
donc que les considérations de la rationalité économique l’emportent sur la dimension
politique des réformes concernant la propriété publique des terres –souvent considéré
comme fondement du régime socialiste. Les propos de réforme qui s’inscrivent dans la
revendication des droits et se fondent désormais davantage sur les raisons économiques
peuvent produire leur impact sur l’évolution du droit foncier chinois, bien que le
gouvernement central campe avec fermeté sur l’impossibilité de privatiser les
terres1153.
(2). – La revendication de la restitution de certains biens immobiliers expropriés
327. - Dans les zones rurales, les paysans furent dépouillés de leurs droits fonciers
par la collectivisation des terres comme les propriétaires des maisons d’habitations
dans les zones urbaines furent privés de leurs droits dans les années 60, lors de la
Révolution culturelle. Dans ce dernier cas, il s’agit des maisons et des appartements
des grands propriétaires « transférés » à l’État qui les loua à loyer modéré aux
personnes démunies. Certes, le transfert ne s’effectua jamais à travers la procédure
formelle d’expropriation ou de réquisition, il se justifia par la politique de l’État pour
mettre en oeuvre l’égalité entre citoyens. Dans ce mouvement de socialisation ayant
pour l’objectif de supprimer la classe exploiteuse, le gouvernement central transféra
systématiquement la propriété de tous les logements de grands propriétaires à l’État qui,
par voie de conséquence, s’appropria de facto le statut du bailleur. Les anciens
propriétaires n’eurent que le droit de partager avec l’État une part fixe des loyers payés
par les occupants en tant que locataires1154.
1153 V., reportage de AN Bei, DONG Jun, « CHEN Xiwen: Zhongguo buhui shixing tudi siyouhua (CHEN Xiwen: la Chine ne procédera jamais à la privatisation des terres) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/fortune/2007-01/30/content_5674985.htm, consulté le 7 mai 2008. 1154 Ce droit à partager une part des loyers fut de facto supprimé avec l’avènement de la Révolution culturelle.
346
328. - Mais il faut encore souligner la différence entre la collectivisation du sol rural
et la privation du droit de propriété des maisons d’habitation et des appartements dans
les zones urbaines. Il est vrai que les deux mesures furent prises par l’État sans que ce
dernier se fonda sur une base juridique claire à l’époque. Avec la promulgation de la
Constitution de 1982, la propriété collective du sol rural fut désormais
constitutionnellement affirmée, alors que la propriété privée des maisons d’habitation
et des appartements fut maintenue selon l’article 13 avant d’être amendée en 20041155.
Mais l’adoption de la Constitution de 1982 ne s’accompagna pas du retour des maisons
d’habitations et des appartements déjà nationalisés lors du mouvement de socialisation.
Au lieu d’être restituées à leurs propriétaires à la fin de la Révolution culturelle, le
gouvernement central retint les maisons d’habitations et des appartements ainsi
appropriés par l’État en considérant qu’ils furent la propriété de l’État1156. En pratique,
les maisons d’habitations et des appartements ainsi appropriés par l’État furent gérés et
administrés par les organes gouvernementaux compétents, plus souvent les bureaux
locaux d’administration des immeubles d’habitations. La révision constitutionnelle de
2004 et la promulgation de la loi sur les droits réels en 2007 ont toutefois encouragé les
tentatives de revendication de la restitution des maisons d’habitation et des
appartements de facto nationalisés pendant le mouvement de socialisation qui débuta
dans les années 50. Face à la fermeté du gouvernement central1157, la demande pour la
restitution de ces logements tendit toutefois à s’amplifier. Certains propriétaires et leurs
descendants portèrent les litiges devant les cours et les tribunaux populaires à
l’encontre des organes administratifs locaux compétents en vue de la restitution de
leurs droits spoliés durant cette période où le système juridique fut complètement
1155 L’article 13 de la Constitution avant d’être amendé dispose que « L’État protège le droit des citoyens à la propriété de revenus légitimes, d’épargne, de maisons d’habitation et d’autres biens légalement acquis ». 1156 V., ancien Ministère de la Construction urbaine et rurale et de protection de l’environnement, Opinion sur le problème historique de la socialisation des maisons d’habitations sous location, communiqué n° Chengzhuzi (87) 1985, 1 janvier 1985. 1157 V. l’ancien Ministère de la Construction, Opinion directive sur le traitement des lettres et visites en matière de démolition des bâtiments dans des zones urbaines, communiqué n° Jianzhuzi (2004) 160, 9 septembre 2004.
347
détruit1158. La revendication sera d’autant plus facilitée que les propriétaires et leurs
héritiers disposent désormais d’un nouvel instrument juridique en leur faveur. Il s’agit
du Règlement sur la publication des informations gouvernementales (zhengfu xinxi
gongkai), adopté par le CAE le 5 avril 2007 et entrée en vigueur le 1er mai 2008. Ayant
pour l’objectif principal de mettre en oeuvre le principe de transparence, ledit
Règlement prévoit le droit des citoyens à consulter les documents officiels détenus par
les autorités gouvernementales1159. Ce droit fut réclamé par les personnes privées pour
consulter et obtenir les documents administratifs relatifs à la privation des maisons
d’habitations et des appartements durant la période de socialisation. L’accès du public
aux documents officiels qui contiennent les décisions de privation fut pendant
longtemps refusé au public par les autorités compétentes au nom du secret d’État. Mais
en réalité il s’agit d’un moyen des gouvernements locaux pour se défendre contre la
revendication de la restitution de ces biens. L’apport du Règlement du CAE sur la
publication des informations gouvernementales consiste à ce qu’il reconnaît non
seulement aux citoyens le droit de consulter les documents officiels, mais aussi prévoit
le recours juridictionnel par lequel les citoyens peuvent solliciter la décision judiciaire
ordonnant les organes gouvernementaux à ouvrir des documents officiels. Dans ce
contexte, un pékinois a intenté un litige contre le refus par l’autorité municipale à
fournir les documents officiels relatifs à la privation des maisons d’habitation de ses
parents1160. Si, en l’état actuel, la possibilité de la restitution des biens immobiliers
expropriés au temps passé semble très minimale, les citoyens disposent toutefois au
moins des armes juridiques pour révéler la vérité comme la première étape de la quête
à la justice. La demande sur la restitution des biens illégitimement dépouillés est
d’autant plus significative qu’elle s’inscrit dans l’augmentation de la conscience du
droit des citoyens chinois. La revendication des droits ainsi renforcée conduit l’État à
1158 V., reportage de FU Xuming, « Jiejue jingzufang wenti sida guanjian (Les quartes clés à résoudre les problèmes entraînés par la socialisation des maisons d’habitation) », Zhongguo jingjishibao (China Economic Times), 2 février 2005. 1159 V., infra, n° 650 et s. 1160 V., reportage CHEN Junjie, HU Liu, « Xinxi gongkai fayuan shouli diyian ( Première affaire juridique relative à l’accessibilité des informations gouvernementales) », Xinjingbao (The Beijing News), 19 juin 2008.
348
prendre les attentes du peuple au sérieux et à remanier plus raisonnablement ses
politiques en la matière.
§ 2. – La réponse de l’autorité administrative face à la revendication des
droits
329. - L’utilisation des actions par lettres et visites comme moyen d’expression
auprès du gouvernement central est liée à la confiance que les pétitionnaires placent
dans l’autorité du gouvernement central et des lois nationales. Dans les zones rurales,
si l’insurrection n’est pas rare, elle vise toutefois les officiels locaux plutôt que
l’ensemble du régime, puisque la plupart des paysans croient que tous ces maux leur
sont infligés par l’autorité locale et peuvent être corrigés par l’autorité supérieure dès
que celle-ci est tenue au courant1161. Cela illustre la foi des citoyens dans le PCC et
l’État ainsi que leur système de valeurs. Lorsqu’ils font preuve d’une totale foi envers
le gouvernement, ils choisissent la « dialogue » ; quand cette foi n’est pas entièrement
perdue, ils se montrent en faveur de l’action « par la force » ; enfin, lorsqu’ils n’ont
plus confiance en aucun des échelons du PCC ni en aucune organisation
gouvernementale, ils prônent l’action « contestataire »1162. Certes, selon YU Jianrong,
chercheur de l’Académie des sciences sociales qui a dirigé une enquête sur le sujet de
pétition chinoise, pas plus de 2 plaintes sur 1 000 aboutissent. L’ineffectivité du
système de lettres et visites ne peut qu’alourdir le mécontentement des
« pétitionnaires » qui les pousse à se confronter avec le gouvernement en prenant des
mesures radicales1163. Ainsi en est-il des actions par lettres et visites des citoyens qui se
transforment souvent en protestations sous diverses formes contre les gouvernements
1161 Tony SAICH, Governance and politics of China, 2nd ed., Palgrave Macmillan, 2004, p. 205. 1162 XIAO Tangbiao, « Ershinian lai dalu nongcu de zhengzhi wending zhuangkuang (Stabilité des conditions des paysans en Chine pendant les vingt dernières années) », Ershiyi shiji (Twenty-first Century), octobre 2003, pp. 15 à 25. 1163 YU Jianrong, « Xinfang de zhiduxing queshi jiqi zhengzhi houguo (La faillite systématique de la pétition et son implication politique) », disponible sur le site http://www.chinaelections.org/NewsInfo.asp?NewsID=84598, consulté le 3 mai 2008 ; v., aussi, Pierre HASKI, « Bureau des pleurs et des coups à Pékin », Libération, 5 mars 2005, p.12.
349
locaux1164 et parfois par des mesures radicales dans l’expression de leur douleur et de
leur mécontentement comme des affaires tragiques, mais récurrentes, d’immolation par
le feu, etc1165. De même, la démolition des bâtiments dans des zones urbaines et
l’expulsion forcée des habitants ont aussi provoqué l’escalade des conflits1166. Dans le
contexte où la stabilité sociale est menacée par les « événements de masse », le
gouvernement central a réagi en adoptant une orientation politique en faveur des
citoyens en vue d’un retour à la paix sociale (A). Toutefois, des mesures répressives
furent également prises dès qu’elles furent jugées nécessaires à la pérennité du régime
(B). L’adoption de ces mesures ne suscite pas moins des critiques de la société.
A. – L’orientation politique en faveur des citoyens
330. - Sensibilisé par l’engrenage de la violence dont les victimes étaient les
habitants innocents dans la pratique de démolition et d’expulsion forcée (1) ou par les
actions collectives des paysans dépouillés de leurs terres (shidi nongmin)1167(2), le
1164 V., Howard FRENCH, « Land of 74,000 protests (but little is ever fixed) », N.Y. Times, 24 août 2005, A4; Jim YARDLEY, « Farmers being moved aside by China’s real estate boom », N.Y. Times, 8 décembre 2004, A1; SHI Jiangtao, « Peasants in upstream fight to halt dam », S. China Morn. Post, 4 janvier, 2005, p.10; J. O’BRIEN, LI Lianjiang, « Tactical escalation in rural China », Études rurales, 2007, n°179, pp. 169 à 192. 1165 HU Jie, « Zhu Zhengliang beijing zi fen zhi hou (Après l’immolation par le feu de Zhu Zhengliang à Pékin) », Nanfang dushibao (Quotidien de Nanfang), 23 septembre 2003; Melinda LIU, Anthony KUHN, « Petitioning the Emperor », Newsweek, 29 septembre 2003, p.32; v., aussi, reportage de LI Fu, « Neimenggu chifengshi hongshanqu zhengfu tongbao yin qiangzhi chaiqian yinqi yiqi zifen shijian de diaocha jieguo (Résultat de l’enquête sur l’immolation par le feu lors d’une exécution forcée de la démolition à Chifeng, Région autonome de la Mongolie intérieure », disponible sur site http://news.xinhuanet.com/society/2009-02/25/content_10888729.htm, consulté le 25 février 2009. 1166 V., par ex., Sara Meg DAVIS, « Demolished: forced evictions and the tenants’ rights movement in China », Human Rights Watch, mars 2004, Vol. 16, n° 4. 1167 V., par exemple, Valérie LAURANS, « Shanghai: l’argument du confort pour déplacer les résidents urbains », Perspectives chinoises, n°87, 2005, loc. cit. ; aussi, reportage de XU Shousong, HUANG Tingjun, YANG Jinzhi, « Dongqian gongsi renwei zonghuo shaosi guxi fufu (Un vieux couple âgé de soixante-dix ans est brûlé à mort par l’expropriant) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/house/2005-10/09/content_3598007.htm, consulté le 7 mai 2008 ; reportage de WANG Mian, GUO Bensheng, CONG Feng, «Shidi nongmin zaici yinfa daibiao weiyuan guanzhu (Les paysans sans terres attirent encore une fois l’attention des députés de l’APN)», disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/focus/2006-03/06/content_4260240.htm, consulté le 4 juin 2008.
350
gouvernement central prend souvent une série de mesures d’amélioration pour assurer
le retour à la stabilité sociale.
(1). – La prévention des expropriations illégales dans les zones urbaines
331. - Le CAE n’hésita pas à mettre un frein à l’aggravation des mesures illégales de
démolition. Par le communiqué officiel n° 46 (2004) sur le renforcement du contrôle
sur l’envergure des démolitions des habitations urbaines adopté le 6 juin 2004, le CAE
exigea que les gouvernements locaux abandonnent les mesures d’exécution forcée dans
la réalisation de projets de démolition et répriment les comportements brutaux de
l’expropriant. Faisant écho à l’avis du CAE, la Cour populaire suprême modifia son
attitude envers la prise des mesures d’exécution forcée de démolition. Lors de la
réunion annuelle de 2004 des présidents des cours populaires locales, le vice-président
de la Cour populaire suprême souligna que, par principe, les tribunaux locaux durent
s’abstenir d’apporter leur concours aux mesures d’exécution des gouvernements
locaux dans la procédure de démolition 1168 . Quant à la garantie du droit à
l’indemnisation en cas de démolition des bâtiments dans des zones urbaines, l’ancien
Ministère de la Construction 1169 qui fut l’administration principale des affaires
d’urbanisation prévit dans son arrêté ministériel les critères d’évaluation des
immeubles faisant l’objet d’expropriation afin de mieux déterminer le montant des
indemnités. Il s’agit des règles basées sur le prix du marché immobilier. Selon l’arrêté
ministériel, l’évaluation se fait par l’expert foncier désigné par l’expropriant ayant
obtenu le permis de démolir1170. Les gouvernements provinciaux suivirent l’indication
de l’ancien Ministère de la Construction en adoptant des règles d’expertise applicables
dans leurs territoires locaux. Les règles d’évaluation ainsi imposées par l’ancien
Ministère de la Construction demeurent valables jusqu’à aujourd’hui. Alors que 1168 V., reporte du WU Jing, « Fayuan bude yi renhe jiekou canyu chaiqian (Les tribunaux ne peuvent en aucun cas participer à la démolition)», Renmin ribao (Quotidien du Peuple), 18 décembre 2004, p. 2. 1169 Suite à la réorganisation d’avril 2008, l’ancien Ministère de la Construction est remplacé par le Ministère de l’habitation et du développement urbain et rural. 1170 V., l’ancien Ministère de la Construction, Directive sur l’évaluation du prix des habitations urbaines, disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/zhengfu/2003-12/03/content_1211069.htm, 3 décembre 2003.
351
l’expertise joue un rôle déterminant dans le contentieux administratif en matière
d’indemnisation, le juge peut annuler le résultat d’expertise si un accord est parvenu
entre l’expert foncier et l’expropriant ou en cas d’erreur manifeste de l’expert1171. Mais
l’amélioration la plus significative consiste en l’interdiction de la démolition et
expulsion forcées. En effet, selon ledit arrêté ministériel, si l’exproprié ne donne pas
son accord sur le montant des indemnités, ni l’expropriant ni le gouvernement local ne
peut prendre de mesures forcées, sauf si elles sont justifiées par la nécessité d’intérêt
public. En pratique, le maintien dans leur habitation et donc l’occupation continue de
la parcelle des terres visée par le projet d’expropriation constituent une stratégie des
expropriés dans sa négociation avec l’expropriant sur l’indemnisation, notamment dans
le processus de démolition des bâtiments dans des zones concernées par un projet
d’exploitation commerciale des terrains. D’où le fameux phénomène de « maison de
clous » expression chinoise désignant le refus des futurs expropriés de quitter les lieux
afin d’obtenir éventuellement des indemnités supplémentaires pour arriver à
l’indemnisation qu’ils jugent juste ou raisonnable1172.
(2). – Le renforcement de la protection des intérêts des paysans dépouillés de terres
332. - La même tendance de restriction à l’expropriation se manifeste également
dans les zones rurales. Alerté par le grignotage des terres arables du fait de
l’expropriation illégale, le gouvernement central fut déterminé à déployer des mesures
qui en renforcent la conservation. En 2004, le CAE adopta la décision sur
l’approfondissement des réformes et le renforcement de l’administration des terres,
réaffirmant ainsi la politique de mise en oeuvre d’ « un système le plus rigoureux en
matière de d’administration terres »1173. En vue d’institutionnaliser le contrôle du
1171 WANG Cailiang, Fangwu chaiqian yinan wenti jieda (Réponses aux questions difficiles relatives à l’expropriation des biens immobiliers dans les zones urbaines), op. cit., pp. 67 à 69. 1172 V., Howard W. FRENCH, « Homeowner stares down wreckers, at least for a while », New York Times, 27 mars 2007; aussi, reportage de Xinhua News Agency, « ‘Nail house’ in Chongqing demolished », disponible sur le site http://www.chinadaily.com.cn/china/2007-04/03/content_842221.htm, consulté le 7 mai 2008. 1173 CAE, Communiqué officiel Guofa n°28 (2004), 24 décembre 2004, disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/newscenter/2004-12/24/content_2377684.htm, consulté le 7 mai 2008.
352
gouvernement central sur l’usage des terres par les gouvernements locaux, le système
d’inspection nationale fut établi en 2006 sous l’égide du Ministère du Territoire et des
Ressources1174. En décembre 2006, fut approuvée la décision sur le recensement
national des terres dont l’objectif fut de recueillir des informations complètes afin de
faciliter le contrôle du gouvernement central sur l’usage du sol rural par les
gouvernements locaux1175. Depuis lors, des inspections furent menées par le Ministère
du Territoire et des Ressources en priorité de ses activités, afin de veiller à ce que les
règles de droit prévues par la législation nationale ait été respectées dans la pratique
des opérations foncières.
333. - Certes, la paupérisation des paysans spoliés de leurs moyens de production à
l’issue des expropriations du sol collectif fut d’autant plus préoccupante que les terres
cultivables diminuent sous la menace de l’urbanisation. La question de savoir comment
protéger les intérêts les paysans sans terres en leur rassurant un certain niveau de vie
devint l’un des sujets d’importance politique1176. À cet égard, l’établissement d’un
régime de protection sociale bénéficiant aux paysans concernés par l’expropriation du
sol collectif fut dans la ligne politique directrice du gouvernement central. Par le
communiqué Guobanfa (2006) 29 de l’Office du CAE, il est exigé que les
gouvernements locaux dotent des paysans privés de terres d’un régime de retraite,
d’assurance maladie et d’assistance sociale, droits auparavant réservés aux habitants
urbains. L’extension des régimes de protection sociale aux paysans correspond en effet
à l’exigence d’indemnisation juste aux expropriés. Par le communiqué Guofa (2006)
31, il est interdit aux gouvernements locaux de procéder à l’expropriation du sol
collectif sans préalablement avoir mené à bien l’installation des paysans concernés en
les intégrant dans les régimes de protection sociale. Le budget pour financer 1174 CAE, Communiqué officiel Guobanfa n°50 (2006), 13 juillet 2006, disponible sur le site http://www.gov.cn/zwhd/2006-07/24/content_393233.htm, consulté le 7 mai 2008. 1175 CAE, Communiqué officiel Guofa n° 38 (2006), 7 décembre 2006, disponible sur le site http://www.gov.cn/zwgk/2006-12/20/content_474183.htm, consulté le 7 mai 2008. 1176 V., reportage de GU Chun, « Chengshihua, xu shandai shidi nongmin (Les paysans sans terre devraient mieux protégés dans le processus d’urbanisation) », Renmin ribao (Quotidien du peuple), 18 septembre 2003, p.3 ; V., aussi, reportage de WANG Mian, LI Jiapeng, GUO Bensheng, «ZHOU Hongyu daibiao jianyi zhiding ‘shidi nongmin shehui baozhangfa (Un projet de loi sur la protection sociale des paysans expropriés est proposé par le député ZHOU Hongyu)», disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/misc/2006-03/04/content_4257484.htm, consulté le 4 juin 2008.
353
l’intégration des paysans aux régimes de protection sociale et les autres indemnisations
prévues par la loi doivent être assumés par les gouvernements locaux qui ont
compétence pour donner les autorisations sur les projets d’expropriation, à partir des
primes de concession du droit d’usage du sol. Confrontés aux contraintes budgétaires,
les gouvernements locaux peuvent être conduits par lesdits communiqués à exiger des
concessionnaires le versement préalable d’au moins une partie de la prime de
concession avant d’obtenir le droit d’usage du sol étatique concédé. Encore faut-il
souligner que l’effectivité des mesures ainsi adoptées par le gouvernement central
dépend de leur application concrète par les gouvernements locaux. D’où est mise à
l’épreuve la capacité du gouvernement central de veiller à ce que ses politiques soient
fidèlement mises en oeuvre par les gouvernements locaux.
B. – La répression de la revendication des droits
334. - Les mesures de police prises par l’Administration dans l’exécution des règles
de droit ne sont pas toujours en faveur des citoyens, puisqu’il existe bien des cas où la
répression est employée à l’encontre de la revendication des droits susceptibles
d’ébranler le régime1177. La « visite collective » pour désigner le rassemblement des
pétitionnaires, même sous la forme la plus paisible de réunions des citadins concernés
par le projet d’expropriation, peut être jugée illégale si elle se déroule sans autorisation
préalable de la Police. D’ailleurs, il n’est guère possible d’obtenir l’autorisation selon
la loi de 1989 sur les rassemblements et les manifestations, puis que les expropriés sont
souvent livrés aux pouvoirs discrétionnaires de la Police, d’autres organes
administratifs et confrontés à de lourdes règles procédurales1178. La révision du
Règlement sur les actions des lettres et visites en 2005 a alourdi désormais les
contraintes: les pétitionnaires seront punis pour leurs actions démesurées troublant le
bon fonctionnement des autorités nationales ou l’ordre social. Les pétitionnaires sont
exigés d’être responsables de la légitimité de leurs revendications. Afin de prévenir la
transformation des activités des lettres et visites en actions collectives protestataires, la
1177 O’Brien Kevin J., LI Lianjiang, Rightful resistance in China, op. cit., pp. 26, 48, 87. 1178 V., articles 7 à 17 de la loi de 1989 sur le rassemblement et la manifestation.
354
présentation des pétitionnaires aux bureaux d’accueil est encadrée : les pétitionnaires
doivent désigner leurs représentants, au maximum 5 personnes1179. Dans la pratique, la
privation de la liberté physique des « pétitionnaires » 1180 est la mesure répressive la
plus souvent utilisée qui a toutefois provoqué des émeutes dans certaines localités1181.
En vue de restreindre l’ampleur des activités de lettres et de visites, la municipalité de
Pékin n’a pas hésité à procéder à la démolition du village qui se trouvait à la banlieue
de la capitale et où se réunissaient les « pétitionnaires »1182.
335. - L’arrestation des défenseurs des droits1183 est l’autre moyen par lequel le
gouvernement entend contrôler le mouvement de revendication des droits. En prenant
en compte la politique prioritaire du gouvernement central en matière de maintien de la
stabilité sociale, l’Association chinoise des avocats sous l’égide du Ministère de la
Justice adopta une directive précisant les règles de bonne conduite des avocats quant à
la prestation de service juridique à l’occasion des actions collectives1184. Ladite
1179 V., articles 18, 19 et 20 du Règlement sur les pétitions. 1180 V., reportage du BBC «Chaiqian shangfang renshi sansong jingshenbingyuan (Un pétitionnaire victime de la démolition est placé par trois fois dans l’hôpital psychiatrique) », disponible sur le site http://news.bbc.co.uk/chinese/simp/hi/newsid_4630000/newsid_4636400/4636488.stm, consulté le 8 mai 2008 ; v., aussi reportage de XIAO Xun, «Shanghai chaiqian qixun laofu shangfang bei dangju juliu (Une femme dans les soixante-dix ans est détenue par la police de Shanghai lors d’une pétition)», disponible sur le site http://www.voanews.com/chinese/archive/2007-09/w2007-09-17-voa22.cfm?CFID=293840930&CFTOKEN=65862899, consulté le 8 mai 2008. 1181 V., reportage de Bruno PHILIP, « En Chine du Sud, la police chinoise a réprimé dans le sang une manifestation de paysans», Le monde, 13 décembre 2005. 1182 Human Rights Watch, reportage « China : Beijing petitioners’ village faces demolition », 6 septembre 2007, disponible sur le site http://china.hrw.org/press/news_release/china_beijing_petitioners_village_faces_demolition, consulté le 8 mai 2008. 1183 Brad ADAMS, « ‘A great danger for lawyers’: new regulatory curbs on lawyers representing protestors », Human Rights Watch, décembre 2006, Vol. 18, n° 15, pp. 27 à 38 ; Sophie RICHARDSON, «‘Walking on the ice’: control, intimidation and harassment of lawyers in China », Human Rights Watch, avril 2008, disponible sur le site http://hrw.org/reports/2008/china0408/, consulté le 8 mai 2008. Par exemple, l’avocat chinois M. ZHENG Enchong a été condamné à 3 ans de prison ferme pour avoir fourni un « secret d’État » vers l’étranger dans une affaire de démolition des bâtiments dans des zones urbaines, uniquement pour le motif qu’il a transmis un reportage sur la protestation des expropriés qui s’est tenue à Shanghai à l’organisation China Human Rights de New York. V., WANG Cailiang, Fangwu chaiqian yinan wenti jieda (Réponses aux questions difficiles relatives à l’expropriation des biens immobiliers dans les zones urbaines), op. cit., pp. 320 à 324. 1184 Association des avocats chinois, Directive sur les règles de bonne conduite des avocats dans les
355
directive exigea que les avocats durent assumer l’obligation d’assurer la stabilité
sociale, de persuader leurs clients d’abandonner l’idée de mener une action collective
et de refuser de fournir le service juridique à leurs clients au cas où ces derniers
s’impliqueraient dans la protestation contre le gouvernement. Il faut souligner que les
avocats eux-mêmes peuvent encourir des peines dans le cadre de leurs activités qui
vont jusqu’à sept ans de réclusion pour délit de destruction et de falsification de
preuves1185. Ce délit figure parmi les condamnations auxquelles les autorités locales
souvent recourent comme prétexte pour réprimer les défenseurs des droits. La révision
de la loi sur les avocats en 2007, entrée en vigueur le 1er juin 2008, n’a pas répondu à
l’attente des défenseurs des droits selon lesquels les responsabilités pénales, véritables
menaces pour l’autonomie des avocats dans leurs activités professionnelles, auraient
dû être supprimées. En effet, l’article 37, l’alinéa 2 de la loi sur les avocats prévoit des
exceptions à l’immunité des avocats dans leurs plaidoiries devant les instances
judiciaires tels que les propos menaçant la sécurité nationale, la diffamation ou le
trouble à l’ordre des cours et des tribunaux. Ce qui est jugé comme étant une nouvelle
entrave à la liberté personnelle des défenseurs des droits1186.
336. - L’affaire du village de Taishi1187 dans la province du Guangdong constitue un
bon exemple de la mobilisation des paysans pour la défense de leurs droits. Quand les
habitants du village se rendirent compte que le directeur du comité villageois détourna
une grande partie des fonds accordés par l’État au titre de la compensation pour des
terres expropriées pour construire une route, quatre cents d’entre eux déposèrent une
plainte demandant sa destitution, conformément à la loi organique sur les élections
villageoises. Certes, deux semaines après le dépôt de la plainte, mille cinq cents
villageois se heurtèrent à la force de la Police armée et des activistes furent arrêtés. Les
actions collectives, 20 mars 2006, disponible sur le site http://www.chineselawyer.com.cn/pages/2006-5-15/s34854.html, consulté le 8 mai 2008. 1185 V., article 306 de la loi pénale. 1186 V., TENG Biao, « Article 37 of the PRC law on lawyers: a new trap set for lawyers », disponible sur le site http://www.chrlcg-hk.org/?p=292, consulté le 3 juin 2006. 1187 V., reportage de Ian MAYES, « Seeing and believing in China », The Guardian, 17 octobre 2007, p. 31 ; Edward CODY, « In Chinese uprisings, peasants find new allies », Washington Post, 26 novembre 2005, p. A01 ; Tim LUARD, « China village democracy skin deep », 10 octobre 2005, disponible sur le site http://news.bbc.co.uk/2/hi/asia-pacific/4319954.stm, consulté le 12 mai 2008.
356
avocats, juristes, journalistes et professeurs qui furent aux côtés des paysans en leur
apportant leur soutien intellectuel furent soit emprisonnés soit intimidés soit
physiquement menacés ou battus. En même temps, les habitants lancèrent une grève de
la faim pour protester contre les arrestations et obtenir le rappel du chef de village, s’en
tenant à des méthodes non violentes. Bien que l’affaire fut publiquement reconnue
comme un exemple de la démocratie en germe dans le cadre des lois1188, les villageois
de Taishi n’eurent pourtant jamais obtenu satisfaction à cause de la pression du
gouvernement de canton. D’où un nouveau succès des mots d’ordre « la stabilité
l’emporte sur tous » initiés par DENG Xiaoping en 1989 pour justifier les mesures
prises par l’État pour étouffer les événements de Tian’anmen. En adoptant les mesures
répressives caractérisées par «le refus de la démocratie par (et pour) le droit»1189,
l’autorité administrative impose une limite à la revendication des droits afin de
préserver la pérennité du régime.
Sous-section 2. – Le rôle de l’autorité administrative dans la mise en
oeuvre des garanties de la propriété publique
337. - La concession du droit d’usage du sol étatique et la cession des actifs
d’entreprises d’État sont les deux formes concrètes de « la décentralisation des
pouvoirs de contrôle par l’État sur ses biens»1190. Certes, le gaspillage et d’autres
formes de vol des biens étatiques par les agents publics sont depuis longtemps un
problème de la réforme économique, et surtout de la restructuration des entreprises
d’État1191. Les scandales de la corruption des fonctionnaires dans l’administration des
1188 HE Linping, « Youganyu nongmin yifa ba cunguan (Fléchissement sur la destitution du chef villageois sur l’initiative des paysans en vertu de la loi) », Renmin ribao : Huanan xinwen (Quotidien du peuple : Actualités de la Chine sud), 14 septembre 2005, p. 4. 1189 Stéphanie BALME, « La Chine depuis Mao : le refus de la démocratie par (et pour) le droit », in Javier SANTISO (sous la dir. de), À la recherche de le démocratie : mélanges offerts à Guy Hermet, Centre d’études et de recherches internationales, 2002, p.187. 1190 Minxin PEI, China’s trapped transition: the limits of development autocracy, Havard University Press, 2006, p. 139. 1191 X. L. DING, « The illicit asset stripping of Chinese state firms », The China Journal, n° 43, 2000, pp. 1 à 28.
357
biens étatiques1192 révèlent les faiblesses de la mise en oeuvre des garanties du droit de
propriété publique. C’est la raison pour laquelle les organes administratifs ont pris des
mesures visant à renforcer le contrôle et à faire la pression sur les agents publics en
engageant leur responsabilité juridique. À cet égard, il faut notamment souligner le rôle
du droit pénal qui prévoit d’une manière plus générale la responsabilité des personnes
qui ont commis des délits pour la violation des garanties du droit de propriété publique.
La pénalisation des responsabilités a pour but de contraindre les agents publics à mieux
respecter les normes de garanties de propriété publique dans l’exercice de leurs
pouvoirs attachés l’administration et à la gestion des biens publics. La supervision et
l’administration par l’État de la restructuration des entreprises d’État constituent un cas
typique permettant de mettre en relief le rôle de l’autorité administrative. Renforcer les
mesures administratives de contrôle (§ 1) et engager la responsabilité des agents
publics (§ 2) sont donc les deux approches par lesquelles l’autorité administrative met
en oeuvre des garanties du droit de propriété publique.
§ 1. – La mise en oeuvre des garanties du droit de propriété publique par le
renforcement des mesures administratives
338. - Pour améliorer la mise en oeuvre des garanties du droit de propriété, les
agents de contrôle sont désormais institutionnalisés (A) et il leur est attribué le pouvoir
de prendre diverses mesures de contrôle selon les cas concrets (B).
A. – L’institutionnalisation des acteurs du contrôle
339. - Se préoccupant de multiples cas d’appropriation illégale des biens publics1193,
le gouvernement central tenta de créer à un régime plus efficace et plus rigoureux de 1192 Dans l’affaire de CHEN Liangyu, d’importants problèmes de corruption et des erreurs d’appréciation ont conduit à une perte du National Social Security Fund (NSSF), estimée à 919 millions de yuans (91 millions d’euros en 2004). V., reportages dans les journaux : Les Echos, 22 janvier 2007, p. 1 ; La Tribune, 22 janvier 2007, p. 24. 1193 V., WEN Jiabao, Rapport d’activités du gouvernement de 2006, présenté devant la quatrième session de la Xe Assemblée populaire nationale, en date du 5 mars 2006, disponible sur le site http://service.china.org.cn/link/wcm/Show_Text_f?info_id=226107, consulté le 19 août 2006.
358
contrôle et de gestion des transactions relatives à la propriété publique. Parallèlement à
la restructuration des entreprises d’État, la gestion des participations d’État dans les
sociétés faisait l’objet d’une réforme de grande ampleur, à travers la création de
holdings publics à l’échelle locale, soit en créant des sociétés de portefeuilles, soit en
encourageant les sociétés mères de grands groupes à détenir des actions de l’État dans
les entreprises d’un secteur particulier1194. En 2003, le CAE adopta le Règlement
provisoire sur la supervision et la gestion des actifs d’État des entreprises, instituant la
Commission du CAE chargée de la supervision et de la gestion des actifs d’État
(SASAC) et ses subordonnés, à savoir les bureaux locaux chargés de la supervision et
de la gestion des actifs d’État institués auprès des gouvernements locaux1195. Les
entreprises d’État qui furent directement contrôlées par les différents ministères –à
l’exception des institutions financières– sont désormais soumises à l’administration
soit de la SASAC soit des bureaux locaux, en fonction de leurs envergures et de leurs
chiffres d’affaires1196. La SASAC et ses bureaux locaux remplissent une double
mission de « mener à bien la réforme et la restructuration des entreprises d’État »1197,
d’une part, et, d’autre part, de « consolider la gestion déjà fragmentée de la propriété
de l’État »1198. Le principe de séparation entre le droit de propriété et la gestion des
entreprises d’État est maintenu par la création de la SASAC et les bureaux locaux
chargés de la supervision et de la gestion des actifs d’État, dans la mesure où la
SASAC et ses bureaux locaux n’ont pas la fonction de gérer directement des
entreprises d’État sous leurs compétences respectives1199. Certes, la direction de la
1194 Hubert BAZIN, Hans-Günther HERRMANN, « Restructuration, dénationalisation ou privatisation des entreprises d’État ? », Gazette du Palais, 1997 n° spécial, la Chine et le droit : évolution récente, p. 1629 ; v., aussi, Becky CHIU, Mervyn keith LEWIS, Reforming China’s State-owned enterprises and banks, Edward Elgar, 2006, pp. 120, 121. 1195 CAE, Règlement provisoire sur la supervision et la gestion des actifs d’État des entreprises, décret n° 378, 27 mai 2003. 1196 V., article 5 du Règlement provisoire sur la supervision et la gestion des actifs d’État des entreprises. 1197 Ross GARNAUT, Ligang SONG, Stoyan TENEV, Yang YAO, China’s ownership transformation: Process, outcomes, prospects, op. cit., p. 7. 1198 Becky CHIU, Mervyn K. LEWIS, Reforming China’s state-owned enterprises and banks, op. cit., p.122. 1199 Stoyan TENEV, Chunlin ZHANG, Loup BREFORT, Corporate governance and enterprise reform in China: Building the institutions of modern markets, World Bank, 2002, p.76.
359
restructuration des entreprises d’État, le maintien et la valorisation des actifs
d’entreprises d’État sont les formes concrètes de l’exercice du droit de propriété par la
SASAC « en sa qualité du représentant de l’État-propriétaire »1200.
B. – Les mesures de contrôle
340. - Inscrit dans la « diversification des capitaux » 1201 pour désigner la
restructuration qui introduit les capitaux non-étatiques dans les entreprises d’État tout
en maintenant la part majoritaire des actifs de l’État, le transfert des actifs d’entreprises
d’État a été rendu possible par ledit Règlement provisoire du CAE. Ce dernier prévoit
que la cession des actifs d’État est subordonnée à l’autorisation préalable de la SASAC
ou des bureaux locaux. Au cas où l’État ne serait plus majoritaire suite à une
restructuration, celle-ci doit être préalablement autorisée par le CAE ou par des
gouvernements locaux1202. En effet, la procédure d’autorisation préalable est le moyen
par lequel la SASAC et les bureaux locaux, ainsi que les gouvernements locaux
auxquels les bureaux locaux sont soumis, peuvent veiller à ce que la transaction soit
dans l’intérêt de l’État et soit conforme à la politique menée par le gouvernement
central dans les domaines économique et social. Il faut souligner que le pouvoir
d’autorisation est largement discrétionnaire. Ainsi, la mise en oeuvre des garanties de
propriété étatique est assimilée à un contrôle politique par les organes étatiques ou
locaux1203. Ce fut notamment le cas lorsque le projet de restructuration des entreprises
d’État fut envisagé et permit des opérations d’acquisition par des entreprises étrangères.
1200 V., article 12 du Règlement provisoire sur la supervision et la gestion des actifs d’État des entreprises. 1201 Ross GARNAUT, Ligang SONG, Stoyan TENEV, Yang YAO, China’s ownership transformation: Process, outcomes, prospects, op. cit., p. 48; v. aussi, Chenxia SHI, « International corporate governance developments: the path for China », Australian Journal of Asian Law, 2005, Vol. 7, n°1, p.60. 1202 V., article 23 du Règlement provisoire sur la supervision et la gestion des actifs d’État des entreprises. 1203 V., Jonathan G. S. KOPPELL, « Political control for China’s State-owned enterprises: lessons from America’s experience with hybrid organizations », Governance: An International Journal of Policy, Administration, and Institutions, Vol. 20, n° 2, 2007, pp. 255 à 278; Lixin COLIN-XU, Tian ZHU and Yi-min LIN, « Politician control, agency problems and ownership reform: evidence from China », Economics of Transition, Vol. 13, n°1, 2005, pp. 1 à 24.
360
La réglementation chinoise a évolué vers un renforcement du contrôle en restreignant
la liste des entreprises d’État pouvant faire l’objet de la fusion et en multipliant les
autorisations par les ministères concernés1204. Le régime d’autorisation a également été
établi sur le transfert des biens détenus par les organes étatiques. Selon un arrêté du
Ministère des Finances, les biens des organes étatiques, y compris les organes du PCC,
les organes administratifs et juridictionnels, ainsi que les organes institués auprès des
assemblées populaires de différents échelons et les organes des parties démocratiques,
sont administrés par le Ministère des Finances et ses subordonnés auprès des
gouvernements locaux1205. Après avoir réaffirmé que l’État est le propriétaire unique
des biens détenus par les organes susmentionnés, l’arrêté ministériel dispose que la
cession à tire gratuit, la vente, le prêt et la location des biens aux personnes privées, ne
peuvent s’effectuer qu’avec une autorisation préalable. Le Ministère des Finances et
ses subordonnés auprès des gouvernements locaux procèdent au contrôle de la légalité
de la disposition des biens par les organes étatiques et veillent également à ce que le
prix de transaction des biens étatiques soit raisonnable à l’égard de leur valeur.
341. - Afin de sauvegarder l’intérêt de l’État, la SASAC arrêta conjointement avec le
Ministère des Finances les mesures provisoires sur la cession des actifs d’État le 31
décembre 20031206. Celles-ci réaffirment le principe interdisant la cession des actifs des
entreprises d’État en dessous de leur valeur. La SASAC et ses bureaux locaux peuvent
refuser l’autorisation de la cession des actifs d’État au motif que le prix de transfert
n’est pas raisonnable. Pour assurer le juste prix des transactions, deux modalités
principales sont prévues par les mesures provisoires. D’une part, les transactions
peuvent se faire par la libre négociation privée entre les parties ou par la mise aux
enchères ou par appel d’offre dans les Bourses agréées par la SASAC ou les bureaux
1204 WANG-FOUCHER Haiying, « La réglementation des opérations d’acquisition sur le marché chinois », JCP Entreprise, hebdo n° 45, 8 novembre 2007, commentaire n° 2356, pp. 36 à 41; v. aussi, Fang YAN, Andrew TORCHIA, « China stalls major foreign buyouts », International Herald Tribune, 15 février 2007. 1205 Ministère de Finance, Mesures provisoires de l’administration des biens des organes étatiques, adopté le 30 mai 2006. 1206 Disponible sur le site http://www.sasac.gov.cn/gzjg/cqgl/200408040125.htm, consulté le 9 juin 2006.
361
locaux1207. Cependant, par un communiqué conjoint récemment arrêté par la SASAC et
le Ministère des Finances, la négociation privée entre les parties des transactions est
pratiquement interdite 1208 . Ce qui traduit l’idée selon laquelle la publicité des
transactions vaut mieux que la négociation privée à l’égard de la détermination du prix.
Et la transparence est aussi la prévention de la corruption. D’autre part, les actifs d’État
faisant l’objet de cession doivent être préalablement évalués par les institutions
indépendantes afin d’assurer l’impartialité de l’évaluation des actifs d’État et d’éviter
la cession selon le prix sous-évalué1209. Les tiers indépendants professionnels, il s’agit
des bureaux d’experts comptables ou d’autres organes professionnels qualifiés par la
SASAC et les bureaux locaux chargés de la supervision et de la gestion des actifs
d’État1210. Outre ce contrôle a priori, la SASAC et ses bureaux locaux chargés de la
supervision et la gestion des actifs d’État peuvent aussi annuler a posteriori les
transactions illicites. L’article 32 des Mesures provisoires confère à la SASAC et à ses
bureaux locaux le pouvoir de décider la suspension des transactions illégales des actifs
d’État, d’adopter les sanctions disciplinaires à l’encontre des personnes qui ont violé
les règles d’administration relatives à la cession des actifs d’État et de demander
l’annulation par les tribunaux populaires locaux des transactions jugées incompatibles
avec le règlement provisoire et les mesures provisoires susmentionnées. De même, des
agents des organes étatiques qui ont méconnu les règles de protection des biens de
l’État détenus par les organes étatiques sont passibles de sanctions disciplinaires
prévues par les Mesures provisoires de l’administration des biens des organes
étatiques.
342. - Les mécanismes de contrôle ainsi établis se heurtent toutefois à diverses
difficultés qui font obstacle à son efficacité. Par exemple, les gouvernements locaux
1207 V., article 10 des Mesures provisoires de l’administration de la cession des actifs d’État des entreprises. 1208 SASAC, Ministère des Finances, Communiqué n° (2006) 306 sur certaines affaires relatives à la cession des actifs d’État, le 31 décembre 2006. 1209 SASAC, Mesures provisoires sur l’évaluation des actifs d’État des entreprises, publié par l’arrêté n° 12 du 25 août 2005. 1210 CAE, Mesures sur l’évaluation des actifs d’État, publié par l’Ordonnance n° 90 du 16 novembre 1991, disponible sur le site http://www.sasac.gov.cn/n1180/n1566/n258222/n259203/1733994.html, consulté le 12 mai 2008.
362
entendent souvent céder les actifs selon le prix réduit comme une forme de
remboursement aux acheteurs afin que ces derniers prennent davantage les charges
sociales à leur compte ou pour accélérer le processus de la restructuration des
entreprises d’État1211. Du fait du lien étroit entre les Bourses et les gouvernements
locaux, ces derniers peuvent exercer leur influence sur la transaction des actifs
d’entreprise aux Bourses. De même, l’évaluation par l’intermédiaire des institutions
indépendantes des actifs faisant l’objet de la cession est susceptible d’être facilement
manipulée par les deux parties aux transactions et nourrit ainsi la corruption des agents
publics1212. Du coup, la sanction sous forme de responsabilité individuelle semble être
le dernier moyen de faire respecter les garanties du droit de propriété publique.
§ 2. – Les responsabilités pour la violation des garanties du droit de propriété
publique
343. - Les personnes chargées de la gestion ou de l’administration des biens de
propriété publique peuvent encourir les sanctions disciplinaires et la responsabilité
civile (A) pour leurs activités portant atteinte à ce droit. Les peines criminelles seront
infligées en cas de gravité (B).
A. – Les sanctions disciplinaires et la responsabilité civile
344. - L’un des problèmes dans la gouvernance des entreprises d’État le plus souvent
soulevé consiste en ce que les gestionnaires, qui ne sont assujettis ni aux contraintes ni
aux incitations, sont économiquement irresponsables de la performance des entreprises
d’État1213. Après la mise en place du régime de rachat de l’entreprise par les cadres à
1211 Ross GARNAUT, Ligang SONG, Stoyan TENEV, Yang YAO, China’s ownership transformation: Process, outcomes, prospects, op. cit., pp.68, 69. 1212 Robert LEWIS, « Playing the state asset game », International Financial Law Review, Vol. 26, n°11, 2007, pp. 11 à 12; v., aussi reportage David BARBOZA, « Former party boss in China gets 18 years », The New York Times, 12 avril 2008; reportage Jim YARDLEY, « Shanghai tycoon falls from grace », The New York Times, 1 décembre 2007. 1213 Cindy A SCHIPANI, Junhai LIU, « Corporate governance in China: then and now », Columbia Business Law Review, n° 1, 2002, pp. 47, 48; v., aussi, FANG Liufang, « China’s corporatization
363
titre expérimental, la SASAC s’est tournée vers le durcissement des conditions
d’application afin de freiner des pratiques abusives1214. La tendance actuelle consiste
donc à mettre l’accent sur les responsabilités personnelles des gestionnaires des
entreprises d’État plutôt qu’à appliquer les mesures d’incitation, dans l’objectif de
contraindre les gestionnaires à se comporter de manière diligente dans le maintien et la
gestion des actifs d’entreprises d’État. À cet égard, la SASAC et ses bureaux locaux
exercent le pouvoir de nomination du personnel important des sociétés nationales –les
entreprises d’État qui sont restructurées selon le modèle de société–, à savoir les
membres du conseil d’administration, les membres du conseil de surveillance, les
directeurs, les auditeurs, etc.1215 Tous peuvent, du fait de la SASAC, subir les
sanctions disciplinaires pour leurs fautes dans la gestion des entreprises d’État dont la
plus grave est la destitution pour leurs comportements illicites ou imprudents1216.
Les responsables d’entreprises d’État doivent également assumer la responsabilité
civile de dédommagement au cas où ils porteraient atteinte aux actifs d’entreprises
d’État 1217 . La tendance qui consiste à imposer la responsabilité civile de
dédommagement à la personne responsable de la gestion d’entreprises se confirme par
la révision de la loi sur les sociétés en 2005, dont le nouvel article 150 prévoit la
responsabilité civile de dédommagement des membres du conseil d’administration,
superviseurs et des autres gestionnaires importants pour la violation des lois,
règlements et statuts de la société dans l’accomplissement de leurs fonctions. Le
nouvel article 153 dispose que les actionnaires qui subissent des dommages causés par
les membres du conseil d’administration et d’autres gestionnaires importants de la
société ont le droit de réclamer la compensation par voie de contentieux civil. Certes,
pour les sociétés nationales, la nomination et la révocation directe du personnel ne experiment », Duke Journal of Comparative and International Law, n° 2, 1995, pp. 263 à 265. 1214 V, reportage du People’s Daily, «China to issue detailed regulation on MBO», 5 mars 2005, disponible sur le site http://www.10thnpc.org.cn/english/BAT/121864.htm, consulté le 31 mai 2008. 1215 V., article 17 du Règlement provisoire sur la supervision et la gestion des actifs d’État des entreprises. 1216 V., articles 38, 39 et 40 du Règlement provisoire sur la supervision et la gestion des actifs d’État des entreprises; article 35 des Mesures provisoires de l’administration de la cession des actifs d’État des entreprises. 1217 V., article 40 du Règlement provisoire sur la supervision et la gestion des actifs d’État des entreprises.
364
peuvent que conduire à la consolidation de la relation interpersonnelle politiquement
hiérarchisée. Cette relation interpersonnelle domine toujours dans la gestion des
affaires de société et risquerait d’empêcher la réalisation de bonne gouvernance1218.
345. - La tendance à resserrer le contrôle sur la violation du droit de propriété
publique par l’engagement des responsabilités disciplinaires est plus remarquable en
matière d’administration du sol. Par exemple, l’arrêté ministériel relatif à la sanction
des activités en violation des règles d’administration du sol, adopté conjointement par
le Ministère de la Supervision, le Ministère des Ressources Humaines et de la Sécurité
Sociale et le Ministère du Territoire et des Ressources1219, énumère avec précision les
situations dans lesquelles les agents publics seront sanctionnés par l’admonestation, la
dégradation, la destitution ou l’expulsion des organes administratifs, pour leurs
activités de manquement, d’abus de pouvoir ou de méconnaissance des règles de droit
dans l’administration du sol.
B. – Les responsabilités pénales pour la violation des garanties du
droit de propriété publique
346. - La violation des garanties du droit de propriété se trouve souvent dans les
« crimes économiques » et notamment la corruption. Les responsabilités pénales des
agents publics pour la violation du droit de propriété publique sont souvent assimilées
à celles relatives à la corruption, d’autant plus que le gouvernement central se montre
toujours intransigeant à l’encontre de ce crime. Comme l’on a observé, « ce qui
différencie la lutte anti-corruption chinoise de son pendant occidental c’est à la fois
son amplitude, sa sévérité, son absolue priorité et la large publicité donnée tant au
délit qu’à la sanction »1220. La loi pénale promulguée en 1979, révisée en 1999,
distingue les biens publics des biens privés. Par l’article 91, les biens publics sont
définis comme les biens de propriété d’État, les biens de propriété collective, les dons
1218 Angus YOUNG, Grace LI, Alex LAU, « Corporate governance in China: the role of state and ideology in shaping reforms », Comp. Law. 2007, 28(7), pp. 208 à 209. 1219 L’arrêté est entré en vigueur le 1er juin 2008. 1220 A. WILMOTS, Gestion politique et centre du pouvoir en République populaire de Chine, L’Harmattan, 2001, p.187.
365
ou fonds spécialement utilisés pour la réduction de pauvreté et d’autres buts d’intérêt
public, les biens qui sont soumis à la gestion, à la transportation ou à l’utilisation des
organes étatiques, des entreprises ou des sociétés d’État, des entreprises collectives ou
des associations du peuple, sont considérés comme des biens publics pour le but
d’application de cette loi pénale. Il en résulte que la loi pénale retient une notion lato
sensu des biens publics, dont l’objectif est de mieux protéger certains intérêts de nature
publique. Ainsi l’article 304 prévoit l’inculpation du personnel de la Poste pour la
livraison délibérément tardive des courriers qui cause des préjudices aux biens
publics1221 ; l’article 397 condamne l’abus de pouvoir ou la négligence de ses devoirs
par les agents des organes étatiques qui portent préjudice aux biens publics; l’article
403 condamne l’abus de pouvoir portant atteinte aux biens publics par les agents des
organes étatiques compétents pour l’enregistrement des sociétés, l’autorisation de
l’émission des actions et des obligations, ou l’autorisation de l’introduction des
sociétés en Bourse1222 .
347. - Dans biens d’autres cas, les activités condamnées portent plus précisément sur
certaines catégories de biens. Ainsi l’article 342, modifié par l’amendement en date du
31 août 2001 à la loi pénale, définit comme un crime l’occupation illégale et la
modification de l’usage des terres agricoles de grande surface. Par conséquent, la
personne qui procède à l’expropriation illégale des terres agricoles de propriété
collective sera inculpée en fonction de la sévérité des cas. De même, l’article 343, dont
l’objectif est de garantir la propriété de l’État sur les ressources minières, condamne les
extractions illégales des mines. De multiples articles définissent les crimes portant
attente aux biens des entreprises d’État. Ainsi en est-il de l’article 167 qui condamne
les activités irresponsables des gestionnaires des entreprises d’État faisant de l’État une
victime des transactions frauduleuses; de l’article 168 qui condamne l’abus de pouvoir
des gestionnaires conduisant à la faillite des entreprises d’État ou à d’importants
dégâts ; de l’article 169 qui condamne la cession des actifs d’État sous leur valeur ; de
l’article 382 qui sanctionne la dilapidation ; de l’article 383 qui sanctionne le 1221 Cette activité incriminée se situe parmi les crimes de troubler à l’ordre public, v., la section première du sixième chapitre de la loi pénale. 1222 Les activités sanctionnées par les articles 397 et 403 sont qualifiées crimes de forfaiture, v., le neuvième chapitre de la loi pénale.
366
détournement de biens publics et de l’article 396 qui sanctionne la distribution illégale
des biens étatiques aux individus.
348. - Certes, la pénalisation de certaines activités portant atteinte au droit de
propriété publique est critiquable selon certains juristes chinois, dans la mesure où elle
est en contradiction avec le principe d’égalité de protection des propriétés publique et
privée1223. Le professeur JIAO Hongchang a constaté que les articles 167, 168 et 169
ne sanctionnent que les activités des gestionnaires des entreprises d’État, tout en
excluant celles portant atteinte aux intérêts des entreprises non étatiques et ainsi
donnent la préférence à la protection des biens étatiques1224. Le professeur TONG
Zhiwei a constaté que l’ampleur des peines applicables aux activités incriminées varie
selon la nature publique ou privée des biens endommagés. Dans la plupart des cas, la
violation des biens étatiques est plus lourdement sanctionnée que la violation des biens
privés1225. De plus, la peine capitale peut être appliquée au crime de dilapidation de
biens étatiques1226, tandis que dix ans d’emprisonnement est la peine la plus lourde
applicable au détournement de biens des entreprises non étatiques1227. Il faut remarquer
que l’amendement du 29 juin 2006 à la loi pénale ajoute un nouvel alinéa à l’article
169 qui prévoit la responsabilité pénale des dirigeants des sociétés cotées pour la
violation des obligations de fidélité et par conséquent pour avoir porté atteinte à
l’intérêt des sociétés. Alors que la majorité des sociétés cotées sont issues de la
restructuration des entreprises d’État1228, le nouvel alinéa de l’article 169 prévoit
clairement comme fait constitutif du crime l’existence des atteintes à l’intérêt des
1223 V., ZHENG Xun, ZHANG Renping, ZHANG Weijing, HONG Youyi, « Sichan baohu qidai xingfa yishi tongren (La protection des biens privés appelle l’égalité du traitement de la loi pénale) », disponible sur le site http://legal.people.com.cn/GB/42731/3198755.html, consulté le 12 mai 2008. 1224 JIAO Hongchang, « Woguo gongmin caichanquan xingfa baohu de shizheng fenxi (L’analyse pragmatique de la protection du droit de propriété des citoyens par la loi pénale) », disponible sur le site http://www.bjpopss.gov.cn/BJPOPSS/CGJJ/cgjj20051215.htm.zh, consulté le 12 mai 2008. 1225 TONG Zhiwei, « Wuquanfa caoan gai ruhe tongguo xianfa zhimen (Comment le projet de loi sur les droits réelspeut passer l’examen de constitutionnalité)», Faxue (Droit), 2006, n° 3, p. 9. 1226 V., article 383 (1) de la loi pénale. 1227 V., article 272, alinéa 1er de la loi pénale. 1228 V., Cindy A SCHIPANI, Junhai LIU, « Corporate governance in China: then and now », op. cit., pp. 1 à 69; v., aussi, reportage du Xinhua News Agency, « SASAC encourages whole listing of central SOEs », en date du 13 août 2007, disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/english/2007-08/13/content_6521859.htm, consulté le 12 mai 2008.
367
sociétés au lieu des intérêts ou des biens de l’État. Il semble donc que tous les
actionnaires de la société –l’État ou les entités privées– peuvent profiter de l’effet
dissuasif d’incrimination pour contraindre les gestionnaires à remplir leurs obligations
envers la société. D’où une tendance souhaitable vers le traitement égal des biens
publics et privés à l’égard de la gouvernance des sociétés.
368
CONCLUSION DU CHAPITRE
349. - La légalité et la garantie judiciaire sont les deux piliers d’un État de droit. Par
la légalité, on entend la soumission de l’Administration au droit qui se rattache à un
certain type de civilisation et s’oppose à l’État de police. Elle répond à la volonté de
protéger les individus contre l’arbitraire auquel ils seraient exposés si l’autorité
administrative n’était liée par aucune règle préalable1229. L’expérience du droit français
montre que l’existence d’un contrôle efficace est la condition même de la
reconnaissance de prérogative de puissance publique à l’Administration. En l’absence
d’un tel contrôle, tout l’équilibre du droit administratif sera remis en cause1230. Ce
constat est particulièrement vrai au regard de l’état actuel du droit chinois. Certes, la
croissance de la conscience du droit à mesure que se développe le socle des droits
fondamentaux peut contribuer à la réforme vers l’amélioration des garanties judiciaires.
Le recours par les citoyens à la fois au droit et à d’autres stratégies pour défendre leurs
droits et leurs intérêts met l’autorité judiciaire dans un contexte politique plus large et
plus complexe qui se caractérise par l’interaction des forces sociales dans un État « non
plus monolithique mais composé d’un hochepot d’acteurs disparates »1231. Du recours
juridictionnel au recours au rapport de force, la revendication de leurs droits par les
citoyens peut faire évoluer le mécanisme de la mise en oeuvre des garanties du droit de
propriété selon le modèle de gouvernance à laquelle participent les pouvoirs
administratif et judiciaire. L’état actuel de la mise en oeuvre des garanties juridiques du
droit de propriété démontre que des efforts doivent davantage être déployés pour
réduire l’écart entre les règles de droit et son effectivité. Élargir la compétence et
renforcer les pouvoirs des organes juridictionnels sont les mesures prioritaires à
prendre. À cet égard, l’expérience du droit français est inspirante, car « les réformes
récentes et à venir, confirment la tradition qui voit, dans l’indépendance du juge
vis-à-vis du pouvoir, un des postulats du libéralisme. Elles confirment aussi
l’insuffisance des garanties de cette indépendance dans le droit positif par rapport aux 1229 Jean RIVERO, Jean WALINE, Droit administratif, 22e éd., Dalloz, 2008, §285. 1230 Ibid, §519. 1231 Kevin J. O’BRIEN, Lianjiang LI, « Suing the local state: administrative litigation law in rural China », The China Journal, n° 51, 2004, pp. 93, 94.
369
exigences de la protection des libertés dans un État de droit »1232. L’hypothèse basée
sur l’expérience historique soutient que « dès que la Chine réussit à établir le
consensus politique et à élever le niveau de la performance économique et sociale, les
dirigeants pourraient approfondir leur appréciation sur la vertu de la spécialisation,
la professionnalisation et l’autonomie de l’autorité judiciaire » 1233 . Alors que
l’État-Parti dispose de la marge de manoeuvre lui permettant d’améliorer l’application
du droit pour consolider la légitimité du régime, de nouvelles sources dynamiques dans
la quête à l’effectivité du droit peuvent contribuer à l’accélération de ce processus.
1232 Jean RIVERO, Hugues MOUTHOUH, Libertés publiques, op. cit., p.129. 1233 Jerome Alain COHEN, « The Chinese communist party and “judicial independence”: 1949-1959», Harvard Law Review, Vol. 82, n°5, 1969, p.1006.
370
CONCLUSION DU TITRE
350. - L’écart entre la multiplication des droits constitutionnellement et
législativement reconnus et le faible aménagement des voies de recours appellent « la
montée en puissance des juges » afin de rééquilibrer les pouvoirs1234. Car en l’état
actuel du droit chinois, dans le triangle des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire,
c’est «le déséquilibre des pouvoirs qui reste préoccupant »1235. Il en est ainsi de la mise
en oeuvre des garanties du droit de propriété. En absence d’un mécanisme de contrôle
constitutionnel des normes juridiques, le pouvoir législatif national est largement
décentralisé au profit des autorités locales. C’est la raison pour laquelle les atteintes au
droit de propriété sont souvent issues des normes locales qui méconnaissent
ouvertement les garanties constitutionnelles. De même, le pouvoir exécutif partage le
pouvoir d’adoption des règles normatives tout en excluant le contrôle judicaire. La
compétence et les pouvoirs des juges sont très réduits de sorte que le recours judiciaire
s’avère ineffectif et inutile face à l’empiètement de l’Administration sur le droit de
propriété privée. Rééquilibrer les pouvoirs est d’autant plus nécessaire que
l’amélioration de l’application du droit doit être pensée comme participant de
l’établissement d’un véritable État de droit en Chine. Pour assurer la mise en oeuvre
des garanties du droit de propriété qui s’inscrit dans « une bataille politico-légale »
d’application du droit en Chine, « il est nécessaire non seulement de renforcer la
coordination entre ces institutions mais aussi de créer des contre-pouvoirs au sein du
système politique (le Parti communiste inclus) »1236. La revendication de leurs droits
par les propriétaires constitue une source dynamique de la transformation du droit
chinois qui ne doit pas être négligée: n’est-il pas plus judicieux de laisser plus de
pouvoir au juge qui est « gardien des valeurs »1237 pour que la justice devienne une
1234 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (III) : la refondation des pouvoirs, Éditions du Seuil, 2007, pp. 41, 61. 1235 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p. 559. 1236 CHEN Jianfu, « L’application du droit en Chine : une bataille politico-légale », Perspectives chinoises, n° 72, 2002, p. 37. 1237 Vincente FORTIER (sous la dir. de), Le juge, gardien des valeurs?, CNRS Edition, 2007, pp. 15, 199.
371
autorité à qui l’on demande « d’autoriser la vie démocratique, (...) et de fournir un
surplus de puissance au pouvoir »1238, avant que l’État ne soit débordé par les
mouvements de « résistance légale »1239 ? Ainsi, alors qu’en Europe la réflexion
actuelle concerne la conciliation de la responsabilité des juges avec leur indépendance
et leur autorité par le perfectionnement de « la discipline des juges »1240, le problème
majeur en Chine consiste toutefois à reconnaître un statut véritable indépendant aux
organes juridictionnels et à renforcer leur autorité par la réforme juridico-politique.
1238 Antoine GARAPON, Le gardien des promesses, justice et démocratie, Éditions Odile Jacob, 1996, p. 177. 1239 V., Lucien BIANCO, Jacqueries et révolution de la Chine du XXe siècle, Éditions de La Martinière, 2005, p. 487. 1240 V., Guy CANIVET, Julie JOLY-HURARD, La discipline des juges, Litec, 2007, §§ 44 et s ; v., aussi, Guy CANIVET, Julie JOLY-HURARD, « La responsabilité des juges, ici et ailleurs », Revue internationale de droit comparé, 2006, n° 4, pp. 1051 et s.
372
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE
351. - La transformation du droit chinois en matière de propriété privée reflète le
processus de la réforme politique qui se caractérise par son approche progressive et
expérimentale1241. La réalité du droit chinois nous enseigne que la mise en oeuvre des
garanties constitutionnelles et législatives contre les atteintes aux droits de propriété est
plus impérative que la proclamation constitutionnelle et l’adoption des normes de
garantie, pour que les droits réels, dont l’archétype est la propriété, soient réels au sens
propre et figuré. La transformation du droit chinois doit donc se poursuivre vers
l’effectivité du droit. Mais les mesures de réforme peuvent aussi toucher le système
juridique et, par conséquent le système politique. En effet, de l’économie planifiée à
l’économie socialiste de marché, de la construction d’un État de droit socialiste à la
construction d’une société harmonieuse « à travers l’État de droit »1242, l’évolution
constitutionnelle et législative de la propriété privée s’accompagne de la recherche de
légitimité politique. Proclamer le droit sans pour autant assurer son effectivité ne
saurait répondre aux besoins de la légitimation politique, bien au contraire, celle-ci
pourrait être ruinée par le contraste entre la promesse fascinante et la réalité effrayante.
D’ailleurs, pour que la quête de la légitimité politique ne se perde pas ou « ne se
prenne pas au piège »1243 , il faudrait avoir un « droit référence », pour le distinguer
du « droit instrument ». Il s’agit d’une juridicisation d’un type nouveau « qui s’exprime,
non par une inflation législative, mais par l’établissement de limites à la loi et de
bornes à l’État »1244. Car les principes moraux qui déterminent la légitimité politique
sont devenus principes de droit sous le nom de « droits et libertés fondamentaux », qui
sont des bornes indiquant à tous et en tout domaine les limites à ne pas franchir et
1241 V., ZHENG Yongnian, « Political Incrementation: Political lessons from China’s 25 years reform », Third Word Quarterly, vol. 29, n°. 6, 1999, pp. 1157 à 1177. 1242 ZHU Zhe, « Toward harmonious society through rule of law », China Daily, 10 mars 2008, p. 8; Leïla CHOUKROUNE, Antoine GARAPON, « Les normes de l’harmonie chinoise: un droit disciplinaire comme stabilisateur social », Perspectives chinoises, 2007, n° 3, pp. 38 et s. 1243 Minxin PEI, China’s trapped transition: the limits of development autocracy, op. cit., pp. 15, 16. 1244 Mireille DELMAS-MARTY, Vers un droit commun de l’humanité, Les éditions Textuel, 2005, p. 39.
373
parfois la direction vers laquelle à s’engager. L’ouverture du droit chinois au droit
international pourrait faciliter la recherche du « droit référence » avec l’acceptation de
l’universalisme des droits de l’homme parmi lesquels figure la propriété. Mais c’est le
droit international économique qui semble avoir beaucoup plus influencé la
transformation du droit chinois en matière de protection de la propriété. Force est de
constater que la libéralisation de l’économie sur le plan international trouve son écho
dans la réforme économique « favorable aux capitalistes »1245 sur le plan interne
chinois et renforce cette dernière par les mécanismes de contrainte et d’application du
droit international économique. D’où « les nouvelles tensions entre globalisation
économique et universalisme des valeurs »1246 auxquelles fait face la transformation
du droit chinois qui elle-même s’inscrit dans l’internalisation du droit.
1245 V., Hal BLANCHARD, « Constitutional revisionism in the P. R. C.: ‘Seeking truth from facts’ », 17 Florida Journal of International Law 365, June 2005, pp. 365 et s. 1246 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p. 573.
374
DEUXIÈME PARTIE – L’INFLUENCE DU DROIT INTERNATIONAL
352. - La politique de la Chine en matière de droit international « qui a trouvé son
apogée sous la dynastie mongole des Yuan, a subi graduellement des modifications
sous la dynastie des Ming, puis sous la dynastie mandchoue des Qing, jusqu’à ce que
la Chine se fût fermée jalousement à la pénétration étrangère »1247. L’influence du
droit international sur le droit chinois qui remonte à l’époque de la colonisation où le
droit international, concrétisé par les fameux « traités inégaux », apporta toutefois un
soutien venu de l’occident aux élites politiques1248. Le XXe siècle débuta avec le
mouvement d’idées illustré par KANG Youwei et LIANG Qichao1249 qui caressèrent
le rêve d’établir une fusion du droit chinois et du droit occidental supposé homogène,
au nom de la « [G]rande [U]nité juridique du monde »1250. Après la chute de l’Empire,
les révolutionnaires ne renoncèrent pas à l’occidentalisation en continuant à copier les
théories étrangères 1251 . Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, malgré
l’instabilité politique de l’époque, la Chine participa à l’élaboration de la Déclaration
universelle des droits de l’homme (ci-après, DUDH) réussissant à y intégrer la
conception confucianiste de « conscience (liangxin) »1252 comme l’un des fondements
des droits de l’homme. Depuis la fin du XXe siècle, la doctrine chinoise s’intéresse à
nouveau aux modèles étrangers et à la mise en compatibilité du droit chinois avec les
normes internationales. Dans le processus d’internationalisation du droit, la Chine
s’investit aussi dan les es efforts d’harmonisation qui s’orientent « plutôt que vers un
1247 Jean ESCARRA, La Chine et le droit international, A. Pedone, 1931, § 40. 1248 Richard S. HOROWITZ, « International law and state transformation in China, Siam, and the Ottoman Empire during the nineteenth century », Journal of World History, Vol. 15, n° 4, 2005, p. 384. 1249 V., Anne CHENG, Histoire de la pensée chinoise, Éditions du Seuil, 1997, pp. 626 et s. 1250 V., Jérôme BOURGON, Shen Jiaben et le droit chinois à la fin des Qing, thèse, EHESS, 1994, pp. 767 et s. 1251 V., TCHENG Chao Yuen, L’évolution de la vie constitutionnelle de la Chine sous l’influence de Sun Yat Sen et de sa doctrine, Librairie générale de droit & de jurisprudence, 1937, p. 58. 1252 V., CUI Guoliang, LI Rong, « Zhang Pengchun adjoigna la pensée orientale du confucianisme à la DUDH (Zhang Pengchun jiang dongfang rujia sixiang rongru shijie renquan xuanyan) », disponible sur le site http://www.humanrights.cn/cn/zt/tbbd/zt004/03/t20080526_346514.htm, consulté le 7 juin 2008 ; v., aussi, LU Jianping, WANG Jian, ZHAO Yi, « Le délégué chinois ZHANG Pengchun et la DUDH (Zhongguo daibiao Zhang Pengchun yu shijie renquan xuanyan) », disponible sur le site http://www.humanrights-china.org/china/magezine/2003.6/p18-p24.htm, consulté le 7 juin 2008.
375
monde sans souveraineté, vers une dilution de la souveraineté qui resterait à
transformer en une souveraineté partagée »1253. Si L’implication de la Chine dans
l’ordre juridique et économique international peut aider à diminuer l’influence du
régime de l’État-parti dans la gouvernance quotidienne 1254 , l’influence du droit
international concernant la réforme du droit chinois moderne est, en revanche, plus
difficile à mesurer : en raison de sa taille et de son importance géopolitique et du fait
que les dirigeants chinois sont avant tout pragmatiques en matière de réforme, « la
Chine a réussi –dans la plupart des cas– à résister à la pression internationale qui vise
à la mettre en conformité avec certain paradigme de droit particulier »1255. Comme on
l’a observé, les réformes traduisent l’influence du droit international sur le droit
chinois par un « localisme globalisé » au lieu d’un « globalisme localisé »1256. À priori,
la Chine cherche à instrumentaliser le droit international pour son propre objectif de
réforme juridique1257, comme « la majeure partie de l’histoire des réformes légales de
la Chine [avait] trait aux difficultés rencontrées pour adapter les normes
internationales à l’environnement local »1258 qu’il s’agisse du droit de l’OMC ou des
droits de l’homme. Au problème d’instrumentalisation du droit international par le
droit chinois, s’ajoute la question de savoir comment la Chine surmontera les tensions
nées de la mondialisation économique dans son processus de réforme vers l’État de
droit désormais inscrit dans la politique de « construire une société harmonieuse ».
353. - Encore faut-il constater que la vague de réformes entreprises depuis
l’accession de la Chine à l’OMC ne se limite pas au droit des affaires mais concerne
aussi des principes généraux imposés par le protocole d’accession, comme la recherche
1253 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (II) : Le pluralisme ordonné, Éditions du Seuil, 2006, p. 29. 1254 V., Randall PEERENBOOM, China’s long march toward rule of law, Cambridge University Press, 2002, pp. 208, 223. 1255 Randall PEERENBOOM, « What we have learned about law and development? Describing, predicting, and assessing legal reforms in China », 27 Mich. J. Int’l L. 823, p. 871. 1256 David NELKEN, « Signaling conformity: Changing norms in Japan and China », 27 Mich. J. Int’l L. 823, p. 936. 1257 Leïla CHOUKROUNE, « L’État de droit par l’internationalisation, objectif de réformes ? », Perspectives Chinoises, n° 69, janvier-février 2002, n° 69, pp. 7 à 22. 1258 Pitman B. POTTER, The Chinese legal system, Globalization and local legal culture, London, New York, Routledge, 2001, p.261.
376
d’une plus grande transparence dans le cours des affaires publiques, l’application
uniforme des lois dans tous les territoires chinois et le contrôle effectif des actes
administratifs. L’entrée dans l’OMC peut contribuer à la construction d’un État de droit
et, en ce sens, participer à « une synchronisation indirecte entre droit du commerce et
droits de l’homme »1259. Le droit de propriété sera par nature vecteur de cette évolution
commune: sur le plan international, le droit de propriété relève aussi bien des droits de
l’homme que du droit des biens ou du droit commercial. En tant que droit de l’homme,
la propriété transcende la distinction entre droits civils et politiques d’une part, et droits
économiques, sociaux et culturels de l’autre. « Puisque chaque droit de l’homme
n’étant qu’un aspect de la dignité humaine, son interprétation n’est légitime que si elle
tient compte de l’ensemble, et il est lui-même principe d’interprétation des autres»1260,
la protection du droit de propriété en tant que droit de l’homme doit reposer plus
nettement sur le principe d’indivisibilité.
354. - Dans le domaine du commerce, la propriété est garantie non seulement par les
instruments juridiques ayant vocation à protéger les diverses formes concrètes
d’investissement financier ou intellectuel, mais aussi par l’encadrement des politiques
économiques qui influencent l’exercice de ce droit. Alors que l’internationalisation des
droits de l’homme et du droit du commerce n’évoluant pas au même rythme, le droit de
propriété se trouve à la croisée de ces processus. De multiples sources internationales
garantissent la protection du droit de propriété (TITRE I). Certes, la complexité de
l’influence du droit international se confirme en ce qui concerne la mise en oeuvre des
normes applicables à la protection de la propriété (TITRE II). De nombreux acteurs sont
engagés concernant la défense de ce droit sur le plan international. D’ailleurs, de
différentes évaluations juridiques ou politiques, plus ou moins contraignantes,
s’imposent de différentes manières au droit chinois. Or, sur le plan interne, l’État
chinois reste largement maître de la mise en œuvre des normes internationales relatives
au droit de propriété. L’adaptation du droit chinois aux normes internationales par voie
1259 V., Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (II) : Le pluralisme ordonné, op. cit., p. 224. 1260 Patrice MEYER-BISCH, « Méthodologie pour une présentation systématique des droits humains », in Emmanuelle BRIBOSIA, Ludovic HENNEBEL (sous la dir.), Classer les droits de l’homme, op. cit., pp. 53 à 54.
377
législative –qui relève aussi de l’évolution de l’ensemble juridique chinois– demeure la
forme principale de la mise en oeuvre du droit international.
378
TITRE I. – LES SOURCES JURIDIQUES INTERNATIONALES RELATIVES
À LA PROTECTION DE LA PROPRIÉTÉ
355. - Le droit de propriété est un bon révélateur eu égard à la différence de rythme
qui existe entre l’évolution du droit international économique et celle des droits de
l’homme. La propriété est d’abord proclamée par la DUDH de 1948 qui se base sur «
une transnationalité morale »1261 , dont la garantie est consolidée par des autres
instruments internationaux relatifs à la protection des droits humains (CHAPITRE I).
L’histoire de la rédaction de la Déclaration universelle de 1948 montre que le droit à la
propriété qui est fondée sur la dignité humaine, entend établir la légitimité de
l’appropriation de biens individuels, comme le fruit du travail, plutôt que le droit des
propriétaires des entreprises à exploiter le travail d’autrui. « Plus que des concepts
fondateurs, la Déclaration universelle crée des processus transformateurs »1262. Sous
l’angle des droits dont disposent les propriétaires relatifs à leurs investissements, le
principe de la protection du droit de propriété s’étend de manière plus
remarquablement au domaine du droit international économique (CHAPITRE II). Les
sources principales de celui-ci sont le droit international concernant les investissements
financiers et le droit de l’OMC qui comportent des normes à la fois plus précises et
plus contraignantes par rapport aux droits de l’homme. Une telle variation du contenu,
des sources et des valeurs juridiques du droit de propriété peut aussi expliquer la
complexité de l’influence du droit international sur le droit interne chinois.
1261 Christine FAURÉ, Ce que déclarer des droits veut dire : histoires, PUF, 1997, p.189. 1262 Mireille DELMAS-MARTY, La force imaginante du droit (IV) : vers une communauté de valeurs, à paraître.
379
CHAPITRE I – LA CONSÉCRATION DE LA PROPRIÉTÉ EN TANT QUE
DROIT DE L’HOMME
356. - Au niveau mondial, la protection de la propriété est d’abord proclamée par
l’article 17 de la DUDH, adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU dans sa
résolution 217 A (III) du 10 décembre 1948, selon lequel « [T]oute personne, aussi
bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété ». Cette formulation est reprise par
l’article 5, alinéa d, de la Convention de 1965 sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale. La DUDH demeure la principale source juridique internationale
de la protection du droit de propriété, d’autant que le vieux débat sur la valeur
juridique de la Déclaration peut paraître aujourd’hui largement dépassé1263. Car il est
généralement reconnu que la Déclaration reflète les coutumes internationales et par
conséquent doit être respectée par les membres de la communauté internationale1264.
Comme la Chine « s’intéresse à nouveau aux modèles étrangers et à l’harmonisation
du droit chinois avec les normes occidentales, nationales et internationales »1265
depuis la fin du XXe siècle, le gouvernement chinois a affirmé qu’il porte un grand
respect à la DUDH et estime qu’ « en tant que premier document international
concernant les droits de l’homme, elle a jeté le fondement de la pratique des droits de
l’homme dans le domaine international »1266. Néanmoins, la propriété ne figure pas
1263 Emmanuel DECAUX, « Déclarations et conventions en droit international », Cahiers du Conseil Constitutionnel, 2006, n° 21, pp. 88 à 93. 1264 V., Hurst HANNUM, « The status of the Universal Declaration of Human Rights in national and international law », 25 Ga. J. Int’l & Comp. L. 287, p. 292; v., aussi, Oscar SCHACHTER, International Law in Theory and Practice, Dordrecht: Martinus Nijhoff, 1991, p. 336; David F. KLEIN, « A theory for the application of the customary international law of human rights by domestic courts», 13 YALE J. INT’L L. 332, p. 354; Richard BILDER, « The status of international human rights law: An overview », in International Human Rights Law and Practice, James Tuttle ed., 1978, pp. 1 à 8; A. H. ROBERTSON, J. G. MERRILLS, Human rights in the world, Manchester: Manchester University Press, 3rd ed. 1989, p. 96; Philip ALSTON, « The Universal Declaration at 35: western and passé or alive and universal », 1982/31 I.C.J. REV.60, p. 69; John HUMPHREY, « The international bill of rights: scope and implementation », 17 WM. & MARY L. REV. 527, p.529; John HUMPHREY, No Distant Millennium: The International Law of Human Rights, Paris: UNESCO,1989, p. 155. 1265 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., p. 568. 1266 Office d’information du CAE, Les droits de l’homme en Chine, livre blanc publié en novembre
380
dans la proclamation conventionnelle des droits de l’homme par les deux Pactes
internationaux de 1966 qui portent sur l’application de la Déclaration universelle de
1948. Certes, « si la nature du droit de propriété comme droit de l’homme est sujette à
controverses, il peut être montré qu’il est reçu comme droit de l’homme de la première,
de la deuxième, voire de la troisième génération »1267. Partant de l’indivisibilité et de
l’interdépendance de tous les droits de l’homme, les deux Pactes internationaux
peuvent consolider la protection du droit de propriété en figurant parmi les sources
juridiques complémentaires en la matière.
Même si le droit de propriété n’est pas absolu et peut faire l’objet de limitations, il
doit néanmoins être préservé même dans les cas exceptionnels et on ne doit pas y
déroger sans motifs valables. Le droit international humanitaire réaffirme l’importance
du respect des biens à la sauvegarde de la dignité humaine, et par conséquent, jouent
aussi un rôle complémentaire à la protection de la propriété par rapport aux
instruments juridiques des droits de l’homme. En effet, les droits de l’homme et le
droit humanitaire sont sous-tendus par une préoccupation identique : d’une part,
assurer la protection de la personne humaine en situation « ordinaire » et, d’autre part,
en situation de conflits armés1268. La complémentarité des instruments juridiques
internationaux relatifs à la protection de la propriété est conformée en ce qui concerne
la relation entre les deux niveaux d’internationalisation du droit, universel et régional.
Au niveau européen, la protection du droit de propriété est consacrée par le 1er
Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, qui ne peut
être restreint que pour des motifs d’intérêt général ; cette affirmation a donné lieu à une
abondante jurisprudence qui a accentué la singularité du droit européen concernant les
droits de l’homme en tant qu’« instrument constitutionnel de l’ordre public
européen »1269 au regard de la « branche universelle »1270 . L’analyse des normes
1991, avant-propos ; v., aussi, Progrès de la cause des droits de l’homme, livre blanc publié en décembre 1995. 1267 Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, Hélène GAUDIN, Jean-Pierre MARGUÉNAUD, Stéphane RIALS, Frédéric SUDRE (sous la dir. de), Dictionnaire des Droits de l’Homme, PUF, 2008, p.646. 1268 V., Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., § 16. 1269 V., par ex., CEDH, 30 juin 2005, Bosphorus Hava Yollari Turizm ve Ticaret Anonim Sirketi c/ Irlande, requête n° 45036/98, § 156 ; CEDH, 23 mars 1995, Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), série A no 310, § 75.
381
juridiques régionales dépasse le cadre de la présente étude qui se concentre sur
l’influence du droit international sur le droit interne chinois. Dans le présent chapitre
relatif aux sources juridiques internationales du droit de propriété, seront
successivement étudiées l’origine principale (SECTION I) et les sources
complémentaires de la protection de la propriété (SECTION II), en tenant compte leur
influence sur le droit chinois.
SECTION I – L’ORIGINE PRINCIPALE DE LA PROTECTION DE LA
PROPRIÉTÉ
357. - Dans un droit international largement fragmenté –en matière de protection du
droit de propriété comme dans bien d’autres domaines– la DUDH fait figure de norme
fondamentale en consacrant la protection de la propriété comme droit de l’homme. Elle
fournit ainsi aux victimes de spoliation un argument sinon juridique, du moins moral.
Le texte de la DUDH, on le sait, ne fut pas établi sans peine, du fait des divergences
entre les États signataires1271. Puisque la propriété est étroitement liée aux régimes
politique et économique des États, l’article 17 fut rédigé de manière à s’adapter tant au
régime capitaliste ou libéral qu’au régime socialiste pour lequel la propriété collective
prime sur la propriété privée souvent considérée comme « sacrée et inviolable »1272.
C’est sur la base d’un compromis que la Déclaration universelle semble consacrer « un
dénominateur commun »1273 de la propriété comme droit fondamental de l’homme
(Sous-section 1). Ce « dénominateur commun » du droit de propriété peut produire les
effets à la fois juridiques et idéologiques sur le droit chinois, d’autant plus forts que sa
valeur universelle fut confirmée par la contribution de la Chine à la rédaction de la
Déclaration universelle 1948. Celle-ci traduit la tentative de combiner les idées
1270 V., Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., §§ 134, 256. 1271 V., Johannes MORSINK, The Universal Declaration of Human Rights : origins, drafting, and intent, op. cit., pp. 139 à 156; Mary Ann GLENDON, A world made new: Eleanor Roosevelt and the Universal Declaration of Human Rights, New York: Random House, 2001, pp. 181 à 183. 1272 V., Ralph NELSON, « Moderating the philosophy of rights », in William SWEET (ed.), Philosophical theory and the Universal Declaration of Human Rights, University of Ottawa Press, 2003, p. 173. 1273 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit : le relatif et l’universel, op. cit., p. 80.
382
occidentales et la pensée traditionnelle chinoise afin de définir un fondement commun
aux droits de l’homme1274.
358. - L’analyse de la contribution chinoise à la rédaction de la Déclaration
universelle (Sous-section 2) peut aider à mieux comprendre la signification que revêt le
droit de propriété pour la culture juridique traditionnelle chinoise. Cette dernière en
effet ne perd rien de sa pertinence concernant le droit positif contemporain, puisque le
recours à la culture traditionnelle, caractérisé notamment par la réinvention du
confucianisme, ne cesse de prendre de l’ampleur depuis ces dernières années en
s’inscrivant dans la mutation de la société chinoise1275. D’ailleurs, même si la culture
juridique traditionnelle de la propriété n’a pas joué un rôle décisif sur le droit positif,
son influence demeure néanmoins perceptible. Pour le droit chinois, la Déclaration
universelle de 1948 est donc une source juridique importante dans la mesure où elle
inclut les normes relatives à la protection de la propriété, mais surtout elle met en
évidence les valeurs des droits de l’homme qui peut inspirer à l’élaboration du droit
interne oscillant entre les représentations sociales qu’elle fait naître et les valeurs
abstraites qu’elle a pour vocation de faire respecter.
Sous-section 1. – L’apport de la Déclaration universelle des droits de
l’homme
359. - Alors qu’il exista des débats sur le principe de la protection du droit à la
propriété lors de la préparation de la Déclaration universelle de 1948, il n’y eut guère
de divergence concernant son caractère non absolu. À cet égard, les deux alinéas de
l’article 17 de la Déclaration universelle semblent forger le prototype des normes de
garantie de la propriété selon le schéma de « principe-exceptions » : l’alinéa 1er de
l’article 17 proclame le principe du droit à la propriété (§ 1) ; l’alinéa 2 prévoit
1274 V., Pierre-Étienne WILL, « La contribution chinoise à la Déclaration universelle des droits de l’homme », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., pp. 334 à 365. 1275 V., Joël THORAVAL, « La tentation pragmatiste dans la Chine contemporaine », in Anne CHENG (sous la dir. de), La pensée en Chine aujourd’hui, Éditions Gallimard, 2007, pp. 103 et s. Cf., Flora BLANCHON, Rang-ri PARK-BARJOT, Le nouvel âge de Confucius, Paris : PUPS, 2007.
383
toutefois la possibilité de la privation de ce droit. L’adage « nul ne peut être
arbitrairement privé de sa propriété » impose seulement la condition de respecter des
mesures non arbitraires concernant la privation de propriété. C’est la « clef » du critère
minimum concernant la protection de la propriété (§ 2), confirmée par l’appréciation
juridictionnelle de la légitimité des atteintes au droit de propriété1276.
§1. – Le principe proclamé par l’article 17, alinéa 1er
360. - La perspective universaliste de la Déclaration n’est pas sans affadir, par
certains côtés, la proclamation internationale des droits de l’homme qui, pour concilier
courant libéral et doctrine socialiste, se prête à des accommodements discutables1277 : il
en est ainsi de l’article 17, alinéa 1er, de la Déclaration universelle qui proclame « toute
personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété ». Comme la
rédaction de l’article 17, alinéa 1er résulta d’un compromis, la formulation « droit à la
propriété » au lieu du « droit de propriété » révèle la position particulière de la
Déclaration universelle sur la nature de ce droit (A). Certes, l’opposition classique
entre « droit de propriété » et « droit à la propriété » ne peut qu’être relativisée, si l’on
regarde de près la signification de l’article 17, alinéa 1er. De même pour les
divergences quant aux titulaires et au contenu de ce droit (B). Le fait que l’opposition
et les divergences autour de l’article 17, alinéa 1er, puissent être conciliées sur la base
d’une analyse constructive peut être une source d’inspiration pour le droit chinois qui
lui-même se trouve dans un processus de transformation et par conséquent se met aussi
dans une tension entre les modes libéral et socialiste en ce qui concerne la protection
de la propriété. En ce sens, la DUDH sera un véritable « droit référence » pour la
Chine.
A. – La spécificité de la formulation du « droit à la propriété »
1276 Cf., Stéphanie PAVAGEAU, Le droit de propriété dans les jurisprudences suprêmes françaises, européennes et internationales, thèse, Université de Poitiers, LGDJ, 2006, §§ 412 et s. 1277 V., Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., § 22.
384
361. - L’expression du droit à la propriété de l’article 17 provoqua une discussion sur
sa nature de « droit-créance » (2), du fait de la distinction classique entre « droits de »
et « droits à » (1).
(1). – Le motif de la distinction entre « droits de » et « droits à »
362. - L’ambiguïté de la nature du droit à la propriété tient à sa propre formulation.
Alors que le droit de propriété est l’expression généralement utilisée, la Déclaration
universelle opte pour « le droit à la propriété ». La distinction traditionnelle entre
« droit de » et « droit à » en matière de droits de l’homme semblait pertinente en ce qui
concerne la propriété. Comme l’a souligné Frédérique SUDRE, « profondément
imprégnées par l’idéologie définie par Locke et Rousseau, les déclarations américaine
et française constatent les droits inhérents à l’être humain et antérieurs à la société :
elles reconnaissent des ‘droits de’ et non des ‘droits à’, des ‘droits-résistances’,
supposant une créance de l’individu contre la société et non des ‘droits-créances’,
supposant une créance de l’individu contre la société et des prestations positives de
l’État »1278. Pour ce dernier, l’article 17 de la Déclaration universelle semble proclamer
un droit-créance par la formulation du « droit à la propriété ». Il faut rappeler que lors
de la rédaction du projet de Déclaration universelle, en représentant la position des
pays de l’Amérique latine, HUMPHREY proposa de reconnaître aux individus un droit
minimum à la propriété, justifié par une existence décente de l’homme. Le standard
minimum du droit à la propriété suppose non seulement l’obligation de l’État de prêter
assistance aux citoyens en leur fournissant les moyens nécessaires pour mener une vie
décente et pour sauvegarder la dignité humaine, mais aussi le droit des citoyens à
partager la propriété industrielle, commerciale et des autres entreprises à but lucratif
comme l’exige la priorité de la propriété collective par rapport au droit individuel à la
propriété1279. Pour trouver un compromis entre le socialisme et le capitalisme, le projet
de Déclaration universelle abandonna aussi bien l’idée d’un standard minimum que le
1278 Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., § 21. 1279 V., Johannes MORSINK, The Universal Declaration of Human Rights: origins, drafting, and intent, op. cit., pp. 140 à 141.
385
droit à partager la propriété. Pourtant, l’expression de droit à la propriété –qui ne
semble pas entrer en conflit de manière inconciliable avec le concept traditionnel du
droit de propriété– porte la trace du caractère d’un droit-créance et par conséquent
impose certaines obligations à l’État. Le droit à la propriété suppose donc non plus
l’exercice d’une liberté individuelle, mais une intervention de l’État pour faire en sorte
que le droit soit réellement et efficacement protégé. Comme les droits de la deuxième
génération, le droit à la propriété s’inscrit dans une recherche de justice sociale,
« certains pourraient y déceler, dans le domaine du droit à la propriété, la justification
de la pensée communiste »1280. La réalisation effective de ce droit dépend d’un
développement progressif par l’État, non plus d’une mise en oeuvre instantanée par le
sujet de droit. À cet égard, il semble qu’il n’existe pas de conflit entre le droit de
propriété et le droit à la propriété.
(2). – La signification du droit à la propriété au regard de la complémentarité entre
« droits de » et « droits à »
363. - L’ambiguïté de l’expression « droit à la propriété » de l’article 17 de la
Déclaration universelle tient également au contenu de la prestation de l’État qui est
exigée par la nature de droit-créance. Les travaux menés dans le cadre de l’ONU ont
précisé les obligations qui pèsent sur les États pour la réalisation du droit à la propriété
au regard de sa nature « droit-créance ». Par exemple, les engagements des États dans
l’élimination de la pauvreté qui sont encadrés par le Programme des Nations Unis pour
le développement. Dans ce cas, ce droit signifie le droit à disposer d’un minimum de
biens car l’extrême pauvreté « consiste en l’impossibilité pour l’individu, la famille et
le groupe humain de jouir des biens»1281. La volonté et la politique pour éliminer
l’extrême pauvreté ne peuvent que renforcer la valeur du droit de propriété. La
Commission des droits de l’homme a souligné que « l’extrême pauvreté et l’exclusion
1280 Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, Hélène GAUDIN, Jean-Pierre MARGUÉNAUD, Stéphane RIALS, Frédéric SUDRE (sous la dir. de), Dictionnaire des Droits de l’Homme, op. cit., p.648. 1281 Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, Application des normes et critères relatifs aux droits de l’homme dans le contexte de la lutte contre l’extrême pauvreté, UN doc. A/HRC/Sub. 1/58/16, 11 juillet 2006, § 11.
386
sociale sont des atteintes à la dignité humaine [qui], par conséquent, requièrent des
actions urgentes, nationales et internationales, pour qu’il y soit mis à fin »1282.
D’autres instruments internationaux adoptés dans le cadre de l’ONU ont réitéré
l’obligation pour les États d’agir pour l’élimination de la pauvreté, tout en respectant
leurs engagements pris dans la création d’instruments et d’organismes internationaux à
ce sujet1283. Comme la Commission des droits l’homme l’a souligné, « tous ceux qui
vivent dans l’extrême pauvreté, (...), ont la propriété privée, individuelle, coopérative
ou communautaire sur leurs logements, (...) ils ont le droit à la propriété,
communautaire ou individuelle, de leurs terres, logements, outils, animaux et autres
choses nécessaires à la vie quotidienne »1284. Reconnaître le droit de propriété et aider
à accéder à certains biens figure parmi les obligations de l’État dans le cadre de la lutte
pour l’élimination de l’extrême pauvreté.
364. - Si, comme l’a observé Frédérique SUDRE, l’expression « les droits de... »
suppose une abstention de l’État et celle « les droits à... » réclame des prestations de
l’État, il n’y a pas d’opposition tranchée entre les deux catégories de droits. Et la
distinction droit de/droit à, abstention/prestations, est démentie par la pratique des
droits de l’homme. Car, certains droits sont de nature « mixte » et participent à la fois
des droits économiques, sociaux et culturels, mais aussi des droits « classiques », au
titre desquels ils vont être garantis. La complémentarité est évidente d’autant plus que
la notion d’obligation positive forgée par les organes de contrôle de la CEDH invite à
dépasser ce clivage artificiel1285. L’idée de complémentarité satisfait parfaitement
l’exigence de protection du droit de propriété, en théorie et en pratique. Car si l’État 1282 Commission des droits de l’homme, Les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, résolution 2005/16, 14 avril 2005, UN doc. E/CN.4/2005/L.10/Add.10. 1283 Il s’agit notamment des dispositions pertinentes de la Déclaration et du Programme d’action de Vienne, adoptés par la Conférence mondiale sur les droits de l’homme le 25 juin 1993, ainsi que celles de la Déclaration de Copenhague sur le développement social et du Programme d’action du Sommet mondial pour le développement social, adoptés par le Sommet mondial le 12 mars 1995, la résolution 46/121 adoptée par l’Assemblée générale le 17 décembre 1991 et les résolutions ultérieures de l’Assemblée sur la question, la Déclaration du Millénaire, adoptée par l’Assemblée générale le 8 septembre 2000, et les objectifs de développement énoncés dans la Déclaration, au terme desquels les États se sont solennellement engagés à tout faire pour mettre fin à la misère. 1284 Commission des droits de l’homme, Les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, résolution 2005/16, précité, annexe, § 31. 1285 Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., § 163.
387
doit faciliter l’appropriation par les citoyens des biens dans le cadre d’une politique de
lutte contre la pauvreté, cela présuppose que la propriété déjà détenue par les citoyens
a un fondement légitime sur le plan moral ou politique. En pratique, la spoliation et la
restriction excessive et sans justification de l’exercice du droit de propriété sont la
principale cause de l’appauvrissement des citoyens. L’article 17, alinéa 2, de la
Déclaration universelle qui prohibe la privation arbitraire de la propriété, impose à
l’État l’obligation de s’abstenir de porter atteinte à la propriété actuelle des citoyens. Il
est aussi important de souligner que la propriété est le seul droit individuel invoqué par
la Cour internationale de justice1286 . Celle-ci a tiré argument de la Déclaration
universelle de 1948 pour établir que la propriété devait être garantie contre la
dépossession sans indemnisations par des mesures nationales1287. L’opposabilité du
droit de propriété aux pouvoirs publics a été ainsi affirmée par la jurisprudence. La
juxtaposition des deux alinéas de l’article 17 amène à relativiser l’opposition entre
« droit à la propriété » et « droit de propriété » et à y voir plutôt une exigence de
complémentarité.
B. – L’énoncé des composantes du droit à la propriété
365. - Les sujets (1) et le contenu (2) du droit à la propriété sont les deux
composantes constitutives de l’article 17, alinéa 1er de la Déclaration universelle de
1948.
(1). – Les sujets
1286 V., Raymond GOY, La Cour internationale de justice et les droits de l’homme, Bruylant, 2002, pp. 105 à 107. 1287 V., notamment opinion dissidente de LEVI CARNEIRO, sous Anglo-Iranian Oil Co., arrêt du 22 juillet 1952, Recueil de la Cour, pp. 159 à 167. Pour d’autres références au droit international dans l’argumentaire des juges relatifs à la protection du droit de propriété, v., aussi, l’opinion personnelle de M. GROS, sous Barcelona Traction, arrêt du 5 février1970, Recueil de la Cour, pp. 273, 274 ; l’opinion individuelle de WEERAMANTRY, sous Délimitation maritime (Danemark c/Norvège), arrêt du 14 juin 1993, Recueil de la Cour, p. 276. Pour la jurisprudence de la Cour internationale de justice dans laquelle le respect du droit de propriété est affirmé en vertu du droit international, v., Différend frontalier terrestre (El Salvador c/ Honduras, Nicaragua (intervenant)), arrêt du 11 septembre 1992, § 66, Recueil de la Cour, pp. 400, 401.
388
366. - En dépit des efforts des rédacteurs pour concilier les conceptions libérale et
marxiste aussi bien sur la forme que sur le fond de la Déclaration universelle de 1948,
le compromis reste décevant quant aux droits proclamés. En effet, en vue de concilier
les deux conceptions de la propriété qui s’affrontèrent, à savoir la conception
« privée » de la propriété défendue par les pays libéraux et de conception « collective »
pour les pays dits socialistes, l’article 17 de la Déclaration universelle de 1948
proclame que « toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la
propriété »1288. La conciliation demeure largement fictive car, au-delà des mots, les
deux types de propriété renvoient à deux conceptions philosophiques radicalement
opposées et exclusives l’une de l’autre1289. Dans la première version du projet de
Déclaration, le droit à la propriété fut traité à l’article 14 en ces termes : « Article 14. 1.
Tout individu a le droit de posséder des biens conformément aux lois du pays où ces
biens se trouvent. 2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété »1290. En
raison de l’insistance manifestée par le délégué de l’URSS, lors de sa réunion à Lake
Success, du 24 mai au 18 juin 1948, la Commission des droits de l’homme finalement
révisa le texte de l’article 14, qui devint l’article 15 du projet. Dans sa nouvelle version,
l’article 15 fut ainsi conçu : « Article 15. 1. Toute personne, aussi bien seule qu’en
collectivité, a droit à la propriété. 2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa
propriété ». D’autres propositions et amendements n’eurent pas survécu aux débats
ultérieurs1291. L’expression « toute personne aussi bien seule qu’en collectivité » fut
une concession faite à la conception collective de la propriété des pays socialistes. Il en
résulte que le titulaire du droit à la propriété ne se limite pas aux individus. Mais il
n’est guère douteux que les pays occidentaux aussi bien que les pays socialistes
reconnaissent que le droit des individus à s’approprier les biens nécessaires à leur
survie étaient couverts par l’article 17 de la Déclaration universelle. La divergence
1288 Justino Jiménes DE ARECHAGA, « The background to article 17 of the Universal Declaration », Journal of the International Commission of Jurists, vol. III, n° 2, décembre 1967, pp. 34 à 39. 1289 Gilles LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, 6e éd., Armand Colin, 2003, p. 128. 1290 V., UN doc. E/CN.4/21. 1291 V., Johannes MORSINK, The Universal Declaration of Human Rights: origins, drafting, and intent, op. cit., pp. 143, 147.
389
n’exista qu’à l’égard du régime économique de la propriété.
367. - L’expression « toute personne ‘en collectivité’ a droit à la propriété » est
toutefois ambiguë dans la mesure où elle semble admettre la collectivité comme le
sujet du droit de l’homme. Or, en principe, seuls les droits individuels sont visés par le
texte. Pour les uns, on ne peut parler de façon utile de droit de l’homme uniquement là
où une règle reconnaît à un particulier un droit subjectif qu’il peut opposer à l’État et,
éventuellement, à d’autres particuliers1292, alors que pour les autres, les droits de
l’homme sont les droits de l’individu qui ne sauraient être confondus avec les droits
des collectivités1293. Toutefois, l’idée de la collectivité en tant que sujet du droit à la
propriété fut peu à peu admise. Lors de la rédaction du projet de Déclaration, le
compromis fut obtenu par l’abandon du mot « privé » qui fut très controversé lors de
l’élaboration de la Déclaration universelle1294. Ce qui marque l’abandon de la doctrine
classique portant sur le titulaire individuel des droits de l’homme. La résolution 1803
(XVII) adoptée le 14 décembre 1962 par l’Assemblée générale sur la souveraineté
permanente sur les ressources naturelles, qui porte sur la nationalisation,
l’expropriation et la réquisition, a traité de certains aspects du droit à la propriété dans
le cadre du droit des peuples et des nations à la souveraineté permanente sur leurs
richesses et leurs ressources naturelles. Certains aspects du droit à la propriété de la
collectivité ont été également examinés à diverses reprises par l’Assemblée générale et
par le Conseil économique et social à propos du problème de la réforme agraire. Ils ont
également reconnu que le droit à la propriété des terres est important pour étendre
l’exercice d’autres droits de l’homme et aider à réaliser les objectifs de développement
économique et social, et qu’il existe dans les États membres de nombreuses formes
légales de propriété –propriété privée, collective, étatique– et que chacune d’elles doit
contribuer à la mise en valeur et à l’utilisation efficace des ressources humaines par la
mise en place de bases solides pour assurer la justice politique, économique et
sociale1295.
