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I UNIVERSITÉ PARIS I PANTHÉON-SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE DE DROIT COMPARÉ LA PROTECTION DE LA PROPRIÉTÉ EN CHINE : TRANSFORMATION DU DROIT INTERNE ET INFLUENCE DU DROIT INTERNATIONAL Thèse pour le Doctorat en droit présentée et soutenue publiquement le 12 mai 2009 par Bin LI Membres du jury Madame Mireille DELMAS-MARTY Professeur au Collège de France, Directeur de recherche Monsieur Guy CANIVET Membre du Conseil constitutionnel Monsieur Yves DOLAIS Maître de Conférences à l’Université d’Angers, Rapporteur Madame Bénédicte FAUVARQUE-COSSON Professeur à l’Université Paris II Madame Marie GORÉ Professeur à l’Université Paris II, Rapporteur Monsieur Thierry REVET Professeur à l’Université Paris I

la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

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Page 1: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

I

UNIVERSITÉ PARIS I PANTHÉON-SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE DE DROIT COMPARÉ

LA PROTECTION DE LA PROPRIÉTÉ EN CHINE :

TRANSFORMATION DU DROIT INTERNE ET

INFLUENCE DU DROIT INTERNATIONAL

Thèse pour le Doctorat en droit

présentée et soutenue publiquement le 12 mai 2009

par

Bin LI

Membres du jury

Madame Mireille DELMAS-MARTY

Professeur au Collège de France, Directeur de recherche

Monsieur Guy CANIVET

Membre du Conseil constitutionnel

Monsieur Yves DOLAIS

Maître de Conférences à l’Université d’Angers, Rapporteur

Madame Bénédicte FAUVARQUE-COSSON

Professeur à l’Université Paris II

Madame Marie GORÉ

Professeur à l’Université Paris II, Rapporteur

Monsieur Thierry REVET

Professeur à l’Université Paris I

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II

« L’université n’entend ni approuver, ni désapprouver les opinions du candidat ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs »

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III

Mes remerciements vont à Madame le Professeur Mireille DELMAS-MARTY pour sa confiance, sa disponibilité et ses conseils précieux.

Ma gratitude va également à celles et ceux qui ont accompagné cette recherche.

Je tiens à remercier chaleureusement Mesdames Stéphanie BALME, Christine KARABOWICZ-RIVET, Messieurs Jeremy ROMERO, Antoine GARAPON,

Jean-Paul DELATTRE, pour leur présence amicale ou professionnelle, pour leurs conseils aussi pertinents que rassurants.

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IV

À mes chers parents et à mon épouse GUO Wenjng.

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V

LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS

ADPIC Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce AMGI Agence multilatérale de garantie des investissements ANP Assemblé générale populaire CC Conseil constitutionnel CCPPC Conférence consultative politique du Peuple chinois CAE Conseil des affaires d’État CE Conseil d’État CEDH Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales CIRDI Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements CJCE Cour de justice des communautés européennes Cass. Cour de cassation CIJ Cour internationale de justice DUDH Déclaration universelle des droits de l’homme OCDE Organisation de coopération et de développement économiques OIT Organisation Internationale du Travail OMC Organisation mondiale du commerce ONU Organisation des Nations Unies ORD Organe de règlement des différends PCC Parti communiste chinois PIDCP Pacte international relatif aux droits civils et politiques PIDESC Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels PNUD Programme des Nations Unis de développement SASAC Commission du CAE chargée de la supervision et de la gestion des actifs d’État UNESCO United Nations Educational Scientific and Cultural Organization

Page 6: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

VI

SOMMAIRE Une table des matières détaillée figure à la fin de la thèse

INTRODUCTION......................................................................................................................1

PREMIÈRE PARTIE – LA TRANSFORMATION DU DROIT DE PROPRIÉTÉ EN

CHINE...............................................................................................65

TITRE I. – PROCLAMATION CONSTITUTIONNELLE ET CONSTRUCT ION DU

RÉGIME JURIDIQUE DU DROIT DE PROPRIÉTÉ................................66

CHAPITRE I. – L’ÉVOLUTION DU FONDEMENT CONSTITUTIONNEL DU

DROIT DE PROPRIÉTÉ....................................................................67

CHAPITRE II. – LA CONSTRUCTION DU RÉGIME JURIDIQUE DU DROIT DE

PROPRIÉTÉ.............................................................................148

TITRE II. – LA MISE EN OEUVRE DES GARANTIES DU DROIT DE

PROPRIÉTÉ.................................................................................................219

CHAPITRE I. – LA MISE EN OEUVRE DES GARANTIES

CONSTITUTIONNELLES DU DROIT DE PROPRIÉTÉ...............220

CHAPITRE II. – LA MISE EN ŒUVRE DES GARANTIES JURIDIQUES DU DROIT

DE PROPRIÉTÉ.................................................................................295

DEUXIEME PARTIE – L’INFLUENCE DU DROIT INTERNATIONAL......................374

TITRE I. – LES SOURCES JURIDIQUES INTERNATIONALES RELATIVES À LA

PROTECTION DE LA PROPRIÉTÉ......................................................378

CHAPITRE I – LA CONSÉCRATION DE LA PROPRIÉTÉ EN TANT QUE DROIT

DE L’HOMME.....................................................................................379

CHAPITRE II – L’EXTENSION DU PRINCIPE DE LA PROTECTION DE LA

PROPRIÉTÉ EN DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE.....454

TITRE II. – LA MISE EN OEUVRE DES NORMES INTERNATIONALES............532

CHAPITRE I – LA PROTECTION DE LA PROPRIÉTÉ EN CHINE SOUMISE AUX

OBSERVATIONS INTERNATIONALES..........................................533

CHAPITRE II – LA PROTECTION DE LA PROPRIÉTÉ COMME RÉSULTAT DE

L’ADAPTATION DU DROIT CHINOIS AUX NORMES

INTERNATIONALES....................................................................613

CONCLUSION GÉNÉRALE................................................................................................695

Page 7: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

VII

RÉSUMÉ

Le droit de propriété a été l’objet de réformes successives en Chine. La révision

constitutionnelle de 2004, consacrant la protection de la propriété privée, et la

promulgation en 2007 de la loi sur les droits réels ont abouti à en réaffirmer la légalité

mais aussi la légitimité. Ces réformes s’inscrivent plus largement dans le processus de

la reconnaissance et de la protection des droits de l’homme dans la constitution

chinoise. Mais le dispositif constitutionnel ainsi enrichi et les travaux législatifs et

réglementaires édictant les dispositions plus précises en matière de propriété ne

pourront prendre leur pleine signification qu’à travers l’institution de contrôles

effectifs. Pour permettre une réelle effectivité du droit de propriété, il serait nécessaire

d’examiner à la fois l’évolution du fondement constitutionnel de ce droit et les autres

dispositions normatives. Il serait aussi nécessaire d’analyser les difficultés

d’application de ce droit pour engager une réelle réflexion sur le développement du

droit chinois. Les difficultés rencontrées lors de la constitutionnalisation ou de la

judiciarisation du droit de propriété traduisent les difficultés de l’ensemble du système

juridique chinois et, réciproquement, les solutions apportées par l’expérimentation du

droit de propriété pourront faire progresser le système juridique chinois. Déclenchée

par la mise en place des politiques de réforme et d’ouverture, la réforme du droit

chinois a été depuis lors profondément touchée par l’internationalisation du droit dont

les deux piliers sont le droit international économique et les droits de l’homme. Le

droit de propriété en Chine, caractérisé par la prédominance de l’Etat, est plus

directement concerné par le droit international économique dans le contexte de réforme

et d’ouverture menées par l’Etat. Mais la prise en compte de la valeur universelle des

droits de l’homme peut consolider la protection de ce droit. Par les divers mécanismes

de contrôle ou d’observation, le droit international a imposé son influence sur

l’adoption ou la modification des règles de droit interne, ce qui confère une dynamique

à la transformation du droit chinois à l’égard de la protection de la propriété.

Page 8: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

VIII

ABSTRACT

Property law has gone through continuous process of reform in China. The

amendment of the Constitution in 2004, consecrating the protection of private property,

as well as the promulgation of the Law of property in 2007, have succeeded in

reaffirming both the legality and the legitimacy of private property. In a larger context,

the reform is part of the process of recognizing and protecting human rights by the

Chinese Constitution. However, the enriched constitutional arrangement and the

legislative and regulatory works adopting more precise rules on property rights will not

completely acquire their meaning only through the creation of effective control

mechanisms. To assure the true effectiveness of property law, it would be necessary to

examine the evolution of constitutional foundations and other normative dispositions

of property law. It would also be necessary to analyze the difficulties in property law

enforcement, in view of engaging a true reflection on the development of Chinese law.

The difficulties encountered with the constitutionalization or the judicialisation of

property law reflect concretely those of the entire Chinese legal system; correlatively,

the solutions sought through the experimentation of property law could make the

Chinese legal system progress significantly. Triggered by the economic reform and

open policies, the legal reform in China has been deeply affected by the

internationalization of law, the two pillars of which are international economic law and

human rights law. Chinese property law, which is characterized by the State’s

predominance, is more directly concerned with international economic law. However,

taking into consideration the universal value of human rights will consolidate the

protection of property rights. With different mechanisms of control or observation,

international law has imposed its influence on the adoption or modification of national

legal rules, and thus brings dynamism to the evolution of the protection of property

rights in Chinese law.

Page 9: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

1

INTRODUCTION

1. - La présente étude a pour objet l’essor de la propriété privée en Chine. Il se

caractérise par la multiplication des normes juridiques dont les manifestations les plus

remarquables sont la loi sur les droits réels qui a été promulguée le 16 mars 2007 et est

entrée en vigueur le 1er octobre 2007, et la révision constitutionnelle en 2004 qui

proclame désormais l’inviolabilité de la propriété privée légale des citoyens1. La

légalisation et surtout la constitutionnalisation de la propriété privée constituent des

transformations significatives du droit chinois, d’autant plus qu’elles s’inscrivent dans

le processus des réformes menées par l’État depuis la fin des années 70. Sur le plan

économique, la transition de l’économie planifiée à l’économie de marché est la cause

directe de la reconnaissance du droit de propriété qui est généralement conçu comme la

condition indispensable au bon fonctionnement du marché. Sur le plan juridique, la

réintroduction de la notion civiliste de propriété, qui répond à la nécessité de la

réforme économique, est tributaire de l’évolution de l’ensemble du système juridique

chinois qui ne se limite pas au domaine du droit privé mais s’étend aussi à celui du

droit public. Mais c’est notamment sur le plan politique que les transformations du

droit de propriété en Chine prennent toute leur signification : elles s’inscrivent en effet

dans le processus de construction d’un État de droit socialiste, défini en tant que

principe constitutionnel par la révision en 1999 de la Constitution de 19822. La

révision constitutionnelle de 1999 marque un tournant dans l’évolution d’un droit

chinois en quête de modernité car elle signifie le passage d’un pays gouverné par la loi

à la construction d’un État de droit. La consécration constitutionnelle de la propriété

privée –considérée comme l’un des « trois piliers de l’ordre juridique »3 de la société

contemporaine– contribue désormais à consolider le processus de construction d’un

État de droit en Chine.

1 V., article 13 de la Constitution de 1982. 2 Article 5, alinéa 1er de la Constitution de 1982 dispose que « la République populaire de Chine gouverne selon la loi et met en place un État de droit socialiste ». 3 V., Jean CARBONNIER, Flexible droit, pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e éd., LGDJ, 2001, p.255.

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2

2. - L’expression « droit de propriété » utilisée dans la présente étude peut

s’entendre au sens large quand elle englobe les droits patrimoniaux portant sur les

biens meubles, immeubles, corporels et incorporels, protégés par la législation interne

et les instruments juridiques internationaux. Si parmi ces droits, la propriété est le droit

réel le plus achevé, il existe d’autres droits permettant la jouissance des choses: ainsi

en est-il des différents droits d’usage des terres qui occupent une place importante dans

le cadre du droit foncier chinois. S’il est vrai que la doctrine juridique contemporaine

qui s’accorde en général à reconnaître que le droit des biens est en crise, et qu’aucune

définition de la propriété ne parvient à décrire correctement l’ensemble du droit actuel,

la coexistence de la propriété étatique, collective, privée, ainsi que les diverses formes

des droits d’usage en droit chinois témoigne du phénomène de l’abandon progressif de

l’idée d’un pouvoir absolu d’une personne sur une chose, au profit d’une autre notion,

plus obscure, celle de faisceau de droits, divisibles et superposables, n’ayant pas

nécessairement des choses tangibles pour objet, mais désignant l’irréductible

hétérogénéité des objets appropriés et des régimes juridiques auxquels ceux-ci sont

soumis4. De façon encore plus remarquable, le cas particulier du droit chinois pourrait

s’expliquer par « la pluralité des conceptualisations de la propriété » qui « admet la

possible allocation de droit aussi bien privatifs que collectifs, offrant ainsi des

modalités différenciées d’articulation du propre et du commun »5. Encore faut-il

souligner que l’expression chinoise « wu quan », servant à désigner la notion juridique

de droit réel, peut parfois être traduite en français par l’expression « les biens », de

même que la loi sur les droits réels a été traduite par « loi sur les biens ». Cependant,

tandis qu’en droit français le « bien » peut désigner à la fois « tout droit subjectif

patrimonial » et « toute chose objet d’un droit réel »6, en chinois le « bien » (caichan)

s’entend plus généralement comme couvrant les choses susceptibles d’appropriation. Il

s’agit là de l’objet du droit, mais non pas du droit en soi. De ce fait, l’expression

« droits de propriété » est aussi adéquate dès lors que l’on se réfère aux divers droits

ayant pour objet des biens, d’autant plus que l’attractivité du droit de propriété initia un 4 Mikhaïl XIFARAS, La propriété, Étude de philosophie du droit, P. U. F., 2004, p. 9. 5 Ibid., p. 498. 6 Serge GUINCHARD, Gabriel MONTAGNIER, Lexique des termes juridiques, 16e éd., Dalloz, 2007, p. 82.

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3

processus d’extension de son champ d’application au-delà des limites classiques de la

notion de « biens ».

3. - L’examen sur l’effectivité de la protection de la propriété exige aussi que l’on

adopte plusieurs points de vue concernant l’objet de la présente étude. C’est la raison

pour laquelle l’expression de droit de propriété est retenue dans son acception au sens

large, alors que celle de « droit des biens » renvoie plus strictement à une interprétation

civiliste portant sur le droit chinois en la matière. Le fait que l’on ait opté pour une

signification large du droit de propriété relève également de la prise en compte de la

tendance actuelle du droit international qui va dans ce sens. Mis à part l’article 1er du

Protocole n° 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et

des libertés fondamentales (CEDH) qui adopte l’expression de respect des biens

–même si la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé qu’il

s’agit du droit de propriété qui est garanti par la Convention7- c’est le mot de propriété

qui figure le plus souvent dans les documents internationaux consacrés aux droits de

l’homme. Il en est ainsi de l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de

l’homme (ci-après, DUDH) qui proclame le droit à la propriété, tandis que l’article 17

de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose d’emblée que

« Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis

légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer ». Puisque la propriété peut se

définir aussi bien par le type le plus achevé de droit réel8 que par les biens objets de ce

droit, il semble utile de préciser que la spécificité de l’expression du « droit de

propriété » dans la présente étude consiste à focaliser notre analyse sur la propriété

entendue à la fois comme un droit subjectif mais aussi comme un fait économique et

social. Car « la vérité pourrait être, aujourd’hui, que, si le droit de propriété traverse

des épreuves, celles-ci se concentrent dans divers secteurs critiques qui campent la

physionomie actuelle du problème »9. La question de la propriété concerne des secteurs

aussi variés que l’entreprise et l’agriculture, situés aussi bien en zone urbaine que

rurale. La concrétisation de la question de la propriété en fonction des domaines dont 7 Cf., Institut des droits de l’homme des avocats européens, La protection du droit de propriété par la Cour européenne des droits de l’homme, Paris, 26 mai 2004, Bruylant, 2005. 8 V., Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, 2e éd., P. U. F., 2001, p. 686. 9 Gérard CORNU, Droit civil, les biens, 13e éd., 2007, Montchrestien, § 25.

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4

elle relève nécessite une étude qui dépasse la distinction classique entre droit public et

droit privé, en tenant compte de multiples sources juridiques internes et internationales

de ce droit. La recherche sur l’effectivité du droit de propriété exige aussi que la

présente étude portant sur la transformation du droit interne chinois aille procéder en

deux volets indissociables: les garanties de la propriété et la mise en oeuvre de ces

garanties. Alors que le premier volet concerne la proclamation constitutionnelle de la

propriété et les travaux législatifs qui construisent le régime juridique de ce droit, le

deuxième comporte l’application des normes de garantie –constitutionnelles et

législatives– par voie normative et juridictionnelle en vertu de l’état actuel du droit

chinois, tout en tenant compte des problèmes et des critiques qu’il suscite ainsi que de

sa tendance à la réforme.