1292 V., par ex., Jean COMBACAU, Droit international public, 2e éd., Montchrestien, 1995, p. 393. 1293 V., par ex., Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., § 63. 1294 Mary Ann GLENDON, A world made new: Eleanor Roosevelt and the Universal Declaration of Human Rights, op. cit., p. 183. 1295 V., Office of Public Information, Yearbook of the United Nations, 1962, United Nations, pp. 265,
390
(2). – Le contenu
368. - L’article 17 de la Déclaration universelle 1948 est ambigu dans la mesure où il
se contente de proclamer le principe et l’exception au droit à la propriété, sans pour
autant préciser en quoi elle consiste1296. Toutefois, certains aspects de la propriété des
individus ont été précisés par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels.
Par exemple, en s’appuyant sur l’article 11 du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels (PIDESC), le Comité a estimé que le droit de toute
personne à un logement suffisant est d’une importance centrale pour la jouissance de
tous les droits économiques, sociaux et culturels, et que le devoir d’analyser le critère
de « suffisance » –qui est toutefois un concept moins juridique– est susceptible d’être
menée à partir de la sécurité légale du titre d’occupation. Selon le Comité des droits
économiques, sociaux et culturels, « il existe diverses formes d’occupation –la location
(dans le secteur public ou privé), la copropriété, le bail, la propriété, l’hébergement
d’urgence et l’occupation précaire, qu’il s’agisse de terres ou de locaux. Quel que soit
le régime d’occupation, chaque personne a droit à un certain degré de sécurité et donc
d’une protection légale contre l’expulsion, le harcèlement ou autres menaces »1297. Le
Comité a également souligné que l’expulsion forcée menée de façon illégale constitue
l’une des atteintes les plus graves au droit à un logement suffisant. En s’appuyant sur
l’indivisibilité et l’interdépendance des droits de l’homme, le Comité affirme que
l’expulsion forcée menée illégalement porte atteinte non seulement au droit à un
logement suffisant, mais aussi aux droits civils et politiques, parmi lesquels figure le
droit à la jouissance paisible des biens1298. Il en résulte que par l’interdépendance et
l’indivisibilité des droits de l’homme, l’interdiction de l’expulsion forcée menée 266; Progress in Land Reform, 4e report, E/4020/Rev.1-ST/SOA/61, Community Development Approach to Land Settlement, ST/SOA/63 ; Résolution 1213 (XLII) du Conseil économique et social, adoptée le 1er janvier 1967, E/4379, § 4 ; Résolution 1707 (LIII) du Conseil économique et social, adoptée le 28 juillet 1972, E/5192. 1296 V., John O. McGINNIS, « The limit of international in protecting dignity », Harvard Journal of Law and Public Policy, fall, 2003, p. 138. 1297 CESCR, Observation générale 4, Le droit à un logement suffisant (article 11, par. 1, du Pacte), sixième session, 1991, § 8 (a). 1298 CESCR, The right to adequate housing: forced conviction, General Comment 7, Sixteenth session, 1997, § 4.
391
illégalement découle du droit à un logement suffisant, mais aussi de la jouissance
paisible des biens qui n’est qu’un aspect, bien qu’important, du droit à la propriété.
Dans un autre cas, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a considéré
que le droit fondamental de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels
résultant de toute production scientifique, littéraire ou artistique est proclamé par
l’article 15 du PIDESC, par l’article 27 de la Déclaration universelle, ainsi que par
l’article 1er du Protocole n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales 1299 . Le Comité admet également que la
protection des « intérêts matériels » des auteurs par le paragraphe 1 c) de l’article 15
est un corollaire du lien étroit entre cette disposition et le droit à la propriété, tel qu’il
est reconnu à l’article 17 de la DUDH et dans les instruments régionaux relatifs aux
droits de l’homme, ainsi qu’avec le droit du travailleur à une rémunération
suffisante1300. Il en résulte que la propriété intellectuelle des auteurs est reconnue
comme un aspect du droit à la propriété.
369. - La propriété individuelle de certains biens nécessaires à la subsistance se
fonde sur la dignité humaine qui est le socle des droits de l’homme. L’article 17 semble
plus ambigu sur le point de savoir si le contenu du droit à la propriété s’étend aux biens
comme moyens d’exploitation, notion qui s’éloigne de ce socle des droits de l’homme.
À cet égard, le Comité de l’UNESCO réfléchissant sur les fondements théoriques des
droits de l’homme souligna son intention de ne considérer dans la liste des droits
fondamentaux qu’il a dressée uniquement le droit de propriété individuelle comme
droit fondamental, en insistant sur le fait que « tout homme a droit à la propriété
personnelle dans la mesure où elle lui est nécessaire pour son usage propre et
l’entretien de sa famille ; aucune autre forme de propriété n’est en elle-même un droit
fondamental »1301. Au regard de l’ensemble des droits proclamés par la Déclaration
1299 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Le droit de chacun de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur (par. 1 c) de l’article 15 du Pacte), Observation générale n° 17 (2005), UN doc. E/C. 12/GC/17, 12 janvier 2006, § 3. 1300 Ibid., § 15. 1301 Le Comité de l’UNESCO sur les fondements théoriques des droits de l’homme, « Pour une nouvelle déclaration universelle des droits de l’homme », in Autour de la nouvelle déclaration universelle des droits de l’homme, textes réunis par l’UNESCO, Sagittaire, 1949, p. 218.
392
universelle qui intègrent les droits des travailleurs « de caractère socialiste», il semble
que les auteurs de la Déclaration considèrent le travail comme la première voie pour
les individus de s’approprier des biens, et les droits des travailleurs ne peuvent qu’aider
à créer davantage de propriété1302. Ce constat a été également réaffirmé par le PIDESC.
D’ailleurs, les travaux du Comité des droits économiques, sociaux et culturels qui
intègrent aussi le droit à la propriété dans le champ des droits des travailleurs1303.
§ 2. – Des exceptions prévues par l’article 17, alinéa 2
370. - Le caractère non absolu du droit à la propriété n’a guère suscité de doute lors
de la rédaction du projet de Déclaration universelle. La divergence porta
principalement sur la limite à fixer à ce droit au regard de sa fonction sociale1304.
D’ailleurs, seule la privation de la propriété est encadrée (A), alors que la simple
réglementation de l’usage des biens qui n’entraîne pas le transfert de la propriété est
absente de l’article 17, alinéa 2, de la Déclaration (B).
A. – La privation de la propriété
371. - Le critère minimum de la protection du droit de propriété exige que la
privation arbitraire de la propriété soit interdite (1) par l’article 17, bien que la
signification de la notion d’ « arbitraire » reste à préciser (2) dans la pratique.
(1). – L’interdiction de la privation arbitraire de la propriété
372. - Des divergences existèrent sur la limitation du droit à la propriété lors de
l’élaboration de la Déclaration universelle. Les États-Unis soutirent vigoureusement
l’insertion des normes de protection du droit de propriété privée contre l’expropriation
1302 V., Johannes MORSINK, The Universal declaration of Human Rights: origins, drafting, and intent, op. cit., pp. 155 à 157. 1303 V., infra, n° 406. 1304 V., Johannes MORSINK, The Universal Declaration of Human Rights: origins, drafting, and intent, op. cit., p. 154.
393
sans garanties raisonnables, alors que les délégués du gouvernement travailliste du
Royaume-uni contestèrent la nécessité de proclamer le droit de propriété privée en
mettant en avant le fait que la réglementation de la propriété fut devenue un
phénomène universel à l’époque contemporaine 1305 . Le projet d’article que la
Commission des droits de l’homme eut rédigé lors de la première session disposa que
« nul ne peut être privé de sa propriété sinon dans l’intérêt public et moyennant une
juste indemnité »1306. À la deuxième session de la Commission, le délégué de l’URSS
proposa d’ajouter, après les termes « tout individu a le droit de posséder des biens »,
les mots « conformément aux lois du pays où ces biens se trouvent »1307, ouvrant la
voie à la limitation à la propriété en vertu des lois internes. Cette proposition fut
refusée par les auteurs de la Déclaration 1948 en s’appuyant sur la notion de justice
morale qui l’emporte sur le droit positif concernant les mesures de privation1308.
L’interdiction de la privation arbitraire de la propriété selon la Déclaration universelle
fut ainsi reconnue de manière à sortir de l’impasse des controverses concernant la
limitation du droit de propriété1309. Il reste toutefois à préciser l’intention des acteurs
de la Déclaration universelle qui consista à subordonner le droit interne au critère
généralement reconnu quant à la qualification de la privation arbitraire. Ce qui conduit
à restreindre la liberté des États à réglementer la privation de la propriété. Mais
l’effectivité de cette restriction dépend des précisions sur la notion d’arbitraire.
(2). – Précisions sur la notion d’arbitraire
373. - L’article 17, alinéa 2, en proclamant de manière assez simple que « nul ne
peut être arbitrairement privé de sa propriété », ne précise pas les conditions qui
encadrent la privation de la propriété, puisque l’adverbe « arbitrairement » est assez
1305 V., Mary Ann GLENDON, A world made new: Eleanor Roosevelt and the Universal Declaration of Human Rights, op. cit., p. 182. 1306 V., UN doc. E/CN.4/21. 1307 V., UN doc. E/CN.4/57. 1308 Johannes MORSINK, The Universal Declaration of Human Rights: origins, drafting, and intent, op. cit., pp. 149, 150. 1309 V., Catarina KRAUSE, « The right to property », in Asbjørn EIDE, Catarina KRAUSE, Allan ROSAS (ed.), Economic, social and cultural rights: a textbook, M. Nijhoff , 2001, pp. 191, 192.
394
abstrait et peut faire l’objet de diverses interprétations. Certaines règles applicables aux
pratiques d’expropriation sont cependant utiles dans l’interprétation de l’article 17. Par
exemple, en s’appuyant sur les instruments internationaux en vigueur, l’expert
indépendant désigné par la Commission des droits de l’homme a constaté que « les
formes privées, collectives, étatiques ou sociales de la propriété peuvent être
restreintes ou limitées par les pouvoirs publics dans le respect des dispositions de la
législation nationale et conformément aux normes internationales dans le domaine des
droits de l’homme. À cet égard, il est à noter que les principes généraux du droit
international exigent le versement effectif, sans délai, d’indemnités adéquates en cas
d’expropriation (aliénation) de tous types de propriétés »1310. Selon ce constat, le
versement effectif, sans délai, d’indemnités adéquates en cas de privation de propriété
sont dans les principes généraux du droit international. Ces conditions ont été
également confirmées par les pratiques de l’État et la jurisprudence des tribunaux
internationaux, mais avec des exceptions généralement reconnues telles qu’en cas de
nationalisation, l’indemnisation doit être évaluée selon l’objectif de la nationalisation
ainsi que la viabilité de l’économie de l’État1311.
374. - Certains instruments internationaux adoptés par l’Assemblée générale de
l’ONU sont également utiles dans la mesure où ils ont proclamé les critères pour
évaluer si la privation est arbitraire ou non. Ainsi en est-il de la résolution n° 1803
(XVII) de l’Assemblée générale en date du 14 décembre 1964 intitulée
«[S]ouveraineté permanente sur les ressources naturelles» qui a proclamé que « 4. La
nationalisation, l’expropriation ou la réquisition devront se fonder sur des raisons ou
des motifs d’utilité publique, de sécurité ou d’intérêt national, reconnus comme
primant les simples intérêts particuliers ou privés, tant nationaux qu’étrangers ».
Selon ladite résolution, bien que les États soient souverains concernant leur décision de
procéder aux mesures de privation, ils se voient pourtant imposer des limites à
respecter quand il s’agit d’éviter la privation arbitraire. De même, la Charte des droits
et devoirs économiques des États a proclamé que « 2. Chaque État a le droit : ... c) De 1310 Commission des droits de l’homme, Droit de toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, à la propriété, document précité, § 401. 1311 V., Ian BROWNLIE, Principles of public international law, 6th ed., Oxford New York: Oxford University Press, 2003, pp. 510 à 512.
395
nationaliser, d’exproprier, ou de transférer la propriété des biens étrangers, auquel cas
il devrait verser une indemnité adéquate, compte tenu de ses lois et règlements et de
toutes les circonstances qu’il juge pertinentes. Dans tous les cas où la question de
l’indemnisation donne lieu à différend, celui-ci sera réglé conformément à la
législation interne de l’État qui prend des mesures de nationalisation et par les
tribunaux de cet État, à moins que tous les États intéressés ne conviennent librement de
rechercher d’autres moyens pacifiques sur la base de l’égalité souveraine des États et
conformément au principe du libre choix des moyens »1312. Il en résulte que si
l’indemnisation est en principe réglementée par le droit interne de l’État qui prend les
mesures de privation, l’indemnité adéquate est en principe exigée par ladite Charte.
Certes, les deux résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU concernent
principalement les cas où un État dépouille les biens d’un citoyen d’un autre État, qui
se passait surtout dans le domaine de l’investissement étranger. Il reste donc à savoir si
ces conditions demeurent applicables aux cas d’expropriation des biens appartenant
aux nationaux de l’État expropriant. À cet égard, il n’existe toutefois pas de consensus
relatif à l’illégalité de l’expropriation sans indemnisation par l’État des biens de leurs
nationaux1313.
Il est intéressant de remarquer l’exemple de la jurisprudence européenne qui
semble traduire la tendance du droit international en matière d’indemnisation en cas de
privation. En effet, « la Cour [européenne des droits de l’homme] a fait preuve d’une
étonnante habileté puisqu’elle a réussi à proclamer le principe de l’indemnisation
pour tous, mais ceci sans désavouer la jurisprudence précédente de la Commission
suivant laquelle la référence au droit international général ferait bénéficier du droit à
l’indemnisation seulement les étrangers et non pas les nationaux »1314. Ce qui peut être
1312 Résolution 3281 (XXIX) de l’Assemblée générale de l’ONU adoptée en date du 12 décembre 1974. 1313 V., par ex., Matias F. TRAVIESO-DIAZ, « Some legal and practical issues in the resolution of Cuban Nationals’ Expropriation Claims against Cuba », 16 U. Pa. J. Int’l Bus. L. 217 (1995); Jeannette M. E. TRAMHEL, « Helms-Burton invites a closer look at counter-measures », 30 Geo. Wash. J. Int’l L. & Econ. 317. 1314 Luigi CONDORELLI, « Premier protocole additionnel, article 1 », in Louis-Edmond PETTITI, Emmanuel DECAUX, Pierre-Henri TEITGEN (sous la dir. de), La Convention européenne des droits de l’homme, Commentaire article par article, 2e éd., Economica, 1999, p. 987. Or, dans l’arrêt James et autres c/ Royaume-Uni (CEDH, 21 fév. 1986, Série A n° 98, § 46), la Cour précise que dans le cas d’une
396
considéré comme la preuve de l’évolution du droit international à l’égard de la
protection des intérêts économiques de tout homme, quelle que soit sa nationalité.
B. – La réglementation de la propriété
375. - L’une des faiblesses de l’article 17 de la Déclaration universelle de 1948
réside dans la réglementation de la propriété. En effet, le pouvoir de l’État à
réglementer l’exercice du droit de propriété n’est qu’implicitement reconnu (1), et les
conditions qui encadrent la réglementation du droit à la propriété sont peu précises (2).
(1). – La reconnaissance implicite de la limitation au pouvoir de réglementation
376. - La question de savoir si l’État a le pouvoir de réglementer le droit à la
propriété fut abordée lors de la rédaction du projet de Déclaration. En admettant que
l’article 17 consacré à la propriété devrait satisfaire à la fois aux exigences du
capitalisme et du socialisme par la juxtaposition de la propriété individuelle et de la
propriété collective, il se pose toutefois une question cruciale, à savoir qui des
individus ou de l’État pourrait faire le choix entre la propriété individuelle et la
propriété collective comme régime de propriété1315. Le délégué de l’URSS insista en
ajoutant, après la formulation « toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a
droit à la propriété » une phrase : « en vertu des lois de l’État où se situe la
propriété »1316. Mais cette proposition ne fut pas soutenue pas la majorité lors du
scrutin de vote, au motif que la propriété en tant que droit de l’homme fut présumé
l’emporter sur la souveraineté de l’État. Ne départageant pas le socialisme et le
capitalisme concernant la question de la propriété, l’article 17 semble reconnaître de
manière implicite le pouvoir de l’État socialiste à réglementer le droit à la propriété, privation de propriété réalisée au titre d’une réforme sociale, il peut exister de bons motifs de distinguer, en matière d’indemnisation, entre ressortissants et étrangers : Ceux-ci sont plus vulnérables à la législation interne que ceux-là, surtout que contrairement à eux, ils ne jouent d’ordinaire aucun rôle dans l’élection ou la désignation de ses auteurs et ne sont pas consultés avant son adoption. 1315 Johannes MORSINK, The Universal Declaration of Human Rights: origins, drafting, and intent, op. cit., p. 147. 1316 Ibid., p. 149.
397
notamment la propriété privée concernant les entreprises à but lucratif pour organiser
son économie nationale, sans toutefois aller jusqu’à admettre le pouvoir souverain de
l’État dans la réglementation du droit à la propriété. Ainsi peut-on considérer que l’État
a le pouvoir de réglementer le droit à la propriété, mais il s’agit pour lui de respecter
certaines conditions compatibles avec l’exigence de la protection des droits de
l’homme.
(2). – Les conditions applicables à la réglementation
377. - Sur le plan universel, les normes de droit international relatives aux droits de
l’homme ne sont pas précises en ce qui a trait aux conditions applicables à la
réglementation du droit de propriété n’aboutissant pas à la privation. En effet, les États
ont le droit d’appliquer les lois qu’ils jugent nécessaires pour contrôler l’usage des
biens conformément à l’intérêt général, pour prélever des taxes et autres impôts et
infliger les pénalités. L’étude des affaires examinées par la Cour européenne des droits
de l’homme démontre que les États détiennent de larges pouvoirs pour contrôler
l’usage des biens1317. Mais les conditions à la réglementation du droit de propriété
peuvent également être résumées à partir des législations existantes. Ainsi, l’expert
indépendant désigné par la Commission des droits l’homme pour rédiger le rapport
intitulé « Droit de toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, à la propriété » a
souligné qu’ « il est important que ces pouvoirs de réglementation de l’État n’aient pas
pour le résultat la saisie de biens sans indemnisation et de manière ‘arbitraire’ ou
‘illégale’ »1318; de ce fait, « l’État ne pourra porter atteinte à des droits garantis
‘conformément à la loi’ pour éviter toute action arbitraire...». Mais ce constat se fonde
principalement sur la législation de nombreux États ; l’expert indépendant considère
qu’« il reste à la jurisprudence à donner une interprétation plus précise et plus claire
des ces termes »1319.
1317 V., Jean-François RENUCCI, Traité de droit européen des droits de l’homme, L.G.D.J., 2007, pp. 533 à 537. 1318 Commission des droits de l’homme, Droit de toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, à la propriété, précité, § 457. 1319 Ibid., § 458.
398
Sous-section 2. – Le principe de la protection du droit à la propriété au
regard de la contribution chinoise à la Déclaration universelle des droits de
l’homme
378. - Comme principal apport de la Chine à la DUDH, la notion de « conscience »
qui est au coeur du confucianisme mais juxtaposée à côté de la notion de raison comme
le fondement des droits de l’homme, reflète l’idéologie prévalente dans la culture
traditionnelle chinoise en ce qui concerne la jouissance des biens (§ 1). L’usage sélectif
des notions confucianistes au service du besoin contemporain révèle l’influence de la
pensée traditionnelle, mais aussi ses limites au regard de la notion moderne du droit de
propriété protégé comme droit fondamental de l’homme (§ 2).
§ 1. – La notion de conscience comme fondement idéologique du droit de
propriété dans la pensée traditionnelle chinoise
379. - Le projet de l’article 1er de la Déclaration universelle mentionna que « tous les
hommes sont doués de raison et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de
fraternité ». Le délégué du gouvernement chinois Peng Chun ZHANG qui ne contesta
pas la raison comme l’attribut essentiel de l’Homme, proposa d’ajouter, à côté du mot
« raison », un concept chinois de « conscience » qui peut être traduit en français par
« compassion » ou « sympathie », soit en anglais par « two-man mindedness »1320. Cet
ajout important est intéressant pour plusieurs raisons, la première étant que la notion à
laquelle M. ZHANG pensa est celle de « ren », qui signifie l’humanité ou le souci de
ses semblables. Le mot chinois « ren » se compose de la combinaison de deux
caractères chinois « homme» et «deux», ce qui évoque la signification de solidarité. La
proposition fut retenue, mais la traduction du mot « ren » par « conscience » fausse la
signification de ce terme mise en avant par M. ZHANG, dans la mesure où la
conscience est plus souvent comprise à travers l’expression « liberté de
1320 Mary Ann GLENDON, A world made new: Eleanor Roosevelt and the Universal Declaration of Human Rights, op. cit., pp. 67, 75, 76, 228.
399
conscience »1321. La version en langue chinoise de la Déclaration universelle traduit la
conscience par les mots « liang xin ». Ces derniers remontent à Mencius chez qui il
s’agit de l’ « esprit foncièrement bon » qui distingue l’homme de l’animal et fait qu’un
homme est humain 1322 . « Liang xin » est donc quelque chose de plus que la
« conscience morale ». L’expression relève de la notion de « bonté innée » qui
d’ailleurs possède dans la tradition chinoise sa propre dimension métaphysique au sens
où c’est ce qui rattache l’homme, non pas à Dieu mais à la « Voie » (dao),
consubstantielle au fonctionnement de l’Univers1323. Certes, qu’il s’agisse de la notion
de « ren », de la bonté innée ou de la « Voie », le fondement idéologique de la propriété
se caractérise par son caractère dialectique (A). En effet, d’une part, l’existence de la
propriété des individus est par sa nature compatible avec la notion confucianiste de
« ren » ou de « liang xin », dans la mesure où le confucianisme s’oppose à l’arbitraire
des pouvoirs et exige le respect de la propriété tant par le gouvernant que par les
individus envers leurs semblables. D’autre part, dans la pensée confucianiste où
l’individu n’existe que dans un réseau de relations familiales et sociales, la société
s’ordonne à partir de principes inégalitaires qui ne se réfèrent ni à la liberté, ni aux
droits subjectifs, par conséquent, la question des droits de l’homme fut sans objet1324.
Ainsi, le rôle de la notion de « ren » à propos de la protection de la propriété des
individus doit être nuancé. Il faut souligner que le caractère dialectique de la pensée
traditionnelle à propos de la propriété individuelle se révéla lors de l’élaboration du
projet de Déclaration universelle de 1948 (B). Ce qui manifeste la limite de l’utilité de
la pensée traditionnelle chinoise sur la protection de la propriété.
A. – Le caractère dialectique de la pensée confucianiste de la propriété
individuelle
1321 Ibid., p. 68. 1322 V., Anne CHENG, Histoire de la pensée chinoise, op. cit., pp. 163, 164. 1323 V., Pierre-Étienne WILL, « La contribution chinoise à la Déclaration universelle des droits de l’homme », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., p. 343. 1324 V., Mireille DELMAS-MARTY, « La question des droits de l’homme en Chine », op. cit., p. 2182.
400
380. - Si la propriété individuelle est légitimée par la notion de « ren » au sens où la
jouissance des biens individuels est indispensable à l’épanouissement de la
personnalité humaine (1), la notion traditionnelle de « ren », elle-même étroitement
liée à la notion chinoise de « yi » qui signifie la juste, impose aussi la limitation (2).
(1). – La légitimation de la propriété individuelle
381. - Lors de la discussion sur l’origine des droits de l’homme, le philosophe
chinois Chung Shu LO, considéra que l’absence d’une déclaration formelle des droits
de l’homme dans l’histoire chinoise ne signifie pas que le peuple chinois ne jouit
d’aucun droit de l’homme. En effet, il est vrai que certaines idées de droits de l’homme,
par excellence la rébellion du peuple contre l’oppression, sont perceptibles dans le
discours répandu de Mencius1325. Aujourd’hui, cette opinion est partagée par la
doctrine selon laquelle le concept moderne de droits de l’homme n’est pas étranger à la
culture traditionnelle chinoise en analysant les quatre vertus prônées par le
confucianisme, à savoir la bienveillance « ren», la tolérance « shu», la justice « yi » et
la gouvernance « zheng » comme porteuses des éléments des droits de l’homme1326. La
vertu confucianiste « ren » qui constitue la base morale des relations sociales, impose à
l’individu comme obligation morale de ne pas porter atteinte à ses semblables. Il en
résulte que le respect des obligations mutuelles conformément à la vertu « ren » peut
prévenir la violation des droits, ce qui correspond au discours de P. C. ZHANG à
propos de la conscience1327. L’obligation morale de ne pas porter atteinte à ses
semblables selon la vertu « ren » comporte donc implicitement l’interdiction de porter
atteinte à la propriété d’autrui, si tous sont propriétaires de la même façon. Outre la
signification négative de la vertu « ren » au sens où elle prescrit aux hommes de ne pas
mener une action qui porterait atteinte à autrui, y compris à la propriété d’autrui, il faut 1325 Chung-Shu LO, « Les droits de l’homme dans la tradition chinoise », in Autour de la nouvelle déclaration des droits de l’homme, textes réunis par l’UNESCO, op. cit., pp. 154, 155. 1326 V., DU Gangjian, SONG Gang, « Relating human rights to Chinese culture: the four paths of the Confucian analects and the four principles of a new theory of benevolence », in Michael C. DAVIS (ed.), Human Rights and Chinese Values, Oxford University Press, 1995, pp. 35 et s. 1327 V., Chung Shu LO, « Human rights in the Chinese tradition », in Human Rights: Comments and Interpretations, London: Wingate, 1949, pp. 186, 187.
401
souligner que Mencius enseigna l’importance de l’appropriation des biens sur la
préservation de l’esprit de l’homme qui elle-même est au fondement du règne du Roi.
Pour Mencius, « ce qui distingue l’homme de l’animal est des plus ténus »1328. En
d’autres termes, ce qui distingue l’humain de l’animal n’est autre que sa nature morale.
Mencius appela ce presque rien « esprit originel » (ben xin) ou « esprit foncièrement
bon » (liang xin). « Le ‘xin’ qui désigne à la fois l’esprit et le coeur, est pour Mencius
une forme exclusivement humaine de sensibilité, la faculté de ressentir, de désirer, de
vouloir, mais aussi de penser ce qui est ressenti, désiré, voulu »1329. Pour Mencius, le
« xin » –l’esprit et le coeur de l’homme– comporte l’esprit de la loyauté du peuple
envers l’État. L’importance de la propriété consiste en ce que la sauvegarde de « xin »,
donc l’esprit et le coeur de loyauté du peuple ne peut être assurée qu’avec la stabilité
des biens indispensables pour la sauvegarde de la vie. Quand on demanda à Mencius
comment il faillit gouverner, il répondit que « tant que la production est stable, les
esprits demeurent dans la constance ; ils s’agitent si elle ne l’est point. Les esprits
agités se portent aux pires extrémités du mal et de la licence. Pousser au crime pour
ensuite châtier en conséquence, c’est tendre un piège aux gens»1330. C’est-à-dire que
l’homme dépouillé des biens va perdre son esprit et s’incliner à transgresser la loi ; et
punir l’homme que l’on a spolié pour les crimes qu’il commet ne peut pas se justifier.
C’est la raison pour laquelle Mencius considéra « jing tian » comme le meilleur régime
foncier. Car, dans le régime de « jing tian », les limites des terres furent bien tracées, le
peuple eut un champ à cultiver, les officiers ne purent pas exiger un impôt exagéré à
leur gré1331.
382. - Si le maintien du « xin » justifie l’appropriation privée des biens par les
hommes, la théorie du gouvernement par la bienfaisance –esquissée par Mencius et
reconnue comme le fondement de la politique officielle1332– est le germe de la notion
moderne du respect des biens par le pouvoir public. Selon le passage de Mencius, le
1328 Mencius, 4, B.19, traduit par André LEVY, Éditions YOU-FENG, 2003, p.121. 1329 Anne CHENG, Histoire de la pensée chinoise, op. cit., p. 174. 1330 Mencius, 3, A. 3, op. cit., pp. 81, 82. 1331 YUAN Chaucer, La philosophie morale et politique de Mencius, Paris : Librairie Orientaliste, 1927, p. 292. 1332 V., Marcel GRANET, La pensée chinoise, Éditions Albin Michel, 1988, p. 451.
402
Roi dut non seulement s’abstenir d’exploiter les richesses du peuple, mais aussi
déployer, comme le « ren » exige, la politique contribuant à la conservation et
l’augmentation des richesses du peuple afin de maintenir l’ordre de son règne. Par le
fameux passage « deviens riche et renonce à la bonté ou deviens bon et renonce à la
richesse »1333, Mencius indiqua qu’un sage souverain dut se montrer respectueux,
économe, poli envers ses subordonnés et limiter au strict minimum ce qu’il prit au
peuple. À l’époque contemporaine, c’est dans l’idée de réciprocité des relations
politiques entre le gouvernant et les gouvernés que le confucianisme propose de
conférer aux individus des biens suffisants et de les protéger contre l’abus de
pouvoir1334 . Il faut rappeler que P. C. ZHANG souligna l’importance des droits
économiques, sociaux et culturels dès la séance ouverture du Conseil économique et
social en janvier 1946, et comme il se dut, il ajouta une dimension confucianiste à ce
texte en citant Mencius, chez qui l’on trouve la formulation canonique suivant laquelle
les hommes ne peuvent devenir vertueux par l’éducation et rester loyaux envers leurs
gouvernements si on ne leur assure pas le nécessaire. Comme l’a constaté
Pierre-Étienne WILL, l’attachement des défenseurs chinois des droits de l’homme
concernant le fait pour les États de garantir à leurs citoyens les droits qui touchent aux
conditions fondamentales de leur survie économique et de leur aptitude à vivre en
société a de profondes racines historiques. Celles-ci sont à rechercher dans l’histoire
même de l’État en Chine. En effet, depuis la dynastie des Song, l’idée fut
profondément intégrée au discours bureaucratique qu’il fut de la responsabilité des
pouvoirs publics de veiller à ce que même les plus pauvres des paysans ne fussent pas
exposés à perdre leur place en période de crise, à perdre leur terre en tant que base
économique, et par-là même leur place dans la société, et donc leur existence en tant
qu’être humains dignes de ce nom. Il serait assurément trop hâtif d’affirmer que dans
une telle configuration le peuple chinois aurait des « droits » à la survie, au travail, à la
propriété, etc., mais « il existait certainement une attente, voire une exigence,
susceptible d’engendrer la notion de droits le jour où le contexte intellectuel et
1333 Mencius, 3, A. 3, op. cit., . 82. 1334 V., Wejen ZHANG, « Confucian theory of norms and human rights », in Wm. Theodore DE BARY, TU Weiming, Confucianism and Human Rights, Columbia University Press, 1998, pp. 123 à 124.
403
politique s’y prêterait »1335.
(2). – La limitation imposée à la propriété individuelle
383. - La vertu « ren » qui fait l’éloge de la compassion, de la sympathie ou de la
bienveillance et exige le respect des biens des individus ne doit pas nous faire oublier
de souligner que « bien que Confucius parle constamment du ‘ren’, il se refuse à en
donner une définition explicite et, de ce fait, limitative »1336. L’expression « ren » est
donc susceptible de diverses interprétations, parmi lesquelles il faut toutefois souligner
que le « ren » fut souvent conjointement utilisé par Mencius avec une autre notion « yi
» qui signifie à la fois la justice ou la justesse1337. « Ce qui est juste, il est de notre
devoir de l’accomplir ; en d’autres termes, un acte de justice apparaît comme revêtu
d’un caractère d’obligation que ne possèdent pas certaines autres actes moraux»1338.
Aujourd’hui, la notion de « yi » peut ouvrir la voie à la limitation de la propriété qui est
porteuse des intérêts individuels dans la quête des richesses. À cet égard, l’un des
meilleurs aspects de la pensée confucianiste peut être résumé ainsi : « la conviction que
la nature humaine est perfectible et que l’Homme est un être fait pour vivre en société,
le souci de la discipline personnelle, le respect des autres, le goût de l’étude et le sens
de l’intérêt général »1339. D’où une vision dialectique de l’humanité. De nos jours,
confucianisme signifie ordre, obéissance aux supérieurs, dévouement à l’État, défense
de la famille ; il met les intérêts du groupe au-dessus de ceux de l’individu et permet
ainsi d’assurer l’ordre social. Ce corpus de valeurs est censé favoriser un
développement harmonieux, car il permet de limiter les appétits individuels. La vertu
« ren » constitue en soi un bon antidote à l’individualisme extrême et l’appât du gain.
En insistant sur l’intégration de la notion de conscience morale en vue prioritairement
1335 V., Pierre-Étienne WILL, « La contribution chinoise à la Déclaration universelle des droits de l’homme », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., pp. 354, 355. 1336 Anne CHENG, Histoire de la pensée chinoise, op. cit., p. 69. 1337 V., Wing-tsit CHAN, « The evolution of the Confucian concept Jên », Philosophy East and West, Vol. 4, n° 4, janvier, 1955, p. 302. 1338 YUAN Chaucer, La philosophie morale et politique de Mencius, op. cit., p. 172. 1339 Jacques GERNET, L’intelligence de la Chine, Paris : Gallimard, 1994, p. 87.
404
« d’affirmer et d’élargir la différence qui existe entre l’homme et l’animal »1340,
l’intention de P. C. ZHANG consista aussi à éviter que les droits proclamés par la
Déclaration fussent jugés trop égoïstes1341. En cas de conflit entre le maintien de la
vertu « ren » et la quête de la richesse, le confucianisme affirme donc la supériorité
axiologique du « ren » sur la deuxième. Car « si le confucianisme, en principe, n’est
pas contre l’individu et les droits de l’homme, il a cependant souligné de manière
excessive la priorité de la perfection morale sur l’individualité brute »1342. La vertu
« ren » qui insiste sur l’idée de compassion envers les autres et sur la capacité d’être
disponible pour les autres pourrait, renforcée par le « yi » qui met l’accent sur la justice
et le devoir, être le remède à l’égoïsme néfaste lié à l’individualisme des propriétaires.
Selon le confucianisme, la prévalence des vertus de « ren » et de « yi » sur les intérêts
individuels est exigée non seulement par le processus de perfectionnement de
l’Homme, mais aussi par la nécessité de maintenir l’ordre de l’État et l’harmonie de la
société. Car « le ‘yi’ est indispensable à la société. Tant que dans une société les
individus, les groupes ou les sectes se traitent avec injustice, il ne peut y régner que le
plus grand désordre »1343. Rappelons que quand le Roi Hui de Liang demanda à
Mencius s’il eut quelque chose à proposer qui servit l’intérêt de son pays, Mencius
répliqua : « [P]ourquoi faut-il que Votre Majesté parle d’intérêt ? Humanité, justice,
un point c’est tout, cela existe tout de même. (...)Quand, de haut en bas de la société,
chacun confisque ce qui lui est profitable aux dépens d’autrui, l’État se trouve
assurément en péril»1344. Selon la pensée de Mencius, la poursuite des intérêts sans
modération est la cause déstabilisatrice de la société. Le maintien de l’ordre
harmonieux n’est possible que par le respect de l’humanité et de la justice, notion liées
dans l’expression de « ren yi ». Celle-ci exige que l’appropriation des biens, et donc
l’intérêt du propriétaire, soit tempérée par celui de l’ordre social. Il en résulte que la
1340 V., document de l’ONU, E/CN.4/SP.7, p. 5, en date du 31 janvier 1946. 1341 V., Johannes MORSINK, The Universal Declaration of Human Rights: origins, drafting, and intent, op. cit., p. 299. 1342 Vincent SHEN, « Harmonie : individu et communauté dans la nature », in Paul SERVAIS (éd.), Individu et Communauté, une confrontation Orient-Occident, Louvain-la-Neuve: Bruylant-Academia, 2000, p. 197. 1343 YUAN Chaucer, La philosophie morale et politique de Mencius, op. cit., p. 180. 1344 Mencius, 1, A. 1, op. cit., p. 22.
405
conscience morale est non seulement le fondement légitime de la propriété, mais aussi
celui ouvrant la voie à la limitation de l’intérêt qui est l’élément essentiel du « droit de
propriété » au sens moderne.
384. - Les notions contemporaines de la légitimation et de la limitation du droit de
propriété peuvent trouver leur écho dans la pensée traditionnelle chinoise, mais il faut
toutefois souligner la difficulté de fournir une explication culturelle de l’évolution des
droits de l’homme en Chine. Comme Jean-Pierre CABESTAN l’a constaté, «les droits
et liberté sont, en effet, accordés à la société, dans la tradition chinoise, dans un but
moral bien précis»1345. Les notions d’humanisme, de dignité humaine, existèrent en
Chine, mais du fait de leur grande complexité, ces valeurs asiatiques et confucianistes
sont très malléables concernant leur interprétation et offrent donc prise à des
instrumentalisation diverses1346. Le caractère dialectique de la notion de conscience
morale –comprise comme « ren »– eu égard à la propriété est la cause principale de la
difficulté rencontrée lors de l’interprétation des valeurs d’ordre moral et culturel,
comme le montre l’exemple de la participation de la Chine à l’élaboration de la
Déclaration universelle 1948.
B. – La révélation du caractère dialectique au cours de l’élaboration
de la Déclaration universelle de 1948
385. - Il existe peu d’informations disponibles précisant directement la position des
délégués chinois quant à l’élaboration du projet d’article relatif au droit à la propriété.
Mais leurs propos concernant les droits économiques, sociaux et culturels peuvent
donner des indices utiles pour comprendre l’approche « légitimation et limitation » du
droit à la propriété à laquelle ils adhérèrent. Il faut notamment souligner que quant à
l’élaboration du projet de l’article 17, les délégués chinois insistèrent sur l’absence
d’un article consacré au droit à la propriété (1) et à la limitation de ce dernier (2). Ce
1345 Jean-Pierre CABESTAN, « L’impossible avènement d’un État de droit en Chine populaire : est-ce la faute aux valeurs asiatiques, au communisme ou au retard économique ? », in Thierry MARRES, Paul SERVAIS (éd.), Droits humain et valeurs asiatiques, un dialogue possible ?, Louvain-la-Neuve : Bruylant Academia, 2001, p. 86. 1346 V., ibid., p. 87.
406
qui traduit toutefois une position à rebours par rapport à la légitimation de la jouissance
des biens individuels.
(1). – L’absence d’un article sur le droit de propriété dans le projet chinois lors de
l’élaboration de la Déclaration universelle de 1948
386. - Pendant les débats devant la Commission des droits de l’homme, les délégués
de la Chine soutinrent vigoureusement l’intégration des droits économiques, sociaux et
culturels au texte final. Mais c’est un propos qu’il faut nuancer étant donné que les
interventions des délégués chinois dans les débats de la Commission des droits de
l’homme sur le projet de Déclaration universelle portèrent plutôt sur des questions de
forme ou de cohérence et allèrent dans le sens d’une plus grande concision, en
s’efforçant de limiter les énumérations trop précises ou en proposant de ne pas traiter
sur le même plan les droits abstrait et les mesures d’application. P. C. ZHANG oeuvra
pour que les droits économiques et sociaux et les conditions nécessaires au plein
développement de la personnalité ne fussent pas annoncés dès l’article 3 de la
Déclaration, à la suite du droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de la personne.
ZHANG ne fut d’accord qu’à la condition absolue qu’ils fussent mentionnés dans un
paragraphe séparé « pour mettre en valeur leur importance »1347. En ce qui concerne le
droit à la propriété, une initiative d’amendement fut toutefois proposée par la
délégation chinoise. Cette initiative s’affirma au contraire en faveur de la suppression
de ce droit de la Déclaration1348. Le motif de cette position hostile au droit à la
propriété doit être trouvé dans les considérations techniques de la délégation chinoise
concernant l’élaboration d’une déclaration. Car, politiquement, il semble que les
délégués chinois ne furent pas hostiles au droit à la propriété, du fait de son caractère
économique et social. Mais les délégués chinois mirent davantage l’accent sur le
consensus des États quant au fondement et à la formulation des droits proclamés. C’est
1347 V., Pierre-Étienne WILL, « La contribution chinoise à la Déclaration universelle des droits de l’homme », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., pp. 356 à 357. 1348 V., Johannes MORSINK, The Universal Declaration of Human Rights: origins, drafting, and intent, op. cit., pp. 145, 146.
407
donc peut être parce qu’il exista une divergence importante entre les pays capitalistes
et socialistes sur les sujets et le contenu du droit à la propriété que les délégués chinois
se penchèrent sur l’omission d’un article précis concernant ce droit en vue d’obtenir un
compromis, tout en laissant la réalisation de ce droit à la discrétion des États qui
s’engageraient à respecter les principes généraux proclamés par la Déclaration
universelle. Cette hypothèse peut être implicitement confirmée par la position de la
délégation chinoise qui soutint la limitation au droit de propriété, après le rejet de leur
proposition sur l’omission d’un article du droit à la propriété.
(2). – Le soutien à la limitation au droit de propriété
387. - La limitation au droit de propriété doit être conçue en rapport avec la relation
entre droits et devoirs. La question portant sur celle-ci suscita des débats complexes au
sein des rédacteurs de la Déclaration universelle. Le délégué chinois P. C. ZHANG fit
partie de la minorité de délégués qui revendiquèrent l’inclusion d’une liste des devoirs
dans la Déclaration, faisant en quelque sorte pendant à la liste des droits au motif que
les droits des individus ne purent exister qu’en corrélation avec leurs devoirs1349. Un
article proclamant les devoirs de l’individu envers la société fut rédigé comme un
compromis sur les différents avis concernant les devoirs des individus, avec le soutien
de P. C. ZHANG1350. Quant à la limitation au droit à la propriété, il exista deux
approches différentes : pour les uns représentés par la délégation de l’URSS, ils
soutirent une clause spécifique consacrée à la limitation du droit à la propriété par la
fonction sociale au sein de l’article 17 ; pour les autres, l’article 29 constitue une
limitation externe –pour se distinguer de la proposition de la délégation de l’URSS
caractérisée par la limitation interne– qui serait suffisante en soi. Le délégué chinois
ZHANG fut dans la ligne des rédacteurs qui se mirent d’accord sur la limitation
externe et s’opposèrent à la position de l’URSS1351. Il faut souligner que la distinction
1349 Ibid., pp. 248, 249. 1350 V., Pierre-Étienne WILL, « La contribution chinoise à la Déclaration universelle des droits de l’homme », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., pp. 360, 361. 1351 V., Johannes MORSINK, The Universal Declaration of Human Rights: origins, drafting, and intent,
408
entre limitations interne et externe n’est pas purement formelle mais relève plus
substantiellement du fondement du droit à la propriété. Car selon le projet de la
délégation de l’URSS, le droit à la propriété serait subordonné à la limitation imposée
par la loi interne de chaque État. Pour le même motif qui fut expliqué lors de la
discussion sur la condition applicable à la privation de la propriété, la majorité des
rédacteurs de la Déclaration rejetèrent la proposition de l’URSS. Car si la législation
interne peut imposer la limitation au droit à la propriété, elle-même ne peut se justifier
qu’à la condition de respecter le principe proclamé par l’article 29 relatif aux devoirs
des individus envers la société.
388. - Quand on combine l’insistance de la délégation chinoise, notamment celle du
délégué P. C. ZHANG sur l’omission d’un article proclamant le droit à la propriété, et
son soutien à la limitation au droit à la propriété par l’article 29, la position de la Chine
peut se résumer par la recherche d’un compromis qui se contente de définir le standard
minimum de la protection de la propriété en tant que droit de l’homme. Tant
qu’existaient des divergences entre le sujet et le contenu du droit à la propriété, il valait
mieux de ne proclamer que le principe impératif pour sauvegarder le fondement du
droit, c’est-à-dire la condition relative à la limitation au droit de propriété1352. Voici une
proposition qui reflète dans un cas bien précis l’une des facettes de l’apport chinois à la
Déclaration universelle 1948 : « gommer les spécificités culturelles et se concentrer sur
des principes acceptables pour tous afin de se montrer le plus universel possible en
évitant de heurter quiconque »1353.
§ 2. – Les influences de la pensée traditionnelle sur le droit de propriété à
l’époque contemporaine
op. cit., p. 154. 1352 Certains auteurs considèrent que le rôle de l’article 17 de la Déclaration universelle ne consiste pas à proclamer le droit à la propriété, mais simplement à imposer une limitation à celui-ci. V., par ex., Martin A. GEER, « Foreigners in their own land: cultural land and transnational corporations: emergent international rights and wrongs », Virginia Journal of International Law, spring 1998, p. 374. 1353 Pierre-Étienne WILL, « La contribution chinoise à la Déclaration universelle des droits de l’homme », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., p. 365.
409
389. - Ayant évolué dans un contexte impérial pendant plus de deux mille ans, la
pensée traditionnelle dominée par le confucianisme se trouve aujourd’hui confrontée
au problème de son décalage avec la modernité. Ce décalage l’oblige à s’adapter à la
question actuelle du développement de la Chine1354. Sur le plan politique, à sa
naissance en 1949, le régime communiste ne supportait plus la pensée confucianiste
pace qu’elle était un « humanisme », en contradiction directe avec le principe de base
de la révolution, la lutte des classes. Le processus idéologique de suppression de la
pensée confucianiste atteignait son apogée pendant les années 60 et 70 de la révolution
culturelle1355. Mais depuis les années 1980 a lieu un renouveau du confucianisme tant
sur le plan intellectuel que sur le plan politique. Il semble donc qu’aujourd’hui, les
dirigeants de la Chine populaire, confrontés aux problèmes sociaux non négligeables
surgis avec le développement de l’économie de marché, paraissent être tombés
d’accord sur le fait d’adapter la civilisation chinoise à leur projet global
d’hypermodernisation, étant donné que le régime a fortement besoin d’une morale1356.
C’est par « la tentation pragmatiste » 1357 que le régime chinois redécouvre les
bienfaits qu’il peut tirer de la mise en valeur de la pensée confucianiste. Il faut
remarquer la reconnaissance constitutionnelle et législative du droit de propriété qui
s’inscrivaient dans le processus de réforme économique s’accompagnaient du
renouveau du confucianisme. L’influence de ce courant de pensée se traduit d’abord
par la référence à certaines notions de moralité qui a contribué à la formation du
contexte politique favorable à la reconnaissance constitutionnelle de la propriété privée
et la législation en la matière (A). Or, il faut souligner que l’instrumentalisation de la
notion confucianiste au service des besoins de la modernité se heurte à certaines
limites. Par exemple, plusieurs idées du confucianisme sont en soi incompatibles avec
la notion moderne de propriété comprise comme droit fondamental de l’homme (B).
1354 V., Anna GHIGLIONE, Shenwen LI, « Le confucianisme et la modernisation socioculturelle de la Chine », in Frédéric LASSERRE (sous la dir. de), L’éveil du dragon : les défis du développement de la Chine au XXIe siècle, Presse de l’Université du Québec, 2006, p. 328. 1355 V., A. James GREGOR, Maris Hsia ZHANG, « Anti-confucianism: Mao’s last campaign », Asian Survey, Vol. 19, n° 11, novembre 1979, pp. 1073 à 1092. 1356 Pierre GENTELLE, « L’instrumentalisation du nom de Confucius par la Chine populaire », Monde Chinois, n°8, 2006, pp. 50, 53 et 54. 1357 Joël THORAVAL, « La tentation pragmatiste dans la Chine contemporaine », op. cit., pp. 125, 134.
410
A. – La référence aux notions confucianistes au service des besoins
modernes
390. - Les dirigeants chinois ne se dispensait pas de faire des références aux notions
confucianistes afin de créer un contexte politique humaniste dans un souci de
légitimation du régime (1), alors même que la doctrine s’efforçait de justifier la
propriété privée par la même référence aux notions confucianistes (2). Ainsi peut-on
dire que le pouvoir politique et les intellectuels s’accordent à instrumentaliser la pensée
traditionnelle au service des besoins modernes.
(1). – La construction d’un contexte politique humaniste
391. - Le développement de l’économie améliore considérablement les conditions de
vie du peuple chinois, mais il entraîne en même temps des problèmes sociaux tels que
un accès inégal à l’éducation, le creusement des inégalités sociales, l’indifférence
répandue envers les personnes défavorisées. Dans ces circonstances, la redécouverte de
l’ancienne vertu s’avère utile afin d’exhorter à la sollicitude réciproque, aux activités
d’entraide et au respect mutuel. Elle contribuerait aussi à renforcer l’attachement à
l’unité familiale et sociale. En outre, depuis l’ouverture du pays à l’économie de
marché, la corruption prend progressivement de l’ampleur malgré les mesures
répressives. Une crise morale défie sérieusement le système idéologique socialiste dont
les normes de comportement s’imposent avec difficulté à l’ensemble de la société.
Devant cette situation, les dirigeants chinois ont su exploiter de manière ad hoc
l’éthique confucianiste1358. Parmi les éléments de celle-ci, l’idée de « ren » représente
la vertu suprême1359. Mencius la développa dans le cadre politique, préconisant un
modèle de gouvernement dicté par une politique humaine (ren zheng). C’est dire traiter
le peuple avec bienveillance, le gouverner à l’aide de principes moraux et exercer le 1358 V., Anna GHIGLIONE, Shenwen LI, « Le confucianisme et la modernisation socioculturelle de la Chine », op. cit., p. 330. 1359 V., TU Weiming, « Jen as living metaphor in the Confucian Analects », Philosophy East and West, Vol. 31, n° 1, janvier 1981, pp. 45 à 54.
411
pouvoir avec modération1360. Cet idéal a été largement accepté par les dirigeants
politiques chinois dans le souci d’adaptation du mode politique de gouvernance.
L’ancien président JIANG Zemin insistait sur la nécessité de conjuguer le
gouvernement de l’État selon la loi et selon la vertu, exigeant les cadres à travailler à
leur perfectionnement moral personnel1361. Ce rappel à des valeurs oubliées depuis
longtemps pourrait limiter la corruption, l’abus de pouvoir et la criminalité, et par
conséquent contribuer à l’humanisation de la politique gouvernementale. Dès leur
arrivé au pouvoir, le président HU Jintao et le Premier ministre WEN Jiabao ont
vigoureusement prôné le mot d’ordre « mettre l’homme au centre des pensées » (yiren
wenben) et au coeur du « concept de développement scientifique» (kexue
fazhanguan)1362. Toutes ces manoeuvres du PCC traduisent nettement la volonté des
dirigeants chinois de prendre au sérieux les intérêts du peuple et manifestent leur souci
de légitimer le régime politique en mettant l’accent sur l’humanisation de tous les
aspects de l’activité gouvernementale. Les amendements constitutionnels proclamant
le respect des droits de l’homme, ainsi que la protection de la propriété privée,
s’inscrivent bien évidemment dans l’ « humanisation » du contexte politique qui se
caractérise par un emprunt à la pensée traditionnelle chinoise de la conscience morale,
ici transposée au domaine politique. Il est vrai que la Déclaration universelle de 1948
n’a pas joué un rôle visible concernant ce changement vers l’ « humanisation » de la
vie politique chinoise, mais le retour volontaire et substantiel à la notion morale de
conscience ne peut que conforter le caractère d’universalité de la Déclaration
universelle, et par conséquent son autorité, sinon juridique, du moins morale sur le
droit chinois.
(2). – La justification de la propriété privée
1360 V., Kwang-yop HONG, Conception de la politique et de l’histoire chez Confucius et ses prolongements en Chine moderne, thèse l’Université de Paris II, 1979, pp. 32, 35. 1361 Sur la genèse de l’idée de ‘gouverner l’État par la vertu’, v., YANG Deshan, «‘Yifa zhiguo’, ‘yide zhiguo’ (‘Gouverner l’État selon la loi’, ‘gouverner l’État par la vertu’) », disponible sur le site http://cpc.people.com.cn/GB/64162/64171/4527669.html, consulté le 18 juillet 2008. 1362 V., HU Jintao, Rapport d’activités présenté devant le XVIIe congrès du PCC, le15 octobre 2007.
412
392. - Profitant de l’influence de ce contexte politique favorable, les juristes ont
mené une réflexion qui a pour but de mettre en oeuvre l’ « humanisation » du droit
chinois1363. Il est également intéressant de noter que des juristes civilistes chinois se
référaient aussi au propos de Mencius pour soutenir la nécessité de la législation de
droits réels par l’APN. À titre d’exemple qui illustre bien l’aspect moral de la notion de
« xin » selon Mencius1364 , le professeur SUN Xianzhong, qui a vigoureusement
soutenu la nécessité d’accorder le même statut juridique à la propriété publique et
privée, a soulevé que la loi sur les biens devrait mettre davantage l’accent sur la
garantie de la propriété privée, car assurer la jouissance stable des biens serait
nécessaire au maintien de l’esprit et du coeur du peuple. Le professeur YIN Tian a
même loué l’importance de la propriété privée en la plaçant au fondement matériel de
l’épanouissement de la personnalité humaine1365. Il s’agissait également de justifier la
propriété privée en s’appuyant sur la notion d’humanité. L’influence de la pensée
traditionnelle chinoise à l’égard du processus de légitimation de la propriété privée ne
doit pas être sous-estimée, d’autant plus que la doctrine marxiste prônant la
suppression de la propriété privée n’était acceptée comme le dogme politique du
gouvernement chinois qu’après la fondation de la Chine populaire en 1949, peu de
temps après l’adoption de la Déclaration universelle. Contrastant avec la longue
existence de la notion de propriété privée dans l’histoire chinoise1366, la suppression de
la propriété privée au profit de l’établissement exclusif de la propriété publique selon
le dogme marxiste n’apparaît que comme un événement de courte durée. L’époque où
la légitimité de la propriété privée était totalement niée s’est terminée avec
l’amendement constitutionnel de 2004 et la promulgation de la loi sur les droits réels
en 2007, si bien que l’on pourrait considérer cette période comme une phase de rupture, 1363 V., par exemple, le recueil des essais d’une soixantaine de juristes chinois sur les différents sujets autour du thème de l’humanisation du droit chinois, XU Xianming (sous la dir. de), Yiren weiben yu falü fazhan (Mettre l’homme au centre des pensées et le développement du droit), Shandong Renmin Chubanshe, 2008. 1364 V., SUN Xianzhong, Zhongguo wuquanfa zonglun : yuanli yiji lifazhongde xikao (Droits réels chinois : principes et réflexions sur la législation), China Law Press, 2005, introduction. 1365 V., YIN Tian, « Zailun ‘wucaichan wurenge’ (Réécriture sur ‘pas de personnalité humaine sans propriété’) », Faxue (Law Science Monthly), 2005, n° 2, p. 38 à 41. 1366 V., Patrick A. RANDOLPH, Jianbo LOU, Chinese real estate law, Kluwer Law International, 1999, pp.1 à 13.
413
non significative, dans la longue histoire du droit chinois. À cet égard, la
reconnaissance constitutionnelle et législative de la propriété privée correspond
parfaitement au phénomène caractérisé par le « retour au droit »1367 : à la perte
d’influence de la doctrine marxiste –perceptible moins au niveau du discours politique
que dans les pratiques de réformes juridique et économique– s’ajoute la référence à la
pensée traditionnelle chinoise, déjà intégrée dans la Déclaration universelle de 1948
comme se situant au fondement des droits de l’homme. Ces faits montrent que la
référence aux notions confucianistes peut consolider le retour du droit chinois à la
valeur humaine qui sous-tend la propriété tel qu’il est proclamé dans la Déclaration
universelle de 1948.
B. – La limite de l’influence de la pensée traditionnelle sur le droit de
propriété
393. - S’il est vrai que l’humanité telle qu’elle est définie dans le confucianisme
constitue la source de la pensée traditionnelle chinoise à laquelle le droit contemporain
chinois peut puiser pour intégrer la notion moderne des droits de l’homme, y compris
le droit de propriété, il ne faut pas pour autant sous-estimer une seconde source qui ne
se prête pas à cette intégration. La forte inégalité concernant la jouissance des biens
inhérente à l’inégalité de statut des personnes (1) et à l’absence du droit formel de
propriété (2) met en évidence les incompatibilités de la pensée traditionnelle chinoise
avec la notion moderne du droit de propriété. À cet égard, la constitution d’un
fondement du droit de propriété à l’époque contemporaine ne peut être menée à bien
qu’en dépassant ces écueils historiques.
(1). – Les fortes inégalités concernant la propriété
394. - Les fortes inégalités concernant la propriété se révèlent d’abord à travers les
rapports de production. M. VANDERMEERSCH a bien analysé l’apparition de la
1367 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p. 553.
414
propriété privée dans l’histoire chinoise qui résulta d’un changement survenu dans les
rapports de production. Selon lui, les conditions dans lesquelles le régime de la
prébende vacilla avant de dégénérer peu à peu complètement entraînèrent l’apparition
de nouvelles modalités dans les rapports de production par lesquelles le régime de la
propriété privée prit corps. Dans cette perspective, l’apparition de la propriété privée
résulta de ces trois processus : le passage d’un pouvoir exercé sur les hommes à un
pouvoir exercé sur les terres, la substitution d’une économie commerciale à l’économie
féodale, et enfin l’évolution des idées concernant le travail des paysans qui, ayant cessé
d’être considéré comme une fonction sociale semblable aux autres, se révèle comme
un facteur de production à part entière. Lorsque les champs firent l’objet d’échanges
non plus entre prébendiers mais entre laboureurs, cessa aussi l’empiètement du pouvoir
politique au profit d’un droit d’utilisation de la terre pour la cultiver. Ainsi apparut le
droit de propriété duquel fut tiré un pouvoir économique qui différa par essence du
pouvoir politique. Or les laboureurs ne restèrent pas longtemps seuls possesseurs de la
terre. Elle passa rapidement aux mains de ceux qui disposèrent de moyens bien plus
considérables pour l’acquérir. Une nouvelle aristocratie de propriétaires fonciers
commença dès lors à se substituer à l’ancienne aristocratie féodale. Une bonne partie
du peuple se retrouva dans la condition de fermier ou d’ouvrier agricole1368.
395. - L’inégalité substantielle concernant l’accès à la propriété s’enracine plus
profondément dans l’ancien droit chinois qui se fondait sur l’idée de répartition qui
était en soi inégalitaire. Le terme que les penseurs utilisèrent le plus souvent pour
approuver l’idée de répartition et sa mise en oeuvre fut le mot « yi » qui signifie la
justice. Certes, dans la formule chinoise de la justice, le sens essentiel résida dans le
fait consistant à attribuer à chacun sa fonction propre selon son statut (le mot
chinois ming ou « nom ») dans les relations hiérarchisées. Du point de vue juridique, le
« nom » signifie le statut des individus dans les rapports sociaux et définit par
conséquent la fonction et la conduite de chacun. Avoir un nom, pour les hommes, c’est
se distinguer les uns des autres, c’est avoir des règles de conduite, un modèle de vie et
une sphère d’action. Le «nom » rend possible l’établissement des différenciations, des
1368 V., Léon VANDERMEERSCH, Wangdao ou la voie royale: Recherches sur l’esprit des institutions de la Chine archaïque, op. cit., p. 258.
415
lots, des propriétés, des répartitions entre les individus1369. Selon Jean ESCARRA, le
« fen », « c’est la différenciation, la hiérarchie résultant des propriétés spécificités des
choses, de la condition propre des êtres »1370. Dans un langage juridique, le mot « fen »
désigne, d’une part, l’ensemble des droits et devoirs dont un individu est dépositaire
selon son statut et, d’autre part, le champ délimité dans lequel tel individu a une liberté
d’action tant vis-à-vis des autres personnes que vis-à-vis des choses. Cette conception
du « fen » est celle qui le rapproche le plus du mot « droit », marquant par-là la
délimitation des droits individuels en vue d’éviter tout conflit entre les hommes1371.
Mais il faut souligner que la répartition ou la différenciation, en fonction des statuts des
personnes suivant les hiérarchies de la société chinoise traditionnelle, est hétérogène à
la notion moderne d’égalité qui est au coeur des droits de l’homme1372.
396. - En ce qui concerne la propriété, l’inégalité de « droit » fut confortée par la
relation filiale du fait de l’importance de la famille dans une société agraire. En effet, «
depuis quatre à cinq mille ans la pierre angulaire de la civilisation chinoise a été la
[F]amille. Le dogme rationnel de la piété filiale a été le pivot de la machine sociale.
Dans l’ordre politique, il a donné à la Chine son mode de gouvernement »1373. Comme
la pensée confucianiste attache de l’importance à la piété filiale, elle donne aux pères
un plus grand pouvoir sur la propriété familiale qu’aux mères et aux fils mais aussi aux
générations suivantes. Les codes de la Chine impériale furent largement inspirés de
cette pensée en réservant aux pères la prérogative concernant la disposition des biens
familiaux. En ce sens aussi, les tentatives des descendants pour s’approprier les biens
familiaux, par exemple en demandant la division des biens familiaux contre la volonté
du père, furent pénalement punies1374. Les fortes inégalités concernant l’accès à la
1369 V., Xiaoping LI, « L’esprit du droit chinois : perspectives comparatives », Revue de droit international comparé, 1997, Vol. 49, n°1, pp. 33, 34. 1370 Jean ESCARRA, Le droit chinois, conception et évolution. Institutions législatives et judiciaires. Science et enseignement, Paris : Sirey, 1936, p. 23. 1371 V., HU Yan Mung, « Étude philosophique et juridique de la conception de ‘Ming’ et de ‘Fen’ dans le droit chinois », Études de sociologie et d’éthologie juridiques, VII, Paris : Les Éditions Domat-Montchrestien, 1932, p. 81. 1372 V., Xiaoping LI, « L’esprit du droit chinois: perspectives comparatives », op. cit., p. 35. 1373 KOU Hong Ming, Francis BORREY, Le catéchisme de Confucius : contribution à l’étude de la Sociologie chinoise, Paris : Librairie des sciences politiques et sociales, 1927, p. 19. 1374 V., CHEN Huan-Chang, The economic principles of Confucius and his school, op. cit., pp. 163 à
416
propriété fondées sur la différence de statut au sein de la famille s’étendirent ensuite
plus largement dans l’ensemble de ce type de vie sociale –défini par Max WEBER
comme patrimonialisme– qui repose sur la piété comme vertu cardinale exigeant la
subordination du serviteur et du fonctionnaire au maître 1375 . « La théorie
partrimonialiste selon laquelle l’empereur ne peut être l’hôte de personne, ni le
fonctionnaire l’hôte de ses subordonnés, parce que, en droit, toute propriété de
l’inférieur appartient au supérieur, n’avait certes plus qu’une signification
cérémonielle »1376. La subordination dans la société de type patrimonial détermina non
seulement l’inégalité d’accès à la propriété entendue au sens substantielle, mais aussi
l’absence du droit formel de propriété dans la Chine ancienne.
(2). – L’absence du droit formel de propriété
397. - Le type « patrimonial » de la vie sociale, selon la thèse wébérienne, consiste
en ce que le maître dispose, pour exercer le pouvoir, d’un appareil administratif et
militaire purement personnel qu’il commande en vertu d’un droit personnel plénier1377.
WEBER a bien souligné que la propriété privée était la seule institution qui était
entourée de barrières relativement sûres, « et même cette ‘propriété privée’ des biens
matériels n’était assurée que relativement, dans les faits, et elle ne jouissait pas d’une
aura de sacralité (...), l’idéal du patrimonialisme était la justice matérielle et non le
droit formel » 1378 . Parallèlement à l’absence en Chine d’un mouvement de
rationalisation du droit du type de celui qu’a vécu l’Occident dans la modernité, le
développement d’une « logique » juridique manquait dans l’histoire chinoise. En effet,
l’idée de droits se dissipait face à la primauté de la notion de devoirs qui était plus
étroitement liée à la justice matérielle. En témoignent les réactions du peuple sur les
comportements des fonctionnaires : la dénonciation des abus des représentants locaux
de l’État (et non de l’État en tant que tel) était d’abord et avant tout d’ordre moral, et
167. 1375 V., Max WEBER, Confucianisme et taoïsme, Éditions Gallimard, 2000, p. 225. 1376 Ibid., p. 214. 1377 Ibid., p. xiv. 1378 Ibid., pp. 213, 214.
417
accessoirement politique. Ce qu’on dénonçait, c’était la turpitude des fonctionnaires,
les souffrances qu’ils infligeaient au peuple, leurs manquements aux missions que leur
avait confiées la dynastie, voire leur appartenance à une faction détestée, bien plus
qu’une atteinte à des « droits » qui n’avaient aucune existence formelle et étaient le
plus souvent étrangers à l’univers mental des personnes concernées. La seule
dimension juridique concevable, dans de tels cas, était purement négative, chaque fois
qu’il s’agissait de mettre en évidence les infractions des gouvernements au regard des
prescriptions du droit pénal qui les concernaient dans leurs fonctions : corruption, abus
de pouvoir, pratiques fiscales extorsionnistes, etc.1379 Ce constat nous invite à affirmer
que « dans les préoccupations du monde féodal chinois les faits d’ordre strictement
juridique ou économique ne semblent tenir qu’une place secondaire »1380. En ce qui
concerne la propriété, cette tradition selon laquelle l’accent était mis sur l’aspect
négatif des « droits » correspond dans une certaine mesure à la préoccupation de
Confucius sur l’effet pervers de l’activité économique découlant de la jouissance des
biens : l’appât du gain était source de désordres sociaux. Pour éviter les risques
inhérents à l’activité lucrative, troublant l’équilibre et l’harmonie de l’âme, le
confucianisme émet une réserve sérieuse au sujet du désir d’acquérir des richesses1381.
La notion de justice matérielle dans la pensée traditionnelle chinoise conduit aussi à
émettre une réserve à l’égard de la logique juridique de la propriété caractérisé par le
fait pour les propriétaires de disposer librement de leurs biens. Il en résulte que la
notion occidentale de propriété au sens du droit formel n’a jamais pu émerger dans la
Chine ancienne alors que de facto l’appropriation privative des biens matériels existait
depuis longtemps. En d’autres termes, sous l’impact de la pensée traditionnelle, les
prérogatives composant le droit de propriété étaient relativement reconnues dans la
Chine ancienne, mais le droit fondamental et individuel de propriété ne l’était pas.
1379 Pierre-Étienne WILL, « La contribution chinoise à la Déclaration universelle des droits de l’homme », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., p. 348. 1380 Marcel GRANET, La féodalité chinoise, Paris : Société d’Édition Les Belles Lettres, 1952, p. 32. 1381 V., Max WEBER, Confucianisme et taoïsme, op. cit., pp. 227 à 229.
418
SECTION II – LES NORMES COMPLÉMENTAIRES DE LA PROTECTION
DU DROIT DE PROPRIÉTÉ
398. - Les deux Pactes internationaux (Sous-section 1) et des instruments juridiques
de droit international humanitaire (Sous-section 2) sont complémentaires au principe
de la protection du droit à la propriété proclamé par la Déclaration universelle 1948.
Certes, par leur nature juridique contraignante assurée par différents mécanismes de
contrôle politique ou juridique, les normes complémentaires peuvent produire un effet
juridique relativement plus direct et plus visible sur la Chine puisque celle-ci s’engage
à respecter dans son droit interne ou mettre en oeuvre des dispositions comprises dans
les instruments juridiques internationaux qu’elle a signés, auxquels elle a adhérés ou
qu’elle a ratifiés. Toutefois, la prudence de la Chine concernant la ratification du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) fait ressortir par contraste le
rôle important des normes complémentaires. C’est la raison pour laquelle la Chine se
sent appelée à faire un pas significatif vers la ratification du PIDCP.
Sous-section 1. – Les normes consacrées par les deux Pactes internationaux
des droits de l’homme
399. - Lors de l’examen par la Commission des droits de l’homme des projets de
pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, la question de l’insertion d’un
article sur le droit à la propriété fut longuement débattue, notamment au cours des
septième, huitième et dixième sessions de la Commission. Les travaux préparatoires à
l’insertion d’un article sur le droit à la propriété dans les pactes suivants ont montré la
diversité des opinions et les difficultés qu’il y avait à rédiger un texte pouvant être
accepté par tous. Si nul n’a contesté le droit de l’individu à la propriété, la notion de
propriété a donné lieu à des divergences d’opinions considérables de même que son
rôle, ses fonctions et les limitations auxquelles il devrait être soumis1382. L’accord ne
1382 V., documents officiels de l’Assemblée générale, dixième session, Annexes, point 28 de l’ordre du jour, deuxième partie, chap. VIII, §§ 195 à 212 ; v., aussi, documents officiels du Conseil économique et social, dix-huitième session, supplément n° 7, E/2573, §§ 40 à 71.
419
s’est fait ni sur un texte ni sur le point de savoir s’il y avait lieu d’insérer un article sur
le droit à la propriété dans le PIDCP ou dans le PIDESC ou dans les deux instruments à
la fois. Une sous-commission fut constituée pour tenter de concilier les divers points de
vue, mais le texte qu’elle proposa fut rejeté et la Commission, à sa dixième session,
décida d’ajourner sine die l’examen de la question de savoir s’il y avait lieu d’insérer
un article sur le droit à la propriété dans le projet de pacte relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels. La formulation du droit à la propriété a soulevé
maintes difficultés à la Commission des droits de l’homme. Trois courants d’opinions
se sont dessinés. Pour les uns, ce droit devait être rédigé en termes larges et généraux,
puisque, eu égard aux différents systèmes sociaux et politiques existant dans le monde,
toute tentative de définition élaborée ou précise risquerait d’accentuer les divergences
d’opinions. Les tenants du deuxième courant de pensée étaient partisans d’un projet
énoncé en termes juridiques précis spécifiant les limites ou les conditions auxquelles
serait soumis le droit à la propriété pour trouver sa place dans les deux Pactes. Le
troisième courant de pensée accordait à l’individu un minimum de biens, sans chercher
à spécifier les limites dans lesquelles ce droit devait bénéficier d’une protection
internationale.
400. - De façon générale, les délégués des États admettaient que le droit à la
propriété devait être soumis à un certain contrôle de l’État, mais qu’il serait souhaitable
de prévoir des garanties contre les abus. À cet égard, il fut suggéré que l’individu ne
puisse être privé de ses biens « arbitrairement », « en l’absence de toute procédure
judiciaire », « illégalement » ou « sans indemnisation »1383. Les opinions divergèrent
sur la question de savoir si cet article devait prévoir expressément une indemnisation
en cas d’expropriation et, si oui, quels sraient les termes à utiliser pour spécifier le
montant de l’indemnisation à verser. Lorsque l’Assemblée générale examina les projets
de pactes, des suggestions furent formulées en vue d’insérer, dans l’un ou l’autre des
deux pactes, un article sur le droit à la propriété, mais aucune ne fut mise aux voix.
Ainsi, les deux Pactes qui ont été adoptés le 16 décembre 1966 ne contiennent pas de 1383 Cf., Subbash C. JAIN, Dunita T. CHHABRA, « Human rights instruments and states of right to property », Indian Journal of International Law, Notes and Comments, pp. 250 à 253, cité dans le rapport de M. Luis Valencia RODRIGUEZ, Droit de toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, à la propriété, précité.
420
disposition concernant ce droit. Par conséquent, saisi sur le fondement d’une violation
du droit de propriété, le Comité des droits de l’homme « rappelle que le droit de
propriété n’est pas garanti par le Pacte [International relatif aux droits civils et
politiques]. Les allégations concernant la violation de leur droit à la propriété sont
donc irrecevables rationae materiae»1384. Toutefois, selon la doctrine prédominante,
l’absence de normes relatives à la protection de la propriété dans les deux Pactes
internationaux ne revient pas à nier l’existence de principe du droit dont l’homme
dispose sur ses biens et de l’interdiction de la privation arbitraire de la propriété1385. En
estimant que le droit à la propriété est l’une des conditions de la pleine jouissance des
droits économiques, sociaux et culturels, il a été également admis que le droit à la
propriété est implicitement inclus dans le PIDESC1386 (§ 1). En se fondant sur le
principe de l’indivisibilité des droits de l’homme, les deux Pactes internationaux sont
désormais les normes complémentaires à la protection de la propriété. De manière plus
concrète, l’application du principe de non-discrimination, la mise en oeuvre du droit à
un procès équitable tel qu’il est affirmé par le PIDCP (§ 2) contribuent également à la
consolidation de la protection de la propriété comme droit fondamental de l’homme.
§ 1. – La contribution des droits économiques, sociaux et culturels à la
protection du droit de propriété
401. - Comme tous les droits de l’homme sont plus ou moins transversaux selon le
principe de l’indivisibilité, le droit de propriété ou le droit de jouir en propre des biens
nécessaires à l’exercice de ses libertés et obligations, « est à la fois condition du travail
(possession du capital, propriété des biens de productions, y compris le droit au crédit),
et fruit du travail, (salaire, propriété des biens de consommations) »1387. Ainsi en est-il,
1384 Comité des droits de l’homme, communication n° 520/192, E et AR c/ Hongrie, 5 mai 1994, CCPR/C/50/D/520/1992, § 6.2 1385 V., Louis HENKIN (ed.), The international Bill of Rights: the Covenant on Civil and Political Rights, New York: Columbia University Press, 1981, p. 21. 1386 Berta Esperanza HERNANDEZ-TRUYOL, Shelbi D. DAY, « Property, wealth, inequality and human rights: a formula for reform », Indiana Law Review, 2001, p. 1224. 1387 Patrice MEYER-BISCH, « Méthodologie pour une présentation systématique des droits humains », in Emmanuelle BRIBOSIA, Ludovic HENNEBEL (sous la dir.), Classer les droits de l’homme, op. cit.,
421
parmi les droits économiques, sociaux et culturels figure le droit des producteurs à
s’approprier les biens issus de leur production manuelle ou intellectuelle. Il ne s’agit
pas de la réaffirmation du droit à la propriété au sens général. Le droit à la propriété est
relatif ici au cas concret où le droit des producteurs sur les fruits de leur travail est
respecté. Les droits des travailleurs (A) ou les droits des auteurs de la création
intellectuelle (B), ordonnent non seulement le respect des biens déjà détenus, mais
aussi la mise en oeuvre du droit à la propriété par la nécessité de protéger des droits
économiques, sociaux et culturels déjà reconnus par les instruments juridiques de droit
international.
A. – L’extension des droits des travailleurs au droit de propriété
402. - La protection du droit de propriété peut se déduire des droits des travailleurs
portant sur certains biens. Ces droits sont reconnus aussi bien par les conventions
établies sous l’égide de l’Organisation Internationale du Travail (1) que par la
convention relative à la protection des travailleurs conclue dans le cadre de l’ONU (2).
(1). – Les droits des travailleurs sur des biens reconnus par les conventions de
l’Organisation Internationale du Travail
403. - Outre le PIDESC, la Chine a ratifié certaines conventions importantes
consacrées à la protection des droits des travailleurs qui sont établies dans le cadre
l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Il est vrai que la Chine reste
« fermement opposée à l’adoption de ‘clauses sociales’ que certains pays développés
préconisent de faire adopter par l’OMC, elle a commencé, cependant, au cours du
processus d’adhésion à cette organisation, à étudier les normes internationales et en a
ratifié certaines »1388. Parmi les 8 conventions fondamentales de l’OIT, la Chine en a
ratifié 4 : Convention n° 100 (en 1990), Convention n° 138 (en 1999), Convention n°
p. 84. 1388 Aiqing ZHENG, Libertés et droits fondamentaux des travailleurs en Chine, L’Harmattan, 2007, pp. 35, 36.
422
182 (en 2002) et Convention n° 111 (en 2006). S’agissant des droits fondamentaux
consacrés par les conventions de l’OIT dont la Chine est État membre, « la doctrine
chinoise estime qu’ils sont déjà inclus dans les textes chinois à l’exception de la liberté
syndicale et de l’élimination du travail forcé ». Néanmoins, il est regrettable que la
Chine n’ait pas ratifié jusqu’à présent certaines conventions qui contribuent à étendre
les droits des travailleurs au droit de propriété. À titre d’exemple, la Convention n° 95
et la Recommandation n° 85 sur la protection des salaires (1949) définissent des
normes concernant un aspect essentiel du droit des travailleurs à la propriété, en
l’occurrence la rémunération du travail effectué ou des services rendus; cette protection
inclut le droit de percevoir le salaire en monnaie ayant cours légal et directement, le
droit de disposer de son salaire et de ne pas faire l’objet de retenue, de saisie ou de
cession, enfin le droit d’être protégé en cas de faillite ou de liquidation judiciaire d’une
entreprise. La Convention n°117 concernant les objectifs et les normes de base de la
politique sociale (1962) prévoit entre autres que les autorités compétentes doivent
contrôler, par l’application d’une législation appropriée, la propriété et l’usage de la
terre et d’autres ressources naturelles, afin d’assurer qu’elles sont employées au mieux
des intérêts de la population du pays en tenant dûment compte des droits traditionnels.
La recommandation n° 115 (1969) sur le logement des travailleurs et la
recommandation n° 132 (1968) sur les fermiers et les métayers, traitent respectivement
du droit de propriété des travailleurs sur leur logement et de l’accès des fermiers et des
métayers à la terre. Le droit de propriété, collectif ou individuel, sur les terres occupées
par les populations intéressées et la question des richesses du sous-sol sont traitées
dans la partie II de la Convention n° 107 et de la Recommandation n° 104 sur les
populations aborigènes ou tribales (1957), ainsi que dans la Convention n° 169
concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants (1989).
(2). – Les droits des travailleurs sur des biens reconnus par la convention de l’ONU
404. - La protection des droits des travailleurs sur leurs biens est plus expressément
proclamée par la Convention internationale sur la protection des droits de tous les
423
travailleurs migrants et des membres de leurs familles1389, adoptée dans le cadre des
Nations Unies. La Convention dispose dans son article 15 que « nul travailleur
migrant ou membre de sa famille ne peut être privé arbitrairement de ses biens, qu’il
en soit propriétaire à titre individuel ou en association avec d’autres personnes ». De
plus, « quand, en vertu de la législation en vigueur dans l’État d’emploi, les biens d’un
travailleur migrant ou d’un membre de sa famille font l’objet d’une expropriation
totale ou partielle, l’intéressé a droit à une indemnité équitable et adéquate ». Comme
les droits des travailleurs migrants sur leurs biens doivent être respectés au regard du
principe de non-discrimination, les droits sur les biens de tous les travailleurs peuvent
a fortiori en être déduits.
B. – La protection du droit de propriété au regard du droit de
bénéficier des intérêts découlant de toute production intellectuelle
405. - Le respect du droit de bénéficier des intérêts résultant de toute production
intellectuelle entretient une relation indivisible avec la protection du droit de propriété,
surtout des droits de propriété intellectuelle (1). Mais la distinction entre ces deux
droits a été affirmée (2). Dans un contexte où le renforcement de la protection des
propriétés intellectuelles constitue une priorité juridico-politique en chine, la
distinction reconnue en droit international s’avère particulièrement utile pour guider la
Chine à mener à bien une réflexion sur la question de savoir comment concilier la
protection des propriétés intellectuelles et le respect des droits de l’homme.
(1). – L’indivisibilité
406. - L’indivisibilité entre le droit de bénéficier des intérêts découlant de toute
production intellectuelle et le droit de propriété peut s’expliquer par l’existence des
apports réciproques qu’ils nourrissent entre eux. Ainsi, la protection du droit à la
protection de ses intérêts moraux et matériels découlant de toute production
1389 Adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 45/158 du 18 décembre 1990.
424
scientifique, littéraire ou artistique peut s’appuyer sur les instruments juridiques
internationaux protégeant le droit de propriété. À cet égard, le Comité des droits
économiques, sociaux et culturels a admis qu’est reconnu le droit fondamental de
bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels de l’auteur dans un certain
nombre d’instruments internationaux, y compris, « quoique de façon non explicite, le
Protocole n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales de 1952, en son article premier »1390. Le Comité a d’ailleurs
souligné que la réalisation du droit proclamé par l’article 15, paragraphe 1 c), dépend
de l’exercice des autres droits de l’homme garantis par la Charte internationale des
droits de l’homme et d’autres instruments internationaux et régionaux, y compris,
notamment le droit à la propriété dont dispose toute personne, aussi bien seule qu’en
collectivité1391. Il est également intéressant de noter que la jurisprudence du Conseil
constitutionnel français, partant de l’affirmation selon laquelle la propriété
intellectuelle est bien une propriété, affirme le statut de droit fondamental de la
propriété intellectuelle1392.
407. - D’autre part, la réalisation du droit de bénéficier de la protection des intérêts
matériels, plus que des intérêts moraux, exige le respect du droit à la propriété. Le
Comité considère que la protection des intérêts matériels des auteurs est un corollaire
du lien étroit entre cette disposition et le droit à la propriété, tel qu’il est reconnu à
l’article 17 de la DUDH et dans les instruments régionaux relatifs aux droits de
l’homme, ainsi qu’avec le droit du travailleur à une rémunération suffisante (art. 7
a))1393. L’observation du Comité réaffirme donc l’indivisibilité et l’interdépendance
entre le droit de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels de l’auteur
et le droit à la propriété. D’ailleurs, la propriété intellectuelle et le droit des biens ont
une même fonction : c’est « organiser le pouvoir qu’une personne peut exercer sur une
1390 Ibid., § 3. 1391 Ibid., § 4. 1392 CC, décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, considérant n° 15; CC, décision n° 2004-498 du 29 juillet 2004, considérant n° 15. V., aussi, Michel VIVANT, « Et donc la propriété littéraire et artistique est une propriété...», Propriété Intellectuelle, 2007, n° 23, pp. 193 à 201. 1393 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale n° 17 (2005), précité, § 15.
425
chose, corporelle ou non »1394. L’obtention et la disposition des intérêts matériels de
production intellectuelle par son auteur constituent la forme concrète de l’exercice du
droit du propriétaire. Il en résulte que le PIDESC affirme implicitement, par la
reconnaissance du droit de chacun de bénéficier de la protection des intérêts matériels
de toute production intellectuelle, la protection de la propriété intellectuelle.
(2). – La distinction
408. - L’article 27 de la Déclaration universelle de 1948 proclame que chacun a droit
à la protection de ses intérêts moraux et matériels découlant de toute production
scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur. Le PIDESC réaffirme la
protection de ce droit dans son article 15, paragraphe 1 c). Dans son observation
générale n° 17, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a affirmé que le
droit dont dispose chacun de bénéficier de la protection des intérêts moraux et
matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est
l’auteur, tient à la dignité et à la valeur inhérente de tous les êtres humains et par
conséquent fait partie des droits de l’homme. Toutefois, le Comité distingue les droits
de propriété intellectuelle et les droits de l’homme dans la mesure où les droits
fondamentaux sont inhérents à la personne en tant que telle, alors que les droits de
propriété intellectuelle sont instrumentaux, en ce qu’ils sont des moyens −les moyens
dont les États peuvent se servir pour promouvoir l’esprit d’innovation et de créativité,
encourager la diffusion de productions créatives et innovantes, ainsi que le
développement d’identités culturelles, et préserver l’intégrité des productions
scientifiques, littéraires et artistiques, dans l’intérêt de la société dans son ensemble1395.
D’ailleurs, contrairement aux droits de l’homme qui sont intemporels et manifestent
l’expression des prérogatives fondamentales de la personne humaine, les droits de
1394 Christophe CARON, « Du droit des biens en tant que droit commun de la propriété intellectuelle », JCP G, n° 39, 22 septembre 2004, I 162. 1395 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale n° 17 (2005), Le droit de chacun de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur (par. 1 c) de l’article 15 du Pacte), E/C.12/GC/17, 12 janvier 2006, § 1.
426
propriété intellectuelle ont généralement un caractère provisoire. Ces droits peuvent
être révoqués, concédés sous licence ou attribués à un tiers. Le droit de chacun de
bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute
production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur préserve le lien
personnel qui l’unit à sa création et qui unit les peuples, communautés ou autres
groupes à leur patrimoine culturel collectif, ainsi que leurs intérêts matériels
fondamentaux qui leur sont nécessaires pour leur permettre d’avoir un niveau de vie
suffisant, alors que les régimes de propriété intellectuelle protègent principalement les
intérêts et les investissements des milieux d’affaires et des entreprises. Il en résulte que
l’étendue de la protection des intérêts moraux et matériels des auteurs prévue par le
paragraphe 1 c) de l’article 15 ne coïncide pas nécessairement avec les droits de
propriété intellectuelle au sens de la législation nationale ou des accords
internationaux1396.
§ 2. – La contribution des droits politiques et civils à la garantie du droit
de propriété.
409. - Alors que le droit de propriété ne figure pas parmi les droits proclamés par le
PIDCP, celui-ci reste toutefois un instrument juridique important qui peut consolider la
garantie de la propriété par l’application des principes d’ordre général tels que
l’interdiction de la discrimination (A) et le procès équitable dans les cas où l’exercice
du droit de propriété est en cause (B). La préparation de la ratification du PIDCP par la
Chine, en recensant les éventuelles incompatibilités du droit interne avec le PIDCP,
conduit à tenir compte de l’influence de ces principes ayant vocation à s’appliquer à
tous les droits de l’homme.
A. – L’interdiction de la discrimination dans la jouissance du droit de
propriété
410. - L’importance du principe de non-discrimination pour la protection de tous les 1396 Ibid., § 2.
427
droits de l’homme se perçoit tant au niveau mondial qu’au niveau régional. La DUDH
de 1948 proclame dans son article 2 le principe de non-discrimination. Le Comité des
droits de l’homme, par le biais du principe de non-discrimination, assure en effet la
jouissance égale de la propriété. Au niveau européen, le droit à la non-discrimination
est reconnu par la Convention européenne des droits de l’homme et son protocole
additionnel n° 12, ainsi que par la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne dans son article 21. Alors que le droit à la non-discrimination est formulé
de façon autonome par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, il
s’applique, conformément aux dispositions des articles 51 et 52 de la Charte, dans le
cadre des traités. L’entrée en vigueur du Protocole n° 12 à la Convention européenne
des droits de l’homme consacre l’interdiction générale de la discrimination. Le but
recherché est de sanctionner toutes les formes de discrimination1397. C’est sur la base
de l’égalité qu’est censurée la discrimination dans la jouissance du droit de propriété,
qu’il s’agisse de l’application autonome du principe de non-discrimination (1) ou de la
mise en oeuvre des dispositions comprises dans divers instruments juridiques
proclamant plus directement l’interdiction de discrimination en matière de droit de
propriété (2).
(1). – L’application autonome du principe de non-discrimination au droit de propriété
411. - Le principe de non-discrimination est consacré par les deux Pactes
internationaux. Cependant, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels et le
Comité des droits de l’homme adoptent différentes attitudes concernant l’application
autonome de ce principe. Le PIDESC prévoit dans l’article 2 le principe de
non-discrimination. Cet article indique la nature des obligations juridiques qui
incombent aux États parties et définit la façon de la mise en oeuvre des droits
fondamentaux énoncés dans les autres articles. Conformément au paragraphe 2 de
l’article 2, les États parties doivent prévoir une procédure d’examen judiciaire et
1397 V., G. COHEN-JONATHAN, La protection internationale des droits de l’homme. I- Europe, La Documentation française, 1999, p. 3. V., aussi, Conseil de l’Europe, Rapport explicatif sur le Protocole n° 12 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.
428
d’autres procédures de recours en cas de discrimination. Il importe de relever que la
liste des motifs de discrimination cités dans ce paragraphe n’est pas exhaustive et, par
conséquent, les États parties doivent prévenir certaines autres formes de discrimination
qui portent atteinte à l’exercice des droits énoncés dans le PIDESC. L’article 2 oblige
les États parties à renoncer à tout comportement discriminatoire et à modifier les lois et
les pratiques qui permettent la discrimination. Il s’applique aussi aux États parties qui
ont l’obligation d’interdire aux particuliers et aux organismes privés de pratiquer la
discrimination dans tout secteur de la vie publique. Toutefois, dans son Observation
générale n° 16 relative au droit égal de l’homme et de la femme au bénéfice de tous les
droits économiques, sociaux et culturels, le Comité des droits économiques, sociaux et
culturels a considéré que « contrairement à l’article 26 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques, les articles 3 et l’article 2, paragraphe 2 du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ne sont pas des
dispositions autonomes, mais devraient être lus parallèlement à chacun des droits
énoncés dans la troisième partie du Pacte »1398. Le droit de propriété n’étant pas
directement énoncé dans le PIDESC, il semble donc qu’il n’y ait pas lieu d’étendre
l’application du principe de non-discrimination à la jouissance des biens selon le point
de vue du Comité des droits économiques, sociaux et culturels.
412. - Certes, le Comité des droits de l’homme, par l’« approche critique sur les
violations » fondée sur les communications individuelles, rend les droits énoncés dans
le PIDCP plus concrets et tangibles en permettant davantage de répercussions
politiques sur les États Parties du PIDCP1399. Mais c’est peut être également l’une des
raisons pour lesquelles la Chine se révèle plus prudente quant à la ratification du
PIDCP et son protocole facultatif, bien que le Comité ne dispose pas au fond d’une
compétence de décision, ni d’un pouvoir de contrainte, et que les constatations du
Comité soient en principe dépourvues de valeur juridique contraignante. Certes, par
l’interprétation audacieuse de l’article 26 du PIDCP consistant à consacrer un « droit
1398 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Droit égal de l’homme et de la femme au bénéfice de tous les droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale n° 16 (2005), E/C.12/2005/4, 11 août 2005, § 2. 1399 V., Audrey R. CHAPMAN, « A ‘Violations Approach’ for monitoring the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights », 18 Hum. Rts. Q. 23, (1996), pp. 39, 40.
429
autonome »1400 à la non-discrimination, le Comité devient susceptible d’élargir sa
compétence rationae materiae à des faits se rapportant à des droits protégés dans le
PIDCP et par conséquent de consolider indirectement les garanties de ces droits en
recevant les communications individuelles1401. Le traitement discriminatoire en matière
d’exercice du droit de propriété, qu’il s’agit de la législation formelle ou des pratiques,
peut tomber sous la compétence du Comité des droits de l’homme. Le Comité des
droits de l’homme a estimé que le droit garanti par l’article 26 s’applique à tous les
droits, qu’ils soient énoncés par le PIDCP ou par tout autre instrument international tel
le PIDESC1402, ou encore, en l’absence de consécration internationale, simplement par
une législation interne1403. Il faut souligner que le Comité des droits de l’homme a bien
affirmé qu’il peut s’appuyer sur l’article 26 du PIDCP pour censurer le traitement
discriminatoire quant à l’exercice du droit de propriété, alors que ce droit n’est pas
reconnue par le PIDCP1404. Par exemple, dans la communication n° 328/1988, relevant
d’une allégation de confiscation des biens, après avoir rappelé que le PIDCP ne
garantit pas le droit de propriété en tant que tel, le Comité considère qu’ « il peut se
poser une question au regard du Pacte lorsqu’une confiscation ou une expropriation
est déterminée sur des bases discriminatoires en contradiction avec l’article 26 du
Pacte »1405. Dans la communication n°516/1992, s’agissant d’une plainte contre un fait
de discrimination en matière de restitution de biens confisqués, le Comité a rappelé sa
jurisprudence et réaffirmé qu’« une différence de traitement compatible avec les
1400 Alex CONTE, Scott DAVIDSON, Richard BURCHILL, Defining civil and political rights: the jurisprudence of the United Nations human rights committee, Ashgate, 2004, p. 162. 1401 F. SUDRE, Droits européen et international des droits de l’homme, op. cit., § 288. V., aussi Sarah JOSEPH (et al.), The International Covenant on Civil and Political Rights: cases, materials, and commentary, 2e éd., 2004, §1.75 ; Craig SCOTT, « The interdependence and permeability of human rights norms: towards a partial fusion of the international covenants on human rights », 27 Osgoode Hall L.J. 769 (1989). 1402 Comité des droits de l’homme, Non discrimination, Observation générale n° 18, 10 novembre 1989, § 12. 1403 Comité des droits de l’homme, décision du 4 avril 1985, communication n° 191/1985 : Suède, § 10.2. 1404 Comité des droits de l’homme, décision du 5 mai 1994, communication n° 520/1992 : Hongrie, CCPR/C/50/D/520/1992, § 6.3. 1405 Comité des droits de l’homme, décision du 18 avril 1994, communication n° 328/1988 : Nicaragua, CCPR/C/51/D328/1988, § 10.1.
430
dispositions du Pacte et fondée sur des motifs raisonnables ne représente pas une
discrimination prohibée au sens de l’article 26 ». Dans l’affaire en question, après
avoir pris en considération tous les facteurs, notamment l’origine des biens possédés
par les plaignants et la nature des mesures de confiscation, le Comité se prononce sur
l’incompatibilité des conditions imposées pour obtenir la restitution des biens ou une
indemnisation avec le Pacte1406.
413. - Il est aussi intéressant de remarquer que l’application autonome du principe
de non-discrimination en matière du droit de propriété est surtout présente dans les
affaires relatives à la restitution des biens par les ex-États communistes1407. L’examen
mené par le Comité des droits de l’homme de l’existence ou non des traitements
discriminatoires n’est pas abstrait et superficiel. Au contraire, il s’agit d’une évaluation
concrète de tous les éléments pertinents, y compris, les mesures législatives,
administratives et judiciaires. À cet égard, le Comité des droits de l’homme a bien pris
en compte les éléments historiques en vue d’assurer la justice substantielle, alors que
les évènements qui ont eu lieu avant l’entrée en vigueur du PIDCP et de son Protocole
facultatif doivent normalement être jugés irrecevables rationae temporis1408. À titre
d’exemple, dans la communication n°586/1994, s’agissant d’une plainte contre la
condition discriminatoire de restitution des biens, le Comité des droits de l’homme a
considété que les auteurs de la plainte avaient cherché à échapper aux persécutions
politiques en allant dans d’autres pays où ils avaient fini par s’installer définitivement
ou desquels ils avaient obtenu la nationalité ; comme l’État est responsable du départ
forcé des auteurs de la plainte parce qu’ils avaient des opinions politiques divergentes,
il serait incompatible avec le PIDCP d’exiger des auteurs de la plainte qu’ils obtiennent
la résidence ou la nationalité de l’État membre pour ensuite demander la restitution de
1406 Comité des droits de l’homme, décision du 19 juillet 1995, communication n°516/1992: République tchèque, CCPR/C/54/D/516/1992, §§ 11.5, 11.6. Contra, Comité des droits de l’homme, décision du 15 août 1997, communication n° 643/1995 : Slovaquie, CCPR/C/60/D/643/1995 ; décision du 3 novembre 1998, communication n° 669/1995 : République tchèque, CCPR/C/64/D/669/1995. 1407 V., Sarah JOSEPH, Jenny SCHULTZ, Melissa CASTAN, The international covenant on civil and political rights, cases, materials, and commentary, Second Édition, Oxford University Press, 2004, pp. 700 à 705. 1408 V., Patrick MACKLEM, « Rybna 9, Praha 1: restitution and memory in international human rights law », 16 Eur. J. Int’l L. 1, p. 4.
431
leurs biens ou, à défaut, le versement d’une indemnité appropriée1409. En revanche, en
ce qui concerne la restitution des biens d’origine allemande qui furent confisqués peu
temps après la Seconde Guerre mondiale, le Comité des droits de l’homme s’est révélé
réticent à admettre l’existence des discriminations dans la législation des pays qui
furent envahis par l’Allemagne et qui avaient refusé la restitution des biens confisqués
après la Guerre en raison de la nationalité allemande des auteurs des plaintes1410. Ce
qui traduit donc la volonté du Comité des droits de l’homme de ne pas oublier les
exactions commises dans les pays envahis lors de la Seconde Guerre mondiale1411.
414. - La jurisprudence du Comité des droits de l’homme relative à la restitution des
biens confisqués reflétant les vicissitudes de l’histoire ne serait pas sans incidence sur
le droit chinois où le destin de la propriété privée a subi également des mutations avec
le changement de politique mené par un État dirigé par le parti communiste chinois. Il
serait possible que la ratification du PIDCP et l’acceptation par le gouvernement
chinois du mécanisme de contrôle du Comité des droits de l’homme par le biais de la
communication individuelle puissent encourager les revendications quant à la
restitution des biens privés confisqués ou nationalisés lors de mouvement de
socialisation des moyens de production mené par le PCC pour la fondation du régime
économique socialiste. Alors que le droit interne demeure ferme sur la question de la
restitution des biens ainsi expropriés au cours de l’histoire, et la future ratification du
PIDCP pourrait ouvrir une nouvelle voie de recours pour les personnes dépossédées et
leurs successeurs qui tentent de faire reconnaître leur droit de propriété.
1409 V., par ex., Comité des droits de l’homme, décision du 29 juillet 1996, communication n° 566/1993 : Hongrie, CCPR/C/57/D/566/1993; décision du 25 juillet 1996, communication n° 586/1994 : République tchèque, CCPR/C/57/D/586/1994, §12.6 ; décision du 9 août 2001, communication 857/1999 : République tchèque, CCPR/C/72/D/857/1999, §5.8 ; décision du 2 novembre 2001, communication n° 747/1997 : République tchèque, CCPR/C/73/D/747/1997, § 8.3. 1410 V., par ex., Comité des droits de l’homme, décision du 21 octobre 1998, communication n° 669/1995 :République tchèque, CCPR/C/D 669/1995 ; décision du 14 juillet 1997, communication n° 643/1995 : République tchèque, CCPR/C/D 643/1995 ; décision du 15 août 1997, communication n° 643/1995 : Slovaquie, précitée; décision du 21 octobre 1998, communication n° 670/1995 : République tchèque CCPR/C/D 670/1995 ; décision du 20 mars 2000, communication n° 670/1995 : République tchèque, CCPR/D/C 807/1998. 1411 V., Patrick MACKLEM, « Rybna 9, Praha 1: restitution and memory in international human rights law », op. cit., p. 20.
432
(2). – La proclamation du principe de non-discrimination en matière de droit de
propriété par les instruments internationaux des droits de l’homme
415. - Outre le principe de non-discrimination proclamé par le PIDCP, d’autres
instruments internationaux des droits de l’homme prévoient également l’obligation
positive faite aux États parties d’éliminer les discriminations dans leurs législations
internes et dans leur application concrète 1412 , y compris en ce qui concerne
l’interdiction de la discrimination dans la jouissance du droit de propriété. Parmi les
instruments juridiques internationaux sur lesquels s’engage la Chine, il faut citer
d’abord la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale1413 qui impose aux États parties les obligations de garantir le
droit de chacun à l’égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d’origine
nationale ou ethnique, concernant la jouissance des droits, notamment celui « de toute
personne, aussi bien seule qu’en association, à la propriété » et le « droit d’hériter ».
Par ses articles 15 et 16, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes1414 reconnaît « les mêmes droits à chacun des
époux en matière de propriété, d’acquisition, de gestion, d’administration, de
jouissance et de disposition des biens, tant à titre gratuit qu’à titre onéreux ». Dans un
projet de résolution, l’ancienne Commission des droits de l’homme a bien affirmé que
« la discrimination à laquelle se heurtent les femmes en droit et en fait, pour ce qui est
de l’accès aux terres, aux biens et au logement, ainsi que de l’acquisition et de la
conservation de terres, de biens et de logements et du financement de leur achat,
constitue une violation du droit des femmes d’être protégées contre la discrimination et
est susceptible d’influer sur l’exercice d’autres droits fondamentaux » 1415 , et a
demandé les États à élaborer des lois ou remanier la législation existante pour veiller à
ce que les femmes bénéficient pleinement et en toute égalité du droit à la propriété de
1412 Aileen McCOLGAN, « Principles of equality and protection from discrimination in international human rights law », European Human Rights Law Review, 2003, n° 2, pp. 158, 159. 1413 La Chine a adhéré à la Convention le 29 décembre 1981. 1414 La Chine a ratifié la Convention le 4 novembre 1980. 1415 Commission des droits de l’homme, Droits économiques, sociaux et culturels, E/CN.4/2005/L.34, 12 avril 2005.
433
la terre et d’autres biens1416. De même, le Comité des droits de l’homme, dans son
Observation générale n° 28 sur l’égalité des droits entre homme et femme, a souligné
que l’article 16 du PIDCP proclamant que « chacun a [le] droit à la reconnaissance en
tous lieux de sa personnalité juridique », implique la capacité des femmes à disposer
de leurs biens ; que l’article 23 du Pacte concernant l’égalité de droits et de
responsabilités des époux impose l’obligation aux États Parties au Pacte d’assurer par
mesures de législation le droit égal des femmes à la propriété et la gestion des biens
familiaux1417. Le principe de non-discrimination s’étend à la protection du droit des
handicapés avec l’adoption par l’Assemblée générale de l’ONU de la Convention
relative aux droits des personnes handicapées1418. La Chine avait été l’un des premiers
pays à en avoir promu l’élaboration de cette Convention1419. En vertu de l’article 12 de
la Convention, les États parties ont l’obligation de reconnaître aux personnes
handicapées la personnalité juridique sur la base de l’égalité, et notamment de prendre
« toutes [les] mesures appropriées et effectives pour garantir le droit qu’ont les
personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, de posséder des biens
ou d’en hériter, de contrôler leurs finances et d’avoir accès aux mêmes conditions que
les autres personnes aux prêts bancaires, hypothèques et autres formes de crédit
financier » et de veiller « à ce que les personnes handicapées ne soient pas
arbitrairement privées de leurs biens ».
416. - Il reste à souligner que sans avoir ratifié le PIDCP, le droit chinois n’est pas
soumis à l’observation du Comité des droits de l’homme sur le respect du principe
général de non-discrimination. En l’état actuel, l’interdiction de la discrimination en
matière de l’exercice du droit de propriété ne peut que s’appuyer sur les dispositions
des conventions internationales dans des domaines bien précis. L’inapplicabilité du
1416 V., Commission des droits de l’homme, Résolution portant sur l’égalité des femmes en matière de propriété, d’accès et de contrôle foncier et sur l’égalité du droit à la propriété et à un logement convenable, E/CN.4/2003/L.24, 22 avril 2003. 1417 Comité des droits de l’homme, Equality of Rights between men and women (article 3), General Comments n° 28, CCPR/C/21/Rev.1/Add.10, §§ 19, 25. 1418 La Convention est entrée en vigueur le 3 mai 2008. 1419 LIU Zhenmin, Discours lors de la délibération du projet de Convention en tant que représentant de l’État chinois, disponible sur le site www.un.org/News/fr-press/docs/2006/AG10554.doc.htm, consulté le 16 janvier 2007.
434
principe de non-discrimination tel que proclamé par le PIDCP à la Chine fait donc
obstacle à un éventuel examen sur le droit interne chinois dans lequel demeurent des
dispositions discriminatoires en matière de droit de propriété. Mais dans le contexte où
la Chine prépare sa ratification du PIDCP, les discriminations en matière de droit de
propriété en droit interne doivent être prises compte1420, de sorte que les améliorations
soient volontairement effectuées afin d’éviter d’éventuelles contradictions entre droit
interne et droit international.
B. – La contribution du droit à un procès équitable à la garantie du
droit de propriété
417. - Alors que le droit de propriété n’est pas proclamé par le PIDCP, les normes
consacrant le droit à un procès équitable peuvent trouver à s’appliquer dans les affaires
relevant de l’exercice du droit de propriété (1). La jurisprudence du Comité des droits
de l’homme démontre d’ailleurs que la bonne administration de la justice à laquelle
s’inscrit la protection du droit à un procès équitable est aussi l’apport principal au
renforcement de la garantie du droit de propriété (2).
(1). – L’applicabilité du droit à un procès équitable à la protection du droit de propriété
418. - La protection du droit et de la liberté est vide de sens si elle n’était pas confiée
à une justice indépendante et impartiale, garantie d’un procès équitable. « Le droit à un
procès équitable », selon la terminologie de la Cour européenne des droits de
l’homme1421, est proclamé par l’article 14, paragraphe 1 du PIDCP, et par l’article 6,
paragraphe 1er de la Convention européenne des droits de l’homme. L’histoire de la
rédaction a révélé que l’article 14 du PIDCP s’applique, non seulement au procès pénal,
mais aussi à tous les contentieux judiciaires relevant des droits et obligations de
caractère civil1422et par conséquent aussi au droit de propriété. Le Comité des droits de
1420 V., infra, n° 674. 1421 CEDH, 21 février 1975, Golder c/ Royaume-Uni, Série A-18, § 25. 1422 V., David WEISSBRODT, The right to a fair trail under the Universal Declaration of Human
435
l’homme a précisé la signification du droit à un procès équitable dans ses constatations
à l’occasion de cas concrets présentant un intérêt concernant l’exercice du droit de
propriété. Par exemple, dans la communication n° 823/1988, les auteurs ont invoqué la
violation du droit à une procédure régulière du fait que le droit interne n’offre pas de
recours contre l’inaction des autorités administratives. Il s’agit d’une action engagée
aux fins d’obtenir la restitution des biens confisqués par la République tchèque après le
changement de régime survenu à la fin de l’année 1989. Dans l’affaire en question, la
principale condition nécessaire pour obtenir la restitution des biens étant la citoyenneté
tchécoslovaque, les auteurs de la communication ont engagé des procédures en vue de
conserver la citoyenneté tchécoslovaque. Or, les auteurs n’ont cessé de se heurter à la
frustration découlant du refus des autorités chargées des affaires de nationalité
d’exécuter les décisions judiciaires en faveur de la conservation de la citoyenneté des
auteurs de la plainte. Le Comité des droits de l’homme a conclu que l’inaction des
autorités administratives et le retard excessif dans l’exécution des décisions judiciaires
applicables constituent une violation du paragraphe 1er de l’article 14, lu conjointement
avec le paragraphe 3 de l’article 2, qui garantit le droit à un recours utile1423. Il en
résulte qu’alors que le droit de propriété n’est pas énoncé par le PIDCP, la mise en
oeuvre des garanties de ce droit peut cependant en tirer profit par l’application du droit
à un procès équitable.
(2). – L’influence du droit à un procès équitable sur la protection du droit de propriété
en Chine
419. - Le droit à un procès équitable contribue à conforter la mise en oeuvre des
garanties du droit de propriété, dans la mesure où il consacre le principe fondamental
de la prééminence du droit dans une société démocratique et vise à assurer le droit à
une bonne administration de la justice. Le Comité des droits de l’homme a souligné
que l’article 14 du PIDCP vise à assurer la bonne administration de la justice et, à cette Rights and the International Covenant on Civil and Political Rights, Martinus Nijhoff Publishers, 2001, pp. 50, 51. 1423 Comité des droits de l’homme, décision du 25 mai 2005, communication n° 823/1998, République tchèque, CCPR/C/83/D/823/1998, § 7.
436
fin, protège une série de droits individuels, tels que l’égalité devant les tribunaux,
c’est-à-dire le droit de chacun à ce que sa cause soit équitablement et publiquement
entendue par un tribunal indépendant et impartial 1424 . La deuxième phrase du
paragraphe 1er de l’article 14 dispose que chacun « a droit à ce que sa cause soit
entendue équitablement et publiquement ». Dans son projet d’Observation générale n°
32 consacrée à l’article 14 du PIDCP, le Comité des droits de l’homme constate
qu’ «en termes généraux, le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice
garantit, outre les principes de compétence, d’impartialité et d’indépendance et le
principe d’équité mentionnés dans la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14,
les principes de l’égalité d’accès et de l’égalité de moyens (‘égalité des armes’), et vise
à ce que les parties à une procédure judiciaire ne fassent pas l’objet d’une
discrimination »1425.
420. - Quant au droit chinois, l’analyse portant sur la compétence et les pouvoirs du
juge dans la mise en oeuvre des garanties législatives du droit de propriété révèle un
des aspects les plus importants de l’incompatibilité du droit chinois avec le PIDCP. Le
fait que le juge chinois ne soit pas indépendant par rapport au pouvoir politique se
heurte de front à la proposition du Comité des droits de l’homme selon laquelle le droit
à un procès équitable inclut celui de pouvoir être jugé par un tribunal indépendant1426.
De même, le caractère limité de la compétence juridictionnelle et la faiblesse des
pouvoirs judiciaires par rapport au pouvoir administratif concernant le traitement des
contentieux mettant en cause le droit de propriété –par excellence, les affaires
d’expropriation pour l’intérêt public– constituent le maillon faible du droit chinois à
l’égard de la mise en oeuvre des garanties du droit de propriété, et par conséquent
mettent en relief l’écart entre le droit chinois et les normes de droit international. Il est
1424 Comité des droits de l’homme, L’égalité devant les tribunaux et le droit d’être entendu équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et établi par la loi, Observation générale n° 13, 13 avril 1984, § 1. 1425 Comité des droits de l’homme, Projet d’observation générale n° 32, 28 novembre 2006, CCPR/C/GC/32/CRP.1/Rev.3, § 7. 1426 V., par exemple, Comité des droits de l’homme, décision du 10 novembre 1993, Oló Bahamonde v. Equatorial Guinea, Communication n° 468/1991, UN Doc. CCPR/C/49/D/468/1991, § 9.4; v., aussi, David WEISSBRODT, The right to a fair trail under the Universal Declaration of Human Rights and the International Covenant on Civil and Political Rights, op. cit., pp. 141 à 143.
437
vrai que l’amélioration de la garantie judiciaire des droits de l’homme en Chine
s’inscrit dans un mouvement de réforme plus profond de l’ensemble système juridique
chinois, alors que le droit international peut donner des indications utiles concernant le
droit à un procès équitable. Des améliorations relatives à l’administration de la justice
peuvent s’amorcer en prenant volontairement en considération les normes
internationales, et ce, avant même que le Chine ne ratifie le PIDCP. Mais
l’incompatibilité flagrante du droit chinois en ce qui concerne la garantie
juridictionnelle des droits de l’homme avec le PIDCP reste l’un des obstacles majeurs
que la Chine devra surmonter.
Sous-section 2. – Le rôle complémentaire du droit international
humanitaire sur la protection de la propriété
421. - En tant que droit de l’homme, le droit de propriété doit être respecté aussi
bien en temps de paix que dans les situations d’exception. Les instruments
internationaux de droit humanitaire prévoient des règles qui protègent les biens contre
les atteintes illégales lors de conflits armés. Il s’agit d’une part, des règles consacrant le
traitement égal des personnes protégées concernant la jouissance de leurs biens (§ 1) et,
d’autre part, celles destinées à protéger les biens de certaines catégories spécifiques (§
2). Le caractère complémentaire de la relation entre les droits de l’homme et le droit
international humanitaire est susceptible de se révéler à partir du constat que les
premiers sont composés de droits relevant du « droit commun », alors que le second est
un « droit d’exception »1427. La pertinence de ce « droit d’exception » concernant la
protection de la propriété est d’autant plus solide que la diffusion du droit international
humanitaire promue par l’adhésion de la Chine aux instruments juridiques et par sa
collaboration avec des acteurs internationaux, tels que le Comité International de la
Croix-Rouge, s’inscrit désormais dans le processus de construction du système
juridique chinois1428. Il est intéressant d’observer que contrairement au discours sur les
1427 Michel BELANGER, Droit international humanitaire général, 2e éd., Gualino Éditeur, 2007, p. 35. 1428 V., Roderick O’BRIEN, « Dissemination of international humanitarian law in the People’s Republic of China », China: An International Journal, 3, 1 (mar. 2005), pp. 106 à 118; v., aussi, ZHANG
438
valeurs asiatiques qui prône le refus de l’universalité des normes internationales des
droits de l’homme, la doctrine semble avoir généralement accepté que le droit
international humanitaire ait toujours trouvé des principes équivalents dans les
traditions et les coutumes ancestrales des différentes nations asiatiques1429. Puisque les
règles essentielles du droit international humanitaire représentent le plus petit
dénominateur commun des règles de droit à respecter dans les conflits pour que
l’homme soit protégé contre la violence et l’abus de pouvoir, elles sont à ce titre
également en harmonie avec les valeurs reconnues en Asie et donc ont été plus
facilement acceptées par la Chine.
§ 1. – Le traitement égal des personnes protégées dans l’exercice du droit de
propriété
422. - L’égalité de traitement en matière de droit de propriété est prévue dans les
instruments juridiques internationaux consacrés à la protection des réfugiés, des
apatrides nationaux et étrangers (A) et ceux relatives à la protection des personnes qui
ne possèdent pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent (B).
A. – Le traitement des réfugiés et des apatrides en matière de droit de
propriété
423. - Le traitement des réfugiés (1) et des apatrides (2) en matière de droit de
propriété est respectivement prévu dans deux conventions internationales, dont le
contenu obéit au même principe d’égalité.
Gongxian, « Chinese PLA’s dissemination and promotion of LoAC », in The law of armed conflict: Realities, perspectives and training, Symposium of Xi’an regional seminar on the law of armed conflict, Pékin: L’Office representative du CICR et la Direction générale de politique de l’ALP, 2006, pp. 233 et s. 1429 V., Alfred M. BOLL, « The Asian values debate and its relevance to international humanitarian law », Revue Internationale de la Croix-Rouge, 2001, n° 841, pp. 45 à 58; HE Xiaodong, « The Chinese humanitarian heritage and the dissemination of and education in international humanitarian law in the Chinese People’s Liberation Army », Revue Internationale de la Croix-Rouge, 2001, n° 841, pp. 141 à 153.
439
(1). – Le traitement des réfugiés en matière de droit de propriété
424. - La Convention relative au statut des réfugiés1430 spécifie dans son article 13
que « les États contractants accorderont à tout réfugié un traitement aussi favorable
que possible et de toute façon un traitement qui ne soit pas moins favorable que celui
qui est accordé, dans les mêmes circonstances, aux étrangers en général en ce qui
concerne l’acquisition de la propriété mobilière et immobilière et autres droits s’y
rapportant, le louage et les autres contrats relatifs à la propriété mobilière et
immobilière ». En ce qui concerne la propriété industrielle des réfugiés, la Convention
dispose dans son article 14 qu’«en matière de protection de la propriété industrielle,
notamment d’inventions, dessins, modèles, marques de fabrique, nom commercial, et
en matière de protection de la propriété littéraire, artistique et scientifique, tout réfugié
bénéficiera dans le pays où il a sa résidence habituelle de la protection qui est
accordée aux nationaux dudit pays ». Il en résulte que les réfugiés bénéficient du
traitement national en matière de protection de la propriété industrielle. Il faut
souligner d’ailleurs que l’ancienne Commission des droits de l’homme a eu l’occasion
d’affirmer l’importance de la restitution des logements et des biens des réfugiés et des
autres personnes déplacées dans des circonstances variables 1431 . En réalité, la
restitution des logements et des biens est de plus en plus considérée comme un droit
des personnes déplacées et des réfugiés en vertu des normes internationales relatives
aux droits de l’homme1432. Le terme « restitution » signifie une réparation équitable ou
relève d’une forme de justice réparatrice rétablissant pour les personnes lésées, dans
toute la mesure du possible, la situation antérieure au préjudice qu’elles ont subi. La
1430 Adoptée le 28 juillet 1951 par une conférence de plénipotentiaires sur le statut des réfugiés et des apatrides convoquées par l’Organisation des Nations Unies en application de la résolution 429 (V) de l’Assemblée générale en date du 14 décembre 1950, entrée en vigueur le 22 avril 1954 conformément aux dispositions de l’article 43. L’adhésion de la Chine à la Convention et son protocole en date du 24 septembre 1982 ; la ratification de la Convention par la France en date du 23 juin 1954. 1431 V., Décision de la Commission des droits de l’homme 2003/109, Restitution des logements et des biens des réfugiés et autres personnes déplacées, 24 avril 2003, 1432 V., Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, Restitution des biens des réfugiés ou des personnes déplacées, E/CN.4/Sub.2/2002/17, 12 juin 2002, § 11.
440
réparation consiste par exemple à rendre à ces personnes des logements ou des biens
arbitrairement ou illégalement confisqués. Lorsqu’il s’avère impossible de restituer à
l’intéressé ses biens ou son logement, il doit pouvoir bénéficier d’une indemnisation
résultant d’une réparation juridique prenant la forme d’une compensation monétaire
pour le préjudice subi1433.
(2). – Le traitement des apatrides en matière de droit de propriété
425. - La Convention relative au statut des apatrides1434 dispose dans son article 13
que les États contractants accorderont à tout apatride un traitement aussi favorable que
possible et, de toute façon, un traitement qui ne soit pas moins favorable que celui qui
est accordé, dans les mêmes circonstances, aux étrangers en général en ce qui concerne
l’acquisition de la propriété mobilière et immobilière et autres droits s’y rapportant, le
louage et les autres contrats relatifs à la propriété mobilière et immobilière. La
Convention exige en outre la protection égale de la propriété intellectuelle des
apatrides en prévoyant dans son article 15 que « tout apatride bénéficiera dans le pays
où il a sa résidence habituelle de la protection qui est accordée aux nationaux dudit
pays. Dans le territoire de l’un quelconque des autres États contractants, il bénéficiera
de la protection qui est accordée dans ledit territoire aux nationaux du pays dans
lequel il a sa résidence habituelle ».
B. – Le droit de propriété des personnes qui ne possèdent pas la
nationalité du pays dans lequel elles vivent
426. - La Déclaration de 1985 sur les droits de l’homme des personnes qui ne
possèdent pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent, a réaffirmé dans une large
mesure le droit à la propriété proclamé par l’article 17 de la Déclaration universelle de
1948 (1). Certes, si on l’examine de près, la réserve faite par la Déclaration de 1985
constitue un changement important dans la mesure où elle permet au droit interne
1433 Ibid., § 12. 1434 La Chine n’a pas adhéré à la Convention relative au statut des apatrides.
441
d’imposer des limites à l’exercice du droit de propriété sous les conditions prévues à
cet effet (2).
(1). – La réaffirmation du droit à la propriété proclamé par la Déclaration universelle
de 1948
427. - La Déclaration sur les droits de l’homme des personnes qui ne possèdent pas
la nationalité du pays dans lequel elles vivent, adoptée par l’Assemblée générale de
l’ONU1435, précise les droits dont les étrangers peuvent jouir. En ce qui concerne la
jouissance du droit de propriété, l’article 5, paragraphe 2 de la Déclaration précise que
« sous réserve des restrictions qui sont prévues par la loi, et qui sont nécessaires, dans
une société démocratique, pour protéger la sécurité nationale, la sûreté publique,
l’ordre public, la santé publique ou la morale, ou les droits et les libertés d’autrui, et
qui sont compatibles avec les autres droits reconnus dans les instruments
internationaux pertinents et ceux énoncés dans la présente Déclaration, les étrangers
bénéficient des droits suivants : (...) d) Le droit à la propriété, aussi bien seul qu’en
collectivité, sous réserve du droit interne ». Mis à part la phrase « sous réserve du droit
interne », l’article 5, paragraphe 2 de la Déclaration de 1985 a réaffirmé presque mot à
mot l’article 17 de la Déclaration universelle de 1948.
(2). – Le changement apporté au droit à la propriété proclamé par la Déclaration
universelle de 1948
428. - L’expression « sous réserve du droit interne » traduit bien l’intention de
l’Assemblée générale de laisser une marge de manoeuvre importante aux États
membres en ce qui concerne la législation sur le régime de propriété. Par cette réserve,
la Déclaration de 1985 a réaffirmé la nature non absolue du droit de propriété, en
prévoyant les conditions dans lesquelles ce droit peut faire l’objet de limitations qui
elles-mêmes doivent être pourtant prévues par la loi et répondent à « la nécessité dans
une société démocratique », dans le but de protéger la sécurité nationale, de préserver 1435 Adoptée par l’Assemblée générale dans sa résolution 47/144 du 13 décembre 1985.
442
la sécurité publique, l’ordre public, la santé publique ou la morale, les droits et les
libertés d’autrui, et sa compatibilité avec les autres droits de l’homme reconnus. Il faut
rappeler que lors de l’élaboration du projet de la Déclaration de 1948, fut rejetée la
proposition de la délégation de l’ancienne URSS selon laquelle le droit à la propriété
ferait l’objet des limitations prévues en droit interne. Ceci, parce que les auteurs de la
Déclaration universelle de 1948 se préoccupèrent du risque que le droit positif interne
rend illusoire le respect du standard minimum relatif au droit de propriété. Alors que la
Déclaration universelle de 1948 se contente de proclamer le principe de l’interdiction
de la privation arbitraire, la Déclaration de 1985 a modifié la formulation du principe,
tout en préconisant les conditions dans lesquelles le droit interne peut limiter l’exercice
du droit de propriété. En ce sens, la Déclaration de 1985 est plus précise et par
conséquent plus opérationnelle que la Déclaration universelle de 1948 ne l’était à
l’égard du droit à la propriété. Ce changement qui énumère les raisons pour lesquelles
le droit de propriété peut faire l’objet de limitations semble refléter la tendance actuelle
des législations internes et peut fournir une référence utile pour l’amélioration des
principes et règles juridiques concerant la protection de la propriété en droit chinois.
§ 2. – Les normes relatives à la protection des biens en temps de conflit armé
429. - Il est vrai que le droit de propriété est un droit au caractère relatif qui peut
faire l’objet de limitations justifiées, mais pour autant il ne peut être réduit à néant, y
compris dans des cas exceptionnels survenant par exemple avec les conflits armés. En
droit international humanitaire, la protection du droit des biens en temps de guerre est
exigée en vertu des règles relatives aux méthodes et aux moyens de combat, ainsi
qu’en vertu de celles relatives à la protection des victimes de conflits armés (A). La
défense des biens culturels en cas de conflits armés qui est une branche importante du
droit humanitaire contribue également à la protection de la propriété en cas d’exception
(B).
443
A. – L’apport des règles relatives aux méthodes et aux moyens de
combat
430. - La protection de la propriété peut tirer parti des règles de l’interdiction de
destruction massive des biens non justifiée par la nécessité militaire (1) mais aussi de
la protection particulière des biens civils (2). La protection des biens exigée par le droit
international humanitaire est désormais consolidée par la pénalisation du crime de
guerre selon la jurisprudence de la justice pénale internationale1436.
(1). – L’interdiction de la destruction abusive des biens
431. - La destruction massive des biens non justifiée par la nécessité militaire est
prohibée en droit international humanitaire. Le Règlement concernant les lois et les
coutumes de la guerre sur terre, annexé à la Convention (IV) concernant les lois et
coutumes de la guerre sur terre du 19071437, interdit par son article 23, alinéa g), les
destructions ou les saisies des propriétés ennemies, sauf dans les cas où ces
destructions ou ces saisies seraient impérieusement commandées par les nécessités de
la guerre. La valeur juridique de cette règle d’interdiction n’est guère contestable dans
la mesure où l’on considère que ce Règlement constitue la preuve de l’existence de
coutumes de droit international relatives aux conduites humaines en temps de conflits
armés1438. La Convention de Genève de 1949 pour l’amélioration du sort des blessés et
des malades dans les forces armées en campagne1439 prévoit, dans son article 50, que
la destruction et l’appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires et
exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire constituent des abus et
1436 V., United Nations War Crimes Commission, Law reports of trials of war criminals, vol. III, London: HMSO, 1949, pp. 126, 130. 1437 La Chine a adhéré à la Convention en date du 10 mai 1917. 1438 Rapport du Secrétaire général sur la constitution d’un tribunal pour l’ex-Yougoslavie, UN doc., S/25704, 3 mai 1993, § 41. 1439 Adoptée le 12 août 1949 par la Conférence diplomatique pour l’élaboration de Conventions internationales destinées à protéger les victimes de la guerre, réunie à Genève du 21 avril au 12 août 1949, entrée en vigueur le 21 octobre 1950. La Convention est ratifiée par la Chine le 28 décembre 1956.
444
des infractions qui doivent être sanctionnées en vertu de la Convention. À cet égard, la
Convention de Genève de 1949 franchit un pas important dans la mesure où elle
impose aux États parties l’obligation de prendre les mesures législatives pénales
nécessaires pour sanctionner les personnes qui ont commis les infractions graves
susmentionnées, afin d’établir l’universalité de la répression1440. Il faut souligner que
les biens protégés par la Convention sont définis dans différents articles, notamment
dans les articles 33 à 36, qui recouvrent en particulier les bâtiments ou le matériel
appartenant à des formations sanitaires ennemies, le matériel et des moyens de
transport sanitaires. La même disposition relative à l’interdiction de la destruction
injustifiée des biens est reprise dans l’article 51 de la Convention de Genève
concernant l’amélioration du sort des blessés, des malades et de naufragés des forces
armées sur mer de 1949, ainsi que dans l’article 147 de la Convention de Genève de
1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre. La Convention
de Genève de 1949 relative au traitement des prisonniers de guerre distingue entre les
objets qui sont exonérés de saisine et ceux qui ne le sont pas1441. Les effets personnels
des prisonniers sont donc protégés contre les infractions graves prohibées par la
Convention1442. Les infractions graves concernant les biens protégés sont désormais
pénalisées en tant que crimes de guerre selon le Statut de Rome, à l’origine de la
création de la Cour pénale internationale1443, renforçant par conséquent l’interdiction
1440 Y. SANDOZ, C. SWINARSKI, B. ZIMMERMANN (éd.), Commentary on the Additional Protocols of 8 June 1977 to the Geneva Conventions of 12 August 1949, International Committee of the Red Cross/Martinus Nijhoff, 1987, p. 417. 1441 L’article 119 de la Convention prévoit que « (...) Lors du rapatriement, les objets de valeur retirés aux prisonniers de guerre, conformément aux dispositions de l’article 18, et les sommes en monnaie étrangère qui n’auraient pas été converties dans la monnaie de la Puissance détentrice leur seront restitués. Les objets de valeur et les sommes en monnaie étrangère qui, pour quelque raison que ce soit, n’auraient pas été restitués aux prisonniers de guerre lors de leur rapatriement, seront remis au Bureau de renseignements prévu par l’article 122. Les prisonniers de guerre seront autorisés à emporter leurs effets personnels, leur correspondances et les colis arrivés à leur adresse (...). Les autres effets personnels du prisonnier rapatrié seront gardés par la Puissance détentrice ; celle-ci les lui fera parvenir dès qu’elle aura conclu avec la Puissance dont dépend le prisonnier un accord (...) ». 1442 V., Bingbing JIA, « Protected property and its protection in international humanitarian law », 15 Leiden Journal of International Law (2002), p.134. 1443 En vertu de l’article 8, paragraphe 2, du Statut de Rome, sont considérés crimes de guerre, parmi d’autres, la destruction et l’appropriation de biens, non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire ; le fait de détruire ou de saisir les biens de
445
de la destruction abusive des biens.
(2). – La protection des biens civils
432. - La règle selon laquelle les biens civils sont protégés contre les attaques, sauf
s’ils constituent des objectifs militaires et aussi longtemps qu’ils le demeurent,
« constitue une norme de droit international coutumier applicable dans les conflits
armés tant internationaux que non internationaux »1444. La protection particulière des
objets de caractère civil est notamment prévue par le Protocole additionnel aux
Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits
armés internationaux1445. Aux termes de l’article 85, paragraphe 3 b), est considérée
comme infraction grave le fait de « lancer une attaque sans discrimination atteignant
la population civile ou des biens de caractère civil, en sachant que cette l’attaque
causera des pertes en vies humaines, des blessures aux personnes civiles ou des
dommages aux biens de caractère civil qui sont excessifs au sens de l’article 57,
paragraphe 2 a iii ». Conçue comme l’une des exigences de la règle fondamentale de
la distinction sur laquelle est fondée la protection générale de la population civile et
des biens civils en vertu de l’article 48, la protection particulière des biens de caractère
civil est également prévue par l’article 52 du Protocole qui dispose que : « 1. Les biens
de caractère civil ne doivent être l’objet ni d’attaques ni de représailles. Sont biens de
caractère civil tous les biens qui ne sont pas des objectifs militaires au sens du
paragraphe 2. » Le paragraphe 3 de l’article 52 prévoit en outre qu’ « en cas de doute,
un bien qui est normalement affecté à un usage civil, tel qu’un lieu de culte, une
maison, un autre type d’habitation ou une école, est présumé comme ne pouvant pas
l’ennemi, sauf dans les cas où ces destructions ou saisies seraient impérieusement commandées par les nécessités de la guerre est une violation grave des lois et des coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans le cadre établi du droit international; le fait de détruire ou de saisir les biens d’un adversaire, sauf si ces destructions ou saisies sont impérieusement commandées par les nécessités du conflit est une violation grave des lois et des coutumes applicables aux conflits armés qui ne présentent pas un caractère international. 1444 Jean-Marie HENCKAERTS, Louise DOSWALD-BECK, Droit international humanitaire coutumier, Volume I : Règles, Bruylant, 2006, p. 47. 1445 L’adhésion de la Chine en date du 14 septembre 1983.
446
être utilisé en vue d’apporter une contribution effective à l’action militaire ». Il s’agit
pour commencer de proclamer l’immunité des biens civils, pour en donner ensuite une
définition a contrario en définissant les objectifs militaires. Cependant, la disposition
de l’article 52 a été critiquée au motif que la définition des biens civils n’est pas étayée,
en raison de l’absence d’énumération des biens sur lesquels porte l’objectif
militaire1446.
433. - L’immunité des biens de caractère civil est réaffirmée par le Statut de Rome.
L’article 8 (2) (b) pénalise en tant que crimes de guerre les infractions graves aux lois
et coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans le cadre établi du droit
international, parmi lesquelles figure « le fait de diriger intentionnellement des
attaques contre des biens de caractère civil, c’est-à-dire des biens qui ne sont pas des
objectifs militaires ». Le sens de l’expression « biens qui ne sont pas des objectifs
militaires » semble être précisé par les (iii), (iv) et (v) de l’article 8 (2) (b) dans la
mesure où sont désormais interdites les attaques intentionnelles contre le personnel, les
installations, le matériel, les unités ou les véhicules employés dans le cadre d’une
mission d’aide humanitaire ou de maintien de la paix, « pour autant qu’ils aient droit à
la protection que le droit international des conflits armés garantit aux civils et aux
biens de caractère civils » ; sont aussi interdites les attaques comportant la
connaissance qu’elles causeront incidemment des dommages aux biens civils, ainsi que
le fait d’attaquer ou de bombarder, par quelque moyen que ce soit, des villes, villages,
habitations ou bâtiments qui ne sont pas défendus et qui ne sont pas des objectifs
militaires.
434. - La protection particulière des biens de caractère civil s’étend aux cas
d’occupation militaire. L’article 46 de la Convention (II) concernant les lois et les
coutumes de la guerre sur terre et son annexe (le Règlement de la Haye de 1899)1447
impose de manière précise à l’autorité militaire présente sur le territoire de l’État
ennemie l’obligation de respecter la propriété privée et de ne pas la confisquer. Quant à
la réquisition, l’article 52 dispose que des réquisitions en nature pourront être
réclamées des communes ou des habitants uniquement pour les besoins de l’armée
1446 V., I. DETTER, The law of war, 2nd ed., Cambridge University Press, 2000, p. 283. 1447 La Convention est adhérée par la Chine le 12 juin 1907.
447
d’occupation ; les prestations en nature seront payées au comptant ou seront constatées
par des reçus, et le paiement des sommes dues sera effectué le plus tôt que possible. À
cet égard, le Règlement de la Haye de 1899 distingue la confiscation et la réquisition
des biens privés par l’armée d’occupation: la confiscation ne s’accompagne pas
nécessairement d’une indemnisation, alors que celle-ci est exigée en cas de
réquisition1448. Quant à l’étendue des biens privés, l’article 56 dispose que les biens des
communes, ceux des établissements consacrés aux cultes, à la charité et à l’instruction,
aux arts et aux sciences, même s’ils appartiennent à l’État, seront traités de la même
façon que s’ils relevaient du régime de la propriété privée ; toute saisie, destruction ou
dégradation intentionnelle de semblables établissements, de monuments historiques,
d’oeuvres d’art ou d’objets et de bâtiments relevant des sciences, est interdite et doit
être poursuivie. Il est intéressant d’observer qu’en cas d’occupation militaire, le
Règlement de la Haye de 1899 proclame l’inviolabilité de la propriété privée dans la
mesure où la confiscation est interdite1449. Seule est admise la réquisition temporaire
qui doit être justifiée par la nécessité militaire. La restitution des biens et
l’indemnisation effectuées à la fin de la période d’occupation devront également être
respectées par l’autorité militaire d’occupation1450.
B. – La défense des biens culturels en temps de conflits armés
435. - La défense des biens culturels aussi bien privés que publics en temps de paix
et en temps de conflits armés fait partie intégrante de l’action humanitaire. Les
fondements de leur protection résident dans le fait que « les biens culturels sont
protégés, d’une part en raison de leur caractère civil, et d’autre part en tant que 1448 V., S. PETREN, « La confiscation des biens étrangers et les réclamations internationales auxquelles elle peut donner lieu », in Recueil des cours 493, Académie de droit international, 1963. 109 (II); v., aussi, H. LAUTERPACHT, L. OPPENHEIM, International Law, 7th Ed., Vol. II, Longmans Green and Co., 1952, Sec. 147. 1449 V., T. BARCLAY, « La propriété privée », in Albert Geouffre de LAPRADELLE, Le séquestre de la propriété privée en temps de guerre : enquête de droit international, vol. II, Paris: Marcel Giard, 1930, pp. 40 à 44. 1450 Cf., A. McNAIR, Legal Effects of War, 3rd ed., Cambridge Universtiy Press, 1948, Chapter 19; G. SCHWARZENBERGER, International Law as Applied by International Courts and Tribunals, vol. II, Stevens and Sons Ltd., 1968, p. 259.
448
faisant partie du patrimoine culturel ou spirituel des peuples »1451. Il s’agit de garantir
le respect des biens culturels par la limitation des attaques (1) et par l’interdiction de
l’exportation des biens culturels d’un territoire occupé et leur restitution (2).
(1). – La limitation des attaques touchant aux biens culturels
436. - En temps de conflits armés, les biens culturels sont placés sous le régime de
protection caractérisé par la limitation des attaques touchant aux biens culturels. En
substance, l’article 56 du Règlement de la Haye de 1907 exige que des mesures
spéciales soient prises pour éviter les dommages aux édifices consacrés aux cultes, aux
arts, aux sciences et à la bienfaisance, ainsi qu’aux monuments historiques. Aux termes
de l’article 1er de la Convention de 19541452 pour la protection des biens culturels en
cas de conflit armé, les biens culturels recouvrent les biens meubles ou immeubles qui
présente un grand intérêt pour le patrimoine culturel de tous les peuples, quels que
soient l’origine et les propriétaires de ces biens1453. Le principe de la protection des
biens culturels consiste en la sauvegarde et le respect de ces biens1454. La sauvegarde
des biens culturels se définit par l’obligation faite aux Parties contractantes de préparer,
même en temps de paix, la sauvegarde des biens culturels situés sur leur propre
1451 François BUGNION, « La genèse de la protection juridique des biens culturels en cas de conflit armé », Revue internationale de la Croix-Rouge, juin 2004, Vol. 86, n° 854, p. 321. 1452 La Convention est ratifiée par la Chine le 5 janvier 2000. 1453 L’article 1er de la Convention dispose qu’ « Aux fins de la présente Convention, sont considérés comme biens culturels, quelques soient leur origine ou leur propriétaire : a) les biens, meubles ou immeubles, qui présentent une grande importance pour le patrimoine culturel des peuples, tels que les monuments d’architecture, d’art ou d’histoire, religieux ou laïques, les sites archéologiques, les ensembles de constructions qui, en tant que tels, présentent un intérêt historique ou artistique, les oeuvres d’art, les manuscrits, livres et autres objets d’intérêt artistique, historique ou archéologique, ainsi que les collections scientifiques et les collections importantes de livres, d’archives ou de reproduction des biens définis ci-dessus ; b) les édifices dont la destination principale et effective est de conserver ou d’exposer les biens culturels meubles définis à l’aliéna a), tels que les musées, les grandes bibliothèques, les dépôts d’archives, ainsi que les refuges destinés à abriter, en cas de conflit armé, les biens culturels meubles définis à l’alinéa a) ; c) les centres comprenant un nombre considérable de biens culturels qui sont définis aux alinéa a) et b), dits ‘centres monumentaux’ ». Cf., D. FLECK (et al. ed.), The handbook of humanitarian law in armed conflicts, Oxford University Press, 1995, p. 382. 1454 V., article 2 de la Convention.
449
territoire contre les effets prévisibles d’un conflit armé1455. Le respect des biens
culturels consiste en l’obligation faite aux Parties contractantes de s’interdire
l’utilisation de ces biens à des fins qui pourraient les exposer à une destruction ou à
une détérioration en cas de conflit armé, et en s’abstenant de tout acte d’hostilité à leur
égard. La destruction des biens culturels qui n’est pas justifiée par la nécessité militaire
impérieuse est interdite. Les Parties contractantes sont obligées d’interdire, de prévenir
et de faire cesser tout acte de vol, de pillage ou de détournement de biens culturels,
ainsi que tout acte de vandalisme ; d’interdire la réquisition des biens culturels meubles
situés sur le territoire d’une autre Partie contractante, ainsi que toute mesure de
représailles à l’encontre des biens culturels1456. L’article 3 de la convention pour la
protection des biens culturels de mai 1954 dispose que « [L]es Hautes Parties
contractantes s’engagent à préparer, dès le temps de paix, la sauvegarde des biens
culturels situés sur leur propre territoire contre les effets prévisibles d’un conflit armé,
en prenant les mesures qu’elles estiment appropriées ». Il en résulte que les normes
consacrées à la protection des biens culturels devraient être intégrées dans
l’ordonnancement juridique interne des pays membres pour qu’elles s’appliquent
efficacement1457. Le premier Protocole de la Convention de la Haye de 1954 établit un
régime de protection des biens culturels en cas de guerre de libération nationale. À cet
effet, le premier Protocole interdit l’exportation des propriétés culturelles d’un
territoire occupé et prévoit des mesures de sauvegarde et de retour de telles propriétés.
Ce premier corpus de règles s’applique en temps de conflits armés internationaux,
c’est-à-dire des conflits qui opposent au moins deux États. Le deuxième Protocole
additionnel de 1999 améliore la protection des propriétés culturelles et renforce la
répression des violations. Il s’applique également aux conflits armés non
internationaux. Ce Protocole vient combler les lacunes des précédents textes en
instituant un régime de protection renforcée. La protection des biens culturels est
également consacrée par le Statut de Rome. Ce dernier, dans son article 8 (2) (b) (ix),
1455 V., article 3 de la Convention. 1456 V., article 4 de la Convention. 1457 V., J. TOMAN, La protection des biens culturels en cas de conflit armé, UNESCO, 1994, p. 48 ; Stanislaw Edward NAHLIK, « La protection internationale des biens culturels en cas de conflit armé », 120 Recueil des cours, Académie de droit international, 1967, pp. 61 à 164.
450
caractérise, de la même manière qu’il le fait concernant les autres violations graves des
lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans le cadre établi du
droit international, le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des
bâtiments consacrés à la religion, à l’enseignement, à l’art, à la science ou à l’action
caritative, et contre des monuments historiques.
(2). – L’interdiction de l’exportation des biens culturels et leur restitution
437. - L’obligation d’empêcher l’exportation des biens culturels d’un territoire
occupé est inscrite au paragraphe 1er du premier protocole de la Convention de 1954
pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé. Cette règle figure aussi à
l’article 2, paragraphe 2, de la Convention concernant les mesures à prendre pour
interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert illicites des biens
culturels (1970)1458, au terme duquel les États s’engagent à combattre l’importation,
l’exportation et le transfert illicites des biens culturels « par les moyens dont ils
disposent, notamment en supprimant leurs causes, en arrêtant leur cours et en aidant à
effectuer les réparations qui s’imposent ». En outre, l’article 9, paragraphe 1er, du
deuxième Protocole de la Convention de 1954 pour la protection des biens culturels en
cas de conflit armé prévoit qu’une force d’occupation doit interdire et empêcher
« toute exportation, autre déplacement ou transfert illicites de biens culturels », alors
que l’article 21 exige des États qu’ils fassent cesser ces violations. Étant donné que
l’inclusion de ces règles dans le deuxième Protocole au cours de négociations qui ont
conduit à son adoption n’a suscité aucune controverse et puisque l’interdiction de
l’exportation des biens culturels est une norme coutumière basée sur les pratiques des
États1459, il est regrettable que la Chine ne l’ait pas encore ratifié jusqu’à présent.
438. - Quant à l’obligation de restituer les biens culturels exportés d’un territoire
occupé, elle est inhérente à l’obligation de respecter les biens culturels, et en particulier
à l’interdiction de saisir et de piller ces biens telle que prévue par l’article 56 de la
1458 La Convention est acceptée par la Chine le 29 novembre 1989. 1459 Jean-Marie HENCKAERTS, Louise DOSWALD-BECK, Droit international humanitaire coutumier, Volume I : Règles, op. cit., p. 181.
451
Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre du 1907. Car si
les biens culturels ne peuvent être ni saisis, ni pillés, ils ne sauraient, a fortiori, être
retenus s’ils ont été exportés de manière illégale. La restitution des biens exportés de
manière illégale constituerait aussi une forme appropriée de réparation. Le fait qu’un
État qui viole le droit international humanitaire est tenu de procéder à une
indemnisation est une règle coutumière qui figure dans l’article 3 de la Convention (IV)
concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre du 1907 et qui est réitéré par
l’article 91 du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949
relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I, 1977).
Cette obligation a été mise en pratique à travers de nombreux accords passés après des
conflits divers1460. Mais le communiqué conjoint sino-japonais signé en date du 29
septembre 1972 prend acte du fait que le gouvernement chinois a abandonné sa
demande de réparation au Japon pour les dommages causés par la guerre1461.
L’obligation de restituer les biens culturels figure aussi dans le Projet d’articles
sur la responsabilité de l’État, qui fait l’obligation à l’État « d’indemniser le dommage
causé (...) dans la mesure où ce dommage n’est pas réparé par la restitution »1462. Le
commentaire du Projet d’articles explique que « la restitution, malgré sa primauté sur
le plan des principes juridiques, est souvent indisponible ou inadaptée. (...)
L’indemnisation a pour rôle de combler les lacunes éventuelles, de manière à assurer
une réparation complète des préjudices subis »1463.
Dans un contexte plus large et qui ne se limite pas au temps de conflit armé, la
restitution des biens culturels est renforcée par l’adoption de la Convention
d’UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés, ratifiée par la
1460 V., par example, Treaty of Peace signed between the Allied Powers and Japan, San Francisco, 8 septembre 1951, paragraphes 113, 114 ; Convention sur le règlement de questions issues de la guerre et de l’occupation (avec Annexe), Bonn, 26 mai 1952, amendée conformément à l’annexe IV du Protocole sur la cessation du régime d’occupation dans la République fédérale d’Allemagne, Paris, 23 octobre 1954 ; Accord sur les réfugiés et les personnes déplacées, annexe 7 de l’accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine (1995), paragraphes 130 à 132 ; US-Chinese Agreement on the Settlement of Chinese Claims resulting from the Bombardment of Chinese Embassy in Belgrade, 2000. 1461 V., 5e point du communiqué conjoint. 1462 L’article 36 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État (2001). 1463 Commission du droit international, Commentaire de l’article 36 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État (2001).
452
Chine le 7 mai 19971464. La Convention constitue une avancée très significative et
effective dans la mesure où elle organise la mise en oeuvre des principes de la
restitution des biens culturels volés et le retour des biens culturels illicitement exportés
en prévoyant les délais pour agir, l’indemnisation du possesseur de bonne foi, les
diligences du possesseur sur la protection des biens culturels, ainsi que les exceptions
possibles concernant le retour du bien dans son pays d’origine. Elle a d’ailleurs prévoit
la possibilité pour le juge d’appliquer les règles relatives au patrimoine culturel de
l’État requérant la restitution1465, ce qui peut renforcer la protection des biens culturels
par voie juridictionnelle.
1464 La Convention est ratifiée par la Chine le 7 mai 1997. La Chine a fait ses déclarations sur l’article 3 (5) et l’article 16 de la Convention, en ce qui concerne la prescription d’action de restitution et les procédures de la demande de retour ou de restitution des biens culturels. 1465 V., Gérard SOUSI, « Droit du patrimoine, introduction », Petites Affiches, 18 janvier 2001, n° 13, p. 3.
453
CONCLUSION DU CHAPITRE
439. - Dans le cadre du droit international des droits de l’homme, et notamment sur
le plan universel, les normes juridiques consacrées à la protection de la propriété
demeurent peu développées. L’article 17 de la Déclaration universelle, en dépit de ses
influences politiques, morales ou idéologiques sur le droit chinois, ne proclame que le
critère minimum de la protection de la propriété en en interdisant la privation arbitraire.
Ainsi, le titulaire et le contenu de la propriété peuvent faire l’objet de diverses
interprétations témoignant de l’incertitude de ce droit. Il en résulte que la norme
principale relative à la protection du droit de propriété est peu contraignante au sens
juridique formel et substantiel. Quant aux normes complémentaires, la limite de leur
rôle réside en ce que leur application s’effectue tantôt par l’intermédiaire des principes
dont l’interprétation uniforme n’est pas assurée, tantôt se heurte aux limites rationae
materiae ou rationae personae. L’effectivité du principe de l’indivisibilité et de
l’interdépendance de tous les droits de l’homme sur la base duquel les deux Pactes
internationaux peuvent fonctionner comme les sources complémentaires de la
protection du droit de propriété, dépend toutefois de la force contraignante des
mécanismes d’application du droit international. Quant au droit international
humanitaire, son apport à la protection du droit de propriété est limité aux cas
exceptionnels, en raison de sa nature spécifique par rapport au droit international des
droits de l’homme. Il reste donc à systématiser les normes contribuant à la protection
de la propriété dans le cadre du droit international garantissant les droits humains, par
les voies soit jurisprudentielle soit normative. Mais la systématisation ne peut être
complète qu’avec la mise en cohérence des normes des droits humains et des normes
plus développées du droit du commerce. Car la protection de la propriété sortirait
renforcée d’une synergie entre les normes qui se développaient auparavant de manière
autonome dans leurs propres domaines, et qui de ce fait ont conduit au déséquilibre du
droit international.
454
CHAPITRE II – L’EXTENSION DU PRINCIPE DE LA PROTECTION DE LA
PROPRIÉTÉ EN DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
440. - Les instruments juridiques de droit international économique constituent une
source juridique importante concernant la garantie du droit de propriété, du fait de son
affinité avec les libertés dans les domaines des activités économiques que l’on consent
généralement à respecter1466. Parmi les formes concrètes que prend la jouissance du
droit de propriété dans les domaines d’activités économiques, les investissements
étrangers sont celle la plus importante et la plus typique dans un contexte de
globalisation économique conduite par « les flux financiers » 1467 . Les normes
internationales vouées à la protection des investissements étrangers forment donc une
branche du droit international susceptible de consolider la garantie du droit de
propriété. Ces normes lex specialis sont d’autant plus importantes que le commerce et
les investissements étrangers directs jouent un rôle majeur dans la croissance
économique de la Chine. Car « l’important afflux d’investissement étranger direct, y
compris l’esprit d’entreprise, les compétences en matière de gestion et les technologies
qui y sont associées, a aussi contribué à l’émergence du secteur privé en Chine »1468.
Plus significatif encore, « alors qu’aujourd’hui le secteur privé intervient pour plus de
50 pour cent dans le PIB de la Chine et réalise les trois-quarts des exportations du
pays, celles-ci sont, pour l’essentiel, produites par des sociétés à capitaux
étrangers » 1469 . Sur le plan juridique, le droit interne chinois s’aligne plus
volontairement et avec peu hésitation sur les normes internationales relatives à la
protection des investissements étrangers qu’il ne le fait à propos de ses engagements
sous les instruments juridiques internationaux des droits de l’homme. Or, s’il est vrai
que les instruments juridiques internationaux relatifs aux investissements étrangers
jouent un rôle stimulant sur la protection de la propriété, celle-ci était considérée plutôt 1466 John O. McGINNIS, « A new agenda for international human rights: economic freedom », 48 Cath. U. L. Rev. 1029, p. 1033. 1467 V., Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit : le relatif et l’universel, op. cit., pp. 312, 313. 1468 OMC, Examen des politiques commerciales : rapport du secrétariat, République Populaire de Chine, WT/TPR/S/161/Rev.1, 26 juin 2006, p. 5. 1469 OCDE, Étude économique de la Chine, Paris, 2005, p.18.
455
comme un atout pour la production industrielle que comme une réalité indispensable à
la protection des droits humains. À cet égard, le caractère « sacré » de la propriété ne
peut qu’être largement relativisé avec l’avènement de la doctrine positiviste selon
laquelle l’État peut régir l’exercice du droit de propriété pour le bien public1470. La
limite du principe de la protection du droit de propriété tel qu’il se concrétise dans les
traités internationaux relatifs à la promotion et à la protection des investissements
étrangers, consiste aussi en ce que, du fait de la rationae materiae, les garanties des
investissements étrangers ne bénéficient qu’aux investisseurs étrangers, tandis qu’en
vertu des instruments internationaux issus des droits de l’homme, la protection devrait
être étendue à la propriété de tous sans distinction 1471 . Il en résulte que la
concrétisation de la protection du droit de propriété dans le domaine des
investissements étrangers (SECTION I) doit être nuancée dès lors que l’on se réfère au
principe de la protection de la propriété conçue en tant que droit de l’homme.
441. - De même, il faudrait aussi nuancer le principe de la protection du droit de
propriété à partir de son extension à la protection des propriétés intellectuelles. En effet,
à l’évolution du droit de propriété caractérisée par l’extension de son objet aux biens
immatériels en droit interne, s’ajoute l’apparition de l’Accord sur les ADPIC qui ouvre
la voie à la construction d’un régime de droit international en matière de propriété qui
s’applique sans distinction aux étrangers et aux nationaux sur la base du traitement
national1472, en dépit de sa limitation. Bien avant l’accession de la Chine à l’OMC, la
protection de la propriété intellectuelle a été depuis longtemps à l’ordre du jour
concernant l’internationalisation du droit chinois, dans la mesure où non seulement la
législation chinoise a largement accepté les normes internationales, notamment celles
contenues dans l’Accord sur les ADPIC, mais aussi du fait que le régime se plie de
plus en plus aux recommandations des institutions internationales en faisant respecter
les droits de propriété intellectuelle qu’il intègre à son droit interne. Il n’est donc pas
exagéré de dire que le droit de propriété intellectuelle est la branche du droit chinois
1470 L. Benjamin EDERINGTON, « Property as a natural institution: the separation of property from sovereignty in international law », 13 Am. U. Int'l L. Rev. 263, p. 330. 1471 Edwin D. WILLIAMSON, « U.S.-EU understanding on Helms-Burton: a missed opportunity to fix international law on property rights », 48 Cath. U. L. Rev. 293, p. 306. 1472 V., article 3 de l’Accord sur les ADPIC.
456
qui subit le plus l’influence du droit international1473. En effet, la volonté et la capacité
que manifeste le gouvernement chinois en acceptant certaines normes internationales
sont illustrées par la législation pour laquelle il a optée en matière de propriété
intellectuelle et par sa mise en oeuvre. Le développement du droit chinois en matière
de propriété intellectuelle se manifeste d’abord par l’adaptation de la législation interne
aux normes internationales. Cette adaptation du droit chinois s’étend ensuite dans des
domaines plus ou moins relatifs à la mise en oeuvre des garanties du droit de propriété
intellectuelle. Ces deux aspects forment un cas typique de la construction de ses
institutions internes dans le processus d’internationalisation du droit chinois en matière
de propriété intellectuelle (SECTION II).
SECTION I – LA CONCRÉTISATION DE LA PROTECTION DE LA
PROPRIÉTÉ DANS LE DOMAINE DES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS
442. - Le transfert forcé de propriété du secteur privé vers le secteur public intéresse
le droit international économique dans la mesure où les principes et les règles de
protection des investissements sont en en cause. Il s’agit de définir les mesures par
lesquelles un État peut porter atteinte à l’existence ou à la consistance d’un
investissement réalisé sur son territoire par le ressortissant d’un autre État. L’apport du
droit international relatif à la protection des investissements étrangers à la protection
du droit de propriété consiste notamment à définir ce qu’est une mesure de
dépossession et les conditions de sa mise en oeuvre. Sur le plan européen, l’approche
de la Cour européenne des droits de l’homme dans le traitement des affaires relatives à
l’expropriation des investissements étrangers par l’application de la CEDH ne diffère
pas de celle prise en vertu des règles générales de droit international1474. Il est
également intéressant d’observer que l’expropriation directe –principalement liée aux
1473 Cf., ZHENG Chengsi, Zhishi chanquan lun (On intellectual property), 3e éd., Law Press China, 2005. 1474 V., Jean-François FLAUSS, « Nationalisation et indemnisation préférentielle de la propriété étrangère dans le cadre de la convention européenne des droits de l’homme », Gazette du Palais, n° 2, 1986; Brigitte STERN, « Le droit de propriété, l’expropriation et la nationalisation dans la Convention européenne des droits de l’homme », Droit et Pratique du Commerce International, n° 17, 1991, p. 394.
457
nationalisations qui ont marqué les années 1970 et 1980– n’est plus le principal foyer
de questionnement sur la protection des investissements étrangers : la question porte
désormais davantage sur la réglementation de l’investissement étranger et sur
l’expropriation indirecte, « question dominante en droit international de
l’investissement »1475.
443. - Les règles internationales de protection des investissements étrangers ne
différencient pas en substance de celles qui caractérisent le droit interne et qui sont
relatives à la protection du droit de propriété. Car, avec la reconnaissance générale du
traitement national des investisseurs étrangers comme principe fondamental du droit
d’investissement international, il n’est guère légitime de différencier les règles
juridiques de la protection des biens d’investisseurs étrangers de celles qui s’appliquent
aux nationaux. Il est d’ailleurs intéressant de noter que si le traitement national prohibe
la discrimination des étrangers, il faut admettre que la protection plus favorable aux
étrangers n’est pourtant pas incompatible avec le principe du traitement national, alors
même qu’elle n’est pas usuelle en droit interne. Néanmoins, le droit interne chinois fait
figure d’exception en la matière. En effet, les règles juridiques relatives à
l’expropriation et à la nationalisation des investissements étrangers sont acceptées par
la Chine tant dans les accords bilatéraux auxquels elle participe que dans ses textes
législatifs, et ce, avant même que les règles générales de la protection du droit de
propriété ne soient pleinement reconnues en droit interne. Il en résulte que les normes
concernant la protection des investissements étrangers constituaient pendant longtemps
la source unique de la protection du droit de propriété pour le droit chinois. Il faut
souligner en outre que les accords bilatéraux conclus par la Chine et relatifs à la
promotion et à la protection des investissements étrangers n’ont pas perdu leur utilité,
en dépit de l’article 13, alinéa 3, de la Constitution telle qu’elle a été révisée en 2004,
proclamant les principes encadrant les mesures d’expropriation et de réquisition. Ceci,
parce que c’est la propriété privée des citoyens qui peuvent faire l’objet d’une
expropriation ou d’une réquisition par l’État au regard de l’intérêt général, selon la
procédure définie par la loi et moyennant une indemnisation. La qualification limitant
la définition de la propriété privée par l’expression « des citoyens » semble exclure les 1475 Rudolf DOLZER, « Indirect expropriations: new developments? », 11 N.Y.U. Envtl. L. J. 64. p.65.
458
investisseurs étrangers de la garantie constitutionnelle en matière de jouissance des
biens. Dans ce contexte, les accords bilatéraux demeurent l’instrument juridique auquel
les investisseurs étrangers peuvent directement recourir pour défendre leurs propres
droits. Outre les garanties substantielles (Sous-section 1), les investisseurs bénéficient
des garanties procédurales en cas d’expropriation (Sous-section 2), puisque les accords
bilatéraux récemment conclus par la Chine ouvrent la voie à l’arbitrage international.
Par conséquent, le recours interne n’est plus l’unique choix des investisseurs étrangers.
Sous-section 1. – Les garanties substantielles en cas d’expropriation des
investissements
444. - Depuis son premier accord bilatéral concernant les investissements avec la
Suède conclu en 1982, la Chine a conclu plus d’une centaine d’accords bilatéraux1476.
Ces accords bilatéraux portant sur des investissements éclaircit non seulement la
notion d’expropriation dans le domaine des investissements étrangers (§ 1), mais
impose aussi des conditions applicables à la prise de mesures privatives (§ 2) en vue de
garantir les investisseurs contre les atteintes illégales à la propriété de leurs
investissements.
§ 1. – La notion d’expropriation dans les accords bilatéraux conclus par la
Chine
445. - Contrastant avec le droit interne, les accords bilatéraux relatifs à la protection
des investissements étrangers définissent la notion d’expropriation au sens large1477.
1476 Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, statistique jusqu’au 1er juin 2006. Selon le Ministère de commerce, la Chine a signé 106 accords bilatéraux relatifs à la protection des investissements étrangers dont plus de la moitié sont entrée en vigueur avant la fin de l’année 2003, v., www.news.xinhuanet.com/zhengfu/2003-12/17/content_1234827.htm, 17 décembre 2003. Selon la statistique de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, 119 accords bilatéraux ont été conclus par la Chine avant le 1er juin 2007. 1477 V., CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement), Bilateral Investment Treaties 1995-2006: Trends in Investment Rulemaking, 2007, UNCTAD/ITE/IIT/2006/5, pp. 44 et s.
459
Les accords bilatéraux conclus par la Chine ne font pas exception. Non seulement les
investissements qui recouvrent diverses catégories de biens (A), mais aussi
l’expropriation indirecte ou toute autre mesure équivalente à l’expropriation sont
prévues par les accords bilatéraux conclus par la Chine (B).
A. – La notion d’investissements
446. - Suivant la définition de la notion d’investissement dans les accords bilatéraux,
la signification du bien protégé se trouve élargie au-delà de la propriété matérielle
conçue en droit civil (1). Les accords bilatéraux constituent également une avancée
importante par rapport au droit interne dans la mesure où ils ont reconnu la protection
de la propriété intellectuelle bien avant le droit interne (2).
(1). – L’élargissement de la notion d’investissements
447. - De manière générale, les accords énumèrent de manière non exhaustive tous
les biens ayant valeur patrimoniale qui peuvent bénéficier de la protection en tant
qu’investissements. Par exemple, dans son article premier, l’Accord entre le
gouvernement de la République française et le gouvernement de la République
populaire de Chine sur l’encouragement et la protection réciproques des
investissements (l’Accord franco-chinois) 1478 , révèle que la notion
d’ « investissements » renvoie aux avoirs de toute nature investis conformément à la
législation de chacune des Parties contractantes. Le même article énumère à titre non
exhaustif comme investissements, a).- les biens meubles et immeubles ainsi que tous
autres droits réels tels que les hypothèques, usufruits, cautionnement et droits
analogues ; b).- les actions et autres formes de participations directes ou indirectes aux
sociétés ; c).- les obligations, créances et droits à toutes prestations de valeur
économique ; d).- les droits d’auteurs, les droits de propriété industrielle ( tels que
brevets d’invention, licences, marques déposées, etc. ), le savoir-faire, les procédés
techniques, les noms déposés et la clientèle ; e).- les concessions accordées 1478 L’accord est entré en vigueur le 19 mars 1985, v., J. O. du 31 mai 1985, p. 6030
460
conformément à la loi, notamment dans l’exploitation des richesses naturelles. Il en
résulte que les biens corporels, incorporels, même les droits et intérêts ayant une valeur
patrimoniale sont couverts par la notion d’investissements dont la dépossession doit
s’effectuer en conformité avec les conditions prévues dans l’article 4, paragraphe 2 de
l’Accord. D’ailleurs, la concession elle-même est protégée par l’Accord franco-chinois
en tant qu’elle est un bien, tandis qu’en droit chinois le statut juridique de la
concession gouvernementale reste ambigu.
(2). – L’avancement des accords bilatéraux sur le droit interne dans la reconnaissance
de la propriété intellectuelle
448. - Il est intéressant de souligner que la notion de propriété intellectuelle figure
dans les accords bilatéraux avant que le droit interne ne la reconnaisse formellement
par l’adoption de textes normatifs. Il s’agit, par exemple, des droits d’auteurs, admis
par la Chine en concluant l’Accord franco-chinois, alors que la loi sur les droits
d’auteur a été adoptée en 1990, c’est-à-dire 5 ans après l’entrée en vigueur de l’Accord
franco-chinois. Le professeur chinois Chengsi ZHENG a bien relevé qu’au début des
années 80 la négociation des accords bilatéraux dans le domaine commercial était aussi
l’occasion pour la délégation chinoise d’apprendre des notions « étrangères » relatives
à la propriété intellectuelle, par exemple, le traitement de la nation la plus favorisée. Ce
qui témoignait du retard du droit chinois par rapport au développement du droit
international et des droits étrangers dans le domaine des propriétés intellectuelles1479.
La conclusion des accords bilatéraux comportant les clauses consacrées à la protection
de la propriété intellectuelle déclenche par conséquent le processus de l’évolution du
droit chinois qui se caractérise par l’acceptation des notions juridiques de propriété
intellectuelle auparavant inexistantes en droit interne.
1479 V., ZHENG Chengsi, Zhishi chanquan fa (Droit de la propriété intellectuelle ), Law Press China, 1997, p. 14.
461
B. – La notion d’expropriation
449. - La distinction étanche entre l’expropriation directe et la réglementation des
investissements (1) est difficile à établir dans les pratiques. Les accords bilatéraux
conclus par la Chine semblent servir les intérêts des investisseurs, d’où la raison de
donner une définition large de l’expropriation qui peut englober l’expropriation
indirecte (2).
(1). – La distinction entre l’expropriation directe et la réglementation des
investissements
450. - L’expropriation ou la privation de la propriété d’un bien peut aussi résulter de
l’ingérence d’un État dans l’utilisation de ce bien ou des avantages que celui-ci est
susceptible de lui procurer sans même qu’il fasse l’objet d’une saisie ou que le titre
légal de propriété soit formellement affecté. En l’état actuel, les différends relatifs à la
protection des investissements étrangers portent déjà moins sur l’expropriation directe
que sur la réglementation de l’investissement étranger et l’expropriation indirecte1480.
La question qui se pose est celle de savoir dans quelle mesure un gouvernement peut
affecter la valeur d’un bien par une réglementation de nature générale ou en vertu de
dispositions spécifiques prévues dans le contexte de réglementations générales, pour
atteindre un objectif public légitime, sans effectuer une prise de possession de ce bien
et devoir dédommager le propriétaire pour le tort que lui a causé cette réglementation.
Certes, la ligne de démarcation entre le concept d’« expropriation indirecte » et les
mesures réglementaires gouvernementales qui ne s’accompagnent pas d’indemnisation
n’a pas été clairement établie et elle varie selon les faits et les circonstances propres à
chaque cas1481.
1480 V., Charles LEBEN, « La liberté normative de l’État et la question de l’expropriation indirecte », in Charles LEBEN (éd.), Le contentieux arbitral transnational relatif à l’investissement international: nouveaux développements, Anthemis, LDGJ, 2006, p.163; Jan PAULSSON, Zachary DOUGLAS, « Indirect expropriation in investment treaty arbitrations », in Norbert HORN, Stefan KRÖLL (éd.), Arbitrating foreign investment disputes, Kluwer Law International, 2004, p.145. 1481 V., G. CHRISTIE, « What constitutes a taking of property under international law ? », Bristish
462
(2). – Les pratiques des accords bilatéraux conclus par la Chine
451. - Les accords bilatéraux conclus par la Chine définissent l’expropriation de
manière extensive. Par exemple, en vertu de l’article 4 de l’Accord franco-chinois,
aucune des deux Parties contractantes ne peut soumettre les investissements à des
mesures d’expropriation, de nationalisation ou à toutes autres mesures aboutissant au
même résultat, si ce n’est en conformité avec les conditions prévues par l’Accord. La
formulation « toutes autres mesures aboutissant au même résultat » semble recouvrir
les mesures qui peuvent entrer sous la dénomination « expropriation indirecte ». Dans
les récents accords conclus par la Chine, l’expropriation indirecte y a été intégrée sans
équivoque. Par exemple, en vertu de l’article 4, paragraphe 2 de l’Accord entre le
gouvernement chinois et le gouvernement allemand sur l’encouragement et la
protection réciproque des investissements1482, les investissements de chacune des
Parties contractantes ne peuvent pas être directement ou indirectement expropriés,
nationalisés, ni faire l’objet d’autres mesures ayant un effet équivalent à
l’expropriation ou à la nationalisation, sauf si ces mesures relèvent de conditions
prévues par l’Accord. Pour ce dernier, l’expropriation désigne non seulement
l’expropriation indirecte mais également toute autre mesure dont les effets équivalent à
l’expropriation1483. L’Accord entre le gouvernement marocain et le gouvernement
chinois range l’expropriation indirecte sous la catégorie « tout autre mesure ayant le
même effet ou le même caractère » que l’expropriation ou la nationalisation1484. Il faut
toutefois souligner que la catégorie « autres mesures d’effet équivalent » à
l’expropriation peut prêter à la discussion quant à sa teneur1485. Pour l’État hôte, la
Yearbook of International Law, 1962, pp. 307 à 338 ; M. SORNARAJAH, The international law on foreign investment, 2nd ed., Cambridge University Press, 2004, p. 350 ; Rudolf DOLZER, « Indirect expropriation of alien property », ICSID Review: Foreign Investment Law Journal, 1986, pp. 41 à 56. 1482 L’Accord sino-allemand est signé le 1er décembre 2003 et entré en vigueur le 11 novembre 2005. 1483 La même position est maintenue par l’article 5 de l’Accord entre le gouvernement chinois et le gouvernement jordanien, signé le 15 novembre 2001. 1484 V., article 4, paragraphe 1 de l’Accord entre le Gouvernement du Royaume du Maroc et le Gouvernement de la République de Chine, concernant l’encouragement et la protection réciproques des investissements, signé le 27 mars 1995. 1485 V., Tribunal de l’ALENA, Pope & Talbot, Inc. c/ Canada, décision provisoire du 26 juin 2006; S. D. Myers, Inc. c/ Canada, décision partielle du 13 novembre 2000.
463
définition de l’expropriation indirecte détermine l’étendue de son pouvoir d’adopter ou
non des mesures normatives pour réglementer les droits et les obligations des
propriétaires dans les cas où une indemnisation peut être due1486.
452. - Selon la doctrine chinoise, il demeure peu probable dans la Chine
d’aujourd’hui que les investisseurs étrangers puissent encourir l’expropriation indirecte.
Mais celle-ci pourrait se produire à cause des mesures réglementaires prises par les
gouvernements de différents échelons1487. Dans la pratique, il arrive que les autorités
chinoises modifient les contrats qu’elles ont établis avec les investisseurs étrangers
sans pour autant avoir préalablement obtenu leur consentement, ce qui pourrait
constituer un cas d’expropriation indirecte au sens large1488. De même, quand un
gouvernement manque à ses engagements contractuels, le principe universel de Pacta
Sunt Servanda exige que la résiliation unilatérale du contrat résultant des mesures
réglementaires soit traitée comme des mesures d’expropriation1489. Il est vraisemblable
qu’en intégrant la notion de l’expropriation indirecte dans les accords bilatéraux, le
gouvernement chinois doive respecter les conditions d’expropriation au cas où des
mesures qu’il a prises constituent une expropriation indirecte ou les mesures d’effet
équivalent à l’expropriation.
§ 2. – Les conditions de l’expropriation imposées par les accords bilatéraux
453. - Sur la question de savoir si l’État est libre d’exproprier ou de nationaliser les
investissements internationaux qui sont constitués dans les limites de sa juridiction
territoriale, la pratique étatique s’est depuis longtemps fixée répudiant
1486 Rudolf DOLZER, Margrete STEVENS, « Bilateral investment treaties », CIRDI 1985, p. 99; R. HIGGINS, « The taking of property by the State: recent developments in international law », Recueil des Cours –Académie de droit international, 1982, vol. 176, pp. 276 et 277. 1487 CHEN An (sous la dir. de), Guoji touzi de xinfazhan yu zhongguo shuangbian touzi tiaoyue de xinshsijian (Le développement contemporain du droit international d’investissement et les nouvelles pratiques des accords bilatéraux d’investissements conclus par la Chine), Fudan University Press, 2007, p. 160. 1488 Pour le détail des affaires où les mesures des autorités locales chinoises pourraient constituer un cas d’expropriation indirecte, v., infra, n° 483. 1489 V., Banque mondiale, The legal frame for the treatment of foreign investment: progress report and background studies, 1992, p. 149.
464
l’internationalisme des sociétés marchandes au profit du nationalisme d’État en quête
de puissance économique et politique1490. À défaut d’une convention multilatérale, les
conditions de légalité de l’expropriation et de la nationalisation sont presque
universellement prévues par les accords bilatéraux (A), avec toutefois des nuances
concernant le critère de l’indemnisation (B).
A. – Les conditions relatives à la légalité des mesures d’expropriation
454. - La plupart des accords bilatéraux conclus par la Chine se conforment aux
conditions relatives à la légalité des mesures d’expropriation qui sont généralement
acceptées dans les pratiques internationales (1), à l’exception toutefois des variations
comprises dans certains accords bilatéraux (2).
(1). – La conformité des accords bilatéraux conclus par la Chine avec les pratiques
internationales
455. - Il est généralement admis qu’en droit international les mesures
d’expropriation des investissements doivent répondre à l’exigence d’utilité publique et
s’effectuer de manière non discriminatoire en suivant la procédure équitable1491. Les
accords bilatéraux conclus par la Chine s’y conforment. Par exemple, l’article 4,
paragraphe 2, de l’Accord franco-chinois dispose qu’ « aucune des deux Parties
contractantes ne peut soumettre les investissements effectués sur son territoire ou dans
ses zones maritimes par des investisseurs de l’autre Partie à des mesures
d’expropriation, de nationalisation ou à toute autre mesure aboutissant au même
résultat, si ce n’est à des fins d’utilité publique, de manière non discriminatoire,
suivant une procédure légale et contre une indemnisation ». Quatre conditions à la 1490 Dominique CARREAU, Patrick JUILLARD, Droit international économique, op. cit., § 1383. Pour les auteurs chinois qui soutiennent la même thèse que celle des auteurs français, v., notamment CHEN An (sous la dir. de), Guoji jingjifa (International Economic Law), 2e éd., Law Press China, 2007, p. 303 ; YU Jingsong, WU Zhipan, Guoji jingjifa (International Economic Law), 2e éd., Beijing University Press, 2005, p. 230. 1491 Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), Taking of property, UNCTAD/ITE/IIT/15, 2000, pp. 12 à16.
465
dépossession des investissements ont été imposées par l’Accord franco-chinois. Elles
sont les fins d’utilité publique, le respect du principe de non-discrimination, la
procédure prévue par la loi et l’indemnisation par l’État. D’autres accords bilatéraux
conclus par la Chine optent pour pareille formulation quant aux conditions de la
dépossession des investissements. Par exemple, l’expression « utilité publique » peut
être remplacée soit par « intérêt public »1492, soit par « impératifs de sécurité » ou
« intérêt public » 1493 . L’Accord entre le gouvernement fédéral allemand et le
gouvernement chinois dispose dans son article 4, paragraphe 2, qu’aucune des deux
Parties contractantes ne peut soumettre les investissements effectués sur son territoire
par des investisseurs de l’autre Partie à des mesures « directe ou indirecte »
d’expropriation, de nationalisation ou à « toute autre mesure ayant le même effet contre
l’investissement », sauf pour motif de bien-être public et contre indemnisation1494.
(2). – Les variations dans certains accords bilatéraux
456. - En revanche, dans d’autres accords bilatéraux, les conditions de légalité
concernant l’expropriation des investissements ont été prévues de manière moins
précise par rapport à l’Accord franco-chinois. Par exemple, selon l’article 5 de
l’Accord entre le gouvernement chinois et le gouvernement du
Royaume-Uni, « aucune des deux Parties contractantes ne peut soumettre les
investissements effectués sur son territoire par des investisseurs de l’autre Partie à des
mesures d’expropriation, de nationalisation ou à toutes autres mesures équivalant à
une expropriation, si ce n’est à des fins publiques liées au besoin interne de l’autre
Partie contractante et contre indemnisation ». De manière exceptionnelle, les
1492 V., article 5, paragraphe 1 de l’Accord entre le Gouvernement de la République du Cameroun et le Gouvernement de la République Populaire de Chine pour la promotion et la protection réciproques des investissements, signé le 10 mai 1997. 1493 V., article 4, paragraphe 1 de l’Accord entre l’Union économique Belgo Luxembourgeoise et le Gouvernement de la République Populaire de Chine en matière de la promotion et la protection réciproques des investissements, signé le 4 juin 1984. 1494 V., article 4, paragraphe 2 de l’Accord entre la République Fédérale d’Allemagne et la République Populaire de Chine en matière de l’encouragement et la protection réciproques des investissements, signé le 1er décembre 2003.
466
exigences sur la procédure légale et le principe de non-discrimination sont absentes
dans cet accord. Il est intéressant d’observer que dans l’Accord bilatéral entre le
gouvernement chinois et le gouvernement néo-zélandais conclu en 1988, l’article 6
concernant l’expropriation dispose de manière flexible, quant à la justification des
mesures de dépossession, que celles-ci doivent être adoptées uniquement si leur but est
autorisé par la loi. Or, la signification du but autorisé par la loi, qui peut faire l’objet de
l’interprétation lato sensu, ne correspond par nécessairement à l’intérêt général ou à
des fins d’intérêt public sur lesquelles insistent d’autres accords bilatéraux. Ces deux
exemples montrent que les variations des accords bilatéraux conclus par la Chine
pourraient être la cause de l’incohérence des pratiques d’exécution des accords
bilatéraux.
B. – Les règles d’indemnisation
457. - Alors qu’en droit interne chinois, les règles d’indemnisation demeurent
ambiguës (1), les clauses des accords en la matière ont prévu de manière plus précise le
critère sur la détermination du montant de l’indemnité et la modalité du paiement de
celle-ci (2). À cet égard, les accords bilatéraux concernant les investissements jouent
un rôle complémentaire par rapport au droit interne en consolidant la protection des
investisseurs étrangers en cas de dépossession.
(1). – Les règles d’indemnisation en droit interne
458. - Les règles d’indemnisation en droit interne sont apparues pour la première
fois dans la loi sur les entreprises à capitaux étrangers1495. L’article 5 de ladite loi
dispose que l’État ne procède pas à la nationalisation ou à l’expropriation des
entreprises à capitaux étrangers. Toutefois, dans les circonstances spéciales et pour
servir l’intérêt public, les entreprises à capitaux étrangers peuvent faire l’objet d’une
expropriation selon la procédure établie par la loi et par le versement d’une indemnité
appropriée. Lorsque la loi sur les entreprises à capitaux chinois et étranger (Equity 1495 Adoptée le 12 avril 1986 et modifiée le 31 octobre 2000.
467
Joint Ventures)1496 a été modifiée le 4 avril 1990, un alinéa 3 a été inséré à l’article 2
réitérant les mêmes dispositions que l’article 5 de la loi sur les entreprises à capitaux
étrangers. L’indemnisation appropriée a été également maintenue par l’article 4 de la
loi sur la protection des investissements des compatriotes de Taiwan1497, ainsi que par
certains règlements adoptés par le CAE. Par exemple, le Règlement sur l’exploitation
coopérative du pétrole terrestre avec les investisseurs étrangers1498 et le Règlement sur
l’exploitation coopérative du pétrole à la mer avec les investisseurs étrangers1499
prévoient même l’indemnisation appropriée au cas où les coopérateurs étrangers
feraient l’objet de mesures d’expropriation. Pourtant, la signification de l’expression
« appropriée » demeure incertaine. Tandis que celle-ci peut s’entendre comme « le
principe de non-expropriation sauf indemnité prompte, adéquate et effectivement
réalisable n’est plus discuté »1500, la doctrine chinoise ne s’aligne toutefois pas sur la
« formule de Hull » qui exige au nom du droit international l’indemnisation « prompte,
adéquate et effective » en cas de dépossession des investissements étrangers1501.
(2). – Les clauses des accords bilatéraux conclus par la Chine concernant les mesures
d’indemnisation
459. - L’indemnisation de l’investisseur a été présentée comme une condition parmi
d’autres dans la plupart des accordés conclus par la Chine. Par exemple, l’Accord
franco-chinois dispose que « les mesures de dépossession qui pourraient être prises
doivent donner lieu au paiement d’une indemnité appropriée ; les principes et les
1496 Adoptée le 1er juillet 1979. 1497 Adoptée le 5 mars 1994. 1498 Adopté le 7 octobre 1993 et modifié le 23 septembre 2001, par le décret n° 317 du CAE, article 5. 1499 Adopté le 30 janvier 1982 et modifié le 23 septembre 2001, par le décret n° 318 du CAE, article 4. 1500 Philippe KAHN, Thomas W. WÄLDE (sous la dir. de), Les aspects nouveaux du droit des investissements internationaux, op. cit., p. 37. 1501 V., CHEN An (sous la dir. de), Guoji touzi de xinfazhan yu zhongguo shuangbian touzi tiaoyue de xinshsijian (Le développement contemporain du droit international d’investissement et les nouvelles pratiques des accords bilatéraux d’investissements conclus par la Chine),op. cit., p. 94 ; YU Jingsong, « Lun guoji touzifa zhong guoyouhua buchang de genju (Sur le fondement de l’indemnisation en cas de nationalisation dans le domaine du droit international d’investissement) », in Zhongguo Shehui Kexue (Chinese Social Science), n° 2, 1986, p. 63.
468
règles de calcul du montant de l’indemnité et les modalités de son versement sont fixés
au plus tard à la date de dépossession. Cette indemnité est versée sans retard ni délai
injustifié ; elle est effectivement réalisable et librement transférable »1502. Le protocole
annexé à l’Accord franco-chinois précise que le montant des indemnités correspond à
la valeur réelle des investissements concernés1503. L’Accord franco-chinois pose le
critère de l’indemnité appropriée, calculée à partir de la valeur réelle des
investissements. L’Accord franco-chinois prévoit d’ailleurs que les principes et les
règles de calcul, ainsi que les modalités de versement, doivent être fixés avant la date
de dépossession, et le versement doit être réalisé sans retard ni délai injustifié ; la
monnaie du paiement doit être effectivement réalisable et librement transférable.
460. - Des règles plus précises en matière d’indemnisation ont été acceptées par
d’autres accords bilatéraux conclus par la Chine. La formulation « la valeur réelle des
investissements » a étté remplacée par celle de «valeur du marché »1504 des biens,
évaluée à la date précédant immédiatement l’expropriation ou à la date à laquelle cette
expropriation est rendue publique 1505 . Si chacune des deux dates –celle où
l’expropriation est rendue publique et celle de sa mise en oeuvre– existe, c’est la date
la moins avancée qui est prise en compte dans le calcul du montant. D’autre part, les
indemnités doivent comporter les intérêts dus jusqu’au jour de leur versement1506. De
manière exceptionnelle, l’Accord entre le gouvernement chinois et le gouvernement
suédois prévoit que le but de l’indemnisation consiste à « placer l’investisseur dans
une position financière similaire à celle qui aurait été la sienne si la dépossession
n’avait pas eu lieu »1507. En imposant des règles plus précises concernant le calcul du
1502 Article 4, paragraphe 2 de l’Accord franco-chinois. 1503 V., paragraphe 2 du protocole annexé à l’Accord franco-chinois. 1504 V., par ex., article 4, paragraphe 2 de l’accord entre le Chine et le Maroc, précité ; article 4, paragraphe 2 de l’accord entre la Chine et le Guyane, signé le 27 mars 2003 ; article 4, paragraphe 3 de l’accord entre la Chine et le Liban, signé le 13 juin 1996 ; article 4, paragraphe 2 de l’accord entre la Chine et la Zimbabwe, signé le 21 mai 1996 ; article 4, paragraphe 2 de l’accord entre la Chine et la Croatie, entré en vigueur le 1er juillet 1994 ; article 5, paragraphe 3 de l’accord entre la Chine et la République de Corée, entré en vigueur le 30 septembre 1992 ; article 8, paragraphe 3 de l’accord entre la Chine et l’Australie, entré en vigueur le 11 juillet 1988, etc. 1505 V., par ex., article 2 du Protocole annexé à l’Accord entre la Chine et le Benelux. 1506 V., par ex., article 4, paragraphe 2 de l’Accord entre la Chine et l’Allemagne. 1507 V., article 3, paragraphe 1 de l’Accord entre la Chine et la Suède.
469
montant d’indemnité, la marge d’appréciation laissée à la discrétion des Parties
contractantes est réduite. Certains auteurs chinois ont considéré que la création du
principe d’indemnisation appropriée, fondée sur la mise en place de règles plus
précises en vertu desquelles le montant des indemnités est calculé selon la valeur du
marché des investissements, traduit une évolution de la politique du gouvernement
chinois qui peut s’expliquer par l’abandon de l’idée d’indemnisation appropriée pour
se diriger vers celle de l’indemnisation suffisante. Cette évolution a pour effet d’élever
le critère d’indemnisation de manière générale1508. Toutefois, le critère de « la valeur
du marché » a été critiqué dans la mesure où la valeur vénale est définie comme le prix
qu’un vendeur peut obtenir dans des conditions de vente normale. Or, lorsque des
nationalisations sont en vue, on se trouve en dehors d’une situation de vente
normale1509. D’ailleurs, « lorsque la valeur d’une entreprise nationalisée doit être fixée
sur base de la valeur boursière, la situation est encore plus délicate. La clause qui
retient comme valeur boursière celle de la date qui précède la nationalisation ou celle
de la date où la mesure de nationalisation a été rendue publique, ne donne aucune
garantie. La valeur boursière est très fragile et est elle même influencée par les
rumeurs de nationalisation, alors même qu’aucune allusion officielle n’y [ait] encore
été faite »1510. Comme on l’a déjà constaté, « ce qui reste le plus sujet à divergence
concerne la méthode de calcul de la valeur de l’investissement. On rencontre, au gré
des sentences, l’utilisation de la notion de juste valeur du marché. Mais cette juste
valeur ne peut être calculée approximativement que si l’on peut apprécier les
paramètres qui entrent dans l’établissement de la valeur de l’investissement en
cause »1511. Ainsi peut-on considérer que la position de la Chine en matière de critère
1508 XU Chongli, « Guoji touzifa de zhongda zhengyi wenti yu zhongguo de cuice (Les divergences en droit international relatives aux investissements et la position de la Chine)», Zhongguo shehui kexue (China Social Science), n° 1, 1994, p.15. V., aussi, LU Jiongxing, Zhongguo waishang touzifa wenti yanjiu (Etudes sur les problèmes juridiques concernant les investissements étrangers en Chine), Law Press China, 2001, p. 240. 1509 V., S. K. ASANTE, « Le droit au développement », R. C. A. D. I., 1980, p. 360. 1510 Jan SCHOKKAERT, Pratique conventionnelle en matière de protection juridique des investissements étrangers : droit comparé, droit interne, conventions européennes, Bruxelle, Bruylant, 2006, pp. 122, 123. 1511 Philippe KAHN, Thomas W. WÄLDE (sous la dir. de), Les aspects nouveaux du droit des investissements internationaux, op. cit., p. 38.
470
d’indemnisation reste à être précisée dans la pratique.
461. - Quant à la date du paiement des indemnités, l’Accord franco-chinois pose le
principe selon lequel les indemnités doivent être versées sans retard ni délai injustifié.
Les accords récemment conclus ont prévu toutefois le versement d’intérêts aux
investisseurs. Par exemple, l’Accord sino-allemand dispose que les indemnités doivent
comporter les intérêts dus jusqu’au jour de leur versement1512. Il faut souligner en outre
que certains accords bilatéraux d’investissement, à l’exception de l’Accord
franco-chinois, ont prévu le contrôle judiciaire sur l’application des règles
d’indemnisation. Par exemple, l’Accord sino-allemand dispose que, «sur l’initiative de
l’investisseur étranger, la légalité des mesures de dépossession et le montant
d’indemnité doivent faire l’objet du contrôle par les tribunaux nationaux »1513 ,
nonobstant les autres clauses de l’Accord concernant le règlement des différends. Le
respect des règles relatives à la dépossession, notamment celles portant sur les mesures
d’indemnisation, peut être mieux garanti en conférant aux investisseurs le droit d’agir
en justice contre les pratiques illégales en matière de dépossession d’investissements.
462. - Concernant la question de savoir si « l’indemnisation est une condition de
licéité de la mesure étatique »1514, la doctrine chinoise se révélait très critique sur
l’acceptation du principe de l’indemnisation conçu comme une condition de licéité de
l’intervention étatique, et considérait l’indemnisation comme la conséquence de la
mesure étatique. C’était aussi la raison pour laquelle, selon certains auteurs, la Chine
devrait éviter de conclure un accord avec les États-Unis ou le Canada selon le modèle
américain de l’accord bilatéral d’investissement, puisque ce modèle insiste fermement
sur la « formule de Hull » fondant la licéité de l’expropriation sur l’indemnisation
prompte, adéquate et effective1515. Cependant, la Chine a récemment donné son accord
sur l’ouverture de la négociation d’un accord bilatéral d’investissement avec les
1512 Article 4, paragraphe 2 de l’Accord entre la Chine et l’Allemagne ; v., aussi article 4, paragraphe 2 de l’Accord entre la Chine et le Bostwana. 1513 V., article 4, paragraphe 2 de l’Accord entre la Chine et l’Allemagne, précité ; v., aussi, article 5, paragraphe 1 de l’Accord entre la Chine et le Royaume-Uni, précité, etc. 1514 V., Sébastien MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage entre États et ressortissants d’autres États, Trente années d’activité du CIRDI, Litec, 2004, pp. 524, 528. 1515 V., CHEN An, Guoji Jingjifa Gailun (Introduction au Droit International Economique), édition 2001, Pekin University Press, 2002, p. 343.
471
États-Unis, alors même que les États-Unis vont « poursuivre un traité complet sur la
base du modèle d’accord d’investissement bilatéral des États-Unis » 1516 . Il est
vraisemblable que la conclusion du futur accord sino-américain aurait pour
conséquence d’élever encore davantage le niveau de protection des investissements
étrangers, non seulement à l’égard des garanties substantielles, mais aussi des garanties
procédurales en cas d’atteintes portées à la propriété des investisseurs.
Sous-section 2. – Les garanties procédurales en cas d’expropriation des
investissements
463. - L’analyse précédente montre que les normes comprises dans les accords
conclus par la Chine sur la protection des investissements étrangers en cas de
dépossession sont pour l’essentiel conformes à la pratique générale du droit
international. L’enjeu ne consiste pas à proclamer des normes substantielles par la
conclusion des accords, mais plutôt à les mettre en oeuvre notamment dans le
règlement des conflits entre l’État hôte et les investisseurs étrangers. À cet égard, le
gouvernement chinois attache de l’importance à défendre sa réputation –qu’il juge
cruciale concernant sa position sur le marché international– en matière de règlement
des différends liés à l’investissement étranger direct1517. C’est la raison pour laquelle
les accords conclus par la Chine ont admis le règlement des conflits entre l’État hôte et
les investisseurs étrangers par les voies de recours interne et les mécanismes de droit
international. Pour encourager davantage des investissements étrangers1518, la Chine a
ratifié, le 7 janvier 1993, la Convention du Washington portant sur la création du
Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements
(CIRDI). Car la neutralité de l’arbitrage fourni par le CIRDI correspond à la politique
1516 V., discours de clôture du Secrétaire d’État PAULSON lors du 4e Forum Sino-américain du dialogue stratégique sur les affaires économiques, le 18 juin 2008, disponible sur le site http://www.treas.gov/press/releases/hp1037.htm, consulté le 8 août 2008. 1517 Jerome A. COHEN, « The role of arbitration in economic co-operation with China », in Michael J. MOSER (ed.), Foreign Trade, Investment, and the Law in the People’s Republic of China, 2nd ed., 1987, p. 508. 1518 James A.R. NAFZIGER, RUAN Jiafang, « Chinese methods of resolving international trade, investment and maritime disputes », 23 WILLAMETTE L.REV. 619 (1987), p. 640.
472
constante du gouvernement chinois en vertu de laquelle les différends internationaux
de caractère économique doivent se résoudre de manière équitable et en rassurant les
bénéfices réciproques1519. Alors que l’arbitrage international est un droit auquel les
investisseurs étrangers peuvent recourir en tant que garantie procédurale importante de
leurs droits et de leurs intérêts (§ 1), le gouvernement chinois, avec les accords
bilatéraux qu’il a conclus, insiste constamment sur le fait que le règlement à l’amiable
des différends entre l’État hôte et l’investisseur étranger constitue la première étape de
la négociation. Nous voyons donc que la conciliation et la médiation jouent un rôle
supplémentaire par rapport à l’arbitrage international1520, du fait de leur efficacité
quand il s’agit de parvenir à un règlement à l’amiable des différends. Avec
l’intervention des organes internationaux, notamment le CIRDI et l’Agence
Multilatérale de Garantie des Investissements (AMGI), le règlement à l’amiable des
différends a été institutionnalisé1521 et a commencé à prendre de l’ampleur dans le
traitement des affaires dont lesquelles les autorités chinoises sont parties (§ 2).
§ 1. – Les garanties procédurales d’arbitrage international
464. - Alors que les accords bilatéraux relatifs aux investissements étrangers directs
conclus par la Chine ont systématiquement reconnu la compétence du CIRDI dans le
traitement des différends1522, pendant longtemps le gouvernement chinois demeurait
1519 Christopher M. KOA, « The International Bank for Reconstruction and Development and dispute resolution: conciliating and arbitrating with China through the International Centre for Settlement of Investment Dispute », 24 N.Y.U. J. Int’l L. & Pol. 439, p. 483. 1520 Jack J. COE, « Towards a complementary use of conciliation in investor-State disputes – a preliminary sketch », 12 U.C. Davis J. Int’l L. & Pol’y 7. 1521 V., Ibrahim F.I. SHIHATA, « The settlement of disputes regarding foreign investment: the role of the World Bank, with particular reference to ICSID and MIGA », 1 Am. U. J. Int’l L. & Pol’y 97. 1522 V., LI Shishi, « Bilateral investment promotion and protection agreements: practice of the People’s Republic of China », in Paul DE WAART, Paul PETERS, Erik DENTERS (eds.), International Law and Development, 1988, p. 163; Qingjiang KONG, « Bilateral investment treaties: the Chinese approach and practice », 8 Asian Y.B. Int’l L. (1998-1999), p. 105; John S. MO, « Some aspects of the Australia-China investment protection treaty », 25 J. World Trade L. 43 (1991); Wenhua SHAN, « The international law of EU investment in China », 2 Chinese J. Int'l L. 555; CAI Congyan, « Outward foreign direct investment protection and the effectiveness of Chinese BIT practice », 7 J. World Investment & Trade 621 (2006).
473
très prudent dans la pratique concernant l’usage de l’arbitrage du CIRDI en imposant
des limites dans ces accords sur l’application de cet arbitrage (A). Ces restrictions
n’ont été levées que très récemment lors de la conclusion des accords bilatéraux
d’investissements étrangers dits de « nouvelle génération »1523 (B).
A. – La prudence envers l’arbitrage international dans les anciens
accords
465. - La prudence que le gouvernement chinois a manifestée à l’encontre de
l’arbitrage international s’est révélée non seulement par sa réserve sur les sujets soumis
à l’arbitrage international dans les accords bilatéraux qu’il a conclus (1), mais aussi par
celle qu’il a émise à propos de la compétence du CIRDI concernant les différends entre
la Chine et les investisseurs étrangers (2).
(1). – La réserve sur les matières soumises à l’arbitrage international
466. - Au début du lancement de sa politique d’ouverture, le gouvernement chinois
hésitait à intégrer une disposition prévoyant que l’arbitrage serait un moyen de
règlement des différends entre l’État hôte et l’investisseur étranger. Par exemple, dans
l’Accord bilatéral d’investissement entre le gouvernement chinois et le gouvernement
suédois, il n’existe aucune prévision sur le règlement des différends État-investisseur,
alors que les deux Parties contractantes se sont mises d’accord que, dès lors que la
Chine adhèrerait à la Convention du CIRDI, l’Accord sino-suédois serait révisé afin de
reconnaître la compétence du CIRDI en matière de règlement des différends1524.
Depuis la ratification de la Convention du CIRDI, de nombreux accords bilatéraux
d’investissements conclus par la Chine n’ont accepté l’arbitrage du CIRDI qu’en 1523 Stephan W. SCHILL, « Tearing down the Great Wall: the new generation investment treaties of the People’s Republic of China », 15 Cardozo J. Int’l & Comp. L. 73, pp. 92 à 94; v., aussi, Kim M. ROONEY, « ICSID and BIT arbitrations and China », Journal of International Arbitration, 24 (6), 2007, pp. 705 à 708. 1524 V., lettre de Sten SUNDELT, Ambassadeur suédois, adressée à WEI Yuming, vice-ministre des affaires économiques, en date du 29 mars 1982, disponible sur le site www.unctad.org/sections/dite/iia/docs/bits/china_sweden.pdf, consulté le 11 août 2007.
474
matière d’indemnisation dans les cas d’expropriation des investissements par l’État
hôte. De manière générale, les dispositions des accords qui prévoient l’arbitrage du
CIRDI comme moyen de règlement des différends prévoient aussi que dans les cas
d’expropriation où les disputes porteraient sur le montant de l’indemnité et les
différends qu’ils susciteraient ne pourraient pas être résolus par la négociation entre
l’État hôte et l’investisseur avant que six mois se soient écoulés, ces disputes peuvent
être soumises à l’arbitrage international devant un tribunal établi par les deux parties à
cet effet1525.
467. - Il en résulte que le recours à l’arbitrage international a été assujetti à deux
conditions. D’abord, le champ d’application de l’arbitrage international a été limité aux
différends portant sur le montant de l’indemnité en cas de dépossession ; ensuite,
l’arbitrage international devait être précédé par le règlement à l’amiable, par exemple
en procédant à une négociation pour régler les différends portant sur le montant de
l’indemnité. Le recours à l’arbitrage international a été davantage restreint par l’accord
franco-chinois. Ce dernier prévoit de multiples voies de recours. En vertu de l’article 8
de l’Accord franco-chinois, tout différend relatif aux investissements est réglé à
l’amiable, dans toute la mesure du possible, entre l’une des Parties contractantes et
l’investisseur de l’autre partie contractante. Si un différend n’a pas pu être réglé dans
un délai de six mois, il peut être réglé par l’une des procédures suivantes, choisie par
l’investisseur : une requête auprès des autorités administratives compétentes de la
Partie contractante ou une action en justice auprès des tribunaux compétents de la
Partie contractante. Ces voies de recours s’appliquent également aux différends portant
sur le montant de l’indemnité à verser en cas de dépossession. Si les différends portant
sur le montant de l’indemnité n’ont pas été réglés en satisfaisant les deux parties dans
un délai d’un an à partir du moment où ils ont été soulevés, ils peuvent être soumis à la
procédure d’arbitrage. Toutefois, si l’investisseur a recouru, soit à la requête auprès des
autorités administratives compétentes, soit à l’action en justice, et que les autorités
judiciaires ont définitivement statué dans le délai d’un an prévu à partir du moment où
1525 V., par exemple, article 13 (3) de l’Accord sur l’encouragement et la protection des investissements réciproques entre le gouvernement chinois et le gouvernement singapourien, 21 novembre 1985.
475
le différend a été soulevé, l’arbitrage international ne peut plus être appliqué1526. Ainsi,
L’Accord franco-chinois a ajouté une troisième restriction concernant le recours à
l’arbitrage international, à savoir que, si les recours internes ont été utilisés par
l’investisseur et qu’il n’existait pas de refus de justice, le recours à l’arbitrage
international sera considéré comme abandonné par l’investisseur. Jusqu’à présent, la
Chine n’a perdu aucune affaire devant des tribunaux d’arbitrage internationaux. Ce fait
peut s’expliquer comme étant l’effet des restrictions sur l’arbitrage international
imposées par ses accords bilatéraux. Ces restrictions faisaient obstacle à un recours
effectif international auquel les investisseurs étrangers seraient susceptibles de
recourir1527.
(2). – La « réserve » émise à propos de la compétence du CIRDI
468. - La position de la Chine consistant à limiter l’arbitrage international aux
différends relatifs au montant de l’indemnité en cas de dépossession, a été d’autant
plus solide qu’en vertu de l’article 25 (4) de la Convention du CIRDI, le gouvernement
chinois a notifié au CIRDI que seuls les différends portant sur le montant de
l’indemnité en cas de dépossession seraient susceptibles soumis à la compétence du
CIRDI1528 . Alors que l’adhésion à la Convention laisse entendre que les États
contractants considèrent favorablement les demandes émanant des investisseurs visant
à soumettre un différend au CIRDI, il peut cependant exister des catégories de
différends relatifs aux investissements que les gouvernements ne jugent pas
susceptibles d’être soumis au CIRDI. C’est pour éviter tout risque de malentendu que
1526 V., article 8, paragraphe 3 de l’Accord sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements entre la Chine et la France, entré en vigueur le 19 mars 1985. 1527 V., Kim M. ROONEY, « ICSID and BIT arbitrations and China », op. cit., p. 711. En même temps que les investissements étrangers en Chine rencontrent des obstacles à l’arbitrage international en vertu des anciens accords bilatéraux, les investisseurs chinois dans d’autres pays que la Chine ont tenté d’utiliser l’arbitrage international fourni par le CIRDI pour régler leurs différends avec l’État hôte. V., reportage Fernando CABRERA DIAZ, « Chinese investor launches BIT claims against peru and ICSID », Investment Treaty News, 2 mars 2007. 1528 V., Notifications concerning classes of disputes considered suitable or unsuitable for submission to the Centre, disponible sur le site http://www.worldbank.org/icsid/pubs/icsid-8/icsid-8-d.htm, consulté le 11 août 2007.
476
l’article 25 (4) autorise expressément les États contractants à émettre une notification
en la matière qui ne constitue pourtant pas une réserve apportée à la Convention du
CIRDI1529. Mais il n’empêche pas que la notification fonctionne en substance comme
une réserve émise à l’égard de la compétence du CIRDI quant au traitement des
différends issus des investissements étrangers. Les restrictions qui portaient sur le
recours à l’arbitrage international par les anciens accords ont traduit la volonté du
gouvernement chinois de cantonner au plan interne les différends entre l’État hôte et
les ressortissants étrangers, tout en contournant la menace qui pourrait peser sur son
intérêt d’État hôte en cas de procédure d’arbitrage international. Jugée insuffisante
pour la protection des investisseurs étrangers, la position conservatrice du
gouvernement chinois sur la question de l’arbitrage international s’est déjà assouplie
avec la conclusion par la Chine des accords bilatéraux dits de « nouvelle génération ».
B. – L’extension du champ d’application de l’arbitrage international
par les accords bilatéraux de « nouvelle génération »
469. - Par les accords dits de « nouvelle génération » que la Chine a conclus ces
dernières années, l’arbitrage international a été accepté concernant le traitement de tous
les différends issus des investissements dans lesquels la Chine est partie (1). Toutefois,
la Chine impose encore des limites à son acceptation de l’arbitrage international (2).
Ces limites devraient cependant être dépassées pour mieux assurer l’équilibre de la
relation entre l’État hôte et les investisseurs étrangers.
(1). – L’acceptation de l’arbitrage international portant sur tous les différends entre
l’État hôte et l’investisseur étranger
470. - À la fin des années 1990, les accords conclus par la Chine ont mené à
l’extension des catégories de différends susceptibles d’être traités par l’arbitrage
1529 Rapport des Administrateurs de la Banque Internationale pour la reconstruction et le développement sur la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États, in CIRDI, Convention et règlements du CIRDI, p. 45.
477
international1530. Par exemple, l’Accord sino-bostwanais entré en vigueur en 2000,
prévoit que tous les différends entre l’une des Parties contractantes et le ressortissant
de l’autre Partie contractante peuvent être soumis à l’arbitrage international fourni par
le CIRDI ou par d’autres tribunaux internationaux d’arbitrage ad hoc, à condition que
toutes les voies de recours internes doivent être préalablement épuisées par
l’investisseur1531. L’Accord sino-suédois tel qu’il a été amendé en 2004, a inséré un
nouvel article 6 admettant que toutes les catégories de différends peuvent être soumises
à l’arbitrage international, et les Parties contractantes s’engagent par conséquent à
exécuter les décisions d’arbitrage selon les règles du droit interne1532. En dépit des
critiques doctrinales selon lesquelles l’acception systématique de l’arbitrage
international et l’abandon de l’exigence d’épuisement des voies de recours internes
sont inappropriés pour la Chine en tant qu’État hôte pour la raison qu’il fait partie des
pays en voie de développement1533, le nombre des accords bilatéraux d’investissements
de « nouvelle génération » ne cesse de s’accroître. Les mêmes dispositions qui
traduisent l’acceptation universelle de l’arbitrage international figurent aussi dans les
autres accords bilatéraux récents dont la Chine fait partie1534.
471. - L’extension de la sphère de l’arbitrage international contribue à rendre
possible le règlement par l’arbitrage international de tous les différends relevant des
1530 L’accord entre la Chine et le Barbados conclu en 1998 est le premier qui prévoit l’arbitrage international s’appliquant à tous les différends entre l’État hôte et l’investisseur étranger. 1531 V., article 9, paragraphe 3 de l’Accord sur l’encouragement et la protection des investissements entre le gouvernement de la République Populaire de Chine et le gouvernement de la République du Bostwana. 1532 V., article 1er du Protocole sur l’amendement de l’Accord sur la protection réciproque des investissements entre le gouvernement chinois et le gouvernment du Royaume de Suède, entrée en vigueur le 27 septembre 2004. 1533 V., CHEN An (sous la dir. de), Guoji touzi de xinfazhan yu zhongguo shuangbian touzi tiaoyue de xinshsijian (Le développement contemporain du droit international concernant les investissements et les nouvelles pratiques des accords bilatéraux d’investissements conclus par la Chine), op. cit., pp. 371 à 380 ; v., ausssi, « Should the four great safeguards in Sino-foreign BITs be hastily dismantled? », 7 J. World Investment & Trade 899 (2006). 1534 V., par example, article 9 de l’Accord sur l’encouragement et la protection réciproque des investissements entre le gouvernement de la République Populaire de Chine et le gouvernement de la République Fédérale d’Allemagne, entré en vigueur le 11 novembre 2005 ; article 9 de l’Accord entre le gouvernement chinois et le gouvernement russe, signé le 9 novembre 2006 ; article 9 de l’Accord entre le gouvernement chinois et le gouvernement d’Inde, signé le 21 novembre 2006.
478
droits des investisseurs. En effet, la réserve de la Chine sur la compétence du CIRDI en
matière d’indemnisation en cas de dépossession n’est plus valable en vertu de la
Convention de Vienne sur le droit des traités qui prévoit les règles relatives à
l’application des traités successifs portant sur la même matière1535. Selon ces règles,
lors que toutes les parties au traité antérieur sont également parties au traité postérieur,
le traité antérieur ne s’applique que dans la mesure où ses dispositions sont
compatibles avec celles du traité postérieur1536. Il en résulte que les accords bilatéraux
de « nouvelle génération » rend caduc la réserve de la Chine sur la compétence du
CIRDI. D’ailleurs, l’apparition des accords bilatéraux de « nouvelle génération » aurait
pour effet de combler, par le biais de la clause de la nation la plus favorisée1537, la
lacune des anciens accords bilatéraux qui n’a pas prévu l’applicabilité de l’arbitrage
international sur tous les différends entre l’État hôte et l’investisseur étranger.
C’est-à-dire que la conclusion par la Chine des accords bilatéraux de « nouvelle
génération » peut élargir le champ d’application de l’arbitration international
auparavant limité par les anciens accords bilatéraux d’investissements étrangers.
L’extension de la compétence du tribunal d’arbitrage international est un avancement
significatif dans la mesure où les pratiques souveraines de l’État hôte peuvent ainsi être
encadrées par un mécanisme extérieur grâce à un arbitrage dont l’indépendance et la
neutralité sont mieux assurées. Quant aux mesures d’expropriation ou de
nationalisation prises par l’État hôte, elles peuvent faire l’objet d’un « contrôle »
extérieur, lorsque les investisseurs contestent leur légalité ou leur conventionnalité et
par conséquent les soumettent à l’arbitrage international sur la base des dispositions de
l’accord applicable.