4. - Étant donné que le retour de la Chine au droit s’accompagne de l’intégration

en droit interne des normes internationales, la transformation du droit chinois en

matière de propriété n’est pas un processus qui relèverait uniquement de causes

internes. Bien au contraire, le droit international relève d’une dynamique extérieure,

mais réelle et incontournable, qui contribue à la transformation du droit chinois. Les

normes du droit international consacrées à la protection de la propriété au sens large

constituent des sources juridiques complémentaires au droit chinois. De même, les

mécanismes d’application du droit international pourraient produire des effets incitatifs

à la réforme du droit chinois vers l’amélioration de la garantie de la propriété. Mais

c’est la mondialisation économique qui a eu le plus d’influence sur la politique de la

Chine. En effet, la prise en compte des normes internationales concernant le droit de

propriété figurait déjà parmi les grandes lignes directrices de la réforme chinoise10.

L’influence du droit international est remarquable d’autant plus que la transformation

du droit chinois s’inscrit dans le double processus de la constitutionnalisation et de

l’internationalisation du droit. Ces deux processus de constitutionnalisation et

d’internationalisation du droit «expriment déjà une dynamique qui pourrait favoriser la

construction de l’État de droit »11 en Chine. Certes, le discours de l’« État de droit »

10 V., Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), La Chine dans l’économie mondiale : les enjeux de politique intérieure, rapport de synthèse, 2002, pp. 54 à 56. 11 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la

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5

qui fait l’objet de diverses interprétations en Chine12 risque de servir à légitimer le

régime de l’État-Parti –pour décrire le rôle prédominant du Parti Communiste Chinois

dans l’exercice des pouvoirs étatiques– plutôt que de servir à la rationalisation du

système du droit s’appuyant sur les principes juridiques fondateurs de cette notion13.

Le retard du droit chinois en ce qui concerne la réception des principes juridiques de

l’État de droit sous l’influence du droit international est relativisé par l’expérience des

États européens dans l’application de la CEDH. Dans sa volonté d’assurer la garantie

effective des droits de l’homme, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de

l’homme a mis en évidence les liens très étroits qui existent entre le droit à la justice et

le principe de la prééminence du droit14, « tant il est vrai qu’un État de droit ne peut se

concevoir sans offrir à ses justiciables une justice apte à redresser les violations de la

règle commune »15. La notion de société démocratique, comme celle de prééminence

du droit, sont désormais les principes sur lesquels se fonde l’interprétation de la

Convention16. Leur valeur contraignante est pleinement acceptée par la jurisprudence

comme les principes juridiques sous-jacents à la Convention17. Au regard de la

consécration des principes juridiques de l’État de droit, le droit international peut

contribuer à la protection de la propriété pour qu’elle devienne un droit réel au sens

propre et figuré, et ne demeure pas lettre morte dans les textes de droit chinois. Avec

l’accession de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les normes de

droit du commerce qui véhiculent les principes juridiques exprimant l’esprit de l’État

mondialisation », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, Fayard, 2007, p. 564. 12 V., Randy PEERENBOOM, « Competing conceptions of rule of law in China », in Randall PEERENBOOM (ed.), Asian discourses of rule of law: theories and implementation of rule of law in twelve Asian countries, France and the U.S., Routledge Curzon, 2004, p. 113 à 137. 13 V., ZHENG Yongnian, Globalization and State transformation in China, Cambridge University Press, 2004, pp. 192 à 194. 14 CEDH, 26 avril 1979, Sunday Times c/Royaume-uni, Série A n° 30, §§ 55. 15 Jean-François RENUCCI, Traité de droit européen des droits de l’homme, L.G.D.J. 2007, § 269. 16 V., Olivier JACOT-GUILLARMOD, « Règles, méthodes et principes d’interprétation dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », in Louis-Edmond PETTITI, Emmanuel DECAUX, Pierre-Henri IMBERT, La Convention européenne des droits de l’homme, Commentaire article par article, 2e éd., Economica, 1999, pp. 56, 57. 17 CEDH, 21 février 1975, Golder, Série A n° 18, § 34 ; 8 juillet 1986, Lingens, Série A n° 103, §42.

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6

de droit peuvent avoir une influence juridique plus grande sur le droit chinois18. Qu’il

s’agisse de la protection des investissements étrangers ou de la propriété intellectuelle,

l’influence du droit international sur la protection de la propriété est plus évident que

celui des instruments internationaux des droits de l’homme. Mais le rôle du droit

international des droits de l’homme ne doit pas être négligé. En associant la garantie de

la propriété avec la nécessité de la protection des droits humains, le droit international

des droits de l’homme proclame le principe d’indivisibilité de tous les droits de

l’homme, mais pose aussi la question de savoir comment les droits peuvent devenir

complémentaires et compatibles. L’adage « tout est question de proportion et

d’équilibre » 19 appelle aussi à rétablir l’équilibre entre le droit international

économique et le droit international des droits de l’homme, d’autant plus que le

développement inégal des deux piliers de l’internationalisation du droit se révèle plus

nettement s’agissant de leur contribution respective à la protection de la propriété. En

s’ouvrant au processus de l’internationalisation, la protection de la propriété est au

confluent de l’influence du droit international économique et de celle du droit

international des droits de l’homme. Leurs influences respectives se lisent non

seulement dans l’existence de normes juridiques relevant du respect et de la protection

de la propriété, mais aussi dans l’effectivité de leur application qui dépend des

mécanismes d’application établis sur le plan international d’une part et de leur prise en

compte en droit interne d’autre part.

5. - Par son lien avec les différentes branches de droit privé et public et sa position

à l’intersection du droit interne et du droit international, la propriété est un droit dont la

consécration des normes de garantie et leur mise en oeuvre peuvent mettre en évidence

la portée juridique et politique du développement de la Chine. En d’autres termes, la

propriété est à la fois une représentation (I) et une dynamique (II) de la transformation

du droit chinois. C’est la raison pour laquelle le droit international est susceptible

d’exercer une grande influence sur la transformation du droit chinois à partir de la

défense du droit de propriété. 18 Cf., Leïla CHOUKROUNE, L’accession de la République populaire de Chine à l’Organisation mondiale du commerce, instrument de la construction d’un État de droit par l’internationalisation, thèse, l’Université Paris 1, 2004. 19 Mireille DELMAS-MARTY, Trois défis pour un droit mondial, éditions Seuil, 1998, p. 53.

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7

I. – LA PROPRIÉTÉ, UNE REPRÉSENTATION DE LA TRANSFORMATION

DU DROIT CHINOIS

6. - Comme tous les autres droits, la propriété est un artefact humain, une

construction juridique liée à des normes, à des lois qui prennent tantôt la forme de

coutumes tantôt celle d’actes législatifs. La formalisation juridique des rapports autour

des biens objets de propriété est influencée par les relations économiques, les

structures sociales, ainsi que par les pensées politiques qui constituent les éléments de

l’histoire universelle. Pour ne pas « oublier trop vite les épisodes précédents de

l’histoire de la propriété et le caractère réversible des évolutions juridiques », il est

nécessaire d’inscrire dans l’évolution historique la « contre-offensive de la propriété

privée » 20 en droit chinois contemporain (A). L’appropriation privative des biens a

longtemps existé dans l’histoire du droit chinois et elle fut quasiment réduite à néant au

profit de la propriété publique avec l’avènement du régime socialiste. La rupture

d’histoire fut toutefois remplacée par le système juridique actuel en Chine qui

juxtapose la propriété privée, la propriété d’État et la propriété collective. Mais il reste

à souligner le caractère inachevé du processus de revirement du droit chinois en

matière de propriété qui réside tant dans l’adoption des normes de droits que dans leur

mise en oeuvre. C’est ce qui reflète plus nettement la distance entre l’état actuel du

droit de propriété en Chine et les principes juridiques sous-jacents de l’État de droit.

En effet, on ne peut comprendre complètement la signification de la propriété en droit

chinois sans analyser celle de l’État de droit dans le même système (B), d’autant plus

que celle-ci permet de mieux repérer les orientations que suivent les transformations du

droit de propriété dans l’avenir.

A. – La propriété s’inscrit dans l’évolution historique du droit chinois

7. - Il est vrai que certains éléments du droit des biens dans l’histoire chinoise sont

profondément modifiés, complètement abandonnés ou sont tombés en désuétude avec

le temps, de sorte qu’une rupture semble s’être établie entre le droit actuel et les 20 Jean-Louis HALPÉRIN, Histoire du droit des biens, Economica, 2008, p. 323.

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8

anciens droits. En revanche, d’autres éléments ont émergé ou ont été introduits dans

l’histoire et ont été conservés en droit contemporain. Il est possible que des dispositifs

du droit actuel ne constituent qu’à première vue un rapprochement ou un retour aux

éléments des anciens droits. Le phénomène de revirement du droit chinois en matière

de propriété privée (1) semble confirmer cette hypothèse de retour, mais aussi mettre

en relief la force de l’aspiration du peuple chinois à l’équité (2). La persistance de cette

aspiration à l’équité et donc à l’égalité, à la justice sociale et à l’impartialité, pourrait

s’avérer à la longue une force de transformation.

(1). – Le revirement du droit chinois en matière de propriété privée

8. - La possession de toutes les terres par l’empereur fut la première notion

relative à la propriété foncière dans l’histoire chinoise. Elle remonte au XXIe siècle av.

JC. Depuis la dynastie Zhou (VIIIe siècle av. JC.), avec l’avènement de la féodalité, le

régime foncier dit « Jing tian » fut instauré: les terres cultivables appartenaient aux

seigneurs qui procédaient à la distribution égalitaire et à la redistribution périodique

parmi les paysans21. En 350 av. JC., Shang Yang, le ministre du royaume des Qin,

détruisit le système égalitaire « Jing tian », et accorda aux cultivateurs la libre

acquisition des terres. Avec la création de « l’État centralisé » de la dynastie Qin (221

av. JC.) dont la base fut jetée par « l’essor économique qui provoqua l’apparition

d’une petite classe de riches marchands entrepreneurs et de grands propriétaires

fonciers »22, la féodalité fut abolie et la propriété privée foncière fut officiellement

reconnue23. Cette grande réforme des Qin « consista à rompre l’adhérence étroite qu’il

21 Sous le régime foncier dit du « Jing tian », le sol destiné à la culture était divisé en grand carrés. Ces carrés étaient subdivisés en neuf carrés égalitaires plus petits par de petites levées de terre ou des rigoles, selon la forme qu’indique le signe du mot chinois « Jing». Les huit carrés externes étaient les champs réservés à l’entretien de huit chefs de culture et de leurs maisonnées. Le champ central est cultivé par tous et les produits appartiennent à l’État. Certes, en réalité, les champs étaient cultivés en commun par les huit chefs de culture et leurs subordonnés, le seigneur recevait non le produit du neuvième champ, mais le neuvième du produit total. V., Marcel GRANET, La féodalité chinoise, Paris : Société d’Édition Les Belles Lettres,1952, 159 ; YUAN Chaucer, La philosophie morale et politique de Mencius, Paris : Librairie Orientaliste, 1927, pp. 281 à 296. 22 Jacques GRENET, Le monde chinois, 4e éd., Armand Colin, 1999, p. 77. 23 V., Patrick A. RANDOLPH Jr., LOU Jianbo, Chinese real estate law, Kluwer Law International, 1999,

Page 17: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

9

y avait entre l’homme et le sol »24. Sous la dynastie des Han (fondé en 206 av. JC.), une

classe sociale de grands propriétaires fonciers commença à se constituer dans l’histoire

de la Chine25. Il faut toutefois souligner que sous les dynasties suivantes jusqu’au Qing

(1644 à 1911) les empereurs demeuraient autoritaires concernant l’utilisation des terres

par les paysans et leur distribution afin d’assurer les redevances fiscales, les prestations

militaires ou les corvées. D’où la précarité et les variations les plus diverses qu’a

connues la propriété privée foncière, soumise « au droit régalien » des empereurs

d’après le constat qu’en a dressé Max Weber26. Sur le plan juridique, par leur nature

principalement pénale, les anciens droits chinois depuis la codification des Tang ne

jouèrent qu’un rôle secondaire par rapport aux coutumes concernant la définition et la

défense des droits individuels sur les éléments civils tels que la propriété, sa succession

et la filiale familiale27. Il en résulta que l’ancien droit chinois reconnaissait la propriété

privée, « sans élaborer des techniques particulièrement adaptées au droit des biens »28.

Cependant, dans le domaine des transactions foncières se sont développées des notions

techniques relatives à la propriété29.

9. - La propriété comme catégorie juridique fut introduite en Chine par un

mouvement de modernisation du droit mené par les juristes réformateurs de la fin des

Qing, au début du XXe siècle30. Dans un mouvement de réforme qui a introduit « le

p. 3. 24 Marcel GRANET, La civilisation chinoise, Éditions Albin Michel, 1994, p. 172. 25 V., Henri MASPERO, Jean ESCARRA, Les institutions de la Chine, essai historique, P. U. F., 1952, pp. 34, 35. 26 V., Max WEBER, Confucianisme et taoïsme, Éditions Gallimard, 2000, p. 116 et s, sp. 125, 126. 27 V., Philipe M. CHEN, Law and justice, The legal system of China 2400 B. C. to 1960 A. D., Dunellen Publishing Company, 1973, pp. 9, 11. 28 Jean-Louis HALPÉRIN, Histoire du droit des biens, op. cit., p. 144. 29 Par exemple, à la fin des Qing, « le vendeur des actes est appelé mai-tchou ‘propriétaire vendant’ ou che-chou ‘propriétaire perdant’,ou k’i-tchou ‘propriétaire abanbonnant’, ou yuen-tchou ‘premier propriétaire’, ou yuen-yé-tchou ‘premier propriétaire de la chose’. –L’acheteur s’appelle mai-tchou ‘propriétaire achetant’, ou té-tchou ‘propriétaire acquérant, ou yé-tchou ‘propriétaire de la chose’ ». D’ailleurs, « Le cheoi-k’i, est un acte par lequel un nouveau propriétaire, ayant passé un contrat d’achat révocable ou irrévocable pour une maison ou une terre, moyennant une taxe légale payée au Gouvernement, obtient que le magistrat local appose son sceau sur les pièces, lui remette le diplôme appelé k‘i-wei, et ‘confirme le contrat’ ». V., Pierre HOANG, Notions juridiques sur la propriété en Chine, Chang-Hai, Imprimerie de la mission catholique, 1897, pp. 5, 22. 30 V., Jérôme BOURGON, « L’émergence d’une communauté de juristes à la fin de l’Empire », in

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10

droit dans la course à la modernisation » ayant eu lieu à la fin du XIXe siècle, les

tentatives de codification marquent « la naissance de l’histoire juridique moderne en

Chine »31. Après la chute des Qing, une commission de codification des lois fut

instaurée en 1918. Elle a abouti à un premier projet de code civil chinois en 1925. Un

Code foncier a été promulgué le 30 juin 1930 mettant en place le régime juridique de la

propriété privée des terres dans la Chine républicaine, tout en prévoyant des limitations

à la propriété privée des terres32. Les cinq livres du Code civil chinois ont été adoptés,

puis mis en vigueur en 1931. Largement influencé par les théories étrangères, le livre

III du Code civil chinois a assis la formalisation juridique du droit des biens sur la

notion juridique des droits réels en droit japonais qui véhicule l’influence du BGB33.

En témoignent les mots chinois « wu quan » désignant les droits réels qui ont été

introduits en droit chinois en traduisant simplement l’expression japonaise 34 .

Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL, La Chine et la démocratie, op. cit., pp. 188 à 193. 31 Jérôme BOURGON, SHEN Jiaben et le droit chinois à la fin des Qing, thèse de doctorat, EHESS, 1994, pp. 636, 663. 32 L’article 7, alinéa 1er du Code foncier dispose que les terrains situés sur le territoire de la République chinoise appartiennent à l’ensemble de la nation chinoise. Ceux dont les citoyens ont acquis la propriété conformément à la loi, sont des terrains privés ; mais l’acquisition de la propriété du terrain n’entraîne pas celle des mines qui y sont contenues. L’article 8, alinéa 1er prévoit que les biens qui ne peuvent pas faire l’objet d’un acte d’appropriation privée sont les cours d’eau navigables, les étendues d’eau formées naturellement et dont l’usage est nécessaire au public, les voies de communication publiques, les terrains renfermant des sources minérales, les chutes d’eau et les ressources naturelles dont l’usage est nécessaire au public, les monuments anciens célèbres, les autres terrains dont une loi interdit l’appropriation privée. L’article 14 du Code foncier prévoit que le gouvernement local peut fixer une limite maximale à la superficie du terrain possédée respectivement par les individus ou les groupes, en fonction des circonstances suivantes et qui doit être confirmée par le service foncier central : des besoins locaux, des catégories de terrains et de la nature des terrains. Un livre V est consacré à l’expropriation des terrains qui comporte sept chapitres relatifs aux dispositions générales, aux préparatifs d’expropriation, à la procédure d’expropriation, à l’indemnité de valeur foncière, aux frais de déplacement, aux plaintes et arbitrage et aux dispositions pénales. Le Code foncier de la République de Chine est traduit pas François THÉRY et publié par Procure de la Mission de Sienhsien, Tienstin, 1931. 33 V., SUN Xianzhong, « Zhongguo jinxiandai jishou xifang minfa de xiaoguo pingshu (Commentaire sur l’effet de la transposition en Chine des droits étrangers en matière civile) », Zhongguo faxue (China Legal Science), 2006, n° 3, p.167. 34 Dans la Chine ancienne, c’est le mot « chan » qui apparaît dans les lois agraires et dans les codes pour désigner la possession de la terre. Et le mot occidental « propriété » ou « possession » rend assez mal le mot « chan », car ce dernier relève bien plus d’une occupation réelle que d’un droit abstrait. En matière foncière, le terme juridique pour désigner une propriété privée est « ye », et le propriétaire est appelé « ye zhu » qui signifie « le maître de la propriété », alors que le « chan » peut désigner

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11

Cependant, avec la défaite du gouvernement national et l’arrivé au pouvoir des

communistes par l’établissement du nouveau gouvernement de la Chine République

Populaire, le Code civil comme d’autres codes de l’ancien gouvernement ont été abolis.

Ces mesures ont ouvert la voie à la refondation du droit chinois sous influence de

« l’extension du modèle soviétique »35. Dans le mouvement socialiste, une série de

mesures qui touchent frontalement au régime de la propriété ont été adoptées et mises

en oeuvre. Dans un revirement de sa politique foncière caractérisée par la volonté de

redonner « la terre aux paysans », illustré par la réforme agraire menée depuis 194636,

les terres dans les zones rurales ont fait l’objet d’une réappropriation étatique par la

collectivisation et l’établissement des communes populaires (renmin gongshe) afin

d’organiser le travail en commun des paysans. Dans les zones urbaines, la

transformation des entreprises privées en entreprises collectives ou d’État, et la

confiscation des capitaux étrangers ont abouti en peu de temps à la suppression

presque totale de l’appropriation privative des moyens de production à l’issue du

mouvement de socialisation37. La fondation de l’économie planifiée avait consolidé le

régime économique de la propriété publique, alors que l’avènement de la Révolution

culturelle en 1966 a détruit complètement la catégorie juridique de propriété pour

réaliser l’appropriation sociale des moyens de production qui est à la base du

socialisme38.

l’occupation d’une tenure temporaire paysanne. V., Henri MASPERO, « Les termes désignant la propriété foncière en Chine », in La tenure, Recueils de la Société Jean Bodin pour l’histoire comparative des institutions, III, Paris: Dessain et Tolra, 1983, pp. 293, 295. 35 Jean-Louis HALPÉRIN, Histoire du droit des biens, op. cit., p. 298. 36 La résolution du comité central du PCC relative à la loi agraire du 10 octobre 1947 vise à liquider le système agraire d’exploitation féodale et semi-féodale, et à instaurer le système foncier résultant du partage et de la saisie des terres par les paysans contre le seigneur du village. En 1950, le lancement de la réforme agraire organise de nouveau la saisie des biens des grands propriétaires pour les donner aux paysans pauvres. Dans la pratique, les opérations de transfert entraînées par la réforme portent sur 47 millions d’hectares, soit presque la moitié de la superficie cultivée, et 300 millions de paysans pauvres bénéficient de cette distribution. Cette réforme a été achevée en 1953. V., Rémi PÉRÈS, Chronologie de la Chine aux XXe siècle, Histoire des faits économiques, politiques et sociaux, Librairie Vuibert, 2001, pp. 49, 63. 37 V., Marie-Claire BERGÈRE, Lucien BIANCO, Jürgen DOMES, La Chine au XXe siècle, de 1949 à aujourd’hui, Fayard, 1990, pp. 18 à 22. 38 V., Charles BETTTELHEIM, Révolution culturelle et organisation industrielle en Chine, Librairie François Maspero, 1973, p. 110.

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10. - Les réformes lancées depuis la fin des années 1970 ont contribué au

revirement du droit chinois en matière de propriété privée. Par la réforme agraire, le

droit d’exploitation forfaitaire des terres rurales –qui confère aux paysans le droit

d’utiliser les terres et d’en percevoir les fruits– a été reconnu par la Constitution de

1982, ce qui « a masqué le partage des terres entre les paysans et l’accès de facto à la

propriété privée »39 . La réforme économique dans les zones urbaines a permis

l’émergence et le développement des économies individuelles et privées, ce qui a fait

tomber en désuétude la distinction des biens entre matériels de consommation et

moyens de production qui ne pouvaient constituer que des objets de la propriété

publique et excluant par conséquent l’appropriation privative. La réforme du régime

juridique de l’utilisation du sol étatique dans les zones urbaines a fait naître le droit

d’usage du sol qui est établi soit par la concession à titre onéreux soit par l’attribution à

titre gratuit selon les conditions prévues par les dispositions législatives. La

transformation progressive des entreprises d’État en sociétés par actions constituait

l’élément le plus important de la réforme du régime juridique de la propriété publique.

Toutes les réformes susmentionnées consubstantielles au revirement du droit chinois en

matière de propriété privée ont été mises en place autour d’une réforme plus profonde

de la transition de l’économie planifiée à l’économie de marché, désormais

constitutionnellement affirmée 40 . La réapparition du droit des biens privés, et

notamment la constitutionnalisation de la propriété privée par la révision de la

Constitution de 1982 semble a priori se conformer au courant de l’histoire : tandis que

la période située entre 1917 et la fin des années 1980 correspond à une profonde

remise en question des schémas fondés sur la propriété individuelle qui avaient paru

triompher aux XIXe siècle, une perspective historique et comparatiste permet de

rappeler « que les économies de marché se reconnaissent précisément à la place

considérable laissées aux propriétaires privés »41. S’il est vrai que le recul de la

propriété publique et la croissance de la propriété privée résultent également des

réformes répondant aux exigences de l’économie de marché et se justifiant par

39 Jean-Louis HALPÉRIN, Histoire du droit des biens, op. cit., p. 334. 40 V., article 15 de la Constitution de 1982, révisé en 1993. 41 Jean-Louis HALPÉRIN, Histoire du droit des biens, op. cit., p. 294.

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l’efficacité qui devient l’objectif principal du droit chinois contemporain caractérisé

par le pragmatisme, il ne faut toutefois pas négliger l’idée d’équité qui existait depuis

longtemps dans l’histoire chinoise et pourrait contrebalancer la prédominance de la

notion d’efficacité.

(2). – La persistance de l’aspiration à l’équité

11. - L’équité dans la pensée chinoise fut conçue moins comme une notion

juridique que comme le gage de la stabilité du règne de l’Empereur. Confucius dit en

effet ceci: « pour en venir aux chefs d’État ou de grande famille, j’ai toujours entendu

dire qu’ils doivent moins se soucier du petit nombre de leurs sujets que du manque

d’équité entre eux, moins de leur dénuement que du mécontentement parmi eux. En

effet, que règne l’équité et il n’y aura pas de pauvreté, la concorde et la population

sera assez dense, le contentement et il ne se produira aucun soulèvement»42. Selon

Confucius, le régime foncier « Jing tian » qui prévalut à la dynastie Zhou traduisit

exactement l’idée d’équité, ce fut la raison pour laquelle Confucius insista à la

restauration de ce régime foncier43. En effet, la redistribution régulière des terres

cultivables sous le régime du « Jing tian », à savoir « la question du bornage des

champs à réactualiser chaque année, est présentée comme fondamentale pour la

justice sociale »44. Cependant, l’idée d’équité se résuma à un rêve utopique dès que le

régime foncier « Jing tian » fut aboli et remplacé par la propriété privée des terres,

dans la mesure où la terre ne resta pas longtemps la propriété exclusive des laboureurs.

Elle passa rapidement aux mains de ceux qui disposèrent de moyens de l’acquérir bien

plus considérables. Une nouvelle aristocratie de propriétaires fonciers se substitua dès

lors à l’ancienne aristocratie féodale. « Faute de pouvoir payer leurs fermages, ou de

42 Entretiens de Confucius, traduit du chinois par Anne CHENG, Éditions du Seuil, 1981, p. 129. Selon le professeur CHENG, il y a probablement une confusion dans l’ordre du texte, que l’on peut, à la lumière de ce qui suit, rétablir ainsi : moins de leur dénuement que du manque d’équité entre eux, moins de leur petit nombre que de leur discorde, moins des soulèvements que du mécontentement parmi eux. 43 V., CHEN Huan-chang, The economic principles of Confucius and his school, New York: Columbia University Press, 1911, p. 501. 44 Léon VANDERSMEERSCH, « La féodalité chinoise », in Eric BOURNAZEL, Jean-Pierre POLY (sous la dir. de), Les féodalités, P.U.F., 1998, p.674.

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trouver dans leur salaire de quoi subsister, les plus nécessiteux, ne pouvant plus

attendre aucune redistribution des champs, furent bientôt réduits à vendre femme et

enfants, et jusqu’à se vendre eux-mêmes pour satisfaire leurs créanciers. Ainsi finit par

s’instaurer l’esclavage, comme conséquence de l’institution de la propriété »45 .

Puisque la répartition des terres représenta le principal critère de différenciation sociale

dans les villages, et de ce fait, fut l’une des causes de la misère des paysans chinois,

l’adage « à chaque laboureur son propre champ » traduisant l’idée d’équité en matière

de régime foncier fut exploité par les communistes pour initier des mouvements

révolutionnaires46. Avec la fondation du régime socialiste d’économie planifiée, l’idée

d’équité avait favorisé l’emprise de l’égalitarisme qui semblait mieux s’accommoder à

la propriété publique, dans la mesure où cette dernière était analysée de manière

caricaturale par le fait que tous les membres de la communauté étaient présumés

constituer les titulaires des biens communs alors qu’en réalité personne ne pouvait

individuellement en disposer.

12. - Toutefois, il faut souligner qu’à l’époque contemporaine la réforme

économique menée par l’État a réactivé certains aspects de l’idée d’équité comme

sentiment subjectif de justice. Puisque les mesures de réforme étaient le plus souvent

adoptées et mises en place sans qu’un texte législatif ne ait été préalablement adopté,

les gens se référaient à l’idée d’équité dès lors qu’il s’agissait d’émettre un jugement

sur le caractère juste ou injuste des mesures de réforme. Dans le contexte où il existait

souvent le décalage entre la réforme économique et la réforme juridique, la persistance

de l’idée d’équité avait pu constituer un contrepoids idéologique à la réforme

concernant le droit de propriété. Comme M. Thierry PAIRAULT l’a révélé, « la Chine

populaire a, par idéologie, toujours mis l’accent sur la primauté de l’intérêt public.

Elle a le plus souvent encouragé le développement des actions profitant au bien-être

commun et dénoncé tout ce qui aurait favorisé l’intérêt privé (...). Et parce qu’elles

luttaient pour augmenter leurs ressources et promouvoir le développement économique,

les autorités chinoises ont toujours considéré avec suspicion celui qui gaspille des 45 Léon VANDERMEERSCH, Wangdao ou la voie royale : Recherches sur l’esprit des institutions de la Chine archaïque, t. 2, Paris : École française d’extrême-orient, 1980, p. 259. 46 V., Lucien BIANCO, Les origines de la révolution chinoise 1915-1949, Gallimard, 2007, pp. 136, 153.

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biens relevant de la propriété de l’État (...), toute tentative aboutissant à transférer la

propriété d’éléments patrimoniaux de l’État vers d’autres acteurs économiques, en

particulier vers des acteurs privés, est une corruption de soi »47. Cette attitude traduit

aussi le souci du peuple chinois de lutter contre les inégalités, d’autant plus que

l’appropriation privative des richesses résulte de diverses formes de privatisation des

biens publics. L’idée d’équité a rebondi lors de l’élaboration du projet de loi sur les

droits réels : la protection des biens privés était contestée comme injuste et

anticonstitutionnelle dans la mesure où elle ne bénéficierait qu’aux grands propriétaires

et porterait atteinte à la propriété publique conçue comme le gage de la justice sociale

et le régime socialiste48.

13. - Il est vrai que la mise en place des mesures de réforme sans fondement

juridique a permis à l’idée d’équité de jouer le rôle de critère du jugement juridique et

moral, mais c’est plutôt les problèmes récurrents survenus lors de la mise en oeuvre

des garanties du droit qui a exalté l’aspiration à l’idéal d’équité afin de critiquer

l’ineffectivité des recours juridiques. En matière de propriété, l’abus d’expropriation

qui a pour conséquence de rendre précaires le droit d’exploitation forfaitaire des terres

rurales dont les titulaires sont les paysans ainsi que la propriété des citadins sur les

immeubles d’habitation bâtis sur les terrains de propriété d’État dans les zones

urbaines. Mécontentées par recours juridictionnel inscrit dans le présent système

juridique qui est pourtant inéquitable, peu efficace et très coûteux, sans mentionner le

problème de corruption judiciaire qui est un motif de désespoir pour les victimes, les

personnes privées de leurs biens ne peuvent que se soulever contre les expropriations

arbitraires : c’est le seul recours qu’il leur reste en dehors des voies juridictionnelles.

D’où la prolongation de la tradition selon laquelle « les codes et lois n’étaient

appliqués en Chine que dans la mesure où ils répondaient au sens populaire de

l’équité et des convenances »49. Bien qu’elle soit aussi à l’oeuvre dans les pétitions

pacifiques qui sollicitent l’intervention des échelons supérieurs de l’administration ou

47 Thierry PAIRAULT, Petite introduction à l’économie de la Chine, Éditions des archives contemporaines, 2008, pp. 6 à 7. 48 V., infra., n° 138. 49 René DAVID, Camille JAUFFRET-SPINOSI, Les grands systèmes de droit contemporains, 11e éd., Dalloz, 2002, § 443.

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dans les manifestations avec le recours à la violence, la puissance de l’idée d’équité

s’illustre plus nettement dans la « résistance de droit »50 ou résistance légale qui

consiste à souligner –tant par voie formelle de recours juridictionnels que par voie

informelle de protestation ou de revendication– la contradiction entre la pratique des

autorités locales et ce qu’ordonnent les lois, les principes et les proclamations du

Centre. Si la résistance légale ne constitue pas la panacée, elle peut néanmoins prendre

de l’ampleur, car « le régime la tolère et parfois l’encourage, aussi longtemps qu’elle

ne s’en prend qu’aux seules autorités locales »51. D’ailleurs, elle pourrait converger

avec la volonté de l’État-Parti d’intégrer la réforme juridique dans la construction

d’une société d’harmonie afin de maintenir la pérennité du régime52. Stimulée par la

pensée enracinée dans l’histoire chinoise qui insiste sur la prééminence du peuple à

travers l’affirmation de la légitimité du « droit de se rebeller » contre un régime

oppressif53, cette synergie volontaire peut contribuer à consolider le droit de propriété

par l’amélioration de l’ensemble du système juridique chinois. Mais cela suppose

d’abord de comprendre les particularités du droit de propriété dans la Chine

contemporaine afin de repérer le sens des transformations qui le travaillent.

B. – Les problèmes de la protection de la propriété en Chine au regard des

exigences de l’État de droit

14. - Faisant l’objet d’interprétations diverses, l’État de droit apparaît comme une

synthèse entre le formalisme juridique du Rechtsstaat allemand et la Rule of law

anglo-américaine attachée à une vision plus procédurale du droit54. « On peut dire qu’il

est caractérisé aujourd’hui, du moins en droit interne, par les deux piliers de la

50 Cf. Kevin J. O’BRIEN, Lianjiang LI, Rightful resistance in rural China, Cambridge University Press, 2006, pp. 1 à 14. 51 Lucien BIANCO, Jacqueries et Révolution dans la Chine du XXe, Paris : La Martinière, 2005, p. 493. 52 V., Leïla CHOUKROUNE, Antoine GARAPON, « Les normes de l’harmonie chinoise, un droit disciplinaire comme stabilisateur social », Perspectives chinoises, 2007, n°3, p. 38. 53 V., LO Chungshu, Autour de la nouvelle Déclaration universelle des droits de l’homme, textes réunis par l’UNESCO, Éditions du Sagittaire, 1949, pp. 154, 155. 54 Cf., Jacques CHEVALLIER, L’État de droit, 4e éd., Montchrestien, 2003 ; Luc HEUSCHLING, État de droit, Rechtsstaat, Rule of law, Dalloz, 2002.