472. - Il faut également souligner que l’extension de la compétence de l’arbitrage
international est encore renforcée par l’ « umbrella clause » qui figure presque
systématiquement dans les accords bilatéraux de « nouvelle génération ». Il s’agit 1535 V., Peter J. TURNER, « Investor-State arbitration », in Michael J. MOSER (éd.), Managing business disputes in today’s China, Duelling with dragons, Aspen Publishers, 2007, p. 234. 1536 V., article 30 (3), (4) (a) de la Convention de Vienne sur le droit des traités. La Chine a adhéré à la Convention le 5 mai 1997. 1537 V., Peter J. TURNER, « Investor-State arbitration », op. cit., p. 245; v., aussi, CIRDI, Gas Natural SDG SA c/ Argentine, n° ARB/03/10, décision sur des questions préliminaires relatives à la compétence, disponible sur le site http://www.asil.org/pdfs/GasNat.v.Argentina.pdf, consulté le 18 novembre 2008.
479
d’une disposition par laquelle l’État hôte des investissements s’oblige à respecter les
engagements qu’il a souscrits à l’égard des investisseurs de l’autre État contractant. En
d’autres termes, les obligations de l’État en droit interne sont assimilées à des
obligations résultant de l’accord international1538 . Par la conclusion des accords
bilatéraux de « nouvelle génération », la Chine a désormais accepté cette
disposition1539. On en déduit que cette disposition influe sur la compétence rationae
materiae du tribunal d’arbitrage saisi en vertu de l’accord bilatéral, car le tribunal
d’arbitrage pourra, le cas échéant, être appelé à trancher les demandes relatives aux
engagements internes de l’État. Il s’agit en effet des contrats de l’État auxquels s’étend
l’arbitrage international1540. Avec l’expansion des investissements de la Chine comme
État exportateur, surtout vers les pays en voie de développement, la Chine sera plus
que jamais motivée à modifier son ancienne position, en admettant la portée juridique
de l’ « umbrella clause » qui a vocation d’élargir la compétence de l’arbitrage
international aux engagements contractuels1541. Car en ce faisant, la Chine peut mieux
rassurer les investisseurs chinois leurs intérêts dans les États hôtes par le biais de
l’accord international d’investissement1542.
(2). – Les limites à l’acceptation de l’arbitrage international sur tous les différends
entre l’État hôte et l’investisseur étranger
473. - L’une de ces limites consiste en ce que le recours en droit interne est exigé
comme constituant la procédure précédant l’arbitrage international. Par exemple, le
1538 V., Éric TEYNIER, « Umbrella clause : le temps se couvre », Gazette du Palais, n° 348, 14 décembre 2006, p. 30. 1539 V., par ex., article 9 (2) de l’Accord entre la Chine et la Jordanie, signé le 5 novembre 2001; article 13 (2) de l’Accord entre la Chine et la Trinité et Tobago, signé le 22 juillet 2002 ; article 3 (4) de l’Accord entre la Chine et les Pays-Bas, signé le 26 novembre 2001. 1540 V., Sophie LEMAIRE, notes sous la Décision du 25 septembre 2007, Comité ad hoc, CMS Gas Transmission Company c/ République d’Argentine, affaire CIRDI n° ARB/01/8, Revue de l’arbitrage, 2007, n° 4, pp. 905 à 910. 1541 V., Ko-Yung TUNG, Rafael COX-ALOMAR, « The new generation of China BITS in light of Tza Yap SHUM v. Republic of Peru », 17 Am. Rev. Int’l Arb. 461, pp. 465 à 467. 1542 V., ZHANG Lu, « Take care, Chinese enterprises going abroad will be well served by taking advantage of investment treaties », Chinese Business Weekly, 25-31 juillet 2005, p. 6.
480
Protocole à l’Accord sino-allemand précise les conditions dans lesquelles peut être
invoqué l’arbitrage international. Primo, avant de pouvoir invoquer l’arbitrage
international pour régler les différends dans lesquels l’État chinois est défendant, les
ressortissants allemands doivent avoir préalablement sollicité la révision administrative
selon le droit chinois, alors que les différends demeurent non résolus après trois mois à
partir du moment où est déclenchée la procédure de révision administrative. Secundo,
au cas où les ressortissants allemands auraient porté plainte en justice, ils doivent
retirer leurs actions en justice avant d’invoquer l’arbitrage international. La spécificité
de l’Accord sino-allemand réside dans la disposition qui prévoit le recours à la révision
administrative comme condition préalable à l’arbitrage international. Toutefois, cette
condition ne s’applique qu’aux ressortissants allemands, par conséquent, semble être
incompatible avec le principe de traitement national des investisseurs en matière de
règlement des différends. L’Accord sino-espagnole1543, l’Accord sino-finlandais1544,
ainsi que l’Accord sino-suédois tel qu’il a été amendé en 2004, insistent également sur
cette exigence procédurale apparemment inégale. En revanche, selon certains autres
accords récemment conclus par la Chine avec les pays européens, la révision
administrative comme condition préalable à l’arbitrage international s’applique sans
distinction aux ressortissants des deux Parties contractantes1545. Quant à la raison de
l’insistance du gouvernement chinois pour insérer la procédure de la révision
administrative préalable à l’arbitrage international, il faut évoquer l’adoption en 1999
de la loi sur la révision administrative en Chine qui coïncide avec l’avènement des
accords bilatéraux de « nouvelle génération ». En effet, la loi sur la révision
administrative prévoit les procédures par lesquels les administrés peuvent demander la
révision par l’organe administratif supérieur des décisions administratives de l’organe
administratif inférieur qu’ils contestent. L’objectif est d’assurer la légalité des actes
1543 V., Protocole sur l’article 9 de l’Accord entre le gouvernement chinois et le gouvernement espagnole, signé le 14 novembre 2005. 1544 V., Protocole sur l’article 9 de l’Accord entre le gouvernement chinois et le gouvernement finlandais, signé le 15 novembre 2004. 1545 V., par exemple, article 3 du Protocole à l’Accord entre le gouvernement chinois et le gouvernement russe, signé le 9 novembre 2006 ; article 5 du Protocole à l’Accord entre le gouvernement chinois et le gouvernement portugais, signé le 9 décembre 2005 ; article 9 de l’Accord entre le gouvernement chinois et le gouvernent tchèque, signé le 9 décembre 2005.
481
administratifs non pas par la voie de contentieux judiciaire mais par le mécanisme de
contrôle établi à l’intérieur du système administratif, ce qui pourrait par conséquent
soulager la charge des requêtes admises par les juridictions1546. La loi sur la révision
administrative prévoit, comme principe, que les administrés peuvent faire le choix
entre le contentieux juridictionnel et la révision administrative concernant les actes
administratifs qu’ils contestent, à l’exception de ceux pour lesquels la révision
administrative constitue la procédure obligatoire et préalable au contentieux
juridictionnel1547. Les accords susmentionnés qui exige la révision administrative
comme étant la procédure préalable et obligatoire à l’arbitrage international correspond
donc à la disposition de la loi dans la mesure où les différends entre l’investisseur
étranger et la Chine comme État hôte sont assimilés à ceux nés entre l’administré et
l’organe administratif en droit interne. Cependant, les accords bilatéraux
susmentionnés ont bien supprimé la possibilité pour l’investisseur étranger de faire le
choix entre la révision administrative et le contentieux juridictionnel. Selon certains
auteurs, la pratique ne traduit pas la méfiance du gouvernement chinois vis-à-vis de
l’arbitrage international, mais sa volonté de renforcer l’effectivité de la nouvelle loi sur
la révision administrative à travers l’application des accords bilatéraux
d’investissements1548.
474. - Outre la limite établie à l’égard de la relation entre la révision administrative
et l’arbitrage international, il y a d’autres problèmes qui doivent être relevés
concernant la mise en oeuvre des accords de « nouvelle génération ». Premièrement,
reste incertaine la question de savoir si les investisseurs –ressortissants des États qui
ont conclu les accords bilatéraux avec la Chine sans toutefois avoir élargi l’arbitrage
international à tous les différends– peuvent bénéficier des accords de « nouvelle
génération » en invoquant le traitement de la nation la plus favorisée1549. La réponse à
1546 V., Albert Hung-yee CHEN, An introduction to the legal system of the People’s Republic of China, 2004, pp. 228 et s. 1547 V., articles 14 et 16 de la loi sur la révision administrative. 1548 Stephan W. SCHILL, « Tearing down the Great Wall: the new generation investment treaties of the People’s Republic of China », op. cit., pp. 93 à 94. V., aussi, Susan D. FRANCK, « Foreign direct investment, investment treaty arbitration and the rule of law », 19 Pac. McGeorge Global Bus. & Dev. L.J. 337, p. 359. 1549 V., Kim M. ROONEY, « ICSID and BIT arbitrations and China », op. cit., pp. 707, 708.
482
la question dépend de l’interprétation que l’on donne sur l’étendue de l’application du
traitement de la nation la plus favorisée. La jurisprudence récente du CIRDI a refusé
toutefois d’étendre l’applicabilité du traitement de la nation la plus favorisée aux droits
procéduraux des investisseurs1550. Ainsi peut-on en déduire que l’élargissement de
l’arbitrage international par les accords de « nouvelle génération » ne peut pas
bénéficier aux investisseurs couverts par les anciens accords dont la Chine est Partie
contractante. Cependant, il est possible que l’élargissement de la compétence de
l’arbitrage international soit reconnu par le revirement de la jurisprudence du CIRDI
ou par les tribunaux d’arbitrage internationaux ad hoc. D’où l’incertitude sur l’étendu
de la compétence de l’arbitrage international en vertu des anciens accords conclus par
la Chine.
Deuxièmement, alors que les accords de « nouvelle génération » ont élargi
l’arbitrage international à tous les différends concernant les investissements, le
gouvernement chinois n’a pas retiré sa notification au CIRDI sur la base de l’article 25
(4) de la Convention de Washington. Pour mettre les accords de « nouvelle
génération » en cohérence avec les engagements de la Chine sous la Convention de
Washington, il est donc souhaitable d’abandonner officiellement ladite notification, en
reconnaissant la compétence du CIRDI sur tous les différends d’investissement dans
lesquels la Chine est partie en tant qu’État hôte.
Enfin, l’élargissement de l’arbitrage international sur tous les différends
d’investissement doit être complété par les mécanismes d’exécution des décisions des
tribunaux d’arbitrage en droit interne, alors que l’immunité souveraine reste l’obstacle
majeur en la matière. Pour rassurer les investisseurs étrangers, le gouvernement chinois
ne doit l’invoquer qu’en des circonstances bien délimitées. Certes, la législation et les
pratiques sur l’immunité souveraine en Chine demeurent peu développées et
imprévisibles. D’où l’incertitude sur l’effectivité de l’élargissement de l’arbitrage
international par les accords d’investissement de « nouvelle génération ».
1550 V., CIRDI, Telenor Mobile Communications AS c/ République de Hongrie, n° ARB/04/15, §§ 90 à 95 ; Plama Consortium Limited c/ République de Bulgarie, n° ARB/03/24, § 223.
483
§ 2. – Les garanties procédurales de règlement des différends à l’amiable
475. - De manière constante, les accords bilatéraux conclus par la Chine ont insisté
sur le règlement des différends à l’amiable. L’adhésion de la Chine à la Convention du
CIRDI et à la Convention de Séoul –à l’origine de la création de l’Agence
Multilatérale de Garantie des Investissements (AMGI)– a renforcé sa position sur la
question du règlement des différends à l’amiable. En accordant son consentement à la
compétence du CIRDI en matière de conciliation et sur d’autres moyens
supplémentaires (A), ainsi qu’au mandat de l’AMGI en matière de médiation (B), la
Chine s’est engagée à admettre l’intervention des organes internationaux pour aider à
régler les différends. Il semble que le règlement à l’amiable s’accommode mieux de la
tendance dans laquelle s’inscrivent de plus en plus d’affaires « dans lesquelles
l’investisseur ne prétend pas que l’État s’est approprié son investissement, mais lui fait
grief d’avoir adopté une mesure ou un comportement préjudiciable à son
investissement »1551. Outre les bénéfices apportés par l’impartialité et l’indépendance
des organes internationaux, les investisseurs étrangers peuvent tirer les conséquences
positives des conciliations et médiations ainsi institutionnalisées, qui sont moins
coûteuses1552, plus flexibles et souvent plus efficaces pour arriver à une solution ou
tout au moins prévenir l’aggravation des conflits entre l’État hôte et l’investisseur1553.
C’est la raison pour laquelle les accords bilatéraux conclus par la Chine ont mis
l’accent sur le règlement des différends à l’amiable dont l’utilisation constitue la
composante des garanties procédurales des droits et intérêts des investisseurs étrangers.
1551 Sébastien MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage entre États et ressortissants d’autres États : Trente années d’activité du CIRDI, op. cit., p. 440. 1552 Linda C. REIF, « Conciliation as a mechanism for the resolution of international economic and business disputes », 14 Fordham International Law Journal 580, (1990-1991), p. 628. 1553 V., Ibrahim F. I. SHIHATA, « The settlement of disputes regarding foreign investment: the role of the World Bank, with particular reference to ICSID and MIGA », op. cit., p. 115; Christopher M. KOA, « The international Bank for Reconstruction and Development and dispute resolution: Conciliating and arbitrating with China through the International Centre for Settlement of Investment Dispute », op. cit., pp. 441 et 442; Erik LANGELAND, « The viability of conciliation in international dispute resolution », 50-SEP Disp. Resol. J. 34, p. 35.
484
A. – Le règlement à l’amiable des différends dans le cadre du CIRDI
476. - Par son caractère flexible et non contraignant, le mécanisme de règlement à
l’amiable des différends qui est établi par la Convention du CIRDI (1) correspond à la
préférence des accords bilatéraux sur la mode de règlement des différends (2), d’autant
plus que la Chine considère le règlement à l’amiable comme le choix prioritaire quant
à la résolution des différends.
(1). – Le mécanisme de règlement à l’amiable établi par la Convention du CIRDI
477. - Le Chapitre III de la Convention du CIRDI dispose de la conciliation entre un
État contractant et les ressortissants d’un autre État contractant. L’article 28 de la
Convention du CIRDI prévoit qu’un État contractant ou le ressortissant d’un autre État
contractant qui désire entamer une procédure de conciliation doit adresser une requête
écrite au Secrétaire général. La procédure de conciliation est déclenchée dès que la
requête est enregistrée par le Secrétaire général et dès que l’enregistrement de la
requête est notifié aux parties1554. La demande en conciliation est d’autant plus facilitée
que la Convention du CIRDI n’exige pas le consensus préalable des deux parties
comme condition préalable à la procédure de conciliation. Alors que la Convention
laisse aux parties une grande marge de discrétion quant à la construction de la
Commission de conciliation, elle s’attache à empêcher que la procédure de conciliation
n’échoue par suite du défaut d’accord des parties ou du manque de coopération de
l’une d’entre elles1555. En effet, étant donné le caractère consensuel des procédures
prévues par la Convention, lors d’une procédure de conciliation, les parties peuvent se
mettre d’accord sur les règles de procédure à appliquer ; toutefois, le Règlement de
conciliation adopté par le Conseil administratif s’applique dans la mesure où les parties
n’ont pas convenu autrement1556. D’ailleurs, à la différence de la procédure d’arbitrage,
la procédure de conciliation se caractérise par le but de la Commission consistant à 1554 V., article 1er du Règlement de procédure relatif aux instances de conciliation, adopté par le Conseil administratif du CIRDI en vertu de l’article 6 (1) (c) de la Convention du CIRDI. 1555 V., CIRDI, Rapport des Administrateurs sur la Convention du CIRDI, § 35. 1556 V., article 33 de la Convention du CIRDI.
485
rapprocher les parties, en leur proposant des solutions non contraignantes.
478. - Par le Règlement du Mécanisme supplémentaire adopté par le Conseil
administratif du CIRDI, le Secrétariat du CIRDI est autorisé à administrer certaines
procédures entre États et ressortissants d’autres États qui ne sont pas dans le champ
d’application de la Convention du CIRDI. Il s’agit de procédures de constatation des
faits, de procédures de conciliation ou d’arbitrage pour le règlement de différends
relatifs aux investissements surgissant entre des parties dont l’une n’est ni un État
contractant ni le ressortissant d’un État contractant, et en fin, de procédures de
conciliation ou d’arbitrage entre des parties dont l’une au moins est un État contractant
ou le ressortissant d’un État contractant pour le règlement de différends ne résultant
pas directement d’un investissement, à condition que la transaction sous-jacente ne soit
pas une transaction commerciale ordinaire1557.
(2). – La préférence des accords bilatéraux sur le règlement à l’amiable des différends
479. - Dans les accords bilatéraux d’investissements conclus par la Chine, le
règlement à l’amiable des différends est placé en amont parmi les choix qui sont
ouverts à l’État hôte et à l’investisseur étranger. Par exemple, l’article 8, alinéa 1er, de
l’Accord franco-chinois dispose que « tout différend relatif aux investissements entre
l’une des Parties contractantes et l’investisseur d’une autre Partie contractante est
autant que possible réglé à l’amiable entre les parties du litige ». L’expression «
autant que possible » traduit donc la préférence du règlement à l’amiable sur d’autres
formes de recours. Et en vertu de l’aliéna 2 du même article, ce n’est qu’après
l’écoulement d’un délai de six mois à partir du moment où le règlement du différend à
l’amiable est soulevé que d’autres formes de recours peuvent être utilisées. La
préférence en matière de règlement des différends à l’amiable figure également dans
d’autres accords bilatéraux, par la pareille formulation des dispositions relative au
règlement des différends. Il en est ainsi, par exemple, de l’article 10 de l’Accord entre
l’Union économique Belgo-luxembourgeoise et le gouvernement chinois, conclu le 4
juin 1984 ; de l’article 8, alinéa 1er de l’Accord entre le gouvernement du 1557 CIRDI, Règlement du mécanisme supplémentaire, avril 2006, p. 5.
486
Royaume-Uni et le gouvernement chinois. La préférence au règlement à l’amiable est
maintenue même dans les accords de « nouvelle génération ». Il s’agit, par exemple, de
l’article 9, alinéas 1er et 2, de l’Accord entre le gouvernement allemand et le
gouvernement chinois conclu le 1er décembre 2003 ; de l’article 10, alinéa 1er de
l’Accord entre le gouvernement néerlandais et le gouvernement chinois conclu en 1985
et modifié en 2001 ; de l’article 9, alinéa 1er du deuxième accord bilatéral
d’investissement entre le gouvernement finlandais et le gouvernement chinois conclu
le 15 novembre 2004.
480. - Il faut toutefois souligner que la conciliation et le mécanisme supplémentaire
de règlement des différends ont été relativement peu utilisés dans la pratique du
CIRDI1558, et ce, en dépit des accords conclus par la Chine sur le règlement amiable
des différends. Mais la préférence portant sur le règlement des différends
d’investissement qui s’enracine dans la tradition chinoise en matière de traitement des
conflits commerciaux peut conduire, à l’avenir, à accepter plus aisément la conciliation
du CIRDI1559. Cette hypothèse a été d’autant plus fondée qu’il existait un cas concret
dans lequel ont été évités d’éventuels contentieux entre des investisseurs étrangers et
l’autorité gouvernementale chinoise grâce à la médiation de l’AMGI.
B. – La médiation de l’AMGI
481. - En intégrant la médiation dans l’exécution du contrat de garantie des
investissements, le mécanisme de médiation établi par la Convention de Séoul (1)
facilite l’intervention de l’AMGI dans la prévention des différends d’investissements.
En témoigne l’expérience de médiation de l’AMGI en Chine (2).
1558 CIRDI, Rapport annuel 2004, p. 3; Ucheora, ONWUAMAEGBU, « The role of ADR in investor-State dispute settlement: the ICSID experience”, in News from ICSID, vol. 22, n° 2, 2005, p. 14. 1559 Christopher M. KOA, « The International Bank for Reconstruction and Development and dispute resolution: conciliating and arbitrating with China through the International Centre for Settlement of Investment Dispute », op. cit., p. 488; v., aussi, Thomas PEELE, Marsha A. COHAN, « Dispute resolution in China », CHINA BUS.REV., Sept.-Oct. 1988, p. 46; William B. GRENNER, « The evolution of foreign trade arbitration in the People’s Republic of China », 21 N.Y.U.J.INT'L L. & POL. 293 (1989).
487
(1). – Le mécanisme de médiation établi par la Convention de Séoul
482. - Encourager le règlement à l’amiable des différends entre investisseurs et pays
d’accueil est l’un des mandats de l’AMGI, selon l’article 23 b) (i) de la Convention de
Séoul1560. La Chine a ratifié la Convention le 30 avril 1988 et depuis lors, l’AMGI a
joué un rôle actif pour la promotion des investissements directs en Chine1561. Dans le
cadre du contrat de garantie établi avec l’AMGI, la médiation intervient notamment sur
l’initiative des investisseurs dans leur volonté d’être rassurés concernant leurs
investissements dans l’État hôte. En effet, au cas où certains problèmes qui pourraient
être qualifiés de risques garantis surgiraient dans l’État hôte, les investisseurs peuvent
les signaler à l’attention de l’AMGI afin de les résoudre sous l’égide de celle-ci. Si les
problèmes ne sont pas réglés dans un temps adéquat, des indemnités doivent être
versées par l’AMGI à l’investisseur. L’intervention préalable au versement des
indemnités par l’AMGI s’est avérée efficace pour parvenir au règlement à l’amiable
des différends1562. En effet, selon la règle de subrogation, dès lors qu’elle verse ou
accepte de verser une indemnité à un investisseur garanti, l’AMGI est subrogée dans
les droits ou créances dont peut disposer l’investisseur garanti. Les droits ainsi
conférés à l’AMGI sont reconnus par les États membres de la Convention1563 .
L’acceptation de la médiation de l’AMGI est d’autant plus facilitée que les pays
d’accueils se révèlent enclins à éviter l’exercice ultérieur des droits de subrogation par
l’AMGI qui a lieu après le versement des indemnités.
1560 Conclue à seoul le 11 octobre 1985 et entrée en vigueur le 12 avril 1988. V., aussi Commentaire sur la Convention portant création de la MIGA, paragraphe 43, disponible sur le site http://www.miga.org/sitelevel2/level2.cfm?id=1108. 1561 V., Lorin WEISENFELD, « MIGA in China », Transnational Dispute Management, Vol. 3, n° 2, avril 2006; Angela GENTILE, Philippe VALAHU, « MIGA in China », China Business Review, disponible sur le site http://www.chinabusinessreview.com/public/0403/miga.html, consulté le 12 août 2007. 1562 V., Lorin WEISENFELD, « MIGA after fifteen years », in CHEN An (éd.), Guoji jingjifa niankan (Journal of International Economic Law), Vol. 9, 2004, p. 185; MIGA, Setting disputes through mediation, disponible sur le site http://www.miga.org/sitelevel2/level2.cfm?id=1061, consulté le 13 août 2007. 1563 V., article 18 a), b) de la Convention portant création de la MIGA.
488
(2). – L’expérience de médiation de l’AMGI en Chine
483. - L’utilité de la médiation dans la prévention des différends d’investissement a
eu l’occasion de se manifester à travers un cas concret en Chine1564. C’était une affaire
relevant de la société américaine El Paso Corporation. À la fin des années 90, des
gouvernements locaux de la province du Jiangsu décidèrent de réduire le prix d’achat
de l’électricité auparavant fixé par les contrats qu’ils eurent établis avec les usines
génératrices sous forme d’entreprises à capitaux étrangers dont les actions majoritaires
furent détenues par la société américaine El Paso Corporation. En tant qu’investisseur
étranger, celle-ci prétendit avoir subi de lourdes pertes découlant de la modification
unilatérale des clauses du contrat décidée par les gouvernements locaux. Après de
vaines négociations avec les gouvernements locaux, l’investisseur signala l’affaire à
l’AMGI afin d’obtenir une assistance pour régler ce problème. En effet, à la demande
de l’investisseur et sous l’approbation de l’autorité gouvernementale compétente de la
Chine, l’AMGI avait garanti les investissements contre les risques politiques –y
compris l’expropriation– concernant la violation du contrat. Selon l’investisseur
américain, la réduction unilatérale du prix d’achat par les gouvernements locaux
chinois constituait par sa nature et ses conséquences un risque d’expropriation au sens
large qui était couvert par le contrat de garantie. Cette thèse était partagée par l’AMGI,
qui entrait par la suite dans des discussions avec les autorités locales chinoises. Alors
que ces dernières exprimait toujours leur volonté de régler la dispute à l’amiable afin
de se dispenser du versement de l’indemnité, elles refusaient à admettre que la
modification unilatérale du contrat constituait une expropriation. Pour justifier leur
position, les autorités locales soulignaient qu’elles avaient agi de bonne foi en
exécutant la politique du gouvernement central destinée à la protection des
consommateurs d’électricité : en résumé, selon les autorités locales chinoises, l’intérêt
légitime de l’État hôte dans la réglementation des investissements l’emportait dans
cette affaire sur les droits des investisseurs. La médiation de l’AMGI s’établissait à
1564 V., MIGA, Agency averts claim for power project in China, 13 janvier 2005, le reportage est disponible sur le site http://www.miga.org/sitelevel2/level2.cfm?id=1173#highlights, consulté le 11 août 2007.
489
travers de longues négociations. En s’appuyant sur le principe pacta sunt servanda,
l’AMGI insistait sur la violation du contrat par les autorités chinoises qui constituait
une mesure d’expropriation. Finalement, les gouvernements locaux chinois et
l’investisseur américain furent parvenus à un compromis. L’affaire fut résolue puisque
les gouvernements locaux émirent leur accord en s’engageant à compenser les pertes
de la société américaine par le réaménagement du contrat d’investissement avec
celle-ci, tout en évitant le versement des indemnités imposé par l’AMGI en vertu du
contrat de garantie. Les gouvernements locaux chinois déclarèrent satisfaits du résultat
de la médiation et apprécièrent l’assistance de l’AMGI dans l’affaire1565. Cet exemple
d’intervention de l’AMGI a montré l’importance de la méthode coopérative dans le
règlement des différends. Pour la Chine, cette expérience de participation à la
médiation fournie par l’AMGI peut nourrir sa confiance concernant l’intervention des
organes internationaux qui se comportent comme des « courtiers honnêtes» quand il
s’agit de parvenir à un règlement à l’amiable des différends.
SECTION II. – L’INTERNATIONALISATION DU DROIT CHINOIS EN
MATIÈRE DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
484. - La protection de la propriété intellectuelle s’internationalise dans les deux
domaines de la protection des droits fondamentaux et du droit international
économique. En premier lieu, la propriété intellectuelle bénéficie de la protection des
droits fondamentaux : en droit français, l’article L. 111-1 du Code de la propriété
intellectuelle fait naître, pour la personne qui est l’auteur d’une oeuvre de l’esprit, et
relativement à ce bien, « un droit de propriété incorporelle, exclusif et opposable à
tous ». Alors qu’aucun des modes d’acquisition des biens énumérés par le Code civil
n’était apte à permettre l’établissement d’un rapport de propriété entre les créations
immatérielles et leurs auteurs ou leurs possessions, le pouvoir d’exclusivité reconnu
par l’article 544 du Code civil « fait que les créations immatérielles entrent dans la
sphère de cette disposition », et par conséquent, « les propriétés incorporelles sont des
propriétés », sous les aménagements qui donnent à l’article 544 du Code civil des 1565 Lorin WEISENFELD, « MIGA after fifteen years », op. cit., p. 175.
490
corps particuliers de règles1566. Sur le plan européen, la propriété intellectuelle fait
désormais l’objet d’une mention explicite à l’article 17, paragraphe 2, de la Charte des
droits fondamentaux de l’Union européenne, en raison de son importance croissante et
en l’absence d’harmonisation complète des droits de propriété intellectuelle dans le
cadre communautaire1567. Alors que la Charte ne retient qu’une formulation assez
générale –« la propriété intellectuelle est protégée »– en raison des divergences des
droits internes des États membres1568, la protection de la propriété intellectuelle entre
dans le champ du droit communautaire notamment dans le cadre du marché unique où
la législation communautaire intervient pour harmoniser des règles nationales1569. En
vertu de la Charte, les garanties prévues au paragraphe 1er de l’article 17 s’appliquent
de façon appropriée à la propriété intellectuelle1570. L’essentiel de la rédaction du
paragraphe 2 de l’article 17 tient au fait que la propriété intellectuelle y est
mentionnée1571. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme affirme
1566 Thierry REVET, « Le Code civil et le régime des biens : questions pour un bicentenaire », Droit et Patrimoine, n° 124, mars 2004 ; Christophe CARON, « Du droit des biens en tant que droit commun de la propriété intellectuelle », loc. cit. Contra, Christian ATIAS, Droit civil les biens, 8e éd., Litec, 2005, n° 651. 1567 Jaqueline DUTHEIL DE LA ROCHERE, « La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », Juris-Classeur, fasc. 160, 2001, n° 67. 1568 On rappelle que le paragraphe 2 de l’article 17 est dû à une proposition formulée par M. Braibant vers la fin des travaux de la Convention et qu’il a eu beaucoup de mal à faire accepter. Les objections faites tenaient à la difficulté et à la complexité du sujet et peut-être aussi aux différentes conceptions qui s’opposent sur ces questions, notamment entre l’Europe continentale et les pays anglo-saxons. Certains membres de la Convention ont soutenu que l’amendement proposé par M. BRAIBANT serait inutile parce que la propriété intellectuelle était couverte par des dispositions générales sur le droit de propriété. Certes, la raison d’insérer la propriété intellectuelle selon M. BRAIBANT tient à ce que l’un des éléments essentiels de la propriété littéraire et artistique est constitué par le droit moral de l’auteur, qui est étranger à la définition générale de la propriété ; de même les œuvres protégées tombent dans le domaine public après un certain délai et peuvent, dès lors, être reproduites librement. V., Guy BRAIBANT, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Paris, Édition du Seuil, 2001, p. 144. 1569 Par excellence, le règlement du Conseil (CE) no 40/94 du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire reconnaît dans son article 24 « la demande de marque communautaire comme objet de propriété ». 1570 V., Texte des explications relatives au texte complet de la Charte, Bruxelles, le 19 octobre 2000, CHARTE 4473/1/00 REV 1. 1571 Guy BRAIBANT, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Paris, Édition du Seuil, 2001, p. 144. Il existait des divergences sur la qualification de la propriété intellectuelle comme droit de l’homme fondamental : pour les uns, la propriété intellectuelle doit être garantie en tant que
491
sans équivoque l’applicabilité de l’article 1er du Protocole n° 1 à la propriété
intellectuelle 1572 . Sur le plan mondial, l’Organisation mondiale de la propriété
intellectuelle affirme également que les droits de propriété intellectuelle sont des droits
de propriété comme les autres1573; ces droits protègent les intérêts des créateurs en leur
reconnaissant le droit de propriété sur leur création1574.
485. - Avec l’apparition de l’Accord sur les Aspects des Droits de Propriété
Intellectuelle qui Touchent au Commerce (ADPIC), l’internationalisation du droit de
propriété intellectuelle se voit renforcée dans le domaine du droit international
économique. Le renforcement de la protection des droits de propriété intellectuelle au
niveau mondial ne suscite pas moins de problèmes quant au règlement des conflits
entre le régime relatif aux droits de propriété intellectuelle contenu dans l’Accord sur
les ADPIC et le droit international relatif aux droits de l’homme, dans la mesure où
l’application de l’Accord sur les ADPIC fait l’obstacle au transfert de technologies vers
les pays en développement1575. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels
a bien souligné que les droits de propriété intellectuelle sont instrumentaux, en ce
qu’ils sont des moyens dont les États peuvent se servir pour promouvoir l’esprit
d’innovation et de créativité, pour encourager la diffusion de productions créatives et
droit fondamental, comme la propriété tout court, v., par ex., Giuseppe SENA, « Propriété intellectuelle en tant que droit fondamental », in Les nouveaux droits de l’homme en Europe, Bruylant, Bruxelles, 1999, p. 231. Toutefois, pour certains auteurs, tous les droits de propriété intellectuelle ne sont pas des droits de l’homme en tant que droits de propriété : le droit d’auteur ressemble sans doute beaucoup au droit de propriété, mais, cela peut difficilement fonder sa qualification en tant que droit de l’homme. V., par ex., Michel VIVANT, « Le droit d’auteur, un droit de l’homme ? », Revue Internationale du droit d’auteur, 1997, p. 85. 1572 La jurisprudence européenne en la matière est abondante, par ex., Commission Européenne des droits de l’homme, Smith Kline et French Laboratories Ltd c. Pays Bas, no 12633/87, décision du 4 octobre 1990, Décisions et rapports (DR) 66, p. 70 ; Lenzing AG c. Royaume-Uni, no 38817/97, décision du 9 septembre 1998, décision non publiée; British-American Tobacco Company Ltd c. Pays-Bas, 20 novembre 1995, série A no 331,avis de la Commission, p. 37, §§ 71-72 ; Hiro Balani c. Espagne, 9 décembre 1994, série A no 303-B, p. 30, § 28 ; Melnitchouk c. Ukraine (déc.), no 28743/03, CEDH 2005-IX ; Breierova et autres c. République tchèque (déc.), no 57321/00, 8 octobre 2002. 1573 L’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, Qu’est-ce que la propriété intellectuelle ?, publication de l’OMPI, n° 450 (F), p. 3. 1574 L’Organisation Mondiale de Propriété Intellectuelle, Understanding Industrial Property, publication de l’OMPI, n° 895 (E), p. 3. 1575 Sous-Commission des droits de l’homme, Droits de propriété intellectuelle et droits de l’homme, Résolution 2000/7, 25e séance, 17 août 2001; Résolution 2001/21, 26e séance, 16 août 2001.
492
innovantes, ainsi que le développement d’identités culturelles, et pour préserver
l’intégrité des productions scientifiques, littéraires et artistiques, dans l’intérêt de la
société dans son ensemble1576. S’inscrivant dans la recherche d’une conciliation entre
droits de l’homme et marché, l’adoption successive de la Déclaration sur l’Accord sur
les ADPIC et la santé publique1577, la Décision sur la mise en œuvre du paragraphe 6
de la Déclaration de Doha sur l’accord sur les ADPIC et la santé publique1578 et la
Décision sur l’amendement de l’Accord sur les ADPIC1579 ouvre la voie à « un ‘bien
public mondial’ confronté au droit des brevets »1580.
486. - Le droit chinois participe aussi à cette internationalisation du droit de
propriété intellectuelle qui se situe dans le processus de l’émergence d’une
communauté de valeurs que le droit a pour rôle d’ordonner. Les normes internationales
sont intégrées dans l’ordre juridique chinois du fait de la conclusion des accords
bilatéraux relatifs à la protection des droits de propriété intellectuelle, de l’adhésion à
l’Accord sur les ADPIC et de la ratification de la Décision sur l’amendement de
l’Accord sur les ADPIC1581 (Sous-section 1). En plus des travaux législatifs de
transposition en vue de se rapprocher du critère international de la protection des
propriétés intellectuelles, la mise en oeuvre effective des droits demeure un pas à
franchir. Sur le plan international, notamment dans le cadre de l’OMC, l’exécution par
le gouvernement chinois de ses engagements en matière de protection des droits de
propriété intellectuelle demeure la première préoccupation des partenaires
commerciaux de la Chine1582 . La mise en oeuvre des garanties de la propriété
1576 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, trente-cinquième session (2005), Le droit de chacun de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur (par. 1 c) de l’article 15 du Pacte), Observation générale n° 17, 12 janvier 2006, E/C.12/GC/17, paragraphe 1. 1577 Adoptée le 14 novembre 2001 par la 4e Conférence ministérielle de l’OMC tenue à Doha. 1578 Adoptée par le Conseil général le 30 août 2003. 1579 Adoptée par le Conseil général le 6 décembre 2005. 1580 V., Mirelle DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (IV) : vers une communauté de valeurs, à paraître. 1581 La Chine a publié le Décret du 29 novembre 2005 pour transposer dans son droit interne les règles de l’OMC concernant la modification de l’Accord sur les ADPIC relatives à la santé publique. V., Junmin REN, « La transposition et la mise en oeuvre des dispositions de l’OMC en faveur de la santé publique : le cas du droit chinois », Revue internationale de droit comparé, 2008, pp. 168 et s. 1582 V., OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, République Populaire de
493
intellectuelle en Chine demeure soumise à l’insistance répétée de la communauté
internationale. Avec l’entrée de la Chine à l’OMC, la transposition et l’application
concrète des normes internationales contenues dans l’Accord sur les ADPIC sont
désormais les deux principaux aspects de l’internationalisation du droit chinois en
matière de propriété intellectuelle. Encore faut-il souligner que dans un long terme
l’importance de l’Accord sur les ADPIC peut s’étendre à d’autres domaines du droit
chinois, y compris en ce qui concerne la protection de la propriété (Sous-section 2).
Sous-section 1. – L’intégration des normes internationales de propriété
intellectuelle dans l’ordre juridique interne chinois
487. - Depuis le lancement de la politique d’ouverture, le gouvernement attache
l’importance particulière à la construction du droit de propriété intellectuelle. Pendant
vingt ans, la Chine fit partie de la majorité des conventions internationales en matière
de propriété intellectuelle1583. L’accession de la Chine à l’OMC a pour fonction de
consolider les engagements internationaux pris par la Chine en matière de protection
des droits de propriété intellectuelle, non seulement sur le plan législatif, mais surtout
au regard de l’effectivité des normes transposées. L’intégration des normes
internationales de propriété intellectuelle dans l’ordre juridique interne chinois passe
Chine (révision), WT/TPR/S/161/Rev.1, 26 juin 2006, Observations récapitulatives, p. xiii. 1583 Depuis son adhésion à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (WIPO) en 1980, la Chine a adhéré successivement à une dizaine de conventions et d’accords internationaux multilatéraux. Il s’agit de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, du Traité de coopération en matière de brevets, du Traité de Budapest sur la reconnaissance internationale du dépôt des micro-organismes aux fins de la procédure en matière de brevets, de l’Arrangement de Locarno instituant une classification internationale pour les dessins et modèles industriels, de l’Arrangement de Madrid concernant l’enregistrement international des marques, de l’Arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du Protocole relatif à l’Arrangement de Madrid concernant l’enregistrement international des marques, de la Convention internationale pour la protection des obtentions végétale, de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, de la Convention universelle sur le droit d’auteur, de la Convention pour la protection des producteurs de phonogrammes contre la reproduction non autorisée de leurs phonogrammes. En date du 9 mars 2007, la Chine a ratifié le Traité sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, le Traité sur le droit d’auteur. La préparation de l’adhésion à la Convention internationale sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion (Convention de Rome 1961) est en cours.
494
par la transposition des normes et des moyens de protection des droits de propriété
intellectuelle (§ 1), mais aussi par la mise en oeuvre des garanties de la propriété
intellectuelle sous l’effet incitatif du droit international (§ 2).
§ 1. – La transposition des normes et moyens de protection des droits de
propriété intellectuelle
488. - Les démarches effectuées en vue de l’accession de la Chine à l’OMC, qui
concernent tous les domaines de la propriété intellectuelle, traduisent bien la volonté
des instances dirigeantes de renforcer encore leur système légal, tant au niveau de la
protection des droits qu’à celui de leur défense. Ceci concerne d’abord la prise des
engagements lors des négociations pour enter dans l’OMC (A), ensuite la transposition
des dispositions de l’ADPIC en droit interne (B).
A. – Les engagements pris lors des négociations pour l’accession à
l’OMC
489. - Les engagements pris par le gouvernement chinois en matière de propriété
intellectuelle pour l’accession à l’OMC relèvent non seulement des normes sur les
droits substantiels de propriété intellectuelle (1), mais aussi les moyens de faire
respecter ce droit (2) dont l’objectif est d’assurer une véritable intégration de l’Accord
sur les ADPIC en droit interne chinois.
(1). – Les normes des droits de propriété intellectuelle
490. - L’acceptation de l’accord sur les ADPIC par la Chine s’est intégrée dans le
processus de négociation concernant son accession à l’OMC. Les Parties contractantes,
par le biais du Groupe de travail de l’accession de la Chine à l’OMC, avaient prévu des
engagements concrets en matière de propriété intellectuelle, condition sine qua non à
l’accession de la Chine à cette organisation. Pendant le processus de négociation,
notamment au moment de l’examen de la demande d’accession par le Groupe de
495
travail, le gouvernement chinois accepta volontairement les normes relatives aux
propriétés intellectuelles protégées par l’accord sur les ADPIC, afin de recueillir les
accords des Parties contractantes. Ainsi, le gouvernement chinois déclara : « bien qu’il
en soit aux premiers stades de son développement, le système chinois de protection des
droits de propriété intellectuelle avait pour but d’acquérir une dimension mondiale et
de s’aligner sur les normes internationales »1584. Il faut rappeler que le gouvernement
chinois prit une part active à des négociations commerciales multilatérales du GATT
lors du cycle d’Uruguay et parapha l’Acte final comportant le projet final de
l’ADPIC 1585 . À partir de 1993, les juristes ainsi que les officiers chinois se
préoccupèrent plus que jamais de la situation de la propriété intellectuelle en Chine et
proposèrent le renforcement de la protection des droits de propriété intellectuelle par la
mesure législative en rapprochant le droit chinois de l’Accord sur les ADPIC pour le
but d’accession à l’OMC1586.
491. - À la suite de l’institution de l’OMC en 1995, le gouvernement chinois
présenta une demande d’accession. Durant l’examen mené par le Groupe de travail
concernant cette accession, le représentant du gouvernement chinois évoqua bien des
modifications supplémentaires apportées à la loi sur les brevets, pour manifester la
détermination de la Chine à adhérer à l’Accord sur l’OMC et à l’Accord sur les ADPIC.
La Chine promit d’ailleurs que dès que l’accession de la Chine serait effective, des
modifications seraient également apportées à la loi sur les droits d’auteur et à la loi sur
les marques de fabrique ou de commerce, ainsi qu’aux règlements d’application
couvrant différents domaines de l’Accord sur les ADPIC1587. L’examen par le Groupe
de travail des incompatibilités du droit chinois avec le critère de la protection de
propriété intellectuelle fut conçu comme étant une sorte de guide pour la législation
1584 OMC, Rapport du Groupe de travail de l’accession de la Chine, 1er octobre 2001, WT/ACC/CHN/49, p. 56. 1585 Office d’information du CAE, La protection de la propriété intellectuelle en Chine, livre blanc publié en juin 1994, disponible sur le site http://french.china.org.cn/fa-book/menu18.htm, consulté le 9 août 2008. 1586 V., ZHENG Chengsi, Zhishi chanquan fa (Droit des propriétés intellectuelles), Pékin, Law Press China, 1997, p. 113. 1587 Organisation Mondiale du Commerce, Rapport du Groupe de travail de l’accession de la Chine, 1er octobre 2001, WT/ACC/CHN/49, p. 58.
496
chinoise en la matière, puisque cet examen consista à indiquer les mesures concrètes
que le gouvernement chinois devrait prendre pour adapter sa politique et ses mesures
législatives aux exigences de l’Accord sur les ADPIC. La délégation chinoise rassura
d’ailleurs le Groupe de travail en insistant sur le fait que le gouvernement chinois
s’engagea à rendre compatible son droit interne avec l’Accord sur les ADPIC, tout en
précisant les mesures concrètes que ce gouvernement adopterait dès qu’il accèderait à
l’OMC. Il s’agit, entre autres, de la modification des lois, des règlements et des autres
mesures pertinentes servant à garantir l’application du traitement national et du
traitement en vigueur dans le pays le plus favorisé aux détenteurs de droits étrangers
pour tous les droits de propriété intellectuelle conformément à l’Accord sur les
ADPIC1588. À ces mesures s’ajoutèrent l’accélération du processus de modification de
la loi sur les droits d’auteur1589, la modification de la loi sur les marques de fabrique ou
de commerce pour la rendre pleinement conforme à l’Accord sur les ADPIC1590 et
l’amélioration de la loi sur les brevets par la prise en compte des dispositions
pertinentes de l’Accord sur les ADPIC1591.
(2). – Les moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle
492. - En plus des normes concernant les droits substantiels de propriété
intellectuelle, le deuxième grand ensemble de dispositions concernent les procédures et
les mesures correctives internes destinées à faire respecter les droits de propriété
intellectuelle. L’Accord sur les ADPIC énonce certains principes généraux auxquels
toutes les procédures destinées à faire respecter les droits de propriété intellectuelle
doivent être conformes afin que leur efficacité soit garantie et que certains principes
fondamentaux nécessaires à une procédure régulière soient respectés. Il contient en
outre des dispositions relatives aux procédures et mesures correctives civiles et
administratives, aux mesures provisoires, aux prescriptions spéciales concernant les
mesures à la frontière et aux procédures pénales, qui indiquent, de façon assez détaillée, 1588 V., OMC, Rapport du Groupe de travail de l’accession de la Chine, op. cit., § 256. 1589 Ibid., § 259. 1590 Ibid., § 263. 1591 Ibid., §§ 274, 275.
497
les procédures et mesures correctives devant être prévues pour permettre à ceux qui
détiennent des droits de les faire respecter avec efficacité. L’objectif de l’Accord sur
les ADPIC est double: d’une part, faire en sorte que des moyens efficaces de faire
respecter les droits de propriété intellectuelle soient mis à la disposition des détenteurs
de droits et, d’autre part, veiller à ce que ces procédures soient appliquées de manière à
éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre
leur usage abusif. Les règles procédurales entendent établir la balance entre la
protection effective des droits de propriété intellectuelle et la prévention de l’abus de
droit.
493. - Pendant le processus de négociations, la délégation chinoise affirma les
engagements du gouvernement chinois concernant les moyens de faire respecter les
droits de propriété intellectuelle. Ces moyens relèvent des mesures provisoires des
autorités judiciaires1592, des procédures et mesures correctives administratives1593, de la
prescription spéciale concernant les mesures à la frontière1594, ainsi que des procédures
pénales contre le piratage et la contrefaçon1595. Le Groupe de travail concernant
l’accession de la Chine ne se contenta pas de simplement indiquer les écarts entre la
législation chinoise en matière de propriétés intellectuelles et l’Accord sur les ADPIC,
il s’intéressa davantage aux moyens de faire respecter les droits de propriété
intellectuelle. Le Groupe de travail bien indiqua au gouvernement chinois des mesures
concrètes relatives à l’exécution des lois et règlements en matière de propriété
intellectuelle. La délégation s’avéra assez coopérative avec le Groupe de travail. Il en
fut ainsi que, face aux préoccupations des membres du Groupe de travail sur
l’insuffisance des dommages-intérêts concernant la réparation de la perte subie par le
détenteur du droit, la délégation chinoise réaffirma l’engagement du gouvernement à
modifier les règles en cause pour les mettre en pleine conformité avec les dispositions
de l’Accord sur les ADPIC1596.
1592 Ibid., § 296. 1593 Ibid., § 299. 1594 Ibid., § 302. 1595 Ibid., § 304. 1596 Ibid., § 292.
498
B. – La transposition des dispositions de l’ADPIC en droit interne
494. - Comme conséquence des engagements pris lors des négociations pour
l’accession à l’OMC, le gouvernement chinois commença à remplir ses obligations de
transposer les dispositions de l’ADPIC en droit interne par des travaux législatifs
d’envergure (1) bien avant son accession à l’OMC. Cette transposition n’a pas encore
touché à sa fin jusqu’à présent et la prospective du droit chinois en matière de propriété
intellectuelle peut se caractériser par une amélioration progressive avec l’implication
plus approfondie de la Chine dans l’économie mondiale (2).
(1). – Les travaux législatifs entrepris pour assumer les engagements
495. - Pour se préparer à son accession à l’OMC, la Chine entreprit des travaux
législatifs par lesquels les principales lois de propriété intellectuelle révisées pour les
mettre en conformité aux standards imposés par l’Accord sur les ADPIC. La loi sur les
brevets adoptée en 1984, déjà révisée en 1992, le fut une seconde fois en 2000. Par
cette seconde révision, la révision judiciaire des décisions administratives fut introduite.
Les déposants de brevet furent reconnus le droit de demander un recours devant les
tribunaux contre toutes les décisions de l’Office National de la Propriété Intellectuelle
en matière d’examen des demandes de brevets. D’autres modifications non
négligeables consistent à ce que les droits du titulaire du brevet furent affermis, à ce
que le statut de l’inventeur salarié fut amélioré et que la procédure d’enregistrement fut
allégée, etc.1597 En 2008, la loi sur les brevets fut pour la troisième fois révisée afin de
répondre aux besoins actuels de renforcer la protection des brevets et de remplir les
engagements de la Chine pris dans le cadre de l’OMC1598. La révision de la loi sur les
brevets en 2008 apporta les changements importants tels que l’insertion d’une nouvelle
disposition relative à la mise en oeuvre des licences obligatoires dans le secteur
1597 V., Cabinet Thieffry et Associés Shanghai, « L’amendement du 25 août 2000 relatif à la loi chinoise sur les brevets », Gazette du Palais, n° 196, 2004, pp. 49 à 51. 1598 La loi sur les brevets telle qu’elle est révisée en 27 décembre 2007, entre en vigueur le 1er octobre 2009.
499
pharmaceutique1599, l’alourdissement des amendes à l’encontre des contrefaçons, la
modification des règles concernant les dommages-intérêts en cas d’atteintes aux droits
de brevets1600, etc.
496. - La loi sur les marques adoptée en 1982, révisée en 1993, fut pour la troisième
fois révisée en 2001. Par la révision de 2001, la liste des personnes habilitées à déposer
une marque fut élargie en comportant désormais les personnes physiques. Le champ de
protection des marques fut étendu surtout à la marque collective et à la marque de
certification. Le droit de priorité fut institué. La révision judiciaire des décisions
administratives sur l’examen de dépôt de la marque fut introduite. Les droits du
titulaire de la marque furent renforcés, notamment en ce qui concerne la marque
notoire, etc.1601
497. - La loi sur les droits d’auteur qui est adoptée en 1990 fut modifiée en 2001, ce
qui eut pour effet d’étendre le champ de protection à de nouvelles créations comportant
les droits d’auteur en matière d’Internet. D’ailleurs, les prérogatives de l’auteur furent
également renforcées et étendues1602.
(2). – La perspective du plan stratégique national de propriété intellectuelle
498. - L’année 2008 s’est annoncée riche en événements pour le secteur de la
propriété intellectuelle en Chine. La période de transition définie dans le cadre des
accords de l’OMC a pris sa fin avec l’emprise complète des normes de l’Accord sur les
ADPIC sur le droit chinois. Pour répondre à ce changement de situation, le
1599 Article 50 de la loi sur les brevets révisée en 2008. 1600 V., infra, n° 509. 1601 V., Paul RANJARD, « La protection et la reconnaissance des marques notoires en Chine », La Gazette du Palais, n° 196, 2004, pp. 52, 53. 1602 La liste des droits d’auteur dont la mise en oeuvre est soumise à une autorisation préalable de leur titulaire, en contrepartie d’une rémunération en leur faveur, a été considérablement enrichie, avec notamment, le droit de location, le droit de représentation, le droit d’enregistrement audio et vidéo, le droit de communication au public. Par la révision 2001 du règlement sur la protection des logiciels adopté par le CAE en 1991, la protection des logiciels par le droit d’auteur est consolidée. V., Catherine DRUEZ-MARIE, « La propriété intellectuelle en Chine : les conséquences de l’entrée dans l’OMC », disponible sur le site http://www.irpi.ccip.fr/pages/index.asp?ID_ARBO=36&ref_page=244, consulté le 7 juin 2008.
500
gouvernement chinois a annoncé un « Plan stratégique national de la propriété
intellectuelle». C’est un document gouvernemental qui définit les principes et les
orientations en matière de réforme, tout en intégrant la protection de la propriété
intellectuelle dans les stratégies générales de l’économie nationale1603. C’est dans ce
contexte que le gouvernement chinois va accélérer son travail de réorganisation,
d’amélioration et d’adaptation de son système juridique relatif à la propriété
intellectuelle1604.
499. - Le Plan stratégique national a mis l’accent sur le renforcement de l’effectivité
de la protection juridictionnelle de la propriété intellectuelle, en prévoyant une série de
réformes telles que la création de tribunaux spéciaux et de cours d’appel spéciales pour
les affaires dans lesquelles la propriété intellectuelle est en jeu, le renforcement de la
coopération entre différentes institutions afin de réduire le coût auquel s’expose le
titulaire de la propriété intellectuelle quand il emprunte les voies de recours en cas
d’atteintes à ses droits, l’introduction des expertises dans les contentieux relatifs à la
propriété intellectuelle, le renforcement des mesures de douanes, etc. Il faut encore
souligner que l’un des objectifs des stratégies nationales est de promouvoir
systématiquement l’investissement à la recherche et au développement des sciences et
des technologies afin d’élever le degré d’indépendance de la Chine en matière de
propriété intellectuelle. Ont été également prévus le déploiement des mesures
d’encouragement financier et fiscal, l’institutionnalisation de la formation universitaire
au sujet de la propriété intellectuelle, la création des organes gouvernementaux chargés
de la dissémination des savoirs et de la promotion de la conscience du public sur
l’utilité et la protection de la propriété intellectuelle, etc. À cet égard, la publication du
Plan stratégique national 2008 par la Chine n’a pas seulement pour motif de démontrer
à ses partenaires commerciaux la capacité d’action et l’efficacité de son système de
protection de la propriété intellectuelle en tant qu’État hôte de l’investissement
1603 CAE, « Stratégies nationales de propriété intellectuelle (Guojia zhishi chanquan zhanlue gangyao) », 5 juin 2008, Renmin ribao (Quotidien du peuple), 11 juin 2008, p. 15. 1604 V., Cabinet d’avocat Gide Loyrette Nouel, « Supplément spécial : La propriété intellectuelle en Chine », La lettre : actualité du droit chinois, janvier 2008, disponible sur le site http://www.gide.com/front/FR/actualites/PDF/Chine_Propriété_Intellectuelle_FR.pdf, consulté le 7 juin 2008.
501
étranger, mais aussi d’établir une synergie entre l’exécution des engagements
internationaux et le développement technologique de la Chine par la construction d’un
« État d’innovation (chuangxinxing guojia) ». Il est intéressant de souligner qu’en plus
du développement des sciences et des technologies modernes, le plan stratégique a
aussi envisagé des études sur de « nouveaux » éléments tels que les savoirs
traditionnels, la littérature et les arts populaires, le patrimoine d’héritage, etc., qui
seraient menés afin de parvenir à la constitution d’un code unique ou d’une loi
fondamentale de la propriété intellectuelle jusqu’à 20201605 . L’adoption du Plan
stratégique semble marquer un tournant du gouvernement chinois vers une politique
plus active en matière de propriété intellectuelle. La transposition passive des normes
internationales par le droit interne dans les années précédentes a été ainsi remplacée
par l’exploitation plus volontaire et réfléchie du droit de propriété intellectuelle. Le
respect de ce droit a été consenti dans le cadre de la stratégie nationale concernant le
développement économique et social. Par conséquent, un contexte plus que jamais
favorable pour la protection des propriétés intellectuelles est en train de voir le jour en
Chine.
§ 2. – La mise en oeuvre des garanties de la propriété intellectuelle sous
l’effet incitatif du droit international
500. - La mise en oeuvre des garanties de la propriété intellectuelle demeure l’enjeu
de l’internationalisation du droit chinois en la matière, à la suite de l’intégration en
droit interne des normes internationales consacrant les droits substantiels de propriété
intellectuelle. Par « des pratiques d’expansion hégémonique de certains systèmes »1606
ou bien par le fonctionnement du mécanisme de contrôle multilatéral dans le cadre de
l’OMC, le droit international a pu produire son effet incitatif sur le droit interne chinois
à l’égard de l’application des normes internationales déjà intégrées au droit positif
1605 L’Office d’information du CAE, Conférence de presse sur le Plan stratégique de la propriété intellectuelle en date du 13 juin 2008, disponible sur le site http://www.scio.gov.cn/syyw/ejtt/200806/t187481.htm, consulté le 16 juin 2008. 1606 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (II) : le pluralisme ordonné, Éditions du Seuil, 2006, p. 22.
502
interne. Dans la relation interétatique bilatérale, les pays les plus forts, comme les
États-Unis, ont poussé, par leurs mesures politiques parfois « coercitives », la Chine à
faire des efforts dans l’accomplissement de ses engagements pris relatifs aux droits de
propriété intellectuelle (A). Depuis l’accession de la Chine à l’OMC, la mise en oeuvre
des droits de propriété intellectuelle en Chine fait l’objet d’un contrôle extérieur fondé
sur des règles de droit qui se substituent aux mesures de rétorsion1607. Le mécanisme
de règlement des différends est l’instrument juridique qui pourrait contraindre la Chine
à se conformer encore davantage aux règles de l’Accord sur les ADPIC. L’effet
incitatif que produit le droit international sur la Chine concernant le respect de ses
engagements internationaux est ainsi renforcé dans le cadre de l’OMC (B).
A. – La production de l’effet incitatif du droit international dans le
cadre de la relation bilatérale
501. - Dans la relation bilatérale sino-américaine, la violation des droits de la
propriété intellectuelle en Chine sensibilise toujours les États-Unis comme partenaires
commerciaux les plus importants. En s’appuyant sur son droit interne qui attache de
l’importance à la protection des propriétés intellectuelles dans le cadre du commerce
international (1), le gouvernement des États-Unis a réussi à conduire son homologue
chinois à (mieux) garantir les droits de propriété intellectuelle dans le cadre des
relations commerciales à travers la conclusion et l’exécution des mémorandums
bilatéraux (2). Cette pression unilatérale venant des États-Unis qui a poussé
l’avancement du droit chinoise en matière de propriétés intellectuelles a été l’un des
phénomènes remarquables du processus d’internationalisation du droit chinois.
(1). – L’importance attachée à la protection des propriétés intellectuelles en droit
interne américain
502. - L’émergence du problème de la protection des propriétés intellectuelles en
1607 V., John H. JACKSON, The World Trading System: Law and Policy of International Economic Relations, 2e éd., 1997, p. 111.
503
Chine remonte au lancement de la politique d’ouverture à la fin des années 70. À
l’occasion de la négociation de l’accord bilatéral sur la relation commerciale entre la
Chine et les États-Unis, ces derniers insistaient pour y intégrer une disposition
prévoyant les obligations réciproques relatives à la protection des droits de propriété
intellectuelle dans les territoires de chaque Partie contractante1608. En concédant son
accord, la Chine a pris pour la première fois l’engagement international de protéger la
propriété intellectuelle avant même que ne soit mis en place son propre régime
juridique de propriété intellectuelle. L’importance que les États-Unis attachent à la
protection des droits de propriété intellectuelle se manifeste plus nettement par la
législation intitulée Omnibus Trade and Competitiveness Act de 1988 (ci-après l’Acte
de 1988), dont l’objectif est de sauvegarder les intérêts des États-Unis contre les
atteintes des pratiques commerciales injustes des pays étrangers 1609 . Avec
l’accroissement des volumes d’échange entre la Chine et les États-Unis, la
méconnaissance chinoise des droits de propriété intellectuelle inquiéta le
gouvernement américain. La prolifération de la reproduction et de la distribution
illégales des produits américains tels que les logiciels, les produits médicaux et ceux de
l’audiovisuel, etc., l’absence de loi sur les droits d’auteur, la protection insuffisante des
brevets et des marques commerciales par la législation chinoise, suscitèrent de vives
critiques aux États-Unis 1610 . Ce fut la raison pour laquelle le Représentant du
commerce des États-Unis eut l’occasion de signaler au gouvernement chinois son
1608 V. l’article 6 de l’Accord sur la relation commerciale sino-américaine, conclu le 7 juillet 1979. V., aussi l’Accord sino-américain sur la coopération dans le domaine de la physique de haute énergie, adopté le 31 janvier 1979. Par l’article 6 de cet Accord, la Chine et les États Unis s’engagent à coopérer dans la protection de la propriété intellectuelle, toutefois aucune obligation substantielle n’a été prévue pour mettre en oeuvre ledit principe. 1609 Selon la fameuse Section spéciale 301, les sanctions peuvent être unilatéralement imposées par les États Unis, y compris les taxes d’importation et d’autres contraintes commerciales, aux pays qui entretiennent une relation commerciale avec les États-Unis et qui n’ont pas respecté les propriétés intellectuelles des produits américains. V., Kenneth J. ASHMAN, « The Omnibus Trade and Competitiveness Act of 1988 –the Section 301 Amendments: Insignificant Changes from the Prior Law? », 7 B.U. Int’l L.J. 115. 1610 V., Amy E. SIMPSON, « Copyright law and software regulations in the People’s Republic of China: Have the Chinese pirates affected world trade? », 20 N.C. J. of Int’l L. & Com. Reg. 575, p. 616; v., aussi, Angela Mia BEAM, « Piracy of American intellectual property in China », 4 J. Int’l L. & Prac. 335 (1995).
504
intention d’intégrer la Chine dans la liste noire des États étrangers prioritaires1611. En
plus des assistances techniques fournies par les États-Unis, ces derniers optèrent
finalement pour la menace de sanctions –en s’appuyant sur les fameuses dispositions
internes dites « Special 301 » ou « Super 301 »– en vue d’inciter la Chine à légiférer
ou à modifier ses textes législatifs pour les rendre compatibles avec les normes
acceptables pour les États-Unis en ce qui concerne la protection des droits de propriété
intellectuelle. Il s’agit donc d’une forme concrète d’exportation du droit des États-Unis
dont la réussite ou l’échec serait évalué à l’aune de la capacité de répondre au besoin
de réforme politique ou économique de l’État d’importation1612.
(2). – Les mémorandums sino-américains concernant la protection des propriétés
intellectuelles
503. - Pendant les années 1990, les États-Unis menacèrent fréquemment d’imposer
des sanctions commerciales à la Chine pour la violation des droits de propriété
intellectuelle nuisant à leur intérêt dans le cadre des relations commerciales bilatérales
avec la Chine. Pour sortir de la crise suscitée par les atteintes à la propriété
intellectuelle, furent successivement conclus trois mémorandums d’accord par lesquels
la Chine s’engagea à accepter et à mettre en oeuvre les normes du droit de propriété
intellectuelle reconnues par les principales conventions internationales1613. À la suite
de négociations difficiles, un premier mémorandum d’accord fut conclu en 1989, par
1611 Le Représentant commercial des États-Unis doit désigner les pays qui ont gravement porté atteinte aux produits des États-Unis au regard de la protection des droits de propriété intellectuelle des États-Unis comme pays étrangers prioritaires, afin de déclencher les procédures de sanction. Toutefois, le Représentant commercial peut décider de ne pas désigner ses partenaires commerciaux comme pays étrangers prioritaires dès que le progrès en matière de protection des droits de propriété intellectuelle est effectué à l’issue des négociations bilatérales, en évitant par conséquent les sanctions unilatérales du gouvernement américain. V., USTR, Background on Special 301, disponible sur le site http://www.ustr.gov/assets/Document_Library/Reports_Publications/2007/2007_Special_301_Review/asset_upload_file694_11120.pdf, consulté le 16 août 2007. 1612 V., Jacques DELISLE, « Lex americana? United States’ legal assistance, American legal models, and legal change in the post-communist world and beyond », 20 U. Pa. J. Int’l Econ. L. 179, pp. 211 et 222, sp. 226. 1613 V., Patrick H. HU, « ‘Mickey Mouse’ in China: legal and cultural implications in protecting U.S. copyrights », 14 B.U. Int’l L.J. 81, pp. 100 à 102.
505
lequel le gouvernement chinois s’engagea à prendre les mesures nécessaires pour
aboutir à la protection effective des droits de propriété intellectuelle, notamment en ce
qui concerne l’amélioration de la protection des droits d’auteurs de logiciels. Toutefois,
le représentant du commerce des États-Unis demeura critique sur le sujet chinois
notamment du fait que la Chine n’eut pas pu protéger par la loi sur les brevets les
produits pharmaceutiques importés depuis les États-Unis, et ainsi menaça-il d’imposer
des sanctions aux produits chinois exportés en direction des États-Unis. Le
gouvernement chinois s’attacha donc à négocier et un deuxième mémorandum
d’accord relatif aux droits de propriété intellectuelle fut de ce fait conclu en 1992.
Dans ce mémorandum de 1992, les engagements pris par la Chine comportent, entre
autres, la modification de la loi sur les brevets avant le 1er janvier 1993, étendant la
protection des brevets aux produits pharmaceutiques et chimiques1614, l’adhésion à la
Convention de Berne avant le 30 juin 1992, la participation à l’Organisation mondiale
de la propriété intellectuelle avant le 15 octobre 1992 et l’adhésion à la Convention
pour la protection des producteurs de phonogrammes contre la reproduction non
autorisée de leurs phonogrammes, la modification de la loi sur les droits d’auteur selon
les exigences des traités internationaux relatifs aux droits d’auteur, notamment en ce
qui concerne la protection des logiciels1615, enfin, l’interdiction de la concurrence
déloyale et la protection du secret commercial conformément à la Convention de
Paris1616. En contrepartie, les États-Unis promirent de mettre fin à l’enquête sur la
Chine aux termes de la section spéciale 301 et d’abandonner les tentatives de sanctions
dès la signature du Mémorandum d’accord1617. Une éventuelle « guerre » commerciale
sino-américaine fut ainsi contournée. Il faut remarquer que le gouvernement chinois,
qui toujours se soucie de défendre sa souveraineté nationale dans le traitement des
relations internationales, s’engagea exceptionnellement dans un accord international
bilatéral à adhérer à l’organisation internationale et aux traités internationaux, à
modifier des lois et des règlements en vigueur ainsi qu’à adopter de nouvelles lois. En
effet, toutes ces mesures furent traditionnellement considérées comme relevant des 1614 V., article 1er, alinéa 2 et article 2 du Mémorandum de 1992. 1615 V., article 3 du Mémorandum de 1992. 1616 V., article 4 du Mémorandum de 1992. 1617 V., article 7 du Mémorandum de 1992.
506
affaires internes et ne pouvant ainsi faire l’objet ni de négociations internationales ni
d’une intervention des pays étrangers. Il est encore intéressant d’observer que le
gouvernement chinois n’eut jamais accepté des obligations de ce genre dans un
instrument international juridique. À cet égard, la conclusion du mémorandum de 1992
semblait marquer le succès du droit américain, notamment en ce qui concerne l’Acte
de 1988. La flexibilité du gouvernement chinois manifestée à l’occasion de la
négociation du mémorandum de 1992 a traduit d’une certaine manière son changement
de position sur la relation entre droit interne et droit international en ce qui concerne la
protection des droits de propriété intellectuelle. Il semble que la Chine a commencé à
admettre que les droits de propriété intellectuelle ne révèlent plus d’une affaire
purement interne et à l’abri des ingérences étrangères au nom de la souveraineté
nationale. Ce changement d’attitude de la part du gouvernement chinois fut « propice »
à l’internationalisation du droit chinois en ce qui concerne la protection de la propriété
intellectuelle.
504. - À la suite du mémorandum de 1992, deux autres mémorandums
sino-américains furent successivement conclus en 1995 et 1996. Le centre de gravité se
déplaça vers la question de la garantie effective des droits de propriété intellectuelle
protégés par les instruments internationaux liant la Chine et reconnus en droit interne
chinois1618. Par le mémorandum conclu en 1995, le gouvernement des États-Unis
promit d’apporter au gouvernement chinois l’assistance technique nécessaire pour
mettre en place des mécanismes efficaces dans la suppression des faits de violation de
la propriété intellectuelle concernant les produits américains. Le gouvernement chinois,
quant à lui, promit de mener des campagnes de lutte contre les infractions sur
l’ensemble de son territoire1619. Un plan d’action fut annexé au mémorandum de 1995
précisant des projets de longue durée concernant la mise en oeuvre des droits de
propriété intellectuelle, ainsi qu’une période de 3 à 5 ans dans laquelle les organes
administratifs et judiciaires chinois procéderaient à l’exécution intensive des lois et des
règlements des droits de propriété intellectuelle. Le gouvernement chinois prit 1618 V., Jeffery W. BERKMAN, « Intellectual property rights in the P. R. C.: Impediments to protection and the need for rule of law », 15 UCLA Pac. Basin L.J. 1, pp. 26 à 34. 1619 V., Reportage « China declares 6-month piracy crackdown », Los Angeles Times, 3 mars 1995, Business Section, p. 2.
507
d’ailleurs des engagements spécifiques en vertu des dispositions du mémorandum de
1995. Il s’agit notamment d’instituer auprès du CAE un Bureau National de la
Protection des Droits de Propriété Intellectuelle spécialement chargé d’assurer la mise
en oeuvre uniforme, dans tous les territoires chinois, des textes concernant la propriété
intellectuelle et la suppression effective des contrefaçons. Sur ce point, le
mémorandum de 1995 indiqua les mesures administratives et douanières qui devraient
être prises par le gouvernement chinois pour lutter efficacement contre les atteintes aux
droits de propriété intellectuelle dont bénéficient les produits américains 1620 .
Pareillement, par le mémorandum de 1996, les États-Unis abandonnèrent les sanctions
unilatérales contre la Chine, alors que cette dernière s’engagea à prendre des mesures
pour lutter efficacement contre le piratage des CD-Roms importés des États-Unis.
505. - Les négociations et la conclusion des accords bilatéraux sino-américains
eurent lieu durant la période où les États-Unis menacèrent d’adopter unilatéralement
des mesures de sanction commerciale à l’encontre de la Chine. Celle-ci fit des
concessions nécessaires dans le cadre des accords bilatéraux afin d’éviter de subir des
pertes résultant des sanctions unilatérales des États-Unis, mais aussi pour obtenir le
soutien des États-Unis dans le processus des négociations concernant l’accession de la
Chine à l’OMC1621. D’autres partenaires commerciaux de la Chine se fut inspirés de la
stratégie des États-Unis et réussirent à mettre en place avec la Chine des mécanismes
bilatéraux concernant la protection des droits de propriété intellectuelle dans le cadre
de leurs relations de commerce international 1622 . Il faut souligner que, depuis
1620 V., China-United States: Agreement Regarding Intellectual Property Rights (1995), 34 ILM 881. 1621 V., Robert B. FROST, « Intellectual property rights disputes in the 1990s between the People’s Republic of China and the United States », 4 Tul. J. Int’l & Comp. L. 119, pp. 134, 135; Frank PROHASKA, « The 1995 Agreement regarding intellectual property rights between China and the United States: promise for international law or continuing problems with Chinese piracy? », Tulsa J. Comp. & Int’l L. 169, p. 183. 1622 Un mémorandum de coopération administrative entre la Chine et la Communauté européenne économique en matière de protection des droits de propriété intellectuelle est signé le 30 juin 1992, v., « China’s exchanges and cooperation with relevant international organizations, other countries and regions regarding IPR », reportage disponible sur le site http://tfs.mofcom.gov.cn/aarticle/cj/200504/20050400033382.html, consulté le 16 août 2007 ; V., aussi, Programme de coopération dans le domaine des droits de propriété intellectuelle entre l’Union européenne et la Chine (1996-1998), Journal officiel n° C 076 du 16/03/1996 p. 0017 – 0017 ; l’accord de coopération dans le domaine de propriété intellectuelle entre la Chine et la France est conclu le 24
508
l’accession de la Chine à l’OMC, la méthode bilatérale en matière de propriété
intellectuelle a fait place au mécanisme multilatéral institué par le Mémorandum
d’accord relatif aux règles et procédures régissant le règlement des différends. D’où le
renforcement de l’effet incitatif du droit international par le droit de l’OMC.
B. – Le renforcement de l’effet incitatif du droit international dans le
cadre de l’OMC
506. - Il s’agit notamment de l’utilisation du mécanisme de règlement des différends
de l’OMC (1), en vue d’avoir la réaction positive du gouvernement chinois concernant
la protection de la propriété intellectuelle (2).
(1). – L’utilisation du mécanisme de règlement des différends par les États-Unis
507. - En dépit des progrès effectués par la Chine, le problème de la mise en oeuvre
des droits de propriété intellectuelle, notamment sur le sujet de leur garantie contre les
contrefaçons, demeure la première préoccupation des États-Unis1623. Depuis 2005, le
gouvernement américain adopta des mesures plus agressives afin de conduire la Chine
à respecter davantage ses engagements relatifs à la protection des droits de propriété
intellectuelle1624 . Cependant, au lieu de procéder à des menaces unilatérales, le
gouvernement des États-Unis commença à utiliser le mécanisme de règlement des
différends de l’OMC qui se fonde sur les règles de droit1625, en vue de renforcer la mise
en oeuvre des droits de propriété intellectuelle en Chine. Par la communication en date
du 10 avril 2007, les États-Unis demandèrent l’ouverture des consultations avec la septembre 1998, disponible sur le site http://www.sipo.gov.cn/sipo/gjhz/hzxy/200109/t20010917_66863.htm, consulté le 16 août 2007. 1623 United States Trade Representative, 2006 Report to Congress on China’s WTO Compliance, 11 décembre 2006, p. 76. V., aussi, Peter K. YU, « Still dissatisfied after all these years: intellectual property, post-WTO China, and the avoidable cycle of futility », 34 Ga. J. Int’l & Comp. L. 143. 1624 United States Trade Representative, U. S.-China Trade Relations: entering a New Phase of Greater Accountability and Enforcement, février 2006, p. 14. 1625 V., Rochelle COOPER DREYFUSS, Andreas F. LOWENFELD, « Two achievements of the Uruguay round: putting TRIPS and dispute settlement together », 37 Va. J. Int’l L. 275 (1997), pp. 276, 277.
509
Chine au sujet de certaines mesures du gouvernement chinois en matière de protection
de la propriété intellectuelle. Le gouvernement des États-Unis mit en avant plusieurs
points dans ses plaintes. Il s’agit d’abord des seuils devant être atteints pour que
certains actes de contrefaçon de marques et de piratage du droit d’auteur fassent l’objet
de procédures pénales et de peines ; de la mise hors du circuit des marchandises
confisquées par les autorités douanières portant atteinte aux droits de propriété
intellectuelle ; du refus du gouvernement chinois d’assurer la protection et le respect
du droit d’auteur et des droits connexes pour les œuvres n’ayant été autorisées en vue
de la publication ou de la distribution en Chine ; et enfin, de l’impossibilité de recourir
à des procédures pénales et à la mise en place de peines dans les cas où les
contrevenants se livreraient, soit à la reproduction non autorisée d’une oeuvre, soit à la
distribution non autorisée d’œuvres protégées par le droit d’auteur1626. Face à la
demande des États-Unis, le gouvernement chinois accepta d’ouvrir des discussions sur
ces sujets. Les pourparlers furent organisés avant expiration du terme prévu par le
Mémorandum d’accord sur le règlement des différends1627. Certes, les négociations ne
débouchèrent pas sur une solution satisfaisante pour les États-Unis. Ces derniers
demandèren, par la suite, l’établissement d’un Groupe spécial chargé d’adopter des
décisions ou des recommandations à propos du différend sino-américain1628.
508. - Le 26 janvier 2009, l’OMC a publié le rapport du Groupe spécial qui avait
examiné la plainte des États-Unis dans l’affaire1629. Quant à la question concernant le
refus d’assurer la protection et le respect du droit d’auteur et des droits connexes sur
des œuvres dont la publication et la distribution en Chine n’avaient pas été autorisées,
1626 OMC, Chine-Mesures affectant la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle, Demande de consultation présentée par les États-Unis, WT/DS362/1, 16 avril 2007. 1627 Agence de presse de Xinhua, La Chine et les États-Unis discutent de la protection des droits de propriété intellectuelle et de l’accès au marché des publications, 16 mai 2007, disponible sur le site http://french.china.org.cn/china/archives/pti/2007-05/16/content_8263404.htm, consulté le 31 mai 2007. 1628 United States Trade Representative, United States requests WTO panel in case challenging deficiencies in China’s intellectual property rights laws, 13 août 2007, disponible sur le site http://www.ustr.gov/Document_Library/Press_Releases/2007/August/United_States_Requests_WTO_Panel_in_Case_Challenging_Deficiencies_in_Chinas_Intellectual_Property_Rights_Laws.html, consulté le 15 août 2007. 1629 OMC, Chine –Mesure affectant la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle, Rapport du Groupe spécial, WT/DS362/R, 26 janvier 2009.
510
le Groupe spécial souligne que « le droit d’auteur et la censure publique concernent
des droits et des intérêts différents. Le droit d’auteur protège des droits privés ainsi
qu’il est dit au quatrième alinéa du préambule de l’Accord sur les ADPIC, alors que la
censure sert des intérêts publics »1630. Bien que l’article 17 de la Convention de Berne
(1971) confirme que les gouvernements ont certains droits de surveillance sur
l’exploitation des œuvres, « il n’y a pas de raison de supposer que la censure
éliminera complètement [les droits d’auteur] à l’égard d’une œuvre donnée »1631. Par
conséquent, la loi sur les droits d’auteur, et précisément son article 4 (1) qui prévoit «
les œuvres dont la publication et/ou la diffusion sont illégales ne sont pas protégées
par la présente loi », est incompatible avec l’article 5 (1) de la Convention de Berne
(1971), telle qu’incorporée par l’article 9:1 de l’Accord sur les ADPIC1632.
Quant aux mesures douanières, le rapport du Groupe spécial a constaté que la
quatrième phase de l’article 46 de l’Accord sur les ADPIC énonce le principe selon
lequel « pour ce qui concerne les marchandises de marques contrefaites, le simple fait
de retirer la marque de fabrique ou de commerce apposée de manière illicite ne sera
pas suffisant, si ce n’est dans des circonstances exceptionnelles, pour permettre
l’introduction des marchandises dans les circuits commerciaux », que ce principe
s’applique aussi aux mesures correctives prévues par l’article 59 de l’Accord sur les
ADPIC1633. S’agissant des marchandises de marque contrefaites, le Groupe spécial a
estimé que les mesures douanières de la Chine prévoyant le simple retrait de la marque
de fabrique ou de commerce illicitement apposée sont insuffisantes pour permettre
l’introduction des marchandises dans les circuits commerciaux. Il en résulte que les
mesures douanières de la Chine sont incompatibles à l’article 59 de l’Accord sur les
ADPIC au regard de l’objectif de « créer un moyen de dissuasion efficace contre les
atteintes aux droits »1634.
Les plaintes des États-Unis portent aussi sur les dispositions de l’interprétation
que donnent la Cour populaire suprême et le Parquet suprême sur les seuils de
1630 Ibid., § 7.135. 1631 Ibid., § 7.132. 1632 Ibid., § 7.139. 1633 Ibid., § 7.268, § 7. 270. 1634 Ibid., § 7.373, §7.394.
511
condamnation des atteintes aux droits de propriété intellectuelle1635. La divergence
consiste en l’interprétation de la notion d’ « échelle commerciale ». Celle-ci est définie
en droit chinois en fonction du « volume des activités commerciales illicites » qui est
lui-même calculé d’après le prix de vente des marchandises portant atteinte aux droits
des marchandises légitimes correspondantes. Les États-Unis ont critiqué le fait que les
seuils de condamnation ainsi définis sont susceptibles d’être éludés et que ces mesures
de droit perdent tout leur pouvoir de dissuasion1636. Le fait qu’il n’y a pas de
procédures pénales ni de peines concernant la contrefaçon de marques et le piratage du
droit d’auteur à l’échelle commerciale en Chine à la suite des seuils apparaît
incompatible avec les obligations de la Chine au titre des articles 41 : 1 et 61 de
l’Accord sur les ADPIC1637. Certes, dans le rapport du Groupe spécial, ces plaintes
n’ont pas été retenues dans la mesure où les États-Unis « n’ont pas fait suffisamment le
lien entre ces facteurs et les mesures en cause ni entre ces facteurs et leur allégation
pour s’acquitter de la charge de la preuve qui leur incombe »1638. Il en résulte que « les
États-Unis n’ont pas établi que les seuils d’infraction pénale sont incompatibles avec
les obligations de la Chine au titre de la première phrase de l’article 61 de l’Accord
sur les ADPIC »1639. Puisque chacune des deux parties peut faire appel à la décision du
Groupe spécial, les points de droit restent à être tranchés, le cas échéant, par l’Organe
d’appel.
(2). – La réponse du gouvernement chinois
509. - L’application du mécanisme de règlement des différends dans le cadre de
l’OMC marque une nouvelle étape du processus d’internationalisation du droit chinois 1635 Adoptée à la 1331ème session du Comité judiciaire de la Cour populaire suprême le 2 novembre 2004 et à la 28ème session de la dixième chambre d’accusation du Parquet populaire suprême le 11 novembre 2004 et prenant effet le 22 décembre 2004. 1636 United States Trade Representative, United States requests WTO panel in case challenging deficiencies in China’s intellectual property rights laws, loc. cit. 1637 OMC, Chine-Mesures affectant la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle, Demande de consultation présentée par les États-Unis, op. cit., p. 3. 1638 OMC, Chine –Mesure affectant la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle, Rapport du Groupe spécial, précité, § 7.667. 1639 Ibid., § 7. 669.
512
en matière de propriété intellectuelle. Depuis son accession à l’OMC, le gouvernement
chinois insiste toujours pour régler ses conflits avec ses partenaires commerciaux aux
négociations bilatérales1640. Par exemple, sur la proposition des États-Unis, les parties
chinoise et américaine ont organisé chaque année depuis 2003 la table ronde, à laquelle
participent de hauts fonctionnaires des deux gouvernements, ayant pour sujet la
coopération sino-américaine en matière de renforcement de la protection de la
propriété intellectuelle. En 2004, le premier dialogue entre la Chine et l’Union
européenne ayant pour thème la propriété intellectuelle s’est tenu à Beijing. Sur ce
point, les départements gouvernementaux concernés en Chine ont entretenu une bonne
relation de coopération avec les organismes correspondants de plusieurs pays et les
organisations internationales, comme l’Organisation mondiale de la propriété
intellectuelle et l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales1641.
Alors que l’avancement des coopérations dépend d’une certaine manière de la
politique de coopération volontaire du gouvernement chinois, ce dernier est désormais
obligé de se soumettre à l’évaluation indépendante du Groupe spécial ou de l’Organe
d’appel concernant la situation des droits de propriété intellectuelle. Il s’agit d’une
tendance de « juridictionnalisation du droit international »1642 –tout au moins dans le
domaine du commerce– à laquelle la Chine devra s’habituer. Cette juridictionnalisation
est d’autant plus solide que l’exécution des décisions à l’issue des procédures de
règlement des différends est assurée par le contrôle multilatéral des membres de
l’OMC. Le gouvernement chinois a donc plusieurs motifs le poussant à respecter le
résultat de la décision en modifiant ou en ajustant son droit interne. C’est dans ce cadre
que le droit international peut le plus facilement produire son effet incitatif –véhiculant
en cela les contraintes du mécanisme multilatéral– sur le droit chinois en matière de
1640 Par exemple, le 26 mars 2002, la Chine a demandé l’ouverture de consultations avec les États-Unis au sujet de mesures de sauvegarde définitive imposées par les États-Unis à l’importation de certains produits en acier et a allégué la violation des articles de l’Accord sur les sauvegardes et des articles du GATT de 1994. V., Document de l’OMC, WT/DS252. 1641 V., Office d’information du CAE, Nouveaux progrès dans la protection de la propriété intellectuelle en Chine, livre blanc publié en avril 2005. 1642 Cf., Syméon KARAGIANNIS, « La multiplication des juridictions internationales : un système anarchique ?», in Société française pour le droit international, La juridictionnalisation du droit international, Colloque de Lille, A. Pedone, 2003, pp. 7 et s.
513
propriété intellectuelle. La révision de la loi sur les brevets en 2008 semble confirmer
cette hypothèse. En effet, parmi les changements apportés par la révision figure les
nouvelles règles qui visent à alourdir la pénalité des malfaiteurs, en vue d’accentuer
l’effet dissuasif de la loi sur les atteintes aux droits de brevets. Ainsi en est-il, en cas de
contrefaçon, le montant d’une amende peut s’élever à quatre fois des revenus illégaux
ou à 200 000 yuans1643, alors qu’auparavant, il s’agissait de trois fois des revenus
illégaux ou 50 000 yuans. Selon la loi sur les brevets révisée, les dommages-intérêts
sont définis en principes selon les pertes des titulaires des droits, et le critère de gains
illicites n’est que d’ordre secondaire. Dans les cas exceptionnels où les dispositions
légales concernant la détermination des dommages-intérêts ne seraient pas applicables,
les tribunaux peuvent en décider le montant de 10 000 yuans à 1 000 000 yuans, en
tenant compte la situation spécifique de chaque affaire individuelle1644.
Sous-section 2. – L’extension de l’influence de l’Accord sur les ADPIC sur
la protection du droit de propriété
510. - La contribution de l’Accord sur les ADPIC, vecteur de l’internationalisation
des droits de propriété intellectuelle, ne se limite pas à la promotion d’une protection
efficace et suffisante des droits de la propriété intellectuelle en tant que droits privés1645.
Les moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle tels que prévus par
l’Accord sur les ADPIC sont révélateurs des principes applicables à la protection des
autres droits privés patrimoniaux. L’extension de l’influence de l’Accord sur les
ADPIC sur la protection du droit de propriété est non seulement possible mais aussi
souhaitable. À cet égard, l’Accord sur les ADPIC peut être considéré comme une
source d’inspiration quant à la protection du droit de propriété par l’amélioration des
règles de procédure (§ 1). L’intégration en droit interne des règles procédurales de
l’Accord sur les ADPIC peut contribuer à renforcer les garanties juridiques du droit de
propriété, d’autant plus qu’il est impossible d’établir un régime autonome de garanties 1643 Article 63 de la loi sur les brevets révisée en 2008. 1644 Article 65 de la loi sur les brevets révisée en 2008. 1645 V., préambule de l’Accord sur les ADPIC, «Reconnaissant que les droits de propriété intellectuelle sont des droits privés».
514
des droits de propriété intellectuelle conformément à l’Accord sur les ADPIC. La
réforme de portée générale relative aux garanties juridiques du droit peut donc
s’amorcer grâce à l’effet-ricochet des réformes dans le domaine de propriété
intellectuelle. Dans un contexte plus large, l’Accord sur les ADPIC va jouer un rôle de
catalyseur pour la consolidation du mécanisme d’application du droit en Chine (§ 2).
§ 1. – L’Accord sur les ADPIC comme source d’inspiration de la protection
du droit de propriété
511. - L’Accord sur les ADPIC reconnaît en amont la nature de droit privé de la
propriété intellectuelle. Il contient aussi les principes pour faire respecter les droits de
propriété intellectuelle. Ces principes substantiel (A) et procédural (B) constituent une
source d’inspiration au-delà de leur propre domaine en donnant un modèle à la
protection juridique du droit de propriété corporelle.
A. – Le principe substantiel de la propriété intellectuelle comme droit
privé
512. - Étant donné que le droit chinois était sous l’emprise de l’idéologie socialiste,
la notion de droit privé était mise à l’écart par la doctrine civiliste. C’est à partir de
l’intégration en droit interne des normes internationales que la nature de droit privé de
la propriété intellectuelle a été reconnue (1). L’idée de protéger la propriété
intellectuelle comme un droit privé a non seulement contribué au changement
théorique, mais aussi influencé la pratique de la législation, surtout concernant
l’élaboration de la loi sur les droits réels (2).
(1). – La reconnaissance de nature de droit privé de la propriété intellectuelle en droit
chinois
513. - L’idée selon laquelle les créations intellectuelles sont les richesses appartenant
à l’État prévalait pendant longtemps en Chine. Selon cette idée, il revenait à l’État d’en
515
gérer l’application et l’exploitation au nom du bien-être de la société. Les inventeurs ne
disposaient d’aucun droit privatif, sauf à bénéficier des prix accordés par l’État sous
forme d’encouragement sur les travaux d’innovations. L’adhésion à l’Accord sur les
ADPIC comme l’une des conditions de l’entrée à l’OMC par la Chine a contribué à
l’évolution de l’idée traditionnelle sur la nature des créations intellectuelles1646. Des
juristes chinois ont vivement soutenu que l’Accord sur les ADPIC réaffirme sans
équivoque dans son préambule que les droits de propriété intellectuelle sont des droits
privés. Cela signifie non seulement que la « propriété intellectuelle » –comme
l’expression le montre– fait l’objet de l’appropriation privative, mais aussi appelle des
garanties effectives contre l’empiétement des personnes privées et de la puissance
publique. La nature de droit privé de la propriété intellectuelle a été également
défendue par la thèse selon laquelle le résultat du travail intellectuel créatif est celui de
l’investissement intellectuel ainsi que celui de l’investissement du capital humain, et
étant donné que la propriété trouve son origine dans un investissement, la propriété
intellectuelle doit appartenir à celui qui a fait l’apport du travail intellectuel1647. En
s’appuyant sur les amendements constitutionnels adoptés en 2004 selon lesquels l’État
respecte les droits de l’homme et protège la propriété privée des individus, la doctrine
a même proposé la proclamation en Chine de l’inviolabilité de la propriété
intellectuelle1648. Il faut souligner que la doctrine chinoise admet sans difficulté des
limites aux droits de propriété intellectuelle, tout comme le fait que la propriété n’est
pas un droit absolu et peut faire l’objet de restrictions au nom de l’intérêt général. Le
professeur WU Handong, participant à la réflexion portant sur la relation entre la
1646 V., ZHENG Chengsi, Droit de propriétés intellectuelles (Zhishi chanquan lun), Law Press China, 1998, p.35. V., aussi WU Handong, « Zhishi chanquan de siquan he renquan shuxing, yi zhishi chanquan xieyi he shijie renquan xuanyan wei duixiang (La nature de droit privé et de droits de l’homme des propriétés intellectuelles : études sur l’accord de l’ADPIC et la Déclaration universelle des droits de l’homme) », Faxue Yanjiu (Chinese Journal of Law), n° 3, 2003, pp. 66 à 78 ; WU Handong, « Zhishi chanquan de duoweiduo jiedu (Analyses sur les différentes dimensions des droits de propriétés intellectuelles) », Zhongguo Faxue (China Legal Science), n°5, 2006, pp.97 et s. 1647 Cf., HE Min, Les systèmes d’attribution de la propriété de l'invention du salarié en droit comparé et proposition, thèse doctorat de l’Université Paris 1, soutenue en 2005. 1648 V., par ex., WEI Zhi, « Zhishi chanquan shensheng buke qinfan (À propos de l’inviolabilité des propriétés intellectuelles) », Dianzi zhishi chanquan (Electronics Intellectual Property), n° 3, 2004, pp. 52 à 55.
516
propriété intellectuelle et les droits de l’homme au regard des instruments
internationaux des droits de l’homme, notamment la Déclaration universelle des droits
de l’homme, a conclu que la limitation du droit de la propriété intellectuelle se justifiait
par la réalisation d’un équilibre entre l’intérêt privé du titulaire des droits de propriété
intellectuelle et le bien-être social1649.
Il est intéressant d’observer que le changement de l’idée sur la nature de droit
privé de la propriété intellectuelle s’accompagne en même temps de l’émergence de la
notion de propriété privée en droit chinois. En effet, l’intégration des normes
internationales consacrées à la protection de la propriété intellectuelle s’inscrit dans le
processus de légitimation de l’appropriation privative des biens, qu’il s’agisse des
fruits du travail intellectuel ou physique. La reconnaissance de la nature de droit privé
de la propriété intellectuelle suppose, dans un contexte plus large, l’acceptation de la
notion de droit privé qui elle-même repose sur la distinction entre le domaine public et
le domaine privé. Cette distinction est fondamentale sur le plan aussi bien doctrinal que
législatif. Ayant concouru au changement idéologique concernant l’appropriation
privative des biens, la législation en matière de propriété intellectuelle a également
exercé son influence sur les travaux législatifs concernant la loi sur les droits réels.
(2). – L’influence de la législation de propriété intellectuelle sur l’élaboration de la loi
sur les droits réels
514. - La législation relative à la propriété intellectuelle a précédé l’élaboration de la
loi sur les droits réels en Chine, et par conséquent, l’acceptation par le législateur du
fait que la propriété intellectuelle relève du droit privé n’est pas sans incidence sur la
formation de la notion de propriété privée. Le fait de souscrire aux engagements
internationaux a facilité l’acceptation de la notion de droit privé et favorisé par
conséquent le processus d’évolution du droit chinois qui se caractérise par la
reconnaissance de certains droits. Avant d’être révisée en 2001, la loi sur les brevets 1649 WU Handong, « Zhishi chanquan de siquan he renquan shuxing, yi zhishi chanquan xieyi he shijie renquan xuanyan wei duixiang (La nature de droit privé et de droits de l’homme des propriétés intellectuelles : étude sur l’accord de l’ADPIC et la Déclaration universelle des droits de l’homme) », loc. cit.
517
disposait que les entreprises d’État n’avaient que le droit d’utiliser des brevets sans
pour autant pouvoir en disposer, car l’État demeurait le titulaire des brevets. Toutefois,
par la révision de la loi en 2000, les entreprises d’État peuvent être titulaires de ses
brevets. Dès lors que les entreprises d’État sont reconnues par la loi comme titulaires
des droits de propriété intellectuelle, il n’est plus raisonnable de refuser d’admettre que
les entreprises publiques soient propriétaires de leurs biens corporels. La
reconnaissance des entreprises d’État comme titulaires des droits de propriété
intellectuelle a été un progrès important, dans la mesure où elle a pavé le chemin
conduisant à la reconnaissance des entreprises d’État comme propriétaires des biens
qu’elles détiennent, en abandonnant l’idée classique selon laquelle l’État était le
propriétaire des actifs des entreprises d’État.
515. - Lors de l’élaboration de la loi sur les droits réels, certains auteurs ont insisté
pour intégrer les normes relatives à la propriété intellectuelle dans le projet de loi. Leur
raisonnement s’est appuyé sur une méthode comparative réfléchissant sur le droit civil
français pour lequel la notion de biens englobe non seulement des propriétés
corporelles mais aussi les propriétés incorporelles. En outre, selon certains auteurs, il
serait plus opportun de codifier les droits relatifs aux biens tout en intégrant les règles
de la propriété intellectuelle en parallèle avec celles applicables aux biens corporels,
car à l’époque contemporaine où l’économie des savoirs prévaut, la propriété
incorporelle occupe une place plus importante que les droits réels au sens classique1650.
Le plaidoyer pour une loi des droits des biens au lieu d’une loi sur les droits réels a
aussi provoqué des débats sur la question de savoir s’il existe un régime juridique
commun applicable tant aux droits réels corporels qu’aux droits de propriété
intellectuelle1651. Parmi les thèses favorables à l’intégration des droits de la propriété
1650 V., ZHENG Chengsi, HUANG Hui, « Faguo minfadian zhong de caichanquan gainian he woguo lifa de xuanze (La nation du droit des biens dans le Code civil français et le choix de la législation chinoise) », Zhishi Chanquan (Propriété intellectuelle), n° 3, 2002, p. 9 et s; v., aussi, ZHENG Chengsi, XUE Hong, « Zaitan woguo yingli caichanfa erfei wuquanfa (Plaidoyer pour un Code des droits des biens au lieu d’un Code des droits réels) », Renda Falü Pinglun (Ren Min University Law Review), vol. 2, 2001. 1651 V., MA Junju, MEI Xiaying, « Wuxing caichan de lilun he lifa wenti (On the theoretic and legislative issue of intangible property) », Zhonguo faxue (China Legal Science), n° 2, 2001, pp. 102 et s.
518
intellectuelle figure celle selon laquelle la limitation des droits de la propriété
intellectuelle constitue un modèle de technique juridique destinée à établir l’équilibre
entre les droits privés et l’intérêt public, et par conséquent transposable dans le
domaine des droits réels. Ainsi, l’absence d’un principe général de limitation des droits
réels dans le projet de la loi sur les biens était critiquable1652. Quoique la loi sur les
droits réels adoptée en 2007 ne comporte pas systématiquement les droits de propriété
intellectuelle, la législation de propriété intellectuelle demeure autonome d’un point de
vue systématique. Mais il ne faut pas négliger la réalité que le développement du droit
de la propriété intellectuelle en Chine a pu avoir un impact important sur l’élaboration
de la loi sur les droits réels, du fait de la parenté entre les deux types de propriétés,
corporelle et incorporelle.
B. – Le principe procédural de la protection des droits de propriété
intellectuelle
516. - L’Accord sur les ADPIC énonce le principe général applicable à toutes les
procédures destinées à faire respecter les droits de propriété intellectuelle, parmi
lesquels figure celui relatif aux procédures et mesures correctives pour permettre aux
titulaires des droits de les faire respecter efficacement. Il s’agit notamment du principe
des procédures loyales et équitables qui dirige l’application des règles de garantie des
droits de propriété intellectuelle (1). Au regard de sa portée et de sa fonction, le
principe procédural est transposable à la garantie du droit de propriété, par conséquent,
peut aider à réformer le droit chinois en la matière (2).
(1). – Le principe de procédures loyales et équitables applicable aux moyens de faire
respecter les droits de propriété intellectuelle
517. - Les articles 41 et 42 de l’Accord sur les ADPIC disposent des procédures
1652 V., ZHENG Chengsi, « Siquan, Zhishichanquan he wuquan de quanli xianzhi (Droits privés, propriétés intellectuelles et la limitation des droits réels) », Faxue (Law Science Monthly), n° 9, 2004, p. 84.
519
loyales et équitables comme principe directeur des moyens de faire respecter les droits
de propriété intellectuelle. Dans un contexte plus large, le principe de procédures
loyales et équitables peut recouvrir de nombreux aspects d’une bonne administration
de la justice, de l’effectivité et de la bonne gouvernance1653. En ce qui concerne la
protection des droits de propriété intellectuelle, l’Accord sur les ADPIC prévoit que les
procédures ne seront pas inutilement complexes et coûteuses et ne comporteront pas de
délais déraisonnables ni n’entraîneront de retards injustifiés. L’exigence de célérité des
procédures vise donc à garantir que, dans un délai raisonnable et au moyen d’une
décision des autorités compétentes, est mise à fin l’incertitude dans laquelle se trouve
plongée une personne quant à sa position de droit. Cette exigence inhérente au droit à
un procès équitable sert donc à la fois l’intérêt de la personne en question et la sécurité
juridique1654. Il faut souligner que le principe des procédures loyales et équitables ne
s’applique pas seulement aux procédures judiciaires, mais aussi aux procédures
administratives. L’extension du caractère équitable aux procédures administratives est
d’autant plus nécessaire que la protection effective des droits de propriété intellectuelle
dépend de l’intervention en temps utile des autorités administratives.
518. - Le principe des procédures loyales et équitables exige aussi l’intelligibilité des
décisions aux termes de l’article 41, paragraphe 3. Selon ce dernier, les décisions au
fond seront écrites et motivées ; elles seront au moins mises à la disposition des parties
à la procédure sans retard indu ; l’adoption des décisions au fond s’appuiera
exclusivement sur des éléments de preuve sur lesquels les parties ont eu la possibilité
de se faire entendre.
519. - L’article 41, paragraphe 4, prévoit l’exigence de révision judiciaire en vertu de
laquelle les parties à une procédure auront la possibilité de demander la révision des
décisions administratives finales par une autorité judiciaire. Sous certaines conditions,
la révision judiciaire s’applique au moins aux aspects juridiques des décisions
judiciaires initiales sur le fond.
520. - Le principe des procédures loyales et équitables est plus affiné par l’article 42 1653 V., Sharif BHUIYAN, National law in WTO law: effectiveness and good governance in the world trading system, Cambridge University Press, 2007, pp. 16 à 18. 1654 V., Nuala MOLE, Catharina HARBY, Le droit à un procès équitable, précis sur les droits de l’homme n° 6, Conseil de l’Europe, 2003, p. 25.
520
en ce qui concerne les procédures et mesures correctives. L’Accord prévoit que les
détenteurs de droits doivent avoir accès aux procédures judiciaires civiles et disposent
de règles pour assurer l’égalité des armes quant au déroulement des procédures. Les
défendeurs devront être informés en temps opportun par un avis écrit suffisamment
précis indiquant les fondements des allégations. Les parties seront autorisées à se faire
représenter par un conseil juridique indépendant et les procédures n’imposeront pas de
prescriptions excessives en matière de comparution personnelle obligatoire. Toutes les
parties à de telles procédures seront dûment habilitées à justifier leurs allégations et à
présenter tous les éléments de preuve pertinents. D’ailleurs, la procédure doit
comporter un moyen d’identifier et de protéger les renseignements confidentiels, à
moins que cela ne soit contraire aux prescriptions constitutionnelles existantes.
(2). – La transposabilité du principe procédural à la garantie du droit de propriété
521. - La transposabilité du principe procédural relatif aux moyens de faire respecter
les droits de propriété intellectuelle à la garantie du droit de propriété tient à ce qu’il
contribue, comme un modèle de droit, à rationaliser les procédures de protection de
tous les droits privés. L’article 41 de l’Accord sur les ADPIC pose les obligations
générales des Membres de l’OMC quant à faire respecter les droits de propriété
intellectuelle, dont l’objectif consiste à permettre une action efficace contre tout acte
portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle, mais aussi à prévenir toutes les
atteintes par l’effet dissuasif des mesures correctives1655. Pour réaliser cet objectif, il
n’est pas exigé des Membres qu’ils établissent un système juridique distinct de celui
qui vise à faire respecter la loi en général. D’autant plus qu’aucune disposition de
l’Accord sur les ADPIC « ne crée d’obligation en ce qui concerne la répartition des
ressources entre les moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle et
les moyens de faire respecter la loi en général »1656. Bien entendu, il n’empêche pas
qu’un membre de l’OMC puisse abandonner cette exonération et instituer un
mécanisme spécial pour faire respecter les droits de propriété intellectuelle en dehors
1655 V., article 41, paragraphe 1 de l’Accord sur les ADPIC. 1656 V., article 41, paragraphe 5 de l’Accord sur les ADPIC.
521
des principes et moyens d’exécution de la loi en général. Mais isoler complètement les
principes et les moyens de faire respecter les droits de la propriété intellectuelle du
cadre général consacré à l’exécution des lois s’avère aussi impossible que
déraisonnable. Car les principes et les moyens de faire respecter les droits de propriété
intellectuelle ne sont que la concrétisation des principes d’un système juridique à
l’égard de la mise en oeuvre du droit1657. Ce constat est d’autant plus évident que le
principe de transparence, proclamé par l’article 63 de l’Accord sur les ADPIC, exige
des membres de l’OMC qu’ils notifient les lois et les réglementations rendues
exécutoires visant les questions faisant l’objet de l’Accord. Dans la pratique de la
notification 1658 , une distinction est établie entre les « principales lois et
réglementations consacrées à la propriété intellectuelle » et les « autres lois et
réglementations ». Cela signifie que la mise en oeuvre des droits de propriété
intellectuelle ne s’effectue pas seulement à travers des lois et des réglementations
consacrées à la propriété intellectuelle mais également par des autres lois et
réglementations pertinentes. À cet égard, la législation en matière de procédure civile,
considérée dans sa portée générale, constitue une composante essentielle de la
catégorie « autres lois et réglementations »1659. Il en résulte que le principe des
procédures loyales et équitables contenu dans l’Accord sur les ADPIC relève donc
d’un caractère d’ordre général, et par conséquent doit être respecté par l’ensemble des
lois et réglementations dont l’applicabilité ne se limite pas à la propriété intellectuelle.
522. - L’application du principe des procédures loyales et équitables à la garantie du
droit de propriété est d’autant plus souhaitable si l’on envisage sa fonction à limiter
l’abus de pouvoir administratif. À cet égard, l’expropriation pour le but d’intérêt public
est un exemple assez pertinent. Dans les pratiques d’expropriation, notamment sous
l’angle de la démolition des bâtiments dans des zones urbaines, les expropriées
1657 Mike WILLIS, « A survey of enforcement measures for international intellectual property rights under the WTO: Complying issues for developing countries », Int. T.L.R. 2000, 6(6), 180-188, p. 187. 1658 OMC, Procédure de notification des lois et règlementations nationales et établissements possible d’un registre commun de ces lois et réglementations au titre de l’article 63 :2, décision du Conseil des ADPIC du 21 novembre 1995, IP/C/2. 1659 Par exemple, la Chine a notifié au Conseil des ADPIC son Code de procédure civile dans la catégorie des autres lois et réglementations, v., OMC, Notification des lois et réglementations au titre de l’article 63.2 de l’Accord, Chine, 18 juillet 2002, IP/N/1/CHN/1.
522
peuvent, en exerçant leur droit d’accès au tribunal, intenter des litiges pour contester la
légalité des décisions d’expropriation. La transposition de l’exigence de révision
judiciaire des décisions administratives aux procédures d’expropriation conduira à
élargir la compétence des tribunaux concernant l’examen de toutes les décisions
administratives, y compris celles portant sur les indemnisations qui échappent
jusqu’alors à un véritable contrôle judiciaire. Le principe de l’égalité des armes, s’il est
strictement respecté lors des procédures judiciaires dans les cas d’expropriation, peut
entraîner la suppression de l’exécution forcée de la décision de démolition par le
tribunal sur la demande des autorités publiques locales, et par conséquent élever la
position des expropriées par rapport à celle des expropriants. L’exigence de célérité
concernant la procédure, si elle est observée par les tribunaux dans le règlement des
contentieux concernant la démolition des bâtiments dans des zones urbaines, peut
réduire le phénomène « maison de clous (dingzihu) » qui est pourtant très présent lors
des négociations entre les propriétaires des bâtiments d’habitation et l’expropriant
tombent dans l’impasse.
§ 2. – Le rôle de l’Accord sur les ADPIC comme catalyseur de la
consolidation du mécanisme d’application du droit
523. - La prévention et le règlement des différends en matière de protection des
droits de propriété intellectuelle sont spécifiquement prévus par l’Accord sur les
ADPIC. L’examen des législations d’application des Membres de l’OMC par le
Conseil des ADPIC a été l’occasion pour que le mécanisme d’exécution des droits du
membre soit soumis à l’évaluation multilatérale. L’examen des législations
d’application peut inciter la Chine à améliorer son mécanisme d’exécution du droit qui
est considéré comme l’un des recours prioritaires pour assurer la protection constante
de la propriété intellectuelle 1660 . Depuis son accession à l’OMC, la Chine a
régulièrement notifié ses lois et règlements en ce qui concerne l’application de
l’Accord sur les ADPIC dans l’ordre juridique interne et par conséquent a aussi facilité
1660 V., Peter K. YU, « Still dissatisfied after all these years: intellectual property, post-WTO China, and the avoidable cycle of futility », op. cit., p. 16.
523
l’examen du Conseil des ADPIC 1661 . Les procédures d’examen prévoient la
communication des questions et des réponses par écrit ainsi que des discussions entre
membres de l’OMC au cours de la réunion. C’est dans ce contexte que les faiblesses du
mécanisme d’exécution du droit chinois peuvent être systématiquement soulignées.
Alors que ces faiblesses sont considérées à l’aune des exigences de la protection des
droits de propriété intellectuelle, elles demeurent cependant présentes dans d’autres
domaines du droit et traduisent par conséquent des problèmes existant dans l’ensemble
d’un système juridique. La soumission des problèmes à l’examen multilatéral pourrait
conduire le gouvernement chinois à adopter des mesures concrètes visant à améliorer
ou à résoudre ces problèmes. Il s’agit notamment de la suppression du protectionnisme
local (A) et du renforcement de la coopération interinstitutionnelle (B), à la base de la
consolidation du mécanisme d’application du droit.
A. – L’exigence de suppression du protectionnisme local
524. - Soumis à l’examen des membres de l’OMC (1), la suppression du
protectionnisme local est aussi l’un des objets de la reforme du droit interne. Les
mesures de recentralisation, qui sont plus visibles dans le domaine du droit de propriété,
ne sont qu’une tentative de réponse à ce problème (2).
(1). – L’examen sur le problème du protectionnisme local dans le cadre de l’OMC
525. - Le protectionnisme local et la corruption font partie des phénomènes néfastes
qui encombrent la réforme juridique en Chine 1662. Le projet de suppression du
protectionnisme local comme obstacle à l’exécution effective de la législation interne
concernant les droits de propriété intellectuelle fut prévu par le mémorandum d’accord 1661 V., OMC, Examen de la législation, Chine, IP/Q/CHN/1, IP/Q2/CHN/1, IP/Q3/CHN/1, IP.Q4/CHN/1, 10 décembre 2002. 1662 V., REN Jianxin, « Zuigao renmin fayuan gongzhuo baogao (Rapport annuel de la Cours Suprême Populaire) », in Zuigao renmin fayuan gongbao (Gazette Officielle de la Cours Populaire Suprême), n° 2, 1993, p. 55. V., aussi, V., Randall PEERENBOOM, « What have we learned about law and development? Describing, predicting, and assessing legal reform in China », op. cit., p. 861; Stanley LUBMAN, « Bird in a cage: Chinese law reform after twenty years », 20 Nw. J. Int’l L. & Bus. 383, p. 396.
524
sino-américain du 19951663. Alors que le gouvernement chinois a souligné ses progrès
en matière de suppression du protectionnisme local dont certains individus ont tiré
profit et qu’il a insisté sur sa décision de sanctionner systématiquement les pratiques
illégales telles que la contrefaçon et le piratage, le protectionnisme local en Chine fait
toujours l’objet des critiques de la part des membres de l’OMC. Ainsi, selon le
gouvernement japonais, le gouvernement chinois doit faire preuve d’autorité pour
empêcher les administrations et les gouvernements régionaux de favoriser les branches
locales de production1664. De manière régulière, les États-Unis se plaignent du fait que
la mise en oeuvre efficace des droits de propriété intellectuelle en Chine est gênée,
entres autres, par le protectionnisme local et la corruption1665. Selon les membres de
l’OMC, en plus de l’insuffisance du pouvoir dissuasif des sanctions prévues, le
protectionnisme local est une des causes majeures des atteintes aux droits de la
propriété intellectuelle. Les gouvernements locaux ou les agents d’administrations
locales qui tirent directement ou indirectement des profits issus de la contrefaçon et de
la piraterie –du fait de leur double rôle en tant que régulateurs et agents économiques–
tendent à couvrir les violations des droits de propriété intellectuelle, en se méfiant des
dispositions de la loi1666. Le protectionnisme local prend plusieurs formes concrètes. Il
est susceptible de résulter essentiellement de mesures arbitraires favorisant les
commerçants et les producteurs locaux, ou de la corruption locale permettant aux
fabricants ou aux marchands locaux de produits contrefaits d’être avertis à l’avance des
perquisitions prévues 1667 . Il semble en outre que les administrations locales
compétentes n’ont pas toutes les capacités requises pour faire respecter les droits de
1663 V., Memorandum of Understandings between the Government of the United States of America and the Government of the People’s Republic of China on the Protection of Intellectual Property, Annexe I Action Plan for Effective Protection and Enforcement of Intellectual Property Rights, I, 5 a), in Journal of International Law and Practice, summer 1995, p. 420. 1664 OMC, Compte rendu de la réunion, tenue au Centre William Rappard du 17 au 19 septembre 2002, IP/C/M/37/Add.1, 8 novembre 2002, § 38. 1665 V., United State Trade Representative, 2006 Report to Congress on China’s WTO Compliance, p. 76. 1666 V., Daniel C. K. CHOW, « Counterfeiting in the People’s Republic of China », 78 Wash.U. L.Q. 1(2000), p. 27; même auteur, The legal system of the People’s Republic of China, West Group Publishing, 2003, p. 440; Frederik BALFOUR, « Counterfeiting’s rise », Bus. Wk., Feb. 7, 2005, p. 62. 1667 V., OMC, Examen des politiques commerciales : rapport du Secrétariat, République Populaire de Chine, révision, WT/TPR/S/161/Rev.1, 26 juin 2006, p. 185.
525
propriété intellectuelle.
(2). – La tentative de recentralisation comme résolution au problème du
protectionnisme local
526. - Le protectionnisme local est le corollaire de la décentralisation, mais les
raisons plus profondes du problème tiennent dans les écarts du droit chinois par rapport
au principe de l’État de droit. La suppression complète du protectionnisme local
suppose d’une certaine manière que l’ensemble du système politico-juridique chinois
soit refondé selon les exigences de l’État de droit1668. La première étape consiste à
établir un marché national en réunissant des compartiments territoriaux, ainsi qu’à
renforcer l’indépendance des juges locaux pour assurer l’application uniforme des
règles de droit contre l’intervention des gouvernements locaux1669. La suppression du
protectionnisme local s’accompagne de la reconquête des autorités locales au profit de
l’autorité centrale. C’est dans ce contexte que l’autorité du gouvernement central devra
être renforcée, alors que la marge de manoeuvre des localités devra être réduite. Il
s’agit-là d’un inverse de la décentralisation. Cette tendance de recentralisation s’est
déjà manifestée en matière de droit de propriété : le gouvernement central intervient à
l’occasion de démolitions des bâtiments afin de contrôler les pratiques des
gouvernements locaux susceptibles de conduire à des protestations sociales. Le
pouvoir d’exproprier les terres agricoles de propriété collective a été redéfini par la loi
sur l’administration du sol révisée en 2004. La supervision et la gestion des actifs
d’État des entreprises ont été largement concentrés dans les mains de la Commission
d’État chargée de la supervision et de la gestion des actifs de l’État (SASAC), etc. Sous
l’influence de l’internationalisation du droit de la propriété intellectuelle, le besoin
d’en finir avec le protectionnisme local ne peut qu’encourager la tendance de 1668 V., LI Yiqiang, « Evaluation of sino-american intellectuel property agreements: a judicial approach to solving the local protectionism problem », 10 Colum. J. Asian L. 391, p. 422; Jeffrey W. BERKMAN, « Intellectual property rights in the P.R.C.: Impediment to protection and the need for the rule of Law », op. cit., pp. 34 et 35; CAO Jianming, « WTO and the rule of law in China », 16 Temp. Int’l & Comp. L.J. 379, p. 390. 1669 Randal S. ALEXANDER, « China’s struggle to maintain economic viability while enforcing international and domestic intellectual property rights », 4 J. Marshall Rev. Intell. Prop. L. 608, p. 622.
526
recentralisation des pouvoirs publics concernant l’exercice du droit de propriété. En ce
sens, le droit international impose plusieurs exigences au droit chinois, à savoir
l’application uniforme des règles de droit et la garantie effective des droits consacrés
par la loi. Ces mesures correspondent parfaitement au but de la réforme vers la
recentralisation sur le plan interne. Il faut souligner toutefois que la recentralisation
n’étant qu’une tentative pour résoudre le problème du protectionnisme local, son
effectivité est conditionnée par le succès de l’ensemble des efforts visant à construire
un État de droit en Chine.
B. – L’exigence de renforcement de la coopération interinstitutionnelle
527. - Plusieurs administrations s’impliquent dans la mise en oeuvre des droits de
propriété intellectuelle. L’organisation des affaires de la protection des droits de
propriété intellectuelle dans l’ensemble du territoire national est désormais assumée
par un organe interinstitutionnel institué au niveau du gouvernement central (1).
Contrastant avec l’avancée de la coopération entre les organes administratifs, la
coopération entre l’autorité judicaire et les administrations demeure toutefois
insuffisante (2). Le renforcement de la coopération interinstitutionnelle, exigé par la
mise en oeuvre effective du droit de la propriété intellectuelle en Chine, peut
contribuer à l’amélioration de la protection de la propriété dans un contexte plus large.
(1). – L’avancée de la coopération des organes administratifs dans la protection des
droits de propriété intellectuelle
528. - L’importance du mécanisme de liaison interinstitutionnelle concernant la
protection effective du droit de propriété intellectuelle a déjà été soulignée par les
membres de l’OMC lors de l’examen des législations1670. Comme dans beaucoup de
pays, un grand nombre d’institutions différentes doivent coopérer les unes avec les
autres pour coordonner leur action en vue notamment de lutter contre la piraterie et la
contrefaçon. La coopération interinstitutionnelle est d’autant plus importante en Chine 1670 V., OMC, Compte rendu de la réunion, précité, § 29.
527
que la protection des droits de propriété intellectuelle emprunte plusieurs voies
parallèles. En cas d’atteinte à ces droits, leurs titulaires peuvent soit engager une
procédure judiciaire devant les tribunaux, soit déposer une plainte auprès des
administrations compétentes. En vertu des lois et des règlements en vigueur, les
administrations peuvent ordonner, parmi diverses mesures administratives, l’arrêt des
atteintes ou infliger des amendes1671. Sur le plan organique, plusieurs départements
assument respectivement les fonctions de protection de la propriété intellectuelle. Ce
sont l’Office Nationale de la Propriété Intellectuelle, l’Administration d’État pour
l’Industrie et le Commerce, l’Administration Générale de la Presse et de la Publication,
l’Administration Nationale des Droits d’Auteur, le Ministère de la Culture, le Ministère
de l’Agriculture, le Bureau National d’Administration Forestière, le Ministère de la
Sécurité Publique, l’Administration Générale des Douanes, etc. En 2004, a été institué
un Groupe national de travail pour la protection de la propriété intellectuelle ayant à sa
tête un vice-premier ministre du CAE dont les membres sont désignés par différents
ministères, commissions d’État, bureaux nationaux qui investissent leur compétence en
matière de propriété intellectuelle, ainsi que la Cour populaire suprême et le Parquet
suprême1672. L’objectif de ce Groupe national de travail consiste à orienter, planifier et
coordonner des travaux de protection de la propriété intellectuelle dans tout le pays. Ce
qui témoigne du fait que « la protection de la propriété intellectuelle est devenue une
priorité pour le Gouvernement chinois »1673. Dès lors, des campagnes ont été menées
par le biais d’actions entreprises en parallèle et adoptées par des ministères compétents
pour la protection des droits de propriété intellectuelle autour des thèmes arrêtés par le
Groupe national de travail1674. Alors que la collaboration des organes administratifs est
1671 V., articles 57 et 58 de la loi sur les brevets ; article 53 de la loi sur les marques ; article 47 de la loi sur les droits d’auteurs ; article 24 du Règlement sur la protection des programmes informatiques. 1672 V., Office d’information du CAE, Nouveaux progrès de la protection de la propriété intellectuelle en Chine 2005, précité. 1673 Paul RANJARD, « La Chine : une prise en conscience ? », Revue de la propriété industrielle et artistique, 2005, n° 220, p. 19. 1674 Depuis 2005, les campagnes de protection des droits de propriété intellectuelle menées sous l’orientation du Groupe de travail comportent les actions ciblées de contrôle sur les matières de la mise en oeuvre des droits de propriété intellectuelle, l’évaluation et la sélection des marques traditionnelles chinoises (Zhonghua laozihao), l’action « de cent jours » anti-piratage des droits d’auteurs, et l’établissement du mécanisme de communication avec les investisseurs étrangers dans le domaine de la
528
institutionnalisée, la coordination entre les organes administratifs et l’autorité judicaire
–qui est pourtant plus essentiel pour la protection effective des droits de propriété
intellectuelle– demeure insatisfaisante. Ce qui reflète l’une des faiblesses
systématiques du droit chinois.
(2). – La coordination insatisfaisante entre l’autorité judiciaire et les organes
administratifs
529. - Selon les membres de l’OMC, la coordination entre les différentes autorités
administratives, et surtout entre les autorités judiciaires et les administrations, ne sont
pas satisfaisantes1675. Ce fait se traduit notamment dans l’enquête sur les violations des
droits de propriété intellectuelle. En effet, alors que les dispositions législatives
prévoient les peines à infliger pour les graves contrefaçons et les actes de piratage,
l’enquête du parquet n’est normalement déclenchée qu’à la suite de l’envoi des affaires
par les organes administratifs compétents afin de sanctionner les violations des droits
de propriété intellectuelle par les peines criminelles. Dans bon nombre de cas, l’affaire
a été clôturée dès lors que les sanctions administratives avaient été prises par les
organes administratifs, sans pour autant être transmise au parquet pour que des
poursuites soient finalement engagées à l’encontre des malfaiteurs1676. Il était assez
fréquent que le traitement des affaires par les organes administratifs soit discrétionnaire,
empêchant de mettre en oeuvre la loi pénale à propos de la violation des droits de
propriété intellectuelle. Il est donc souhaitable d’élargir le pouvoir d’intervention du
parquet dans les affaires de contrefaçon ou de piratage pour que le recours au droit
pénal soit davantage effectif.
Mais il faut souligner que la coordination insatisfaisante des institutions dans la
protection des droits de propriété intellectuelle témoigne d’une faiblesse de l’ensemble propriété intellectuelle, etc. V., HAN Tiecheng, « La Chine: une prise de conscience ? », Revue de la propriété industrielle et artistique, 2005, n° 220, pp. 16 à 18. 1675 V., OMC, Compte rendu de la réunion, précité, § 38. 1676 V., Sabra CHARTRAND, « Stepping up the pressure against piracy in China », N.Y. Times, 6 décembre 2004, C7; Anthony LAWRANCE, « Pirates of the PRD », South China Morning Post, 16 septembre 2005, 18; Kate Colpitts HUNTER, « Here there be pirates: how China is meeting its IP enforcement obligations under TRIPS », 8 San Diego Int’l L.J. 523, p. 547.
529
du système juridique chinois. Rappelons l’existence d’un problème similaire en ce qui
concerne la démolition des bâtiments dans des zones urbaines où le droit de propriété
est mis en cause. Dans le régime juridique de la démolition des bâtiments dans des
zones urbaines établi par le règlement du CAE, le pouvoir administratif l’emporte sur
l’autorité judiciaire dans chaque phase de l’exécution du projet de démolition. En vertu
du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones
urbaines, les gouvernements locaux compétents peuvent déterminer la légalité des
mesures d’expropriation en délivrant aux expropriants le permis de démolir, alors que
le contrôle judiciaire sur les décisions des gouvernements locaux reste très marginalisé
en raison de la distinction entre actes administratifs concrets et abstraits. D’ailleurs, le
désaccord entre les expropriés et l’expropriant sur l’indemnisation doit être réglé par
voie administrative, à savoir l’arbitrage par des gouvernements locaux, avant qu’il ne
soit porté devant les tribunaux. Les gouvernements locaux ont le droit de procéder à
l’exécution forcée de la démolition des bâtiments dans des zones urbaines, alors que
les différends sur le montant de l’indemnisation restent pendants devant les tribunaux
locaux1677. En résumé, le pouvoir administratif est plus « puissant » que le pouvoir
judiciaire en matière de garantie du droit de propriété en cas d’expropriation. Cette
réalité correspond en sa substance à la situation susmentionnée dans la mise en oeuvre
des garanties des droits de propriété intellectuelle. À cet égard, le renforcement de la
coopération interinstitutionnelle exigé par l’Accord sur les ADPIC ne peut se réaliser
qu’à travers la réforme systématique de la relation entre pouvoir administratif et
pouvoir judiciaire. Ceci est dans la ligne pour améliorer l’efficacité du mécanisme
d’exécution du droit. 1677 V., supra, n° 309.
530
CONCLUSION DU CHAPITRE
530. - Par la conclusion des accords bilatéraux de protection des investissements et
l’adhésion à l’Accord sur les ADPIC, le droit international économique constitue une
source juridique importante de la protection de le propriété, dont la spécificité, mais
aussi la limite, tiennent dans le fait que ce n’est pas le droit de propriété qui est visé de
façon générale. C’est la propriété sous sa forme concrète d’investissement ou les biens
incorporels résultant de la création intellectuelle qui sont protégés en tant que droits
privés. Le droit international économique enrichit le droit interne, dans la mesure où
non seulement il comporte les normes substantielles comblant la lacune du droit
interne sur la protection des investissements ou des droits de propriété intellectuelle,
mais aussi les mécanismes assurant la mise en oeuvres effective des garanties des
droits ainsi établis. Il faut remarquer que l’utilité du droit international économique
comme source juridique du droit chinois dépasse le domaine du droit de propriété, et
influence l’ensemble du système juridique de la Chine. Ainsi en est-il de l’Accord sur
les ADPIC étant donné que les principes relatifs à la mise en oeuvre des garanties des
droits de propriété intellectuelle traduisent également des principes juridiques
fondamentaux de l’État de droit. À cet égard, le droit international économique joue un
double rôle de révélateur et d’indicateur : il met en relief les problèmes existants, et
propose des lignes d’orientation pour résoudre les problèmes constatés. Il faut toutefois
remarquer que l’acceptation des normes de droit international économique en droit
interne chinois est dans une large mesure conduit par la considération pragmatique
selon laquelle le bon usage du droit international économique est un gage de
développement économique pour une Chine qui s’implique désormais profondément
dans l’économie mondiale. Cette idée courante qui admet l’utilité du droit international
économique traduit la volonté du gouvernement chinois de tirer profit du droit
international pour son propre intérêt économique ou politique. Il reste néanmoins à
savoir si l’apport du droit international économique peut dépasser la limite du
pragmatisme du droit interne et contribuer à l’amélioration de la protection du droit de
propriété au sens général.
531
CONCLUSION DU TITRE
531. - S’il est vrai que les sources juridiques de la protection de la propriété existent
aussi bien en droit international des droits de l’homme qu’en droit international
économique, le développement de ces deux aspects du droit international est pourtant
inégal. Au regard de son contenu, de la force contraignante des normes relatives à la
propriété, ainsi que de l’effectivité des mécanismes pour sa mise en oeuvre, le droit
international des droits de l’homme est relativement moins « puissant » que le droit
international économique qui manifeste plus directement et de manière plus visible son
influence sur l’ordre juridique interne chinois. Le caractère contrasté de la position du
gouvernement chinois, à savoir sa prudence envers le droit international des droits de
l’homme d’un côté, et, de l’autre côté, son acceptation pragmatique du droit
international économique, fait aussi qu’il se révèle un facteur de déséquilibre pour le
développement du droit international. Néanmoins, du fait même que la protection de la
propriété est visée aussi bien par le droit international des droits de l’homme et par le
droit international économique, le déséquilibre des deux aspects du droit international
pourrait générer un rapport conflictuel. Pour éviter ce conflit, il faudrait établir la
complémentarité entre droits de l’homme et droit du commerce pour déboucher sur une
collaboration des différentes branches du droit international. Cette collaboration sera
nécessaire pour véritablement améliorer la protection de la propriété. La tâche de
collaboration incombe de prime abord à chaque État dès lors qu’il met en oeuvre du
droit international dans l’ordre juridique interne. Que ce soit par la transposition ou par
l’application directe des normes internationales ou par l’adaptation du droit interne, la
mise en oeuvre du droit international en faisant la collaboration du droit international
économique et des droits de l’homme exige l’abandon de l’approche sélective du droit
interne vis-à-vis les normes internationales. Pour le droit chinois, le fait d’améliorer la
protection de la propriété par la prise en compte des normes internationales, tout en
évitant « de nouveaux risques de déséquilibre »1678 entre droits de l’homme et droit du
commerce, est une étape importante à franchir.
1678 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p. 569.
532
TITRE II. – LA MISE EN OEUVRE DES NORMES INTERNATIONALES
532. - Le droit international constitue une source juridique importante pour la
protection de la propriété à cause non seulement de l’existence des normes pertinentes
mais aussi de son application tant sur le plan international que dans l’ordre juridique
interne. Certes, faute de contrôle juridictionnel formel, la mise en oeuvre des normes
internationales relatives à la propriété sur le plan international s’élabore souvent dans
le fonctionnement des mécanismes d’observation plus politiques que juridiques
(CHAPITRE I). Il ne faut pourtant pas négliger l’influence des critiques qui découlent
des observations internationales et qui soulignent les problèmes du droit chinois en
matière de propriété. Car la prise en compte de ces critiques peut inciter à améliorer les
garanties de ce droit. L’application des normes internationales concernant la protection
de la propriété prend de l’ampleur sur le plan international, avec la montée en
puissance du droit international économique et notamment du droit de l’OMC qui
impose désormais plus de contraintes sur le droit interne chinois.
533. - Sur le plan interne, l’application directe des règles de droit conventionnel
n’est pas une pratique généralement acceptée pour exécuter les engagements
internationaux pris par l’État. La législation demeure le moyen le plus important de la
transposition des normes internationales en droit interne chinois. L’amélioration de la
garantie du droit de propriété au sens général peut donc tirer profit de l’adaptation du
droit chinois aux normes internationales (CHAPITRE II). Qu’il s’agisse de la référence
volontaire au droit international ou de la mise en oeuvre des normes de droit
international sous certaines formes de contraintes juridiques, l’adaptation du droit
chinois demeure largement autonome. Et c’est la raison pour laquelle coexistent des
obstacles à dépasser et des risques à éviter pour améliorer la protection de la propriété
en droit chinois en tenant compte l’influence du droit international, alors même que les
avancées sont si encourageantes.
533
CHAPITRE I – LA PROTECTION DE LA PROPRIÉTÉ EN CHINE SOUMISE
AUX OBSERVATIONS INTERNATIONALES
534. - La multiplication des engagements internationaux pris par la Chine
s’accompagne de l’acceptation par celle-ci des mécanismes d’examen de droit
international portant sur le droit interne. Dans ce contexte, le respect sourcilleux de la
souveraineté nationale visant à éviter le plus possible que toute organisation
internationale ou tout État puisse faire preuve d’ingérence dans les affaires intérieures
chinoises est devenu archaïque1679. Certes, si l’acceptation des mécanismes d’examen
de droit international peut aider à faire évoluer l’idée de l’infaillibilité des lois, et par
conséquent contribuer à l’instauration du contrôle de constitutionnalité des lois en droit
interne, il faut néanmoins admettre que la plupart des mécanismes déjà acceptés par la
Chine ne connaissent pas la même rigueur que le contrôle juridictionnel qui a pour
mission de rendre publiques les incompatibilités du droit interne avec les normes
internationales reconnues, et de condamner l’État pour sa violation des normes de droit
international. La principale fonction des mécanismes d’examen auxquels la Chine se
soumet volontairement consiste à promouvoir l’amélioration de la situation interne par
l’élaboration de guides utiles, et en cas de besoin, en suscitant des pressions politiques
à l’égard du gouvernement chinois auprès de la communauté internationale. L’examen
des droits de l’homme dans le domaine du droit international pour ainsi produire ses
impacts sur la situation du droit de propriété en Chine (SECTION I).
535. - Certes, depuis le lancement de la politique d’ouverture, la Chine s’implique
sans relâche dans le processus de la mondialisation de l’économie qui sous-tend « la
dynamique de la mondialisation du droit »1680. La mise en place de la politique
d’ouverture s’accompagne aussi de l’acceptation par la Chine de normes
internationales qui peuvent contribuer à la jouissance des biens privés. Comme la mise
en place progressive de l’économie de marché en Chine a fait sauter le verrou politique
condamnant l’existence de la propriété privée, l’on peut affirmer que « les années de la
1679 V., Jiangyu WANG, « China and universal human rights », 29 Syracuse J. Int’l. L. & Com. 135. 1680 Cf., Eric LOQUIN, Catherine KESSEDJIAN (sous la dir. de), La mondialisation du droit, Litec, 2000.
534
réforme économique étaient [aussi] favorables au développement des droits de
l’homme »1681. Certains mécanismes d’examen de droit international économique
peuvent jouer un rôle plus important du fait des contraintes qu’ils peuvent imposer à la
Chine pour la consolidation du droit de propriété privée en droit interne (SECTION II).
De manière remarquable, l’examen des politiques commerciales dans le cadre de
l’OMC1682 à permis d’aborder la question de propriété dans le système juridique
chinois. Car il n’est guère contestable d’affirmer que le droit de propriété fait partie de
l’ensemble des éléments de politique commerciale. La protection du droit de propriété
relève aussi du droit international relatif aux investissements étrangers. Les
mécanismes de règlement des différends inscrits dans les traités bilatéraux relatifs aux
investissements ouvrent la voie aux observations internationales sur la protection du
droit de propriété dans les cas concrets de règlement des différends d’investissement.
L’acceptation par la Chine, par la conclusion des traités bilatéraux relatifs aux
investissements, de la compétence du Centre International de Règlement des
Différends d’Investissements (CIRDI) pour traiter les différends entre l’État hôte d’une
part et les investisseurs étrangers d’autre part, est révélatrice de l’assouplissement de
l’attitude de la Chine envers les mesures de contrôle international 1683 . Le
fonctionnement de l’Organe de règlement des différends (ORD) dans le cadre de
l’OMC peut davantage impliquer la Chine dans « la juridictionnalisation du droit
international »1684. Alors que le mécanisme de règlement des différends de l’OMC
n’ait cessé de soulever des interrogations quant à son appartenance au domaine
1681 CHEN Xuanling, « L’émergence de la notion de droits de l’homme sous l’influence de la réforme économique depuis 1978 », in Lydie KOCH-MIRAMOND, Jean-Pierre CABESTAN, Françoise AUBIN, Yves CHEVRIER (sous la dir. de), La Chine et les droits de l’homme, L’Harmattan, 1991, p. 99. 1682 L’Organe d’examen des politiques commerciales de l’OMC a procédé au premier examen des politiques commerciales en date des 19 et 21 avril 2006, et au deuxième examen en date des 21 et 23 mai 2008. 1683 V., Stephan W. SCHILL, « Tearing down the Great Wall: the new generation investment treaties of the People’s Republic of China », op. cit., pp. 91 à 93; SHAN Wenhua, « The international law of EU investment in China », op. cit., p. 590; CHEN Qiang, « Chinese practice in public international law: 2003(II) », 3 Chinese J. Int’l L. 591, pp. 606 à 610. 1684 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (III) : la refondation des pouvoirs, op. cit., p. 42.
535
juridique1685 ou politique1686, la nature obligatoire de la compétence des groupes
spéciaux et celle de l’Organe d’appel restreint significativement le choix des membres
de l’OMC quant aux moyens de résolution des conflits commerciaux. Il est vrai que ce
mécanisme interétatique ne vise pas directement, rationae materiae, la question de
droit de propriété au sens général, les droits de propriété intellectuelle font toutefois
l’objet des affaires traitées par l’ORD. La participation de la Chine au règlement des
différends, surtout en tant que défendeur en matière de propriété intellectuelle1687, ne
peut qu’étayer sa prise de conscience de l’influence de la dynamique
d’internationalisation du droit qui travaille son droit interne.
SECTION I. – L’EXAMEN DE LA SITUATION DU DROIT DE PROPRIÉTÉ
EN CHINE DANS LE CADRE DU DROIT INTERNATIONAL DES DROITS
DE L’HOMME
536. - Par la ratification du PIDESC, la Chine s’engage à présenter ses rapports sur
les progrès accomplis et les mesures qu’elle aura adoptées afin d’assurer le respect des
droits reconnus. Tandis que le droit de propriété ne figure pas dans le PIDESC,
l’interdépendance entre le droit de propriété et les droits économiques, sociaux et
culturels conduit à ce que la mise en oeuvre de ces derniers par les États contribue à la
promotion du droit de propriété. L’examen du rapport entrepris par le Comité des
droits économiques, sociaux et culturels peut inciter en quelque sorte l’État chinois à
mieux respecter le droit de propriété (Sous-section 1). Quant au contrôle portant sur les
affaires de plaintes individuelles par le Comité des droits de l’homme dans le cadre du
PIDCP, son incidence sur la Chine est relativement plus faible, sinon négligeable. La
Chine a promis de ratifier le PIDCP dans un avenir proche1688 mais elle n’a pourtant
1685 V., Hélène RUIZ-FABRI, « La juridictionnalisation du règlement des litiges économique entre États », Revue de l’arbitrage, 2003, n° 3, pp. 881 à 947. 1686 V., Dominique CARREAU, Patrick JUILLARD, Droit international économique, op. cit., §§ 204 et s. 1687 OMC, Chine-Mesures affectant la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle, DS 362, demande de consultation en date du 10 avril 2007. 1688 V., CHEN Qiang, « Chinese Practice in Public International Law: 2004 (II) », 4 Chinese J. Int’l L. 607.
536
jamais exprimé l’intention d’accepter le Protocole facultatif au PIDCP instaurant le
mécanisme de contrôle sur les affaires de plaintes individuelles. Dans ce contexte, les
mécanismes de contrôle portant sur la protection des droits de l’homme au plan
international sont moins juridiques que politiques, témoignant donc de la limite
de l’impact du droit international des droits de l’homme sur le droit interne1689. Ainsi,
les observations de nature non juridique peuvent avoir une influence sur un État
subissant des pressions politiques. Depuis l’évènement de la place de Tian’an men qui
a eu lieu en 1989, la Chine est devenue une cible privilégiée des critiques de la
communauté internationale en matière de droits de l’homme. Depuis 1990, il y a eu
plus de 11 initiatives de résolution concernant la violation des droits de l’homme en
Chine portées devant la Commission des droits de l’homme à Genève et toutes ont
échoué à cause de la résistance du gouvernement chinois1690. L’approche sélective de la
Chine dans son acceptation des engagements internationaux prête le flanc à des
critiques alors même que le gouvernement chinois a fait des progrès sur les droits
économiques, sociaux et culturels 1691 . D’ailleurs, certains États peuvent exercer
certaine pression diplomatique sur la Chine en ce qui concerne la situation des droits
de l’homme. Ainsi en est-il, les États-Unis ont eu l’occasion d’imposer le respect des
droits de l’homme à la Chine comme condition préalable à l’attribution et au
renouvellement du traitement du pays le plus favorable dans la relation commerciale
sino-américaine1692. Pour faire face à la pression politique internationale venante de la
communauté internationale ou de certains États étrangers, la politique des affaires
étrangères du gouvernement chinois se doit d’intégrer la mise en oeuvre des
obligations relatives à la protection des droits de l’homme conformément aux
1689 V., Margaret E. MCGUINNESS, « Exploring the limits of international human rights law », 34 Ga. J. Int’l & Comp. L. 393. 1690 V., Xinhua News Agency, Chronology of defeats of anti-China human rights attempts, disponible sur le site www.china.org.cn/english/international/93203.htm, consulté le 16 avril 2004. 1691 V., Ron WHEELER, « The United Nations Commission on Human Rights, 1982-1997: A study of ‘targeted’ resolutions », 32 Can. J. Pol. Sci. 75, 81 (1999). 1692 V., Randall GREEN, « Human rights and most-favored-nation tariff rates for products from the People’s Republic of China », 17 U. Puget Sound L. Rev. 611; v., aussi, Lawrence FRIEDMAN, « On human rights, the United States and the People’s Republic of China at century’s end », 4 J. Int’l Legal Stud. 241; Robbyn REICHMAN-COAD, « Human rights violations in China: A United States response”, 15 N.Y.L. Sch. J. Int’l & Comp. L. 163.
537
instruments internationaux1693. La protection de la propriété peut tirer profit de cette
réponse de la Chine sur la pression internationale.
537. - En ce qui concerne la situation du droit de propriété, elle fait aussi l’objet des
observations moins politisées et donc plus crédibles de la part des acteurs civils que
sont majoritairement les organisations non gouvernementales les plus importantes et
influentes. Les critiques d’Amnesty International ainsi que celles de Human Rights
Watch jouent un rôle complémentaire du fait de leur indépendance et de leur
impartialité par rapport aux organes des droits de l’homme de l’ONU. Aux
observations des autres acteurs de la communauté internationale, au premier plan
desquelles figurent celles des organisations non gouvernementales, s’ajoutent les
critiques de certains États qui ont permis d’exercer une pression non négligeable sur la
Chine. Ces observations constituent une alternative à la condamnation de la Chine par
les institutions judiciaires ou quasi-judiciaires internationales (Sous-section 2). Ainsi, à
long terme et dans un contexte plus large, la pression politique extérieure résultant des
critiques de la communauté internationale pourrait également influer sur la réforme du
droit chinois vers l’amélioration de la garantie des droits de l’homme qui font l’objet
d’une reconnaissance universelle.
Sous-section 1. – L’intervention du Comité des droits économiques,
culturels et sociaux dans l’examen des rapports de l’État
538. - Dépourvus de toute force juridique contraignante, les avis du Comité des
droits économiques, sociaux et culturels, tels que les observations, les constats, etc.,
véhiculent une politique d’ « activation normative » dynamique1694 à l’égard du droit
interne des États membres du PIDESC. Par son observation générale n° 3, le Comité
précise que le PIDESC, contrairement aux apparences, impose bel et bien des
1693 V., Sophia WOODMAN, « Human rights as ‘foreign affairs’: China’s reporting under human rights treaties », 35 HKLJ 179, pp. 179 et s. 1694 V., Jean-François FLAUSS, « La protection des droits de l’homme et les sources du droit international, rapport général », in Société française pour le droit international, La protection des droits de l’homme et l’évolution du droit international, colloque de Strasbourg, A. Pedone, 1998 p. 30.
538
obligations de « hard law » dont certaines sont même pourvues d’un « effet direct »1695.
Le Comité est davantage constructif concernant la mise en oeuvre des droits énoncés
dans le PIDESC lorsqu’il interprète de manière extensive le droit à un niveau de vie
suffisant –aux termes de l’article 11– en y intégrant le droit au logement, le droit à
l’alimentation, le droit à l’eau potable, etc. C’est notamment par le biais du droit au
logement que la question du droit de propriété a été abordée dans l’examen sur le
rapport présenté par la Chine (§ 1). Selon l’observation du Comité, la Chine comme
tous les autres États parties s’engagent désormais à respecter les « obligations
internationales »1696 concernant la protection du droit de propriété, sinon au sens
général, du moins par son indivisibilité avec les droits économiques, sociaux et
culturels, par excellence, le droit au logement, dont le respect est exigé par le PIDESC
(§ 2).
§ 1. – La question du droit de propriété abordée dans le rapport chinois
539. - En 2003, la Chine a présenté son rapport initial sur l’application du
PIDESC1697. Après avoir obtenu les réponses de la Chine sur les questions posées1698,
le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a adopté son observation finale
sur l’examen du rapport de la Chine1699. En s’appuyant sur l’article 11 intitulé « droit à
un niveau de vie suffisant », la question du droit de propriété fut abordée sous l’angle
des pratiques d’expropriation (A) et du droit foncier (B) dans le rapport initial présenté
1695 CESCR, General comments 3: The nature of State parties obligations, 14/12/90, UN document E/1991/23, § 5. 1696 V., Commission des droits de l’homme, Rapport du Groupe de travail à composition non limitée chargée d’examiner les options en ce qui concerne l’élaboration d’un protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 15 mars 2004, E/CN.4/2004/44. 1697 Conseil économique et social, session de fond 2004, Rapports initiaux présentés par les États parties en vertu des articles 16 et 17 du Pacte, Additif République Populaire de Chine, E/1990/5/Add.9, 4 mars 2004. 1698 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, 34e session, Replies by the governement of the People’s Republic of China, CESCR/NONE/2004/10. 1699 Conseil économique et social, 34e session, Examen des rapports présentés par les États parties conformément aux articles 16 et 17 du Pacte, République populaire de Chine (y compris Hongkong et Macao), E/C.12/1/Add.107, 13 mai 2005.
539
par le gouvernement chinois.
A. – Les pratiques d’expropriation à l’épreuve du droit au logement
540. - Par une approche défensive, le rapport initial du gouvernement chinois a mis
l’accent sur les mesures progressistes qu’il a entreprises en régulant les pratiques
d’expropriation (1). Il est cependant regrettable d’observer que les maux que subissent
les citoyens relatifs au non respect de leur droit au logement ont été pourtant largement
camouflés par le rapport chinois (2).
(1). – Le progrès démontré
541. - Comme le droit au logement est considéré comme l’un des éléments du droit à
un niveau de vie suffisant, le rapport initial de la Chine a mentionné qu’« en 2001, le
Gouvernement a promulgué des règlements sur l’expropriation des logements,
précisant les dispositions en matière d’indemnisation et de réinstallation des citadins
expropriés et protégeant de façon générale les droits légaux des personnes frappées
d’expropriation ». Cela a été une preuve d’après lui de la position et des intentions de
l’État relatives à l’amélioration des conditions de vie de la population1700. Selon le
rapport chinois, la législation demeure la principale forme que prennent les efforts du
gouvernement concernant l’amélioration du droit au logement, sans toutefois que soit
précisée l’application des règles de droit dans les cas concrets. Pour convaincre le
Comité sur ses progrès, le rapport chinois a évoqué la statistique selon laquelle 80%
des ménages urbains étaient jusqu’alors propriétaires occupants tandis que plus de 70%
de toutes les familles résidant en permanence dans les villes étaient propriétaires de
leurs logements. De plus, le logement représente désormais une partie importante du
patrimoine des ménages urbains1701. Selon le raisonnement qui sous-tend le rapport du
gouvernement chinois, l’extension de la propriété privée en ce qui concerne les
logements est la preuve d’un plus grand respect du droit au logement, permis par les
1700 V., § 111 du Rapport initial de la Chine. 1701 V., § 114 du Rapport initial de la Chine.
540
efforts de réforme menés par le gouvernement. Il est vrai que le logement est l’objet le
plus important du droit de propriété des individus, mais le rapport a mis uniquement
l’accent sur la dimension sociale de ce droit, tout en contournant le fait que les atteintes
au droit de propriété privée et l’ineffectivité du recours judiciaire étaient aussi les
causes principales qui faisaient obstacle à la pleine réalisation du droit au logement. À
cet égard, le rapport du gouvernement chinois confirme la « dissymétrie entre les droits
civils et politiques et les droits économiques et sociaux »1702, en omettant délibérément
l’aspect civil et politique du droit au logement, à savoir la garantie effective de la
propriété privée du logement des citoyens.
(2). – Les maux camouflés
542. - Si les conditions de logement des citoyens ont été améliorées avec la
croissance économique, la protection du droit au logement en cas d’expropriation n’est
pas à la hauteur des espérances des propriétaires. Comme on l’a déjà souligné1703,
l’expropriation des habitations, qui a pris de l’ampleur avec l’accélération du processus
d’urbanisation en Chine, est l’un des sujets qui provoque le plus de mécontentement
auprès du peuple. En effet, le Règlement d’administration sur la démolition des
bâtiments dans des zones urbaines adopté par le CAE en 2001 ne comporte pas de
garanties en faveur des propriétaires en cas de démolition des logements et d’expulsion
forcée. Surtout, ledit Règlement n’exige pas que la démolition des habitations urbaines
doive obéir à un motif d’intérêt général, ni que les indemnités doivent être
préalablement versées aux expropriés avant le transfert du droit de propriété des
habitations. Ces faits ont facilité les pratiques de « démolition barbare » –adjectif que
l’on emploie pour décrire les illégalités flagrantes des mesures d’expropriation– qui
ont gravement mis en cause le droit de propriété des habitants. Il faut d’ailleurs
souligner que le Règlement du CAE prévoit même la possibilité de démolir les
habitations par le concours de la force publique en vertu d’une ordonnance judiciaire
1702 Steve CHAN, « Human rights in China and the United States: competing visions and discrepant performances », Human Rights Quarterly, n° 24, 2002, pp. 1035 à 1053. 1703 V, supra, n° 316 et s.
541
issue des tribunaux populaires locaux, en cas où l’expropriant et l’exproprié
n’arriveraient pas à se mettre d’accord sur le montant des indemnités. De plus, le litige
intenté par l’exproprié portant sur la légalité de l’indemnisation ne suspend pas
l’exécution des décisions de démolition, ce qui constitue encore une plus lourde
menace pour le droit de propriété dont disposent les habitants sur leurs logements.
Tous ces maux provenant du régime juridique actuel s’appliquant aux pratiques
d’expropriation des habitations urbaines n’ont point été mentionnés dans le rapport
initial de la Chine. La présentation dans le rapport initial chinois des règles relatives à
l’expropriation et de ses effets sur la protection du droit de propriété des logements
n’est qu’une trompe l’oeil : la réalité concernant la démolition des habitations urbaines
et l’expulsion par l’usage de la force offre un cruel désaveu au prétendu rôle protecteur
du Règlement adopté par le CAE. C’était uniquement dans sa réponse aux questions
posées par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels que le gouvernement
chinois a admis l’existence de pétitions signées par des habitants évacués contestant les
atteintes à leurs droits et à leurs intérêts légaux sur le logement. Il convient d’insister
sur le fait que l’irrégularité des opérations de démolition forcée, l’indemnisation
tardive et insuffisante demeurent les principales causes de mécontentement du
peuple1704. Ainsi, à la lumière du droit au logement sous menace des pratiques de
démolition forcée, on peut dire que la Chine n’a pleinement assumé ni son obligation
négative, à savoir celle de ne pas porter atteinte au droit de propriété des citoyens sur
leurs logements, ni son obligation positive, à savoir celle d’apporter ses aides à faciliter
la réalisation du droit au logement.
B. – Le droit foncier comme élément de la réalisation du droit à un
niveau de vie suffisant
543. - Conçu sous l’angle du droit à un niveau de vie suffisant, le droit de propriété a
été également abordé dans le rapport initial du gouvernement chinois. Mais il s’agit
d’une simple réaffirmation du régime juridique actuel en matière de droit foncier (1),
1704 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, 34e session, 25 avril – 13 mai 2005, Replies by the government of the People’s Republic of China, CESCR/NONE/2004/10, p. 58.
542
alors que le vrai problème réside dans la mise en oeuvre du droit où l’écart entre les
règles et les pratiques demeure préoccupant (2).
(1). – La réaffirmation du régime juridique foncier dans les zones rurales pour assurer
la production agricole
544. - Quant à la protection du droit d’usage du sol collectif, à savoir le droit
d’exploitation forfaitaire du sol collectif et le droit d’usage du sol collectif pour la
construction d’habitations dont les titulaires sont les paysans, le rapport chinois se
contentait de réaffirmer les principes de ses lois et règlements en vigueur en la matière,
sans pour autant révéler tous les problèmes qui menacent la stabilité de la jouissance
qu’ont les paysans de leurs droits fonciers. Le rapport a rappelé que la Constitution de
la Chine dispose qu’à l’exception du sol déterminé par la loi comme propriété d’État,
toutes les terres rurales sont propriété collective, de même que les terrains dont les
foyers ruraux ont besoin pour construire des habitations. Par conséquent, les
propriétaires des habitations rurales ne disposent pas d’un droit de propriété sur le
fonds. En ce qui concerne le fondement du droit d’exploitation forfaitaire du sol
collectif, le rapport chinois a indiqué que la Chine a toujours fait de l’agriculture la
base de l’économie nationale, c’est la raison pour laquelle la protection des terres
agricoles est défendue comme constituant l’une des priorités du gouvernement central.
À cet égard, des zones de protection des terres agricoles de base ont été crées et elles
représentent 80% de l’ensemble des terres arables dans chaque province, région
autonome et municipalité subordonnée directement à l’autorité centrale et région
administrative. Selon le rapport, des contrôles rigoureux ont été mis en place depuis la
création de ces zones. Sauf exception approuvée par le CAE pour des motifs précisés
par la loi, aucun particulier ni entité ne peut modifier l’usage auquel elles sont
destinées ni les occuper à un autre titre1705. Ce contrôle rigide répond en réalité au
besoin –qui s’inscrit dans la réalisation du projet d’exploitation foncière– de limiter
l’expropriation illégale du sol collectif ou la libre cession des terres arables. Car ces
deux phénomènes entraînent la transformation des terres arables vers un usage non 1705 V., § 127 du Rapport initial de la Chine.
543
agricole, ce qui revient à menacer la production agricole du pays. À cet égard, le
rapport du gouvernement chinois a mis en exergue sa ligne directrice concernant la
politique foncière dans les zones rurales, c’est-à-dire que la cessibilité des droits
fonciers doit nécessairement prendre en compte la sauvegarde impérative de la
production agricole qui est à la base de l’économie nationale. D’où le maintien de la
limitation à la libre cession du droit d’usage du sol rural comme l’un des principes du
droit foncier chinois.
(2). – L’écart entre la législation officielle et les pratiques menaçant les droits fonciers
des paysans
545. - La législation officielle telle qu’a été réitérée dans le rapport du gouvernement
chinois a une apparence parfaite. Pourtant, il est une réalité que les titulaires du droit
d’usage du sol collectif –qui sont souvent les membres des collectivités rurales–
subissent de graves atteintes causées par l’expropriation illégale. L’effet direct de
l’expropriation réside en ce que les paysans concernés perdent leur moyen de
production agricole sans pour autant obtenir une juste indemnisation. Le rapport de la
Chine a bien révélé que les règles législatives et réglementaires ont été établies pour
contrôler le changement d’utilisation des terres collectives en cas d’expropriation
illégale, mais il a bien contourné la question cruciale portant sur l’effectivité de ces
règles. En réalité, l’abus de pouvoir auquel se livrent les gouvernements locaux dans la
mise en oeuvre des procédures d’expropriation a entraîné un recul si remarquable des
terres agricoles que la production céréalière du pays a été menacée1706. De plus,
l’indemnisation insuffisante est la cause principale du mécontentement des paysans
privés de leur droit d’exploitation du sol collectif. En réalité, le destin du droit d’usage
du sol collectif dépend dans une large mesure du mécanisme de contrôle de
l’expropriation illégale. Or, l’efficacité de ce mécanisme sur l’expropriation des terres
rurales reste néanmoins peu probante dans le système juridique actuel. Il est vrai que
1706 V., reportage de l’Agence de presse Xinhua, « La Chine augmentera la superficie de ses terres arables », disponible sur le site http://www.french.xinhuanet.com/french/2006-08/30/content_306748.htm, consulté le 7 juin 2007.
544
pour les paysans qui occupent la part majoritaire de la population chinoise, le droit
d’usage du sol apparaît sans doute comme la garantie du droit à un niveau de vie
suffisant. C’est aussi la raison pour laquelle est critiquable le rapport chinois qui a
intentionnellement dénaturé la situation pour justifier les performances du
gouvernement dans la protection du droit à un niveau de vie suffisant.
546. - Outre l’expropriation illégale des terres rurales, le droit d’usage du sol
collectif est menacé dans la pratique par la modification inattendue du contrat
d’exploitation forfaitaire. Considérées comme étant les éléments d’un contrat de droit
civil, les deux parties du contrat d’exploitation forfaitaire du sol ne sont pourtant pas
réellement égales tant sur le point de l’établissement du contrat que sur celui de
l’exécution de ce dernier. En effet, les collectivités locales ou des entités économiques
collectives –le plus souvent les villages, les cantons ou les communes– disposent,
comme partie du contrat d’exploitation forfaitaire du sol collectif, de plus de
prérogatives par rapport à l’autre partie du contrat, à savoir les foyers paysans. La loi
sur l’administration du sol et la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural confèrent à
la fois les pouvoirs de gestion et d’administration du sol collectif aux collectivités
locales ou aux entités économiques collectives rurales. Dans la pratique, ces dernières
peuvent unilatéralement résilier ou modifier le contrat d’exploitation forfaitaire au nom
de la gestion ou de l’administration des parcelles du sol rural faisant l’objet du contrat
d’exploitation forfaitaire. La résiliation ou la modification unilatérale sans
consentement des foyers des paysans ne peut que rendre précaires la jouissance du
droit d’usage et par conséquent la production agricole sur le sol rural. Le rapport de la
Chine a laissé entendre que le problème concernant la précarité du droit d’usage et de
l’exploitation agricole est lié à l’instabilité du contrat d’exploitation forfaitaire à titre
familial tout en affirmant que l’État chinois continuerait à consolider et à affiner le
programme de mise en place de contrats d’exploitation forfaitaire des terres avec les
communautés rurales de manière à assurer la stabilité à long terme du système1707. Il
faudrait cependant nuancer la raison sous-jacente de la promesse du gouvernement
chinois. En effet, la protection des terres agricoles et l’amélioration de la gestion des
terres arables par l’application renforcée des lois et des règlements s’inscrivent dans 1707 V., § 141 du Rapport de la Chine.
545
l’ensemble des mesures gouvernementales afin d’assurer l’approvisionnement du pays
en produits agricoles indispensables. La stabilisation des droits d’usage du sol rural des
paysans n’est qu’un instrument pour réaliser cet objectif économique. À cet égard, le
rapport chinois a bien relevé la cause principale des atteintes au droit d’usage du sol
rural des paysans. En effet, ce droit d’usage du sol, étant subordonné à la politique
économique de l’État, a été largement privé de son caractère d’opposabiltié à l’État.
§ 2. – L’observation du Comité des droits économiques, sociaux et culturels
547. - Le droit de propriété n’a pas été totalement exclu du rapport de la Chine
puisqu’il constitue l’un des éléments indispensables à la pleine réalisation des droits
protégés par le PIDESC. Ainsi en est-il de la réalisation du droit au logement qui exige
la protection du droit de propriété dont disposent les habitants sur les constructions
d’habitations, du droit à un niveau de vie suffisant qui exige la stabilisation du droit
foncier des paysans pour lesquels le sol est le principal moyen de production et de
survivance. L’effet « par ricochet » que produit la réalisation des droits économiques,
sociaux et culturels sur le droit de propriété a été confirmé par l’examen du rapport par
le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (A). L’autre aspect de l’apport
de l’observation du Comité consiste en ce qu’il a indiqué aussi au gouvernement
chinois l’orientation des travaux à réaliser pour l’amélioration des droits proclamés par
la PIDESC qui eux-mêmes seront examinés dans les prochains rapports périodiques
(B).
A. – L’apport de l’examen concernant le rapport initial de la Chine
548. - L’examen du Comité des droits économiques, sociaux et culturels a bien
conclu de l’existence des vices du droit chinois en matière d’expropriation pour
l’intérêt public (1), mais a aussi fourni les propositions sur l’amélioration de la
situation pour la réalisation du droit au logement (2).
(1). – Le constat sur les vices du droit chinois en matière d’expropriation
546
549. - Dans ses observations finales sur le rapport initial de la Chine, le Comité des
droits économiques, sociaux et culturels a fait part de ses préoccupations au sujet
« [des] informations faisant état d’expulsion forcée et de mesures insuffisantes
d’indemnisation ou de relogement des personnes délogées dans le cadre des projets de
développement urbain mais aussi rural, comme l’objet des Trois Gorges. Il est
préoccupé par le nombre d’expulsions forcées et de démolitions enregistrées à
l’approche des Jeux Olympiques de 2008»1708. La préoccupation du Comité a porté non
seulement sur l’ampleur des mesures d’expulsion forcée, mais surtout sur la régularité
de la procédure de mise en oeuvre des mesures d’expulsion et de démolition. Le
Comité a bien qualifié vices de procédure l’absence de consultations et de recours
efficaces pour les victimes des expulsions forcées et de démolitions1709. Par conséquent,
la thèse du gouvernement chinois selon laquelle les atteintes au droit de propriété
portant sur les logements sont liées au développement urbain n’est pas convaincante.
Car même si l’expulsion forcée et la démolition sont inévitables dans le processus de
développement urbain, le gouvernement n’est pas exonéré des obligations de fournir
les garanties juridiques suffisantes aux personnes victimes des expulsions et des
démolitions, et de leur reconnaître par exemple le droit de participer à la procédure de
décision concernant l’expropriation de leurs logements et le critère d’indemnisation.
Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a souligné et regretté par
ailleurs le fait qu’il ne disposait pas d’informations suffisantes sur l’ampleur et les
causes du problème des sans-abri en Chine1710. Ce fait relève du contrôle exercé par le
gouvernement chinois –notamment par la censure de la presse– sur les informations
concernant les pétitions et les protestations émises par les expropriés urbains et ruraux,
ainsi que de la répression des activités des contestataires de cette politique et des
défenseurs des droits1711. Ainsi, l’observation du Comité des droits économiques,
sociaux et culturels a touché aussi les problèmes de la protection des droits civils et
1708 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observations finales, République Populaire de Chine (y compris Hongkong et Macao), 13 mai 2005, E/C.12/1/Add.107, para. 31. 1709 Ibid. 1710 Ibid. 1711 V., supra, n° 334 et s.
547
politiques, manifestant à nouveau l’indivisibilité de tous les droits de l’homme.
(2). – La proposition sur l’amélioration de la situation
550. - Dans la partie des propositions, le Comité des droits économiques, sociaux et
culturels a recommandé au gouvernement chinois « de prendre immédiatement des
mesures pour garantir l’application des dispositions législatives et réglementaires
interdisant les expulsions forcées et pour faire en sorte que les personnes expulsées de
leur logement soient dûment indemnisées ou relogées, conformément aux directives
adoptées par le Comité dans son observation générale n° 7 sur les expulsions forcées
»1712 . Selon l’observation générale n° 7, l’expulsion forcée est une mesure a priori
incompatible avec le Pacte dans la mesure où toute personne doit pouvoir jouir d’un
titre sécurisé sur le logement contre l’expulsion, et constitue de ce fait la violation des
autres droits de l’homme, y compris le droit de propriété, en raison de
l’interdépendance et de l’interrelation de tous les droits de l’homme1713. À cet égard,
les conditions prévues par l’observation générale n° 7 s’imposent aux mesures
d’expulsion pour que celles-ci soient compatibles avec le PIDESC. Elles comportent,
premièrement, l’exigence avançant que, si le droit au logement doit faire l’objet de
limitations, celles-ci doivent se conformer à l’article 4 du PIDESC en vertu duquel
« l’État ne peut soumettre les droits proclamés par le Pacte qu’aux limitations établies
par la loi, dans la seule mesure compatible avec la nature de ces droits et
exclusivement en vue de favoriser le bien-être général d’une société démocratique »1714.
Deuxièmement, les États parties ont l’obligation de prendre les mesures législatives
nécessaires afin d’assurer une protection effective contre l’expulsion forcée. En
d’autres termes, la législation doit garantir la sécurité du droit portant sur les terrains et
les logements, être conforme au PIDESC et prescrire de manière stricte les
circonstances dans lesquelles l’expulsion peut être exécutée. Les États parties ont
1712 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observations finales, République Populaire de Chine (y compris Hongkong et Macao), précitées, para. 61. 1713 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, The right to adequate housing (art. 11.1) : forced eviction, General Comments n° 7, paras. 1, 4. 1714 Ibid., para.5.
548
l’obligation de prévenir et de punir les expulsions illégales effectuées aussi bien par les
agents publics que par les personnes privées1715. Troisièmement, toute personne dont la
propriété est affectée par des mesures d’expulsion a le droit à une indemnisation
adéquate qui correspond au principe de recours utile en vertu de l’article 2, paragraphe
3, du PIDCP 1716 . Quatrièmement, l’observation générale n° 7 indique que si
l’expulsion est justifiée, elle doit également être exécutée de manière raisonnable et
conformément au principe de proportionnalité 1717 . Cinquièmement, les garanties
procédurales et le procès équitable sont essentiels à la protection contre l’expulsion
illégale. Les garanties procédurales comportent, entre autres, la participation des
personnes affectées à la consultation préalable à l’exécution de l’expulsion afin de
trouver des mesures alternatives ; la notification adéquate et raisonnable aux personnes
affectées avant l’exécution de l’expulsion ; l’assistance au relogement des personnes
expulsées et le versement en temps opportun des indemnités1718. En faisant référence à
son observation générale n° 7, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a
indiqué en effet au gouvernement chinois les mesures à adopter pour rendre
compatibles ses mesures juridiques avec les obligations découlant du PIDESC. Ainsi,
c’est à partir du droit au logement que l’application des garanties prévues par les deux
Pactes internationaux des droits de l’homme s’étend à la protection du droit de
propriété.
B. – L’indication sur l’orientation de l’examen des prochains rapports
périodiques
551. - En indiquant l’orientation de l’examen portant sur les prochains rapports
périodiques, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a proposé les
mesures législatives à adopter pour l’amélioration des droits proclamés par le PIDESC
(1). Mais l’accent a été mis sur l’application concrète des droits par la reconnaissance
de leur justiciabilité (2). 1715 Ibid., para. 9. 1716 Ibid., para. 13. 1717 Ibid., para. 14. 1718 Ibid., para. 15.
549
(1). – La proposition concernant les mesures législatives
552. - Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a demandé au
gouvernement chinois de fournir dans son prochain rapport périodique des
renseignements sur les progrès réalisés concernant le droit au logement en fournissant
des informations détaillées avec classement par sexe, âge et lieu de résidence, sur le
nombre d’expulsions forcées et sur leur motif, ainsi que sur l’ampleur du problème des
sans-abri. On notera que les exigences formulées par le Comité à l’égard de la Chine
vont au-delà des travaux législatifs: le gouvernement chinois a non seulement
l’obligation de mettre en oeuvre le droit au logement par des mesures législatives mais
aussi de fournir des informations sur la progression de cette mise en oeuvre, enfin de
reconnaître la justiciabilité des droits proclamés par le PIDESC. En ce qui concerne les
mesures législatives, l’amélioration des règles juridiques afin de renforcer la garantie
du droit de propriété est certainement l’une des priorités qui bénéficie aussi le droit au
logement.
(2). – L’accent mis sur la justiciabilité des droits
553. - Dans son observation portant sur le rapport initial du gouvernement chinois, le
Comité des droits économiques, sociaux et culturels a souligné que le gouvernement
chinois doit veiller à ce que la formation juridique et judiciaire prenne pleinement en
considération la justiciabilité des droits énoncés dans le PIDESC et a encouragé
l’utilisation du PIDESC en tant que source de droit par les tribunaux internes. À cet
égard, le Comité a rappelé son observation n° 9 concernant l’application du PIDESC
au niveau national et a invité le gouvernement chinois à fournir, dans son prochain
rapport périodique, des informations sur la jurisprudence relative à l’application du
PIDESC1719. C’est-à-dire que pour donner effet au PIDESC dans l’ordre juridique
interne, la Chine doit accepter l’application directe du Pacte dans les litiges traités par
les tribunaux et les cours. Si tel est le cas, en dépit des oppositions à la justiciabilité des
1719 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observations finales, République Populaire de Chine (y compris Hongkong et Macao), précitées, para. 42.
550
droits économiques, sociaux et culturels dans le cadre des débats sur l’institution d’un
mécanisme de contrôle des plaintes dans ce domaine1720, le droit au logement peut être
invoqué par les citoyens pour contester la légalité de l’expulsion forcée et de la
démolition de leur logement. Par conséquent, bien que le droit de propriété ne soit pas
proclamé par les deux Pactes internationaux des droits de l’homme, le droit au
logement devenu justiciable en droit interne peut être invoqué pour consolider la
protection juridictionnelle du droit de propriété. La proposition du Comité des droits
économiques, sociaux et culturels est assez significative pour le droit chinois. En effet,
selon le rapport du gouvernement chinois, ce dernier a principalement pris des mesures
législatives ou administratives pour atteindre l’objectif de la réalisation des droits
économiques, sociaux et culturels, alors qu’en ce qui concerne le droit au logement, les
atteintes à ce dernier découlent moins des normes législatives et réglementaires
injustes que des pratiques abusives de la puissance publique qui méconnaissent les
règles de droit en vigueur. La justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels
exige par conséquent l’effectivité et l’efficacité des recours juridictionnels qui
s’inscrivent au principe de l’État de droit. Il en résulte que l’utilité de la reconnaissance
de la justiciabilité des droits ne se limite pas à la mise en oeuvre du PIDESC en droit
interne, mais peut s’étendre à la réforme de l’ensemble du système juridique
chinois1721. En ce qui concerne le respect du droit au logement dont la signification
s’étend au droit de propriété en raison de l’indivisibilité des droits de l’homme, la
justiciabilité exige que l’autorité judiciaire joue un rôle plus actif dans le règlement des
conflits issus des pratiques d’expropriation des habitations urbaines. En l’état actuel du
droit chinois, la limitation imposée à la compétence et aux pouvoirs des juges fait
obstacle au recours utile des expropriés1722, il se révèle donc incompatible avec
l’exigence de protection des droits par la reconnaissance de leur justiciabilité. En
1720 V., par ex., Michael J. DENNIS, David P. STEWARD, « Justifiability of economic, social and cultural rights: Should there be an international complaints mechanism to adjudicate the rights to food, water, housing and health? », 98 A.J.I.L. 462. 1721 V., Leïla CHOUKROUNE, « Justiciability of economic, social and cultural rights: The UN Committee on economic, social and cultural rights review of China’s first period report on the implementation of the international covenant on economic, social and cultural rights », 19 Colum. J. Asian L. 30, pp. 31 à 49. 1722 V., supra, n° 318 et s.
551
d’autres termes, reconnaître la justiciabilité des droits économiques, sociaux et
culturels parmi lesquels figure le droit au logement, selon l’indication du Comités des
droits économiques, sociaux et culturels, peut utilement conforter la protection de la
propriété en Chine.
Sous-section 2. – Les observations des autres acteurs dans la communauté
internationale
554. - En plus du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, la question
des droits de l’homme intéresse aussi d’autres acteurs de la communauté internationale.
C’est même la raison pour laquelle les droits de l’homme sont devenus un élément
important de la politique étrangère du gouvernement chinois. Il est vrai que la Chine
est parvenue à mettre en échec les initiatives qui lui étaient défavorables à l’issue des
combats politiques dans le cadre de l’ONU (§ 1), mais c’est une réalité que la situation
des droits de l’homme en Chine n’est plus à l’abri des critiques émanant des acteurs
non gouvernementaux dotés généralement du statut consultatif auprès des organes
internationaux. Les critiques, y compris les propositions émanant des réseaux
internationaux de plaidoyer et de lobby sont utiles pour sensibiliser des États qui ne
respectent pas les normes internationales des droits de l’homme. Car « c’est grâce aux
acteurs collectifs que l’on peut réussir à ‘arracher’ aux gouvernements des États le
monopole des fonctions législatives et juridictionnelles, au nom de principes à
vocation universelle » 1723 . Les observations des acteurs non gouvernementaux
contribuent utilement à l’exercice du contrôle politique par voie de rapports et par les
informations qu’ils fournissent sur les violations constatées dans divers pays1724. Par
exemple, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels profite de
l’interventionnisme croissant des organisations non gouvernementales qui présentent
de véritables « contre-rapports ». Les organisations non gouvernementales, en
« condamnant » les atteintes aux droits de l’homme jettent le discrédit sur les États
1723 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (III) : la refondation des pouvoirs, op. cit., pp. 164, 165. 1724 Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., § 305.
552
violateurs qui pourtant tentent de se défendre en se fondant sur le principe de la
souveraineté étatique1725. Il s’agit donc d’une forme de pression extérieure susceptible
de conduire progressivement des États à accepter et à mettre en oeuvre les normes
internationales des droits de l’homme. À titre d’exemple, les démolitions par les
mesures forcées qu’a imposées le gouvernement chinois en vue de réaliser le projet de
renouvellement urbain, et surtout la démolition des habitations pour la construction des
édifices des Jeux Olympiques 2008, ont prêté le flanc aux critiques de certaines
organisations non gouvernementales. La violation du droit de propriété dont disposent
certains habitants sur les bâtiments d’habitation, ainsi que le non-respect par le
gouvernement chinois de ses engagements sur la protection du droit au logement,
constituent l’objet principal des observations critiques des acteurs non
gouvernementaux sur le plan international (§ 2). Des réactions de la société civile
pourraient conduire le gouvernement chinois, soucieux de soigner sa réputation auprès
de la communauté internationale, à opter pour la stratégie coopérative en améliorant
les garanties juridiques de la propriété. Alors que la pression extérieure déboucherait
sur un résultat positif en droit interne, l’État qui a fait l’objet des critiques de la
communauté internationale n’assume que sa responsabilité morale quand il s’agit
d’améliorer la situation du droit de propriété et demeure donc souverain dès lors qu’il
entreprend des mesures concrètes. D’où aussi l’écho limité que reçoivent les
observations des acteurs non gouvernementaux dans la communauté internationale.
§ 1. – L’influence des observations dans le cadre de l’ONU
555. - Dans le cadre de l’ONU, l’observation politique portant sur le respect des
droits de l’homme fut principalement exercée par la Commission des droits de
l’homme désormais remplacée par le Conseil des droits de l’homme1726. Il est vrai que
le droit de propriété n’est pas directement visé par les mandats et les mécanismes
assumés par la Commission des droits de l’homme et repris par le Conseil des droits de
1725 V., Thomas RISSE, Stephen C. ROPP, Kathryn SIKKIAK, (ed.), The power of human rights: international norms and domestic changes, Cambridge University Press, 1999, pp. 251 à 252. 1726 V., Assemblée générale des Nations Unies, Résolution du 15 mars 2006, A/RES/60/251.
553
l’homme, mais la protection de ce droit a été déjà dûment prise en considération. Dans
le cadre des procédures spéciales prises en charge par le Conseil des droits de l’homme,
a été constitué et défini un mandat thématique concernant le logement convenable en
tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant1727. L’observation du Rapporteur
spécial désigné comme titulaire de ce mandat a réaffirmé le rôle du droit de propriété à
la protection du droit au logement et a prêté attention à la situation des atteintes au
droit au logement en Chine (A). Le mécanisme d’examen périodique universel institué
dans le cadre du Conseil des droits de l’homme1728 ne peut que renforcer le rôle des
observations internationales auxquelles le Chine s’est soumise dans la 4e session en
2009 (B), selon l’agenda du cycle d’examen 2008-2011.
A. – L’observation du Rapporteur spécial sur le droit au logement
convenable
556. - Le rapporteur spécial a confirmé, par son observation thématique,
l’indivisibilité du droit au logement et du droit de propriété, et particulièrement le droit
foncier (1). Les atteintes au droit au logement par les pratiques d’expropriation ont
attiré l’attention du Rapporteur spécial qui a tenté de sensibiliser le gouvernement
chinois pour améliorer la situation en cause (2).
(1). – La réaffirmation de l’indivisibilité des droits
557. - Analyser la question thématique, assister le ou les gouvernements concernés,
alerter les organes et les organismes des Nations Unies et la communauté
internationale en général, ainsi qu’agir et appeler à agir pour la défense des victimes
tout en prenant pleinement en compte l’ensemble des droits humains, constituent les
principales fonctions du Rapporteur spécial 1729 . Par une démarche fondée sur
1727 Mandat établi par la résolution de la Commission des droits de l’homme 2000/9, renouvelé par la résolution de la Commission des droits de l’homme 2003/7. En mai 2008, tous les mandats thématiques qui ont été revus jusque là ont été prolongés, y compris le mandat sur le logement convenable. 1728 Assemblée générale des Nations Unis, Résolution du 15 mars 2006, A/RES/60/251. 1729 V., Conseil des droits de l’homme, Projet du manuel des procédures spéciales des droits de
554
l’indivisibilité des droits de l’homme, le Rapporteur spécial a analysé les différentes
composantes du droit à un logement convenable ainsi que les éléments qui en facilitent
ou en entravent la réalisation, après mettre en lumière les lacunes existantes dans le
droit international des droits de l’homme ainsi que dans les lois et les politiques
nationales en matière de droit au logement. Dans son dernier rapport au Conseil des
droits de l’homme, le Rapporteur a souligné que le droit à la terre est souvent un
élément capital, indispensable pour déterminer le degré de violation ou de réalisation
du droit à un logement convenable. En effet, la situation dans laquelle un logement est
inadéquat est souvent due à l’impossibilité d’accéder aux ressources foncières,
communes ou non. Les régimes de propriété inéquitables et le phénomène de la
privation de terre engendrent des problèmes interdépendants, qui vont du logement
inadéquat au manque de moyens de subsistance, à la mauvaise santé, à la faim, à
l’insécurité alimentaire et à l’extrême pauvreté1730. Le Rapporteur spécial a donc invité
le Conseil des droits de l’homme et les États à reconnaître le droit à la terre comme un
droit de l’homme et à en renforcer la protection par le droit international des droits de
l’homme. Selon le Rapporteur spécial, une telle reconnaissance permet de promouvoir
le droit à un logement convenable, en offrant notamment une garantie contre les
expulsions forcées1731.
(2). – L’attention prêtée à la situation du droit au logement en Chine
558. - Pour étendre son influence, le Rapporteur spécial sur le droit au logement
convenable a bien reçu et émis des communications dans l’exercice de son mandat afin
de suivre les situations dans divers pays. En date du 5 mai 2005, le Rapporteur spécial
a émis avec le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté
l’homme de l’ONU, juin 2006, points 4 et 5. 1730 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant, Miloon Kothari, A/HRC/4/18, 5 février 2007, point 26. V., aussi, Commission des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination à cet égard, M. Miloon Kothari, E/CN.4/2006/41, point 29. 1731 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant, op. cit., point 33.
555
d’opinion et d’expression un appel urgent en direction du gouvernement chinois, en
invitant ce dernier à libérer un défenseur du droit au logement qui fut condamné à une
peine de prison ferme pour avoir organisé une manifestation contre les expulsions
forcées. Le Rapporteur spécial a d’ailleurs exprimé des regrets au sujet du
comportement du gouvernement chinois qui continue à réprimer des manifestations et
les pétitions des défenseurs du droit au logement contre les expulsions forcées et
illégales1732. Lors d’un entretien récent, le Rapporteur spécial a révélé son inquiétude
quant au nombre de rapports faisant état de détention et de torture à l’encontre des gens
qui manifestaient contre la politique d’expulsion forcée. Il faut remarquer en outre que
le Rapporteur spécial a aussi mené des études avec le Comité International Olympique
sur les lignes directrices à l’adresse des pays qui organisent de grands évènements ou
de ceux qui poursuivent des mesures d’expulsion forcée en s’abritant derrière la raison
du développement économique1733. Toutes ces activités du Rapporteur spécial sont
révélatrices du rôle des observations sur la question des droits de l’homme en Chine
dans le cadre du Conseil des droits de l’homme, mais elles sont susceptibles de
produire plus d’effets lors de l’examen périodique universel de la situation des droits
de l’homme.
B. – L’influence potentielle de l’examen périodique universel du
Conseil des droits de l’homme
559. - Organe politique par nature, le Conseil des droits de l’homme qui remplace la
Commission des droits de l’homme n’en demeure pas moins aussi un organe technique
par vocation. La clé de l’efficacité du système semble en effet résider dans une division
du travail entre éléments gouvernementaux et éléments indépendants afin que les
aspects politiques inhérents aux relations internationales ne prévalent pas sur les 1732 Commission des droits de l’homme, Report of the special Rapporteur on adequate housing as a component of the right to an adequate standard of living, Miloon Kothari, Addendum, Summary on the communications sent and replies received from Government and others, E/CN.4/2006/41/Add.1, 23 décembre 2005, points 21 et 22. 1733 V., reportage de l’infosud, « Le logement n’est pas une marchandise », Tribune des droits de l’homme, disponible sur le site http://www.humanrights-geneva.info/article.php3?id_article=1844, consulté le 17 juin 2007.
556
missions techniques fondamentales de protection et de promotion des droits de
l’homme 1734 . Comme aspect technique du travail caractérisé par les éléments
indépendants, le sujet du droit au logement qui est étroitement liée à la protection du
droit de propriété a déjà été présenté devant le Conseil des droits de l’homme.
Considérant les écarts entre le droit chinois et les principes et pratiques soutenus par le
Rapporteur spécial qui lui-même a été confirmé par le Conseil des droits de l’homme
(1), la situation du droit de propriété en Chine peut être abordée au regard de la
protection du droit au logement dans l’examen périodique universel dont l’utilité reste
à être éprouvée dans la pratique (2).
(1). – La confirmation du travail du Rapporteur spécial par le Conseil des droits de
l’homme
560. - Par sa décision 1/102, le Conseil des droits de l’homme a invité le Rapporteur
spécial à lui soumettre un rapport sur le logement convenable en tant qu’élément du
droit à un niveau de vie suffisant. Par la suite, ce rapport a été publié en 20071735.
L’objectif principal du rapport consiste à fournir des outils pratiques et opérationnels
pour la promotion, le suivi et l’application du droit de l’homme à un logement
convenable. Il est remarquable que le rapport ait mis également en lumière une lacune
du droit, c’est-à-dire que la méconnaissance du droit de l’homme à la terre qui
lui-même a été jugé par le Rapporteur spécial comme un élément essentiel pour
l’application du droit à un logement convenable. Comme le Rapporteur spécial l’a
souligné, « les régimes de propriété inéquitables et le phénomène de la privation de
terre engendrent des problèmes interdépendants, qui vont du logement inadéquat au
manque de moyens de subsistance, à la mauvaise santé, à la faim, à l’insécurité
1734 Cf., Claire CALLEJON, La réforme de la Commission des droits de l’homme des Nations Unis, thèse doctorale de l’Université Paris I, soutenue en 2008. 1735 Conseil des droits de l’homme, Application de la résolution 60/251 de l’Assemblée Générale du 15 mars 2006 intitulée « Conseil des droits de l’homme », Rapport du Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant, Miloon Kothari, A/HRC/4/18, 5 février 2007.
557
alimentaire et à l’extrême pauvreté »1736. Il est donc essentiel « de reconnaître le droit
à la terre comme un droit de l’homme et d’en renforcer la protection par le droit
international des droits de l’homme. Étant donné l’ampleur du phénomène de la
privation de terre et de logement partout dans le monde, une telle reconnaissance
permettrait de promouvoir le droit à un logement convenable, en offrant notamment
une protection contre les expulsions forcées »1737.
561. - Le Conseil des droits de l’homme a confirmé que tout au long de son mandat
le Rapporteur spécial a réitéré sa mise en garde contre la pratique des expulsions
forcées. Des principes de base et des directives concernant les expulsions et les
déplacements liés au développement ont été élaborés par le Rapporteur spécial pour
aider les États et la communauté internationale à réduire sensiblement cette pratique.
Ces principes de base et ces directives ont été aussi annexés au rapport du Rapporteur
spécial publié par le Conseil des droits de l’homme. Au terme de l’énumération des
principes de base et des directives, la définition de l’expulsion forcée comprend « les
actes ou omissions qui ont pour effet le déplacement contraint ou involontaire de
personnes, de groupes ou de communautés des logements, des terres ou des ressources
foncières collectives qu’ils occupaient ou dont ils étaient tributaires, éliminant ou
limitant ainsi leur aptitude à vivre ou à travailler dans un logement, une résidence ou
un lieu donné, sans leur fournir une forme appropriée de protection juridique ou autre
ni leur permettre d’avoir accès à une telle protection »1738. La définition de l’expulsion
forcée peut recouvrir les pratiques de démolition des habitations urbaines et
l’expropriation du sol collectif dans les zones rurales en droit chinois. Selon la
considération du Rapporteur spécial, les expulsions forcées peuvent avoir lieu dans une
grande diversité de contexte, y compris dans les déplacements liés au développement,
elles « constituent des violations fragrantes de droits de l’homme » et ne doivent être
pratiquées que « conformément à la loi et dans le plein respect des dispositions
pertinentes du droit international des droits de l’homme et du droit international
1736 Ibid., paras. 26, 29. 1737 Ibid., para. 32 e). 1738 Principes de base et directives concernant les expulsions et les déplacements liés au développement, Annexe I au Rapport du Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant, A/HRC/4/18, précité, para. 4.
558
humanitaire »1739. Le Rapporteur spécial énumère les principes fondamentaux de droits
de l’homme qui doivent être respectés par tous les acteurs impliqués dans les pratiques
de démolition, alors que l’État est le premier titulaire des obligations à respecter ces
droits. Il s’agit notamment des obligations de respecter le droit contre toute intrusion
arbitraire et illégale dans la vie privée des personnes, dans celle de leur famille, dans
leur domicile, ainsi que du droit à la sécurité d’occupation sur le plan juridique1740, du
droit d’être réinstallé1741, du droit de disposer d’un recours juridictionnel adéquat et
utile ou de tout autre recours utile1742. En ce qui concerne l’exécution des obligations
incombant aux États, certaines considérations du Rapporteur spécial sont
particulièrement importantes dans la mesure où elles correspondent à une lacune du
droit chinois concernant les mesures d’expropriation pour l’intérêt public. Ce sont les
exigences selon lesquelles les États doivent « veiller à ce que les expulsions forcées ne
soient pratiquées que dans des circonstances exceptionnelles »1743 et ainsi « s’abstenir,
dans toute la mesure du possible, de réclamer ou de confisquer des logements ou des
terrains, en particulier si cela ne contribue pas à l’exercice des droits de l’homme »,
« infliger des sanctions civiles ou pénales appropriées à toute personne ou entité
publique ou privée relevant de sa juridiction qui pratique des expulsions d’une
manière qui n’est pas pleinement conforme à la législation applicable et aux normes
internationales relatives aux droits de l’homme »1744, ainsi que « prendre des mesures
préventives spéciales pour éviter ou éliminer les causes sous-jacentes des expulsions
forcées, telles que la spéculation foncière et immobilière »1745. Les principes de base et
les directives ainsi élaborés par le Rapporteur spécial comportent les indications d’une
bonne conduite concernant la mise en oeuvre de projets de démolition. C’est la raison
pour laquelle ces principes sont susceptibles d’être considérés comme une source
d’inspiration utile pour la modification des règles juridiques relatives à la démolition
des bâtiments d’habitations en Chine. Ces principes comprennent la notification, le 1739 Ibid., para. 6. 1740 Ibid., para. 13. 1741 Ibid., para. 16. 1742 Ibid., para. 17. 1743 Ibid., para. 21. 1744 Ibid., para. 22. 1745 Ibid., para. 30.
559
dialogue, la consultation et l’audience publique avant les expulsions1746, l’exigence
selon laquelle les expulsions ne doivent pas être exécutées d’une manière qui porte
atteinte à la dignité ou aux droits fondamentaux à la vie et à la sécurité des personnes
touchées, l’obligation que tout usage légal de la force doive respecter les principes de
nécessité et de proportionnalité1747, ainsi que l’obligation de l’assistance et de la
réinstallation immédiate après l’expulsion1748. Les règles d’indemnisation conçues par
le Rapporteur spécial dans le cadre des voies de recours peuvent aussi mettre en relief
l’écart du droit chinois au regard de ce qui définit une bonne conduite. Selon le
Rapporteur spécial, « l’État doit fournir ou assurer une indemnisation juste et
équitable pour la perte de tout bien personnel, immobilier ou autre, y compris de droits
ou intérêts fonciers », et « l’indemnisation en espèces ne doit en aucune circonstance
remplacer l’indemnisation réelle sous forme de terres ou de ressources foncières
communes »1749. Cette indication concerne particulièrement la situation en Chine, car
l’indemnisation en espèces est souvent critiquée par les habitants expropriés comme
insuffisante dans un contexte où la spéculation foncière dans les métropolitaines
entraîne la flambée des prix du secteur de l’immobilier.
562. - Si l’on en suit la démarche du Conseil des droits de l’homme, le rôle du
Rapporteur spécial sur le droit au logement convenable sera renforcé au cours des
travaux du Conseil à l’avenir. Le mandat du Rapporteur spécial a été prolongé pour lui
permettre de mettre l’accent en particulier sur des solutions concrètes pour assurer la
mise en oeuvre de ce droit1750 . Les travaux du Rapporteur spécial ont déjà été inscrits
au programme du Conseil des droits de l’homme concernant la promotion et la
protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et
culturels, y compris le droit au développement1751. Toutes ces mesures peuvent ouvrir
1746 V., ibid., paras. 37 à 44. 1747 V., Ibid., paras. 47, 48. 1748 V., Ibid., paras. 52 à 58. 1749 Ibid., para. 60. 1750 Conseil des droits de l’homme, Résolution 6/27, Le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant, 14 décembre 2007, para. 5. 1751 V., Conseil des droits de l’homme, Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement, Rapport du Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant
560
la voie à l’intégration du travail du Rapporteur spécial à l’examen périodique universel
qui peut produire plus d’impact direct sur la situation du droit au logement, donc celle
du droit de propriété en Chine.
(2). – L’utilité de l’examen périodique universel pour la protection de la propriété en
Chine
563. - Dans le cadre de l’examen périodique universel, tous les États membres sont
examinés sur la base de normes et de paramètres universels et égaux, dont la plus
importante est la Déclaration universelle des droits de l’homme1752. L’étendue de
l’examen périodique universel ne se limite donc pas à deux Pactes internationaux
portant sur l’application de la Déclaration universelle de 1948. Il en résulte que non
seulement le droit au logement convenable, mais aussi le droit à la propriété proclamé
par l’article 17 de la Déclaration universelle, peuvent faire l’objet de mesures de
surveillance à l’occasion d’un examen dans le cadre du Conseil des droits de l’homme.
L’indivisibilité du droit au logement convenable et de la garantie du droit de propriété
peut constituer a fortiori une raison d’examiner la situation en Chine. En outre,
l’examen périodique universel ne se cantonne plus au cadre politique des relations
interétatiques car les acteurs non gouvernementaux peuvent y participer d’une manière
significative. En effet, l’examen des pays est fondé sur trois rapports. L’un est préparé
par le gouvernement1753 tandis que les deux autres le sont par le Haut-commissariat
aux droits de l’homme. Entre les deux autres rapports, le premier consiste en une
compilation des informations provenant des Nations Unies, alors que le second est un
résumé des contributions émanant de diverses parties prenantes, notamment des
organisations de la société civile et des défenseurs des droits de l’homme1754. Les pays
ainsi que sur le droit à non-discrimination dans ce domaine, M. Miloon Kothari, A/HRC/7/16, 13 février 2008. 1752 Conseil des droits de l’homme, Mise en place des institutions du Conseil des droits de l’homme, Résolution 5/1, 18 juin 2007, Annexe I Mécanisme d’examen périodique universel, para. 1. 1753 La Chine a présenté son premier rapport au Conseil des droits de l’homme pour l’examen périodique universel de 2009, le 5 décembre 2008. V., document des Nations Unies, A/HRC/WG.6/4/CHN/1. 1754 Ibid., para. 15.
561
examinés ne détiennent donc pas le monopole sur toutes les informations relatives à la
situation des droits de l’homme. La participation conjointe de la société civile et des
défenseurs des droits de l’homme permet de mieux s’assurer du fait que le mécanisme
d’examen repose sur des informations objectives et dignes de foi ainsi que sur le
dialogue1755. D’ailleurs, les méthodes de travail du Conseil des droits de l’homme
doivent être transparentes, équitables, impartiales et favoriser un véritable dialogue1756.
Ces méthodes déterminent la nature non juridique de l’examen du Conseil des droits de
l’homme. Mais l’utilité majeure de l’examen tient surtout dans la lumière jetée sur la
situation en question et dans l’assistance technique fournie à l’État examiné par la
communauté internationale. Pour les défenseurs des droits qui ont subi diverses
restrictions concernant leurs activités1757, l’examen périodique universel est l’occasion
de sensibiliser davantage la communauté internationale en apportant au
Haut-commissariat les informations relatives à la violation des droits de l’homme dans
le pays concerné. Cette possibilité est d’autant plus utile pour les défenseurs des droits
en Chine que la liberté d’expression fait constamment l’objet du contrôle ferme par
l’autorité publique1758. Ainsi, dans le cadre de l’examen périodique universel, le
Conseil des droits de l’homme aurait plus de moyens d’accéder aux informations utiles,
alors que l’examen du rapport initial de la Chine par le Comité des droits économiques,
sociaux et culturel a buté sur la difficulté à obtenir des informations relatives au droit
au logement. Étant donné que la transparence des informations revient à faciliter
l’examen du Conseil des droits de l’homme sur la situation de tous les droits de
1755 À cet effet, le Conseil des droits de l’homme a publié une note d’information à l’attention des parties prenantes intéressées concernant l’examen périodique universel pour guider la participation de la société civile et des défenseurs des droits de l’homme. En septembre 2008, le Centre pour le droit au logement et contre les expulsions a présenté ses observations au Haut-commissariat aux droits de l’homme sur la situation du droit au logement en Chine pour la fin de l’examen périodique universel. V., infra, n° 569. 1756 Assemblée générale des Nations Unis, Conseil des droits de l’homme, A/RES/60/251, 15 mars 2006, para. 12. 1757 Conseil des droits de l’homme, Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement, Rapport présenté par la Représentante spéciale du Secrétaire général concernant la situation des défenseurs des droits de l’homme, Hina Jilani, A/HRC/7/28, 31 janvier 2008, para. 31. 1758 V., reportage de Joseph KAHN, « Asia, China: lawyer sentenced », The New York Times, 29 octobre 2003.
562
l’homme en Chine, y compris le droit au logement et le droit de propriété, les critiques
des acteurs civiles peuvent avoir une importance particulière sur les observations
internationales.
§ 2. – Les critiques des acteurs civils sur les atteintes au droit de propriété en
Chine
564. - Les atteintes au droit de propriété des citoyens par les travaux de construction
approuvés par le gouvernement ont déjà soumis la Chine aux jugements critiques de la
communauté internationale. En témoignent par excellence l’adoption et l’exécution des
décisions controversées sur les travaux de Trois Gorges1759. Alors que le peuple se
félicita pour l’élection de Pékin en tant que ville hôte des Jeux Olympiques, le
gouvernement chinois déclencha des travaux de construction sans précédent1760 .
Comme pour catalyser la modernisation de la ville de Pékin, le gouvernement
municipal « nettoie » des terrains résidentiels de grande surface pour laisser le fonds
vacant à la construction de nouveaux complexes et de nouvelles infrastructures servant
ses projets. Ces opérations de grande envergure n’en suscitèrent pas moins des
critiques, puisque des habitants par milliers furent expulsés au nom du développement
économique1761. Les critiques de la communauté internationale prirent de l’ampleur
avec l’approche des Jeux Olympiques de 2008. Certaines des critiques se focalisèrent
sur le droit au logement (A), alors que d’autres partirent de la considération que les
jeux seraient l’occasion d’exercer une pression internationale à ce moment là afin
d’accélérer la réforme du droit de propriété en Chine 1762 , voire même la
1759 V., par ex, Jen Lin LIU, « Out with the old and in with the new around China’s Three Gorges dam, but at what cost? », 192 Architectural Rec. 57 (2004). 1760 V., Alan ABRAHANSON, « Built in commitment: Beijing has become a huge construction site in order to stage the 2008 Olympics », L. A. Times, 14 juillet 2005, D 5; reportage, « Beijing 2008: les préparatifs passent la vitesse supérieure », 16 janvier 2004, disponible sur le site http://www.olympic.org/fr/games/beijing/full_story_fr.asp?id=281, consulté le 21 juin 2007. 1761 V., par ex., Patrick A. RANDOLPH, « Property seizeurs in China: political, law and protest », discours devant la table ronde du Congressional-Executive Commission on China Issues, 3 février 2003, disponible sur le site http://cecc.gov/pages/roundtables/062104/Randolph.php, consulté le 21 juin 2007. 1762 Theresa H. WANG, « Trading the people’s homes for the people’s Olympics: the property regime in China », 15 Pac. Rim L. & Pol’y J. 599, p. 624.
563
démocratisation du pays. D’autant que les atteintes au droit au logement, et donc au
droit de propriété, ne sont qu’un indicateur parmi d’autres de la situation des droits de
l’homme en Chine (B).
A. – Les critiques portant sur les atteintes au droit au logement
565. - Sur le plan international, le Centre pour le droit au logement et contre les
expulsions (COHRE, ci-après Centre) –organisation non gouvernementale dotée d’un
statut consultatif auprès des Nations Unies– a fait des efforts remarquables en matière
de promotion du droit au logement. Les pratiques de démolition des habitations
urbaines en Chine –surtout celles ayant eu lieu à Pékin qui s’inscrivaient dans la
logique de préparation des Jeux Olympiques– ont attiré l’attention du Centre. Ce
dernier a successivement publié deux rapports en la matière. Le premier a pour objectif
de sensibiliser le gouvernement chinois et la communauté internationale sur la
situation des atteintes au droit au logement en Chine (1), alors que le deuxième
approfondit l’analyse sur les causes des atteintes en faisant un recensement
systématique du droit chinois en matière de protection du droit au logement, et surtout
celle du droit de propriété (2). Les travaux menés par le Centre s’accordent dans une
large mesure avec les observations du Rapporteur spécial sur le droit au logement
convenable dans le cadre du Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
(1). – La révélation des atteintes au droit au logement
566. - Le Centre a appuyé la réflexion du Rapporteur spécial des Nations Unis sur le
droit au logement et a participé aux travaux de ce dernier dans sa quête de solutions
aux problèmes des expulsions forcées et de la répression des protestataires1763. Par son
rapport intitulé « [Ê]tre fair-play avec le droit au logement : méga-événements, Jeux
Olympiques et droit au logement», le Centre vise à révéler les répercussions de
l’organisation de « méga-événements » tels que les Jeux Olympiques sur la jouissance
1763 Centre pour le droit au logement et contre les expulsions, Housing rights abuses challenged, présentation à la cinquième session du Conseil des droits de l’homme, 11 à 18 juin, 2007.
564
du droit au logement des populations locales dans les villes hôtes, ainsi qu’à s’assurer
que les intérêts des populations locales en matière de logement ont été pris en
considération de manière adéquate lors de la planification d’un méga-événement.
Selon le rapport publié par le Centre, quelque 1,25 millions de résidents furent déjà
déplacés et 250 000 déplacements supplémentaires auraient lieu avant le
commencement des jeux de Pékin en 2008. D’autre part, il n’y eut aucune transparence
dans le processus décisionnel des déplacements, ni de participation suffisante de la
société civile. Le principe de procès équitable ne fut pas respecté. Les indemnisations
furent généralement inadéquates et des milliers d’immigrés furent déplacés sans aucun
projet pour les reloger. Les résidents protestataires furent violemment réprimés1764. De
même, pour la ville de Shanghaï, ville hôte de l’exposition universelle de 2010, 18 000
foyers furent déplacés du site de l’exposition. 400 000 personnes furent déplacées à la
suite des aménagements urbains accompagnés de nombreuses démolitions de
logements à loyer modéré. Le Centre a aussi constaté que, jusqu’à aujourd’hui, le
gouvernement chinois refuse d’ouvrir le dialogue avec les résidents pendant les
processus de déplacement. Les actions de protestation des résidents sont réprimées et
des pressions sont encore exercées sur les avocats représentant les expulsés1765.
(2). – L’analyse des causes des atteintes au droit au logement
567. - Le deuxième rapport du Centre intitulé « [O]ne world, whose dream ?» est
plus spectaculaire non pas en raison de sa date de publication, à savoir le 18 juillet
2008, soit moins d’un mois avant l’ouverture des Jeux Olympiques, mais de son
analyse sur les causes des atteintes au droit au logement par un recensement
systématique du droit chinois. Le rapport a souligné que ni le gouvernement chinois ni
le public ne traite le sujet du logement en faisant référence aux droits de l’homme
1764 COHRE, Fact Sheet –Forced evictions and displacements in future Olympic cities, Beijing, China (2008), 5 juin 2007, disponible sur le site http://www.cohre.org/mega-events, consulté le 21 juin 2007. 1765 COHRE, Directives aux parties prenantes de méga-événements pour la protection et la promotion du droit au logement, p. 30, disponible sur le site http://www.cohre.org/mega-events, consulté le 21 juin 2007; v., aussi, Geoff DYER, « Shanghai property boom brings eviction protests », Financial Times, 13 août 2005, 4.
565
même si par ailleurs les préoccupations du peuple chinois à l’égard de la situation des
atteintes au droit au logement s’expriment par d’autres voies1766. C’est peut-être là la
cause sous-jacente de l’écart entre les règles de droit et les pratiques de violation.
Après l’énumération des articles de la Constitution révisée en 2004, de ceux de la loi
sur les droits réels promulguée en 2007 ainsi que d’autres dispositions législatives
applicables aux mesures de démolition des habitations urbaines qui semblent a priori
complets et parfaits, le Centre a analysé les causes de la violation des normes de droit.
Il s’agit d’abord de l’inexistence d’une autorité judiciaire indépendante et impartiale
qui explique pourquoi les expropriés ne disposent pas de recours utiles contre les
expropriations illégales1767. C’est la raison pour laquelle les seules techniques qu’ils
restent aux expropriés pour faire entendre leurs voix et faire respecter leurs intérêts
consistent à protester en jetant le discrédit sur la réputation et l’image (mianzi) des
chefs politiques appartenant à différents échelons du gouvernement afin qu’ils cèdent
sur la question. Il faut d’autre part souligner que la corruption des fonctionnaires des
gouvernements locaux a apporté aussi son tribut à la violation des droits des expropriés.
Aussi bonnes que semblent être les mesures politiques du gouvernement central, leur
mise en oeuvre dépend largement du pouvoir discrétionnaire des fonctionnaires locaux.
La répartition des pouvoirs caractérisée par la décentralisation, ainsi que le très faible,
sinon inexistant contrôle judiciaire sur les actes administratifs au niveau local ne
peuvent qu’assurer un contexte favorable à la corruption des fonctionnaires locaux
dans l’exécution des projets d’expropriation. Les garanties prévues par la loi et les
politiques du gouvernement central dont les expropriés peuvent bénéficier ne
permettent d’exercer aucune contrainte sur les fonctionnaires corrompus1768. Mais les
problèmes n’existent pas uniquement au niveau local, l’ineffectivité du système de
pétition et plainte –« lettres et visites » (xinfang)– et le harcèlement des défenseurs des
droits avec l’accord du gouvernement central au nom de la raison d’État et de l’intérêt
1766 COHRE, One world, whose dream? Housing rights violations and the Beijing Olympic games, rapport du juillet 2007, p.16, disponsible sur le site http://www.cohre.org/store/attachments/One_World_Whose_Dream_July08.pdf, consulté le 2 janvier 2009. 1767 Ibid., p. 25. 1768 Ibid., pp. 26, 27.
566
pour la pérennité du régime politique, sont aussi des causes de la méconnaissance des
règles de droit dont les expropriés sont victimes1769.
568. - Il est intéressant de souligner que le Centre s’est indigné aussi contre le
Comité International Olympique au motif que celui-ci n’a pas pris en compte la
violation des droits de l’homme en Chine dans sa décision d’attribuer à Pékin le statut
de ville hôte des Jeux Olympiques1770. Il est vrai que les Jeux peuvent conduire la
Chine à une plus grande ouverture, car la question des droits de l’homme en Chine
peut gagner davantage de visibilité aux yeux de la communauté internationale, et avec
la marche du temps il est permis d’espérer que la situation des droits de l’homme
s’améliorera en Chine1771. Cependant, le Comité International Olympique n’a pas prêté
une attention sérieuse aux pratiques de démolition et de déplacement qui étaient
directement liées à la préparation des Jeux à Pékin. La tolérance du Comité
International Olympique à l’égard du gouvernement chinois est regrettable d’autant
plus que la violation du droit au logement a été critiquée par d’autres acteurs non
gouvernementaux qui ont affirmé que c’est bien là un indice de la situation réelle des
droits de l’homme en Chine.
569. - Au cours de la préparation de l’examen périodique universel par le Conseil
des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme en Chine, le Centre a
soumis au Haut-commissariat aux droits de l’homme ses observations concernant la
violation du droit au logement et les mesures répressives prises à l’encontre des
défenseurs du droit au logement par l’autorité chinoise1772. Parmi ses critiques sur les
atteintes au droit au logement, le Centre a réitéré entre autres la consultation
inadéquate des opinions publiques, l’insuffisance de l’indemnisation et de
l’arrangement sur le relogement des expropriés, la prise des mesures abusives par
l’autorité locale dans l’expulsion des résidents, la corruption des agents publics
participant à l’exécution du projet de démolition et de déplacement des habitants, ainsi 1769 Ibid., pp. 28, 29. 1770 Ibid., pp. 30, 31. 1771 V., Roger BLITZ, « IOC’s Rogge asks for more time for China », Financial Times, 26 avril 2008. 1772 Centre on housing rights and eviction, Submission to the Office of High Commissioner for Human Rights, China, September 2008, disponible sur le site http://lib.ohchr.org/HRBodies/UPR/Documents/Session4/CN/CHORE_CHN_UPR_S4_2009_CentreonHousingRightsandEvictions.pdf, consulté le 28 janvier 2009.
567
que le manquement de l’aide judiciaire dont les habitants concernés auraient dû
bénéficier. Le Centre a aussi critiqué la répression des défenseurs du droit au logement
par l’autorité chinoise en indiquant une liste de noms des défenseurs des droits qui
étaient victimes de l’abus de mesures répressives. Selon le Centre, cette répression a
constitué la violation des droits proclamés par le PIDESC, y compris notamment la
liberté d’expression. Les observations du Centre ont été prises en compte par le
Haut-commissariat aux droits de l’homme dans la préparation de l’examen périodique
universelle sur la situation des droits de l’homme en Chine1773. En dépit du caractère
non juridique et peu contraignant de l’examen périodique universel, l’intervention des
acteurs non gouvernementaux –par excellence, le Centre– peut produire certain effet
incitatif sur l’autorité chinoise quant au respect du droit au logement qui lui-même
s’inscrit au droit à un niveau de vie suffisant.