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légalité et de la garantie judiciaire, progressivement complétés à mesure que se

développe le socle des droits fondamentaux »55. Mis à l’épreuve des exigences de

l’État de droit concernant la légalité et la garantie judiciaire, ainsi que de la protection

des droits fondamentaux, le droit chinois révèle sa grande insuffisance à l’égard de la

protection de la propriété. Tandis que les normes concernant la garantie de la propriété

au regard de la signification de la légalité s’améliorent de manière plus significative

grâce aux travaux législatifs et réglementaires (1), la mise en oeuvre des garanties de la

propriété demeure problématique et ses progrès ont pris du retard par rapport au

perfectionnement des normes de droit. Mais c’est surtout au prisme des droits

fondamentaux que l’on peut opposer à l’État que l’écart du droit chinois en matière de

propriété avec les exigences de l’État de droit semble le plus flagrant. Puisque la valeur

de l’opposabilité des droits fondamentaux n’est pas seulement idéologique, mais aussi

juridique, la faiblesse du statut de la propriété en tant que droit fondamental se reflète

plus nettement sur le plan de la garantie judiciaire (2).

(1). – Les problèmes de la légalité

15. - Les problèmes du droit de propriété en Chine existent en raison de la double

signification de la légalité, à savoir l’élaboration démocratique et la qualité de la loi.

16. - La multiplication des sources de droit sans la mise en place d’un véritable

système permettant de définir et de garantir la cohérence des lois entre elles est l’un

des phénomènes qui prêtent le flanc à la critique. En l’état actuel de la Chine, les

normes juridiques relatives à la propriété peuvent être édictées par les lois nationales

adoptées par l’Assemblée Populaire Nationale (APN) et son comité permanent, les

règlements administratifs adoptés par le Conseil des affaires d’État (CAE), les

règlements locaux adoptés par les Assemblées Populaires et leur comité permanent des

provinces, des municipalités subordonnées directement à l’autorité centrale et des

grandes villes56. Mais la technique dite de « légiférer la législation par délégation »

55 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans la contexte de la mondialisation », op. cit., p. 554. 56 Il faut souligner que le pouvoir de légiférer des « grandes villes » n’est pas prévu par la Constitution

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permet que le pouvoir législatif de l’APN et celui de son comité soit transféré de

manière générale au profit du CAE sans pour autant que des limites biens définies lui

soient fixées. Le pouvoir législatif dont dispose l’État peut se voir également

marginaliser au profit des localités par la technique dite de la distinction artificielle

entre la législation et l’application des normes au profit des localités qui sont admises à

adopter des textes normatifs pour mettre en oeuvre les lois nationales. Comme on l’a

observé, « la production juridique locale a pris de facto une ampleur croissante, bien

plus importante que dans nombre d’États à structure fédérale »57. La dilution du

pouvoir législatif de l’État central qui s’accompagne de la prolifération des règles

locales qui sont nécessairement non uniformes se manifeste plus nettement dans le

domaine du droit de propriété. À titre d’exemple, le Règlement provisoire du CAE

concernant la concession et le transfert du droit d’usage du sol appartenant à l’État58,

précise non seulement les conditions mais aussi les modalités et les durées maximales

du droit d’usage du sol étatiques. Ledit règlement précède la loi sur l’administration

des biens immobiliers dans les zones urbaines59 et demeure applicable même après la

promulgation de la loi sur les droits réels. Il en résulte qu’en dépit de son caractère

provisoire, comme l’indique l’intitulé du règlement, ce dernier constitue la véritable

base juridique du droit d’usage du sol étatique. D’ailleurs, si l’on exclut certaines

dispositions législatives négligeables concernant l’expropriation d’intérêt général, les

règlements du CAE constituent de facto les sources juridiques principales en la matière.

Alors que la révision constitutionnelle de 2004 et la promulgation de la loi sur les

droits réels établissent les principes juridiques relatifs à l’expropriation et à la

réquisition, le Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des

de 1982, mais par l’article 63 de la loi sur l’élaboration des normes promulguée en 2000. Selon ce dernier, les grandes villes comportent les municipalités où se situent les gouvernements des provinces et régions autonomes, les villes de zones économiques spéciales (ZES), ainsi que des villes spécifiquement désignées par le CAE. 57 Yves DOLAIS, « Regard extérieur sur la hiérarchie des normes en droit chinois », in Un nouveau regard sur le droit chinois, Colloque du 30 mai 2007, Journées juridiques franco-chinoises 2007, Société de législation comparée, 2008, p. 24. 58 Le Règlement est adopté par le CAE du 19 mai 1990. 59 L’article 13 de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines (devenu l’article 14, après la modification de la loi en 2007) se réfère au règlement du CAE en ce qui concerne la détermination de la durée maximale du droit d’usage du sol étatique.

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zones urbaines adopté par le CAE en 1991 et modifié en 2001 continue à s’appliquer

dans tous les cas où les mesures d’expropriation concernent des immeubles

d’habitation situés dans les zones urbaines, alors même que l’on peut critiquer de

nombreuses dispositions de ce règlement du fait de leur non conformité aux principes

de la Constitution et de la loi sur les droits réels. Néanmoins, la prévalence du

pouvoir normatif du CAE, organe du gouvernement central, est souvent érodée par les

pratiques des autorités locales dans l’exécution du droit à travers des règlements locaux,

mais plus souvent par le biais des arrêtés adoptés par des gouvernements locaux à

différents échelons, ce qui a pour conséquence de créer des conflits récurrents entre les

règles nationales et locales. Du fait de son ambiguïté et de sa flexibilité, le mécanisme

de contrôle portant sur l’incompatibilité des règlements avec les lois nationales, ainsi

que sur l’incompatibilité des arrêtés locaux avec les règlements et les lois, tel qu’il a

été établi par la loi de 2000 sur l’élaboration des normes juridiques, ne manifeste pas la

rigueur suffisante pour parvenir à rationaliser le droit chinois en mettant en place une

véritable hiérarchie des normes. C’est dans ce contexte que le recours aux mesures

administratives apparaît comme le moyen le plus souvent utilisé pour remédier aux

problèmes de l’élaboration de la loi. Ainsi, face aux mécontentements des personnes

victimes de l’abus d’expropriation des terres cultivables et de démolition des

immeubles d’habitation dans les zones urbaines comme effets du développement du

marché foncier durant ces dernières années, le CAE n’a pas hésité à intervenir en

déployant des mesures disciplinaires visant à suspendre quasiment tous les projets

d’expropriation déjà initiés et corriger les pratiques irrégulières60. Il est vrai que

l’intervention de l’État central en dehors du droit formel se révèle efficace pour freiner

brutalement les abus dont peuvent faire preuve les autorités locales, ce qui revient à

défendre les droits des citoyens en matière de propriété et à maintenir la stabilité de

l’ordre social, considérée comme l’une des priorités du gouvernement central. Mais

des interventions de ce genre comportent un double risque étant donné qu’elles sont

aveugles aux problèmes inhérents à l’élaboration de la loi –ce qui favorise la

marginalisation de la fonction du droit formel–, mais aussi du fait qu’elles produisent

uniquement des effets conjoncturels. Les abus qui accompagnent certaines mesures 60 V., infra, n° 238.

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20

privatives pourront ressurgir dès que le changement de situation le permet, ce qui aura

pour effet de déclencher à nouveau l’intervention de l’État central par l’adoption de

mesures disciplinaires. D’où le cycle de « transgression et répression » que le droit ne

semble pas être en mesure de briser.

17. - Il faut encore souligner le caractère politique de l’entreprise d’élaboration de

la loi en Chine, très présent en matière de droit de propriété. Le revirement du droit

chinois concernant la reconnaissance de la propriété privée ne pouvait pas s’effectuer

d’un coup par la promulgation d’une simple loi formelle. En effet, dans un processus

empirique, le régime d’exploitation forfaitaire des terres rurales trouvait son fondement

dans le mouvement de « décollectivisation »61 qui progressait par étapes en suivant

des modalités qui avait évolué dès la fin des années 70. Il a été reconnu en tant que

principe lors de la promulgation de la Constitution en 198262. La concession du droit

d’usage du sol étatique a d’abord été admise à titre expérimental dans les villes côtières,

de même que l’économie privée, puis reconnue par la révision constitutionnelle de

198863. De manière constante, l’adoption des mesures de réforme relatives à la

propriété a précédé celle des lois ou de leur modification, ainsi que les révisions

constitutionnelles. La transformation des mesures de réforme en règles de droit ne

traduit que l’opportunisme du gouvernement chinois. Il en résulte que dans la politique

de réforme menée par l’État, le droit est souvent considéré comme le simple instrument

de cette dernière. Les révisions constitutionnelles qui ont été entreprises jusqu’à

présent ont toutes été effectuées sous l’égide du Parti communiste chinois (PCC), ce

qui ne peut que renforcer la thèse de l’instrumentalisation du droit par l’État-Parti.

Alors que le PCC prétend qu’il représente le plus grand intérêt de la majorité des

citoyens selon sa théorie dite des « Trois représentativités », il est encore regrettable

que la constitutionnalisation de la propriété privée des citoyens n’ait pas encore été

initiée par l’APN ou par son comité permanent en tant qu’il constitue « l’organe

61 Il s’agissait d’un mouvement contraire à la collectivisation. Par la décollectivisation, l’autonomie financière et d’exploitation de la famille fut rétablie, avec l’instauration générale du fermage individuel, alors que les terres demeurent propriété collective des villages. V., Thierry SANJUAN (sous la dir. de), Dictionnaire de la Chine contemporaine, Armand Colin, 2007, p. 63. 62 V., article 8 de la Constitution de 1982. 63 V., l’article 11, l’article 10, alinéa 4 de la Constitution de 1982, révisés en 1988.

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21

suprême du pouvoir d’État »64. Sous le régime foncier de propriété publique, l’État

demeure la partie prenante de toutes les mesures de réforme relevant de la propriété

d’État et de la propriété collective des terres. En définissant les orientations des

réformes qui devront être intégrées dans les textes de droit, le gouvernement central et

le PCC continuent à faire jouer à la législation un rôle secondaire en matière de droit

de propriété. Ainsi, dans un document politique intitulé Opinions sur la réforme des

terres forestières de propriété collective, le CAE et le PCC ont conjointement donné la

ligne directrice concernant la mise en place du régime d’exploitation forfaitaire des

terres forestières tout en reconnaissant aux paysans le droit d’utiliser les terres

forestières, d’y entreprendre, d’en disposer et d’en tirer profit par l’établissement du

contrat d’exploitation forfaitaire et l’attribution aux paysans des titres justifiant leurs

droits portant sur les terres forestières soumises au régime d’exploitation forfaitaire65.

À l’instar de l’extension de la réforme établissant le régime d’exploitation forfaitaire

des terres cultivables, le régime d’exploitation forfaitaire des terres forestières doit

encore être légalisé par l’adoption d’une nouvelle loi ou par la modification des

dispositions législatives existantes.

18. - Les problèmes concernant l’élaboration de la loi en Chine influent aussi sur la

qualité de la loi qui comprend non seulement une loi formelle, mais encore des

conditions de fond, à savoir l’accessibilité, la précision et la prévisibilité. Examinons

tout d’abord le problème de l’accessibilité. Alors que les lois nationales et les

règlements administratifs issus du CAE sont aisément accessibles du fait de leur

publication régulière et en temps utile, l’accessibilité des règlements locaux et des

arrêtés qui sont plus opérationnels et donc plus utiles dans la pratique, est

paradoxalement plus difficile, du fait de l’inexistence d’un journal officiel unique

consacré à la publication des textes locaux. La décentralisation du pouvoir normatif

rend plus aigu le problème de l’accessibilité aux règlements et aux arrêtés locaux. Pour

les praticiens, les conditions et les modalités de la concession du droit d’usage du sol

étatique, comme celles relatives à la cessibilité de ce droit ne sont précisées que dans

64 V., l’article 57 de la Constitution de 1982. 65 V., PCC et CAE, Opinions sur la réforme des terres forestières de propriété collective, publiées le 8 juin 2008.

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22

les textes locaux. L’accès aux textes locaux est le point de départ mais aussi le gage du

bon déroulement des investissements fonciers. Néanmoins, les problèmes de précision

et de prévisibilité traduisent bien plus directement l’influence du politique sur le droit

du fait du caractère expérimental de la réforme. Tant que la politique de réforme

portant sur certains sujets de droit n’est pas clairement envisagée par le PCC ou le

Gouvernement, la législation reste soumise à l’ambiguïté car suspendue aux

instructions du personnel politique qui laisse volontairement des lacunes subsister dans

le corps du droit pour rendre son instrumentalisation plus commode. La question de la

mise en circulation sur le marché de terrains ruraux pour la construction d’habitations

constitue l’exemple le plus évident de cette ambiguïté voulue concernant la précision et

la prévisibilité du droit chinois. En l’état actuel, le maintien des terres cultivables

contre l’occupation à but non agricole est l’une des politiques les plus impératives

menées par l’État et exige l’établissement de restrictions concernant la libre cession

des droits d’usage des terres de propriété collective, y compris le droit d’usage du sol

collectif pour la construction d’habitations pour les foyers ruraux dont les titulaires

sont les membres de la collectivité au nom du foyer. Face aux controverses concernant

l’opportunité de la libre cession du droit d’usage du sol collectif pour la construction

d’habitations bénéficiant aux foyers ruraux66, l’article 153 de la loi sur les droits réels

admet le principe reconnaissant la cessibilité de ce droit, tout en le restreignant dans la

seconde phrase « selon les dispositions législatives, y compris celles de la loi sur

l’administration du sol, et les dispositifs de l’État ». La référence aux « dispositifs de

l’État » signifie qu’il n’existe pas de règles de droit en l’état actuel, et que la politique

de l’État peut s’y appliquer, quand bien même il s’agit de mesures de réformes

entreprises à titre expérimental. 66 Pour ceux qui soutiennent la libre cession de la propriété des habitations des foyers ruraux, v., GUO Mingrui, « Guanyu zhaijidi shiyongquan de lifa jianli (Propositions sur la législation en matière de droit d’usage du sol pour la construction d’habitations des foyers ruraux) », Faxue luntan (Legal Forum), 2007, n° 1, pp. 19 à 21; HAN Shiyuan, « Zhaijidi de lifa wenti (La question législative concernant le droit d’usage du sol pour la construction de logements des foyers ruraux) », Zhengzhi yu falü (Political Science and Law), 2005, n° 5, pp. 30 à 36. Pour les thèses contre la libre cessibilité du droit d’usage du sol pour la construction d’habitations des foyers ruraux, v., par exemple, MENG Qinguo, « Wuquanfa kaijin nongcun zhaijidi jiaoyi zhibian (Réflexions sur la levée de l’interdiction par la loi sur les droits réels sur la libre cessibilité du droit d’usage du sol pour la construction d’habitions des foyers ruraux) », Faxue pinglun (Law Review), 2005, n°4, pp. 25 à 30.

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23

19. - En ce qui concerne le droit d’usage du sol étatique, l’imprécision et

l’imprévisibilité du droit chinois semblent renforcer la situation d’insécurité dans

laquelle se trouvent les propriétaires urbains. Il s’agit de la question du renouvellement

du droit d’usage du sol étatique. Car ce droit d’usage est limité à une durée maximale

de 70 ans67, et le renouvellement du contrat de concession après l’échéance est prévu

comme un moyen de prolonger le droit d’usage selon les termes de l’article 22 de la loi

sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines 68 . Mais les

conditions et les modalités du renouvellement du contrat de concession en vue de

prolonger le droit d’usage ne sont pas encore claires. En vertu de l’article 22 de la loi

sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines, la demande de

renouvellement doit être formulée par le titulaire du droit d’usage au moins un an avant

la date d’échéance du droit de concession. L’autorité compétente pour la concession du

droit d’usage du sol étatique doit en principe autoriser le nouvellement du contrat de

concession, sauf pour des raisons d’intérêt public qui exigent la suppression du droit

d’usage. Toutefois, l’article 149, alinéa 1er de la loi sur les droits réels prévoit le

renouvellement automatique du contrat de concession pour le droit d’usage du sol

étatique en vue de construire des habitations. Si cette dernière disposition constitue une

dérogation aux règles comprises dans l’article 22 de la loi sur l’administration des

biens immobiliers dans les zones urbaines, le sens de l’expression « renouvellement

automatique » reste à être précisé pour qu’il soit opérationnel. Mais l’ambiguïté

principale du droit actuel en matière de renouvellement du contrat de concession

concerne la prime de concession. La question demeure ouverte de savoir si l’autorité

compétente a le pouvoir d’exiger le paiement de la prime de concession par les

titulaires du droit d’usage du sol étatique lors du renouvellement du contrat, et si oui, il

s’agit encore de savoir comment le montant de la prime serait déterminé. Il faut

rappeler que le projet de loi sur les droits réels prévoyait l’obligation pour les titulaires

du droit d’usage de s’acquitter du paiement de la prime comme constituant la

contrepartie du renouvellement du contrat tout en autorisant le CAE à déterminer les 67 V., article 12, paragraphe 1 du Règlement provisoire sur la concession et le transfert du droit d’usage du sol étatique dans les zones urbaines. 68 La loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines est promulguée en 1994 et révisée en 2007.