B. – Les critiques portant sur les atteintes au droit au logement
comme indicateur de la situation des droits de l’homme en Chine
570. - Parmi les organisations non gouvernementales de droits de l’homme ayant
une influence internationale, Human Rights Watch (1), Amnesty International (2), et la
Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (3) ont prêté beaucoup
d’attention aux atteintes au droit au logement et au droit de propriété du fait des
mesures de la puissance publique. L’influence des critiques portant sur la situation
générale des droits de l’homme en Chine est susceptible de s’étendre si les acteurs
civils participent au travail du Conseil des droits de l’homme. D’autant que le mode
opérationnel des organisations non gouvernementales se caractérise par l’importance
de la stratégie de relation, l’action directe et parfois indirecte sur l’opinion publique
pour en conquérir le soutien. En effet, « indépendamment du problème de leur
personnalité juridique internationale, leur pratique de l’information, de l’éduction et
de la communication a permis l’évolution des idées en faveur de la nature
1773 V., Human Right Council, Summary prepared by the Office of the High Commissioner for Human Rights, in accordance with paragraph 15 (C) of the Annex to Human Right Council Resolution 5/1, A/HRC/WG.6/4/CHN/3, 5 janvier 2009, § 46.
568
contraignante des règles de droit de l’homme »1774. Il faut d’ailleurs souligner que les
organisations non gouvernementales peuvent davantage renforcer leur influence, à
travers leur participation au fonctionnement des mécanismes de contrôle international,
et par conséquent, sur la détermination des standards universels de droits de
l’homme1775.
(1). – Les critiques du Human Rights Watch
571. - Le Human Rights Watch est la première organisation sensibilisée aux atteintes
au droit de propriété s’appliquant au logement du fait des démolitions et des expulsions
forcées en Chine. En 2004, l’organisation publia son rapport spécial intitulé
« [D]emolished : Forced evictions and the tenant’s rights movement in China »1776.
Elle qualifia les protestations survenues en 2003 en réaction aux plus grandes vagues
de démolitions et d’expulsions forcées motivées par l’augmentation du prix immobilier
comme « mouvement pour les droits des habitants ». Selon le Human Rights Watch, les
sources de ce conflit furent l’absence de consultation des personnes concernées par les
démolitions et les expulsions, l’insuffisance de l’indemnisation, l’inutilité des garanties
judiciaires et la méconnaissance par le gouvernement chinois de ses engagements
internationaux, notamment ceux découlant du PIDESC.
Après l’analyse des sources de ce conflit, le Human Rights Watch a conclu dans
son rapport sur les propositions respectivement adressées au gouvernement chinois,
aux acteurs internationaux ainsi qu’à l’ONU. Quant au gouvernement chinois, le
Human Rights Watch a indiqué que les droits et les libertés des habitants doivent être
mieux respectés et garantis, à savoir notamment leur droit à la consultation sur le projet
de démolition et de déplacement, la liberté d’expression et d’association, le droit au
1774 Raymond RANJEVA, « Les organizations non gouvernementales et le droit international des droits de l’homme », in G. COHEN-JONATHAN, J. F. FLAUSS (éd.), Les organisations non gouvernementales et le droit international des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 7, 8. 1775 V., Lyal S. SUNGA, « NGO involvement in international human rights monitoring », in G. COHEN-JONATHAN, J. F. FLAUSS (éd.), Les organisations non gouvernementales et le droit international des droits de l’homme, op. cit., pp. 51 à 58. 1776 Human Rights Watch, Demolished: forced evictions and the tenant’s rights movement in China,
mars 2004, Vol. 16, n° 4.
569
procès équitable, et que les défenseurs des droits des habitants incarcérés devraient être
libérés1777. Quant aux acteurs internationaux qui désirent exécuter des projets de
construction en Chine, le Human Rights Watch les ont invités à s’assurer que les droits
des personnes expulsées sont dûment respectés1778. Il faut souligner qu’à la fin de son
rapport, le Human Rights Watch a proposé que le Rapporteur spécial de l’ONU prenne
à sa charge le soin d’examiner la situation des personnes dont le droit au logement a
été bafoué en Chine et que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels
s’attelle à poser des questions concernant les expulsions forcées au gouvernement
chinois qui doit fournir ses réponses dans son premier rapport présenté au Comité des
droits économiques, sociaux et culturels1779.
(2). – Les critiques de l’Amnesty International
572. - Parmi les organisations non gouvernementales en matière de droits de
l’homme, l’Amnesty International est considéré comme la plus reconnue, la plus
puissante et la plus respectée. Elle occupe donc la place la plus importante parmi ces
organisations1780. Alors que les droits civils et politiques sont traditionnellement les
domaines prioritaires sur lesquels portent ses activités1781, l’Amnesty International a
bien exprimé son souhait de dépasser cette limite inhérente à sa racine occidentale et
de se développer comme une authentique organisation internationale et multiculturelle
des droits de l’homme1782. Lorsque le gouvernement chinois présenta la candidature de
Pékin à l’élection de la ville hôte des Jeux de 2008, il promit d’améliorer la situation
des droits de l’homme en Chine tout en se rapprochant du critère universellement
reconnu en la matière. Mais selon l’Amnesty International, le gouvernement chinois 1777 Ibid., pp. 37 à 39. 1778 Ibid., p. 40. 1779 Ibid., p. 41. 1780 V., Philip ALSTON, « The fortieth anniversary of the Universal Declaration of Human Rights: a time more for reflection than for celebration », in Jan BERTING (et al. eds.), Human rights in a pluralist world: Individuals and collectivities, 1990, p. 12; David MATAS, Laurie S. WISEBERG, « At 30 something, Amnesty comes of age », 1 HUM. RTS. TRIB., 29, 30 (1992). 1781 V., Katherine E. COX, « Should Amnesty International expands its mandate to cover economic, social, and cultural rights? », 6 Ariz. J. Int’l & Comp. L. 261. 1782 Amnesty International, Amnesty International Report 1994, p. 4.
570
continue à commettre de graves violations des droits de l’homme en dépit de ladite
promesse. C’est la raison pour laquelle l’Amnesty International assume les fonctions
de rapporter à la communauté internationale la réalité de la situation des droits en
Chine, ainsi que de stimuler le gouvernement chinois à honorer ses engagements à
respecter et protéger les droits de l’homme, alors que ses engagements sont non
seulement reconnus par les instruments juridiques internationaux, mais surtout exigés
par la Charte Olympique dans laquelle figure le principe de la promotion d’une société
pacifique et soucieuse de préserver la dignité humaine1783. Dans son rapport ultérieur,
l’Amnesty International a fait connaître à la communauté internationale les
protestations des personnes qui étaient victimes des expulsions forcées liées aux Jeux
Olympiques de 2008 à Pékin1784. Il a condamné d’ailleurs le gouvernement chinois
pour ses répressions des protestations des citoyens, car de lourdes peines furent
infligées aux défenseurs des droits de l’homme, parfois même accompagnées d’actes
de torture. Le gouvernement chinois a été également critiqué pour avoir permis à
l’Association chinoise des avocats –qui est sous la tutelle du Ministère de la Justice–
d’émettre un avis disciplinaire afin de restreindre les activités et le rôle des avocats en
tant que représentants des victimes dans les litiges de grande ampleur concernant les
expulsions forcées et les expropriations des terres1785.
(3). – Les critiques de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme
573. - En mai 2007, la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme
(FIDH) a soumis ses observations écrites au Conseil des droits de l’homme sur la
situation du droit au logement en Chine. Dans ses observations, la FIDH a exprimé ses
1783 Amnesty International, People’s Republic of China: the Olympics countdown –Three years’ human rights reform?, AI Index ASA 17/021/2005, août 2005. 1784 Amnesty International, Droits humains en Chine: le revers de la médaille, Paris : Autrement, 2008, pp. 17 à 22. 1785 Amnesty International, People’s Republic of China: the Olympic countdown –failing to keep human rights promise, AI Index ASA 17/046/2006, 21 septembre 2006; v., aussi, Human Rights Watch, A great danger for lawyers: new regulatory curbs on lawyers representing protestors, New York, 2006; Guiding opinions of the All-China Lawyers Association on lawyers handling mass cases, document publié le 20 mars 2006.
571
préoccupations au Conseil des droits de l’homme concernant les atteintes au droit au
logement des citoyens chinois découlant des démolitions et des déplacements
occasionnés par celles-ci dans un but de développement économique et de
renouvellement urbain, notamment de préparation pour les Jeux Olympiques de
20081786. La FIDH a mené en outre une campagne intitulée « [H]uit revendications
pour Pékin » dont l’un des objectifs était de mettre fin aux expulsions forcées des
citoyens de leur logement ou de leurs terres. Selon la FIDH, « à Pékin la plupart des
expulsions forcées est liée à l’organisation des J.O. Ces expulsions ont lieu manu
militari et l’insuffisance des dédommagements est à l’origine de conflits violents,
durement réprimés. Les expulsions ont lieu également à la campagne pour faire place
non seulement à des projets immobiliers mais aussi à la construction d’industries
souvent polluantes. Ceux qui demandent justice pour les victimes d’expulsion font
l’objet de poursuites, de harcèlement et d’incarcération »1787. La FIDH a critiqué
l’inefficacité de la révision constitutionnelle consacrant la protection du droit de
propriété privée et de la loi sur les droits réels, dans la mesure où les règles de garantie
en cas d’expropriation pour l’intérêt général ne sont pas clairement prévues. En
soulignant que la Chine n’a pas respecté fidèlement ses engagements internationaux,
surtout ceux découlant du PIDESC, la FIDH a invité le Conseil des droits de l’homme
à faire pression sur le gouvernement chinois pour que ce dernier rende ses lois et
règlements en conformité avec le PIDESC, tout en abandonnant les mesures de
démolition forcée et qu’il adopte d’autre part des mesures concrètes afin de
promouvoir la réalisation du droit au logement, qu’il fasse cesser les répressions contre
les protestations des personnes victimes des expulsions forcées et enfin qu’il invite et
accueille le Rapporteur spécial sur le droit au logement1788. Les critiques de la FIDH
sont assez significatives dans la mesure où l’influence des acteurs non
gouvernementaux sur la violation des droits de l’homme s’étend depuis lors au sein du 1786 Conseil des droits de l’homme, Written statement submitted by the International Federation of Human Rights Leagues: a non-governmental organization in special consultative status, A/HRC/5/NGO/14(English Only), 7 June 2007. 1787 V., Collectif Chine JO 2008, Huit revendications pour Pékin, disponible sur le site http://www.fidh.org/article.php3?id_article=4344#un, consulté le 27 juin 2007. 1788 Conseil des droits de l’homme, Written statement submitted by the International Federation of Human Rights Leagues: a non-governmental organization in special consultative status, op. cit., p. 4.
572
Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
574. - Une collaboration entre les acteurs non gouvernementaux et les organes
gouvernementaux est donc envisageable par la participation des acteurs non
gouvernementaux à l’examen périodique universel. Cette collaboration est encouragée
et institutionnalisée selon les méthodes de travail du Conseil des droits de l’homme1789.
Il est par conséquent prévisible que la pression de la communauté internationale
concernant la violation des droits de l’homme se révèlera plus forte qu’auparavant. Ce
renforcement de la pression venant de la communauté internationale peut utilement
contrebalancer l’efficacité de la riposte politique de la Chine confrontée à la
« condamnation » sur ses violations des droits de l’homme parmi lesquels figurent le
droit au logement et le droit de propriété.
SECTION II. – DES OBSERVATIONS INTERNATIONALES DANS LE CADRE
DU DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
575. - Dans le cadre de l’OMC, l’examen des politiques commerciales, comme le
mécanisme d’examen transitoire auquel s’est soumise la Chine lors de son
accession1790, est « l’instrument pour superviser la mise en oeuvre par la Chine de ses
obligations assumées sous l’OMC »1791. Par le mécanisme non contraignant d’examen
des politiques commerciales, le droit de propriété est soumis –comme composante de
l’ensemble des politiques commerciales de la Chine– aux observations internationales
des autres membres de l’OMC (Sous-section 1). Le rapport du gouvernement chinois
présenté à l’Organe d’examen des politiques commerciales, ainsi que ses réponses aux
questions posées par les autres Membres de l’OMC ont pour objectif de permettre
qu’une transparence accrue et qu’une meilleure compréhension des politiques et
pratiques commerciales des Membres se mettent en place1792. Pour le gouvernement
1789 V., supra, n° 560. 1790 V., Annexe 1 A du Protocole d’accession de la République populaire de Chine, WT/L/432, 23 novembre 2003. 1791 WANG Guiguo, The law of the WTO, China and the future of free trade, Sweet & Maxwell Asia, 2005, p. 61. 1792 V., Annexe 3 de l’Accord de Marrakech,
573
chinois, la participation au processus d’examen des politiques commerciales est
l’occasion de présenter à tous les membres de l’OMC une image fidèle de la Chine1793,
en permettant que sa législation et sa politique soient clarifiées, y compris en ce qui
concerne le droit de propriété. Cependant, ces observations effectuées dans le cadre de
l’OMC connaissent une limite, dans la mesure où ces observations sont de nature non
juridique et donc ne sont pas contraignantes à l’issue de l’examen. D’autre part,
l’examen des politiques commerciales relève d’un mécanisme interétatique, ainsi, les
personnes privées en tant que principaux opérateurs du commerce international n’ont
pas le droit d’y participer et donc ne peuvent en tirer les conséquences que de manière
indirecte. Néanmoins, les bénéfices qu’apporte le mécanisme ne doivent pas être
négligés dans la mesure où sa fonction de forum peut promouvoir le dialogue et la
négociation entre les membres de l’OMC, et par conséquent, une plus grande
transparence des politiques commerciales de la Chine1794. L’application du mécanisme
peut également exercer une pression sur le gouvernement chinois soumis à l’examen,
exigeant de ce dernier qu’il modifie ses politiques incompatibles avec le droit de
l’OMC1795. Comme les mécanismes de « examen par les pairs » ou de « pression des
pairs », l’examen des politiques commerciales tient son efficacité à l’influence et à la
persuasion des partenaires commerciaux au cours de l’exercice1796. À cet égard,
l’examen des politiques commerciales est un instrument de l’exécution du droit de
l’OMC, qui joue un rôle complémentaire par rapport au mécanisme plus contraignant
de règlement des différends.
En ce qui concerne les droits de propriété intellectuelle, la Chine s’implique
désormais davantage dans le mécanisme de règlement des différends de l’OMC, alors
qu’elle avait la réputation de toujours se méfier des procédures de recours
1793 V., OMC, Examen des politiques commerciales, République Populaire de Chine, Compte rendu de la réunion, WT/TPR/M/161, 6 juin 2006, point 5. 1794 William STEINBERG, « Monitor with no teeth: an analysis of the WTO China trade review mechanism », 6 U.C. Davis Bus. L.J. 2. 1795 Julien CHAISSE, Debashis CHAKRABORTY, « Implementing WTO rules through negotiations and sanctions: the role of trade policy review mechanism and dispute settlement system », 28 U. Pa. J. Int’l Econ. L. 153, p. 180. 1796 V., OCDE, L’examen par les pairs: un instrument de coopération et de changement, SG/LEG(2002)1, 11 septembre 2001, p. 6.
574
contraignantes des instances juridiques internationales pour résoudre des différends
interétatiques 1797 . En avril 2007, le gouvernement des États-Unis a demandé
l’ouverture d’une consultation avec le gouvernement chinois au sujet de certaines
mesures relatives à la protection et au respect des droits de propriété intellectuelle en
Chine1798, ce qui a déclenché la mise en oeuvre des procédures de l’Organe de
règlements des différends contre la volonté du gouvernement chinois qui avait le rôle
de la défense1799.
576. - En plus de l’OMC, des institutions internationales appartenant au monde
économique ont également joué un rôle non négligeable concernant l’évolution du
droit interne chinois en matière de droit de propriété (Sous-section 2). Au nom de
l’expertise de bonne gouvernance, la Banque mondiale et l’Organisation de
Coopération et de Développement Économiques ont exprimé leurs considérations et
propositions au sujet de diverses réformes économiques et juridiques en Chine. C’est
dans ce contexte de « la mondialisation des experts »1800 que la question du droit de
propriété a été directement ou indirectement étudiée par les observations de nature
scientifique. L’importance de ces observations tient au fait qu’elles ont enrichi les
connaissances et précédé la décision politique du gouvernement chinois ou encore sont
à l’origine de certaines initiatives normatives en matière de politiques économiques
dont l’une des composantes importantes concerne la propriété.
Sous-section 1. – Le droit de propriété soumis à l’examen des politiques
commerciales
577. - Dans le cadre de l’OMC, Le mécanisme d’examen des politiques
1797 V., Samuel S. KIM, « The development of international law in post-Mao China: change and continuity », Journal of Chinese Law, fall, 1987, p. 140. 1798 V., OMC, Chine - Mesures affectant la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle - Demande de consultations présentée par les États-Unis, WT/DS362/1, 16 avril 2007. 1799 V., reportage de l’Agence de Presse Xinhua, Les États Unis doivent retirer leurs plaintes contre la Chine sur le droit de propriété intellectuelle, selon un officiel chinois, disponibles sur le site http://french.china.org.cn/foreign/txt/2007-07/04/content_8480200.htm, consulté le 7 août 2007. 1800 V., Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (III) : la refondation des pouvoirs, op. cit., pp. 201 et s.
575
commerciales constitue un forum où les Membres peuvent discuter ouvertement des
politiques commerciales et en faire une analyse objective. Les rapports élaborés par le
Secrétariat permettent un examen factuel et indépendant sur les politiques et les
pratiques commerciales des Membres concernés. Ces rapports sont, d’une manière
générale, bien accueillis, tant par les Membres soumis à l’examen que par le reste des
participants. Les rapports contribuent également, dans certains cas, à l’élaboration de
politiques commerciales de certains Membres 1801 . L’apport de l’examen à
l’amélioration de la protection du droit de propriété est significatif, d’autant plus que
les principes directeurs acceptés par la Chine lors de son accession à l’OMC ont été
largement examinés par cette organisation. Il s’agit des principes d’application
uniforme des engagements consentis, de transparence, de contrôle judiciaire impartial
et d’indépendance des actes administratifs, dont la mise en oeuvre exige des
changements sans précédent dans quasiment tous les domaines du droit chinois. Il en
résulte donc que l’accession à l’OMC n’a pas uniquement des conséquences positives
sur le plan économique et politique mais sert également à consolider la construction
d’un État de droit en Chine1802. L’examen des politiques commerciales est l’occasion,
non seulement d’évaluer la mise en oeuvre des principes par la Chine, mais aussi
d’indiquer à celle-ci des propositions de réformes, y compris celles relatives au droit de
propriété (§ 1). Sous la forme d’un éclaircissement de ses mesures politiques, le
gouvernement chinois a présenté son rapport à l’Organe d’examen des politiques
commerciales, en abordant directement la question de la propriété et en indiquant les
orientations de réforme qui elles-mêmes s’inscrivent dans l’évolution et le 1801 V., OMC, Rapport de l’organe d’examen des politiques commerciales pour 2006, 31 octobre 2006, WT/TPR/192, para. 10. 1802 V., Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p. 566 ; Leïla CHOUKROUNE, « L’accession de la Chine à l’OMC et la réforme juridique : vers un État de droit par l’internationalisation sans démocratie ? », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Etienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., pp. 617 et s ; Stanley LUBMAN, « Bird in a cage : Chinese law reform after twenty years », op. cit., pp. 416 à 419 ; Jan HOOGMARTENS, « Can China’s socialist market survive WTO’s accession ? Political, market economy and rule of law », 7-SPG L. & Bus. Rev. Am. 37, pp. 76 à 83; Karen HALVERSON, « China’s WTO accession: Economic, legal and political implications », 27 B.C. In’'l & Comp. L. Rev. 319, pp. 346 et s; Jiangyu WANG, « The rule of law in China: a realistic view of the jurisprudence, the impact of WTO, and the prospects for future development », 2004 Sing. J. Legal Stud. 347, pp. 360 et s; CAO Jianming, « WTO and the rule of law in China », 16 Temp. Int’l & Comp. L.J. 379, pp. 379 et s.
576
développement récent de ses politiques commerciales1803 (§ 2).
§ 1. – Les observations du Rapport du Secrétariat
578. - Le Rapport du Secrétariat qui porte sur l’ensemble des politiques
commerciales de la Chine contient Les observations concernant le droit de propriété
tant dans la partie relative au cadre et aux objectifs du régime des politiques
commerciales (A), que dans la partie des analyses sur les mesures ou les secteurs
concrets de politique commerciale (B).
A. – Les observations dans l’examen portant sur le régime des
politiques commerciales
579. - Dans le cadre de l’examen portant sur le régime des politiques commerciales,
après avoir récapitulé les réformes législatives entreprises par la Chine afin de
transformer son cadre institutionnel et juridique, le Rapport du Secrétariat a souligné
les problèmes existants dans le processus de réforme juridique (2) mais aussi des
progrès remarquables en matière de droit de propriété (1).
(1). – L’appréciation des progrès
580. - Concernant le régime des politiques commerciales, le Rapport du Secrétariat a
constaté des progrès à l’oeuvre au sein du processus de réforme juridique en Chine. Il
s’agit d’abord d’instaurer une révision judiciaire des actes administratifs. Selon le
Rapport, les lois et les règlements actuels de la Chine satisfont aux exigences de
l’engagement en vertu duquel les mesures administratives liées à l’exécution des lois,
règlements, décisions judiciaires ou autres concernant le commerce des marchandises
et des services ainsi que les droits de propriété intellectuelle doivent faire l’objet d’une
révision judiciaire. Le processus de révision doit par ailleurs inclure des possibilités
1803 V., OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport de la République Populaire de Chine, WT/TPR/S/161/Rev.1, 26 juin 2006.
577
d’appel. Le Rapport du Secrétariat a constaté que la Cour populaire suprême a publié
en 2002, dans un effort visant à clarifier davantage sa compétence dans les contentieux
administratifs liés au commerce international, les Règles relatives à certaines questions
concernant le traitement des affaires administratives liées au commerce
international1804. Lors du deuxième examen des politiques commerciales en 2008, le
Rapport du Secrétariat a intégré parmi les principales lois commerciales la loi sur les
droits réels dont l’adoption est considérée comme le signe de l’amélioration du régime
de la politique commerciale1805.
581. - Le Rapport du Secrétariat a considéré que le progrès du gouvernement chinois
en matière de transparence est rapide. Alors que la Chine a été classée au
quarante-quatrième rang parmi les 48 pays les plus opaques selon l’indice d’opacité de
20041806, le Rapport a évoqué la loi sur l’autorisation administrative entrée en vigueur
le 1er juillet 20041807 comme exemple du progrès de la Chine en la matière. Cette loi
définit de manière stricte le fondement juridique de l’autorisation administrative,
désigne les institutions compétentes en la matière et décrit la procédure d’octroi de
l’autorisation, afin de garantir une application plus uniforme de ces mesures et d’en
améliorer ainsi la transparence. Le Rapport a constaté qu’une évaluation menée à
l’échelle du pays a permis de faire le point sur les autorisations administratives
existantes, dans le but d’uniformiser le comportement des instances administratives et
d’en améliorer davantage la transparence1808. En évoquant la loi sur l’élaboration des
normes juridiques, le Rapport du Secrétariat a observé que depuis l’accession de la
Chine à l’OMC, la participation du public au processus législatif et la transparence de
ce processus s’est améliorées. Le Rapport du Secrétariat a fait d’ailleurs l’éloge des
1804 Ibid., p. 45. 1805 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, Chine, 12 août 2008, WT/TPR/S199/Rev.1, p. 31. 1806 V., Joel KURTZMAN, Glenn YAGO, Triphon PHUMIWASANA, The Global Costs of Opacity, Measuring Business and Investment Risk Worldwide, disponible sur le site http://www.opacityindex.com/opacity_index.pdf, consulté le 9 août 2007. 1807 On entend par « autorisation administrative » l’approbation qu’une instance administrative donne à un citoyen, une personne morale ou une autre entité pour la conduite d’activités spéciales, au terme d’un examen de sa demande effectué en vertu de la loi. 1808 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport de la République Populaire de Chine, WT/TPR/S/161/Rev.1, précité, p. 46.
578
mesures telles que les audits effectués par le Bureau National d’Audit et le recours à
Internet, prises par les gouvernements de différents échelons visant à promouvoir la
transparence et contrer la corruption1809. Dans le deuxième Rapport du Secrétariat sur
l’examen des politiques commerciales, le Règlement sur la publication des
informations gouvernementales est considéré comme l’instrument destiné « à réduire
la corruption en maintenant le gouvernement ouvert et transparent dans l’exercice de
ses pouvoirs »1810. Le respect du principe de transparence s’est étendu dans le domaine
législatif. Selon le deuxième Rapport du Secrétariat, « aucun renseignement n’était
disponible sur le nombre de projets de loi et de règlement sur lesquels aucun avis n’a
été sollicité »1811. Tel est notamment le cas de l’élaboration du projet de loi sur les
droits réels par lequel l’appel des avis consultatifs sur le plan national a été organisé
par le Comité permanent de l’APN.
(2). – Les critiques sur les problèmes existants
582. - Le Rapport du Secrétariat a émis un regret au sujet de la complexité de la
législation chinoise. Il constate que de nouvelles règles et de nouveaux règlements sont
régulièrement édictés pour répondre à l’évolution des besoins économiques et des
engagements internationaux du pays. Le résultat est un réseau complexe de lois, de
règlements, de règles et de dispositions provisoires ; dans bien des cas, le processus de
formulation et d’application des politiques demeure lui aussi complexe, faisant
intervenir plusieurs organismes à différents niveaux, ce qui entraîne des répercussions
sur le plan de la cohérence. La complexité du cadre institutionnel peut s’expliquer, en
partie, par la nature du processus de réforme. En effet, pendant que de nouvelles
politiques et de nouvelles institutions sont mises en place, les anciennes ne sont
modifiées que de façon partielle, de sorte que les nouvelles institutions viennent
s’ajouter ou se greffer aux anciennes ; d’ailleurs, il arrive, de temps à autre, que des
politiques gouvernementales soient mises en œuvre à titre expérimental sous forme de 1809 Ibid., p. 47. 1810 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, Chine, 12 août 2008, WT/TPR/S199/Rev.1, pp. 28, 29. 1811 Ibid., p. 30.
579
« règlements ou décrets provisoires », ou au niveau d’une région avant d’être
appliquées à l’échelle du pays1812 . Cette critique est pertinente à propos de la
législation en matière de propriété. Car, en dehors de la loi sur les droits réels, le
Comité permanent de l’APN est en train d’élaborer une loi sur l’administration des
biens étatiques1813. N’ayant pas réussi à intégrer toutes les règles aussi complexes que
diverses dans un corps unique, le Comité permanent de l’APN a adopté en 2008 la loi
sur les actifs d’État des entreprises. D’ailleurs, différentes autorités gouvernementales
sont chargées d’élaborer des textes normatifs relatifs à l’enregistrement des biens
immobiliers, à l’expropriation, et au transfert du droit d’usage du sol rural. Une série
de lois et de règlements est en cours d’élaboration afin de compléter les règles plus
générales ou lacunaires de la loi sur les droits réels. Qu’il s’agisse de nouvelles lois ou
de nouveaux règlements à paraître, la mise en cohérence entre la loi sur les droits réels
et les nouveaux textes normatifs est une étape importante pour réduire la complexité du
système juridique du droit des biens en Chine. Outre les textes normatifs, les avis
d’interprétation issus de la Cour populaire suprême sont aussi importants concernant la
mise en oeuvre de la loi sur les droits réels, notamment pour compléter les dispositions
peu précises de celle-ci. Il s’agit des règles relatives à la copropriété auxquelles la Cour
populaire suprême attache de l’importance comme le montre l’élaboration de deux avis
d’interprétation qui verront le jour après la sollicitation des opinions publiques1814.
583. - L’exécution de la loi est la question la plus critiquée dans le Rapport du
Secrétariat. Ce dernier, en citant le rapport du Président de la Cour populaire suprême
présenté à l’APN en mars 20041815, a souligné que les difficultés d’exécution des
jugements civils et commerciaux deviennent un « mal chronique »1816. Parmi les
1812 V., OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, République Populaire de Chine, révision, WT/TPR/S/161/Rev.1, 26 juin 2006, p. 35. 1813 Comité permanent de l’APN, Programme des travaux législatifs de l’an 2008, adopté par la deuxième réunion des présidents du Comité permanent du Xe l’APN, 15 avril 2008. 1814 V., reportage de QIU Wei, « Analyse sur les projets d’avis d’interprétation relative à la loi sur les droits réels préparés par la Cour suprême (Zuigaofa wuquanfa sifa jieshi zhengqiu yijiangao jiedu) », Beijing wanbao (Beijing Evening News), 19 juin 2008. 1815 XIAO Yang, Rapport d’activités de la Cour populaire suprême devant la deuxième session plénière du Xe APN, le 10 mars 2004, disponible sur le site http://www.court.gov.cn/work/200403220012.htm, consulté le 25 juin 2008. 1816 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, République Populaire de
580
difficultés d’exécution des lois en Chine qui tiennent à différents facteurs, le Rapport
du Secrétariat a mis l’accent sur la protection des intérêts locaux et l’interférence des
pouvoirs publics1817. Le problème du protectionnisme local a été encore souligné par le
deuxième Rapport du Secrétariat sur l’examen des politiques commerciales, selon
lequel « dans l’ensemble, la coordination entre le gouvernement central et les
administrations locales s’améliore, mais reste faible »1818. Les problèmes entraînés par
la coordination ineffective qui règne entre le gouvernement central et les
administrations locales apparaissent plus nettement dans les pratiques d’expropriation
pour l’intérêt public. En effet, les conditions relatives à l’expropriation pour l’intérêt
public imposées par la législation nationale et les politiques du gouvernement central
sont souvent délibérément méconnues par les administrations locales qui détiennent un
pouvoir largement discrétionnaire concernant la prise des décisions et l’exécution du
projet d’expropriation.
B. – Le droit de propriété soumis à l’examen sur les mesures concrètes
de politiques commerciales
584. - La question du droit de propriété a été abordée par le Rapport du Secrétariat
sur plusieurs aspects concernant les mesures concrètes de politique commerciale. Il
s’agit d’abord d’offrir un traitement égal des opérateurs économiques du secteur public
et à ceux du secteur privé (1), ensuite, de reformer les entreprises d’État à l’égard du
régime de propriété (2). Ces examens visent plus essentiellement à réguler l’économie
au regard des règles du marché. Elles doivent conduire au réajustement du régime
économique et juridique en favorisant le renforcement de la garantie de la propriété
Chine, WT/TPR/S/161/Rev.1, précité, pp. 44, 45. 1817 GE Xingjun, ancien directeur de la Division d’exécution des jugements de la Cour Populaire Suprême, a expliqué que les difficultés d’exécution des jugements en Chine découlaient principalement du protectionnisme local, voir la discussion en ligne qui a eu lieu le 11 mars 2004 sous les auspices de China Courts Net et People’s Net, http://www2.qglt.com.cn/wsrmlt/jbft/2004/03/031102.html, consulté le 8 juin 2005. 1818 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, Chine, 16 avril 2008, WT/TPR/S199, p. 31.
581
privée et du traitement égal des propriétés publique et privée1819. La protection de la
propriété intellectuelle fait également l’objet de l’examen (3) dont l’observation peut
sensibiliser le gouvernement sur des problèmes existants et indiquer par conséquent le
degré d’avancement du droit chinois en la matière.
(1). – Le traitement égal des secteurs public et privé
585. - Le Rapport du Secrétariat a caractérisé la réforme structurelle des entreprises
en Chine par la réorientation vers le secteur privé, et a apprécié la révision
constitutionnelle en 2004 qui reconnaît désormais le statut légitime de la propriété
privée, ainsi que la protection des secteurs non publics de l’économie, dont le secteur
individuel et le secteur privé. Le Rapport a mis l’accent sur l’intégration de la théorie
de « Trois Représentativités » dans la Constitution, en considérant celle-ci comme une
innovation théorique qui indique que les entrepreneurs privés sont encouragés à
adhérer au PCC, et qui accroîtra l’influence du secteur privé sur la formulation des
politiques1820. Le Rapport a également souligné que, bien que la productivité totale des
facteurs est plus élevée dans le secteur privé et que sa productivité augmente plus vite
que celle du secteur public, les entreprises privées se heurtent toujours à des obstacles,
notamment pour obtenir des crédits bancaires ou pour lever des fonds sur le marché
des capitaux1821. D’ailleurs, jusqu’à récemment, il semble que les entreprises privées
n’étaient pas autorisées à investir dans certains secteurs considérés comme capitaux
dans la stratégie économique du gouvernement central, notamment ceux de l’électricité,
du pétrole, de la chimie, des transports ferroviaire et aérien. Cependant, le Rapport du
Secrétariat a bien accueilli la réforme initiée par les Directives visant à favoriser et à
soutenir le développement du secteur non étatique, y compris l’entreprise individuelle
et l’entreprise privée, adoptées par le CAE le 25 février 2005. Il a considéré que les 1819 V., Ligang SONG, « The state of Chinese economy –structural changes, impacts and implications », in Deborah Z. CASS, Brett G. WILLIAMS, George BARKER, China and the world trading system, Cambridge University Press, 2003, p. 89 à 92. 1820 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, République Populaire de Chine, WT/TPR/S/161/Rev.1, précité, p. 37. 1821 V., par exemple, Kuijs LOUIS, Tao WANG, « China’s pattern of growth: moving to sustainability and reducing inequality », World Bank Policy Research Working Paper No. 3767, novembre 2005.
582
directives ont pour but d’améliorer l’accès de l’entreprise privée aux marchés de
nombreux secteurs dont l’accessibilité était auparavant restreinte, y compris les
secteurs dominés par des monopoles d’État et les secteurs fortement réglementés, tels
que les services publics, les services financiers, les services sociaux et celui de la
fourniture du matériel de la défense nationale. Le Rapport du Secrétariat a observé
aussi qu’en ce qui concerne les progrès en matière de mettre en place le traitement égal
des propriétés publique et privée, les autorités chinoises s’emploient à abaisser d’autres
barrières qui entravaient l’accès au marché, en réduisant par exemple le niveau élevé
des fonds propres qui était requis jusqu’à présent, par la modification de la loi sur les
sociétés entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2006.
586. - Selon le Rapport du Secrétariat, le traitement égal des secteurs public et privé relève
également du droit de concurrence. En effet, la nouvelle loi anti-monopole –adoptée le 30 août
2007 et entrée en vigueur le 1er août 2008– vient combler une lacune importante dans le cadre
législatif à l’égard des exigences d’une économie de marché. Le Rapport a considéré que pour que
la loi anti-monopole soit efficace, elle doit être appliquée sérieusement, dans la transparence et sans
discrimination1822 . Cette nouvelle loi doit notamment garantir un traitement non discriminatoire
des entreprises privées par rapport aux entreprises d’État dans tout le pays, et régler les problèmes
liés à l’existence de monopoles d’État ou de monopoles administratifs1823. Selon le Rapport du
Secrétariat, le défi essentiel auquel devra faire face le gouvernement chinois sera celui mettre en
œuvre des changements structurels afin d’instaurer une plus grande concurrence, et de réformer en
particulier le secteur public, y compris les entreprises1824, ceci afin de résoudre les problèmes liés à
la structure de l’économie chinoise parmi lesquels figure le caractère ambigu des droits de
propriété1825. Ainsi, le Rapport du Secrétariat a confirmé le rôle du droit de propriété dans la
restructuration des entreprises publiques, et dans un contexte plus large, dans la réforme de
l’ensemble du secteur public.
1822 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, République Populaire de Chine, WT/TPR/S/161/Rev.1, précité, p. 75. 1823 Ibid., p. 165. 1824 Ibid., p. 74 1825 Ibid., p. 165.
583
(2). – Le rôle du droit de propriété dans la réforme des entreprises d’État
587. - Le Rapport du Secrétariat a constaté que la politique actuelle de réforme des
entreprises d’État consiste à donner la priorité d’une part à la séparation entre le droit
de propriété et la gestion de la société et, d’autre part, à l’amélioration de
l’administration des actifs d’État 1826 . C’est dans ce contexte qu’a été créée la
Commission du CAE chargée de la supervision et de la gestion des actifs d’État
(SASAC) par le Règlement provisoire sur la supervision et la gestion des actifs d’État
des entreprises1827, qui en tant qu’institution centrale dépositaire des titres, règle les
problèmes rencontrés par les entreprises non financières appartenant au gouvernement
central. Selon le Rapport du Secrétariat, la création de la SASAC offre la possibilité
d’améliorer la transparence en matière de gestion et de cession des actifs détenus par
l’État. Néanmoins, en tenant compte des autres fonctions de la SASAC, le Rapport du
Secrétariat a redouté que la question demeure de savoir dans quelle mesure la SASAC
joue un rôle de fiduciaire pour le compte du gouvernement central, afin de maximiser
le rendement des actifs publics ou, si elle n’est pas plutôt un instrument de la mise en
œuvre de la politique industrielle du gouvernement central1828.
588. - Lors du deuxième examen, le Rapport du Secrétaire a constaté les progrès
effectués concernant la réforme des entreprises d’État au sujet du droit de propriété. Il
s’agit de leur réorganisation et de leur transformation en sociétés privées qui ont
permis d’améliorer les résultats. D’autre part, en réduisant la participation du pouvoir
public et en libérant des ressources détenues auparavant par l’État, la réforme a aussi
contribué au développement du secteur privé1829. La privatisation a été jugée dans le
Rapport du Secrétariat comme étant la mesure de réforme la plus importante. Il s’agit
1826 V., OECD, Governance in China, 2005; S. TENEV, Chunlin Zhang, Loup BREFORT, Corporate governance and enterprise reform in China: building the institutions of modern markets, World Bank, 2002. 1827 La loi sur les actifs d’État des entreprises promulguée en 2008 réaffirme le statut et les fonctions de la Commission d’État chargée de la supervision et de la gestion des actifs d’État. V., supra, n° 151. 1828 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, République Populaire de Chine, WT/TPR/S/161/Rev.1, précité, p. 22. 1829 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, Chine, 16 avril 2008, WT/TPR/S199/Rev.1, précité, p. 92.
584
non seulement de la réduction prévue des entreprises publiques relevant de la gestion
du SASAC selon les Orientations visant à promouvoir la restructuration des actifs
publics et des entreprises publiques, émises par le CAE en décembre 20061830, mais
surtout de la réforme visant à convertir des actions d’État ou de personnes morales non
négociables en actions négociables1831. L’ensemble des mesures s’inscrit dans un
processus de réforme dont le but principal est de diminuer la part de la propriété
publique dans les secteurs économiques et s’explique par le mot d’ordre du PCC,
c’est-à-dire «la réalisation du régime de propriété publique par de multiples voies
effectives»1832. L’usage de cette phraséologie lui permet de contourner des expressions
politiquement plus sensibles telles que la privatisation ou la récession de la propriété
publique dans l’économie nationale.
(3). – La protection de la propriété intellectuelle
589. - Après avoir abordé la législation et le fonctionnement des organismes
compétents pour la mise en oeuvre des droits de propriété intellectuelle, le Rapport du
Secrétariat a mis l’accent sur l’aspect des critiques concernant les moyens de faire
respecter les droits. Parmi les principales causes de l’ineffectivité du droit chinois de la
propriété intellectuelle, le Rapport du Secrétariat a souligné le manque de coordination
entre les principaux organismes chargés de faire respecter la loi, le protectionnisme
local, la corruption, l’insuffisance du pouvoir de dissuasion des sanctions
1830 Selon les Orientations, le gouvernement entend conserver sa participation dans les « industries intéressant la sécurité nationale, les grandes infrastructures et les ressources minérales importantes, les industries fournissant des biens et services publics importants, enfin les industries névralgiques appartenant à des secteurs pivots ou à des secteurs de pointe ». Plus précisément, sept secteurs « stratégiquement importants », y compris la production et la distribution d’électricité, le pétrole et la pétrochimie, les télécommunications, le charbon, l’aéronautique et la navigation, demeureraient sous le contrôle de l’État. V., reportage de ZHAO Huanxin « Control over key industries ‘crucial’», China Daily, 19 décembre 2006. 1831 La Commission de réglementation des valeurs mobilières (CSRC) a émis le 29 avril 2005 la Circulaire sur le programme pilote de réforme des actions non négociables des sociétés inscrites à la cote officielle. 1832 V., Décision sur l’amélioration du régime de l’économie de marché socialiste, adoptée par la troisième session plénière du XVIe Congrès du PCC.
585
administratives, civiles et pénales, ainsi que le manque de formation du personnel1833.
Pour montrer la gravité de la situation, le Rapport du Secrétariat s’est référé à la
statistique sur la croissance des infractions et des contentieux indiquée dans le livre
blanc de 2005 portant sur la protection de la propriété intellectuelle en Chine. Il est à
noter que le Rapport du Secrétariat a été révélateur du mécontentement que nourrissent
certains membres de l’OMC à l’égard de la performance du gouvernement chinois
concernant la mise en oeuvre de l’Accord sur les ADPIC. En témoigne le différend
ultérieurement présenté devant l’ORD. Dans l’affaire DS 362, l’une des questions
posées par le gouvernement des États-Unis porte sur les seuils qui doivent être atteints
pour que certains actes de contrefaçon de marques et de piratage des droits d’auteur
fassent l’objet de procédures pénales et de peines1834. Ces faits correspondent en effet à
la préoccupation déjà avérée lors de l’examen des politiques commerciales concernant
l’insuffisance du pouvoir de dissuasion des sanctions prévues. Lors du deuxième
examen des politiques commerciales, le Rapport du Secrétariat a réitéré la critique
portant sur l’existence des seuils minimums devant être atteints avant que des
poursuites pénales ne puissent être engagées contre les infractions commises à
l’encontre des droits de propriété intellectuelle. « Il peut s’agir notamment de la valeur
des biens, des profits illégaux ou de la quantité de copies illégales. Ces seuils sont
abaissés dans certains cas, mais les autorités disent qu’il n’est pas question de les
supprimer »1835. L’observation du deuxième examen des politiques commerciales est
d’autant plus significative que celui-ci s’est déroulé en parallèle avec le traitement de
l’affaire DS 362 par le Groupe spécial établi à la demande des États-Unis1836. Il semble
que le Rapport du Secrétariat a produit certaine influence sur la conclusion du Groupe
spécial dans le règlement du différend sino-américain. 1833 V., OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, République Populaire de Chine, WT/TPR/S/161/Rev.1, précité, p. 161. 1834 OMC, Chine - Mesures affectant la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle - Demande de consultations présentée par les États-Unis, G/L/819, IP/D/26, WT/DS362/1, 16 avril 2007. 1835 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, Chine, WT/TPR/S199/Rev.1, précité, p. 106. 1836 Le 13 décembre 2007, le Directeur général a arrêté la composition du Groupe spécial. Ce dernier publierait son rapport à la fin 2008. V., Intellecutual Property Watch, WTO inquiry launched into US complaints against China’s IP record, 27 septembre 2007, disponible sur le site http://www.ip-watch.org/weblog/index.php?p=758, consulté le 28 juin 2008.
586
590. - Si l’on met l’accent sur les liens entre l’examen des politiques commerciales
et le différend entre les partenaires commerciaux et la Chine, celle-ci doit prêter son
attention sur les critiques soulevés lors de l’examen des politiques commerciales. Le
protectionnisme local dans la mise en oeuvre de la législation de propriété
intellectuelle a été l’un des objets de ces critiques. Le Rapport du Secrétariat l’a
considéré bien comme l’une des causes majeures des atteintes aux droits de propriété
intellectuelle. Selon le Rapport du premier examen, « le protectionnisme local peut
résulter de mesures arbitraires qui favorisent les commerçants et producteurs locaux,
et de la corruption locale qui permet aux fabricants ou marchands locaux de produits
contrefaits d’être avertis à l’avance des perquisitions; il semble aussi que les
administrations régionales compétentes n’ont pas toutes les capacités requises pour
faire respecter les DPI »1837. Lors du deuxième examen des politiques commerciales,
le Rapport du Secrétariat a insisté sur la difficulté concernant l’exécution des décisions
judiciaires et administratives, en raison du manque d’infrastructures et d’une
insuffisance d’effectifs1838. Il est donc vraisemblable que la question de l’effectivité de
la mise en oeuvre des garanties judiciaire et administrative devienne l’objet de futurs
différends mettant en cause la performance du gouvernement chinois concernant les
engagements qu’il a pris avec l’Accord sur les ADPIC, si les améliorations escomptées
ne sont pas réalisées.
§ 2. – La propriété au regard de la clarification des politiques commerciales
par le gouvernement chinois 1837 V., OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, République Populaire de Chine, WT/TPR/S/161/Rev.1, précité, p.185. Il faut rappeler également que lors de l’examen transitoire sur la mise en oeuvre de l’Accord sur l’ADPIC, les État-Unis ont déjà signalé que de nombreuses autorités locales chinoises manifestaient de la réticence à fournir un exemplaire de leurs règles ou règlements locaux relatifs aux DPI, ou des décisions rendues au niveau local visant à assurer le respect de ces droits, v., OMC, Mécanisme d’examen transitoire de la Chine –Communication des États-Unis, 12 novembre 2003, IP/C/W/414; de même, le gouvernement japonais a signalé que des instances locales chinoises avaient refusé de saisir des marchandises contrefaites, à la demande d’entreprises japonaises, sous prétexte que ces marchandises étaient fabriquées par une grande entreprise de la région, v., OMC, Examen transitoire au titre de la section 18 du Protocole d’accession de la République Populaire de Chine –Rapport du président au Conseil général, 10 décembre 2003, IP/C/31. 1838 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, Chine, WT/TPR/S199/Rev.1, précité, p. 106.
587
591. - Le rapport de la Chine présenté à l’Organe d’examen des politiques
commerciales a mis en exergue l’impact des politiques gouvernementales sur le droit
de propriété. La présentation des politiques commerciales de la Chine a été complétée
par les réponses de la délégation chinoise aux questions posées par les autres membres
de l’OMC. Du fait de l’interaction entre la délégation chinoise et celles des autres
membres au cours de l’examen, les politiques commerciales relevant de la propriété en
Chine ont été spécifiquement abordées sous l’angle de l’environnement économique et
dans le cadre législatif et institutionnel. La clarification ainsi faite des politiques
commerciales est révélatrice de l’impact des normes internationales sur le droit interne
dans la mesure où l’examen des politiques commerciales constitue à la fois l’inventaire
mais aussi les orientations des efforts de réforme pour le gouvernement chinois dans le
but de se mettre en conformité avec les engagements qu’il a pris sur le plan
international. Le sujet du droit de propriété est abordé sous l’angle de l’environnement
juridique des entreprises en Chine qui comporte trois thèmes liés entre eux, à savoir la
politique de la concurrence, la gouvernance des entreprises et la législation en matière
de droit de propriété1839. Le rapport de la Chine a divisé les politiques de la Chine
relevant de la propriété en deux volets : celles relatives au développement des acteurs
économiques non publics (A) d’une part, et, d’autre part, celles relatives à
l’administration des biens publics et à la réforme du secteur public (B).
A. – Les politiques relatives au développement des acteurs
économiques non publics
592. - En présentant ses politiques commerciales, la délégation chinoise a apporté
une clarification à la notion d’acteurs économiques non publics, utilisée de manière
très répandue à l’extérieur des textes normatifs (1). La délégation chinoise a aussi
réaffirmé l’existence d’un statut non public des acteurs économiques dans les
politiques commerciales du gouvernement chinois (2).
1839 V., OMC, Examen des politiques commerciales, République Populaire de Chine, Compte rendu de la réunion, WT/TPR/M/161, précité, point 29.
588
(1). – Clarification de la notion d’acteurs économiques non publics
593. - En ce qui concerne la notion générale d’acteurs économiques non publics –qui
s’assimile souvent à l’expression « économie non publique » dans la pratique, le
rapport chinois a avancé la précision selon laquelle le gouvernement chinois distingue
plusieurs catégories d’acteurs économiques non publics : entreprises à capitaux
étrangers, entreprises familiales ou individuelles à caractère industriel ou commercial,
et entreprises privées. Jusqu’à la présentation du rapport, l’ « économie non publique »
–expression plus courante sur le plan politique que sur le plan juridique– n’a pas été
officiellement définie. D’ailleurs, les documents gouvernementaux n’ont pas présenté
un type d’écriture strictement uniforme quant à l’utilisation des expressions désignant
les acteurs économiques non publics : il existe des cas où les entreprises non publiques
se confondaient avec l’entreprise privée, alors que les premières relèvent d’une notion
plus large qui englobe la seconde selon ce qu’a été affirmé le rapport chinois. Cette
confusion a été constatée par certains membres de l’OMC lors de l’examen des
politiques commerciales1840. Lors de sa réponse à la question ainsi posée, la délégation
chinoise a avoué que l’expression « entreprises privées » empruntée au vocabulaire des
statistiques officiels correspond en effet aux secteurs non publics, y compris ceux qui
concernent les entreprises privées au sens propre et les entreprises à capitaux étrangers.
Il faut observer d’ailleurs qu’en vertu du rapport du gouvernement chinois et de sa
réponse, la position officielle a évolué puisque les entreprises à capitaux étrangers
appartiennent désormais aux secteurs non publics. Cette réponse a complété donc la
définition lacunaire des acteurs non publics prévus par l’article 11, alinéa 2 de la
Constitution 1982, révisé en 2004. Cet article prévoit que l’État protège les droits et les
intérêts légitimes de l’économie individuelle, de l’économie privée et des autres
acteurs économiques non publics. La révision constitutionnelle en 1999 a créé
l’expression nouvelle « acteurs économiques non publics» mais sans pour autant
préciser sa signification de manière exhaustive. L’incertitude relative au statut des
entreprises à capitaux étrangers –sont-elles considérées comme des acteurs
1840 V., OMC, Examen des politiques commerciales, République Populaire de Chine, Compte rendu de la réunion, addendum, WT/TPR/M/161/Add.3, 16 janvier 2007, p. 7.
589
économiques non publics?– a été ainsi supprimée grâce au rapport du gouvernement
chinois lors de l’examen de ses politiques commerciales dans le cadre de l’OMC.
(2). – Réaffirmation du statut des acteurs économiques non publics
594. - Quant au statut juridique des acteurs économiques non publics, le rapport de
la Chine a réitéré comme étant le principe directeur de ses politiques l’article 11 de la
Constitution. En tant qu’instrument de la mise en oeuvre des politiques relatives aux
secteurs non publics, le rapport a également évoqué les Directives visant à favoriser et
à soutenir le développement du secteur non étatique qui comprend l’entreprise
individuelle et l’entreprise privée, adoptées par le CAE en février 2005. Selon ces
Directives, toutes les barrières entravant l’accès au marché et les activités des secteurs
non publics doivent être éliminées. Ce faisant, les acteurs économiques non publics
sont encouragés à participer à la réorganisation, à la restructuration et à la
transformation des entreprises d’État par le biais de fusions et acquisitions des actions.
Toutefois, et selon certains membres de l’OMC, les formulations des politiques du
gouvernement chinois ne sont pas satisfaisantes car trop ambiguës. Par exemple, le
gouvernement japonais a posé la question concernant l’existence d’une liste énumérant
les mesures faisant obstacle à l’accès des acteurs économiques non publics au marché.
Le gouvernement chinois a répondu qu’il n’existe pas une telle liste, sans pour autant
faire la promesse d’élaborer à l’avenir une quelconque nomenclature en la matière1841.
En répondant à cette même question posée une nouvelle fois par le gouvernement
argentin, le gouvernement chinois a souligné que les dispositions desdites Directives
sont de portée générale et que leur mise en oeuvre doit s’effectuer par des mesures
concrètes adoptées par les départements gouvernementaux de différents échelons1842.
Quant au traitement égal entre les agents économiques interne et les entreprises à
capitaux étrangers, le gouvernement chinois a réaffirmé le droit égal d’accès des
investisseurs étrangers au marché dans la limite des engagements pris par la Chine lors
1841 Ibid., pp. 13 et 14. 1842 Ibid., pp. 41 et 42.
590
de son accession à l’OMC1843. Il faut souligner par ailleurs que la délégation chinoise a
révélé, en ayant répondu aux questions posées par certains membres de l’OMC, que
des mesures seraient prises par le gouvernement pour encourager le développement des
secteurs non publics. Il s’agit notamment d’élargir l’accès des secteurs non publics au
marché, d’apporter davantage de soutiens financiers, de fournir de meilleurs services
publics, d’assurer une protection suffisante des droits des entreprises non publiques et
des droits de leurs employés, enfin de donner des guides au développement et
d’améliorer la gouvernance des acteurs économiques non publics1844.
595. - L’examen des politiques commerciales ne concerne pas seulement la propriété
sous l’angle du régime économique. À partir d’un point de vue plus large, il aborde
également la propriété faisant l’objet du droit privé des personnes. En témoigne la
question posée par la délégation des États-Unis porte sur le droit d’usage du sol dont
dispose les paysans, à savoir, à qui ce droit d’usage du sol peut être transféré ou loué et
quelles sont les restrictions légales à ces transactions juridiques ? Sachant que la
législation en la matière n’est pas mûre et que les réformes ne peuvent voir le jour
qu’après une période encore indéterminée, la délégation chinoise a répondu à la
question en renvoyant simplement à la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural1845.
B. – Les politiques relatives au secteur public
596. - Dans le cadre de l’examen des politiques commerciales, la délégation chinoise
a expliqué aux autres membres de l’OMC le contenu de ses politiques relatives au
secteur public comportant l’administration des biens publics (1) et l’orientation de la
réforme du secteur public (2). Tous ces deux sujets concernent le régime juridique de la
propriété publique.
(1). – L’administration des biens publics
1843 Ibid., pp. 66 et 67. 1844 V., OMC, Examen des politiques commerciales, République Populaire de Chine, Compte rendu de la réunion, addendum, WT/TPR/M/161/Add.2, 11 septembre 2006, p. 13. 1845 Ibid., p. 3.
591
597. - En ce qui concerne l’administration des biens publics, le rapport de la Chine a
fait état des organismes de supervision et de gestion créés en 2003 dont la mission
principale est de gérer les actifs d’État. Certains membres de l’OMC ont posé toutefois
une question portant sur le pouvoir des organismes de supervision et de gestion. La
délégation canadienne par exemple a invité la délégation chinoise à préciser le sens des
règles selon lesquelles la Commission d’État chargée de la supervision et de la gestion
des actifs d’État détient le pouvoir décisionnaire concernant les affaires importantes
des entreprises d’État1846 . La question porte notamment sur la signification de
l’expression « les affaires importantes ». La délégation chinoise a affirmé que des
organismes de supervision et de gestion des différents échelons assument la fonction
d’actionnaire unique des entreprises d’État en représentant les gouvernements auprès
desquels ils sont institués. À cet égard, les organismes de supervision et de gestion
peuvent autoriser le conseil d’administration des entreprises d’État à exercer certains
droits de l’actionnaire, mais à l’exclusion de ceux portant sur les affaires importantes
de gestion, à savoir de la fusion, de la division, de la dissolution ou de la demande de
faillite des entreprises d’État. Les décisions sur ces affaires de gestion dites
importantes doivent être prises par les organismes compétents de supervision et de
gestion et approuvées par les gouvernements du même échelon1847.
(2). – L’orientation de la réforme du secteur public
598. - Quant aux politiques du gouvernement chinois relatives à la réforme du
secteur public, l’orientation consiste à transformer les entreprises d’État, y compris les
banques commerciales d’État, en sociétés anonymes d’une part, et, d’autre part, de
diversifier leur actionnariat. Selon le rapport présenté par le gouvernement chinois, la
société anonyme est la forme principale des entreprises d’État ainsi restructurées1848.
1846 V., OMC, Examen des politiques commerciales, République Populaire de Chine, Compte rendu de la réunion, addendum, WT/TPR/M/161/Add.1, 15 juin 2006, p. 76. 1847 V., OMC, Examen des politiques commerciales, République Populaire de Chine, Compte rendu de la réunion, addendum, WT/TPR/M/161/Add.2, précité, p. 87. 1848 V., OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport de la République Populaire de Chine, WT/TPR/G/161, 17 mars 2006, paras.11, 15.
592
Certains membres ont demandé si des projets de privatisation prenant la forme de
transformation d’entreprises publiques en sociétés anonymes existent1849. La réponse
de la Chine se révèle cependant négative, affirmant qu’il s’agit d’une redéfinition et
d’une restructuration des biens étatiques permises par les nouvelles règles de
régulation en conformité avec les règles de marché1850. À cet égard, le fait d’éviter
d’utiliser le mot « privatisation » comme s’il était un véritable tabou politique traduit
la prudence du gouvernement chinois et l’obstination de son idée selon laquelle la
propriété publique est le symbole du régime socialiste.
Sous-section II. – Le droit de propriété soumis aux observations des autres
organisations internationales économiques
599. - Conçu comme une composante importante des politiques économiques, le
droit de propriété est l’un des thèmes d’observation privilégiés de certaines
organisations internationales d’ordre économique qui peuvent aussi influencer la
législation et la politique de la Chine en la matière. En dépit de leur nature non
juridique et peu contraignante, les observations ne doivent cependant pas être négligées.
En tant que partie membre ou observateur, la Chine est politiquement peu ou prou
contrainte –bien qu’elle le fasse parfois volontairement– de prendre en considération
certaines observations émises à propos du thème du droit de propriété. Le dialogue
politique, ainsi que le renforcement de la transparence des politiques économiques
dans le cadre des organisations internationales économiques, incitent la Chine à
s’impliquer de manière adéquate dans le fonctionnement des mécanismes des
organisations internationales économiques, et contribuent à l’adhésion de la Chine aux
standards généralement acceptés de bonne gouvernance. À cet égard, il faut
notamment remarquer le rôle du groupe de la Banque mondiale (§ 1) et celui de
l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (§ 2) pour leur
influence respective sur divers aspects du droit de propriété en Chine. 1849 V., OMC, Examen des politiques commerciales, République Populaire de Chine, Compte rendu de la réunion, addendum, WT/TPR/M/161/Add.1, précité, p. 107. 1850 V., OMC, Examen des politiques commerciales, République Populaire de Chine, Compte rendu de la réunion, addendum, WT/TPR/M/161/Add.3, précité, p. 34.
593
§ 1. – Les observations du groupe de la Banque mondiale
600. - En 1981, la Chine a rétabli sa relation partenaire avec le groupe de la Banque
mondiale. Depuis lors, le groupe de la Banque mondiale (désormais abrégé la Banque)
a joué un rôle dans le processus de réforme en Chine en tant qu’il apparaît comme une
source essentielle d’appui financier et technique. Outre l’apport direct des prêts et des
crédits à l’appui des politiques de développement1851, l’assistance de la Banque a
également stimulé la rénovation des institutions et des politiques internes dans divers
domaines. Le partage des expériences, la transposition des standards internationaux par
le gouvernement chinois, ainsi que l’introduction de nouvelles méthodes de gestion ou
de réformes stratégiques proposées par la Banque sont les moyens par lesquels la
Banque a influencé la réforme menée par le gouvernement chinois1852. En effet, depuis
les années 80, le gouvernement chinois et la Banque ont mis en place des programmes
d’étude dont les résultats prennent la forme de rapports et constituent un élément
important des fonctions d’analyse et de consultation de la Banque. Celle-ci n’a pas
tenté d’atteindre ses objectifs en essayant d’influencer de manière directe le
gouvernement chinois en lui concédant des prêts ou en lui posant des conditions. Elle
s’appuie plutôt sur des moyens de persuasion par l’exemple1853. En appuyant sa
démonstration sur des exemples d’expériences qui ont réussi dans d’autres pays, la
Banque est parvenue à mettre la Chine sur la voie de l’institutionnalisation des
coopérations partenaires dont l’objectif est d’accroître la création des savoirs et la
dissémination de bonnes conduites en matière de développement1854 . La stratégie de
1851 La Chine est le plus gros emprunteur de la Banque mondiale depuis 1998, v., Banque mondiale, « La Chine demeure le premier emprunteur de la banque», actualité du 2 juillet 1998, disponible sur le site http://go.worldbank.org/HSA9TGIIW1, consulté le 2 juillet 2008. 1852 V., Banque mondiale, China and the World Bank: a partnership for innovation, 2007, p. xiii. 1853 V., Banque mondiale, China: An evaluation of World Bank assistance, 2005, p. x. 1854 En 2003, le premier projet de trois ans reconductible intitulé Country Assitance Strategy est établi entre la Chine et la Banque mondiale. En 2006, est initié le projet Country Partnership Strategy (2006-2010). V., Banque mondiale, Memorandum of the president of the IBRD and the IFC to the executive directors on a country assistance strategy of the World Bank Group for the People’s Republic of China, 22 janvier 2003, n° de rapport 25141; IBRD and IFC and MIGA country partnership strategy for the People’s Republic of China for the period 2006-2010, 23 mai 2006, n° de rapport 35435.
594
la Banque consiste donc à faire « intégrer [à la Chine des] savoirs et [des]
opérations »1855. L’influence que détient la Banque sur les politiques de réforme s’est
également intensifiée à travers des programmes de coopération stratégique1856. En ce
qui concerne le droit de propriété, des dialogues réciproques ont pu stimuler le
changement des politiques macroéconomiques, ce qui revient à influencer l’évolution
du système juridique chinois (A). En plus de ces dialogues, la diffusion des bonnes
pratiques à travers les projets d’assistance par la Banque constitue une source
d’inspiration pour la Chine qui peut en tirer des leçons utiles quant à la mise en oeuvre
de la législation concernant la propriété (B).
A. – La stimulation du changement des politiques économiques
relatives au droit de propriété
601. - Dans le cadre de ses fonctions d’analyse et de consultation, certaines
orientations concernant la politique de réforme furent systématiquement étudiées et
recommandées par la Banque depuis le rétablissement du dialogue avec la Chine1857.
La priorité fut donnée à la réforme des entreprises d’État, en raison de son importance
et à la réforme du système économique vers l’économie de marché (1). L’accent fut
également mis sur l’amélioration du régime du droit d’usage du sol rural et du
développement des secteurs privés sous l’angle de la réduction de la pauvreté1858 (2).
Ces deux aspects de l’assistance technique peuvent produire un impact important sur la
protection de la propriété en Chine. D’autant plus que les effets de l’assistance de la
Banque aux réformes économique et sociale sont officiellement appréciés par le
gouvernement chinois1859.
1855 François LACASSE, « Intégrer savoirs et opérations : la stratégie de la Banque mondiale », Revue française d’administration publique, n° 103, 2002/3, p. 431. 1856 Banque mondiale, IBRD and IFC and MIGA country partnership strategy for the People’s Republic of China for the period 2006-2010, op. cit., p. 13. 1857 V., Banque mondiale, China: long-term development issues and options, octobre 1985, n° de rapport 13364. 1858 V., Banque mondiale, Private sector development strategy: issues and options (A discussion document), 1er juin 2001, n° du rapport 26481. 1859 V., Ministère de la Finance, « Comments on draft China country assistance evaluation », in World
595
(1). – La réforme des entreprises d’État au centre de la réforme du système
économique
602. - L’étude concernant la réforme des entreprises d’État en Chine a été l’un des
sujets prioritaires soutenus par la Banque. Celle-ci a organisé de multiples recherches
et séminaires collaboratifs afin de présenter des propositions politiques sous forme de
rapports de travail ou de recherche au gouvernement chinois1860. Dans ce domaine, la
Banque a apprécié l’approche progressive de la réforme des entreprises d’État en
Chine car la diminution graduelle du nombre des entreprises d’État résultant de la
restructuration et de la privatisation partielle a pu maintenir la stabilité
macroéconomique et réduire la répercussion sociale à l’égard de l’emploi et du régime
de la sécurité sociale1861. Il semble donc que les critiques selon lesquelles la politique
de privatisation des entreprises publiques de la Banque a produit des effets négatifs sur
les droits économiques, sociaux et culturels des individus dans certains pays1862 ne
correspondent pas à la situation chinoise. D’ailleurs, le gouvernement chinois a été très
autonome et indépendant en matière de réforme des entreprises d’État, puisque les
propositions de la Banque ont produit peu de contrainte, surtout au niveau local1863.
Cependant, le rôle de la Banque n’était pas négligeable concernant certains aspects.
Ainsi en est-il de l’établissement du régime de retraite, de l’élaboration des projets
relatifs à l’indemnité de cession d’emploi, etc., autant de mesures qui ont facilité la
Bank, China: an evaluation of World Bank assistance, op. cit., p. 116. 1860 V., à titre d’exemple, G. TIDRICH, J.CHEN (ed.), China’s industrial reform, World Bank, 1987; W. BYRD (ed.), Chinese industrial firms under reform, World Bank, 1992; World Bank, China’s management of enterprise assets: the State as shareholder, 1997, economic report n°16265; Gary JEFFERSON, Inderjit SINGH (ed.), Enterprise reform in China, World Bank, 1999; World Bank, Bankruptcy of state enterprises in China: A case and agenda for reforming the insolvency system, 2000, n° de rapport 33267; S. TENEV, C. ZHANG, Loup BREFORT, Corporate governance and enterprise reform in China: Building the Institutions of Modern Markets, op. cit., 2002. 1861 V., World Bank, China: An evaluation of World Bank assistance, op. cit., p. 14. 1862 V., Manisuli SSENYONJO, « Non-State actors and economic, social, and cultural rights », in Mashood A. BADERIN, Robert MCCORQUODALE (ed.), Economic, social and cultural rights in action, Oxford University Press, 2007, p.129. 1863 V., Peter NOLAN, Evaluation of the World Bank’s contribution to Chinese enterprise reform, World Bank, 2002, p. 5.
596
réforme du secteur public en les déchargeant des « fardeaux sociaux»1864. La Banque a
joué récemment un rôle plus actif dans la participation à la réforme des secteurs
publics ayant un statut de monopole, tels que les secteurs de l’électricité et de la
pétrochimie, en publiant des rapports de recherche et en proposant des mesures de mise
en oeuvre comme si elle constituait une sorte de « banque de savoir »1865. Par une série
de communications sélectives adressées aux décideurs gouvernementaux et par le
financement du projet d’élaboration de la loi sur les faillites des entreprises, la Banque
a réussi à diffuser de bonnes pratiques en la matière1866. Plus important encore, la
Banque a bien souligné les défis et les risques auxquels est confrontée la réforme
inachevée des entreprises d’État et il reste à la charge du gouvernement chinois d’en
tirer des leçons utiles. En premier lieu, les entreprises d’État se révèlent moins
rentables que les entreprises privées, étant donné qu’elles assument encore de lourdes
charges en matière de sécurité sociale. Ensuite, la gestion des entreprises d’État qui ont
déjà été transformées en sociétés de droit privé grâce à la loi sur les sociétés demeure
très faible, du fait de l’intervention des administrations compétentes. L’assistance
technique de la Banque cible notamment le secteur financier dont l’État détient la
majorité des actifs. Cette dernière situation a été pourtant considérée comme un risque
menaçant la réforme, du fait de l’organisation et des opérations problématiques des
banques chinoises1867.
603. - Parallèlement à l’assistance qu’elle a apportée à la réforme des entreprises
d’État, la Banque s’est efforcée d’aider à créer un contexte favorable au
développement du secteur privé qui contribue au traitement égal des propriétés
publique et privée. Ses stratégies consistent principalement à aider le gouvernement
chinois à recenser le système juridique de régulation économique en supprimant les
traitements discriminatoires et à élargir l’accès du secteur privé au marché par la
1864 Banque mondiale, IBRD and IFC and MIGA country partnership strategy for the People’s Republic of China for the period 2006-2010, op. cit., p. 86. 1865 V., Mai LU, Evaluation of the World Bank’s analytical and advisory services in China since 1990, World Bank, 2005, p.13; v., aussi, Banque mondiale, China pension system reform, n° de rapport 15121-CHA, août 1996. 1866 Banque mondiale, IBRD and IFC and MIGA country partnership strategy for the People’s Republic of China for the period 2006-2010, op. cit., p. 85. 1867 V., Banque mondiale, China: an evaluation of World Bank assistance, op. cit., pp. 16, 17.
597
suppression des barrières qui l’entravent. En plus, grâce à l’assistance technique de la
Banque internationale pour la reconstruction et le développement, et au financement
aux investissements fourni par la Société financière internationale, les opérateurs du
secteur privé ont été encouragés à s’implanter dans divers domaines d’infrastructure
auparavant monopolisés par le secteur public tels que l’énergie, la télécommunication,
le chemin de fer, l’industrie pétrolière et minière, etc.1868 La Société financière
internationale a également favorisé le développement des opérateurs privés dans le
secteur financier, en apportant un financement et une assistance technique1869.
(2). – L’impact des stratégies de réduction de la pauvreté sur le droit foncier
604. - En vertu de son statut, la Banque accorde des prêts « sans laisser intervenir
des influences ou des considérations politiques ou extra-économiques »1870. Cependant,
depuis la fin des années 90, la Banque comme le Fonds monétaire international non
seulement « acceptent de reconnaître la nature intrinsèquement politique de leurs
interventions, mais elles la revendiquent au nom de la recherche d’une plus grande
efficacité, gage d’une légitimité à reconquérir »1871. Ainsi en est-il des investissements
de la Banque relatifs aux projets d’infrastructure qui ont produit de la « valeur
ajoutée » en termes de promotion de la transparence, de l’État de droit et concernant
d’autres aspects de la gouvernance dans beaucoup de pays1872. En ce qui concerne la
Chine, les fonctions d’analyse et de consultation de la Banque s’est avérées plus
efficaces dans le cadre de la réduction de la pauvreté, par l’approche de double voie,
c’est-à-dire en combinant des projets de prêt et une stratégie de persuasion dans ses
tentatives d’infléchissement de certaines politiques du gouvernement chinois. Il s’agit
d’une part de la stabilisation du droit d’usage du sol rural et, d’autre part de la
valorisation de ce droit en aidant la Chine à créer un marché foncier dans les zones 1868 Ibid., p. 62. 1869 Banque mondiale, IBRD and IFC and MIGA country partnership strategy for the People’s Republic of China for the period 2006-2010, op. cit., pp. 116 à 118. 1870 V., Statut de la BIRD, Articles III, Section 5 (b). 1871 Christian CHAVAGNEUX, « FMI, Banque mondiale : le tournant politique », Revue d’économie financière, n° 70, 2003, p. 209. 1872 Banque mondiale, China: an evaluation of World Bank assistance, op. cit., p. 44.
598
rurales. Ces deux aspects ont été considérés comme des moyens importants pour
atteindre l’objectif de réduction de la pauvreté. Dans les opérations de prêts au secteur
agricole, l’accent est mis sur le maintien et le perfectionnement du régime
d’exploitation forfaitaire du sol rural qui est aussi l’un des sujets importants des
assistances techniques1873. Dans le programme intitulé Country Assistance Strategy, la
Banque a fortement soutenu, par ses analyses et ses consultations, la création d’un
marché foncier qui elle-même s’inscrit aussi dans un programme plus large de réforme
foncière, afin de promouvoir la productivité du secteur agricole. La loi sur
l’exploitation forfaitaire du sol rural, dont l’élaboration fut financée par l’Association
Internationale de Développement, a introduit la cessibilité limitative du droit d’usage
du sol, alors que selon la Banque, le droit d’usage du sol rural devra être librement
cessible ou tout au moins hypothécable afin que les paysans puissent en disposer pour
obtenir un crédit. Cela suppose la suppression de toutes les limitations prévues par la
loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural1874. Il en résulte que la libre disposition du
droit d’usage du sol est un objectif au long terme poursuivi par les stratégies
d’assistance de la Banque1875. Lors de l’élaboration de la loi sur les droits réels, la
Société financière internationale a conseillé au gouvernement chinois d’ouvrir
davantage la voie au financement des paysans et des petits commerces, et ce, en
élargissant l’étendue des biens susceptibles de faire l’objet d’une sûreté réelle en
incluant le droit d’usage du sol rural1876.
1873 Ibid., p. 45. 1874 Le droit d’exploitation forfaitaire du sol qui s’établi par le contrat d’exploitation forfaitaire entre d’une part la collectivité et d’autres par ses membres au nom du foyer ne peut pas faire l’objet de l’hypothèque. Par l’article 49 de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural, le droit d’exploitation forfaitaire du sol rural qui s’établi par l’appel d’offre, la mise aux enchères ou la négociation publique, peut être mis en hypothèque. Il s’agit là du cas où ceux qui disposent du droit d’exploitation forfaitaire du sol ne sont pas les membres d’une collectivité. L’article 133 de la loi sur les droits réels confirme cette distinction. Il faut souligner que l’obstacle majeur à la libre cessibilité, y compris l’hypothèque, demeure l’interdiction de l’exploitation non agricole du sol rural, sans autorisation préalable en vertu de la loi. V., aussi, l’article 128 de la loi sur les droits réels. 1875 IBRD and IFC and MIGA country partnership strategy for the People’s Republic of China for the period 2006-2010, op. cit., p. 63. 1876 V., Société financière internationale, Rapport annuel 2007, p. 39; aussi, « IFC advises on new chapter of Chinese property law: new legislation improves access to finance for small and medium enterprises and farmers », communiqué de presse, 19 mars 2007, disponible sur le site
599
605. - L’étude menée sous l’égide de la Banque a bien indiqué qu’en dehors de
l’aide financière, un système juridique assurant la stabilité du droit de propriété
constitue la condition indispensable à l’optimalisation des investissements, et contribue
par conséquent à la croissance économique1877 . De même, la stabilité, la libre
disposition du droit foncier, ainsi que le marché foncier sont les éléments qui
entretiennent un lien direct avec la réduction de la pauvreté et le développement
économique1878. Plus récemment, le Centre de recherches sur le développement sous la
direction du CAE et la Banque ont mené des études en coopération dont l’objectif
consiste à aider le gouvernement chinois dans ses efforts pour aboutir à des politiques
raisonnables en matière d’administration foncière dans le contexte de l’urbanisme
accéléré1879. Les phénomènes d’atteintes au droit d’exploitation forfaitaire du sol des
paysans par l’expropriation illégale et l’indemnisation injuste par la sous évaluation de
la valeur des terres rurales ont été montrés du doigt comme étant les points les plus
critiquables1880. Cependant, l’enquête de terrain a bien montré que dans les villages où
l’élection locale des responsables est mieux assurée, le risque d’expropriation illégale
est relativement réduit, démontrant donc la complémentarité entre la disposition légale
et l’institution d’une bonne gouvernance1881. L’amélioration de l’administration du sol
a été intégrée dans le programme Country Partnership Strategy établi entre la Banque
et le gouvernement chinois en 2006, comme étant un élément essentiel de la gestion de
la rareté des ressources et de l’environnement1882. Selon la Banque, la réforme doit se
http://www.ifc.org/ifcext/eastasia.nsf/Content/SelectedPRChina?OpenDocument&UNID=CDD3A07849FFD704852572A3005EC36E, consulté le 6 juillet 2008. 1877 Stijn CLAESSENS, Luc LAEVEN, Financial development, property rights and growth, policy research working paper n° 2924, World Bank, 2002, p. 3. 1878 International Development Association, Regional study on land administration, land market and collateralized lending, 15 juin 2004, p. ii. 1879 V., LI Guo, Jonathan LINDSAY, Paul MUNRO-FAURE, « China: integrated land policy reform in a context a rapid urbanization », World Bank, Agricultural and development note, n° 36, février 2008. 1880 V., Klaus DEININGER, Songqing JIN, Securing property rights in transition: lessons from implementation of China’s rural land contracting law, policy research working paper n° 4447, World Bank, 2007, pp. 2, 10, 11. 1881 Klaus DEININGER, Songqing JIN, Securing property rights in transition: lessons from implementation of China’s rural land contracting law, op. cit., p. 21. 1882 IBRD and IFC and MIGA country partnership strategy for the People’s Republic of China for the period 2006-2010, op. cit., p. 25.
600
diriger vers la suppression de la dichotomie des zones urbaines et rurales en matière de
droit d’usage du sol, puisque cette dichotomie défavorise les paysans s’agissant de la
disposition et de la valorisation de leurs droits. Dans le cadre de l’assistance à
l’amélioration de l’administration du sol par les gouvernements locaux, la Banque a
proposé trois mesures, à savoir, premièrement, clarifier les droits fonciers des usagers,
développer de bonnes pratiques d’expropriation et d’indemnisation, ainsi qu’élaborer
des approches alternatives à l’expropriation qui peuvent servir l’intérêt des titulaires
des droits du d’usage du sol. Deuxièmement, aider à promouvoir le rôle du sol rural en
tant que ressource de rentabilité stable afin de diminuer les incitations à la conversion
du sol à l’usage non agricole. Et troisièmement, imposer à l’autorité publique
l’obligation de rendre compte au public de l’établissement des procédures de
supervision, ainsi que celle d’améliorer encore les pratiques relatives à la publication
des informations gouvernementales.
B. – La diffusion des bonnes pratiques concernant la mise en oeuvre
de la législation de propriété
606. - Le renforcement de la garantie du droit de propriété en cas d’expropriation (1)
et l’établissement du régime d’enregistrement des droits immobiliers (2) sont deux
aspects importants de la mise en oeuvre de la législation de propriété, et constituent
désormais des objectifs relatifs aux bonnes pratiques diffusées par la Banque.
(1). – De bonnes pratiques relatives à la garantie du droit de propriété en cas
d’expropriation
607. - Considérant que le déplacement forcé des paysans pour la réalisation des
projets d’infrastructure, comme les travaux hydrauliques, est l’une des causes
importantes de la pauvreté dans les zones rurales1883, les politiques de la Banque
exigent que, dans le plan de réinstallation des personnes touchées par les travaux
1883 V., Banque mondiale, China: strategies for reducing poverty in the 1990s, rapport n° 11245, octobre 1992, p. 45.
601
d’infrastructure, de bonnes pratiques soient respectées en Chine comme dans les autres
pays bénéficiant de ses prêts financiers1884. Selon le document officiel de la Banque
« Operational policy on involuntary settlement », adopté en décembre 2001 et mis à
jour en mars 2007, la compatibilité du plan de réinstallation préparé par les
emprunteurs avec les politiques de la Banque fait l’objet de l’examen de celle-ci. Le
résultat de l’examen constitue aussi l’une des conditions pour l’approbation du projet
d’aide financière. La mise en oeuvre du plan de réinstallation est aussi encadrée par
l’accord mutuel conclu avec la Banque qui exerce le pouvoir de supervision1885.
L’Operational policy on involontary settlement précise la structure et les contenus du
plan de réinstallation qui lui-même doit être conformément élaboré par
l’emprunteur1886. L’objectif des politiques de réinstallation ne se limite pas à exiger une
indemnisation suffisante pour les dommages causés aux personnes touchées par les
travaux d’infrastructure : l’approche de la Banque consiste à intégrer l’indemnisation
monétaire au plan de développement social durable visant non seulement à garantir le
niveau de vie des personnes concernées, mais aussi à accroître leur bien-être et à
réduire la pauvreté en tirant profit des projets d’infrastructure1887. Parmi les politiques
élaborées par la Banque concernant le traitement de la question des réinstallations
contraintes, il faut notamment souligner celles qui sont utiles pour améliorer le régime
juridique d’expropriation en Chine. Il s’agit d’abord de reconnaître aux personnes
déplacées un droit foncier qui porte sur les terrains destinés à leur réinstallation. Ce
point est considéré comme constituant l’une des obligations de l’autorité publique
responsable des projets d’infrastructure1888. De même, le coût de la réalisation du plan
1884 V., World Bank, Operational policy on involuntary settlement, OP 4.12, décembre 2001, mis à jour en mars 2007; Bank procedure on involuntary settlement, BP 4.12, décembre 2001; The World Bank’s environmental and social safeguard policies, mai 2002; Involuntary settlement sourcebook: planning and implementation in development project, August 2004; International Financial Corporation, Handbook for preparing a resettlement action plan, April 2002. 1885 World Bank, Operational policy on involuntary settlement, OP 4.12, décembre 2001, mis à jour en mars 2007, op. cit., § 2. 1886 V., World Bank, Involontary resettlement instruments, annex A to Operational policy on involuntary settlement, OP 4.12, décembre 2001, mis à jour en mars 2007. 1887 World Bank, Operational policy on involuntary settlement, OP 4.12, décembre 2001, mis à jour en mars 2007, op. cit., §§ 23, 24. 1888 Ibid., § 11.
602
de réinstallation doit être intégré au coût total du projet d’infrastructure, puisque la
solvabilité de l’autorité responsable du projet d’infrastructure est la condition
essentielle pour remplir ses obligations d’indemnisation1889. D’ailleurs, la participation
du public –y compris des personnes concernées par les travaux d’infrastructure et les
organisations non gouvernementales– à l’élaboration et au processus de la mise en
oeuvre du plan d’infrastructure doit être assurée par l’emprunteur, comme le principe
de transparence l’exige. Les procédures de plainte ou de recours juridiques dont
disposent les personnes concernées par les travaux d’infrastructure doivent également
être précisées dans le plan de réinstallation1890.
608. - Dans les projets d’infrastructures financés en Chine, une pratique constante
consiste à établir les plans de réinstallation des personnes touchées avant la mise en
oeuvre des projets d’infrastructure financés. Les travaux périodiques de supervision
ont été poursuivis par la Banque afin de contrôler l’exécution des plans et de résoudre
en temps utile les problèmes apparus au cours de la réinstallation1891. Ce qui constitue
le gage du succès des projets d’infrastructures financés par la Banque. Ainsi, la
création d’emplois et le maintien des revenus et du niveau de vie des paysans
concernés ont été considérés comme étant des bénéfices résultant des projets
hydrauliques en Chine1892. À cet égard, les bonnes pratiques diffusées par la Banque
1889 Ibid., § 20. 1890 World Bank, Involontary resettlement instruments, op. cit., §§ 15, 17. 1891 V., à titre exemple, Shijiazhang Urbain Transport Projet Office, Resettlement action plan of Shijiazhang urbain transport projet, 6e éd., document du groupe Banque mondiale RP 53, 2001 ; Inner Mongolia Project Management Office, China western poverty reduction projet: implementation plan for land acquisition and compensation, document du groupe Banque mondiale RP-0015, vol.3, 1998 ; Jiangsu Rudong New Energy Project Office, Jiangsu Rudong Straw-fired power project: resettlement action plan, document du groupe Banque mondiale RP 274, vol. 3, 2004; Foreign Capital Project Management Center of Yunnan Poverty Alleviation Office, Land occupation and resettlement action plan, document du groupe Banque mondiale RP 302, vols. 1 à 4, 2005; Sichuan World Bank/DFID/RWSSH PMO, Western provinces rural water supply, sanitation and hygiene promotion project: resettlement action framework, document du groupe Banque mondiale RP 481, vol. 3, 2006; The World Band Financed Guiyan Transport Project Office, Resettlement action plan, document du groupe Banque mondiale RP 554, 2007. 1892 V., par exemple, Youxuan ZHU, Martin Ter WOORT, Barry TREMBATH, Successful reservoir resettlement in China: Shuikou hydroelectric project, World Bank EASES discussion series paper, n° 21248, April 2000; v., aussi, World Bank, Recent experience with involuntary resettlement: China-Shuikou (and Yantan), n° de rapport 17539, 2 juin 1998, pp. 24 à 26.
603
peuvent être considérées comme un modèle pour le gouvernement chinois concernant
l’amélioration des pratiques d’expropriation du sol collectif.
(2). – De bonnes pratiques relatives à l’enregistrement des droits immobiliers
609. - La mise en place d’un régime d’enregistrement des droits immobiliers en
vertu de la loi sur les droits réels a été considérée par la Banque comme l’un des
éléments du contexte de régulation qui influence le choix des pays étrangers à investir
en Chine. En s’appuyant sur le résultat de l’enquête de terrain, la Banque a publié le
premier d’une série de rapports Doing business in China 2008, en fournissant certains
indicateurs utiles du contexte de régulation locale qui touche l’investissement étranger.
La procédure, la durée et le coût du régime d’enregistrement des droits immobiliers ont
été analysés dans ledit rapport. Quatre recommandations ont été initiées pour améliorer
le régime actuel d’enregistrement des droits immobiliers. Premièrement, il s’agit
d’unifier l’enregistrement du droit portant sur le sol et celui au droit portant sur les
constructions dans une seule procédure, alors qu’en état actuel cette procédure se
subdivise en deux étapes indépendantes pour la majorité des gouvernements locaux. La
recommandation de la Banque vise à simplifier les modalités et à économiser le coût
induit par de nombreux enregistrements. Ensuite et corrélativement, les autorités
compétentes devront être unifiées en un seul organe responsable de l’inscription des
biens immobiliers dans le registre. Certes, en l’état actuel, il y a seulement quelques
grandes métropoles telles que Shanghaï, Tianjin, Guangzhou, etc., qui ont désigné un
tel organe unique pour l’inscription des biens immobiliers. Troisièmement, doit être
améliorée la transparence des informations relatives à la modalité de l’enregistrement
pour faciliter la démarche des investisseurs. Quatrièmement, les différentes autorités
relevant de l’enregistrement des biens immobiliers doivent renforcer leur collaboration
pour simplifier la perception des impôts concernant la transaction immobilière et la
collecte des frais d’enregistrement des droits immobiliers, afin de faciliter le paiement
des différentes charges imposées aux investisseurs et ainsi d’économiser le coût des
604
opérations administratives1893.
§ 2. – L’observation de l’Organisation de Coopération et de Développement
Économiques
610. - Par ses recommandations, juridiquement non contraignantes, qui sont en
quelque sorte le mode commun d’expression de la production intellectuelle,
l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (abrégé désormais
OCDE) est considéré comme un acteur public majeur du droit mou1894. Outre son
action normative visant à la libéralisation des mouvements de capitaux et à la garantie
du droit d’établissement1895, l’OCDE a bien étendu son influence à de nombreuses
économies non-membres avec lesquelles elle entretient des relations de travail sous
forme de programmes de dialogue ou de coopération. Pour la Chine, cette relation de
coopération a été établie depuis 19951896. Par la résolution du 16 mai 2007 adoptée par
le Conseil de l’OCDE au niveau des ministres, la Chine a offert de renforcer ses
engagements en vue d’une éventuelle adhésion1897. Les avantages mutuels que retirent
la Chine et l’OCDE de leur coopération tiennent au fait que la Chine se voit donner
l’opportunité de débattre dans un contexte multilatéral des grandes questions et des
principaux enjeux intéressant l’action publique de son gouvernement. Elle peut ainsi
tirer des enseignements de l’expérience des pays de l’OCDE confrontés à des défis
analogues. Réciproquement, les pays de l’OCDE et les autres économies non-membres,
qui sont de plus en plus associés à la Chine par le biais des échanges et de
l’investissement, ont désormais une meilleure connaissance de ce pays qui est devenu
un acteur incontournable dans l’économie mondiale. Parmi les points forts des travaux
récents que l’OCDE a mené avec la Chine, il faut citer en particulier la publication
1893 World Bank, Doing business in China 2008, Social Science Academic Press (China), 2008, p. 17. 1894 V., Annie MARTIN, « Sources informelles du droit du commerce international », Revue de droit des affaires internationales, n° 1, 2008, p. 94. 1895 V., Mahmoud SALEM, « Du rôle de l’OCDE dans la mondialisation de l’économie – Aspects juridiques », in Eric LOQUIN, Catherine KESSEDJIAN (sous la dir. de), La mondialisation du droit, Litec, 2000, pp. 329 à 345. 1896 V., OCDE, Coopération OCDE-Chine : dix ans déjà, novembre 2005, p. 3. 1897 V., Conseil de l’OCDE, Résolution sur l’élargissement et l’engagement forcé, 16 mai 2007.
605
d’un rapport de l’OCDE sur la gouvernance en Chine1898, l’examen et la publication de
la première étude économique de la Chine1899 ainsi que la publication d’une étude des
politiques agricoles de la Chine1900. Sont également à l’ordre du jour des travaux
d’examen intéressant biens d’autres domaines macro-économiques. Le programme sur
la Chine implique également les autres pays membres de l’OCDE, ce qui permet à la
Chine d’établir un comparatif plus aisé avec les références et les standards
internationaux. C’est dans le cadre institutionnel concernant la force du marché que le
droit de propriété publique (A) et le droit de propriété intellectuelle (B) ont fait l’objet
d’études approfondies de la part de l’OCDE.
A. – Le droit de propriété publique au regard de la gouvernance des
actifs d’État
611. - Comment assurer l’exercice du droit de propriété publique dans le contexte de
réforme qui se dirige vers la diversification de l’actionnariat et la privatisation partielle
des entreprises d’États est l’un des sujets étudiés par l’OCDE. La question centrale
réside dans le fait de trouver une solution aux interférences multiples des
administrations à différents niveaux dans la gestion des entreprises d’État transformées
en société de droit privé, alors que selon la loi sur les droits réels, l’État est représenté
par le CAE et les gouvernements locaux à différents niveaux concernant l’exercice des
droits de l’actionnaire1901. La création de la SASAC a marqué un pas en avant dans le
renforcement du rôle de l’État en tant qu’actionnaire. Mais selon l’étude de l’OCDE,
pour que la gouvernance des actifs d’État soit rationnelle au point de vue économique,
il faut encore mieux définir le rôle et les missions prioritaires de la SASAC (1), ainsi
qu’améliorer le cadre juridique et réglementaire régissant la supervision des actifs
d’État (2).
(1). – Définir le rôle et les missions prioritaires de la SASAC 1898 Cf., OCDE, La Chine dans l’économie mondiale : la gouvernance en Chine, 2005. 1899 Cf., OCDE, Étude économique de la Chine 2005, 16 septembre 2005. 1900 Cf., OCDE, OECD review of agricultural policies – China, octobre 2005. 1901 V., article 55 de la loi sur les droits réels.
606
612. - Partant d’un point de vue économique, l’OCDE a constaté de nouveaux
déséquilibres dans le régime juridique de propriété publique. Selon elle, la création de
la SASAC a rendu encore plus floue la définition des responsabilités des
administrations centrale et locales qui représentent l’État concernant l’exercice du droit
de propriété. Or, « il importe que la puissance publique assume les responsabilités
incombant aux propriétaires effectifs, si l’on veut que le programme de réforme
conserve sa cohérence interne »1902. Les multiples interventions administratives ayant
lieu à différents échelons concernant la gestion des entreprises d’État déjà transformées
en société de droit privé ne sont pas économiquement rationnelles. L’étude de l’OCDE
a souligné que l’État se heurte à une double difficulté : d’une part, l’État doit tout faire
pour éviter d’être un actionnaire passif, soucieux de faire valoir son point de vue sur le
fonctionnement et les finalités de l’entreprise d’État et, d’autre part, il doit se garder
d’utiliser le pouvoir dont il dispose pour s’immiscer indûment dans la gestion
quotidienne des affaires des entreprises d’État. À cet égard, l’OCDE a considéré que la
création de la SASAC et de ses subordonnés locaux consiste –conformément à la
tendance relative à la fonction d’actionnariat de l’État dans les économies de marché
développées– à centraliser et unifier l’exercice des droits conférés à l’État en qualité
d’actionnaire dans le respect du droit des sociétés. Il est vrai que la supervision par la
SASAC ne prend plus la forme d’une intervention directe dans la gestion des
entreprises d’État. Mais la SASAC et ses subordonnés locaux détiennent les pouvoirs
de nommer, révoquer et évaluer les principaux dirigeants, ce qui peut donner lieu à des
interventions tout à fait inopportunes et contreproductives 1903 . L’observation de
l’OCDE a amené à définir une stratégie claire pour remplir les missions prioritaires de
la SASAC dans son exercice des droits d’actionnaire en tant que représentant de l’État.
613. - Selon l’étude de l’OCDE, parmi les missions qui doivent être prioritairement
remplies par la SASAC figure d’abord celle d’assurer l’autonomie de la gestion des
entreprises d’État par l’établissement et le bon fonctionnement du conseil
d’administration. Car, si l’on se fie aux enseignements de l’expérience acquise tant
1902 OCDE, La Chine dans l’économie mondiale : la gouvernance en Chine, op. cit., p. 351. 1903 Ibid., p. 352.
607
dans les pays membres que dans les pays non-membres1904, il faut donner au conseil
d’administration le pouvoir de définir les orientations stratégiques et l’entière
responsabilité du suivi de la gestion de l’entreprise. La proposition de l’OCDE est
pertinente d’autant plus que tant au niveau central qu’au niveau local, le PCC conserve
dans une large mesure la mainmise sur la promotion et la rémunération des dirigeants
des grandes entreprises détenues ou contrôlées par l’État, en dépit de la loi sur les
sociétés qui confère officiellement au conseil d’administration le pouvoir de la
nomination du personnel. Par conséquent, ce pouvoir exercé sur le personnel des
entreprises d’État a permis aux comités locaux du PCC de participer à la gestion et
d’intervenir dans la conduite des affaires1905. Il en résulte que la « dépolitisation »1906
du conseil d’administration par le fait de lui offrir davantage de pouvoirs est l’une des
garanties de la bonne gouvernance des entreprises d’État. L’étude de l’OCDE propose
aussi que la SASAC doive s’aligner sur les pratiques qui ont valeur d’exemple au
niveau international, et en vertu desquelles le choix des administrateurs répond à des
critères de compétence et d’expérience en même temps qu’à un souci d’assurer
l’indépendance nécessaire du conseil d’administration1907. Rationaliser les procédures
de recrutement et l’évaluation des performances des administrateurs des entreprises
d’État est donc la mesure de réforme prioritaire de la SASAC.
(2). – Améliorer le cadre juridique et réglementaire de la supervision des actifs d’État
614. - En inscrivant la supervision des actifs d’État dans la gouvernance des
entreprises, l’OCDE a beaucoup critiqué l’incohérence et l’insuffisance du cadre
juridique et réglementaire en la matière, puisqu’en l’état actuel, les règles relatives à la
1904 V., OCDE, Gouvernement d’entreprise des entreprises publiques : panorama des pays de l’OCDE, 2005. 1905 V., Sonja OPPER, Sonia M. L. WONG, HU Ruyin, « Party power, market and private power: Chinese communist party persistence in china’s listed companies », The future of market transition, vol. 19, 2002, pp. 105 à 138. 1906 V., Sonia WONG, Sonja OPPER, HU Ruyin, « Shareholding structure, depoliticizing and firm performance: lessons from China’s listed firms», Economics of transition, vol. 12, n° 1, 2004, pp. 29 à 66. 1907 OCDE, La Chine dans l’économie mondiale : la gouvernance en Chine, op. cit., p. 354.
608
gouvernance des entreprises d’État sont peu développées. D’une part, le Règlement
provisoire sur la supervision et la gestion des actifs des entreprises d’État adopté par le
CAE en 2003 comporte des dispositions contradictoires qui confèrent à la SASAC des
pouvoirs de décision assez étendus et par conséquent la capacité d’influer sur un grand
nombre d’aspects essentiels de la gestion des entreprises d’État1908, ce qui peut
conduire à confondre la fonction de la SASAC et celles des dirigeants des entreprises.
D’autre part, les règles spéciales en matière de gouvernance des entreprises d’État sont
peu cohérentes. En effet, en janvier 2002, la Commission chinoise de réglementation
des valeurs mobilières (CCRVM) et l’ancienne Commission Nationale chargée de
l’Économie et du Commerce1909 a publié le code de gouvernance des entreprises
cotées, en s’inspirant des Principes de gouvernance d’entreprise de l’OCDE. Certes, le
code de gouvernance des entreprises n’a pas abordé un certain nombre de points
fondamentaux sur la gouvernance des entreprises d’État, notamment en ce qui
concerne les responsabilités respectives du conseil d’administration et de la SASAC.
L’étude de l’OCDE a proposé donc, soit de refonder le code de gouvernance en
profondeur afin d’affiner les dispositions relatives aux responsabilités de la supervision
des actifs d’État, soit de rédiger un nouveau code pour les entreprises non cotées, sans
perdre de vue la nécessité de veiller à ce que son contenu concorde dans l’ensemble
avec celui du code de gouvernance des entreprises cotées1910. La promulgation de la loi
sur les actifs d’État des entreprises en 2007 ne semble pas avoir apporté des progrès
significatifs au regard des propositions de l’OCDE, ce qui montre la difficulté de la
réforme du système juridique de la propriété publique pour ses répercussions sociale et
politique.
1908 Outre le choix des dirigeants mentionnés ci-dessus, la SASAC se donne le pouvoir de décision sur le projet d’investissement des entreprises d’État, v., Mesures provisoires d’administration sur l’investissement des entreprises centrales, l’arrêté n° 16 de la SASAC, 1er juillet 2006 ; le pouvoir d’intervention sur le règlement des différends d’importance des entreprises d’État, v., Mesures provisoires d’administration sur le règlement des grands différends des entreprises centrales, l’arrêté n° 11 de la SASAC, 12 janvier 2005. 1909 La Commission nationale chargée de l’économie et du commerce a été supprimée en 2003 selon le projet de réforme institutionnelle adopté par la 1ère session de la Xe APN. 1910 V., OCDE, La Chine dans l’économie mondiale : la gouvernance en Chine, op. cit., p. 355.
609
B. – La protection des droits de propriété intellectuelle au regard de la
bonne gouvernance
615. - Après avoir constaté le progrès du droit chinois en matière de propriété
intellectuelle, l’étude de l’OCDE a souligné le principal défi à relever pour le
gouvernement chinois. Il s’agit de l’amélioration des systèmes législatif et
administratif afin de donner à la législation les moyens de stimuler l’innovation et de
protéger plus efficacement les droits de propriété intellectuelle. L’étude de l’OCDE
indique non seulement les lacunes de la gouvernance qui sont à l’origine de la
multiplication des violations (1), mais comporte aussi des propositions sur
l’amélioration de l’efficacité du système des droits de propriété intellectuelle (2).
(1). – L’observation sur les lacunes de la gouvernance et de l’application de la loi
616. - L’étude de l’OCDE met en lumière plusieurs carences relatives à la
gouvernance comme étant les causes principales des infractions des droits de propriété
intellectuelle. Il s’agit de l’insuffisance des consultations dans le processus
d’élaboration de la réglementation, de l’incohérence entre la loi contre la concurrence
déloyale et les droits de propriété intellectuelle, du protectionnisme local lié au manque
de transparence du cadre réglementaire local, de la difficulté des poursuites et de
l’inefficacité des sanctions, de la complexité des appareils administratifs chargés de
faire appliquer la loi et de l’absence de mécanismes de coordination, ainsi que de
l’insuffisance des ressources financières et humaines dont disposent les autorités
judiciaires et les autorités administratives compétentes. Abstraction faite des problèmes
qui sont déjà critiqués sur le plan international, il est intéressant de mettre en relief les
deux analyses faites par l’OCDE sur la violation des droits de propriété intellectuelle
en Chine. Tout d’abord, l’OCDE a considéré que le très haut niveau de protection des
droits de propriété intellectuelle est inadapté à la situation actuelle de la Chine étant
donné que plupart des infractions sont commises « par naïveté », c’est-à-dire que les
contrevenants ont ignoré les droits des titulaires de la propriété intellectuelle et ont en
tiré profit, sans avoir eu la moindre conscience d’enfreindre une quelconque loi. À titre
610
d’exemple, l’OCDE a invoqué la modification de la réglementation chinoise en matière
de protection des logiciels informatiques selon laquelle l’utilisateur final des logiciels
piratés doit assumer les responsabilités concernant la violation des droits d’auteur,
alors que l’Accord sur les ADPIC laisse aux Membres de l’OMC le soin de prendre
leurs propres dispositions en fonction de leur de stade de développement économique.
Selon l’OCDE, le processus de modification de la réglementation en cause s’est
accompagné de la faible participation du public, qui a pourtant débouché sur un niveau
plus élevé de protection par rapport aux pays développés1911. D’autre part, en ce qui
concerne le phénomène de protectionnisme local, l’étude de l’OCDE a relevé que le
manque d’empressement à appliquer la loi manifesté par les dirigeants locaux est dans
certains cas –en plus des motifs tels que la corruption et ceux déjà mentionnés– motivé
par l’intérêt collectif. C’est-à-dire que les responsables locaux ont parfois estimé que
les coûts entraînés par l’application stricte des droits de propriété intellectuelle à
l’échelle locale excèdent les bénéfices à court terme. Développer l’économie locale,
protéger l’emploi face à des concurrents étrangers provenant d’autres provinces,
conserver la compétitivité locale, satisfaire les consommateurs locaux, refuser de
considérer comme une priorité la protection des produits culturels étrangers 1912
constituent autant de motifs pour lesquels les infractions aux droits de propriété
intellectuelle sont tolérées au plan local.
(2). – Les propositions pour l’amélioration de l’efficacité du système des droits de
propriété intellectuelle
617. - Pour combler les lacunes déjà constatées et améliorer l’efficacité du système
des droits de propriété intellectuelle en Chine, l’étude de l’OCDE propose « une
stratégie pluridimensionnelle »1913. Partant du constat selon lequel la pression relative
au fait d’appliquer la loi se relâchera avec l’élévation du degré de développement
économique, l’OCDE a proposé en premier lieu des mesures visant à réduire les coûts
1911 OCDE, La Chine dans l’économie mondiale : la gouvernance en Chine, op. cit.,, p. 475. 1912 Ibid., p. 481. 1913 V., Ibid., pp. 484 à 487.
611
immédiats de la protection des droits de propriété intellectuelle pour les entreprises, y
compris celles facilitant l’octroi de licences technologiques et le renforcement du
système de crédit. Mais il s’agit encore de cibler les efforts sur la protection de certains
droits de propriété intellectuelle et de mettre progressivement en place une véritable
culture de la propriété intellectuelle. D’ailleurs, l’État doit s’allier avec les groupes
d’intérêts, à savoir les titulaires des droits, les associations professionnelles et les
consommateurs afin d’obtenir des soutiens dans l’exécution des lois et des règlements
relevant du droit de la propriété intellectuelle. Pour résoudre le problème de
protectionnisme local, l’OCDE a proposé une réorganisation de la filière administrative.
Selon cette proposition, doit être créée une agence unique ayant compétence à traiter
toutes les catégories relevant de la propriété intellectuelle dans les divers échelons
locaux. Le budget de cette agence unique doit être assuré par l’autorité locale
d’échelon le plus élevé, afin de lui garantir une relative indépendance et contourner les
difficultés de coordination entre les différents départements locaux dans l’application
de la législation de propriété intellectuelle.