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24

règles précises relatives au montant ainsi que les modalités du paiement de la prime69.

Or, ce projet n’a pas été retenu par la loi finalement promulguée qui se contente

d’affirmer le principe de renouvellement automatique. En l’état actuel les pratiques de

renouvellement ne sont pas encore à l’ordre du jour, un délai suffisant a été laissé à la

rédaction de règles raisonnables avant que l’occasion de leur application ne se produise.

Cependant, l’attitude fuyante qui accompagne l’établissement de la loi sur les droits

réels au motif de la prudence n’en suscite pas moins des discussions quant à trouver

une solution viable dans l’avenir70 . D’où l’insécurité juridique dans laquelle se

trouvent les propriétaires des habitations qui sont aussi les titulaires du droit d’usage

du sol étatique selon le principe de la loi sur les droits réels.

(2). – Les problèmes de la garantie judiciaire

20. - Les problèmes de la garantie judiciaire de la propriété dans le droit chinois

actuel sont principalement liés au déséquilibre des pouvoirs qui reste préoccupant. En

effet, alors qu’il faudrait accorder aux juges un pouvoir supérieur à celui dont dispose

l’Administration selon ce qu’exige une conception idéale de l’État de droit,

l’Administration demeure toujours plus puissante que l’autorité judiciaire concernant

la mise en oeuvre des garanties de la propriété en Chine. L’effectivité des normes de

garantie de la propriété est donc douteuse d’autant plus que la plupart des atteintes à

ces garanties sont le fait de l’Administration.

21. - La puissance de l’Administration tient d’abord au caractère limité de la

compétence judiciaire. Pour le dire autrement, dans le droit chinois tous les actes de

l’Administration ne sont pas soumis au contrôle judiciaire. En distinguant entre actes

administratifs concrets et abstraits ayant une portée générale, la loi sur le contentieux

administratif exclut les actes administratifs abstraits de la compétence judiciaire71.

69 V., l’article 149, alinéa 3 du projet de loi sur les droits réels pour la cinquième délibération devant le comité permanent de l’APN. 70 V., par exemple, LI Kaiguo, « Woguo chengshi jianshe yongdi shiyongquan zhidu de wanshan (L’amélioration du droit d’usage du sol étatique pour la construction dans les zones urbaines) », Xiandai faxue ( Moderne Law Science), 2006, n° 2, pp. 12 à 20. 71 V., article 12, paragraphe 2 de la loi sur le contentieux administratif.

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25

L’effet de cette exclusion du contrôle judiciaire ne peut qu’être renforcé par le fait de

déléguer le pouvoir législatif à l’autorité administrative. Il en résulte que non

seulement la légalité, mais aussi la constitutionnalité des règlements administratifs ou

locaux, ainsi que de certains arrêtés échappent à tout contrôle de l’autorité judiciaire.

C’est la raison pour laquelle les règles concernant la démolition des bâtiments dans des

zones urbaines ont été adoptées par le CAE sous forme de règlement. Alors même que

la compatibilité dudit règlement avec la loi et la Constitution est mise en doute, ce

règlement ne peut pas être contesté devant le juge. La compétence du juge est

également exclue concernant les décisions administratives qui disent le dernier mot sur

la légalité de certains actes administratifs concrets72. Il s’agit notamment des décisions

administratives adoptées par le CAE ou les gouvernements de niveau provincial

concernant les différends relatifs à la propriété ou au droit d’usage des ressources

naturelles. Ce dernier cas est ouvertement contraire au principe de la prééminence du

droit, non seulement en raison de l’exclusion du contrôle judiciaire, mais surtout au

regard de la spécificité des différends. D’autant que ce qui est en cause c’est la

propriété ou le droit d’usage des ressources naturelles, alors qu’en vertu de la

Constitution les ressources naturelles constituent la propriété d’État. D’ailleurs, du fait

de leur statut d’organe étatique, le gouvernement central ou les gouvernements

provinciaux sont susceptibles d’être partial dans le traitement des différends

concernant la propriété d’État.

22. - La puissance de l’administration par rapport à l’autorité judiciaire est

renforcée par sa fonction quasi-judiciaire qui lui est reconnue dans le droit chinois.

Selon la loi sur la révision administrative, les personnes physiques et morales ou des

groupes sociaux qui considèrent que leurs droits légaux ont été violés par des actes

administratifs concrets peuvent contester la légalité de tels actes devant l’organe

administratif d’un échelon hiérarchique supérieur qui peut décider de l’annulation ou

de la modification de l’acte administratif jugé illégal ou inopportun73. Ce mécanisme

de révision d’un acte de l’organe administratif d’un échelon inférieur par des agents

administratifs d’un échelon supérieur constitue une voie de recours pour les citoyens,

72 V., article 12, paragraphe 4 de la loi sur le contentieux administratif. 73 V., articles 2 et 28 de la loi sur la révision administrative.

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26

mais ouvre également la voie à l’intervention de l’organe administratif supérieur. Tant

que la compétence judiciaire sur le contrôle d’un certain acte administratif n’est pas

clarifiée, la demande d’une révision administrative semble être un recours utile. Il en

est ainsi dans les procédures de démolition des bâtiments dans des zones urbaines, la

demande de révision administrative est le moyen de recours le plus souvent utilisé par

les habitants concernés par un projet de démolition. Car la législation actuelle demeure

très ambiguë sur la question de savoir si les tribunaux et les cours populaires peuvent

contrôler la légalité du permis de démolir, de la décision administrative sur l’exécution

forcée du projet d’expropriation ou de la décision relative à l’indemnisation74. La

fonction quasi-judiciaire dont est revêtue l’autorité administrative est le plus clairement

visible dans les pratiques d’ « arbitrage » administratif. Faute de base juridique, les

pratiques d’ « arbitrage » administratif constituent en substance l’acte administratif

concret par lequel l’autorité administrative s’attache à résoudre les différends soit

« horizontaux » entre les citoyens75 ou soit « verticaux » entre l’Administration et les

administrés 76 . En ce qui concerne la propriété, l’applicabilité de l’« arbitrage »

administratif est prévue par le Règlement d’administration sur la démolition des

bâtiments dans des zones urbaines afin de traiter le différend entre l’expropriant et les

expropriés à propos d’un montant des indemnités77. Selon l’avis d’interprétation

judiciaire de la Cour populaire suprême, l’ « arbitrage » administratif est la phase

obligatoire qui précède le contentieux judiciaire. Par conséquent, les expropriés

doivent d’abord demander de bénéficier de l’« arbitrage » administratif, et le

contentieux judiciaire ne peut être invoqué que pour contester la légalité du résultat de

cet « arbitrage ». La systématisation de l’intervention de l’autorité administrative dans

la résolution des différends, surtout par son caractère obligatoire, est manifestement

contraire au droit d’être entendu par un juge et un tribunal indépendant selon

l’exigence de la protection du droit à la justice. Les atteintes aux droits et aux intérêts 74 V., WANG Cailiang, Fangwu chaiqian yinan wenti jieda (Réponses aux questions difficiles relatives à l’expropriation des biens immobiliers dans les zones urbaines), Law Press China, 2005, p. 112. 75 V., par ex., YING Songnian, Xingzhengfaxue jiaocheng (Cours de droit administratif), Zhongguo zhengfa daxue chubanshe, 1988, p. 362. 76 V., par ex., LUO Haocai, Xingzheng faxue (Droit administratif), Zhongguo zhengfa daxue chubanshe, 1989, p. 203. 77 V., article 16, alinéa 1er du Règlement du CAE.

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27

des expropriés se généralisent dans la pratique, d’autant plus que la procédure de

l’ « arbitrage » administratif est souvent inéquitable étant donné que l’administration

manifeste ouvertement sa partialité quand elle donne raison à l’expropriant dans

l’exécution du projet de démolition78.

23. - Le déséquilibre entre l’administration et le judiciaire se révèle également au

sujet du concours de la force publique à l’exécution du droit. Tandis qu’en vertu de la

loi sur le contentieux administratif, l’autorité judiciaire peut enjoindre à

l’administration de cesser de manquer à ses obligations et de les accomplir dans un

délai déterminé79, elle est dépourvue toutefois de moyens contraignants pour faire

exécuter son injonction80. Il en résulte que dans les cas où les mesures d’expropriation

déjà adoptées par l’autorité administrative sont manifestement illégales, il est

quasiment impossible pour les tribunaux d’ordonner la suspension des procédures

d’expropriation et la rétrocession des biens expropriés. Dans la plupart des cas, les

victimes ne peuvent que demander l’intervention de l’organe administratif d’un

échelon hiérarchique supérieur qui pourrait ordonner la régularisation des situations

par l’adoption de mesures disciplinaires. Dans les pratiques, ce type de recours est jugé

plus efficace que le contentieux administratif pour remédier aux atteintes portées aux

droits81. Le mécanisme de révision administrative, les pétitions dites « lettres et

visites » (xinfang), de même que les activités de protestation dites « événements de

masse » (quntixing shijian) constituent l’intégralité des moyens par lesquels les

victimes peuvent conduire l’administration de hiérarchie supérieure à intervenir en vue

de corriger les erreurs de l’administration d’échelon inférieur en ce qui a trait au droit

78 V., WANG Cailiang, Fangwu chaiqian yinan wenti jieda (Réponses aux questions difficiles relatives à l’expropriation des biens immobiliers dans les zones urbaines), op. cit., pp. 103 à 105. 79 V., article 54, paragraphe 3 de la loi sur le contentieux administratif. 80 L’article 65 de la loi sur le contentieux administratif disposent que dans les cas où l’administration se refuse à exécuter les jugements et les ordonnances judiciaires, les tribunaux et les cours peuvent imposer des astreintes à l’administration, demander à l’administration supérieure d’adopter des sanctions disciplinaires à l’encontre des personnes responsables, ou leur infliger une peine. L’avis d’interprétation judiciaire concernant l’application de la loi sur le contentieux administratif, adopté par la Cour populaire suprême en 1999, fashi n° (2000) 8, prévoit en outre des astreintes à l’encontre du personnel administratif responsable. 81 V., Kevin J. O’BRIEN, Lianjiang LI, « Suing the local state: administrative litigation in rural China », The China Journal, n° 51, 2004, pp. 85 à 90.

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de propriété82. Mais dans le contexte où l’indépendance judiciaire n’est pas assurée,

l’administration peut même demander les tribunaux et les cours à prêter le concours de

la force publique à l’exécution de décisions administratives à l’encontre des citoyens.

Il en est ainsi en ce qui concerne les cas de démolition des bâtiments urbains. De

manière générale, à la demande de l’organe gouvernemental chargé de l’administration

de la démolition, les tribunaux et les cours populaires prennent l’ordonnance consistant

à exécuter des démolitions en recourant à la force en vertu de la loi de procédure

civile83. Mais le problème majeur de l’exécution forcée des démolitions réside dans

l’absence d’indemnisation versée en réparation aux victimes de telles mesures, étant

donné que le Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des

zones urbaines n’exige pas de l’autorité judiciaire qu’elle détermine le montant des

indemnités comme condition préalable au transfert de la propriété des biens expropriés.

Il arrive très souvent que les habitations aient déjà été démolies alors que le

contentieux judiciaire relatif à l’indemnisation est encore en cours. D’où l’effet non

suspensif du contentieux sur l’exécution de la décision de démolition édictée par

l’autorité administrative84. Le concours de la force publique apporté par les tribunaux

et les cours dans l’exécution de la décision administrative de démolition ne peut

qu’aggraver le déséquilibre des pouvoirs au profit de l’administration et met en relief

la manipulation de la justice par cette dernière.

24. - La prédominance de l’administration se manifeste également en ce qui

concerne l’administration et la gestion de la propriété publique. Ainsi, au niveau

national, l’administration et la gestion de la propriété d’État des ressources naturelles

et du sol relèvent principalement du Ministère du Territoire et des Ressources, alors

que la protection des actifs d’État dans les entreprises industrielles et commerciales est

assumée par la Commission du CAE chargée de la supervision et de la gestion des

82 V., Eva PILS, « Land disputes, rights assertion, and local unrest in China: a case from Sichuan », Columbia Journal of Asian Law, 2005, n° 1, p. 259 et s. 83 L’article 17 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines du CAE permet également aux départements gouvernementaux de procéder à l’exécution de la décision de démolition par des mesures forcées. Mais le CAE interdit l’exécution forcée d’office de la décision de démolition depuis 2004. 84 V., article 16, alinéa 2, l’article 17 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines du CAE.

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actifs d’État (SASAC). Sur le plan local, les fonctions de la supervision et de la gestion

des biens publics se répartissent entre les gouvernements locaux en fonction de leur

rang hiérarchique. En l’état actuel, la supervision et la gestion de la propriété d’État

sont principalement réglées par des mesures de nature administrative plutôt que

législative et judiciaire, en laissant le droit jouer un rôle disciplinaire dans des

contextes bien délimités. Ne bénéficiant pas de garanties judiciaires efficaces, et

menacé par les phénomènes de corruption, de gaspillage et d’escroquerie, le principe

constitutionnel proclamant la « sacralité » des biens publics socialistes85 semble être

vide de sens. Concernant la propriété collective qui porte principalement sur les terres

situées dans les zones rurales, les gouvernements locaux des échelons les plus bas de

cantons (xiang) et de communes (zhen) obeissent en principe au régime d’exploitation

forfaitaire des terres, alors qu’ils sont en réalité plus directement contrôlés par les

gouvernements locaux de l’échelon de district et ne bénéficient pas par conséquent

d’une autonomie suffisante 86 . La récession de la propriété d’État et la

décollectivisation des terres de propriété collective témoignent de l’esprit de

déconcentration qui accompagne la réforme en Chine et constituent aussi un défi jeté à

l’ensemble du système juridique quant à l’effectivité de la garantie judiciaire de la

propriété publique sur laquelle l’administration continue d’exercer un pouvoir

quasiment exclusif.

II. – LA PROPRIÉTÉ, UNE DYNAMIQUE TRANSFORMATRICE DU DROIT

CHINOIS

25. - La protection de la propriété ne peut s’améliorer qu’à travers la

transformation droit chinois selon les exigences de l’État de droit. Néanmoins, dans ce

processus de transformation, le droit de propriété peut mener à bien son rôle de

dynamique transformatrice, d’autant que le recensement des problèmes peut constituer

le point de départ d’un mouvement rythmique qui se dirige vers la découverte de

85 V., article 12, alinéa 1er de la Constitution de 1982. 86 V., Peter HO, Institutions in transition, land ownership, property rights, and social conflict in China, Oxford University Press, 2005, p. 45.

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solutions. Le couple problèmes et solutions, conçu sous l’angle de la pensée

traditionnelle chinoise du Yin et du Yang selon laquelle la vie sociale est commandée

par un besoin périodique de « réfection-perfection », traduit l’idée d’alternance plutôt

que celle d’opposition. L’opposition apparente entre les problèmes et les solutions

correspond donc à l’opposition relative et de nature rythmique du Yin et du Yang qui

réside dans le fait que « l’ordre social reposerait, non sur un idéal d’autorité, mais sur

un principe de roulement »87. Il est vrai que la propriété contribue aux transformations

du droit interne chinois (A). Mais la dynamique transformatrice provient aussi du droit

international. Comme on l’a observé, la révision constitutionnelle de 2004 proclamant

l’inviolabilité de la propriété privée «pourrait marquer, dans le prolongement de

l’internationalisation symbolisée par l’entrée de la Chine dans l’OMC, une nouvelle

étape vers une certaine démocratisation du droit chinois. »88. Par le biais de la

propriété, le droit international devient non seulement un indicateur axiologique mais

aussi un instrument juridique contribuant à l’amélioration du droit chinois. Se situant à

la croisée du droit du commerce et des droits de l’homme, la propriété est le vecteur

privilégié de l’influence du droit international sur le droit interne chinois(B).