612
CONCLUSION DU CHAPITRE
618. - Comme les normes relatives au droit de propriété se fragmentent dans
différents instruments juridiques internationaux, de multiples acteurs s’impliquent dans
la mise en oeuvre des normes sur le plan international. L’autonomie des acteurs, ainsi
que leurs actes de nature différente, juridiques ou politiques, contraignants ou
simplement indicatifs, constituent les caractères principaux des mesures d’exécution
des normes en matière de droit de propriété, mais aussi la cause de la disparité. Entre le
domaine du droit international des droits de l’homme et le domaine du droit
international économique, le droit de propriété est considéré tantôt comme le
dépositaire de la valeur des droits humains fondamentaux, s’intégrant par excellence
dans la protection du droit au logement, tantôt comme un moyen de production faisant
l’objet d’examens ou d’observations relatives aux politiques économiques. Il est vrai
que les différents acteurs dans chaque domaine ont pu arriver à des conclusions qui
concordent de manière substantielle au cours de leurs considérations portant sur
certains aspects du droit de propriété, mais leur coordination reste encore à être
institutionnalisée. Le fait le plus important consiste à ce que les acteurs transcendent
les limites de leurs compétences, comme l’exige l’indivisibilité des droits civils,
politiques et celle des droits économiques, sociaux et culturels reliant les différents
aspects du droit de propriété –droit de l’homme pour les uns et droit du commerce pour
les autres– sur le plan international comme sur le plan interne. Source du droit
importante, la mise en oeuvre des normes relatives au droit de propriété sur le plan
international peut produire une influence non négligeable dans l’ordre juridique interne,
que ce soit par l’effet incitatif ou par la contrainte juridique des mécanismes de droit
international. La mise en oeuvre des normes internationales relevant du droit de
propriété dans l’ordre juridique interne ouvre une voie nouvelle à la synergie qui
conjugue les influences des différents acteurs sur le plan international, mais aussi celles
des acteurs internes, qu’ils s’agissent d’acteurs publics ou privés.
613
CHAPITRE II – LA PROTECTION DE LA PROPRIÉTÉ COMME RÉSULTAT
DE L’ADAPTATION DU DROIT CHINOIS AUX NORMES
INTERNATIONALES
619. - La référence aux normes et aux pratiques internationales peut dynamiser la
transformation du droit chinois concernant la protection de la propriété. Pragmatique et
utilitariste, le droit chinois s’est avant tout attelé à la définition d’un cadre juridique
pour les affaires et notamment pour l’investissement direct étranger, moteur présumé
de la croissance1914. Ainsi, comme Pitman B. POTTER l’a constaté, « la majeure partie
de l’histoire des réformes légales de la République Populaire de Chine a trait aux
difficultés rencontrées pour adapter les normes internationales à l’environnement
local »1915. Par l’approche sélective, la législation est la voie principale qu’emprunte le
droit chinois pour s’adapter aux normes internationales, l’État chinois étant soucieux
de sauvegarder sa souveraineté nationale (SECTION I). Dans le domaine commercial, le
droit interne est presque entièrement déterminé par des impératifs internationaux tout
en laissant place à une certaine concurrence, d’où « une assez grande porosité entre les
ordres »1916. Néanmoins, l’adaptation du droit interne aux normes internationales ne
peut se cantonner au domaine commercial, tant la distinction de ce qui est commercial
et de ce qui ne l’est pas est parfois artificielle, mais surtout parce que les autorités
chinoises ont réformé de manière plus vaste leur système juridique et politique en
prenant en considération des normes internationales de bonne gouvernance –notion
reprise dans des expressions politiques conjoncturelles comme « mettre l’homme au
centre de pensée (yiren weiben)», « la construction d’une société d’harmonie » ou bien
« le concept de développement scientifique (kexue fazhanguan)». Ces normes issues de
1914 CHEN Jianfu, Chinese Law, towards an understanding of Chinese law, its nature and development, La Haye, Londres, Boston: Kluwer Law International, 1999, p. 415; Stanley B. LUBMAN, Bird in a Cage: legal Reform in China after Mao, Standford University Press, 1999, p. 447. 1915 Pitman B. POTTER, The Chinese legal system, globalization and local legal culture, London and New York, Routledge, 2001, p. 261. 1916 Leïla CHOUKROUNE, « L’accession de la Chine à l’OMC et la réforme juridique: vers un État de droit par l’internationalisation sans démocratie? », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne Will, La Chine et la démocratie, op. cit., p. 627 ; Marie GORÉ, « Aspect de droit privé », in L’actualité du droit chinois des affaires, op. cit., p. 24.
614
références historiques ou politiques ne se limitent pas au droit international
économique, mais s’étendent aux droits de l’homme, comme la bonne gouvernance
l’exige. Dans le domaine du droit international relatif aux droits de l’homme, la Chine
n’opte pour ni le dualisme ni pour le monisme mais prend des précautions destinées à
prévenir tout risque d’applicabilité directe en droit interne. Une telle prise en
considération, qui ne va pas jusqu’à l’intégration normative, produit des risques
d’incertitude et d’abus dans l’interprétation des normes internationales qu’est
susceptible de proposer l’ordre juridique interne. Il faut donc regarder de près
l’adaptation du droit interne chinois pour mesurer les bénéfices mais aussi les
difficultés de l’influence du droit international sur la protection de la propriété
(SECTION II).
SECTION I. – L’IMPACT DE LA RÉFORME LÉGISLATIVE DANS LE
DOMAINE ÉCONOMIQUE
620. - Il n’est pas exagéré de dire que l’accession de la Chine à l’OMC a été
l’évènement historique qui a déclenché une troisième onde de réformes juridiques
conduisant le pays « vers un État de droit par l’internationalisation »1917. Certes, le
pragmatisme de la réforme juridique1918 en Chine appelle à distinguer les avancées des
phénomènes de résistance1919 , et ce, afin de mieux mesurer les perspectives de
mutation. En ce qui concerne le droit de propriété, les engagements pris par la Chine
lors de son accession à l’OMC exige une rationalisation de la législation (Sous-section
1), mais aussi l’amélioration de l’effectivité de ce droit par la consolidation des règles
de garantie (Sous-section 2). En adoptant de nouvelles règles de droit ou en modifiant
celles existantes, le gouvernement chinois manifeste sa volonté de tenir compte de
l’influence du droit international sur la réforme du droit interne. 1917 V., par exemple, Leïla CHOUKROUNE, « L’accession de la Chine à l’OMC et la réforme juridique: vers un État de droit par l’internationalisation sans démocratie? », op. cit., pp. 617 à 655 ; CAO Jianming, « WTO and rule of law in China », op. cit., p. 379. 1918 V., Randall PEERENBOOM, « What we have learned about law and development? Describing, predicting, and assessing legal reforms in China », 27 Mich. J. Int’l L. 823, p. 871. 1919 V., Lindsay WILSON, « Investors beware: the WTO will not cure all ills with China », 2003 Colum. Bus. L. Rev. 1007, p. 1009.
615
Sous-section 1. – La rationalisation de la législation en matière de droit de
propriété
621. - Dans le cadre de l’OMC, c’est à partir des obstacles au commerce que les
problèmes existants concernant la protection du droit de propriété ont été analysés.
Selon le rapport du secrétariat, « même si les obstacles au commerce ont été fortement
réduits, la Chine doit relever un défi essentiel : mettre en œuvre des changements
structurels afin d’instaurer une plus grande concurrence, et réformer en particulier le
secteur public, y compris les entreprises publiques »1920. Ces changements structurels
appellent à mettre en place le traitement égal des propriétés publique et privée dans le
domaine économique (§ 1), ainsi qu’à reconnaître l’égalité de droits entre les
propriétaires nationaux et étrangers (§ 2).
§ 1. – Mettre en place le traitement égal des propriétés publique et privée
622. - Le souci de « mettre la propriété publique et la propriété privée sur un pied
d’égalité » ne se limite pas à l’élaboration et à la mise en œuvre d’une loi sur les droits
réels, elle s’étend bien au-delà puisqu’elle concerne tout le droit civil et le droit
économique1921, étant donné que de nombreuses contraintes juridique, financière,
fiscale, etc., faisaient obstacle au développement des entreprises privées1922. Depuis la
révision constitutionnelle de 2004, une série de mesures fut adoptée afin de réaliser le
traitement égal des propriétés publique et privée, en encourageant le développement
des acteurs économiques non publics ou en supprimant certaines prérogatives des
acteurs économiques publics, et ce, afin de favoriser la libre concurrence. Selon le
professeur WANG Liming, le principe d’égalité de protection des propriétés publique
et privée découle du principe constitutionnel selon lequel « l’État maintient le régime 1920 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, République Populaire de Chine, WT/TPR/S/161/Rev.1, p. 74 ; 1921 V., GAO Fuping, « Pingdeng baohu yuanze he siren wuquan zhidu jiantao (Critique sur le principe de protection égale et la propriété privée) », Faxue (Law Science Monthly), 2007, n° 5, p. 29. 1922 V. Ross GARNAUT, Ligang SONG, « Correcting constraints to private enterprises development: lessons from a private sector survey », in Ross GARNAUT, Ligang SONG (ed.), China’s third economic transformation: the rise of private economy, RoutledgeCurzon, 2004, pp. 227 à 233.
616
économique fondamental dans lequel la propriété publique occupe une place
prépondérante, tandis que diverses autres formes de propriété se développent
simultanément »1923 en observant que « la condition préalable doit être l’égalité de
protection de toutes les propriétés »1924. Le soutien à l’égalité de protection s’appuie
sur l’économie de marché qui relève d’un principe constitutionnel1925 et constitue en
fait la réplique à l’hypothèse selon laquelle la loi sur les droits réels est
anticonstitutionnelle pour sa méconnaissance de la place prépondérante de la propriété
publique1926. La mise en place d’un cadre juridique assurant le traitement égal des
propriétés publique et privée est intervenue peu de temps après la révision
constitutionnelle de 2004 par l’adoption de mesures d’encouragement aux acteurs
économiques non publics (A). D’autre part, elle est renforcée par l’adoption de
nouvelles lois visant à améliorer la libre concurrence (B), ce qui permet d’affirmer que
le principe d’égalité de protection des propriétés n’est pas un simple mot d’ordre
dépourvu de valeur juridique, mais prend corps dans des règles précises de droit.
Encore faut-il souligner que la réforme vers le traitement égal des propriétés publique
et privée revêt une signification plus large que celle du principe d’égalité de protection
désormais reconnu par la loi sur les droits réels, dans la mesure où elle touche de
divers domaines économiques et commerciaux et par conséquent peut réduire dans un
long terme la caractéristique du droit chinois des biens consistant à la catégorisation
des propriétés.
A. – Les politiques d’encouragement favorisant le développement des
acteurs économiques non publics
1923 V., l’article 6, alinéa 2 de la Constitution 2004 telle que révisée en 1999. 1924 WANG Liming, « Le principe d’égalité de protection : le caractère marquant de la loi sur les droits réels chinoise (Pingdeng baohu yuanze : zhongguo wuquanfa de xianming tese) », Faxuejia (Juriste), 2007, n° 1, p.129. 1925 V., article 15 de la Constitution telle que révisée en 1993 : « L’État met en oeuvre l’économie socialiste de marché ». 1926 V., reportage de l’agence de presse Xinhua, «Zhongguo wuquan lifa chongfen tixian xianfa yuanze (La législation des droits réels se conforme aux principes constitutionnels) », 25 décembre 2005, disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/legal/2006-12/25/content_5530957.htm, consulté le 19 mai 2008.
617
623. - Les grandes orientations de la politique d’encouragement aux acteurs non
publics ont été données par le CAE dans un Communiqué officiel publié à ce sujet en
20051927. L’objectif est de supprimer les obstacles structurels au développement des
entités économiques non publiques, de traiter de manière égale des acteurs du marché
et d’établir une réelle concurrence. L’ouverture aux opérateurs privés d’un marché
auparavant réservé aux entités économiques publiques (1) et le renforcement des
soutiens fiscaux et financiers sont (2) les deux mesures principales prises par le
gouvernement central pour réaliser le traitement égal. Bien que ledit Communiqué
officiel ne soit qu’un document politique qui n’ait aucune valeur juridique en tant que
telle, il n’en revêt pas moins une importance dans la mesure où il indique l’orientation
de la réforme du droit économique engagée par le CAE.
(1). – L’élargissement de l’accès au marché des acteurs non publics
624. - En ce qui concerne l’ouverture du marché, on a critiqué le fait que la présence
des acteurs privés, y compris les investisseurs étrangers, était pendant longtemps
exclue ou très restreinte dans certaines industries qui étaient sous le joug du monopole
d’État1928. Il s’agit des secteurs de l’électricité, des communications, du chemin de fer,
de l’aviation civile et du pétrole. À cet égard, le Communiqué du CAE prévoit
d’autoriser l’acquisition par les acteurs privés des droits d’exploration, d’extraction et
d’exploitation des ressources naturelles. Dans un second temps, le Communiqué
annonce que l’investissement de capitaux privés dans les infrastructures publiques
telles que l’approvisionnement en eau ou en gaz, le chauffage, les transports communs
et l’assainissement, sera permis. Troisièmement, les acteurs privés pourront investir
dans les services publics dits d’utilité sociale, y compris l’éducation, la recherche, la
santé publique, la culture et le sport. Quatrièmement, les secteurs les plus sensibles de
1927 CAE, Avis sur l’encouragement, le soutien et le guide du développement des économies individuelles, privées et d’autres secteurs économiques non publics (Guanyu guli zhichi he yindao geti siying deng feigongyouzhi jingji fazhan de ruogan yijian), Communiqué Guofa 2005 (3) du 19 février 2005. 1928 V., ZHANG Shouwen, « Fazhan feigong jingji de jingjifa jiedu (L’analyse sur le développement des économies non publiques au regard du droit économique) », Faxuejia (Juriste), 2005, n° 3, pp. 32 à 36.
618
la banque et de la finance, de l’industrie de la défense nationale pourront s’ouvrir aux
capitaux privés sous respect des conditions prévues par la loi. Finalement, le
Communiqué encourage les acteurs privés à participer à la capitalisation des
entreprises d’État, en ouvrant davantage la voie à la cession des actifs d’État aux
entreprises privées. Cette dernière mesure peut réduire la part du marché auparavant
occupée par les entités économiques publiques, ce qui revient à démanteler le
monopole que l’État avait sur le marché.
(2). – Le renforcement des aides fiscales et financières aux acteurs non publics
625. - La constitution de fonds spéciaux pour aider aux investissements privés,
l’accroissement des prêts bancaires au secteur privé et l’assouplissement des
contraintes en matière de financement des entreprises privées constituent l’orientation
politique du gouvernement central en faveur des acteurs économiques privés. Au
moment de la publication dudit Communiqué, la difficulté de financement rencontrée
par des acteurs privés était aussi l’un des obstacles majeurs à leur développement.
Comme le remarque Thierry PAIRAULT, « il existe une discordance très évidente
entre le dynamisme dont peuvent faire preuve les PME chinoises et leur accès au crédit
bancaire et plus particulièrement celui que distribue les banques d’État»1929. Puisque
les acteurs économiques non publics sont souvent plus rentables que les acteurs publics,
les mesures financières visées par le Communiqué du CAE favorisant les acteurs
économiques non publics sont pertinentes d’un point de vue économique. Le
Communiqué du CAE peut ainsi conduire les banques d’État à modifier leurs
politiques de crédit aux acteurs économiques non publics.
626. - Un tel changement dans la politique gouvernementale qui favorise la propriété
privée peut être considéré à juste titre comme une révolution, dans la mesure où tout
préjugé envers la propriété privée est levé et où il met un terme au culte aveugle de la
propriété publique et réduit l’expansion des pouvoirs publics1930. Certes, selon le
1929 Thierry PAIRAULT, Wei WANG, « À propos du financement des PME chinoises », Techniques financières et développement, 2005, n° 79, p. 47. 1930 YE Chuanxing, « Feigongyouzhi jingji de shenfen geming (La révolution du statut des économies
619
professeur chinois HAN Dayuan, le Communiqué du CAE n’a pas de force juridique
contraignante en dépit du rappel du principe constitutionnel d’égalité entre les
propriétés publique et privée. Nous sommes donc encore dans un climat d’attente
concernant la mise en place de règles juridiques pour assurer la réalisation des
orientations politiques favorables à la propriété privée1931.
B. – De nouvelles règles de droit visant à améliorer la libre
concurrence
627. - Comme l’OCDE l’a souligné, « le fait pour l’État de posséder des entreprises
tend à fausser les marchés, puisque cette situation crée des occasions et des incitations
à leur accorder un traitement préférentiel et à les soumettre à des contraintes
budgétaires moins strictes »1932. Il faudrait donc adopter une politique favorisant la
concurrence, soit par un désengagement de l’État, soit par d’autres mesures
intermédiaires pour supprimer les distorsions entraînées par les entreprises d’État.
Dans le contexte de la « restructuration qui s’accompagne de la diversification du
droit de propriété »1933, une série de mesures législatives a été prise pour améliorer la
libre concurrence en supprimant les prérogatives des entreprises d’État qui la
faussaient. Il s’agit notamment de la modification de la loi sur les sociétés (1) et de
l’adoption d’une nouvelle loi sur les faillites des entreprises (2).
(1). – La modification de la loi sur les sociétés
628. - La loi sur les sociétés promulguée en 1993 et le plus récemment modifiée en
2005 reconnaît sans équivoque le droit autonome des sociétés sur leurs actifs en le
non publiques) », Faxuejia (Juriste), 2005, n°3, pp. 36 à 39. 1931 HAN Dayuan, « Feigongyouzhi jingji de xianfa diwei (Le statut constitutionnel des économies non publiques) », Faxuejia (Juriste), 2005, n°3, p. 13. 1932 OCDE, La gouvernance en Chine, 2005, p. 407. 1933 Ross GARNAUT, Ligang SONG, Stoyan TENEV, Yang YAO, China’s ownership transformation, Process, outcomes, prospects, op. cit., pp. 48, 49.
620
qualifiant de droit patrimonial de la personne morale (faren caichan quan)1934. Certes,
avant sa modification en 2005, la loi sur les sociétés affirmait que « les actifs des
sociétés issus de l’apport de l’État demeur[aient] la propriété de celui-ci»1935, ce qui,
pour des juristes, brouillait la distinction entre les droits de l’actionnaire et le droit de
propriété de l’État1936. La modification de la loi sur les sociétés en 2005 contribue par
conséquent à renforcer l’indépendance des sociétés dont la majorité étaient d’anciennes
entreprises d’État1937. La clarification de la propriété des actifs des sociétés a permis
les restructurations d’entreprises publiques qui « ont permis d’améliorer les résultats.
En réduisant la participation de l’État et en libérant des ressources qu’il détenait
auparavant, la réforme a aussi contribué au développement du secteur privé (non
public) »1938.
629. - En outre, une série de dispositions de la loi sur les sociétés de 2005 semblent
favoriser le développement des entités économiques non publiques. D’une part, la loi
sur les sociétés modifiée en 2005 permet dorénavant l’établissement d’une société
unipersonnelle à responsabilité limitée dont l’unique actionnaire peut être une personne
physique ou morale. D’autre part, les dispositions relatives au capital social ont été
assouplies1939. Ainsi en est-il, ont été supprimées les dispositions relatives au capital
social minimal en fonction des activités de la société. Le montant du capital social
1934 V., l’article 3, alinéa 1er de la loi sur les sociétés. 1935 V., l’ancien article 4, alinéa 3 de la loi sur les sociétés promulguée en 1993. 1936 V., JIANG Ping, KONG Xiangjun, « Lun guquan (À propos des droits des actionnaires) », Zhongguo faxue (China Legal Science), n°1, 1994, p. 91; LEI Xinghu, FENG Guo, « Lun gudong de guquan yu gongsi de faren caichanquan (Sur les droits des actionnaires et le droit de propriété des personnes morales d’entreprises) », op. cit., p. 80 ; QIAN Mingxing, «Lun gongsi caichan, gongsi caichan suoyouquan, gudong guquan (Sur les actifs des sociétés, le droit de propriété des sociétés et les droits des actionnaires) », Journal de l’Université de Peuple (Zhongguo renmin daxue xuebao), 1998, n°2, p. 57 ; A. VOINNESSON, « L’entreprise et la concurrence – Les droits réels, 7es Journées juridiques franco-chinoises », Revue Internationale de droit comparé, n°1, 2003, pp. 232, 234 ; ZHOU Qingfeng, « Xi gongsifa disitiao (Analyse sur l’article 4 de la loi sur les sociétés) », Sheke zongheng (Social Science Review), 2004, n° 6, pp. 73, 74. 1937 ZHANG Yanli, « Qiye faren caichanquan zaiyi (Reconsidération sur le droit des biens des personnes morales d’entreprises) », op. cit., pp. 39 à 41. 1938 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, Chine, WT/TPR/S/199, 16 avril 2008, p. 47. 1939 V., Haiying WANG, « Réforme du droit des sociétés chinoises », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires, n° 19, 11 mai 2006, 1776.
621
minimum d’une SARL est désormais fixé à 30 000 yuans1940. De même, alors qu’en
vertu de la loi de 1993 les apports de biens incorporels ne pouvaient pas représenter
plus de 20% de la totalité du capital social souscrit, la modification de la loi en 2005
prévoit que les apports en numéraire doivent être supérieurs à 30% du capital d’une
SARL1941.
630. - La restructuration des entreprises d’État en sociétés commerciales peut aussi
contribuer à consolider le traitement égal des propriétés publique et privée à travers le
marché des valeurs. La volonté de maintenir une participation majoritaire de l’État
conditionnait depuis longtemps le degré d’ouverture du capital aux autres associés. La
classification des actions en fonction de leur degré de négociabilité est la
caractéristique spécifique des sociétés chinoises cotées en Bourse comme la
catégorisation des droits de propriété aux termes de la législation dans le domaine du
droit des biens en Chine. Contrairement aux normes internationales, les facteurs
idéologiques, reflétés par les réglementations étatiques et administratives, ont eu des
effets considérables sur la classification des actions en actions détenues par les
personnes privées et les actions des entreprises d’État d’importance nationale ou
régionale transformées en sociétés anonymes et dont le capital est détenu par des
personnes morales publiques habilitées à représenter l’État ou celles dont la gestion des
avoirs leur est confiée par l’État.1942 Par conséquent, une entreprise d’État transformée
en société par actions émit généralement trois types d’actions: les actions d’État
(guojia gu), les actions détenues par les personnes morales (faren gu) et les actions du
public (geren gu). Seules les actions du public sont négociables en Bourse, alors que la
transaction des deux autres types d’actions fait l’objet de limitations imposées par les
lois et règlements. Par exemple, le Règlement provisoire sur l’émission et la
transaction des actions adopté par le CAE en 19931943 prévoit l’agrément préalable de
l’autorité nationale compétente comme l’une des conditions essentielle à la transaction
1940 V., article 26, alinéa 2 de la loi sur les sociétés. 1941 V., article 27, alinéa 3 de la loi sur les sociétés 1942 V., Lim SUN, Jean Francis Cheung Ah SEUNG, « La distinction des actions en République populaire de Chine », Revue de droit des affaires de l’Université Panthéon Assas, n°1, 2003, pp. 177 à 185. 1943 V., article 36 du Règlement provisoire sur l’émission et la négociation des actions.
622
des actions d’État. En réalité, la transaction des actions d’État a été longtemps figée par
le gouvernement central, et c’est la raison pour laquelle ces actions sont généralement
qualifiées de « non négociables ». Cependant, avec la réforme visant à donner la
flexibilité à la libre transaction des actions « non négociables » menée par le CAE en
20041944, la Commission nationale de réglementation des valeurs mobilières a émis son
programme pilote de réforme des actions non négociables des sociétés inscrites à la
cote officielle, dans le but de convertir par les mesures progressives de réforme les
actions non négociables en actions négociables1945. La tendance se dirige vers la libre
négociation des actions d’État ou des actions de personnes morales, et vers
l’accélération de la cotation en Bourse de la majorité des entreprises d’État1946. En
dépit des dénégations des autorités pour lesquelles la diversification des formes de
propriétés ne signifie pas nécessairement une privatisation, on peut raisonnablement
penser qu’au fur et à mesure de la participation du secteur privé, le transfert de contrôle
peut conduire à la multiplication des privatisations partielles ou totales dans les années
qui viennent, d’autant plus que ce transfert de contrôle est revendiqué par la
considération d’efficacité économique de la gestion des biens1947.
(2). – La loi sur les faillites des entreprises
631. - À l’issue de longues années de réflexion, la Chine s’est dotée en 2006 d’une
nouvelle loi réformant le droit sur les faillites des entreprises dont l’entrée en vigueur a
lieu le 1er juin 2007. La loi sur les faillites des entreprises est désormais le droit
commun et unifié en la matière qui a remplacé l’ancienne loi de 1986 sur les faillites
des entreprises d’État adoptée à titre expérimental, dans la mesure où elle s’applique à 1944 CAE, Avis sur le renforcement de la réforme, de l’ouverture et du développement stable du marché des valeurs, Communiqué Guofa n° (2004) 3, 31 janvier 2004. 1945 Commission de réglementation des valeurs mobilières, Mesures d’administration sur la séparation des actions des sociétés cotées en Bourse, Communiqué Zhengjianfa n° 2005 (86), 4 septembre 2005. 1946 V., reportage de l’Agence de presse Xinhua, « China to accelerate listing of state-owned enterprises », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/english/2007-11/03/content_7002277.htm, consulté le 23 mai 2008. 1947 V., Gongmeng CHEN, Michael FIRTH, Yu XIN, Liping XU, « Control transfers, privatization, and corporate performance: efficiency gains in China’s listed company », Journal of financial and quantitative analysis, Vol. 43, n°1, 2008, pp.161 à 190.
623
toutes les entreprises d’État ou privées, qu’elles comportent ou non des capitaux
étrangers. La loi de 2007 sur les faillites des entreprises s’applique également aux
banques et aux autres établissements financiers1948. L’un de ses apports remarquables
tient dans le fait de supprimer la protection spéciale prévue par l’ancienne loi de 1986
qui concernait uniquement les entreprises d’État connaissant des difficultés. L’ancienne
loi de 1986 sur les faillites des entreprises d’État disposait, dans l’intérêt des
travailleurs, que les charges salariales devaient s’acquitter avec priorité par rapport aux
créances même garanties par la sûreté dans les procédures collectives de
surendettement1949. Dans la pratique et de manière générale, la majorité du fonds était
réservée –au nom du paiement des charges salariales– à l’entreprise en faillite pour lui
permettre d’assumer sa fonction de couverture sociale1950. D’ailleurs, les tribunaux
locaux compétents dans les affaires de faillite détenaient un pouvoir discrétionnaire
quand ils jugeaient de l’admissibilité des requêtes des créanciers demandant la mise en
faillite des entreprises surendettées. Les juges prenaient en considération des éléments
moins juridiques que politiques, tels que par exemple l’impact que seraient
susceptibles d’avoir de telles demandes sur la couverture sociale assumée par
l’entreprise en difficulté. En d’autres termes, les juges prenaient d’abord en
considération la nécessité du maintien de la stabilité sociale menacée par les
licenciements des travailleurs résultant des éventuelles faillites, ainsi que le soutien des
gouvernements locaux quant aux payements des salaires et des cotisations sociales
arriérés par l’entreprise en cause1951. L’objectif de ce mécanisme dit de « faillites par la
politique (zhengcexing pochan)»1952 consistait à mieux protéger les entreprises en
1948 La nouvelle loi contient trois procédures visant les entreprises insolvables: réorganisation, conciliation et liquidation. la réorganisation ne figurait pas dans la loi expérimentale de 1986. 1949 V., article 37, alinéa 2 de la loi expérimentale sur les faillites des entreprises (1986) ; article 132 de la loi 2007 sur les faillites des entreprises. 1950 V., Carsten A. HOLZ, « Economic reforms and State sector bankruptcy in China », The China Quarterly, 2001, pp. 351 à 358. 1951 V., YU Junfu, CHEN Dong, « Issues in the acceptance of bankruptcy cases by Chinese courts », rapport présenté au 5e Forum for Asian Insolvency Reform, 27-28 juin 2006, disponible sur le site www.oecd.org/dataoecd/21/52/38181654.pdf, consulté le 25 mai 2008. 1952 LI Shuguang, « Xinpochanfa de yiyi, tupo yu yingxiang (La signification, l’apport et l’impact de la nouvelle loi sur les faillites des entreprises) », Journal de l’Université de politique et de droit de la Chine Est (Huadong zhengfa xueyuan xuebao), 2006, n°6, pp. 110 à 113.
624
difficulté et leurs salariés que les créanciers, que ces entreprises soient de nature
publique ou privée. Au moyen de ces faillites par la politique, qui débuta en 1994, le
gouvernement obligea les entreprises publiques connaissant un déficit chronique et
n’ayant aucun espoir de redressement ou affichant un passif supérieur à leur actif, à
déposer leur bilan en respectant un certain délai. Contrairement à la pratique courante,
les actifs restants de telles entreprises furent utilisés pour faciliter la réaffectation des
employés, plutôt que pour liquider le passif de l’entreprise concernée par la faillite.
D’où l’atteinte aux droits et intérêts des créanciers.
632. - La nouvelle loi sur les faillites a supprimé ce mécanisme particulier de
« faillites par la politique», afin d’établir une égalité de traitement entre les entreprises
d’État et les autres acteurs économiques. Pour aboutir à la réforme de la loi sur les
faillites des entreprises, le gouvernement central a pris le relais des entreprises d’État
pour assumer la charge budgétaire de la couverture sociale1953. Il en résulte que
désormais les entreprises d’État n’ont plus de privilèges dans l’application de la
procédure de surendettement.
La nouvelle loi sur les faillites des entreprises préconise également la doctrine de
l’universalité affirmant que l’ouverture de la procédure collective en Chine produit des
effets sur les biens du débiteur même à l’extérieur du territoire chinois. Ces effets
peuvent bénéficier aux créanciers étrangers qui sont susceptibles de saisir les biens des
débiteurs à l’extérieur du territoire chinois et de faire exécuter des jugements étrangers
par les tribunaux chinois via l’exequatur de ceux-ci1954 . Cette tendance vers le
1953 V., reportage de l’Agence de presse Xinhua, « China’s top legislature adopts corporate bankruptcy law» en date du 27 août 2006, disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/english/2006-08/27/content_5013953.htm, consulté le 25 mai 2008. À la fin de 2006, des faillites par décision politique ont concerné plus de quatre mille entreprises publiques; environ 8 millions d’employés ont été réaffectés. Information en ligne de Caijing (Finance), disponible sur le site http://www.caijing.com.cn/home/todayspec/ 2007-12-21/42581.shtml, consulté le 25 mai 2008. 1954 V., Yasong LIN, « L’exécution du jugement étranger de faillite en Chine », Revue internationale de droit comparé, 2008, n°1, p. 184. Plus précisément, les tribunaux populaires ne reconnaissent pas les procédures étrangères en matière de faillite dans les cas suivants: s’il n’y a pas de traité ou de relations entre la Chine et la juridiction concernée en ce qui a trait à la reconnaissance des procédures de faillite; si les procédures étrangères en matière de faillite sont contraires aux principes fondamentaux du droit chinois ou menacent la souveraineté, la sécurité ou l’intérêt public de la Chine; ou si les procédures étrangères en matière de faillite nuisent aux intérêts légitimes de créanciers en Chine.
625
traitement égal entre chinois et étrangers dans l’exercice de leurs droits relatifs à leurs
biens est davantage renforcée dans d’autres domaines commerciaux plus importants,
par l’application stricte du principe de traitement national.
§ 2. – Renforcer le traitement national concernant les investissements
étrangers
633. - Hormis les engagements pris par le gouvernement chinois lors de son
accession à l’OMC, et surtout en dehors de l’Accord portant sur les mesures liées au
commerce concernant les investissements, les lois et les règlements internes confèrent
des droits aux investisseurs étrangers en matière d’accession à la propriété.
Considérées par le secrétariat de l’OMC comme des « mesures agissant sur la
production et le commerce » lors de l’examen des politiques commerciales de la
Chine1955, ces législations n’ont pas été adoptées sous la contrainte directe des règles
de l’OMC 1956 , mais traduisent plutôt la volonté gouvernementale de libéraliser
davantage le marché intérieur tout en maintenant l’intérêt de l’État hôte dans le
domaine des investissements étrangers. Il s’agit d’abord d’opérations d’acquisition qui
s’inscrivent dans le programme pilote de réforme des actions non négociables des
sociétés, et par lesquelles les investisseurs étrangers peuvent acquérir des actions des
sociétés chinoises (A). D’autre part, l’ouverture du marché immobilier aux
investisseurs étrangers afin que ceux-ci puissent acquérir des biens immobiliers, ce qui
est indispensable à la jouissance égale des droits réels entre citoyens chinois et
étrangers (B). Ces deux mesures pour renforcer le traitement national sont encore
renforcées par la mise en oeuvre d’« un régime fiscal avantageux pour les
investissements étrangers » 1957 avec l’adoption de la nouvelle loi sur l’impôt des
1955 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, Chine, WT/TPR/S/199, précité, pp. 109 à 113, 1956 Pour l’opinion contraire, v., Haiying WANG-FOUCHER, « La réglementation des opérations d’acquisition sur le marché chinois », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires, n° 45, 8 novembre 2007, 2356, § 4. 1957 Emmanuel MERIL, « La fin prochaine d’un régime fiscal avantageux pour les investissements étrangers en Chine? », Cahiers de droit de l’entreprise, n°4, 2005, pp. 44, 45 ; v., aussi, Haiying WANG, « Le régime fiscal chinois des investissements étrangers, les charmes de l’Orient... », Bulletin Joly
626
sociétés qui unifie le taux d’impôt applicable, sans distinction entre les sociétés
domestiques et celles avec des capitaux étrangers1958. D’où une tendance qui aboutira
au renforcement du traitement national, principe du droit de l’OMC.
A. – L’acquisition d’entreprises domestiques par des investisseurs
étrangers
634. - Avec l’ampleur que prennent les pratiques d’acquisition des entreprises
domestiques par des investisseurs étrangers, les règles applicables en la matière sont
désormais prévues dans le cadre du contrôle de la concentration et appartiennent au
droit de la concurrence. La loi anti-monopole réaffirme le traitement égal en unifiant
les règles de contrôle sur la concentration (1), mais elle prévoit également la limitation
à l’acquisition par des investisseurs étrangers (2).
(1). – L’unification des règles de contrôle sur la concentration par l’adoption de la loi
anti-monopole
635. - L’élaboration de la loi anti-monopole fut l’une des mesures préparatoires à
l’accession de la Chine à l’OMC aux termes de la libéralisation de son économie1959. À
la suite de son accession à l’OMC, la Chine a travaillé sur la loi sur l’acquisition des
valeurs par les investisseurs étrangers sous l’angle du contrôle des concentrations.
Ainsi, en 2003, a été adopté le Règlement provisoire sur les fusions et les acquisitions
Sociétés, 1 novembre 2004, n° 11, p. 1337. 1958 La loi sur l’impôt des sociétés est adoptée le 16 mars 2007 et consiste à mettre un terme aux avantages fiscaux dont bénéficient les sociétés étrangères en imposant un taux unique d’imposition de 25 %, qu’il s’agisse d’entreprises chinoises ou étrangères. Dans la loi, les incitations destinées aux entreprises à participation étrangère sont pour l’essentiel éliminées, mais il subsiste une période transitoire allant jusqu’à cinq ans pour les trêves fiscales existantes. 1959 V., WANG Xiaoye, « Rushi cuisheng zhongguo fanlongduan fa (L’accession à l’OMC conduit à la naissance de la loi anti-monopole) », disponible sur le site http://www.cass.net.cn/file/200304166140.html, consulté le 30 mai 2008 ; v., aussi, H. Stephen HARRIS, « The making of an anti-trust law: the pending anti-monopoly law of the People’s Republic of China », 7 Chi. J. Int'l L. 169, p. 177.
627
entre les investisseurs étrangers et les entreprises domestiques chinoises1960. C’était la
première fois que le droit chinois tentait de traiter de manière détaillée les effets
anticoncurrentiels liés au rapprochement d’entreprises. À ce texte a été substitué, en
2006, le Règlement sur les fusions et les acquisitions d’entreprises domestiques
chinoises par des investisseurs étrangers1961 qui reprend de façon substantielle les
dispositions dudit Règlement provisoire de 2003. Certes, le Règlement de 2003 et celui
de 2006 relatifs au contrôle sur l’acquisition sont critiquables dans la mesure où ils ne
s’appliquaient qu’aux investisseurs étrangers, établissant donc un régime
discriminatoire concernant le contrôle de la concentration 1962 . La nouvelle loi
anti-monopole promulguée le 30 août 2007 et entrée en vigueur le 1er août 2008
marque une nouvelle étape vers la systématisation du droit concurrentiel dans lequel
figurent les règles applicables à l’acquisition énonçant des exigences de neutralité
concernant le traitement des entreprises privées et publiques. Ces règles concernant
l’acquisition sont plutôt favorables aux investisseurs étrangers souvent confrontés au
manque d’impartialité des juridictions1963. Car l’une des grandes nouveautés de la loi
de 2007 est de prévoir l’application de la même procédure de dépôt de notification
auprès des autorités compétentes1964 à toutes les concentrations, qu’elles soient initiées
par des entreprises chinoises ou étrangères. Ce fait correspond à l’un des objectifs
prioritaires de la loi anti-monopole : donner « un soutien à la libéralisation du
commerce et de l’investissement étranger »1965.
1960 Règlement promulgué le 7 mars 2003 par le Ministère du commerce extérieur et de la coopération économique, l’Administration fiscale nationale, l’Administration nationale de l’industrie et du commerce, et l’Administration nationale des changes, et entré en vigueur le 12 avril 2003. 1961 Règlement promulgué le 8 août 2006 par le Ministère du commerce, la Commission d’État chargée de la supervision et de la gestion des actifs de l’État, l’Administration fiscale nationale, l’Administration de l’industrie et du commerce, la Commission de réglementation des valeurs mobilières et l’Administration du contrôle des changes, et entré en vigueur le 8 septembre 2006. 1962 Guillaume ROUGIER-BRIERRE, Arnaud LUNEL, « La nouvelle loi anti-monopole chinoise : vers un nouveau droit de la concurrence », Revue de droit des affaires internationales, n°2, 2008, p. 188. 1963 Alexandre JAUNATRE, « Nouvelle étape dans le processus de modernisation de l’économie chinoise : la loi sur la concurrence du 30 août 2007 », Contrats Concurrence Consommation, n° 1, janvier 2008, alerte 1. 1964 V., articles 21 à 23 de la loi anti-monopole. 1965 François SOUTY, « Chine : la loi anti-monopole du 30 août 2007 et l’émergence d’un droit chinois moderne de la concurrence », Revue des droits de la concurrence, n°4, 2007, p. 159. V., aussi, reportage
628
(2). – La limitation imposée à l’acquisition par les investisseurs étrangers
636. - L’article 31 de la loi anti-monopole dispose que lorsqu’une fusion ou une
acquisition d’une entreprise domestique par un investisseur étranger met en jeu la
sécurité nationale, la concentration fera l’objet d’un contrôle de sécurité nationale en
plus de l’éventuel contrôle par l’autorité exécutive anti-monopole en vertu de la loi de
20071966 . Jugée comme étant le signe d’un protectionnisme inquiétant pour les
investisseurs étrangers1967, cette limite à la concentration fut toutefois prévue depuis
2003. En effet, le Règlement provisoire de 2003 offrait la possibilité aux concurrents
domestiques de mettre en cause une acquisition par la participation directe des capitaux
étrangers dans l’entreprise domestique ciblée, lorsque l’opération était susceptible
d’avoir un impact significatif sur l’économie nationale ou la sécurité économique
nationale. Cette possibilité fut maintenue par le Règlement de 2006 qui prévoyait une
notification au Ministère du Commerce concernant toute opération au terme de
laquelle un investisseur étranger obtiendrait le contrôle d’une entreprise d’un secteur
clé, ou si l’acquisition était susceptible d’affecter la sécurité économique nationale, ou
encore si la cible détenait une marque renommée ou une appellation chinoise
traditionnelle1968. En cas de manquement à l’obligation de notifier, le Règlement de
2006 conférait au Ministère du Commerce le pouvoir, après concertation avec les
autres autorités compétentes, d’enjoindre la cessation de l’opération et le retour à l’état
originel d’avant la concentration.
Certes, la loi anti-monopole adoptée en 2007 ne contient aucune définition sur la
notion de sécurité nationale, ni de disposition quant au déroulement de la procédure de
contrôle, ce qui permet aux autorités compétentes d’exercer un certain pouvoir
discrétionnaire concernant la question des acquisitions étrangères. Comme l’a constaté
l’OCDE, la Chine doit davantage préciser les critères du contrôle de sécurité nationale de DU Haitao, « Quatre points importants de la loi anti-monopole (Fanlongduanfa de sida kandian) », Quotidien du peuple (Renmin ribao), 31 août 2007, p.5. 1966 V., articles 27, 28 de la loi anti-monopole. 1967 V., par ex., Brice PEDROLETTI, « Chine : la nouvelle loi contre les monopoles inquiète les investisseurs étrangers: des entreprises occidentales éprouvent de sérieuses difficultés lors du rachat de sociétés chinoises ou dans des partenariats établis », Le monde, 1er septembre 2007, p.12. 1968 V., article 12 du Règlement promulgué le 8 août 2006.
629
et réduire le nombre d’étapes que comportent les procédures d’examen et
d’autorisation pour les sociétés étrangères participant à une opération de fusion ou
d’acquisition, et ce, afin de répondre à l’exigence de transparence1969. À cet égard, la
loi anti-monopole a confirmé « l’existence [de motifs] d’inquiétude au sein de
l’administration chinoise en matière de sécurité nationale et de souveraineté
économique, motifs qui préoccupent tout autant l’Europe et les États-Unis »1970. Mais
cette approche faite à la fois d’ouverture et de prudence se révèle également dans
d’autres domaines, par exemple, celui qui relève plus directement du droit de propriété
immobilière.
B. – L’investissement étranger dans le secteur immobilier
637. - Les investisseurs étrangers peuvent acquérir le droit d’usage du sol, soit
directement auprès de l’administration par l’établissement du contrat de concession,
soit auprès de personnes privées titulaires de ce droit. Dans ce dernier cas, il est
fréquent que le droit d’usage concédé fassent l’objet d’un apport de la part d’un
partenaire chinois au capital d’une entreprise bénéficiant d’investissements
étrangers1971. Les règles relatives concernant l’accès des investisseurs au secteur
immobilier sont davantage précisées dans un document réglementaire adopté
conjointement en 2006 par six ministères du CAE1972 et qui remplace les Mesures
provisoires adoptées par le même CAE1973. Ce document réglementaire de 2006 qui
s’intitule « Opinion relative au contrôle et à la gestion de l’investissement étranger
1969 OCDE, Recent developments in China’s policies towards cross-border mergers and acquisitions, Supplement to the 2006 Investment Policy Review of China, décembre 2006, p. 5. 1970 Guillaume ROUGIER-BRIERRE, Arnaud LUNEL, « La nouvelle loi anti-monopole chinoise : vers un nouveau droit de la concurrence », op. cit., p. 201. 1971 V., Olivier DUBUIS, « Vers une clarification des conditions d’acquisition d’un terrain en Chine par les investisseurs étrangers », Cahiers de droit de l’entreprise, n° 4, 2005, pp. 49 à 52. 1972 Ministère de la Construction (devenue Ministère du Logement et du Développement Urbain et Rural), le Ministère du Commerce, la Commission des Réformes et du Développement, la Banque Populaire de Chine, l’Administration d’État pour l’Industrie et le Commerce (SAIC), et l’Administration du Contrôle des Changes, Opinion relative au contrôle et à la gestion de l’investissement étranger dans le domaine de l’immobilier, 11 juillet 2006. 1973 Ces mesures provisoires furent adoptées en 1990 et annulées par le décret n°516 du CAE en 2008.
630
dans le domaine de l’immobilier » précise les mesures relatives à l’administration sur
l’exploitation du sol par les investisseurs étrangers. Ces mesures permettent à
l’investissement étranger d’accéder uniquement à l’exploitation foncière localisée sur
les territoires côtiers. Le document réglementaire de 2006 demeure contraignant après
la promulgation de la loi sur les droits réels, et par conséquent pourrait être considéré
comme une lex specialis par rapport à la loi sur les droits réels dans la mesure où il
prévoit l’ouverture du marché immobilier aux investisseurs étrangers (1), tout en leur
imposant les contraintes relatives à l’acquisition des biens immobiliers (2).
(1). – L’ouverture du marché immobilier
638. - L’ouverture du marché immobilier en réduisant des barrières aux
investissements étrangers résulte principalement des engagements pris par le
gouvernement chinois lors de son entrée à l’OMC1974. Le document réglementaire de
2006 prévoit deux modalités d’ouverture du marché immobilier par lesquelles les
investisseurs étrangers peuvent acquérir le droit d’usage du sol et la propriété des
bâtiments qui y sont construits. Premièrement, les entreprises à l’investissement
étranger ayant personnalité morale peuvent acquérir les biens immobiliers dans la
sphère de leurs activités spécifiquement définie pour cette fin. L’acquisition des biens
immobiliers se fait donc par l’établissement d’entreprises à capitaux étrangers et à
vocation immobilière avec l’autorisation de l’État1975 et, par l’acquisition du droit
d’usage du sol étatique à travers le contrat de cession selon les règles législatives et
réglementaires qui s’y appliquent. La cession des titres d’une société de droit chinois
porteuse d’un projet immobilier doit être elle-même soumise à l’autorisation
concernant le régime d’acquisition. D’autre part, les succursales et les bureaux de
représentation des entreprises étrangères établis en Chine ainsi que les personnes 1974 V., Investment in greater China, opportunities and challenges for investors, first ed., Kluwer Law International, 2003, p.108. 1975 Tout investissement immobilier supérieur à 10 millions de dollars requiert désormais un capital d’au moins 50 % du montant investi contre 25% auparavant. Le recours à l’endettement n’est possible qu’à hauteur de la différence (soit 50% du montant à investir) et seulement à partir du moment où le capital social est libéré, s’il représente déjà au moins 35 % de l’investissement prévu et sous réserve d’avoir obtenu effectivement un droit d’usage du sol étatique.
631
physiques étrangères sont autorisés à acheter un bien immobilier en Chine pour leur
usage personnel. C’est dans ce deuxième cas de figure que les contraintes ont été
imposées aux investisseurs étrangers par le document réglementaire de 2006.
(2). – Les contraintes imposées à l’acquisition des immeubles par les investisseurs
étrangers
639. - Soucieux de lutter contre la spéculation et de restreindre l’augmentation du
prix immobilier, un document réglementaire adopté par le Ministère du Commerce a
établi des règles restrictives à l’acquisition des biens immobiliers par les étrangers1976.
Premièrement, les personnes morales de nationalité étrangère qui n’ont pas de présence
commerciale au sein du territoire chinois ne sont pas admises à acheter des biens
immobiliers via un contrat de vente. De même, les personnes physiques étrangères
souhaitant acheter un bien immobilier pour leur usage personnel doivent être résidents
en Chine depuis plus d’un an. Toutefois, cette limitation concernant la résidence n’est
pas applicable aux résidents de Hongkong, Macao et Taiwan, ainsi qu’aux chinois
d’outre-mer qui sont autorisés à acheter pour leur usage personnel un bien immobilier
d’une « certaine surface ». Toutefois, aucune précision n’a été apportée sur la
définition de cette surface1977. Deuxièmement, les biens immobiliers tels que les
succursales ou les bureaux de représentation des entreprises étrangères ou des
personnes physiques étrangères sont assujettis à l’usage personnel. Il en résulte que les
succursales ou les bureaux de représentation des entreprises étrangères ne peuvent 1976 V., reportage de XUE Li, « Le Ministère du Commerce resserre le contrôle sur les investissements étrangers au marché immobilier (Shangwubu yankong waishang touzi fangdichan) », le 3 mars 2007, disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/house/2007-03/23/content_5885790.htm, consulté le 26 mai 2008. 1977 La municipalité de Pékin a suspendu cette règlementation de 2007 qui imposait notamment aux étrangers de vivre à Pékin depuis plus d’un an pour pouvoir acheter un bien immobilier, à condition d’en être les occupants principaux et de n’acquérir qu’un seul bien. Ainsi, quinze mesures publiées conjointement par neuf départements locaux, dont le comité municipal de construction, la commission du développement et de la réforme, et le département des finances de Beijing, prévoient que ces restrictions concernant la résidence et les types de logement pour les acheteurs expatriés sont supprimées à Beijing pendant toute l’année 2009. V., reportage de l’Agence de presse Xinhua, « Beijing lève les restrictions sur l'achat de biens immobiliers par les étrangers », 24 janvier 2009, disponible sur le site http://www.french.xinhuanet.com/french/2009-01/24/content_804922.htm, consulté le 2 mars 2009.
632
acheter qu’un seul et unique bien immobilier pour faire office de bureau et ce bien
immobilier doit obligatoirement se situer dans le lieu d’enregistrement de la personne
morale ; de même, une personne physique ne peut acheter qu’un seul et unique bien
immobilier pour son propre usage et à son propre nom. L’achat d’un bien immobilier
pour le louer à un tiers est interdit. Malgré ces contraintes à l’acquisition des biens
immobiliers par les étrangers, une comparaison menée par des praticiens est révélatrice
du degré de libéralisation du régime chinois –par rapport à beaucoup d’autres pays
connaissant une transition économique– qui favorise une égalité nouvelle entre acteurs
locaux et internationaux au bénéfice de ces derniers1978.
Sous-section II. – La consolidation de la mise en oeuvre des garanties du
droit de propriété
640. - L’application uniforme du droit, le principe de transparence et le contrôle
judicaire des actes administratifs sont les engagements les plus fondamentaux que la
Chine a pris lors de son accession à l’OMC. Alors que ces principes sont envisagés
sous l’angle de l’administration du régime commercial, des réformes entreprises par le
gouvernement central semblent s’étendre bien au-delà du domaine commercial et
toucher l’ensemble du système juridique. Les garanties du droit de propriété peuvent
être améliorées à travers l’adoption de certaines mesures de réforme. Parmi les
mesures qui ont été récemment adoptées, il faut notamment retenir les travaux
normatifs menés par le CAE visant à assurer l’application uniforme des règles de droit
(§ 1) et qui peuvent renverser la tendance à l’atténuation des compétences législatives
en matière de droit de propriété, et ce, en réduisant la puissance du pouvoir législatif
local. De même que cette restriction apportée au pouvoir normatif local, le pouvoir
administratif se voit également encadrer par le principe de transparence (§ 2). Ce
dernier a été également accepté comme l’un des principes directeurs des organes
judiciaires qui doivent mieux remplir leur fonction consistant à apporter des recours 1978 À titre d’exemple, la Pologne maintient un régime d’autorisation pour les acquisitions de terrains par les ressortissants non communautaires et la Turquie interdit quant à elle les acquisitions par des étrangers de surfaces supérieures à 2,5 hectares. V., cabinet d’avocat Gide Loyrette Nouel, Le lettre : actualité du droit chinois, n° 21, 2007, p. 3.
633
efficaces en cas d’atteintes aux droits légalement protégés. Toutes ces mesures
traduisant différents aspects du principe de légalité sont susceptibles de constituer une
source dynamique s’agissant de la consolidation de la mise en oeuvre des garanties du
droit de propriété.
§ 1. – L’application uniforme des règles de droit
641. - Avant même qu’elle n’accède à l’OMC, la Chine fut saisie du problème de
l’application uniforme du droit. De multiples mesures furent déployées par le
gouvernement central pour répondre aux inquiétudes des membres du Groupe de
travail qui considérèrent que la multiplication des niveaux administratifs fit obstacle à
la sécurité et à la prédictibilité du marché1979. En plus du mécanisme de contrôle établi
par la loi de 2000 sur l’élaboration des normes juridiques pour assurer la
hiérarchisation du système juridique1980, le recensement des textes normatifs dirigé par
le gouvernement central semble être une solution relativement plus efficace concernant
l’application uniforme des règles de droit en privant les textes normatifs illégaux
émanant des autorités inférieures de tout effet juridique1981. Les travaux menés pour la
mise en ordre des textes normatifs (A) –qui s’inscrivent dans le contexte plus large de
la rationalisation du droit chinois– peuvent avoir une influence positive sur la
protection de la propriété (B). 1979 V., Leïla CHOUKROUNE, « L’internationalisation du droit chinois des affaires : une première évaluation des conséquences juridiques de l’accession de la Chine à l’OMC », Revue de droit des affaires internationales, n°5, 2003, pp. 510 à 512. 1980 Selon certains auteurs, la loi de 2000 sur l’élaboration des normes juridiques prévoit d’importantes modifications dans la répartition des compétences législatives entre l’autorité centrale et les autorités locales telles qu’elles sont définies par la Constitution 1982. Il en résulte que, si aucune révision constitutionnelle n’est venue institutionnaliser ces nouvelles compétences, la loi de 2000 devrait être inapplicable, parce qu’anticonstitutionnelle. V., Stéphanie BALME, « Juridicisation du politique et politisation du juridique dans la Chine des réformes (1978-2004) », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL, La Chine et la démocratie, op. cit., p. 607. 1981 Selon le gouvernement chinois, avant et après son accession, la Chine a systématiquement remanié ses lois, règlements et décrets ministériels pour les rendre conformes aux règles de l’OMC et à ses engagements d’accession. Entre la fin de l’année 1999 et la fin de l’année 2005, le gouvernement central a adopté, révisé ou abrogé plus de 2000 lois, règlements administratifs et décrets ministériels. V., OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport de la République Populaire de Chine, document précité, point 45.
634
A. – Les travaux de mise en ordre des textes normatifs
642. - Depuis 2007, la mise en ordre des règlements et des arrêtés dirigée par le
CAE (1) et celle des lois menées par l’APN (2) sont deux phénomènes relatifs aux
efforts de normalisation des textes normatifs. En effet, la prolifération des lois, des
règlements et d’autres textes normatifs n’a suscité pas moins des contradictions entre
certains textes normatifs. Le décalage entre la réforme et la législation formelle fait
aussi tomber en désuétude certains textes normatifs. Les travaux de mise en ordre, qui
font partie des efforts pour compléter la construction du système juridique chinois,
peuvent renforcer le principe de légalité selon les exigences de l’État de droit.
(1). – La mise en ordre des règlements et des arrêtés
643. - En 2007, la mise en ordre des règlements et des arrêtés (fagui guizhang qingli)
a été relancée comme constituant l’un des travaux prioritaires du gouvernement
central1982. La mission principale du CAE dans ces travaux consiste à modifier ou à
abroger les règlements qui sont en conflit avec les règles législatives d’une part, et,
d’autre part, à surveiller la mise en ordre des arrêtés par les ministères, les
commissions nationales du CAE et les autorités locales d’échelon provincial. Les
travaux de mise en ordre comportent premièrement, l’annulation des arrêtés qui sont en
conflit avec des lois ou des règlements administratifs, l’abrogation des règlements dont
les dispositions ont déjà été « remplacés » par des lois –il s’agit des cas dans lesquels
les dispositions d’un règlement adopté à titre expérimental fut assimilées à une loi
nationale ultérieurement adoptée qui traite les mêmes matières dudit règlement, et
l’abrogation des règlements et des arrêtés qui ne sont plus compatibles avec les
règlements ou les arrêtés ultérieurs. Deuxièmement, l’abrogation des arrêtés
« archaïques » désignant ceux qui deviennent sans objet ou caducs rationae temporis.
Troisièmement, la modification des articles des arrêtés qui sont en conflit avec les
normes de hiérarchie supérieure. Quatrièmement, la notification des conflits éventuels
1982 CAE, Avis sur la mise en ordre des règlements et des arrêtés, Communiqué Guobanfa (2007) 12, 25 février 2007.
635
entre les arrêtés locaux et les arrêtés ministériels au CAE pour que ce dernier tranche
les conflits en question. Selon l’indication du CAE faite en 2007, la mise en ordre des
règlements locaux et des arrêtés devrait être achevée à la fin de l’année 2007 ; les
règlements locaux, les arrêtés ministériels et locaux abrogés, annulés ou modifiés
devraient être soumis à la collection du CAE qui la publierait au cours de l’année 2008.
Par le décret n° 516 en date du 15 janvier 2008, le CAE a publié la liste des règlements
annulés ou abrogés. La publication de cette liste marque aussi la fin des travaux de
mise en ordre des règlements administratifs1983. Les travaux de mise en ordre ont
touché 13 000 règlements et arrêtés concernant l’ensemble des règlements
administratifs du CAE, les arrêtés ministériels adoptés par les ministères ou les
commissions nationales sous la direction du CAE, les règlements locaux adoptés par
les assemblées populaires locales d’échelon provincial et les arrêtés adoptés par les
gouvernements municipaux d’échelon provincial et les municipalités de grandes villes.
Selon CAO Kangtai, directeur de l’Office des affaires juridiques du CAE (guowuyuan
fazhi bangongshi), l’objectif des travaux de mise en ordre a été d’améliorer la
cohérence et la transparence des normes administratives afin de répondre à l’exigence
de soumettre les pouvoirs administratifs aux règles de droit (yifa xingzheng), ainsi que
de promouvoir la qualité des travaux réglementaires menés par le gouvernement, en
invitant les citoyens à participer à l’élaboration des règles de droit administratif1984
comme le veut la mesure de « portes ouvertes ».
(2). – La mise en ordre des lois
644. - Selon le plan de travail de la Commission des travaux législatifs du Comité
permanent de l’APN et du Comité des lois de l’APN, les mesures de mise en ordre des
lois en vigueur ont été lancées en 2008 et dureront jusqu’en 20101985. La vice-directrice
1983 CAE, Décision sur la suppression de certains règlements administratifs, décret n° 516, 15 janvier 2008. 1984 V., reportage de ZI Xiuchun, « Fagui guizhang qingli (La mise en ordre des règlements et arrêtés) », disponible sur le site http://npc.people.com.cn/GB/5528603.html, consulté le 3 juin 2008. 1985 V., reportage de YANG Weihan, « Falüwei fagongwei kaizhan dui xianxing falü qingli gongzuo (La Commission des lois et le Comité législatif de l’APN lance les travaux de mise en ordre des lois en
636
de la Commission des travaux législatifs, XIN Chunying, a bien relevé que les travaux
législatifs entrepris depuis des années par le Comité permanent de l’APN sont
parvenus à établir le cadre fondamental du système juridique chinois. Dans ce contexte,
la priorité doit se déplacer vers des travaux législatifs concernant la mise à jour des lois
déjà adoptées, que ce soit en les modifiant, en les améliorant ou en les abrogeant selon
les cas. L’objectif de mise en ordre des lois en vigueur est d’assurer la cohérence et
l’uniformité du droit chinois. En cas de besoin, la compilation des lois qui sont jugées
complètes et matures sous une forme codifiée constitue l’une des méthodes préférées
pour mette en ordre des dispositions législatives1986. Les bénéfices escomptés de la
mise en ordre des lois sont la résolution de nombreux problèmes actuels. Il s’agit de
recenser et de modifier les dispositions législatives qui sont devenues désuètes par
rapport aux circonstances actuelles, ainsi que de supprimer les conflits entre les lois qui
font obstacle à l’application des règles de droit. Il faut souligner que la mise en ordre
des lois doit s’effectuer par l’application de la loi sur l’élaboration des normes
juridiques. Cela sera peut-être de nouvelles occasions pour que les citoyens puissent
participer au contrôle des lois prévu par la loi de 2000 sur l’élaboration des normes
juridiques1987. Le recours à la loi de 2000 sera réactivé dans la pratique, ce qui
contribuera par conséquent à l’amélioration de la qualité des lois en Chine.
B. – L’influence de la mise en ordre des textes normatifs sur la
protection de la propriété
645. - La mise en ordre des textes normatifs est utile pour assurer l’application
uniforme des règles de droit relevant de la protection de la propriété, notamment par la
recentralisation des pouvoirs normatifs, étant donné que les textes normatifs issus des
autorités locales constituent souvent la cause principale des disparités concernant la vigueur) », Fazhi ribao (Legal Daily), 1er août 2008. 1986 XIN Chunying, « Lifafa he quanguorenda de lifa gongzuo (La loi sur l’élaboration des normes et les travaux législatifs du Comité permanent de l’APN) », présentation au sein du Comité permanent de l’APN et des commissions spéciales du Comité permanent de l’APN, le 30 avril 2008, disponible sur le site http://npc.people.com.cn/GB/7185505.html, consulté le 20 août 2008. 1987 ZHAI Feng, «Falü qiangli yingyu minyi tongxing (La mise en ordre des lois doit tenir compte des opinions publiques)», Jiancha ribao (Procuratorial Daily), 4 juillet 2008.
637
mise en oeuvre de la législation nationale au niveau local (1). La mise en ordre des lois
sous l’égide de l’APN pourrait initier des travaux de codification afin de mettre en
cohérence de nombreuses lois en vigueur concernant le droit de propriété (2).
(1). – La recentralisation des pouvoirs normatifs en matière de droit de propriété
646. - La mise en ordre des textes normatifs traduit la volonté du gouvernement
central de rétablir la hiérarchie du système juridique. En matière de droit de propriété,
la mise en ordre des textes normatifs peut renverser la tendance à la dilatation de la
compétence normative des autorités locales, déjà constatée en ce qui concerne la mise
en oeuvre des garanties législatives1988. Par exemple, dans la concession du droit
d’usage du sol appartenant à l’État, des arrêtés locaux avaient la capacité de faire
adopter des règles manifestement incompatibles avec les lois et les règlements
nationaux. C’était bien là la source de l’insécurité juridique pour les concessionnaires
domestiques mais aussi étrangers. Dans un cas typique de cette insécurité juridique, M.
Peter Howard CORNE a indiqué que l’arrêté municipal de Shanghaï avait bien permis
aux entreprises d’État chinoises d’apporter leurs droits d’usage du sol qu’elles avaient
obtenus à titre gratuit par une attribution de l’État, au capital d’un joint-venture, alors
que le Règlement provisoire sur la concession et l’attribution du droit d’usage du sol
appartenant à l’État adopté par le CAE exclut en principe du commerce le droit
d’usage du sol appartenant à l’État et établi par une attribution dispensée à titre
gratuit1989. La constatation des praticiens de droit a aussi illustré l’insécurité juridique
résultant de l’incompatibilité des règles locales avec les règles nationales : « il est
indispensable pour les investisseurs étrangers désirant sécuriser une exploitation
industrielle du terrain, de déterminer avec exactitude l’autorité compétente susceptible
de leur octroyer un droit d’usage concernant le terrain convoité. Or, les
gouvernements locaux, dans leur recherche permanente de fonds destiné à financer des
projets de développement et à asseoir leur politique d’attraction des investissements
1988 V., supra, n° 221 et s. 1989 Peter Howard CORNE, « Creation and application of law in China », 50 Am. J. Comp. L. 369, p. 400.
638
étrangers, ont souvent concédé à des investisseurs étrangers ou à des développeurs
chinois des droits d’usage en contradiction avec les procédures de planification
nationales, grâce à des arrangements avec les bureaux locaux d’administration des
terrains »1990. Ainsi, les travaux de mise en ordre des règlements et des arrêtés
entrepris sous l’égide du gouvernement central peuvent mettre fin à la situation dans
laquelle les investisseurs étrangers ont acquis le droit d’usage du sol grâce aux
gouvernements locaux qui eux-mêmes n’en disposaient pourtant pas à titre légal1991.
647. - Certes, il faut souligner que la mise en ordre des règlements administratifs
locaux et des arrêtés locaux a été confiée aux assemblées populaires locales et aux
municipalités compétentes. Il est donc très vraisemblable que les règlements
administratifs locaux ou les arrêtés locaux –en vertu desquels se fait la concession du
droit d’usage du sol appartenant à l’État– qui ne sont pas conformes aux normes
juridiques nationales ne soient pas volontairement écartés par les autorités locales. De
surcroît, alors que le gouvernement central encourage la participation des citoyens à la
mise en ordre des textes normatifs nationaux et locaux, les concédants et les
concessionnaires –les personnes les plus directement concernées par ces travaux– ne
veulent pas voir que le bien fondé de la base juridique de leur droit d’usage du sol est
mis en cause afin de préserver leurs propres intérêts, faute de disposer d’une garantie
avec le principe de non-rétroactivité. Il en résulte que l’incompatibilité des règles
locales avec les règles nationales peut rester toujours d’actualité, même après les
travaux de la mise en ordre des textes normatifs. Cependant, la possibilité d’annulation
des textes locaux par l’autorité centrale est bien réelle à cause de la loi de 2000 sur
l’élaboration des normes juridiques. Il est donc judicieux pour les autorités locales de
s’aligner sur les règles nationales pour obtenir le bénéfice de la sécurité juridique
concernant les transactions relatives à la concession du droit d’usage du sol et qui
entrent désormais dans le domaine de surveillance prioritaire de l’autorité centrale.
1990 Olivier DUBUIS, « Vers une clarification des conditions d’acquisition d’un terrain en Chine par les investisseurs étrangers », op. cit., p. 51. 1991 OCDE, « The OECD welcomes policy advances at China’s 2007 National People’s Congress session », disponible sur le site http://www.oecd.org/dataoecd/20/12/38309228.pdf, consulté le 3 juin 2008.
639
(2). – La prospective de codification en matière de droit de propriété
648. - En plus de la loi sur les droits réels promulguée en 2007, de nombreuses
autres lois comportent des règles de droit des biens. Par exemple, dans les principes
généraux du droit civil adoptés en 1986, le chapitre V, dans sa première section,
comporte les dispositions relatives au droit de propriété et aux droits patrimoniaux
relevant du droit de propriété. La loi sur les sûretés adoptée en 1995 comporte des
dispositions relatives aux sûretés réelles. Pour résoudre la question de savoir comment
considérer la relation entre les principes généraux du droit civil, la loi sur les sûretés et
la loi sur les droits réels, la Cour populaire suprême est en train d’élaborer un avis
d’interprétation judiciaire afin de donner les guides concernant l’application des lois du
droit des biens. Mais il ne s’agit que d’une mesure de pis-aller. Car, en plus des lois de
nature civile, le droit de propriété est aussi influencé par les dispositions législatives de
nature administrative. C’est notamment le cas du droit foncier : la loi sur
l’administration du sol, la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural, ainsi que la loi
sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines, toutes contiennent
les dispositions relatives à la concession du droit d’usage du sol et celles relatives à
l’expropriation. Les règles législatives applicables à la propriété publique prévues par
lesdites lois et une série de textes réglementaires, à laquelle s’ajoute l’élaboration du
projet de loi sur les actifs d’État1992 ne peuvent que brouiller davantage le diaporama
des sources juridiques du droit de propriété. La multiplicité et la complexité des
sources législatives exigent un travail de systématisation conséquent qui ne peut que se
réaliser dans le cadre de la mise en ordre des lois. La codification conçue comme une
compilation des normes législatives déjà existantes concernant les sujets déterminés
semble être une solution susceptible d’apporter un renfort à l’application uniforme du
droit des biens sur le plan interne.
1992 V., Comité permanent de l’APN, Le plan des travaux législatifs 2008, adopté par la 2e réunion des présidents du Comité permanent du XIe APN, le 15 avril 2008. La loi sur les actifs d’État des entreprises est promulguée le 28 octobre 2008.
640
§ 2. – L’application du principe de transparence
649. - Permettre aux informations du gouvernement d’être accessibles aux citoyens
(A) et rendre publiques les activités judiciaires des cours et des tribunaux populaires (B)
sont des mesures politiques témoignant de l’application concrète d’un principe de
transparence qui ne se cantonne plus au domaine commercial et devient favorable à
l’amélioration de la mise en oeuvre des garanties du droit de propriété.
A. – L’accessibilité des informations gouvernementales
650. - Considérant que l’instrument juridique pour la protection du droit à
l’information des citoyens est un pas vers la démocratie1993, le Règlement sur la
publication des informations gouvernementales (zhengfu xinxi gongkai) a été adopté
par le CAE le 5 avril 2007, entrée en vigueur le 1er mai 2008. Son principe est le
suivant : les gouvernements des différents échelons doivent obligatoirement rendre
accessibles, d’après les mesures adoptées par le Règlement de 2007, toutes les
informations concernant les intérêts des citoyens, des entités et des organisations
sociales, celles relevant de la participation du public et celles concernant l’organisation,
la mission et les modalités du fonctionnement des organes administratifs, ainsi que
d’autres informations dont la publication est prévue par les lois et règlements1994. Des
exceptions existent cependant, puisque les informations que détiennent les autorités
gouvernementales sont susceptibles d’échapper au principe de transparence, ainsi
celles relevant du secret d’État, du secret commercial ou de la vie privée des citoyens.
Néanmoins, les autorités gouvernementales peuvent rompre la nature confidentielle de
telles informations si l’intérêt public en exige la publication1995. Les individus, les
personnes morales et les organisations sociales ont le droit d’accéder aux informations
sur demande écrite. Il s’agit en effet d’un droit à l’information gouvernementale plus
large que la simple consultation des documents administratifs. En cas d’atteinte des 1993 BAI Jianfeng, « Transparence comme principe, confidentiel comme exception (Gongkai shi yuanze, bu gongkai shi liwai) », Quotidien du peuple (Renmin ribao), 30 avril 2008. 1994 V., article 9 du règlement sur la publication des informations gouvernementales. 1995 V., article 14, alinéa 4 du règlement sur la publication des informations gouvernementales.
641
autorités administratives au droit d’accès à l’information, les individus, les personnes
morales et les organisations sociales concernées peuvent demander une révision
administrative ou intenter un litige administratif devant les tribunaux populaires1996.
Ledit Règlement précise également les formes, les modalités et le respect de
calendriers relatifs à la publication des informations gouvernementales. Selon le
Règlement de 2007, les informations gouvernementales concernant la mise en oeuvre
des garanties du droit de propriété sont donc accessibles aux citoyens (1). Avec
l’adoption en 2007 de la loi sur la planification urbaine et rurale, l’application du
principe de transparence s’étend désormais à l’élaboration des plans urbain et rural en
introduisant la phase d’enquête menée auprès de l’opinion publique (2).
(1). – Les informations gouvernementales concernant la mise en oeuvre des garanties
du droit de propriété
651. - L’utilité du principe de transparence à la protection du droit de propriété a été
soulignée par certains auteurs. Ainsi, Pitman B. POTTER a constaté que l’application
du principe de transparence exige la clarification de l’administration du droit d’usage
du sol, notamment en ce qui concerne les règles d’enregistrement des droits
immobiliers, et celles relatives à l’exercice et la disposition du droit d’usage du sol ; en
matière de propriété intellectuelle, le principe de transparence exige que les titulaires
des droits de propriété intellectuelle se voient davantage conférer un droit d’accès aux
voies de recours afin de faire respecter leurs droits1997. Cependant, il faut constater que
le Règlement de 2007 énumère de manière plus précise, outre les règles générales
définissant l’étendue des informations auxquelles s’applique le principe de
transparence, les informations « clés » qui doivent être publiées d’office en temps utile
par les autorités gouvernementales de différents échelons ou sur la demande des
citoyens. L’énumération des informations clés traduit bien l’intention qu’a le
gouvernement central de mieux répondre aux attentes actuelles des citoyens dans de
1996 V., articles 20, 33 du règlement sur la publication des informations gouvernementales. 1997 Pitman B. POTTER, « The legal implications of China’s accession to the WTO », The China Quarterly, 2001, p. 605.
642
nombreux domaines où leurs droits et leurs intérêts sont en jeu. Parmi les informations
clés figurent celles qui ont plus ou moins trait à l’exercice du droit de propriété,
notamment à propos des travaux publics, des mesures d’expropriation et de
planification urbaine, etc. Selon le Règlement de 2007, les gouvernements locaux
appartenant aux échelons du district ou supérieurs doivent rendre public dans le délai
déterminé les autorisations et les exécutions des projets relatifs aux travaux de
construction. Les municipalités qui se divisent en arrondissement et les gouvernements
de district doivent rendre public les informations en matière d’expropriation ou de
réquisition, de démolition des bâtiments dans des zones urbaines, ainsi qu’en ce qui
concerne la distribution et l’utilisation des indemnités et des subventions. Les cantons
et communes doivent rendre publics les mesures de planification générale de
l’utilisation du sol et d’utilisation du sol collectif pour la construction d’habitations des
paysans, ainsi que le montant des ressources, des dépenses budgétaires et les fonds
spéciaux qui comportent, entre autres, les primes concernant la concession du droit
d’usage du sol public1998. La transparence des mesures gouvernementales peut être
appréciée car elle apparaît comme une limite imposée à l’autorité compétente quant à
l’administration et la gestion du sol public, notamment en ce qui concerne la gestion
des primes de la concession du droit d’usage du sol qui constituent autant de sources
financières permettant d’indemniser les personnes concernées par des mesures
d’expropriation1999. À cet égard, l’adoption dudit Règlement de 2007 traduit la volonté
du gouvernement central de fournir aux citoyens un instrument par lequel ils peuvent
désormais exercer plus efficacement leur droit à l’information, ce qui permet par
conséquent la mise en place d’une surveillance par le peuple des mesures prises par les
membres du gouvernement local en matière d’expropriation2000. L’application du
principe de transparence est utile pour prévenir les détournements des fonds spéciaux
destinés aux indemnisations en cas d’expropriation, d’autant plus que l’illégalité de la 1998 Articles 10, 11 et 12 du Règlement sur la publication des informations gouvernementales. 1999 Wu Ruidong, « Les mille milliards de primes pour la concession du droit d’usage du sol étatique devraient être rendues public (Wanyi tudi shiyongquan churangjin tongtu yingyang gongzhong gongkai)», China Youth Daily (Zhongguo qingninabao), 23 avril 2008, p. 7. 2000 V., reportage sur l’interview du responsable de l’Office des travaux législatifs du CAE concernant certaines questions relatives au règlement de la publication des informations gouvernementales, disponible sur le site http://www.gov.cn/zwhd/2007-04/24/content_593213.htm, consulté le 4 juin 2008.
643
gestion des ressources financières provenant de la concession du droit d’usage du sol
étatique et de l’utilisation des primes de la concession du droit d’usage du sol à
l’indemnisation a été une situation préoccupante d’après les conclusions de l’enquête
menée par le Bureau National d’Audit2001.
(2). – L’extension du principe de transparence à la planification urbaine et rurale
652. - La planification urbaine et rurale entretient une relation importante avec le
droit foncier dans la mesure où l’attribution à titre gratuit du droit d’usage du sol, la
concession du droit d’usage du sol étatique, l’expropriation du sol collectif,
l’aménagement territorial ainsi que les travaux publics qui peuvent directement
concerner l’exercice des droits immobiliers par les citoyens –le cas par excellence étant
la démolition des bâtiments dans le cadre du renouvellement urbain–, sont encadrés
dans les plans urbain et rural. La loi de 2007 sur la planification urbaine et rurale
distingue le plan systématique2002, le plan urbain, le plan de la commune, le plan du
canton rural, et le plan du village en fonction des divisions territoriales administratives,
tout en établissant le régime d’approbation du plan local d’une autorité inférieure par
une autorité supérieure. Le plan urbain et le plan de la commune se subdivisent en plan
général et en plan détaillé en fonction de leurs objets d’orientation ou de la nature des
opérations en question. La participation publique à l’élaboration des plans urbain et
rural a été affirmée comme un principe selon lequel l’avis public doit être sollicité
avant que le plan ne soit approuvé par l’autorité supérieure. L’enquête publique peut
prendre diverses formes telles que la conférence d’expertise, l’audience publique ou
d’autres moyens de communication pour faire entendre les opinions des experts ou des
personnes concernées. Un préavis doit être publié au moins trente jours avant la tenue
de l’enquête publique ; les autorités qui dirigent l’élaboration du plan doivent indiquer,
dans le dossier présenté à l’autorité supérieure pour l’approbation, les informations
2001 Office national d’audit, Résultat de l’audit sur les primes de la concession du droit d’usage du sol étatique, Communiqué n° 4, 4 juin 2008. 2002 Le plan systématique concernant l’ensemble du territoire national est rédigé par le CAE, le plan systématique sur le territoire provincial est rédigé par le gouvernement provincial qui est soumis à l’approbation du CAE. V., articles 12 et 13 de la loi 2007 sur la planification urbaine et sociale.
644
concernant la réception des avis du public et les explications de motifs2003. Il faut
cependant insister sur un point. Alors qu’en vertu de la loi de 2007 sur la planification
urbaine et rurale, le résultat de l’enquête publique n’est pas décisif à l’adoption du plan,
une exception importante est cependant prévue à l’égard du plan du village : l’article
22 de la loi de 2007 dispose sans équivoque que le plan du village doit être
préalablement soumis au consentement du comité des villageois ou des représentants
des villageois, avant d’être soumis à l’approbation de l’autorité supérieure.
653. - La participation du public à l’élaboration des plans urbain et rural est un
progrès concernant le respect du principe de transparence, étant donné qu’auparavant
la rédaction du plan était pratiquement considérée comme relevant du secret et ne
donnait une opportunité de participation qu’aux promoteurs immobiliers. Ce fait a été
l’origine de nombreuses opérations inéquitables 2004 . Certes, la participation des
citoyens dans le cadre des enquêtes publiques n’a pas abouti à soumettre totalement les
mesures de planification des autorités locales à l’approbation de l’opinion publique,
puisque l’adoption du plan dépend au final de l’approbation de l’autorité supérieure.
Mais cela ne revient pas pour autant à dire que la participation publique joue un rôle
négligeable dans la pratique. En témoigne le projet de construction dans la ville de
Xiamen d’installations industrielles fabricant des produits chimiques. Ce projet fut gelé
au motif de la nuisance à l’environnement et à la santé des habitants locaux. Dans cette
affaire, les habitants locaux estimaient que le projet de construction présenterait une
menace pour leur santé et leur sécurité en raison de la nature dangereuse des produits
chimiques, et ainsi ont manifesté leur objection en mobilisant les députés de la
conférence consultative politique locale du peuple chinois. La municipalité de Xiamen
fut sensibilisée par la manifestation du mécontentement des habitants locaux et
suspendit la poursuite de la réalisation du projet2005. On observe que l’affaire relève
non seulement d’un mouvement du peuple au niveau local pour la protection de
2003 V., article 26 de la loi sur la planification urbaine et rurale. 2004 V., Gregory M. STEIN, « Acquiring land use rights in today’s China: a snapshot from on the ground », 24 UCLA Pac. Basin L.J. 1, p. 47. 2005 V., reportage de GUO Hongpeng, « Le gouvernement est contraint d’adopter la décision démocratique par le projet PX (PX xiangmu ‘bi’ zhengfu zou minzhu juece lu) », disponible sur le site http://env.people.com.cn/GB/6682468.html, consulté le 10 juin 2008.
645
l’environnement mais aussi de la planification urbaine, car le projet de construction des
installations industrielles chimiques s’inscrit dans le cadre du plan urbain de la
municipalité de Xiamen, puisque ce projet fut conçu comme un élément essentiel des
stratégies locales de développement économique. Il est intéressant d’observer que les
habitants de cette localité furent informés des détails du projet de construction par un
SMS dont l’auteur est toujours inconnu. Avec l’entrée en vigueur de la loi de 2007 sur
la planification urbaine et rurale, les citoyens auront d’avantage accès aux informations
et par conséquent auront plus de facilité pour mener des actions dans le but de protéger
leurs droits et leurs intérêts propres. À cet égard, la participation publique à
l’élaboration des plans urbains et ruraux offre un nouvel instrument dans le cadre de la
lutte pour la reconnaissance de droits politiques et sociaux, y compris bien entendu le
droit de propriété.
B. – Le renforcement de la transparence des activités judiciaires
654. - Pour répondre à la politique du PCC relative à la construction d’une société
harmonieuse2006, la Cour populaire suprême a adopté des avis directeurs concernant la
transparence des activités judiciaires en 20072007. L’objectif est de rendre perceptible
l’efficacité de la justice et de recueillir la confiance populaire en l’autorité judiciaire.
Une série de mesures visant à concrétiser davantage la transparence du traitement des
contentieux par les cours et les tribunaux de différents échelons est en cours
d’élaboration (1). Mais il reste à nuancer l’utilité de ces mesures concernant la mise en
oeuvre des garanties du droit de propriété (2).
(1). – Les mesures pour renforcer la transparence du traitement des contentieux
2006 Cf., Comité central du PCC, Résolution sur la construction d’une société d’harmonie socialiste (Zhonggong zhongyang guanyu goujian shehui zhuyi hexie shehui ruogan zhongda wenti de jueding), 11 octobre 2006, 6 session plénière du XVIe du PCC. 2007 Cf., Cour populaire suprême, Avis de ligne directrice sur le renforcement de la transparence des activités judiciaires des tribunaux (Guanyu jiaqiang renmin fayuan shenpan kongkai gongzuo de ruogan yijian), 4 juin 2007.
646
655. - La transparence des activités judiciaires est une notion plus large que celle
contenue dans le principe de publicité. Mais cette transparence exige que le principe de
publicité soit plus strictement respecté dans le traitement des affaires judiciaires par les
tribunaux et les cours populaires. Selon l’avis directeur de la Cour populaire suprême,
les procédures judiciaires doivent être ouvertes au public en vertu de la loi, en temps
utile et sans réservation, pour répondre au besoin de la protection du droit à
l’information des parties au contentieux2008. L’avis directeur a précisé davantage les
règles relatives aux sessions publiques. Les juges sont obligés de mieux expliquer leurs
motifs concernant les décisions qu’ils ont prises dans des affaires concrètes ; la
couverture médiatique du déroulement des affaires est possible avec l’autorisation des
cours supérieures de niveau provincial ; les cours et tribunaux doivent organiser
l’audience publique afin de résoudre les problèmes où les procédures applicables ne
sont pas clairement prévues par la loi, afin de mieux respecter les droits et les intérêts
des parties. L’avis directeur a proposé que les procédures devant les cours et tribunaux
locaux soient enregistrées par des outils audiovisuels afin de permettre leur
consultation par les parties aux affaires. Selon l’avis directeur, les juges doivent
prendre soin de l’ « image » –expression utilisée par l’autorité chinoise pour décrire la
réputation de la justice– en respectant la déontologie exigée par leur fonction. Comme
la canalisation des griefs et des mécontentements des citoyens est l’une des fonctions
imparties aux organes judiciaires chinois2009, le principe de transparence des activités
judiciaires est un moyen permettant aux citoyens de mieux exercer leur droit à un
procès judiciaire équitable et de réduire le caractère discrétionnaire du fonctionnement
des organes judiciaires. Toutefois, dans un contexte où les bornes imposées à la
compétence et aux pouvoirs de l’autorité judiciaire ne sont pas encore
significativement levées, l’effectivité du principe de transparence ne peut qu’être
compromise dans la pratique. D’autant plus que l’avis directeur s’agit simplement d’un
document d’orientations dont la mise en oeuvre incombe aux cours et tribunaux locaux
en fonction de leurs capacités concrètes.
2008 V., XIAO Yang, Rapport d’activités de 2007 de la Cour populaire suprême, présenté devant la première session plénière de la XIe APN, 10 mars 2008. 2009 V., Benjamin L. LIEBMAN, « China’s courts: restricted reform », 21 Colum. J. Asian L. 1, p. 34.
647
(2). – L’utilité de la transparence judiciaire et sa limite concernant la mise en oeuvre du
droit de propriété
656. - L’utilité de la transparence des activités judiciaires est relativement plus
pertinente quant à la protection des droits de propriété intellectuelle au regard des
exigences de l’Accord sur les ADPIC. En effet, le principe de transparence est prévu
par l’article 63 de l’Accord sur les ADPIC selon lequel non seulement les lois et
règlements, mais aussi les décisions judiciaires doivent être publiés ou mis à la
disposition du public2010. Cette exigence de publication des décisions judiciaires est
considérée comme inhérente aux obligations générales de faire respecter les droits de
la propriété intellectuelle. Ainsi, « les Membres feront en sorte que leur législation
comporte des procédures destinées à faire respecter les droits de propriété
intellectuelle (...), de manière à permettre une action efficace contre tout acte qui
porterait atteinte aux droits de propriété intellectuelle couverts par le présent accord
(...) »2011. C’est ce but –« permettre une action efficace »– qui exige la publication en
temps utile des décisions judiciaires2012. Or, en réalité, le traitement des affaires
relatives aux atteintes aux droits de propriété intellectuelle est largement critiqué pour
son manque de transparence, au motif qu’en état actuel, les décisions judiciaires en
Chine ne sont pas systématiquement publiées et qu’ainsi les titulaires des droits de
propriété intellectuelle se heurtent souvent à des difficultés concernant l’accès aux
informations utiles sur le recours judiciaire2013. La publication des décisions judiciaires
est particulièrement importante pour les titulaires des droits de propriété intellectuelle
des pays de common law où les décisions judiciaires peuvent être considérées comme
une source de droit. Mais la publication des décisions judiciaires en Chine –selon le
principe de transparence de l’Accord sur les ADPIC, mais aussi en tant qu’elle est
exigée par l’avis directeur de la Cour populaire suprême– se révèle même utile pour les
2010 V., article 63, para. 1er de l’Accord sur les ADPIC. 2011 V., article 41, para. 1er de l’Accord sur les ADPIC. 2012 V., Thomas E. VOLPER, « TRIPS enforcement in China: a case for judicial transparency », 33 Brook. J. Int’l L. 309, pp. 332, 333. 2013 V., Daniel C. K. CHOW, A primer on foreign investment enterprises and protection of intellectual property in China, Kluwer Law International, 2002, pp. 212, 213.
648
titulaires des droits de propriété intellectuelle qui entendent faire respecter leurs droits
par le recours juridictionnel. Car la transparence des activités judiciaires est favorable à
la prévisibilité des actions juridiques pour la protection des droits de propriété
intellectuelle, comme du droit de propriété au sens large.
657. - L’un des objectifs de l’avis directeur de la Cour populaire suprême est de
rétablir la réputation ou la « bonne image de la justice », tout en exigeant des juges
qu’ils respectent mieux la déontologie de la justice en ce qui concerne leur
comportement et le prestige de leur fonction. En se penchant sur la performance des
juges, l’avis directeur de la Cour populaire suprême a révélé d’une certaine manière le
problème de la crise de confiance que traverse le peuple concernant la fiabilité de
l’autorité judicaire. L’intention de la Cour populaire suprême est de combattre la
corruption des juges par le renforcement des sanctions disciplinaires. Il est vrai que la
lutte contre la corruption peut aider à supprimer les obstacles aux droits des citoyens à
l’accès à la justice2014 et d’ailleurs, les mesures disciplinaires ont prouvé leur efficacité
dans la pratique. Il ne faut toutefois pas négliger le fait que l’intervention de l’autorité
administrative dans le traitement des affaires et le manque d’indépendance des juges
sont aussi les deux causes de la corruption judiciaire2015. L’instrumentalisation de
l’autorité judiciaire par les gouvernements locaux, qui s’illustre par excellence avec le
soutien qu’apportent les tribunaux locaux à l’exécution forcée des projets de
démolition des bâtiments dans des zones urbaines, ne peut qu’entraîner le
mécontentement des citoyens à l’endroit de l’autorité judiciaire. Il en résulte que le
manque d’indépendance de l’autorité judiciaire –qui se traduit concrètement par la
limitation de la compétence et du pouvoir des juges dans le traitement des contentieux
relatifs au droit de propriété– constitue l’obstacle principal à la bonne marche des
mesures visant à renforcer la transparence des activités judiciaires. Il est donc
souhaitable que le renforcement de la transparence des activités judiciaires se tourne
2014 V., C. Raj KUMAR, « Corruption, development and good governance: challenges for promoting access to justice in China », 16 Mich. St. J. Int’l L 475, p. 490. 2015 V., Mei Ying GECHLIK, « Judicial reform in China: Lessons from Shanghai », 19 Colum. J. Asian L. 97, p. 133; aussi, Randall PEERENBOOM, « What we have learned about law and development? Describing, predicting and assessing legal reforms in China », 27 Mich. J. Int’l L. 823, p. 859.
649
vers l’élargissement de la compétence et la consolidation des pouvoirs du juge en
Chine.
SECTION II. – LES PRATIQUES PROBLÉMATIQUES DANS LA PRISE EN
COMPTE DES NORMES INTERNATIONALES DES DROITS DE L’HOMME
658. - La mise en oeuvre des normes internationales des droits de l’homme en Chine
se caractérise par un certain pragmatisme. Par son approche sélective concernant
l’adhésion à deux Pactes internationaux de droits de l’homme (Sous-section 1), la
Chine s’est contentée d’apporter des améliorations sur la garantie des droits
économiques, sociaux et culturels, au détriment des droits civils et politiques. En plus
de la méconnaissance de l’indivisibilité des droits, le fait que la Chine maintienne
l’application complètement autonome des droits proclamés par les instruments
internationaux de droits de l’homme dans l’ordre juridique interne constitue aussi la
cause principale des problèmes que rencontre dans la pratique la protection de la
propriété (Sous-section 2).
Sous-section 1. – L’approche sélective dans l’adhésion aux Pactes
internationaux portant sur la Déclaration universelle des droits de l’homme
659. - Sans avoir ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la
Chine demeure sélective dans la mise en oeuvre sur le plan interne des droits
proclamés par la Déclaration universelle de 1948. Il est vrai que la Chine a fait bien
des progrès dans le domaine des droits économiques et sociaux2016. Elle a surtout réussi
à réduire la pauvreté de manière plus remarquable que ne l’ont fait d’autres pays en
voie de développement. Ce constat semble favorable à la réalisation du droit à la
propriété. Pourtant, il reste à analyser l’effet pervers de l’approche sélective concernant
la protection de la propriété qui se situe au confluant des droits civils et politiques 2016 V., PNUD, Beyond scarcity: power, poverty and water crisis, Human development report 2006, les statistiques concernant la Chine sont disponibles sur le site http://hdr.undp.org/hdr2006/statistics/countries/data_sheets/cty_ds_CHN.html, consulté le 14 décembre 2006.
650
d’une part et d’autre part des droits économiques, sociaux et culturels. Car si les droits
civils et politiques ne sont pas garantis dans une société démocratique, la jouissance
des droits économiques, sociaux et culturels ne peut pas non plus être rassurée2017. Il en
est ainsi du droit au logement, qui est typiquement considéré comme étant « le noyau
intangible d’un droit social »2018 et qui continue à pâtir de l’insuffisance des garanties
juridiques, alors même que les pratiques gouvernementales se sont améliorées (§ 1).
Sur un plan plus général, la distinction artificielle des droits de l’homme est renforcée
par la non ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et met
les incompatibilités du droit chinois avec le PIDCP à l’abri d’un éventuel contrôle
extérieur (§ 2). D’où la précarité de la propriété comme droit de l’homme à l’égard de
ses garanties juridiques.
§ 1. – Le changement des pratiques dans la prise en compte du droit au
logement proclamé par le PIDESC
660. - Face aux critiques venant de la communauté internationale et qui reprochent
aux pratiques gouvernementales de méconnaître le droit au logement dans le processus
de renouvellement urbain s’accompagnant de travaux préparatifs à de grands
événements2019, la réponse du gouvernement chinois consistait dans un premier temps
à nier le bien-fondé de ces « accusations » sur la violation des droits proclamés par la
PIDESC. Lors d’une conférence de presse, la porte-parole du Ministère des Affaires
Étrangères indiqua que depuis 2002, la construction pour les jeux de Pékin de neuf des
principaux stades impliquant la destruction de 6 037 foyers ne souleva aucune
objection de la part des habitants concernés étant donné leur soutien au projet des Jeux
Olympiques et qu’aucun d’entre eux ne fut forcé de quitter la capitale chinoise2020. Si
2017 V., Amartya SEN, Development as freedom, Oxford University Press, 1999, p.178. L’auteur observe que la famine n’a jamais eu lieu dans la société démocratique libérale, confirmant ainsi l’indivisibilité entre les droits civils, politiques d’une part et d’autre part les droits économiques, sociaux et culturels. 2018 V., Marco BORGHI, « La détermination juridique du noyau intangible d’un droit social : le droit au logement », in Patrice MEYER-BISCH (éd.), Le noyau intangible des droits de l’homme, Éditions Universitaires Fribourg Suisse, 1991, pp. 125 à 138. 2019 V., supra, n° 565 et s. 2020 Agence de presse Xinhua, « Pas d’expulsion forcée pour les Jeux Olympiques, selon une
651
cette réponse diplomatique était peu crédible, il faut souligner que le gouvernement
municipal de Pékin a bien ajusté ses mesures concernant la démolition des bâtiments
d’habitation pour le renouvellement urbain, ce qui reflète l’intention du gouvernement
chinois de prendre en considération des normes internationales, quoique de manière
limitative et conjoncturelle, et ce, afin d’apaiser les mécontentements et les critiques.
L’introduction de la phase de concertation publique semble être une avancée dans les
pratiques d’expropriation pour l’intérêt public (A). Encore faut-il souligner la limite
que rencontre cette avancée et qui doit être dépassée par des mesures de réforme (B).
A. – L’introduction de la phase de concertation publique dans la
procédure de démolition
661. - En l’absence des règles de droit définissant les formes de la concertation
publique, le scrutin de vote fut utilisé dans la pratique comme le moyen pour solliciter
les opinions des habitants concernés par la démolition des bâtiments dans des zones
urbaines (1). La valeur juridique de cette forme de concertation publique demeure
toutefois incertaine (2).
(1). – La concertation publique sous forme de scrutin effectué auprès des habitants
662. - En même temps que se poursuivit la construction des stades pour les Jeux
Olympiques de 2008, des programmes de renouvellement urbain se réalisèrent à Pékin.
Parmi les programmes de renouvellement urbain, le projet de la démolition des
bâtiments d’habitations anciennes dans le quartier du Jiuxianqiao fut le plus médiatisé,
non seulement à cause de l’envergure du programme –plus de 5 400 foyers seraient
déplacés– mais surtout du fait que le gouvernement du district du Chaoyang dans la
juridiction de laquelle se trouve le quartier s’attacha à introduire la phase de
concertation publique dans la procédure de démolition sous diverses formes de
participation en vue de permettre aux habitants du quartier d’exprimer leurs opinions,
porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères », 6 juin 2007, disponible sur le site http://french.china.org.cn/news/txt/2007-06/06/content_8349676.htm, consulté le 21 juin 2007.
652
notamment en ce qui concerne le critère de l’indemnisation. Dans cette affaire, un an
après l’annonce du projet de démolition en 2006, des « négociations » entre le
promoteur immobilier et les habitants du quartier débouchèrent sur l’augmentation
significative du montant des indemnités. Mais les habitants n’arrivèrent pas à l’accord
en ce qui concerne l’indemnisation et par conséquent sur l’exécution du projet de
démolition. Pour sortir de l’impasse, le gouvernement du district du Chaoyang organisa
pour la première fois un scrutin pour déterminer si le projet de démolition seraut ou
non exécuté d’après l’opinion majoritaire des foyers. Le scrutin eut lieu en juin 2007 et
le résultat révéla que plus de 60% des foyers soutinrent le projet de démolition2021.
Néanmoins, deux mois après le scrutin, le gouvernement du district du Chaoyang
adopta une décision selon laquelle le projet de démolition serait reporté pour un an
jusqu’au mois d’août 2008, et ce, sans fournir la moindre explication2022. Cela amène à
la discussion sur la valeur juridique du scrutin comme forme concrète de la
concertation publique dans les procédures des travaux publics.
(2). – La valeur juridique du scrutin comme forme concrète de la concertation publique
663. - Alors même que pour le gouvernement du district du Chaoyang l’opinion
majoritaire des habitants du quartier doit être prise en compte, le critère de la majorité
n’a pas été préalablement indiqué. Dans l’hypothèse où la majorité des habitants serait
contre le projet de démolition, la réponse à la question de savoir si le projet est
définitivement abandonné n’est pas claire non plus. Dans cette dernière hypothèse, le
refus du projet de démolition en tant que résultat du scrutin des habitants mettrait en
cause le pouvoir décisionnaire du gouvernement local en matière de démolition et de
déplacement des foyers. Il faut rappeler qu’en vertu du Règlement d’administration sur
2021 V., reportage de ZUO Ying, « Jiuxianqiao weigai jumin toubiao jieguo gongbu : 60% zancheng weigai chaiqian (Selon le résultat du scrutin des foyers dans le quartier de Jiuxianqiao, 60% des foyers sont pour le projet de démolition) », Beijing wanbao (Beijing Evening News), disponible sur le site http://www.chinanews.com.cn/sh/news/2007/06-12/955858.shtmlle 22 juin 2007. 2022 V., reportage BAI Jiege, ZUO Lin, « Beijing jiuxianqiao chaiqian zaidu yanhou yinian (La démolition du quartier de Jiuxianqiao à Pékin a été encore retardée pour un an) », Xinjingbao (The Beijing News), 29 août 2007.
653
la démolition des bâtiments dans des zones urbaines, les promoteurs immobiliers
doivent, avant de pouvoir procéder à l’exploitation foncière qui exige la démolition des
bâtiments d’habitations existants, constituer leur dossier devant les départements
gouvernementaux compétents afin d’obtenir les autorisations gouvernementales, y
compris l’autorisation sur la démolition des bâtiments construits sur les terrains
concernés, délivrée sous forme de permis de démolir par le département de
construction auprès du gouvernement local. Toutefois, ledit Règlement n’exige pas,
comme condition préalable à la délivrance des autorisations, que l’accord soit établi
entre les habitants et les promoteurs immobiliers. Il est possible que le gouvernement
local admette, par la délivrance du permis de démolir et des autorisations
administratives, le projet de démolition entrepris par les promoteurs immobiliers, alors
que les habitants concernés refusent a posteriori le projet dans la phase de concertation
publique concrètement par la voie du scrutin de vote. L’introduction de la phase de
concertation publique dans la procédure fait naître la question de savoir comment
concilier l’autorisation gouvernementale et l’opinion publique s’exprimant dans la
concertation. Dans l’affaire de Jiuxianqiao, la valeur juridique du scrutin fut ainsi mise
en cause. Un officier gouvernemental affirma que la démolition des bâtiments pauvres
du quartier du Jiuxianqiao s’inscrit dans le renouvellement urbain dirigé par la
municipalité de Pékin afin d’assurer le confort des habitants concernés, et qu’il ne
s’agit donc pas d’un projet d’exploitation foncière pour but commercial initié par des
promoteurs immobiliers2023. Cela veut dire qu’il n’aurait pas de possibilité pour
qu’avorte le projet de démolition dont la mise en oeuvre n’est plus qu’une question de
temps. Il semble par conséquent que le scrutin fut purement consultatif pour
l’amélioration du programme de renouvellement urbain. Mais le caractère consultatif
du scrutin n’empêche pas que le critère de l’indemnisation fixé par l’initiateur de
l’expropriation soit soumis à l’épreuve de la concertation publique par laquelle les
habitants peuvent exprimer leur mécontentement et faire augmenter les indemnités en
faisant pression sur la personne à l’origine de l’expropriation ainsi que sur le
2023 V., reportage de ZUO Ying, « Jiuxianqiao weigai jumin toubiao jieguo gongbu : 60% zancheng weigai chaiqian (Selon le résultat du scrutin des foyers du quartier de Jiuxianqiao, 60% des foyers sont pour le projet de démolition) », précité.
654
gouvernement local.
B. – Les limites du changement des pratiques
664. - En l’état actuel, l’introduction de la phase de concertation publique dans
l’exécution du projet de démolition des bâtiments dans des zones urbaines n’est qu’une
avancée dans la pratique. L’utilité de la concertation publique sous forme de scrutin
tient en ce que la question reste ouverte de savoir comment concilier l’opinion
publique et le projet d’expropriation arrêté par le gouvernement local (1). Comme le
résultat de scrutin est de nature purement consultative, il s’ensuit que l’utilité de la
concertation publique reste largement assujettie aux décisions changeantes de l’autorité
publique, liées à la conjoncture. C’est aussi une manière pour lui de gagner du temps
face à la pression que font peser sur lui les critiques tant intérieures qu’extérieures (2).
(1). – La limite de l’utilité de la concertation publique par le scrutin
665. - L’affaire de Jiuxianqiao démontre que les critiques de la communauté
internationale ne sont pas sans incidence sur les mesures prises par le gouvernement
chinois en matière de démolition de logements et de déplacement des habitants.
L’expérience du gouvernement du district du Chaoyang peut être une indication sur le
sens que prendront ultérieurement les pratiques gouvernementales, incluant enfin la
participation des citoyens dans la procédure de décision. L’affaire de Jiuxianqiao a été
considérée comme un progrès de la démocratisation des décisions gouvernementales,
et a par conséquent suscité des débats à propos des limites de la concertation publique
sous forme de scrutin2024. À cet égard, il faut d’abord souligner que si l’opinion des
habitants doit être respectée dans la mesure où le droit fondamental de l’homme à un
logement est mis en cause par des mesures de démolition, le changement de pratique
du gouvernement n’est pas allé jusqu’à reconnaître la valeur décisive du scrutin dont le
2024 V., reportage « Qiufeng, Yangyongheng tan beijing jiuxianqiao ‘toupiao chaiqian’ (Propos de QIU feng et YANG Yongheng sur ‘la démolition par scrutin’ dans l’affaire de Jiuxianqiao pékin) », disponible sur le site http://www.people.com.cn/GB/32306/54155/57487/5874618.html, consulté le 10 juin 2008.