A.– La propriété contribue aux transformations du droit interne chinois

26. - Si la propriété obéit toujours à une idéologie politique dans la mesure où « le

choix de s’inscrire dans telle ou telle conception de la propriété engagent la nature

même du régime politique, les déterminations techniques de la constitution de la

communauté politique »89 et le pouvoir de l’État jouent, plus concrètement, un rôle

fondamental dans la formation de problèmes concernant la légalité et la garantie

judiciaire de la propriété. L’analyse concernant la protection de la propriété en Chine

constitue une voie d’entrée privilégiée pour comprendre le droit chinois car elle aide à

mettre en perspective les relations entre l’État et la société qui procèdent d’une origine

historique fondatrice et se réactualisent de période en période. C’est sous l’angle du 87 Marcel GRANET, La pensée chinoise, Éditions Albin Michel, 1988, p. 123. 88 Mireille DELMAS-MARTY, « La question des droits de l’homme en Chine », Dalloz, n° 31, 11 septembre 2008, p. 2184. 89 Mikhaïl XIFARAS, La propriété, Étude de philosophie du droit, op. cit., p. 490.

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31

contrôle étatique exercé sur les conditions de production et d’appropriation des

richesses que le droit de propriété apparaît comme l’intermédiaire sur la base duquel

s’établissent les relations entre l’État et la société. En effet, « le support du pouvoir et,

plus encore, la condition de possibilité du despotisme oriental demeurent l’existence

d’un État hydraulicien, à la fois bâtisseur et bureaucrate, dont l’intervention

s’accompagne d’une subordination des droits de propriété aux objectifs de

l’intervention publique »90. Comme l’arbitraire de l’empereur plaçait la propriété à

l’ombre du despotisme dans la Chine dynastique, l’emprise de l’économie planifiée et

le régime économique de propriété publique traduisaient une continuité historique. La

réforme vers l’économie de marché n’a que partiellement modifié le rôle dominant de

l’État en matière de propriété.

27. - La propriété individuelle est un droit fondamental dans la mesure où il permet

« une base matérielle suffisante pour l’indépendance personnelle et le sens du respect

de soi-même, qui sont tous deux essentiels au développement adéquat et à l’exercice

des deux facultés morales »91, à savoir le sens de la justice et celle d’une conception du

bien. Il paraît également pertinent de rappeler, quant au rôle de la propriété privée

concernant l’évolution du droit chinois, l’importance de la pensée philosophique

hégélienne qui attribue à la propriété la fonction d’effectuer le principe de la liberté

personnelle ou encore celui de la volonté libre abstraite en général92. L’importance de

la propriété privée tient dans le fait qu’elle supporte l’institution de la liberté qui est

l’un des éléments essentiels de la société civile93. Ainsi que le veut l’enseignement de

Karl MARX, « le droit de l’homme à la propriété privée (...) c’est le droit de l’intérêt

personnel. Cette liberté individuelle, tout comme sa mise en pratique constituent la

90 Philippe BERAUD, « Du despotisme oriental au socialisme de marché : l’État et les droits de propriété en Chine », in Philippe BERAUD, Sophie CHANGEUR (sous la dir. de), La Chine dans la mondialisation: Marchés et stratégies, Paris : Maisonneuve et Larose, 2006, p. 93. 91 John RAWLS, La justice comme équité, une reformulation de la théorie de la justice, traduit par Bertrand GUILLARME, Éditions de la découverte, 2003, p. 160. 92 V., G. W. F. HEGEL, Principes de la philosophie du droit, Texte traduit et commenté par Jean-François KERVÉGAN, P. U. F., 2003, § 40. 93 Hegel considère que « la société civile contient trois moments: A. La médiation du besoin et la satisfaction de l’individu-singulier (...). B. L’effectivité de l’élément-universel de la liberté qui y est contenu, la protection de la propriété par l’administration du droit. (...) », v., ibid., § 188.

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32

base de la société civile »94, alors que dans l’opposition entre l’État politique et la

société civile, la vie politique n’est qu’un simple moyen dont le but est la vie de la

société civile. Depuis les années 90, des juristes chinois commencent à reconnaître

l’importance de la société civile sur la construction d’un État de droit en Chine. Selon

eux, la résolution des problèmes dépend désormais du changement des relations entre

l’État et la société qui étaient traditionnellement caractérisées par la supériorité de

l’État politique. Ainsi, l’avènement d’une société civile en Chine sera l’étape

indispensable du processus vers l’équilibre, et même vers la soumission de l’État

politique à la société civile pour arriver à l’État de droit95. En réalité, la société civile

devient plus perceptible avec la reconnaissance par le droit chinois de l’occupation et

de l’appropriation de type privé des biens. Alors que la propriété en Chine était

révélatrice de la domination du pouvoir étatique (1), elle peut toutefois engendrer une

dynamique de rationalisation du rôle de l’État (2) et contribuer par conséquent à la

transformation du droit interne selon les exigences de l’État de droit.

(1). – La propriété révélatrice de la domination du pouvoir étatique

28. - L’histoire chinoise n’est pas étrangère aux relations entre l’État et la société

qui s’établissent sur la base de la propriété. Avant même que la propriété privée

foncière ne fût établie, le système de « Jing tian » exigea que « l’État fût

État-Providence et interventionniste ; que l’État intervienne avec plus de bonté que de

force; que la paix soit assurée aussi biens entre les états qu’entre les classes »96. Selon

les deux vers célèbres du Cheu king –« sous le vaste ciel, il n’est rien qui ne soit

territoire du roi » et « entre les rivages de la terres immense, il n’est personne qui ne

soit le sujet du roi »97– le roi fut le seul vrai propriétaire du sol. Mais à la lecture de

94 Karl MARX, « À propos de la question juive », Oeuvres, t. III, Éditions Gallimard, 1982, p.367. 95 V., DENG Zhenglai, Jeffrey C. ALEXANDER (ed.), Guojia yu shimin shehui : yzhong shehui lilun de yanjiu lujing (État et société : une étude de théorie sociale), Central Compilation and Translation Press, 1998, pp. 6 à 21 ; MA Changshan, Guojia, shimin shehui yu fazhi (État, société civile et État de droit), The Commercial Press, 2002, pp. 206 à 213. 96 MA-TA, L’étude sur les transformations du système de la propriété foncière en Chine, thèse de doctorat, l’Université de Paris, JOUVE & Cie, 1927, p. 46. 97 Cheu king, texte chinois avec double traduction en français et en latin, une introduction et un

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33

l’ode entière, il faut constater que c’est la souveraineté politique du roi dont il est

question ici, et non d’un prétendu droit de propriété. Le souverain, en faisant des

règlements agraires et en fixant la part de chaque membre du peuple suivant son rang,

ne fait que régler l’usage individuel de ce droit portant sur le sol. Quand l’intérêt du

peuple est en cause, « l’empereur est là pour exprimer cet intérêt général, et il

l’exprime non pas par une action juridique, mais par des ordres ; il parle non en

propriétaire, qu’il n’est pas, mais en souverain, édictant pour chaque rang de la

hiérarchie l’étendue du droit d’appropriation de la terre qui est à tous »98. Il en résulte

que le souverain n’est pas le propriétaire de l’ensemble du sol puisque celui-ci

appartient au peuple comme le monde dans son ensemble. C’est à partir de la relation

entre le souverain et le peuple qui caractérise l’administration de l’empire dans la

Chine classique que se développe sans solution de continuité la conception moderne

des relations entre l’État et la société. Néanmoins, si la distinction entre la souveraineté

et la propriété fut bien reconnue dans la pensée traditionnelle chinoise, il faudrait

encore nuancer la signification de cette distinction dans le contexte chinois. À cet

égard, une approche comparative avec l’histoire du droit français se révèle utile pour

montrer la spécificité du cas chinois. D’où le fameux discours de Portalis –« au

citoyen appartient la propriété, et au souverain l’empire »99– qui exprime le courant

puissant selon lequel la souveraineté ne dispose pas de la propriété et ne donne à

l’État aucun droit éminent sur les biens des citoyens. Et si la propriété doit être

subordonnée dans certains cas à la souveraineté, elle n’est pas confondue avec elle ni

livrée à son arbitraire100. Or, cette notion d’équilibre entre propriété et souveraineté –en

dépit de sa fragilité à l’époque révolutionnaire– n’est jamais apparue dans l’histoire

chinoise. Selon l’observation de Hegel, «du moment qu’en Chine l’égalité règne, mais

en aucune façon la liberté, le despotisme est nécessairement la forme du

vocabulaire par Séraphin COUVREUR, impression de la Mission catholique, 1896, p. 238. 98 Henri MASPERO, « Les termes désignant la propriété foncière en Chine », op. cit., p. 299. 99 Jean-Étienne-Marie PORTALIS, De l’usage et de l’abus de l’esprit philosophique durant le XVIIIe siècle, t. II, Dalloz, 2007, p. 293. 100 V., Jean-Louis HALPÉRIN, « Propriété et souveraineté de 1789 à 1804 », Droits, n° 22, 1995, p. 67, 78.

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gouvernement »101. Tant que la souveraineté de l’empereur demeurait autoritaire, la

notion juridique de propriété lui était du moins soumise, sinon réduite à néant. Comme

Fernand BRAUDEL l’a constaté, « la propriété individuelle de la terre remonte aux

Han, c’est vrai, mais le gouvernement reste, en principe, le possesseur du sol. Des

paysans et même des propriétaires fonciers importants peuvent être déplacés

autoritairement d’un point à l’autre de l’Empire, là encore au nom du bien commun

(...) »102.

29. - Il faut encore souligner que le concept d’État comme figure moderne de la

politique103 ne peut pas trouver son correspondant dans la pensée traditionnelle

chinoise. À la différence d’avec l’Europe où le concept d’État s’est développé sur la

base de la notion de souveraineté qui procède des constructions philosophiques de Jean

BODIN et de HOBBES, ainsi que sur celle de la citoyenneté qui trouve son origine

dans la pensée de ROUSSEAU, le pouvoir de l’empereur et la puissance de la

souveraineté étatique étaient largement confondus en Chine. Cette confusion était

encore renforcée par l’ « orthodoxie confucéenne »104 qui mettait l’accent sur le

gouvernement de l’Empire –au sens du maintien du régime politique et de l’ordre

social, et qui rejetait l’arbitraire moins au nom de la légitimité du pouvoir que pour

consolider le règne de l’empereur. Les confucianistes exhortaient le gouvernement à la

sympathie, la bonté, la bienveillance et l’exploitation modérée des sujets, vertus dont

disposait le bon empereur d’après l’éloge de la vertu du « ren ». Mais la force de cet

idéalisme de lettrés n’avait pour égale que celle de la malheureuse réalité.

30. - L’arrivée au pouvoir des communistes en Chine semble se situer dans la

continuité de cette histoire des rapports entre l’État et la société concernant la question

du droit de propriété. Avec le mouvement de collectivisation déclenché peu de temps

après la fondation de la Chine populaire en 1949, la propriété étatique des moyens de

production a été proclamée afin de répondre à la nécessité de libérer les forces

101 G. W. F. HEGEL, Leçons sur la philosophie de l’histoire, traduction par J. GIBELIN, 3e éd, Librairie Philosophique J. VRIN, 1979, pp. 99, 103. 102 Fernand BRAUDEL, Civilisation matérielle, économie et capitalisme XVe-XVIIIe siècle, t. 2, Armand Colin, 1979, p. 524. 103 Cf., Simone GOYARD-FABRE, L’État, figure moderne de la politique, Armand Colin, 1999. 104 Marcel GRANET, La pensée chinoise, op. cit., p. 449.

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productives, d’abolir l’exploitation capitaliste et de permettre la redistribution des

richesses. Sur le plan politique, avec la généralisation des coopératives agricoles par

l’établissement des communes populaires, « le régime communiste a réussi là où ses

prédécesseurs avaient échoué : établir son pouvoir sur la production et les revenus

agricoles »105. La centralisation de tous les biens considérés comme des moyens de

production aux mains de l’État « s’accommode fort bien de l’héritage normatif du

despotisme oriental et des représentations culturelles dominantes qui s’y associent »106.

La « sacralisation » du régime de propriété publique socialiste était tributaire de

l’avènement de l’État chinois autoritaire. Selon les cinq traits constitutifs du régime

totalitaire établis par Raymond ARON, à savoir l’existence d’un parti unique, le

monopole étatique de la violence et des moyens de persuasion, l’existence d’une

économie appartenant majoritairement à l’État et enfin la transfiguration idéologique

de toutes les fautes commises par les individus107, l’on peut affirmer que la Chine était

un État totalitaire ne serait-ce que parce que le régime de propriété publique

correspondait bien à une économie appartenant majoritairement à l’État.

31. - La réforme économique engagée à partir de 1978 a contribué à altérer le

principe de monopole étatique de la propriété, par la reconnaissance des droits d’usage

du sol et surtout de la propriété privée des citoyens, ainsi que de la restructuration des

entreprises par la création des sociétés par actions. Le processus de transformation des

rapports de propriété est à l’origine du changement des conditions de production et

d’appropriation des richesses, ce qui pourrait impliquer que d’autres principes

président désormais à l’histoire des rapports entre l’État et la société en Chine.

Néanmoins, la réforme du régime de propriété ne procède pas d’une remise en cause

préalable du régime de propriété dominant car elle s’est effectuée de manière originale,

progressive et très imparfaite. L’émergence de nouveaux droits de propriété à côté de la

105 Jean-Luc DOMENACH, Philippe RICHER, La Chine, t. 1, 1949-1971, Imprimerie nationale, 1987, p. 124. 106 Philippe BERAUD, « Du despotisme oriental au socialisme de marché : l’État et les droits de propriété en Chine », op. cit., p. 103. 107 V., Raymond ARON, Démocratie et totalitarisme, Éditions Gallimard, 1965, pp. 284, 285. ARENDT a même souligné que les risques de verser dans un régime totalitaire sont effroyablement élevés dans les pays à tradition despotique de type oriental, l’Inde et la Chine. V., Hannah ARENDT, Le système totalitaire, Éditions du Seuil, 1972, p. 31.

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propriété publique en Chine semble témoigner en faveur de l’hypothèse de Juan J.

LINZ selon laquelle le pluralisme limité qui engendre certaines formes de semi ou

pseudo-opposition constitue la grande particularité des régimes autoritaires ou de

l’autoritarisme post-totalitaire108. Si l’ « on [aurait] tort de considérer la civilisation

chinoise comme immobile, et [si] l’enchaînement des dynasties et des cycles

correspond bien plutôt à une dialectique du changement et de la continuité »109, la

supériorité de l’État dans les rapports de propriété demeure néanmoins perceptible,

fut-ce sous des formes contemporaines originales. Au nom de l’objectif de

modernisation et de développement économique, les conditions de l’intervention

publique se révèlent plus complexes, car elles sont à la fois moins idéologiques et plus

pragmatiques. Selon l’expression métaphorique du juriste chinois JI Weidong, le destin

chinois de la propriété peut se résumer par un processus de « sortie du Pouvoir et de

retour au Pouvoir »110. C’est ce qui démontre exactement la soumission des droits de

propriété aux mesures discrétionnaires de l’État. Quelques exemples suffisent pour en

attester. Ainsi dans l’objectif de la mise en valeur de la propriété étatique du sol dans

les zones urbaines, le droit d’usage du sol à titre onéreux et à durée déterminée est

constitutionnellement et législativement reconnu par l’État via la révision

constitutionnelle et l’adoption de lois et de règlements. Dans le processus accéléré

d’urbanisation et de hausse des prix de l’immobilier, les gouvernements locaux de

différents échelons et leurs membres n’ont pas hésité à s’impliquer dans

l’aménagement territorial en procédant à des distributions et des redistributions des

droits d’usage. L’abus d’expropriation devient un moyen commode pour expulser les

propriétaires de terrains convoitées et pour ouvrir la voie à une utilisation différente du

sol, bénéficiant à d’autres usagers. Dans la pratique, les démolitions des habitations

urbaines s’effectuent souvent et paradoxalement au nom du « bien commun » dont les

habitants bénéficieraient d’après les autorités locales qui n’hésitent pas à employer des

108 V., Juan J. LINZ, Régimes totalitaires et autoritaires, Armand Colin, 2000, pp. 159, 168, 268. 109 Pierre-Étienne WILL, « La durée, l’espace et le temps », in Pierre GENTELLE (sous la dir. de), Chine, peuples et civilisation, Éditons la Découverte & Syros, 1997, p. 100. 110 JI Weidong, Xianzheng xinlun : quanqiuhua shidai de fa yu shehui bianqian (De nouveaux propos sur le constitutionnalisme : droit et mutations sociales dans le contexte de la globalisation), Peking University Press, 2002, p. 181.

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mesures coercitives pour que ce « bien » se réalise. En effet, à défaut d’un contrôle

effectif sur le bien fondé du motif d’intérêt général qui permet ces mesures

d’expropriation, la garantie des droits des citadins sur leurs logements, y compris leur

droit au logement, ne peut qu’être fragile. Les droits d’exploitation forfaitaire des

terres des paysans succombent non seulement face aux expropriations liées au

mouvement d’urbanisation, mais aussi face aux discriminations résultant du maintien

par l’État d’une stricte dichotomie entre zone urbaine et zone rurale dont l’objectif

politique affirmé est de conserver les terres cultivables et d’assurer la production

agricole. En subordonnant les droits de propriété aux politiques gouvernementales, la

domination de l’État en Chine à l’heure actuelle témoigne d’une certaine manière de la

survivance moderne de l’État hydraulicien de l’époque ancienne ou encore de l’État

planificateur de l’époque d’avant la mise en place de la réforme. Mais le contexte

actuel dans lequel les gouvernements locaux et leurs membres s’impliquent dans les

mesures d’expropriation et jouent par conséquent un rôle dans la mutation des droits

d’usage du sol semble bien plus grave. Étant donné que les mesures d’aménagement du

territoire ont été à l’origine de nombreux cas de corruption des fonctionnaires, la

violation du droit de propriété présente aussi une menace pour la légitimité du régime.

Pour les hommes ordinaires, « ces incertitudes qui planent sur la propriété expliquent

la préférence des ‘entrepreneurchiks’ –entrepreneurs par la grâce du P[CC]– pour

l’enrichissement rapide, un retour immédiat sur investissement, et l’exode des

capitaux »111. En résumé, l’absence d’une propriété privée réelle et garantie contribue à

la dépendance des sujets vis-à-vis de l’État-Parti. Mais la relation problématique

État-société qui est mise en relief par ces graves manquements au principe de la

protection de la propriété peut être brisée par la force de ce droit qui commence à jouer

un rôle dans la rationalisation de l’État.

(2). – La force transformatrice du droit de propriété dans la dynamique de

rationalisation du rôle de l’État

32. - La trajectoire dessinée par le développement de la Chine depuis le lancement 111 Guy SORMAN, L’année du Coq, Chinois et rebelles, Fayard, 2006, p. 166.

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des politiques de réforme et d’ouverture fait apparaître comme un acquis incontestable

le passage au capitalisme, bien que celui-ci demeure incomplet, après que l’utopie

communiste ait été conduite à la mort par les horreurs et les erreurs qu’elle a

engendrées112. Ce fait semble constituer une base opportune pour la rationalisation du

rôle de l’État. En effet, selon la thèse wébérienne, l’État rationnel est « le seul dans

lequel le capitalisme moderne puisse prospérer. Il repose sur le fonctionnariat expert et

sur le droit rationnel »113. Il est vrai que l’orientation du développement de la Chine

vers le capitalisme n’a pas fait l’objet d’un aveu de la part du gouvernement chinois : il

a même été exclu des discours politiques. Les transformations du droit de propriété ont

toutefois réussi à faire émerger de nouveaux acteurs dont les motifs d’action tendent à

la rationalisation du rôle de l’État. Car les propriétaires qui participent à la protection

de leurs droits se trouvent sur les lieux de la lutte. La « forme pratique du droit de

propriété » naît de leur action et non pas de leur réflexion abstraite, ouvrant de

nouvelles possibilités pour comprendre la possession réelle des biens ainsi que son

fonctionnement. La « forme pratique du droit de propriété » s’inscrit aussi dans la

sociologie au sujet de l’organisation des propriétaires défendant la propriété en

conformité avec la loi. « Elle crée ainsi un mécanisme démocratique pour la

gouvernance des communautés et établit les fondements de la société civile »114. Ainsi,

dans les zones urbaines, la reconnaissance constitutionnelle et législative du droit

d’usage du sol étatique et corrélativement de l’épanouissement du marché immobilier,

a nourri l’émergence de groupes de copropriétaires concernant des logements et des

locaux commerciaux. L’organisation des copropriétaires dans les zones urbaines est

récemment admise par la loi sur les droits réels, sous forme d’assemblées et de comités,

dont la fonction principale consiste à gérer les parties communes de l’immeuble et de

protéger les intérêts communs des copropriétaires115. L’émergence des assemblées et

112 V., Jean-Luc DOMENACH, Philippe RICHER, La Chine, t. 2, de 1971 à nos jours, Imprimerie nationale, 1987, p. 645. 113 Max WEBER, Histoire économique, esquisse d’une histoire universelle de l’économie et de la société, Éditions Gallimard, 1991, p. 357. 114 SHEN Yuan, « Vers les droits du citoyen : la défense des droits des propriétaires comme mouvement citoyen dans la Chine contemporaine », in Laurence Roulleau-Berger, GUO Yuhua, LI Peilin, LIU Shiding (sous la dir. de), La nouvelle sociologie chinoise, CNRS Éditions, 2008, p. 318. 115 V., articles 75, 76 de la loi sur les droits réels.

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des comités des copropriétaires ainsi que la répercussion sociale de leurs activités

relatives à l’exercice de la copropriété de l’immeuble ont pu faire croire à une genèse

de la société civile dans la Chine contemporaine116. Dans les zones rurales, la mise en

place du régime juridique relatif aux droits d’exploitation forfaitaire des terres

collectives, en mettant l’accent sur la participation des villageois à l’exercice du droit

de propriété collective du sol, est susceptible de renforcer le rôle de l’organisation des

villageois dans les activités collectives vouées à la protection de leurs droits de

propriété117. Les deux aspects de l’exercice collectif du droit de propriété montrent le

changement non moins important de la physionomie de l’ordre social à l’époque

contemporaine : alors que l’atomisation de la population en groupes inorganiques

réside dans les racines du despotisme oriental qui repose sur la séparation et

l’opposition des fonctions de production matérielle et des fonctions de direction

monopolisées par une bureaucratie118 , la reconnaissance des droits d’usage peut

conduire au remplacement de l’atomisation de la population par une organisation et

une action collective des individus concernant la poursuite de l’intérêt commun.

L’organisation du peuple autour des droits qui leur sont communs est d’autant plus

significative que selon Hannah ARENDT l’atomisation du peuple par la création d’une

société sans classe résultant de mesures de liquidation est la première étape menant au

totalitarisme119. Ainsi peut-on considérer que même si l’apparition des propriétaires

ruraux et des titulaires des droits d’usage dans les zones rurales ne débouche pas

spontanément sur la rationalisation de l’État permise par les nouveaux acteurs de la vie

politique, elle constitue au moins un gage contre l’évolution du régime politique actuel

vers le totalitarisme. S’il est vrai qu’ « aucun des prétendus droits de l’homme ne

s’étend au-delà de l’homme égoïste, au-delà de l’homme comme membre de la société

116 L’idée sur le lien entre les assemblées et les comités des copropriétaires avec la genèse de la société civile en Chine est exprimée par professeur CAI Dingjian invité à une table-ronde au sujet de la participation publique à la prise des décisions politiques, organisée par le Centre d’analyse et de prévision (CAP) du Ministère des Affaires Étrangères et Européennes en date du 1er juillet 2008. 117 V., WANG Hansheng, SHEN Jing, « La formation des droits de propriété dans les campagnes chinoises », Études rurales, 2007, n° 179, pp. 198 à 209. 118 V., Pierre SOUYRI, Révolution et contre-révolutilon en Chine des origines à 1949, Paris : Christian Bourgois Éditeur, 1982, p. 63, 64. 119 V., Hannah ARENDT, Le système totalitaire, op. cit., p. 42 et s.

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[civile] (...). Le seul bien qui les unisse, c’est la nécessité naturelle, le besoin de

l’intérêt privé, la conservation de leur propriété et de leur personne égoïste »120, la

sauvegarde de l’intérêt privé des propriétaires peut constituer la cause principale de

l’émergence de l’esprit de citoyenneté qui est susceptible de jouer un rôle dans la

rationalisation des fonctions de l’État. Dans le contexte où les intérêts privés des

propriétaires affrontent directement le pouvoir de l’État, la revendication concernant

l’encadrement des activités arbitraires du gouvernement et la formation du droit

rationnel correspond réellement aux besoins des propriétaires au sujet de la résolution

des conflits.

33. - Le changement de la conception qu’a le peuple de la propriété privée peut

mener à la prise de conscience que le droit de propriété est susceptible de constituer un

instrument significatif de la transformation du droit chinois. Par l’expression « la prise

de conscience du droit », il s’agit d’entendre d’une part la reconnaissance de la

catégorie juridique de propriété et d’autre part, une revendication à la garantie effective

des droits de propriété. Il nous faut d’abord aborder la reconnaissance de la catégorie

juridique de propriété qui passe par l’abandon de l’idéologie politique communiste qui

dominait concernant la question de l’appropriation des biens. Comme on l’a déjà

constaté, à la fin de la Révolution culturelle, un certain désenchantement envers le

communisme vit le jour. En effet, « après la Révolution culturelle, les Chinois ne

supportent plus cette idéologie. Ils mettent en cause l’entreprise d’État qui ne les

intéressent plus. Avec ce désenchantement vis-à-vis du communisme, les Chinois

idéalisent beaucoup le marché économique, croyant qu’avec l’apport des entreprises

privées étrangères il va faire de la Chine un paradis »121. La reconnaissance de la

catégorie juridique de propriété s’effectue également à travers des mesures de réforme

visant à la clarification des droits de propriété122. Au début de la réforme économique

caractérisée par la récession du secteur public et la croissance du secteur privé, la 120 Karl MARX, « À propos de la question juive », op. cit., p. 368. 121 CAI Chongguo, « Crise de l’entreprise d’État et mouvement ouvrier », in Où va la Chine ?, Éditions du Félin, 2000, p. 42. 122 V., Frank Xianfeng HUANG, « The path to clarity: development of property rights in China », Columbia Journal of Asian Law, vol. 17, n° 2, 2004, pp. 194 à 222; aussi, CUI Zhiyuan, « Whither China? The discourse on property rights in the Chinese reform context », Social Text 55, vol. 16, n° 2, 1998, pp. 68, 69.

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propriété en tant que catégorie juridique avait une signification assez obscure dans la

mesure où « les frontières restaient cependant souvent floues entre le secteur d’État et

le secteur privé. La transition chinoise se caractérise par un régime incertain des

droits de propriété et la non-concordance entre statut juridique et mode de gestion.

Certaines entreprises privées ont choisi d’entre enregistrées comme collectives (les

chapeaux rouges) pour être à l’abri des discriminations et ne rejoignent le secteur

privé qu’au fur et à mesure que ces discriminations s’estompent.(...)Par ailleurs, de

grandes entreprises à capital majoritairement d’État sont de fait gérées comme des

entreprises capitalistes privées »123. Néanmoins, depuis le milieu des années 90, la

clarification de la signification des droits de propriété était voulue par le gouvernement

central dans le cadre de la politique prioritaire de réforme du secteur public

conformément aux principes de l’économie de marché. La reconnaissance de la

catégorique juridique de propriété a provoqué la contestation de certains aspects du

régime juridique de la propriété. Il s’agit notamment de la propriété collective du sol

dans les zones rurale. Car la nature collective du régime des droits de propriété laisse

apparaître un espace de conflits potentiels entre les paysans et les bureaucraties locales

qui représentent de manière contradictoire à la fois les intérêts du pouvoir central et

leurs propres intérêts124. Ainsi, étant donné qu’ils constituent souvent les victimes de la

précarité des droits d’exploitation forfaitaires des terres rurales et des limitations

concernant leurs transactions commerciales, les paysans contestent dans certains

situations particulières la propriété collective du sol. « ‘Rendez-nous nos terres !’ :

cette revendication des paysans, souvent inscrite sur les vêtements qu’arborent les

plaignants qui montent à Pékin pour obtenir réparation, désigne ainsi des droits de

propriété relevant de légitimités multiples mais faiblement institutionnalisées, qui

incluent à la fois les droits des ancestraux que les foyers d’un même village détenaient

sur les terres arables, les terres collectives attribuées dans les années 1950 –jamais

officiellement démentis depuis lors– et les droits d’usage privés sur ces terres

collectives » 125 . Par la promulgation de la loi sur les droits réels en 2007, la

123 Françoise LEMOINE, L’économie de la Chine, 4e éd., Éditions de la découverte, 2006, p.27. 124 V., Lucien BIANCO, Jacqueries et Révolution dans la Chine du XXe, op. cit., pp. 462, 463 125 Isabelle THIREAU, HUA Linshan, « D’une illégitimité à l’autre, Introduction », Études Rurales, op.

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revendication populaire du droit est partiellement prise en compte par le législateur

chinois à travers la codification de règles plus précises et cohérentes qu’auparavant

puisque celles-ci étaient dispersées dans de nombreux textes normatifs. La loi sur les

droits réels peut davantage favoriser la reconnaissance des droits de propriété par la

force inhérente à la forme écrite. En effet, la formalisation donne à l’action et au

discours relatif à la revendication des droits « la forme qui est reconnue comme

convenable, légitime, approuvée par l’effet de formalisation qui est liée à la

codification»126.

34. - Concernant la revendication portant sur la reconnaissance des droits par l’État,

la nécessité de renforcer la garantie des droits de propriété semble être plus forte.

L’expérience historique de la Chine montre que « l’appropriation du sol eut un

caractère extrêmement précaire durant de longs siècles, un millénaire et demi peut-on

dire, et que le droit de la propriété foncière fut d’une grande irrationalité et, du fait de

la politique fiscale, oscillait entre les interventions arbitraires et un laisser-faire

total »127. À l’époque contemporaine, pour que les droits réels qui ont pour paradigme

la propriété soient effectivement réels au sens propre et figuré, il est impératif que des

garanties juridiques contre les atteintes au droit de propriété soient mises en oeuvre,

d’autant plus que les mesures d’expropriation des biens privés ont entraîné la réaction

du peuple. Ces luttes semblent constituer la genèse d’un mouvement de

« citoyennisation » 128 stimulant la formation de l’État de droit à travers « la

mobilisation du droit »129. Les démolitions des bâtiments dans les zones urbaines

décidées de manière arbitraire par des membres du gouvernement local, ainsi que

l’occupation illégale des terres collectives dans les zones rurales, ont suscité le

mécontentement des citadins et des paysans qui n’ont pas hésité à remettre en cause la

légalité et la constitutionnalité du Règlement du CAE par voie de recours formelle tout

cit., p. 16. 126 Pierre BOURDIEU, « La codification », in Chose dites, Les éditions de minuit, 1987, p. 103. 127 Max WEBER, Confucianisme et taoïsme, op. cit., p. 125. 128 V., David KELLY, « Citizen movements and China’s public intellectual in the Hu-Wen era », Pacific Affairs, vol. 79, n° 2, 2006, p. 183. 129 V., Mary E. GALLAGHER, « Mobilizing the law in China: ‘informed disenchantment’ and the development of legal consciousness », 40 Law & Soc’y Rev. 783, p. 793.

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43

en mobilisant des éléments qui peuvent produire un effet social retentissant130. Il faut

encore souligner que le recours au droit et le recours au rapport de force s’emmêlent

souvent dans les mouvements populaires. Les pratiques dites de « lettres et visites »

dont le but est de faire intervenir l’autorité supérieure pour mettre fin aux abus de

pouvoir des autorités inférieures, comme les protestations paisibles ou violentes avec le

rassemblement des victimes –officiellement nommés « événements de masse » par le

gouvernement chinois– montrent l’intensité de la défense des droits civiques qui

peuvent probablement finir par provoquer une évolution du droit chinois caractérisée

par « l’atténuation de la dominance de l’État par rapport à la société »131. En effet, le

recours au discours de l’État de droit « donne à l’action des citoyens une légitimité

difficile à nier », et « exerce une indéniable pression sur les autorités et confère une

certaine marge de manoeuvre aux victimes »132. S’il est vrai que la défense des droits,

qui se révèle plus fréquemment dans les cas où la propriété est en cause, n’a pas

l’intention de défier le régime, l’agitation sociale causée par ces actions peut inciter

l’État-Parti –qui considère la stabilité indispensable au développement de l’économie

et au maintien de sa légitimité– à infléchir sa politique et à améliorer son système

juridique. Ainsi, le législateur chinois a bien tenu compte de la nécessité d’élaborer une

loi qui sera spécialement consacrée à l’expropriation pour le but d’intérêt général. La

rationalisation de la procédure, comme « élément déterminant du droit rationnel »133,

est ainsi plus directement visée par la future législation afin de résoudre les problèmes

entraînés par le phénomène de « démolition barbare » dans lequel les gouvernements

locaux et leurs membres sont souvent partie prenante. Des améliorations législatives,

telles que la participation publique dans la procédure de planification des territoires qui

130 V., Keith J. HAND, « Using law for righteous purpose: the Sun Zhigang incident and evolving forms of citizen action in the People’s Republic of China », 45 Colum. J. Transnat’l L. 114, p. 166; YING Xing, « Les ‘visites’ collectives des paysans auprès des autorités supérieures », Études Rurales, op. cit., pp. 155 à 168. 131 V., Kevin J. O’BRIEN, Lianjiang LI, Rightful resistance in rural China, op. cit., 2006, pp. 51, 66, 114 à 124. 132 Jean-Philippe BÉJA, « Le mouvement des droits civiques : un nouvel avatar de l’opposition », in Amnesty International, Droits humains en Chine : le revers de la médaille, Éditions Autrement Frontières, 2008, pp. 118, 119. 133 Max WEBER, Histoire économique, esquisse d’une histoire universelle de l’économie et de la société, op. cit., p. 358.