655
résultat est susceptible de déterminer l’exécution ou l’abandon d’un projet de
démolition. En l’état actuel, le scrutin peut s’assimiler à un processus de négociation
entre les expropriés et l’initiateur des mesures d’expropriation, qui n’a qu’une
influence limitée à la fixation du montant des indemnités. D’autre part, le scrutin n’est
pas à l’abri des reproches de type « tyrannie de la majorité » dans la mesure où il n’est
pas convaincant que l’opinion majoritaire l’emporte sur le droit à l’indemnisation des
individus minoritaires qui réclament des indemnités d’un montant plus élevé que celles
acceptées par la majorité, si par principe tous les habitants sont égaux dans l’exercice
du droit de propriété concernant leur logement. Enfin, il existe une question
incontournable sur le rôle du scrutin dans la démolition des habitations non justifiée
par l’intérêt public. Dans l’affaire de Jiuxianqiao, le scrutin était de nature consultative
étant donné que la démolition des habitations a été inscrite dans le projet de
renouvellement urbain mené par la municipalité de Pékin au nom de l’intérêt général,
alors qu’il existe bien d’autres cas où la démolition des habitations est visée par le
projet d’exploitation foncière entrepris par les promoteurs immobiliers pour but
commercial. Dans cette situation, la démolition des habitations ne se justifie pas par
l’intérêt public. Le principe de libre consentement doit gouverner la procédure de
démolition, et par conséquent, si le scrutin est mis en oeuvre, il doit être décisif. Certes,
la distinction entre les deux caractères distincts du scrutin suppose d’établir une
distinction préalable entre la démolition des bâtiments pour l’intérêt public et celle qui
ne l’est pas. Faute d’intervention effective des autorités judiciaires, la détermination
concernant la justification d’intérêt public demeure soumise à la compétence des
gouvernements locaux. L’utilité du scrutin ne peut donc qu’être réduite, d’autant plus
que des gouvernements locaux ont une attitude complaisante vis-à-vis des promoteurs
immobiliers en leur prêtant des visas d’intérêt public.
(2). – La limite du motif de l’intérêt public mis en avant par le gouvernement dans le
changement de pratique
666. - S’il est vrai que la Chine ne peut plus raisonnablement résister aux pressions extérieures
qui sont fondées –d’autant plus qu’elle veut s’intégrer à la communauté internationale qui reconnaît
656
la valeur universelle de certaines règles de droit– il est important d’observer que le changement de
pratique dans les procédures de démolition sur fond de renouvellement urbain constitue une
réponse conjoncturelle. Il est intéressant de noter que le Centre pour le droit au logement se déclare
contre les expulsions et lance un appel selon lequel les instances qui dirigent l’organisation des
« méga-événements » doivent être tenues de respecter le droit au logement comme condition
préalable dans le processus de sélection des villes candidates pour l’accueil des Jeux Olympiques,
et qu’ainsi il faudrait garantir que les conditions requises sont satisfaites en imposant au besoin des
sanctions ou en rejetant la candidature de la ville qui méconnaît le droit au logement ou commet
des abus le concernant. D’autre part, « les partenaires officiels et les autres entités impliquées dans
un “méga-événement” peuvent respecter et promouvoir le droit au logement, dans les limites de
leur sphère d’activité et d’influence, et par principe ne doivent pas parrainer ou s’impliquer dans
un projet qui viole les règles du droit au logement ou en abuse »2025. On a constaté que le Comité
International Olympique qui s’est efforcé d’éviter une discussion sur les droits de l’homme avec la
Chine, a pourtant débattu de la question avec le Centre pour le droit au logement et contre les
expulsions ainsi qu’avec le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit au logement afin de
mieux comprendre l’influence des Jeux et fournir au gouvernement chinois des ébauches de
solution2026. Dans ces circonstances, le gouvernement chinois devrait agir avec prudence, afin de
ne pas s’exposer à une situation épineuse. Cependant, les constatations internationales concernant
les pratiques mettant en cause le droit de propriété se distinguent du contrôle supranational qui
détient un pouvoir contraignant dans la mesure où le gouvernement chinois manifeste toujours sa
bonne volonté pour déboucher sur une amélioration de la situation, même si elle est partielle et
mise en oeuvre à titre expérimental afin d’apaiser les critiques extérieures. Dans l’affaire de
Jiuxianqiao, la participation des habitants dans la procédure de démolition n’était qu’un premier
pas dans le cheminement des réformes qui reste à être institutionnalisé par la législation. En l’état
actuel, le droit chinois n’a pas formellement reconnu le principe de participation des habitants, ni le
scrutin de vote dans la procédure de démolition et de déplacement des foyers. La phase de
consultation des habitants n’étant pas obligatoire, les gouvernements locaux peuvent se dispenser
2025 COHRE, Directives aux parties prenantes de méga-événements pour la protection et la promotion du droit au logement, précitées, pp. 9 à 10. 2026 Isolda AGAZZI, « Jeux olympiques : le revers de la médaille », Tribune des droits humaines, 7 juin 2007, disponible sur le site http://www.humanrights-geneva.info/article.php3?id_article=1772, consulté le 10 juin 2008.
657
d’y procéder dès qu’il leur semble opportun de le faire2027. La réponse n’est pas certaine à la
question de savoir si la réforme concernant la participation des habitants doit se cristalliser en une
règle de droit ou se généraliser dans les pratiques. Insister sur la nature consultative de la phase de
concertation publique traduit bien l’intention des gouvernements locaux d’éviter l’émergence d’un
possible contrepoids à leur pouvoir de décision concernant les mesures de démolition, largement
« souverain » jusqu’à présent. Il est regrettable que la législation chinoise reste lacunaire même en
ce qui concerne l’introduction de la phase consultative de concertation publique dans la procédure
de l’expropriation pour but d’intérêt public. Dans ce contexte, les autorités locales font preuve de
beaucoup de souplesse concernant l’aménagement de leurs pratiques, en agissant au gré des
circonstances, alors que les droits des habitants concernés par le projet de démolition demeurent
précaires. Dans l’affaire de Jiuxianqiao, l’ajournement de la procédure de démolition jusqu’à la fin
du mois d’août 2008 a été assez significatif, d’autant plus que la reprise du projet correspond peu
ou prou à la fin des Jeux Olympiques de Pékin.
§ 2. – Le problème de la non ratification du PIDCP par la Chine
667. - L’absence d’une disposition relative à la propriété dans le PIDCP n’empêche
pas que le Comité des droits de l’homme puisse adopter ses constatations sur la
situation du droit de propriété dans les affaires pour lesquelles le PIDCP manifeste son
intérêt. Ainsi en est-il pour les cas de démolition forcée des logements urbains étant
donné que l’État a l’obligation de respecter les droits civils et politiques des personnes
délogées en vertu du Pacte (A). Certes, dès lors que le PIDCP et le protocole facultatif
n° 1 permettant les communications individuelles demeurent non ratifiés par la Chine,
celle-ci peut se mettre à l’abri du « contrôle » par le Comité des droits de l’homme sur
la situation du droit de propriété en cas de démolition des bâtiments dans des zones
urbaines. Il est vrai que la Chine est en cours de préparatifs puisqu’elle modifie son
2027 L’article 12, paragraphe 2 du règlement sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines prévoit que la période de suspension de la procédure de démolition ne peut être supérieure à deux ans. La limitation peut conduire l’initiateur de l’expropriation à réduire la longueur de la phase de concertation publique.
658
droit interne pour ouvrir le chemin à la ratification du Pacte2028, mais il faudrait
cependant encore mesurer l’effet que produisent ces travaux de préparation sur la
protection du droit de propriété en montrant les incompatibilités du droit interne
chinois avec les exigences du PIDCP (B).
A. – L’application élargie du PIDCP au droit de propriété
668. - En se référant au PIDCP, le Comité des droits économiques, sociaux et
culturels a élargi l’applicabilité du PIDCP à la protection du droit au logement dans la
mesure où les conditions prévues par le PIDCP s’appliquent aux atteintes à ce droit (1).
Les préparatifs menés par le gouvernement chinois pourraient également contribuer à
améliorer la protection du droit de propriété, tant que les dispositions du PIDCP et
leurs effets sont dûment pris en compte (2).
(1). – La référence faite au PIDCP par le Comité des droits économiques, sociaux et
culturels
669. - Les garanties des droits civils et politiques proclamées par le PIDCP peuvent
s’appliquer aux cas où le Comité des droits économiques, sociaux et culturels s’y
réfère pour imposer aux États parties les obligations de respecter et d’assurer les droits
économiques, sociaux et culturels. Ainsi en est-il en ce qui a trait à la protection du
droit au logement qui est étroitement liée au droit de propriété dont dispose les
personnes sur leurs logements. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels
a considéré que l’État partie doit s’abstenir de procéder à l’expulsion forcée et assurer
que la loi est dûment exécutée par les organes publics qui effectuent l’expulsion forcée
2028 Pour une analyse des compatibilités du droit chinois avec le Pacte international des droits civils et politiques, v., XIANG Jun, « Guoji renquan gongyue yu zhongguo renquan lifa wanshan (Les Pactes internationaux des droits de l’homme et l’amélioration de la législation chinoise) », Journal of University of International Relations, n° 6, 2005, pp. 19 à 22 ; DU Chengming, « Renquan de xianzheng yuanyuan (Constitutionalism source of human rights) », Wuhan University Journal (Philosophy and Social Sicences), Vol. 58, N° 5, 2005, pp. 617 à 621 ; Shiyan SUN, « The understanding and interpretation of ICCPR in the context of China’s possible ratification », Chinese Journal of International Law, Vol. 6, n° 1, 2007, p. 35 et s.
659
des personnes privées, puisque l’expulsion forcée est a priori une mesure illégale,
d’autant plus que l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
dispose que « nul ne sera l’objet d’intrusions arbitraires ou illégales dans sa vie privée,
sa famille, son domicile... ; Toute personne a droit à la protection de la loi contre de
telles intrusions ou de telles atteintes». D’autre part, le droit au recours utile énoncé
par l’article 2, paragraphe 3 du PIDCP exige que les États parties indemnisent les
personnes faisant l’objet de mesures d’expulsion forcée 2029 . Il est évident que
l’expulsion forcée qui ne respecte pas les garanties législatives ou qui se fait sans
l’octroi d’une indemnisation juste en retour, doit être condamnée comme relevant
d’une intrusion arbitraire ou illégale, et constitue par conséquent une violation du
PIDCP. Selon l’observation du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, le
droit au logement se caractérise par sa nature de droit civil et politique concernant
l’interdiction des mesures d’expulsions forcées, dans la mesure où l’obligation pour les
États parties de ne pas procéder à l’expulsion forcée illégale relève d’une obligation
négative dont le respect n’est pas assujetti aux ressources disponibles de l’État partie
concerné2030. À cet égard, la protection du droit de propriété à l’égard de l’expulsion
forcée se situe au croisement des droits économiques, sociaux et des droits civils et
politiques. La référence faite par le Comité des droits économiques, sociaux et
culturels au PIDCP constitue le premier pas vers l’intensification des échanges entre
les différents organes internationaux des droits de l’homme dont les compétences se
sont artificiellement désintégrées. Ceci revient à consolider la base juridique de
l’interprétation autonome du Comité des droits de l’homme lors du traitement des
communications individuelles concernant les mesures d’expulsions forcées dans
lesquelles non seulement le droit au logement des personnes expulsées est mis en cause,
mais aussi leur droit à la garantie effective contre l’abus de pouvoir.
670. - L’indemnisation juste et la prohibition de l’abus de pouvoir en vertu du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques sont, par leur nature, également des
garanties contre l’expropriation illégale. En dépit du fait que le droit de propriété n’est
2029 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, The right to adequate housing: forced eviction, General Comments n° 7, 20 mai 1997, § 9. 2030 Ibid., § 8.
660
pas directement visé par le PIDCP, les garanties applicables à l’expulsion forcée –de
même qu’à l’expropriation au sens large– peuvent s’appliquer à propos de la protection
des droits civils et politiques qui sont mis en cause en cas de privation du droit de
propriété. Il faudrait que le gouvernement chinois soit bien conscient de la possibilité
d’un examen effectué par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels
concernant la protection de la propriété, susceptible de le soumettre indirectement aux
normes du PIDCP.
(2). – La préparation du gouvernement chinois pour la ratification du PIDCP
671. - De manière constante, la Chine insiste davantage sur la sauvegarde de la
souveraineté nationale que sur la protection des droits de l’homme dans ses politiques
étrangères2031. C’est la raison pour laquelle elle a refusé d’accepter les mécanismes de
contrôle dotés d’une force contraignante et institués par les instruments internationaux
des droits de l’homme, en dépit des progrès qu’elle a effectués dans son attitude envers
le droit international des droits de l’homme2032. En plus de son souci de maintenir son
indépendance, les incompatibilités du droit interne avec les normes du droit
international des droits de l’homme apparaissent également comme un obstacle aux
progrès du gouvernement chinois en la matière2033. Dès lors que le PIDCP et le
protocole facultatif n° 1 permettant les communications individuelles n’ont pas été
ratifiés par la Chine, celle-ci peut se mettre à l’abri du contrôle par le Comité des droits
de l’homme sur la situation du droit de propriété dans les cas de démolition des
bâtiments dans des zones urbaines. Néanmoins, l’absence de toute disposition relative
à la propriété dans le PIDCP n’empêche pas que le Comité des droits de l’homme
adopte des constatations sur certaines affaires relevant du droit de propriété et pour
2031 V., Jiangyu WANG, « China and universal human rights standards », 29 Syracuse J. Int’l. L. & Com. 135, p. 147. 2032 V., Sophia WOODMAN, « Human rights as ‘foreign affairs’: China’s reporting under human rights treaties », 35 Hong Kong L. J. 179, p. 184. 2033 V., XIANG Jun, «Guoji renquan gongyue yu zhongguo renquan lifa wanshan (Les Pactes internationaux des droits de l’homme et l’amélioration de la législation chinoise) », loc. cit.
661
lesquelles il est compétent rationae materiae2034.
672. - Dès la signature du PIDCP, la Chine a réitéré sa volonté de le ratifier, mais à
condition que le droit interne soit ajusté afin d’éviter les éventuels conflits avec le
PIDCP2035. La Chine a donc adopté une approche préventive en adoptant ou en
modifiant des lois internes afin d’ouvrir la voie à la ratification du PIDCP. Les travaux
préparatoires entrepris par le gouvernement chinois sont l’occasion d’un recensement
systématique des incompatibilités du droit chinois au regard du Pacte. Le recensement
du droit interne pourrait produire un effet positif sur la protection de la propriété dans
certaines conditions. D’une part, le gouvernement chinois doit comprendre la possible
extension de l’applicabilité du PIDCP au droit de propriété en raison de l’interprétation
autonome faite par le Comité des droits de l’homme. D’autre part, la Chine doit avoir
l’audace de ratifier aussi le protocole facultatif permettant la communication
individuelle. Enfin, il faudrait encore que des incompatibilités du droit interne ayant
une incidence sur la protection du droit de propriété soient mises en relief afin d’être
prises en compte dans les travaux préparatoires au regard des exigences du PIDCP.
B. – L’illustration des incompatibilités du droit chinois avec le PIDCIP
en matière de protection du droit de propriété
673. - Parmi les incompatibilités du droit chinois avec le PIDCP en ce qui concerne
la protection du droit de propriété, il faut surtout remarquer le manque d’indépendance
des juges concernant la procédure de démolition des bâtiments dans des zones urbaines,
témoignant d’une lacune législative en matière d’expropriation pour l’intérêt public
d’une part (1), et, d’autre part, souligner la discrimination qui existe dans la législation
chinoise en matière de propriété (2).
2034 V., supra, n° 409 et s. 2035 Lors d’une conférence de presse en date du 30 mars 2004, M. KONG Quan, porte-parole du Ministère des affaires étrangères, a fait état que la Chine était en train de préparer la ratification du Pacte, sans pour autant indiquer d’agenda précis pour cette ratification. Le reportage du Ministère des Affaires étrangères de la Chine sur la conférence de presse est disponible sur son site officiel http://www.fmcoprc.gov.hk/chn/xwfb/fyrth/t81086.htm, consulté le 12 juin 2008.
662
(1). – Le manque d’indépendance des juges dans la procédure de démolition des
bâtiments dans des zones urbaines
674. - Parmi les écarts constatés entre le droit chinois et le Pacte international des
droits civils et politiques, le manque d’indépendance des juges chinois a fait depuis
longtemps l’objet des critiques. En effet, les autorités locales et leurs officiers
interviennent dans le traitement des litiges par les cours populaires, pour sauvegarder
leurs propres intérêts, ce qui manifeste l’incompatibilité du système juridique chinois
avec l’article 14 du PIDCP d’après lequel toute personne a droit à ce que sa cause soit
entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et
impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de l’accusation dirigée
contre elle en matière pénale, soit du bien-fondé de ses contestations concernant une
atteinte à ses droits et à ses obligations de caractère civil. Le juriste chinois a bien
constaté que le système juridique chinois n’accorde qu’un statut très réduit au principe
d’indépendance, et c’est bien la raison pour laquelle les juges chinois souffrent du peu
de respect et de la faible confiance du public. « Reconstruire la confiance publique
vis-à-vis l’autorité judiciaire » devient désormais le thème central de la réforme
juridique2036. La procédure de la démolition des bâtiments dans des zones urbaines met
en relief le manque d’indépendance des juges qui est à l’origine de l’ineffectivité des
garanties du droit de propriété. Rappelons que dans les cas où l’initiateur d’une
expropriation et les expropriés ne parviennent pas à un accord sur le montant des
indemnités, c’est le gouvernement local qui adopte la décision en la matière sous forme
d’un « arbitrage administratif ». Alors que les expropriés ont le droit de soumettre la
décision administrative relative à l’indemnisation au contrôle juridictionnel2037, les
tribunaux et les cours locaux ont du mal à renverser la décision administrative du
gouvernement local 2038 . Il en résulte que la garantie du droit des expropriés à
l’indemnisation juste ne peut être pleinement réalisée. D’autre part, dès lors que
2036 XIN Chunying, Chinese courts: history and transition, Law Press China, 2004, p. 174. 2037 V., article 16, alinéa 2 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. 2038 V., WANG Cailiang (et al.), Réponses aux questions difficiles relatives à l’expropriation des biens immobiliers dans les zones urbaines (Fangwu chaiqian yinan wenti jieda), op. cit., p. 24.
663
l’initiateur de l’expropriation verse l’indemnité prévue ou offre aux expropriés un
moyen de se reloger, il a droit de demander les autorités judiciaires locales à ordonner
le concours de la force publique à la mise en oeuvre de l’expulsion forcée des foyers et
à la démolition des habitations, même si les expropriés contestent la décision
administrative concernant l’indemnisation2039. Les initiateurs des expropriations, qui
entretiennent souvent de bonnes relations avec les membres du gouvernement local
–phénomène de clientélisme très critiqué– peuvent les inviter à intervenir afin d’inciter
l’autorité judiciaire à prêter son concours à l’expulsion forcée. Des gouvernements
locaux, qui ont déjà délivré à l’initiateur de l’expropriation un permis de démolir ont
presque sans doute intérêt à mettre en oeuvre l’exécution du projet de démolition. Il est
donc très fréquent que des gouvernements locaux apportent volontairement leur
concours à l’initiateur de l’expropriation afin de hâter la marche du projet de
démolition et d’expulsion forcée des foyers. L’abus de pouvoir administratif auquel se
livrent des membres du gouvernement local, sans être inquiétés par les autorités
judiciaires, est la cause principale à la violation du droit de propriété2040.
675. - Le Comité des droits de l’homme a bien souligné que l’article 14 du Pacte
s’applique non seulement aux procédures à caractère pénal, mais aussi aux contentieux
à caractère civil impliquant les droits et les obligations des individus. Dans les rapports
au Comité présentés par les États parties, ces derniers doivent indiquer les dispositions
constitutionnelles et législatives qui ont pour fonction d’assurer l’impartialité et la
compétence du juge, et notamment l’indépendance des organes juridictionnels par
rapport aux organes législatifs et exécutifs2041. Or, en Chine, le fonctionnement des
tribunaux et des cours populaires et l’exercice des compétences juridictionnelles par
les juges sont souvent soumis à l’intervention des pouvoirs administratifs, ainsi qu’au
caractère directif des politiques du PCC. En effet, le Parti communiste chinois est le
parti unique dirigeant l’État chinois, et en ce sens les cours populaires sont tributaires
2039 V., articles 16 et 17 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. 2040 V., WANG Cailiang (et al.), Réponses aux questions difficiles relatives à l’expropriation des biens immobiliers dans les zones urbaines (Fangwu chaiqian yinan wenti jieda), op. cit., pp. 266 à 273. 2041 Comité des droits de l’homme, Equality before the courts and the right to a fair and public hearing by an independent court established by law (art. 14), General Comments n° 13, 13 avril 1984, §§ 2 et 3.
664
des intérêts du PCC. « Il est donc difficile pour les juges chinois de traiter les affaires
en s’appuyant uniquement sur les règles de droit »2042. Aboutir à l’indépendance des
autorités judiciaires exige que l’on établisse une véritable séparation des pouvoirs, et
plus profondément que le système politique actuel soit réformé.
(2). – La discrimination concernant la reconnaissance du droit de propriété
676. - La différence de traitement dans la reconnaissance du droit de propriété qui
tient à la dichotomie de l’urbain et du rural peut constituer une forme de discrimination
prohibée par le PIDCP, si cette distinction n’est pas raisonnable, objective et établie
pour un but légitime, selon l’observation générale n° 18 du Comité des droits de
l’homme2043. C’est notamment le droit portant sur l’usage du sol tel qu’il a été reconnu
en droit chinois qui doit être mis à l’épreuve du principe de non-discrimination. Il faut
souligner d’abord que la distinction entre droit d’usage du sol de propriété d’État d’une
part et d’autre part le droit d’usage du sol collectif sous forme d’exploitation forfaitaire
s’établit en fonction de la différence de statut entre paysan et citadin, alors que cette
différenciation est davantage consolidée par le système d’enregistrement de la
résidence (hukou). En effet, la propriété collective semble aller de pair avec le système
d’enregistrement de la résidence qui contrôle les mouvements de la population en
Chine2044 . Quant au droit d’usage du sol collectif par le contrat d’exploitation
forfaitaire, seuls les paysans membres d’une collectivité locale –le plus souvent le
village dans les zones rurales– peuvent avoir le droit d’obtenir ce droit par
l’établissement du contrat d’exploitation forfaitaire entre le foyer et la collectivité
locale. Le changement définitif de l’enregistrement de la résidence du foyer de paysans
en celui de citadins, en d’autres termes, le changement du statut d’agriculteur à celui de
non-agriculteur entraîne l’échéance du contrat d’exploitation forfaitaire du sol
collectif2045.
2042 V., XIN Chunying, Chinese Courts: history and Transition, op. cit., p. 176. 2043 Comité des droits de l’homme, Non-discrimination, General Comment n° 18, 11 octobre 1989, § 13. 2044 V., Maëlys DE LA RUPELLE, DENG Quheng, LI Shi, Thomas VENDRYES, « Insécurité foncière et flux migratoires intérieurs en Chine », Perspectives chinoises, 2008, n° 2, p. 38. 2045 V., article 26, alinéa 3 de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural.
665
Quant à la jouissance du droit d’usage, il semble que les citadins sont davantage
rassurés que les paysans à l’égard du renouvellement du droit d’usage. Car par sa
formulation ambiguë, l’article 126, alinéa 2, de la loi sur les droits réels dispose
simplement que le titulaire du droit d’exploitation forfaitaire du sol rural peut
demander le renouvellement du contrat d’exploitation forfaitaire à son échéance, en
vertu des normes pertinentes. Ce qui est contraire à l’article 149 de la loi sur les droits
réels qui admet précisément le renouvellement automatique du droit d’usage du sol de
propriété d’État pour la construction dans les zones urbaines.
677. - Mais la différence tient notamment en ce qui concerne leur cessibilité.
L’interdiction de la conversion de l’usage du sol à but non agricole demeure la
principale limite à la libre cession du droit d’exploitation forfaitaire du sol rural2046,
alors que la transaction du droit d’usage du sol collectif pour la construction
d’habitations des paysans est également soumise aux contraintes imposées par la loi2047.
En contraste, la cessibilité du droit d’usage du sol de propriété d’État est
constitutionnellement reconnue. À cet égard, les institutions rurales chinoises semblent
former une barrière efficace contre les échanges fonciers et les mouvements de paysans,
et en conséquence contre une distribution efficace de ces facteurs de production2048.
Les paysans subissent donc un traitement inégal par rapport aux citadins, non
seulement à cause des restrictions à la cessibilité de leur droit d’usage du sol, mais
aussi au regard de l’indemnisation en cas d’expropriation. Tant que le droit d’usage du
sol de propriété d’État est librement cessible, les indemnités réservées aux citadins en
cas de démolition des bâtiments dans des zones urbaines peuvent être fixées selon le
prix vénal du droit d’usage du sol concerné, alors que ce dernier critère n’est guère
applicable aux cas d’expropriation du sol collectif qui ont lieu en dehors du domaine
commercial. En l’état actuel, la cession des droits d’usage du sol collectif est
subordonnée aux restrictions imposées par la loi qui elle-même demeure assez floue,
tout en réduisant par conséquent l’applicabilité des règles du marché. C’est la raison
pour laquelle les paysans sont encore moins bien indemnisés que les citadins en cas 2046 V., article 128 de la loi sur les droits réels 2047 V., article 153 de la loi sur les droits réels. 2048 Maëlys DE LA RUPELLE, DENG Quheng, LI Shi, Thomas VENDRYES, « Insécurité foncière et flux migratoires intérieurs en Chine », op. cit., p. 38.
666
d’expropriation. Le professeur JIANG Ping a relevé que le motif principal mis en avant
pour justifier cette différenciation consistant à réduire la cessibilité du droit d’usage
portant sur le sol collectif est le souci du législateur chinois de préserver la propriété
publique du sol dans les zones rurales du risque de la privatisation2049. Or, ce motif
n’est pas convaincant dès lors qu’on le réfère au traitement défavorable infligé aux
paysans. En effet, la sauvegarde de la propriété d’État portant sur le sol est même un
principe constitutionnel, mais tant la Constitution que la loi affirme sans équivoque la
cessibilité du droit d’usage du sol de prpriété d’État. Le droit chinois se révèle donc
paradoxal en ce qui concerne la reconnaissance du droit de propriété avec ses
distinctions en fonction de la différence de statut entre les zones urbaine et rurale. La
distinction en matière de droits fonciers urbain et rural est d’autant plus problématique
que les paysans subissent une injustice en ce que la valeur de leurs droits d’usage du
sol collectif est systématiquement sous-estimée. C’est l’une des causes principales de
l’écart croissant du niveau de richesses entre paysans et citadins2050. Il est vrai que les
discriminations concernant les critères qui ne sont pas précisément énumérées par le
PIDCP ont été moins systématiquement condamnées. Elles sont évolutives et
correspondent au changement de la société et de la ligne politique2051, mais il ne faut
pas pour autant totalement exclure la possibilité future d’une condamnation que la
distinction de traitement en matière de droit foncier selon l’enregistrement de la
résidence est incompatible avec les normes du PIDCP, notamment à l’égard du
principe de non-discrimination.
Sous-section 2. – La problématique de l’application interne du droit de
propriété en tant que droit fondamental de l’homme
678. - Le nombre élevé de ratifications des instruments internationaux de droits de 2049 V., reportage de CHEN Min, «Wuquanfa caoan de zhuyao wenti shi caichanquan de chengxiang eryuan fen’ge (La problématique majeure du projet de la loi sur les droits réelsest la dichotomie du droit des biens urbain et rural) », Nanfang zhoumo (Weekend du Sud), 21 juillet 2005. 2050 V., Benjamin W. JAMES, « Expanding the gap: how the rural property system exacerbates China’s urban-rural gap », 20 Colum. J. Asian L. 451, pp. 453, 476 à 490. 2051 V., Rhona K. M. SMITH, Textbook on international human rights, 2e, éd., Oxford University Press, 2005, p. 202.
667
l’homme par la Chine, ainsi que leur rapidité, ne doit cependant pas faire illusion. Pour
une assez large part, de tels phénomènes sont liés au caractère plus ou moins
contraignant des normes établies par les traités en cause et à la faiblesse des
mécanismes internationaux concernant le contrôle des engagements souscrits. Pour
l’autorité chinoise, « les droits de l’homme sont une affaire intérieure » est la formule
qui résume la ligne directrice constante de sa politique en matière des droits de
l’homme2052, qui traduit ainsi le souci de sauvegarder la souveraineté de l’État. Il en
résulte que la reconnaissance des normes internationales relevant du droit de propriété
demeure déclaratoire, leur application est principalement assurée par le mécanisme
législatif en droit interne. Alors que la référence par la Chine aux instruments
internationaux des droits de l’homme confirme ses engagements internationaux, et par
conséquent vérifie la formule selon laquelle « les droits déclaratoires peuvent ainsi
devenir normatifs »2053, il reste cependant à souligner que l’écart existant entre la
reconnaissance déclaratoire des droits de l’homme et leur effectivité demeure le
problème majeur du droit chinois2054 (§ 1). À défaut de mesures de contrôle extérieur,
l’interprétation autonome est aussi l’une des causes du risque de dénaturation de la
propriété comme droit de l’homme (§ 2).
§ 1. – L’écart entre la reconnaissance et la mise en oeuvre du droit de
propriété
679. - L’écart qui existe entre la reconnaissance et la mise en oeuvre du droit de
2052 V., L. KOCH-MIRAMOND, J. P. CABESTAN, F.AUBIN, Y. CHEVRIER (dir.), La Chine et les droits de l'homme, L’Harmattan, 1991, pp. 237 à 248. 2053 Emmanuel DECAUX, « Déclarations et conventions en droit international », loc. cit. Par exemple, dans l’accord sur le règlement politique global du conflit du Cambodge, signé à Paris le 23 octobre 1991, les droits de l’homme sont consacrés dans l’article 15 : « Toutes les personnes se trouvant au Cambodge et tous les réfugiés et personnes déplacées cambodgiens jouiront des droits et des libertés formulés par la Déclaration universelle des droits de l’homme et des autres instruments internationaux pertinents relatifs aux droits de l’homme ». Ce faisant, les États contractants, y compris la Chine, consacrent la valeur « objective » et le rôle « positif » des références mentionnées, même si le Cambodge est le seul destinataire de ces normes. 2054 V., GUO Luoji, « Human rights critique of the Chinese legal system », 9 Harv. Hum. Rts. J. 1, pp. 8, 9.
668
propriété se révèle d’abord sur le plan normatif. L’autorité chinoise n’a pas maintenu
une ligne de conduite cohérente en ce qui concerne le nature du droit de propriété et
son rôle concernant la réalisation de l’ensemble des droits de l’homme (A). Sur le plan
judiciaire, les organes juridictionnels n’ont pas pleinement assumé leur fonction en tant
qu’acteurs principaux de la mise en oeuvre des droits de l’homme déjà affirmés en
droit chinois, de même que d’autres acteurs n’ont pas pu jouer leur rôle
complémentaire quand le droit de propriété est remis en cause dans des cas concrets
(B). Cet écart traduit le manque de conscience approfondie de la valeur du droit de
propriété en tant que droit de l’homme, alors que la racine de ce manque réside d’une
certaine manière dans l’incohérence de la reconnaissance déclaratoire du droit de
propriété.
A. – L’incohérence de la reconnaissance déclaratoire du droit de
propriété
680. - L’incohérence de la reconnaissance déclaratoire du droit de propriété par la
Chine se manifeste à l’occasion de la classification de ce droit (1), mais aussi dans
l’approche contradictoire du gouvernement chinois en ce qui concerne le maniement
de ce droit au regard de la réalisation de tous les droits de l’homme (2).
(1). – L’hésitation concernant la classification du droit de propriété
681. - Sur le plan international, le caractère inclassable du droit de propriété a été
bien connu. Ce droit est « à la fois civil et économique, individuel et collectif, à tel
point inclassable qu’il a été omis dans les deux pactes alors qu’il figurait dans la
Déclaration universelle »2055. Et dans la pratique, ce n’est qu’au fil de la jurisprudence
qu’on découvre la possibilité de construire une véritable complémentarité et
l’indivisibilité à partir de ce droit2056. Cependant, sur le plan interne chinois, loin
2055 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit: le relatif et l’universel, op. cit., p. 141. 2056 V., Ibid., pp. 141 à 145.
669
d’avoir accepté la complémentarité et l’indivisibilité des droits de l’homme, l’approche
de la classification traditionnelle qui porte d’une part sur les droits civils et politiques
et d’autre part sur les droits économiques, sociaux et culturels demeure prévalente dans
la ligne directrice de la politique menée par le gouvernement chinois concernant les
droits de l’homme. Le droit de propriété figure tantôt dans la catégorie des droits civils
et politiques, tantôt dans celle des droits économiques, sociaux et culturels, ce qui
traduit l’hésitation des considérations politiques concernant la valeur et la signification
du droit de propriété. Dans le premier livre blanc du gouvernement sur la situation des
droits de l’homme en Chine publié en 19912057, la protection des biens légaux des
citoyens, des biens des entreprises privées, ainsi que des droits d’usage du sol et des
ressources naturelles fut intégrée dans la partie des droits économiques, sociaux et
culturels qui eux-mêmes s’inscrivent dans le droit au développement. Cependant, dans
le livre blanc du gouvernement sur la situation des droits de l’homme en Chine publié
en 20042058, la révision constitutionnelle de 2004 proclamant les garanties des biens
privés des citoyens fut saluée comme un progrès important concernant la protection
des droits civils et politiques. Ce changement de position par lequel le droit de
propriété fut considéré comme un élément des droits civils et politiques fut
ultérieurement confirmé par le livre blanc sur la politique de démocratie publié en
20052059. Cependant, dans le livre blanc sur la construction du système juridique en
Chine publié en 20082060, la proclamation constitutionnelle du droit de propriété, ainsi
que la promulgation de la loi sur les droits réels en 2007 rentèrent dans la catégorie des
droits économiques, sociaux et culturels. D’ailleurs, dans le livre blanc sur la situation
des droits de l’homme en 2004, les efforts menés par le gouvernement central pour
mieux garantir une juste indemnisation aux paysans en cas d’expropriation du sol
collectif fut mentionnés comme faisant partie de la mesure pour la protection des droits
2057 V., Office d’information du CAE, Les droits de l’homme en Chine, novembre 1991. 2058 V., Office d’information du CAE, Le progrès de la cause des droits de l’homme en Chine en 2004, avril 2005, disponible sur le site http://french.china.org.cn/fa-book/050425/5.htm, consulté le 16 juin 2008. 2059 V., Office d’information du CAE, L’édification de la politique démocratique en Chine, octobre 2005. 2060 V., Office d’information du CAE, L’édification de la légalité en Chine, février 2008.
670
économiques, sociaux et culturels2061. Si le gouvernement chinois retient sa position la
plus récente, la situation du droit de propriété devra être abordée dans le rapport
périodique de la Chine au Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Mais il
reste au gouvernement chinois à reconnaître que le dédoublement entre les droits civils
et politiques d’une part et d’autre part les droits économiques et sociaux est le résultat
d’un conditionnement historique, plutôt que d’une distinction de nature. D’un autre
côté, le gouvernement chinois se réserve peut-être la possibilité de se livrer à des
manipulations de la classification des droits afin de choisir librement entre
l’acceptation ou le refus du « contrôle externe » établi en droit international.
(2). – L’incohérence de la manipulation du droit de propriété concernant la sauvegarde
des droits de l’homme
682. - De manière constante, le droit de propriété a été mentionné dans les livres
blancs publiés par le gouvernement chinois en matière de droits de l’homme. Il faut
néanmoins souligner que les maniements contradictoires en matière du droit de
propriété opérés par le gouvernement chinois sont expliqués par ce dernier comme
étant des mesures nécessaires de sauvegarde des droits de l’homme. L’incohérence de
l’argumentaire du gouvernement chinois se révèle dans le cheminement chaotique du
droit de propriété privée depuis la fondation de la RPC en 1949, qui se caractérise
successivement par la privation des grands propriétaires au profit des paysans, la
socialisation puis la décentralisation de la propriété. L’évolution du statut de la
propriété privée est toujours interprétée sous l’angle de sa contribution à l’amélioration
des droits du peuple chinois. Dans un premier temps, il s’agit d’aborder la confiscation
des biens des grands propriétaires qui eut lieu dans le cadre de la réforme foncière au
début de la fondation de la RPC. Selon l’interprétation du gouvernement chinois, sous
l’ancien régime, les propriétaires fonciers et les paysans riches qui représentaient
moins de 10% de la population rurale possédaient environ 80% de la terre, tandis que
2061 Selon le gouvernement chinois, en 2004, un contrôle sur l’expropriation des terres collectives rurales a été entrepris et un montant de 14,77 milliards de yuans d’indemnités de retard a été alloué. V., Office d’information du CAE, Progrès de la cause des droits de l’homme en 2004, op. cit.
671
les paysans pauvres, les ouvriers agricoles et les paysans moyens qui représentaient
plus de 90% de la population rurale, n’en possédaient que 20%. Afin de libérer les
paysans pauvres et les forces productives, la Chine entreprit, au lendemain de sa
fondation, une réforme agraire à l’échelle nationale en remplaçant la propriété des
grands propriétaires fonciers par la propriété privée des paysans, ce qui permit à 300
millions de paysans d’acquérir pour construire un foyer et à titre gratuit, 700 millions
de mu2062 de terre. La réforme foncière ainsi menée fut considérée comme l’une des
mesures permettant de sauvegarder le droit à l’existence de la majorité de la population
chinoise et marquant le tournant historique des droits de l’homme en Chine2063. Or, le
régime de propriété privée foncière dont bénéficièrent la majorité des paysans n’exista
pas longtemps à cause du mouvement de socialisation qui débuta en 1953. Au nom de
la suppression du système d’exploitation, le mouvement fit passer l’agriculture,
l’artisanat ainsi que l’industrie et le commerce à un régime socialiste, en donnant pour
la première fois au peuple entier la maîtrise des moyens de production et la propriété
des ressources du pays sous la forme de la propriété publique socialiste. Selon le
gouvernement chinois, ce remplacement de la propriété privée foncière par la propriété
du peuple entier se justifia aussi par la réalisation du droit à l’existence qu’il promut2064.
Dans un « mouvement de balancier », la propriété privée fut actuellement réintégrée au
sein des mesures politiques afin de réaliser le même droit à l’existence. Quant à la
question des droits de l’homme, le livre blanc publié en 2004, peu de temps après la
révision constitutionnelle consacrant la propriété privée, affirma que 72% des
immeubles d’habitation releva de la propriété privée jusqu’en 2002, et que 94% des
immeubles d’habitation construits en 2003 fit l’objet d’une appropriation par les
individus : preuve s’il en est de l’amélioration de la situation du droit au logement qui
est par nature un droit à l’existence2065. La création, la suppression et la réhabilitation
de la propriété privée sont toutes des mesures compatibles et exigées par la sauvegarde 2062 1 mu équivaut à 0.0667 hectare. 2063 V., Office d’information du CAE, Progrès des droits de l’homme en Chine depuis 50 ans, février 2000, disponible sur le site http://french.china.org.cn/fa-book/4/index.htm, consulté le 16 juin 2008. 2064 V., Office d’information du CAE, Les droits de l’homme en Chine, novembre 1991, disponible sur le site http://french.china.org.cn/fa-book/72.htm, consulté le 16 juin 2008. 2065 V., Office d’information du CAE, 2003 nian Zhongguo renquan shiye de jinzhan (Le progrès de la cause des droits de l’homme en Chine en 2003), mars 2004.
672
des droits de l’homme, si l’on en suit les considérations du gouvernement chinois
retenues dans ses discours officiels. Certes, en réalité, il s’agit d’interprétations
délibérément faussées pour que les maniements politiques contradictoires apparaissent
toujours respectueux des droits de l’homme, alors que le droit de propriété n’est en
réalité pour le gouvernement chinois qu’un instrument malléable se prêtant à de
nombreuses interprétations concernant sa compatibilité avec les politiques de l’État.
L’incohérence des maniements du droit de propriété au nom de la protection des droits
de l’homme est donc un bon révélateur de l’approche instrumentaliste du
gouvernement chinois en la matière.
B. – Les acteurs de la mise en oeuvre du droit de propriété
683. - L’application directe par les tribunaux et les cours populaires chinois des
normes internationales en matière de droits de l’homme reste très rare, sinon
introuvable, mais la possibilité pour les organes juridictionnels de faire référence aux
instruments internationaux des droits de l’homme dans le traitement des affaires ne
peut pourtant pas être complètement exclue (1). Dans les cas où la propriété est mise
en cause par des opérations foncières, les acteurs privés, surtout les acteurs
économiques internationaux qui y participent, pourraient combler la faiblesse de la
mise en oeuvre du droit de propriété due à l’impuissance relative des organes
juridictionnels. Cela suppose toutefois que la responsabilité sociale de la protection des
droits de l’homme soit assumée par les acteurs civiques (2). Car ces derniers
apparaissent aujourd’hui comme des acteurs incontournables de la mise en oeuvre du
droit international, en raison de leurs ressources financières, largement supérieures aux
fonds publics, de leurs moyens techniques et de leur expertise2066.
(1). – Le rôle des organes juridictionnels
2066 Frédérique HAGNER, « Le global compact : une tentative d’implication d’une multiplicité d’acteurs dans la mise en oeuvre du droit international », in Laurence BOISSON DE CHAZOURNE, Rostane MEHDI (sous la dir. de), Une société internationale en mutation: quels acteurs pour une nouvelle gouvernance?, Bruylant, 2005, p. 44.
673
684. - Une attention accrue est portée sur le rôle moteur que les juridictions internes
sont à même de jouer dans l’application effective des normes internationales relatives
aux droits de l’homme2067. Même la Commission des droits de l’homme des Nations
Unies a mis en exergue la valeur ajoutée que constitue l’option de l’ « internisation »
du droit international des droits de l’homme2068. Alors que l’intervention des organes
juridictionnels dans les affaires mettant en cause des droits de l’homme suppose la
justiciabilité de ces droits et surtout les droits économiques, sociaux et culturels, le
Comité des droits économiques, sociaux et culturels a bien indiqué que l’obligation des
États parties au PIDESC « d’assurer progressivement le plein exercice des droits
reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés » comprend « outre les
mesures législatives, celles qui prévoient des recours judiciaires au sujet de droits qui,
selon le système juridique national, sont considérés comme pouvant être invoqués
devant les tribunaux ». Le Comité a également souligné que « la jouissance des droits
reconnus, sans discrimination, est souvent réalisée de manière appropriée, en partie
grâce au fait qu’il existe des recours judiciaires ou d’autres recours utiles »2069. Quant
à la relation entre recours effectif et recours judiciaire, le Comité a indiqué que « le
droit à un recours effectif ne doit pas être systématiquement interprété comme un droit
à un recours judiciaire », mais « chaque fois qu’un droit énoncé dans le Pacte ne peut
être exercé pleinement sans une intervention des autorités judiciaires, un recours
judiciaire doit être assuré »2070. Si l’on examine le rôle des organes juridictionnels
2067 V., par ex., F. VON HOOF, « International human rights obligations for companies and domestic courts: an unlikely combination? », in Monique CASTERMANS-HOLLEMAN, Fried VAN HOOF and Jacqueline SMITH (eds.), The Role of the Nation State in the 21st century: Human rights international organisations and foreign policy: Essays in honour of Peter Baehr, Kluwer Law International, 1998, pp. 55 à 57. 2068 V., Commission des droits de l’homme, Question d’un projet de déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et de protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus, Résolution 1998/7, 3 avril 1998 ; Institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme, Résolution 1988/55, 17 avril 1998; v., aussi, Assemblée générale de l’ONU, Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnu, Résolution 53/144 du 9 décembre 1998. 2069 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, La nature des obligations des États parties, Observation générale 3, E/1991/23, 14 décembre 1990, § 5. 2070 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Questions de fond au regard de la mise en
674
dans la protection du droit de propriété –qui est étroitement lié au droit au logement
dans les cas de démolition des bâtiments dans des zones urbaines ou d’expropriation
considérés comme relevant de l’intérêt public– au regard des exigences imposées par le
PIDESC et interprétées dans les observations générales du Comité des droits
économiques, sociaux et culturels, il est aisé de faire le constat que la Chine n’a pas
honoré ses obligations de protéger les droits par les moyens appropriés. En effet, en
matière de démolition des bâtiments dans des zones urbaines, les instances
juridictionnelles n’exercent aucun contrôle effectif sur le transfert de la propriété, du
fait que la décision administrative d’expropriation échappe souvent à la compétence
juridictionnelle, que le montant de l’indemnisation réservée aux expropriés est décidée
de manière inéquitable par le département gouvernemental compétent étant donné qu’il
privilégie les intérêts de l’initiateur de l’expropriation, et que les juges chinois annulent
ou modifient très rarement cette décision. Il en résulte que le recours aux organes
juridictionnels pour trancher les affaires relatives aux droits économiques, sociaux et
culturels tels que proclamé par le PIDESC est « une aventure difficile qui engendre des
incertitudes »2071.
685. - Il faut toutefois souligner que les juges chinois ne sont pas privés de la
possibilité d’appliquer les normes internationales des droits de l’homme. En effet,
aucun principe de droit interne n’interdit la référence aux instruments juridiques
internationaux, mais par-dessus tout, la loi de procédure civile prévoit clairement que
dans les contentieux de droit international privé, au cas où les dispositions de droit
interne enteraient en conflit avec les dispositions des traités internationaux que la
Chine a conclus ou auxquels elle a adhérées, les dispositions de droit international
s’appliquent, sauf celles faisant l’objet de réserves2072. Selon l’avis d’interprétation de
la Cour populaire suprême, les contentieux de droit international privé comportent trois
cas de figure. Premièrement, l’une ou les deux parties au contentieux sont des
oeuvre du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale n°9, E/C.12/1998/24, 28 décembre 1998, § 9. 2071 Leïla CHOUKROUNE, « Justifiability of social, economic and cultural rights: the UN committee on economic, social and cultural rights’ review of China’s first periodic report on the implementation of the international covenant on economic, social and cultural rights », 19 Colum. J. Asian L. 30, p. 47. 2072 V., article 236 de la loi de procédure civile.
675
personnes physiques ou morales de nationalité étrangère ou sans nationalité.
Deuxièmement, la relation juridique entre les parties a été établie ou modifiée en
dehors du territoire chinois. Et troisièmement, les biens faisant l’objet du contentieux
se trouvent en dehors du territoire chinois2073. À cet égard, la loi de procédure civile est
discriminatoire dans la mesure où elle ne prévoit la primauté du droit international que
dans le contentieux de droit international privé, sans pour autant l’étendre à tous les
contentieux civils, et d’autant moins aux contentieux administratifs. De toute façon, la
loi de procédure civile n’interdit pas l’application des traités internationaux aux
contentieux civils de nature pleinement interne. S’il est vrai que la réticence des juges
chinois à faire référence aux normes internationales est partiellement liée à leur
connaissance très restreinte des instruments internationaux, leur volonté d’être fidèles
aux normes internes et d’éviter de les ébranler en faisant référence à des normes
internationales reste un élément non négligeable2074. Contrairement à la tendance de la
formation d’une communauté des juges par la réception du droit international2075, les
juges chinois sont pourtant isolés pour son refus d’application directe des normes
internationales2076. Ainsi, il reste à inciter le juge chinois à plus volontairement
assumer leur fonction dans la garantie juridictionnelle des droits de l’homme, y
compris le droit de propriété.
2073 Cour populaire suprême, Avis d’interprétation sur la mise en oeuvre de la loi de procédure civile, adopté le 14 juillet 1992, § 304. 2074 Rappelons que dans l’affaire des « semences de Luoyang », la juge LI Huijuan a été sanctionnée pour l’annulation d’un règlement local en contradiction avec la loi nationale. V., supra, n° 298. Dans le contexte où l’indépendance du juge n’est pas institutionnalisée, la responsabilité personnelle du juge serait vraisemblablement engagée s’il renverse dans son jugement la loi interne par l’application directe des normes de droit international. 2075 V., Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (III) : la refondation des pouvoirs, op. cit., pp. 42, 43. 2076 Dans le cadre de l’OMC, l’Accord sur les ADPIC est considéré comme n’ayant pas d’effet direct sur le droit chinois, les organes juridictionnels ne pouvent pas s’y référer dans leurs jugements. V., LIU Chuntian, « Yu maoyi youguan de zhishi chanquan xiedong jiqi xiugai de youguan falü wenti (Problèmes juridiques relatifs à l’Accord sur les ADPIC et ses amendements) », texte d’un discours devant le Comité permanent de l’APN, 25 octobre 2007, disponible sur le site http://npc.people.com.cn/GB/15097/6433945.html, consulté le 17 juin 2008.
676
(2). – Le rôle des acteurs économiques internationaux
686. - Dans le contexte de la globalisation économique, la responsabilité concernant
la protection des droits de l’homme n’engage pas seulement les États, mais aussi les
acteurs non étatiques 2077 . Car, avec « l’autonomisation croissante des acteurs
économiques, et notamment des entreprises multinationales, se pose en termes
nouveaux ou renouvelés la question de leur responsabilité éthique ou juridique »2078. Il
en est ainsi du Pacte mondial proposé par l’ONU dont l’idée consiste à dépasser le
stade de la collecte de fonds pour engager le secteur privé. Ainsi, les entreprises sont
invitées « à veiller à ce que leurs propres compagnies ne se rendent pas complices de
violations des droits de l’homme »2079. Dans le domaine des investissements étrangers,
la Chine a bien ouvert l’accès du marché foncier aux acteurs économiques
internationaux, ces derniers pouvant acquérir le droit d’usage du sol d’État par
l’établissement d’un contrat de concession comme les opérateurs domestiques.
Cependant, du fait de leur accès à la justice internationale, avec notamment la
naissance du CIRDI par la Convention de Washington ratifiée également par la Chine,
ces acteurs économiques privés se sont vus octroyés une personnalité internationale.
L’accession à la sphère du droit international public des personnes privées et des
investisseurs est d’« une importance comparable à celle des personnes
privées/investisseurs dans le droit international des droits de l’homme »2080. Imposer la
responsabilité des droits de l’homme aux acteurs économiques internationaux est donc
exigé dans un souci de rééquilibrage face à la prépondérance des acteurs
économiques2081.
Il faut ainsi souligner qu’en matière d’exploitation foncière les gouvernements
2077 V., Commission des droits de l’homme, Norms on the responsibilities of transnational corporations and other business enterprises with regard to human rights, E/CN.4/Sub.2/2003/12/Rev.2, 16 août 2003. 2078 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (III) : la refondation des pouvoirs, op. cit., p. 140. 2079 Les dix principes du Pacte Mondial, point 2. 2080 Charle LEBEN, « Entreprises multinationales et droit international économique », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2005, n°4, p. 786. 2081 V., Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (III) : la refondation des pouvoirs, op. cit., p. 151.
677
locaux qui furent dénués de fonds privilégièrent les investissements des acteurs
économiques internationaux pour financier leurs projets de renouvellement urbain.
Parmi les mesures d’incitation fiscale et financière favorisant les investisseurs
étrangers, l’abaissement de la prime de concession fut l’ une des mesures les plus
souvent usitées. Le rapport du Bureau National d’Audit publié en juin 2008 a relevé
que certains gouvernements locaux ont concédé aux investisseurs étrangers le droit
d’usage du sol d’État par « zéro prime», comme mesure d’incitation2082. Or les
ressources budgétaires des gouvernements locaux provenant de la concession du droit
d’usage du sol d’État doivent être utilisées pour indemniser les expropriés, notamment
dans les cas où les parcelles de terrains faisant l’objet d’une concession sont occupées
par des résidents urbains ou des paysans. Dans les cas concernés, la démolition des
bâtiments dans des zones urbaines ou l’expropriation des terres collectives au nom de
l’intérêt public constitue normalement l’étape précédant la concession du droit d’usage
du sol aux investisseurs étrangers. La réduction ou l’exemption de la prime de
concession ne peut que diminuer la capacité financière des gouvernements locaux en
matière d’indemnisation, et conduit ces derniers à abaisser le montant des indemnités
versées aux expropriés en abusant de leur pouvoir. Les avantages financiers concédés
aux investisseurs étrangers par la réduction ou l’exemption de la prime de concession
se firent donc au détriment des occupants du sol faisant l’objet de ce type de
concession. Il est vrai que les investisseurs étrangers n’ont pas directement porté
atteinte aux droits des habitants ou des paysans relatifs à l’usage du sol, mais leur
responsabilité au regard des droits de l’homme –le droit au logement pour les habitants
subissant des mesures d’indemnisation injustes, ou le droit à l’existence des paysans
privés de leur moyen de production à cause de l’expropriation des terres cultivables–
exige de leur part qu’ils prennent conscience des effets pervers résultant des opérations
du type de concession par « zéro prime » et adaptent, par un « durcissement de
l’éthique »2083, leurs stratégies commerciales ou d’investissement afin de prévenir la
dégradation des droits fonciers des personnes qui ne bénéficient pas d’une position 2082 Office national d’audit, Résultat de l’audit sur la prime de concession du droit d’usage du sol étatique, précité. 2083 V., Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (III) : la refondation des pouvoirs, op. cit., p. 153.
678
aussi importante que la leur auprès des autorités gouvernementales. La prise en compte
par les entreprises des normes relatives à la responsabilité sociale se révélerait
également être un avantage au regard de leurs personnels comme de leurs actionnaires
et plus généralement de l’opinion publique qui sont de plus en plus soucieux de «
l’image » des entreprises2084.
§ 2. – Le statut problématique du droit de propriété dans la mise en ordre des
droits de l’homme
687. - Étant donné que les droits de l’homme dans un système juridique sont
consacrés par des inspirations diverses, la question qui se pose est de savoir comment
ordonner les droits afin de les mettre en cohérence2085. C’est dans ce contexte de mise
en ordre qu’il faut souligner la complexité du droit chinois en ce qui concerne la place
de la propriété dans sa relation avec d’autres droits fondamentaux dans l’ensemble de
son système juridique (A), mais aussi insister sur les problèmes réels ou potentiels qui
sont susceptibles de survenir lors de la mise en oeuvre des garanties de la propriété
comme droit de l’homme (B).
A. – La complexité de la question relative à la place du droit de
propriété dans sa relation avec les autres droits fondamentaux
688. - Ni la constitution, ni le discours officiel du gouvernement n’ont pu préciser la
place de la propriété dans la hiérarchie des droits de l’homme. La complexité du
problème tient au fait que la propriété semble être à la fois considérée comme un
instrument juridique au service du droit au développement dont la priorité fut
constamment mise en avant par le gouvernement chinois (1), mais aussi à l’inverse
surprotégée au détriment d’autres droits humains qui sont pourtant plus fondamentaux
2084 Emmanuel DECAUX, « La responsabilité des sociétés transnationales en matière de droits de l’homme », Revue de science criminelle, 2005, p. 804. 2085 V., Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginante du droit (suite) : vers une communauté de valeurs, les droits fondamentaux, Cours du 6 mai 2008 au Collège de France, disponible sur le site http://podcast.college-de-france.fr/droitcdf.xml, consulté le 22 juin 2008.
679
(2). En témoigne l’exemple de la peine de mort prévue par la loi pénale en ce qui
concerne la criminalité économique touchant les biens.
(1). – Le droit de propriété face à la primauté du droit au développement du peuple
689. - Au plan international, le droit au développement émane d’une conception
globale qui opère une conciliation entre les droits politiques d’une part et d’autre part
les droits économiques et sociaux et dont la reconnaissance implique la recherche
simultanée de leur réalisation2086. Par la Déclaration sur le droit au développement, a
été réaffirmée l’importance du respect au droit de propriété et de sa fonction sociale
pour la réalisation du droit au développement2087. Selon la Déclaration de Vienne, le
droit au développement est un droit universel et inaliénable, faisant partie intégrante
des droits fondamentaux de la personne humaine2088. Et « il n’y a donc plus de
2086 Jean-Jacques ISRAËL, « Le droit au développement », Revenue générale de droit international public, 1983, n° 6, p. 39. 2087 L’article 8, alinéa 1er de la Déclaration sur le droit au développement proclame que « Les États doivent prendre, sur le plan national, toutes les mesures nécessaires pour la réalisation du droit au développement et qu’ils assureront notamment l’égalité des chances de tous dans l’accès aux ressources de base, à l’éducation, aux services de santé, à l’alimentation, au logement, à l’emploi et à une répartition équitable du revenu. Des mesures efficaces doivent être prises pour assurer une participation active des femmes au processus de développement. Il faut procéder à des réformes économiques et sociales appropriées en vue d’éliminer toutes les injustices sociales ». 2088 La Déclaration et le Programme d’action de Vienne, adoptés par la Conférence mondiale sur les droits de l’homme le 25 juin 1993, UN Doc., A/CONF. 157/24, para. 10. En analysant le texte de la Déclaration du droit au développement, l’expert indépendant désigné par l’ancienne Commission des droits de l’homme, a résumé le droit au développement comme le droit à un processus de développement dont les éléments essentiels sont : « a) que les intéressés participent effectivement, pleinement et utilement à toutes les étapes de la prise de décision ; b) que les individus aient des chances égales dans l’accès aux ressources ; c) les individus aient droit à une répartition équitable du revenu et des avantages du développement ; d) que les États s’acquittent de leurs responsabilités de façon à ce que le processus de développement se matérialise par des politiques nationales et internationales appropriées (articles 3 et 4) ; e) que la coopération entre les États (et les institutions internationales) facilite la réalisation du droit au développement; et enfin et surtout, f) que toutes les activités entreprises soient accompagnées du plein respect des droits civils et politiques et des droits économiques, sociaux et culturels ». V., Commission des droits de l’homme, Etude sur l’état actuel des progrès dans la mise en oeuvre du droit au développement, présentée par M. Arjun K. SENGUPTA, expert indépendant, conformément à la résolution 1998/72 de la Commission et à la résolution 53/155 de l’Assemblée générale, E/CN.4/1999/WG.18/2, 27 juillet 1999, § 46.
680
hiérarchisation artificielle entre les droits humains »2089. Au niveau mondial, le lien
entre le droit de propriété et le droit au développement fut longtemps reconnue. En
effet, la Déclaration de 1969 sur le progrès et le développement dans le domaine
social2090 a traité du rôle de la propriété dans le développement, en disposant dans son
article 6 que « le progrès et le développement dans le domaine social exigent la
participation de tous les membres de la société à un travail productif et socialement
utile et l’établissement, conformément aux droits de l’homme et aux libertés
fondamentales, ainsi qu’aux principes de la justice et de la fonction sociale de la
propriété, de modes de propriété de la terre et des moyens de production propres à
exclure toute forme d’exploitation de l’homme, à assurer à tous les être humains un
droit égal à la propriété et à créer des conditions qui conduisent à l’établissement entre
eux d’une égalité véritable ». La deuxième conférence internationale sur la réforme
agraire et le développement rural qui a eu lieu en 2006, initiée par l’ONU pour
l’alimentation et l’agriculture, a adopté la Déclaration finale dans laquelle elle a
proposé des politiques de développement rural qui doivent être, entre autres, basées sur
les propriétés individuelles, communales et collectives sécurisées2091. D’ailleurs, les
gouvernements sont invités à promouvoir des mécanismes pratiques, simples,
économiques et accessibles pour sécuriser les droits fonciers, en prenant
particulièrement en considération les groupes marginalisés2092. Il en découle que le
respect du droit de propriété est considéré comme l’une des conditions à la réalisation
du droit au développement.
690. - Cependant, la consistance du droit au développement renvoie aux objectifs
nationaux à atteindre qui reposent principalement sur les obligations et les devoirs des
États2093. Il est également reconnu, quant au sujet de l’élaboration d’un « pacte pour le
développement », que l’État dispose d’une marge de manoeuvre conséquente afin de 2089 Azzouz KERDOUN, « Le droit au développement en tant que droit de l’homme : portée et limites », Revue québécoise de droit international, 2004, n° 17.1, p. 79. 2090 Proclamée par l’Assemblée générale de l’ONU le 11 décembre 1969, résolution 2542 (XXIV). 2091 Conférence internationale sur la réforme agraire et le développement rural, Déclaration finale, Porto Alegre, 7-10 mars 2006, point 28. 2092 Ibid, point 29. 2093 Article 4 de la Déclaration du droit au développement. V., Assemblée Générale de l’ONU, Rapport de l’expert indépendant sur le droit au développement, A/55/306, 17 août 2000, §§ 4 et s.
681
s’adapter « aux priorités et aux réalités de chaque pays »2094. C’est dans ce contexte
que le gouvernement chinois a accordé la priorité aux droits économiques, sociaux et
culturels, désormais intégrés dans le droit au développement qui a été officiellement
reconnu comme un « droit primordial de l’homme »2095. Selon le professeur GUO
Daohui, le droit au développement est plus important que le droit à la subsistance dont
la réalisation dans les pratiques n’est plus prioritaire désormais étant donné que le
peuple chinois vit déjà dans l’aisance2096. Toutefois, le droit au développement du
peuple, comme son droit à la subsistance, tel qu’il est retenu dans le discours officiel
signifie plutôt un droit collectif qu’individuel, alors qu’au plan international la notion
de droit au développement reste ambiguë à l’égard de ses sujets et son contenu2097. Les
livres blancs successivement publiés n’ont de cesse d’affirmer que la Chine est le pays
en voie de développement le plus grand du monde et que par conséquent, ce qui est le
plus important aux yeux du peuple chinois c’est de disposer d’assez de nourriture, de
vêtements chauds, de bénéficier des soins médicaux et d’une bonne éducation. Le plus
urgent est donc d’améliorer les conditions de vie du peuple. Ainsi, c’est le droit au
développement de l’État qui est primordial et qui doit l’emporter sur tous les autres
droits. L’idée qui sous-tend la priorité donnée à ce droit tient au fait que les autres
droits de l’homme ne peuvent qu’être secondaires et au service de l’État en quête de
développement. Sur le plan juridique, le droit au développement n’est pas justiciable,
l’État, représenté par le gouvernement, demeure libre d’exécuter les mesures concrètes
qu’il considère appropriées pour atteindre l’objectif de développement2098. De manière
constante, les livres blancs publiés par le gouvernement chinois font allusion à la
réussite des politiques gouvernementales en matière de droit de propriété, soit en
2094 V., Résolution adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU, A/RES/56/150, 8 février 2002, point 4. 2095 V., Office d’information du CAE, Progrès de la cause des droits de l’homme en Chine en 2004, Beijing, avril 2005 ; Progrès des droits de l’homme en Chine depuis 50 ans, Beijing, février 2000. 2096 GUO Daohui, « Renquan lilun de kunhuo yu zhiyi : gunayu renquan, zhuquan, shengcunquan zhuwenti de tantao (La perplexité et l’interrogation sur la théorie des droits de l’homme : discussion sur les droits de l’homme, la souveraineté, le droit à la subsistance) », Yuelufaxue pinglun (Revue de droit Yuelu), 2002, Vol. 2, pp. 133, 134. 2097 V., Maurice KAMTO, « Retour sur le ‘droit au développement » sur le plan international : Droit au développement des États ? », Revue universelle des droits de l’homme, 1999, n° 1-3, pp. 4 à 7. 2098 V., Jiangyu WANG, « China and universal human rights standards », 29 Syracuse J. Int'l L. & Com. 135, p. 146.
682
réalisant l’égalité des richesses entre les citoyens 2099 , soit en promouvant le
développement économique et le bien-être du peuple2100. L’approche du gouvernement
chinois consiste donc à insister sur la hiérarchie des droits de l’homme, en mettant en
avant le caractère primordial du droit au développement du peuple chinois. Or, il n’est
« ni souhaitable ni faisable d’essayer de définir les priorités d’une manière abstraite et
générale, en vue d’altérer la force ou le niveau des normes internationales
existantes »2101, car, « s’agissant d’une substance commune, chaque droit de l’homme
se voit, dans son essence, porteur de la détermination globale. Bien plus, la substance
de chaque droit, ne peut être interprétée qu’à la lumière de cette surdétermination »2102.
Le véritable risque qui sous-tend la préférence pour le droit au développement par la
Chine consiste à ce que l’État peut limiter, voire supprimer, certains droits de l’homme,
au nom de la réalisation de certains droits qui se disent prioritaires. En témoigne le
destin chaotique de la propriété privée depuis la fondation de la nouvelle Chine.
(2). – La surprotection du droit de propriété au regard des sanctions prises à
l’encontre de la criminalité économique
691. - Bien que le droit de propriété soit considéré comme inférieur au droit au
développement, il est toutefois surprotégé dans d’autres domaines, notamment celui du
droit pénal. Alors que la valeur patrimoniale est légalement garantie comme étant
l’élément indispensable du droit de propriété, la loi pénale chinoise a maintenu des
sanctions très sévères à l’égard des infractions, de sorte que le maintien des intérêts des
titulaires des biens peut aboutir à nier des droits de l’homme autrement plus
2099 V., Office d’information du CAE, Les droits de l’homme en Chine, op. cit. ; Progrès des droits de l’homme en Chine depuis 50 ans, op. cit. 2100 V., Office d’information du CAE, 2003 nian Zhongguo renquan shiye de jinzhan (Le progrès de la cause des droits de l’homme en Chine en 2003), op. cit. ; Le progrès de la cause des droits de l’homme en Chine en 2004, op. cit. 2101 Klaus SAMSON, « Le ‘noyau intangible des droits de l’homme’, notion utile ou illusion simpliste ? », in Patrice MEYER-BISCH (éd.), Le noyau intangible des droits de l’homme, Éditions universitaires Fribourg Suisse, 1991, p. 50. 2102 Patrice MEYER-BISCH, « Le problème des délimitations du noyau intangible des droits et d’un droit de l’homme », in Le noyau intangible des droits de l’homme, op. cit., p. 108.
683
fondamentaux, à savoir la liberté physique et le droit à la vie. Il en est ainsi des délits
qui mettent en cause les biens et qui atteignent un certain seuil de gravité. Ces délits
sont passibles de la réclusion à perpétuité ou à la peine de mort, surtout si ce sont des
biens publics qui ont été touchés. Dans la loi pénale révisée en 1997, on peut recenser
beaucoup de crimes motivés par des raisons économiques qui sont sanctionnés par la
peine de mort2103. Les infractions qui concernent des biens sont considérées par le droit
et la pratique judiciaire en Chine comme constituant des atteintes très graves aux
intérêts de l’État 2104 . La doctrine dominante chinoise considère que les crimes
économiques tels que la corruption, la falsification des monnaies, la contrefaçon et la
contrebande constituent un grand préjudice pour l’ordre économique et les biens
légitimes d’autrui, causent de graves pertes aux biens de l’État, et par conséquent
justifient le renforcement des mesures répressives2105. Il est vrai que le maintien de la
peine de mort pour de nombreuses infractions est l’un des aspects pour lesquels la
Chine est très critiquée, malgré la nouvelle loi pénale chinoise qui traduit un réel effort
d’harmonisation du droit pénal chinois par rapport aux principes internationaux2106. Il
est néanmoins d’autant plus surprenant que les condamnations à mort ont
significativement augmenté en matière de crimes économiques et de crimes qui portent
atteinte aux biens. Selon l’étude d’un juriste chinois, la loi pénale chinoise, modifiée en
1997, qualifie à l’aide de huit classes d’infractions pénales –dont la majorité prévoit la
peine de mort si les cas sont graves2107– les crimes portant atteinte à l’ordre de
l’économie de marché socialiste. Ces crimes constituent plus du quart de l’ensemble
2103 V., LI Qinglan, « La peine de mort dans la Chine contemporaine : étude de cas », R. S. C., juillet-août 2008, p. 526. 2104 V., Aliette DESGRANGES, « Les réformes pénales en Chine : des avancées en trompe-l’oeil ? », L’Astrée, 1999, n° 9, p. 14. 2105 V., GAO Mingxuan (Sous la dir.), Criminalité économique et atteintes à la dignité de la personne : vers des principes directeurs internationaux de droit pénal, Vol. III, Asie, Éditions de la maison des sciences de l’homme, 1996, pp. 9, 69. 2106 V., Mireille DELMAS-MARTY, « Le droit pénal en Chine : avancées des textes et résistance des pratiques », Gazette du Palais, 2000, n° 186, p. 34. 2107 Il s’agit des délits de fabrication de produits frauduleux ou de mauvaise qualité (dont l’article 141 prévoit la peine de mort), de la contrebande (dont l’article 151 prévoit la peine de mort), des atteintes à l’ordre de l’administration financière (dont l’article 170 prévoit la peine de mort), des fraudes financières (dont l’article 199 prévoit la peine de mort), des atteintes à la collecte et à l’administration des impôts (dont les articles 205 et 206 prévoient la peine de mort),
684
des crimes pour lesquels la peine de mort peut être infligée en vertu de la loi pénale2108.
692. - La Chine est donc un pays peu commun étant donné qu’elle sanctionne un
nombre très grand de crimes économiques par la peine de mort. Cependant, si l’on y
regarde de plus près, les crimes économiques qui sont sanctionnés de la peine de mort
sont liés à la protection des biens publics davantage qu’à celle des biens privés. Ce sont
essentiellement des cas de contrebande ou d’atteintes à la perception des impôts et à
l’administration fiscale. Il en est de même pour le vol des fonds des institutions
financières, le vol des objets archéologiques précieux, pour lesquels la peine de mort
peut être infligée si l’infraction est jugée très grave ou si la valeur des objets volés
s’élève au-delà d’un certain montant2109. En plus du vol à main armée, les crimes avec
usage de la violence commis à l’encontre des biens privés peuvent être soumis à la
peine capitale, mais seulement s’ils sont graves2110, ainsi que les délits non violents
commis par des personnes physiques, comme la corruption essentiellement 2111 .
Concernant le principe de proportionnalité des peines, les juristes chinois ont bien
relevé que la Chine est bien inspirée de mettre davantage en application la peine
d’amende et que l’individualisation des peines ne doit pas aller trop loin2112.
D’autre part, dans le contexte où les autorités chinoises mènent un combat pour
l’assainissement du monde des affaires autant sur le plan international que sur le plan
interne, le durcissement de la répression pénale concernant les atteintes au droit de
propriété, conçu comme un élément de production, va nécessairement apparaître
comme une nouvelle menace aux yeux des partenaires étrangers dans les relations
d’affaires2113. Mais c’est pour rendre le droit pénal chinois plus humain que la question
de l’abolition de la peine de mort concernant les crimes économiques, surtout la peine
2108 V., ZHANG Guoxuan, « Sur l’application concrète de la peine de mort, par la comparaison entre l’ancienne et la nouvelle loi pénale chinoise (Lun sixing de juti shiyong, jiandui xinjiu xingfa zhong de sixing shiyong zuoyi bijiao) », Zhongguo xingshifa zazhi (Revue chinoise de droit pénal), 1999, n°1, pp. 40 à 44. 2109 V., article 264 de la loi pénale révisée en 1997. 2110 V., article 263 de la loi pénale révisée en 1997. 2111 V., article 383 de la loi pénale révisée en 1997. 2112 V., HAN Xiaoying, SHI Renlin, LIU Xiaopeng, « Réflexions sur le droit pénal chinois depuis la mise en oeuvre du code pénal chinois de 1997 », Gazette du Palais, 2004, n° 199, p. 29. 2113 V., Daniel Arthur LAPRÈS, « Le risque pénal dans les relations d’affaires avec la République Populaire de Chine », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires, n° 11, 2007, 1341.
685
de mort en cas de vol, a été mise en avant2114. Même sans prendre en compte la peine
de mort, la sanction pénale est comparativement plus lourde en Chine que dans les
autres pays relativement aux infractions commises à l’encontre de la propriété
intellectuelle. Le professeur chinois ZHAO Bingzhi a bien souligné que dans les pays
industriels, la peine la plus sévère concernant la propriété intellectuelle est
normalement d’un emprisonnement de trois ans au maximum, alors qu’en Chine, la
sanction la plus importante relève d’un emprisonnement de sept ans. Cette peine
extrêmement sévère n’est pas conforme à la tendance internationale du droit pénal2115.
Encore faut-il souligner que la surprotection de la propriété, surtout de la propriété
publique, par le droit pénal, révèle le problème du droit chinois dans le traitement de la
relation entre la propriété d’une part et d’autre part d’autres droits aussi fondamentaux,
à savoir, la liberté et le droit à la vie. Ce qui nous amène à analyser l’approche du droit
chinois dans la mise en ordre des droits de l’homme.
B. – Des instrumentalisations du processus de mise en ordre des droits
de l’homme
693. - Alors que la Chine affirme toujours que le droit au développement et le droit à
l’existence sont les droits de l’homme les plus importants, ses pratiques ont cependant
largement dénaturé la finalité de ces droits, surtout celle du droit au développement.
Car, c’est au nom du droit au développement pourtant assimilé au « droit du
développement » (1) que le droit de propriété a fait l’objet de manipulations politiques.
L’inégalité de la jouissance de la propriété, délibérément imposée pour répondre à
l’exigence du droit du développement, constitue le cas concret par excellence de ce
type de manipulations des travaux de hiérarchisation des droits de l’homme (2).
2114 V., HAN Xiaoying, « Sur les sanctions pénales chinoises », L’Astrée, 2001, n° 16, p.26 ; v. aussi, ZHU Zhengfu, « Jianshao qinfan caichanquanzui de sixing (Plaidoyer pour la réduction des peines de mort pour les infractions contre la propriété)», disponible sur le site http://www.usqiaobao.com/2008-03/11/content_82841.htm, consulté le 20 juin 2008. 2115 V., Bingzhi ZHAO, Yuanhang ZHANG, « La contrefaçon en droit chinois de la propriété intellectuelle », Revue internationale de droit comparé, 2007, n°2, p. 375.
686
(1). – L’assimilation du droit au développement au « droit du développement » et son
influence
694. - En mettant constamment l’accent sur le développement économique et le
succès de ses mesures politiques en la matière 2116 , le gouvernement chinois a
délibérément établi la confusion du « droit au développement » et du « droit du
développement ». Il faut rappeler que le droit au développement intègre les droits et les
libertés publiques. De même, selon « l’approche basée sur les droits », l’indivisibilité
de tous les droits de l’homme et la responsabilité de tous les acteurs publics et privés
sont les principes fondamentaux du droit au développement2117. « La double qualité du
droit au développement n’implique aucune priorité, mais au contraire, une réalisation
parallèle du droit individuel et du droit collectif qui se conditionnent
mutuellement »2118. Or, le droit du développement est une technique juridique et un
ensemble de méthodes de législation qui sous-tendent le développement économique et
social. Il s’agit d’un « droit de promotion » qui attire et pousse vers le développement
économique et social en combattant les routines ancestrales qui figent les sociétés
traditionnelles. Il s’éloigne du libéralisme classique, pour construire un contexte
socio-politique dans lequel les droits des individus sont provisoirement limités au
profit de l’intérêt général. Dans sa fonction, le droit du développement peut toucher le
droit au développement parce qu’il sollicite le droit sur les moyens de développement
–qu’il s’agisse des biens ou des personnes– mais ne se confond pas avec lui2119. En
2116 En témoigne le Livre blanc « Progrès de la cause des droits de l’homme en Chine en 2004 ». Dans ce document officiel du gouvernement central, l’Office d’information du CAE fait l’éloge, en s’appuyant sur divers indices d’accroissement, des succès obtenus par le gouvernement dans la promotion de l’économie nationale pour mesurer le progrès des « droits du peuple à l’existence et au développement ». 2117 V., Patrick TWOMEY, « Human rights-based approaches to development: towards accountability », in Mashood A. BADERIN, Robert MCCORQUODALE (ed.), Economic, Social and Cultural Rights in Action, Oxford University Press, 2007, pp. 50, 54. 2118 Robert CHARVIN, L’investissement international et le droit au développement, L’Harmattan, 2002, p. 114 ; Cf., aussi, CAO-Huy Thuan, « Sociétés transnationales et droits de l’homme, essai de synthèse sur les travaux des Nations Unies », in Multinationales et droits de l’homme, P.U.F., 1984. 2119 Kéba M’BAYE, « Le droit au développement », in René-Jean DUPUY (ed.), Le droit au développement au plan international, Colloque la Haye, 16-18 Octobre 1979, SIJHOFF & NOORDHOFF, 1980, p. 73.
687
témoigne l’expérience du droit chinois. En effet, ce fut dans une conception de droit du
développement que le droit foncier des individus fut instrumentalisé par les
maniements politiques successifs. Il s’agit dans un premier temps de mettre en place un
régime foncier égalitaire par la confiscation des biens des grands propriétaires et par la
redistribution, puis de supprimer la propriété privée par le mouvement de socialisation
et enfin de la réhabiliter par une réforme économique. Selon les discours officiels du
gouvernement chinois, l’amélioration du droit de propriété, comme celle de tous les
droits de l’homme, économiques, sociaux et culturels ou civils et politiques, ne sont
que des résultantes du processus de développement mené par le gouvernement. À cet
égard, la position du gouvernement chinois consiste à renverser le lien de
subordination entre les droits de l’homme individuel et le droit du développement de
l’État, alors que le véritable développement implique l’absence de répression et celle
de graves violations des droits des individus2120.
695. - Sur le plan international, le Programme des Nations Unis pour le
développement (PNUD) met en avant depuis 1990 la notion de développement humain,
affirmant par-là que c’est l’homme qui est au centre du développement et non les
performances économiques. Depuis la conférence de Rio de 1992 sur l’environnement
et le développement, est apparue à son tour la notion de « développement durable » qui
implique un modèle de développement écologiquement rationnel et qui prend en
compte les besoins des générations actuelles sans pour autant oublier ceux des
générations futures. On aboutit ainsi, dans le cadre du PNUD, à la notion de
« développement humain durable ». Or, la notion renouvelée de développement telle
qu’elle est présentée par la communauté internationale n’a pas été véritablement
intégrée dans l’idée de droits de l’homme retenue par le gouvernement chinois, à
l’instar de la conception fondée sur les principes fondamentaux de l’indivisibilité de
tous les droits de l’homme et de la responsabilité de tous les acteurs publics et
privés2121. Contrairement à la constatation de Amartya SEN selon laquelle les facteurs
2120 V., Amartya SEN, Un nouveau modèle économique : développement, justice, liberté, Éditions Odile Jacob, 2000, p. 183. 2121 V., Patrick TWOMEY, « Human rights-based approaches to development: towards accountability », in Mashood A. BADERIN, Robert MCCORQUODALE (ed.), Economic, social and cultural rights in action, Oxford University Press, 2007, pp. 50, 54.
688
humains tels que la liberté publique, la démocratie, etc., sont « à la fois l’objectif
principal et le moyen premier du développement »2122, la Chine a mis l’accent sur le
taux de croissance qui n’a pas toutefois pas pleinement tenu en compte les valeurs non
économiques néanmoins réelles comme la liberté et la démocratie. Le développement
chinois a été critiqué par certains comme « faux développement »2123, dans la mesure
où il a délibérément laissé les inégalités à se creuser, y compris l’inégalité de la
jouissance de la propriété privée.
(2). – L’inégalité en matière de droit de propriété privée face au droit du
développement
696. - La quête de l’accroissement économique par le gouvernement chinois, au nom
de la priorité du droit du développement du peuple, traduit d’une certaine manière
l’ « ethnocentrisme » qu’impose l’État chinois au reste de la communauté
internationale2124. Elle a un double effet sur le droit de propriété : d’une part, le
développement économique en Chine s’accompagne de mesures politiques qui
admettent et encouragent l’existence et la croissance des entités économiques privées,
conduisant à la reconnaissance du statut légal de la propriété privée et, d’autre part, si
les biens privés sont juridiquement admis, ils sont pourtant souvent assujettis à
l’exigence de développement économique et donc sacrifiés pour atteindre l’objectif de
croissance.
L’effet pervers que produit la conception idéologique du droit du développement
sur le droit de propriété fut présent dans l’histoire du droit de propriété depuis la
fondation de la RPC. Il se manifeste aussi dans des pratiques concrètes et actuelles. Il
en est ainsi du processus du renouvellement urbain mené au nom du développement
par les gouvernements locaux sous l’approbation tacite du gouvernement central. Les
gouvernements locaux, qui sont motivés par des intérêts financiers relatifs à
l’exploitation foncière découlant du renouvellement urbain, procèdent ou participent à 2122 Amartya SEN, Un nouveau modèle économique : développement, justice, liberté, op. cit., p. 61. 2123 V., Guy SORMAN, L’année du coq, Chinois et rebelles, Fayard, 2006, pp. 170 à 173. 2124 V., Steve CHAN, « Human rights in China and the United States: competing visions and discrepant performances », Human Rights Quarterly, 24 (2002), pp. 1035 à 1053.
689
la démolition forcée des habitations sans offrir de garantie juridique suffisante ni
d’indemnisations équitables2125, en s’abritant derrière le prétexte de la poursuite du
développement économique local. Il est vrai que l’exploitation foncière a contribué à la
croissance des richesses au niveau local, mais les habitants qui ont été expulsés et
privés de leurs maisons n’en sont pas les bénéficiaires, mais au contraire des victimes
du « développement » économique. Dans les réponses qu’a données la Chine aux
questions posées par le Comité des droits économiques sociaux et culturels lors de
l’examen du premier rapport présenté par la Chine, celle-ci accuse le développement
d’être la cause des atteintes aux droits et intérêts légaux des habitants concernant leurs
logements. Il est vrai que l’envergure et le rythme de la démolition ont été sans
précédent en Chine. L’urbanisation a produit une amélioration des infrastructures des
villes et a nourri le développement économique, mais elle a aussi son revers de la
médaille. En effet, l’irrégularité des opérations de démolition, le versement tardif et
insuffisant des indemnités aux personnes expulsées2126 sont les causes des atteintes au
droit de propriété au nom du développement. D’ailleurs, la réalité est encore bien plus
grave, car au nom de la recherche du développement économique, les membres du
gouvernement local procèdent souvent à des mesures de démolition et d’expulsion
forcée des résidents urbains en ne respectant intentionnellement pas les règles de
garantie qui doivent s’appliquer aux expropriés dans les cas de privation de leur droit
de propriété concernant leur logement. En prêtant le concours de la force publique aux
promoteurs immobiliers dans leur logique d’appropriation des terres à des prix
dérisoires, les membres du gouvernement local bénéficient en contrepartie de la
croissance de leur recette budgétaire résultant des bénéfices engrangés par les
promoteurs fonciers. Ce mode de « développement » se caractérise par
2125 Par ex., la construction des gymnases à Pékin pour les Jeux Olympiques de 2008, s’accompagne de la destruction forcée et massive d’habitations sous l’égide de la municipalité de Pékin. Les citoyens victimes des mesures de démolitions et de déplacement forcés contestent, parmi d’autres, l’injustice du projet d’indemnisation édicté par le gouvernement local de Pékin, sans pour autant réussir à faire entendre leur cause. V., Theresa H. WANG, « Trading the people’s homes for the people’s Olympics: the property regime in China », 15 Pac. Rim L. & Pol’y J. 599, juin 2006. 2126 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Implementation of the International Covenant on Economic, Social et Cultural Rights, Replies by the Government of the People’s Republic of China, CESCR/NONE/2004/10, p. 58.
690
l’enrichissement des propriétaires de certaines catégories –les grands promoteurs
fonciers et les fonctionnaires locaux– mais en même temps par l’appauvrissement des
catégories les plus modestes qui sont les petits propriétaires résidents, ce qui a pour
conséquence de conduire à l’aggravation des inégalités sociales.
Dans un contexte plus large, considérant le droit de propriété comme un simple
outil et étant contraint par la rareté des sources, le gouvernement chinois ne peut que
distinguer différents secteurs de production en fonction de leur efficacité économique
et de leur degré de contribution à l’accroissement de l’économie nationale ou locale, et
ce, afin de distribuer les éléments de production. Ce traitement différentiel caractérisé
par le phénomène de « catégorisation » conduit nécessairement à l’inégalité2127. Ainsi,
le gouvernement chinois a abandonné au nom de l’efficacité le principe d’égalité dans
la jouissance de la propriété. En témoigne la dichotomie urbaine et rurale en matière de
droit d’usage du sol de propriété publique.
697. - La préoccupation sur le creusement des inégalités fut la cause principale des
critiques apparus lors de l’élaboration de la loi sur les droits réels. Les auteurs des
critiques ont mis en avant l’aggravation des inégalités sociales résultant de la
reconnaissance de la propriété privée qui elle-même s’inscrit dans le processus de
développement économique. Selon le professeur GONG Xiantian, la protection légale
de la propriété privée ne bénéficierait qu’aux grands propriétaires, ce qui ferait
obstacle à la réduction des écarts des richesses, en d’autres temres, « seuls les grands
propriétaires auront un intérêt substantiel à l’élaboration de la loi sur les droits
réels»2128. Cette hypothèse ne fut pas reçue par le Comité permanent de l’APN.
Néanmoins, au-delà du débat politique et social, on peut se demander si la croissance
des inégalités n’affecte pas la croissance tout court. Dans ce contexte, l’action en
faveur de la réduction des inégalités et d’une meilleure répartition des revenus ne
relève pas seulement d’un objectif de justice sociale, mais de la viabilité économique,
et conditionne la poursuite de l’expansion, aujourd’hui menacée par « le piège des
2127 V., Feng WANG, Tianfu WANG, « Bringing categories back in: institutional factors of income inequality in urban China », document de travail du Centre for the Study of Democracy, disponible sur le site http://repositories.cdlib.org/csd/03-01, consulté le 25 septembre 2004; Jean Louis PIN, L’ouverture économique de la Chine (1978-1999): au profit de qui?, La Documentation française, 2000. 2128 V., supra, n° 138.
691
inégalités » 2129 . Dans les années récentes, le gouvernement chinois a déjà été
sensibilisé par les inégalités de revenu entraînées par le développement économique. Il
entend remédier à cette situation par la mise en place d’un système de protection
sociale plus viable en vue de répondre à la proposition selon laquelle « le mode de
développement devrait être ajusté en renforçant le système de protection sociale, afin
de maintenir l’équilibre entre l’égalité et la croissance économique »2130. Cependant,
au lieu d’accepter de plein gré la « bonne gouvernance »2131, le gouvernement chinois a
développé sa propre théorie résumée par l’expression « mettre l’homme au centre des
pensées». Cette théorie a été fondée comme principe directeur que doivent suivre les
membres du gouvernement à tous les niveaux, « afin que toute la population puisse
participer, sur un pied d’égalité, au développement et au partage des progrès du
développement »2132. Les mesures mises en place comme l’aide à la (ré)insertion
professionnelle et le contrôle du chômage, ainsi que l’assurance sociale ont été
renforcées2133. Mais il reste à souligner que l’indivisibilité et l’interdépendance de tous
les droits de l’homme exigent que les politiques sociales visant à rétablir l’égalité
doivent aller de pair avec la garantie des autres droits aussi fondamentaux.
L’expérience de la Chine a bien montré que les atteintes à la propriété –résultant des
faiblesses de l’ensemble du système juridique chinois– constituent aussi l’une des
origines essentielles de l’inégalité. Ainsi, renforcer la garantie du droit de propriété est
nécessaire pour réduire l’inégalité. Surtout, l’inégalité du statut et l’inégalité des
garanties juridiques des différentes catégories de propriétés doivent être éliminées, afin
que la mise en oeuvre des politiques sociales ne perde pas son sens et puisse produire
les effets attendus.
2129 Cf., Chine : le piège des inégalités, Dossier constitué par Guilhem FABRE, La Documentation française, 2000. 2130 V., World Bank, China, An evaluation of World Bank assistance 2005, disponible sur le site http://worldbank.org/oed, consulté le 23 juillet 2006. Promoting growth with equity: country economic memorandum, 15 septembre 2003, p. 11. 2131 V., Résolution de la Commission des droits de l’homme 2002/69, le droit au développement. 2132 Office d’information du CAE, Progrès de la cause des droits de l’homme en Chine en 2004, op. cit. 2133 Le projet de loi sur la sécurité sociale élaboré par le Comité permanent de l’APN a été publié le 28 décembre 2008, en vue de solliciter l’opinion publique.
692
CONCLUSION DU CHAPITRE
698. - « Le droit international économique occupe désormais une place
prédominante dans les relations internationales auxquelles participe la Chine»2134.
L’intégration de la Chine dans l’ordre international économique, notamment par son
accession à l’OMC, a conduit le droit chinois à s’adapter en prenant sérieusement en
compte les règles du marché. En effet, le renforcement des conditions générales
nécessaires à un fonctionnement efficient du marché intérieur est dans les politiques
des institutions internationales de nature économique ou financière. Il s’agit non
seulement de simples propositions résultant du dialogue entre la Chine et les
institutions internationales2135, mais parfois aussi de conditions connexes établies par
les institutions internationales dans leurs relations avec la Chine. Clarifier le droit de
propriété, renforcer le jeu de la concurrence, et soutenir la réforme en améliorant
l’indépendance du système judiciaire ainsi que ses moyens de faire appliquer la loi,
figure dans la liste des priorités du gouvernement chinois fixée par les institutions
internationales. On notera que l’influence des institutions internationales économiques
et financières consiste non pas à protéger le droit de propriété des individus, mais à
établir un régime juridique de propriété, conçu comme un élément central d’une
gouvernance répondant aux exigences de l’économie de marché. En revanche,
l’influence des droits de l’homme sur la protection de la propriété en Chine a rencontré
d’importantes résistances. Étant donné que l’influence des instruments internationaux
des droits de l’homme s’impose par l’intégration des normes internationales en droit
interne, mais aussi par l’exercice des mécanismes de contrôle sur le plan international,
l’acceptation sélective de la Chine entre le PIDESC et le PIDCP, et la réticence à se
soumettre au contrôle international sur le respect des droits de l’homme, constituent la
faiblesse de l’adaptation du droit chinois au droit international pour consolider la
protection de la propriété.
2134 V., Jacques DELISLE, « Battering rams, and building permits: five lessons about international economic law from Sino-U. S. trade and investment relations », 17 U. Pa. J. Int’l Econ. L. 513, p. 516. 2135 V., par ex., OECD, Coopération OCDE-Chine : dix ans déjà, précité, novembre 2005 ; La gouvernance en Chine, 2005.
693
CONCLUSION DU TITRE
699. - La différence de rythme du développement entre droit du commerce et droits
de l’homme caractérise aussi l’influence du droit international sur la protection de la
propriété en droit interne chinois. Soumis au mécanisme de contrôle établi par le droit
de l’OMC, la Chine est davantage contrainte de tenir ses engagements. Ce qui produit
directement ou indirectement des effets sur le droit de propriété à l’égard non
seulement du contenu de ce droit, mais aussi de la mise en oeuvre des garanties. Or,
dans le domaine des droits de l’homme, à l’absence de mécanismes de contrôle
juridique aussi contraignants que dans le domaine commercial, s’ajoute l’autonomie
prudente du gouvernement chinois. Tous ces facteurs expliquent les pratiques
problématiques rencontrées lors de l’application des normes des droits de l’homme à la
protection de la propriété en Chine. L’expérience du droit chinois invite à tempérer
l’autonomie de l’État par l’articulation entre les niveaux national et international. S’il
est vrai que l’accession de la Chine à l’OMC peut contribuer à la construction d’un
État de droit et participer à une synchronisation indirecte entre droit du commerce et
les droits de l’homme, cet effet « par ricochet » demande encore à être avalisé par
d’autres acteurs, non seulement publics tels que les juges nationaux, mais aussi privés,
qui « apprendraient à utiliser les nouveaux instruments de la sphère internationale,
même quand ils ne sont pas contraignants »2136. Tous ces efforts mèneraient à « la
refondation des pouvoirs institués»2137, sur la base de laquelle peut s’instaurer un
nouvel ordre par l’harmonisation. De par sa situation au confluent du droit des droits
de l’homme et du droit du commerce, le droit de propriété est un sujet idéal à partir
duquel peut s’esquisser une synchronisation fondée sur de bonnes articulations2138.
2136 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (II) : le pluralisme ordonné, op. cit., p. 224. 2137 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (III) : la refondation des pouvoirs, op. cit., p. 33. 2138 V., Mireille DELMAS-MARTY, Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (II) : le pluralisme ordonné, op. cit., pp. 220 et s.
694
CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE
700. - Se situant entre le domaine économique et celui des droits de l’homme,
les mesures prises en Chine afin d’améliorer la législation relative au droit de propriété
se caractérisent par des déséquilibres. Les avancées sont les plus remarquables dans le
domaine économique où la propriété déploie ses fonctions comme moyen de
production indispensable à la croissance économique, tandis que dans le domaine des
droits de l’homme le respect du droit de propriété des individus se heurte à
l’insuffisance des garanties juridiques. Entre droits civils et politiques d’une part mais
relative aussi aux droits économiques, sociaux et culturels d’autre part, la spécificité du
droit chinois en matière de propriété consiste à une hésitation entre « une variante
‘libérale’, qui admettrait l’opposabilité des droits civils et politiques aux acteurs
politiques et peut-être, progressivement, aux acteurs économiques, mais se contenterait
d’une sous-protection des droits économiques, sociaux et culturels » et « une variante
‘autoritaire’ qui, à l’inverse, privilégie ces derniers mais renonce à garantir les droits
civils et politiques » 2139 . L’approche sélective de la Chine va à l’encontre de
l’indivisibilité et de l’interdépendance des droits de l’homme, et manque par
conséquent à son obligation de protection de la propriété qui se situe au confluent des
droits civils et politiques et des droits économiques, sociaux et culturels. Cette
approche qui consiste à choisir entre droit international économique et droits de
l’homme s’oppose aussi à la réalité dans laquelle les garanties du droit de propriété
sont visées aussi bien par les instruments juridiques de droit international économique
que par les normes internationales des droits de l’homme. L’abandon de l’approche
sélective demeure une étape importante à franchir pour réunifier tous les droits
fondamentaux de l’homme, mais aussi pour établir une synergie entre droit
international économique et droit des droits de l’homme, et ce, en vue de rétablir
l’équilibre et de renforcer l’effectivité de la protection de la propriété en droit chinois. 2139 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p. 575.
695
CONCLUSION GÉNÉRALE
701. - Comme « la propriété individuelle est défendue parce qu’elle est la source de
l’ordre et de la sécurité »2140, dès lors que l’État ne respecte plus le contenu de la
propriété, le désordre social se produit. Sur le plan juridico-politique, « la garantie des
libertés et du droit de propriété est la marque des démocraties libérales respectueuses
du principe de la prééminence du droit »2141. Avec la révision constitutionnelle de 2004
proclamant l’inviolabilité des biens privés des citoyens, ainsi que la promulgation de la
loi sur les droits réels en 2007, la propriété privée a conquis une place plus importante
dans le système du droit chinois. Cette avancée marque aussi une nouvelle étape vers une
certaine démocratisation du droit chinois. Sans nier, ni exagérer la signification de la
révision constitutionnelle et celle des travaux législatifs qui fondent le régime juridique
de la propriété, il faut reconnaître que ce droit produit des « effets de système » sur la
transformation du droit chinois (I). Ces effets de système sur la transformation du droit
chinois sont masqués, d’une part, par la réforme des institutions et des procédures et,
d’autre part, par l’apparition dans la population chinoise d’une sorte de conscience
juridique2142 et d’une dynamique d’action. Ces deux aspects contribuent finalement à
l’effectivité du droit de propriété qui est au coeur des exigences de l’État de droit.
L’internationalisation du droit chinois qui se trouve de plus en plus mise en évidence,
ne serait-ce qu’avec l’entrée de la Chine dans l’OMC, fait que ces effets de système
trouvent une intensité complémentaire dans la mesure où le droit international
constitue à la fois une référence et une dynamique incontournables pour la
transformation du droit chinois. L’intégration du droit international, conduit non
seulement à l’acculturation juridique en matière de propriété, mais complète aussi les
sources juridiques qui sont indispensables à l’amélioration de la protection de ce droit.
En consolidant les effets de système de la reconnaissance du droit de propriété, le droit
international renforce la transformation du droit en Chine (II).
2140 Georges RIPERT, Les forces créatrices du droit, Librairie général de droit et de jurisprudence, 1955, § 96. 2141 L. FAVOREU, Droit des libertés fondamentales, op. cit., § 73. 2142 V., Mireille DELMAS-MARTY, « Le laboratoire chinois », op. cit., p. 803.
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I. – LES EFFETS DE SYSTÈME DE LA RECONNAISSANCE DU DROIT DE
PROPRIÉTÉ
702. - Les effets de système entraînés par la reconnaissance du droit de propriété se
comprennent mieux à travers une réinterprétation de la tradition chinoise. En effet, s’il
existe dans la tradition chinoise certains éléments d’une véritable science juridique2143,
il existe pourtant les limites très importantes au développement systématique de cette
science dans la mesure où elle renvoie davantage à la légalité qu’à la garantie judiciaire.
La proclamation constitutionnelle de la propriété privée et les travaux législatifs
contribuant à compléter le régime juridique de la propriété ont pour effet d’améliorer la
légalité mais encore d’inciter à une réforme du droit vers l’indépendance de la sphère
juridique afin de répondre aux attentes concernant la garantie effective de ce droit.
Encore faut-il souligner que la propriété privée contribue à l’épanouissement de la
société civile et stimule par conséquent le processus de constitutionnalisation en Chine.
A. – L’amélioration de la légalité
703. - L’émergence et la croissance des biens privés résultaient directement de la
mise en place de la politique de réforme et d’ouverture. Néanmoins, la Chine n’a pas
d’expérience concernant la privatisation systématique des biens étatiques. La stratégie
progressive des réformes économique et politique détermine le caractère évolutif de la
réforme juridique. La révision constitutionnelle de 2004 affirmant la protection des
biens privés comme principe constitutionnel a pour effet de conduire le droit chinois
vers une plus grande légalité. Si la politique du PCC apparaît souvent supérieure au
droit, la proclamation constitutionnelle de l’inviolabilité de la propriété privée est tout
au moins symbolique, dans la mesure où elle fixe la politique par la « force du
droit »2144. Le caractère opportun de la révision constitutionnelle de 2004 consiste
2143 V., Jérôme BOURGON, « Principe de légalité et règle de droit dans la tradition juridique chinoise », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., pp. 157 à 176. 2144 Cf., Pierre BOURDIEU, « La force du droit : élément pour une sociologie du champ juridique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 64, 1986, pp. 3 à 19.
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également en ce qu’elle pose des principes applicables à l’expropriation des biens, qui
répondent à des problèmes actuels urgents : la nécessité d’un contrôle des diverses
formes de privation se fait de plus en plus pressante étant donné la multiplication du
nombre de cas de spoliations. En brisant les résistances idéologiques, la révision
constitutionnelle de 2004 constitue le fondement de la protection du droit de propriété
en droit chinois et ouvre la voie aux travaux législatifs qui ont pour vocation d’élaborer
des règles plus précises selon l’exigence de la légalité.
704. - La promulgation en 2007 de la loi sur les droits réels marque donc une étape
importante vers la construction du régime juridique de la propriété. Alors que les
dispositions de droit des biens contenues dans les Principes généraux du droit civil sont
encore en vigueur, il ne fait guère de doute que la loi sur les droits réels promulguée en
2007 devienne désormais le droit commun des biens en Chine, en réunissant dans un
texte législatif les règles respectivement relatives à la propriété, à l’usufruit, à la sûreté,
à la possession, avec un titre indépendant en tête qui comporte les règles générales.
Force est de constater que la loi sur les droits réels garde les traces de la spécificité de
l’économie chinoise qui se caractérise par la domination théorique du mode
d’appropriation publique. Car la loi de 2007 réaffirme le principe de la protection des
biens publics et de prévoir des règles précise relatives à la propriété d’État et à la
propriété collective. Ce point révèle que l’administration et la gestion des biens publics
ne font plus seulement l’objet d’opérations politiques, mais entrent désormais dans le
domaine du droit. La promulgation en 2008 de la loi sur les actifs d’État des
entreprises renforce la tendance à la légalité selon laquelle les actes gouvernementaux
en matière de biens publics sont plus que jamais encadrés par le droit. Le renforcement
de la légalité par la législation systématique, qui concerne non seulement la propriété
privée mais aussi la propriété publique, n’est accompli qu’avec la mise en oeuvre
effective des règles de droit. Or, en l’état actuel, le problème de l’indépendance
juridique demeure l’obstacle majeur à l’application du droit en Chine.
B. – L’incitation à la réforme vers l’indépendance juridique
705. - La violation flagrante des lois, mais surtout les atteintes aux biens privés,
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mettent en relief l’obstacle majeur à la garantie effective du droit de propriété que
constitue le manque d’indépendance juridique. Cet obstacle se traduit d’abord par la
marginalisation de la compétence législative en matière de propriété à cause de
l’extension des pouvoirs réglementaires nationaux ou locaux. Les règles législatives
sont souvent contournées par des dispositions réglementaires nationales ou locales
dans l’application du droit. En l’absence d’un mécanisme efficace de contrôle sur la
conformité des textes réglementaires à la loi nationale, c’est la politique du
gouvernement central et local qui détermine au final la mise en oeuvre des garanties du
droit de propriété. Les effets pervers qu’induise le manque d’indépendance juridique se
révèlent encore plus nettement dans le cadre de la démolition des bâtiments dans les
zones urbaines. Car, qu’ils soient directement ou indirectement impliqués dans le
projet d’exploitation des terrains qui entraîne l’expropriation des habitations
concernées, les autorités locales sont à la fois celles qui prévoient les règles relatives à
la démolition qui seront applicables dans les territoires sous leur juridiction mais aussi
celles qui les appliquent. À la fois juges et parties, les autorités locales ne peuvent que
contribuer à vider le sens des principes constitutionnels et législatifs concernant
l’expropriation des biens privés dans les pratiques de démolition des bâtiments dans les
zones urbaines. In fine, non seulement le motif avancé de l’intérêt général, mais aussi
les critères d’indemnisation, sont soumis à l’arbitraire des autorités locales qui
manifestent dans la plupart des cas une grande complaisance avec les entrepreneurs qui
initient les expropriations.
706. - Quant à l’autorité judiciaire, les limites fixées à la compétence juridictionnelle
et aux moyens d’actions empêchent les juges d’exercer un véritable contrôle sur les
mesures d’expropriation décidées par les autorités locales. Étant donné que
l’indépendance du juge n’est pas véritablement garantie dans le droit chinois, comme
en témoigne l’ingérence des organes locaux du PCC et des autorités locales dans le
traitement des affaires par les tribunaux, il n’est guère difficile de prévoir le sort qui est
réservé aux plaintes déposées devant les juridictions. Celles-ci ne répondent pas le plus
souvent aux attentes des victimes. Néanmoins, les victimes ne sont pas dupes de
l’existence d’une « législation locale » et des recours juridictionnels inéquitables. La
revendication des droits de type « lettre et visite » ou les manifestations violentes sont