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44

est désormais exigée par la loi de 2007 sur la planification urbaine et rurale, ainsi que

la publication des informations gouvernementales pour rendre le fonctionnement du

pouvoir plus transparent, bénéficient à la jouissance des biens et s’inscrivent dans les

efforts pour renforcer la prévisibilité des règles de droit en vue de mieux assurer les

intérêts des citoyens. De même, dans le domaine de la propriété intellectuelle, les

multinationales étrangères se sont regroupées sous forme d’associations afin de

pouvoir lutter plus efficacement contre la contrefaçon qui demeure répandue en Chine

en dépit des réformes menées par le gouvernement chinois en la matière. Le

gouvernement chinois a aussi mené une grande campagne d’information pour

sensibiliser le public au problème de la mise en oeuvre du droit des propriétés

intellectuelles. Les tribunaux chinois semblent prêts à appliquer la protection des droits

de propriété intellectuelle, au moins quand des firmes étrangères opérant en Chine sont

concernées134.

35. - Néanmoins, en dépit des efforts de juridicisation susceptibles d’améliorer la

garantie juridique des droits de propriété, des obstacles majeurs qui sont inhérents à

l’ensemble du système juridique auxquels se heurte la prise de conscience du droit par

le peuple chinois demeurent encore. Ainsi en est-il de la soumission de l’autorité

judiciaire au pouvoir politique135, comme le montre l’intervention politique sur certains

sujets « sensibles » tels que les droits de l’homme136. En ce qui concerne l’amélioration

de la garantie des droits de propriété, les obstacles susmentionnés se concrétisent

désormais plus nettement au niveau local tant dans l’administration et la gestion des

biens publics137, que dans l’intervention concernant la jouissance des biens privés.

Dans un contexte plus large, la garantie effective des droits de propriété a également

suscité des critiques portant sur les pratiques abusives des autorités locales de

différents échelons en matière d’impôts, dans la mesure où elles constituent de graves

134 V., Joanna SHMIDT-SZLEWSKI, « La propriété intellectuelle dans la mondialisation», Propriété industrielle, juin 2006, pp. 28, 29. 135 V., Jerome A. COHEN, « China’s legal reform at the crossroads », 169 Far Eastern Economic Review 23, p.8. 136 V., Xiaoping CHEN, « The difficult road for right advocacy: an unpredictable future for the development of rule of law in China », 16 Transnat’l L. & Contemp. Probs. 221, pp. 246, 247. 137 V., Bruno CABRILLAC, Économie de la Chine, 2e éd., P. U. F., 2003, pp.105, 106.

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45

atteintes à la propriété privée des citoyens138. Il en résulte que la garantie juridique des

droits de propriété exige aussi un encadrement du pouvoir fiscal de l’État central et des

autorités locales. Dans sa fonction de surmonter les obstacles à l’amélioration de la

garantie des droits de propriété, l’instrumentalisation du droit, qui est considéré comme

« le premier pas vers la conscience de la valeur du droit »139, peut devenir un

instrument de contestation de la gestion du pouvoir et créer à terme les conditions

d’une opposition fondée sur le droit. En ce qui concerne le droit de propriété, un

courant de pensée dont se réclament certains juristes chinois se développe autour de

l’aspect de droit public de la législation relative au droit des biens. Il traduit plus

directement la prise de conscience de la valeur du droit. En effet, pour soutenir le

caractère de contre-pouvoir de la propriété, des théoriciens chinois n’ont pas hésité à

faire référence à l’adage anglais « le vent et la pluie peuvent entrer dans la maison

sans mon accord, mais le Roi ne le peut pas»140. En dépassant la limite du droit privé,

les juristes chinois s’attachent à étudier le statut de droit fondamental du droit de

propriété et le rapport entre le pouvoir administratif et les droits de propriété141. Le

débat sur la constitutionnalité de la loi sur les droits réels, provoqué par les critiques

concernant le fondement légitime de la propriété privée142, montre également que les

questions relatives à la valeur du droit sont déjà prises en compte par les juristes

chinois. Dans les travaux préparatoires portant sur la codification du droit civil chinois,

certaines réflexions sur la valeur du droit ont porté sur l’ordre de deux livres, l’un

consacré aux droits de la personne et l’autre aux droits de propriété. Pour ceux qui

considéraient que la valeur des droits de la personne l’emporterait sur celle des droits

138 V., XU Yan, « Taxation and Constitutionalism in China », 36 Hong Kong L. J. 365, pp. 369, 370. 139 Stéphanie BALME, « Juridicisation du politique et politisation du juridique dans la Chine des réformes (1978-2004) », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., p.588. 140 Cf., LIU Junning, Gonghe, minzhu, xianzheng: ziyou zhuyi sixiang yanjiu (République, démocratie, constitutionnalisme : étude sur les pensées libérales), Shanghai Joint Publishing Company, 1998. 141 V., par ex., YING Songnian, « Xingzhengquan yu wuquan zhi guanxi yanjiu (Étude sur la relation entre le pouvoir administratif et le droit des biens) », Zhongguo faxue (China Legal Science), 2007, n° 5, pp. 66 à 73. 142 V., TONG Zhiwei, « Wuquanfa cao’an gairuhe tongguo xianfa zhimen (Comment le projet de loi sur les droits réels peut passer la porte de la Constitution) », Faxue (Law Science Monthly), 2006, n° 3, pp. 4 à 23.

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46

de propriété, le livre des droits de la personne devrait se situer en tête du futur Code

civil et donc précéder le livre des droits de propriété143. Le problème de la mise en

ordre des droits concernant la propriété devient désormais plus aigu, dans le contexte

où se développent les considérations sur la justice sociale dans l’économie de

marché144. À mesure que le droit chinois s’implique sans cesse dans le processus

d’internationalisation du droit, le réveil de l’opinion publique concernant la valeur du

droit devient désormais irréversible.

B. – La propriété ouvre la voie à l’influence du droit international en Chine

36. - Le retour de la Chine au droit à l’époque contemporaine, caractérisé par une

« frénésie législative », s’accompagne de l’intégration des normes internationales dans

le droit interne145. Qu’il s’agisse de l’intégration du droit international dans l’ordre

juridique interne afin de « civiliser le droit chinois » ou de la « fusion des droits

occidental et chinois » qui remonte à la réforme juridique du début du XXe siècle qui

avait pour objectif de rompre avec le droit impérial146, l’ouverture du droit chinois au

droit international et aux droits étrangers était et continue à être l’une des stratégies

employées pour la modernisation de la Chine. Comme l’internationalisation apparaît

comme le vecteur de la libéralisation du régime et de la modernisation des institutions

et de l’État147, « un élément important du ‘choc de l’ouverture’ a été la modernisation

du cadre juridique »148. En effet, la volonté d’internationaliser le droit chinois se

143 V., XU Guodong, « Liangzhong minfadian qicao silu: xin renwen zhuyi dui wuwen zhuyi (Deux courants de pensée à propos de la codification du droit civil : le nouvel humanisme contre le culte des biens ) », in XU Guodong (éd.), Zhongguo minfadian qicao silu lunzhan (Combats des courants de pensée sur la codification du droit civil en Chine), Zhongguo zhengfa daxue chubanshe, 2001, pp. 140 et s. 144 V., JI Weidong, Xianzheng xinlun : quanqiuhua shidai de fa yu shehui bianqian (De nouveaux propos sur le constitutionnalisme : droit et mutations sociales dans le contexte de la globalisation), op. cit., pp. 195 et s ; v., aussi, Hal BLANCHARD, « Constitutional revisionism in the P. R. C.: ‘Seeking truth from facts’ », 17 Florida Journal of International Law 365, June 2005, pp. 365 et s. 145 V., Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit dans la Chine d’aujourd’hui. Avancées et résistances (1) », Le Dalloz, 2002, n° 32, p. 2484 et s. 146 V., Jérôme BOURGON, Shen Jiaben et le droit chinois à la fin des Qing, op. cit., p. 676 et s. 147 V., Jean-Pierre CABESTAN, Le système politique de la Chine populaire, op. cit., p. 469. 148 Jean-Claude PAYE, « Le choc de l’ouverture au monde », in Un nouveau regard sur le droit chinois,

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47

renforce avec la mise en place de la politique de réforme et d’ouverture depuis la fin

des années 70 dont l’objectif est de « moderniser le droit interne pour conquérir un

marché mondial en pleine extension »149. En ce qui concerne la protection de la

propriété, le droit international joue un rôle à fois de lege lata et de lege ferenda.

D’une part, la conclusion ou la participation à des traités internationaux montre que les

règles applicables à la protection de la propriété sont reconnues comme constituant une

source juridique du droit chinois, alors que l’effectivité de ces normes internationales

est assurée par des mécanismes de contrôle sur le plan international. D’autre part, le

droit international constitue aussi une référence importante pour le droit interne, dans

la mesure où l’adaptation de celui-ci aux normes internationales a bien pour contexte le

processus d’internationalisation du droit chinois.

37. - Cependant, il convient de nuancer l’influence du droit international en tenant

compte des problèmes qui peuvent constituer des obstacles à ce processus

d’internationalisation du droit chinois. C’est là une occasion de discuter de l’influence

des normes et des pratiques internationales au sein de l’ordre interne et des effets

produits sur la réforme du droit interne qui conduisent à une « porosité de plus en plus

marquée des ordres juridiques »150. Dans la perspective du droit international, les

sources juridiques relatives à la propriété demeurent fragmentées, ce qui induit un

déséquilibre entre d’une part le droit international des droits de l’homme et d’autre part

le droit international économique au regard de leurs contributions respectives au

respect des biens. D’autant plus que la solidité et l’efficacité des garanties juridiques de

la propriété en vertu des normes et des mécanismes de droit international varient en

fonction de la signification que l’on donne de la propriété : elle peut en effet être

considérée comme un droit fondamental de l’homme ou bien au contraire comme un

simple moyen d’exploitation. Ces significations contradictoires correspondent d’une

certaine manière à la distinction théorique entre « propriété autonome » et « propriété

colloque du 30 mai 2007, Journées juridiques franco-chinoises 2007, Société de législation comparée, 2008, p. 17. 149 Mireille DELMAS-MARTY, « Le laboratoire chinois », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., p. 825. 150 Stanley LUBMAN, Leïla CHOUKROUNE, « L’incomplète réforme par le droit », Esprit, 2004, p. 127.

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48

dominante »151. Du point de vue du droit chinois cette fois-ci, bien que la Chine

manifeste depuis longtemps la volonté de respecter les principes du droit

international152, les règles de droit chinois sont encore loin d’être précises, sont parfois

même critiquées pour leur incertitude étant donné que l’effet juridique de l’intégration

des normes internationales dans l’ordre juridique interne reste pour une large part

imperceptible153. Il est également important de souligner que l’intégration des normes

internationales dans le droit interne chinois ne renvoie pas à un simple processus de

transplantation, mais à celui d’une adaptation qui permet aux particularités de la réalité

socio-historique chinoise d’être prises en compte. L’attitude que gouvernement chinois

adoptée très souvent à l’égard du droit international est celle de l’« adaptation

sélective » : il décide de manière largement autonome dans l’adaptation du droit interne

selon les exigences du droit international. Les considérations concernant le contenu des

règles de droit international, la complémentarité entre droit international et droit

interne, ainsi que la justification de l’adaptation du droit chinois à ces normes, peuvent

influencer la décision de l’État chinois quant à la prise des engagements

internationaux154.

38. - S’il existe un déséquilibre entre droit international économique et droit

international des droits de l’homme au regard de leurs contributions respectives à la

protection de la propriété, le même problème existe également en droit interne chinois:

la protection des investissements étrangers et des droits de propriété intellectuelle est

davantage renforcée que celle de la propriété des logements qui est pourtant largement

menacée par de nombreuses mesures abusives d’expropriation. Les atteintes à la 151 V., Emmanuel DOCKÈS, Valeurs de la démocratie, Dalloz, 2005, p. 154. 152 V, WANG Tieya, « International law in China: historical and Contemporary Perspectives », 221 Recueil des Cours, 1990, pp. 203 et s.; Louis HENKIN, How nations behave, 2e éd., New York : Columbia University Press, 1979, pp. 109, 110. 153 V., James FEINERMAN, « Chinese participation in the international legal order: rouge elephant or team player », The China Quarterly, n° 141, 1995, pp. 186 à 210; LI Zhaojie, « The effect of treaties in the municipal law of the People’s Republic of China: practices and problems », 4 Asian Yearbook of International Law 185, 1994, p. 194; SHAN Wenhua, « The international law of EU investment in China », 1 Chinese Journal of International Law 555, (2002), p. 560. 154 V., Pitman B. POTTER, « China and the international legal system: challenges of participation », The China Quarterly, n° 191, 2007, p. 699 à 715; Pitman B. POTTER, « Globalization and economic regulation in China: selective adaptation of globalized norms and practices », Washington University Global Studies Law Review, winter 2003, p. 121.

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propriété des logements, qui se sont répandues dans le contexte d’urbanisation et de

spéculation foncière, ont eu pour conséquence l’ébranlement du droit au logement dont

la nature de droit de l’homme est généralement reconnue sur le plan international. La

mise en place de la politique d’ouverture sous-tendue par la volonté du gouvernement

chinois de respecter ses engagements sur le plan du droit international économique

–comme le montre surtout l’entrée de la Chine dans l’OMC– a contribué de manière

significative au renforcement de la garantie juridique des biens relevant des activités

industrielles et commerciales en tenant compte des exigences du libéralisme

économique155, alors qu’en matière de respect des droits de l’homme l’avancée du

droit chinois est moins évidente. Il en résulte que le déséquilibre du droit international

entre son aspect commercial et celui des droits de l’homme se perpétue sur le plan

juridique interne chinois sur la question de la protection de la propriété, avec

l’apparition d’effets pervers induits par les nombreuses hésitations concernant des

variantes imparfaites. Ces variantes imparfaites comportent « une variante ‘libérale’,

qui admet l’opposabilité des droits civils et politiques aux acteurs politiques et

peut-être, progressivement, aux acteurs économiques, mais se contente d’une

sous-protection des droits économiques, sociaux et culturels, et une variante

‘autoritaire’ qui, à l’inverse, privilégie ces derniers mais renonce à garantir les droits

civils et politiques»156 . Ici, l’expression « hésitations » révèle qu’en matière de

propriété, le droit chinois apparaît paradoxalement tantôt comme participant de la

variante « libérale », tantôt de la variante « autoritaire », sans jamais se fixer dans une

position déterminée. Car si les garanties des investissements et des propriétés

intellectuelles confirment bien la variante « libérale », elles ne s’étendent pas pour

autant à la propriété du logement, alors même que la Chine n’a de cesse de mettre

l’accent sur la protection des droits économiques, sociaux et culturels. En revanche, le

droit au logement pâtit en effet d’une sous-protection, en raison de garanties juridiques

qui sont faibles, peu efficaces, et même inexistantes dans certains cas, notamment ceux

155 V., Pitman B. POTTER, The Chinese legal system: globalization and local legal culture, Routledge, 2001, pp. 59 à 61. 156 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., p. 575.

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des expropriations illégales. En ce sens, la propriété, qui se situe à la croisée des droits

civils et politiques et des droits économiques et sociaux, renverse l’hypothèse selon

laquelle la situation particulière de la Chine actuelle permettrait de justifier la

distinction entre des droits prioritaires et d’autres droits de l’homme moins

importants157. L’exemple du droit au logement, qui met en relief l’importance du

caractère indivisible des droits de l’homme, révèle que le déséquilibre entre droit

international économique et droit international des droits de l’homme apparaît encore

comme une limite à l’influence du droit international sur la protection de la propriété

en droit chinois (1). Afin de dépasser cette limite, il faudrait mettre en place un

développement synchronisé des deux piliers de l’internationalisation du droit afin de

consolider la protection de la propriété (2), tout en intégrant l’influence du droit

international dans cette dynamique.

(1). – Le déséquilibre du droit international en matière de protection de la propriété

39. - Sur le plan juridique international, la propriété est d’abord proclamée par

l’article 17 de la DUDH. Or, comme les droits fondamentaux dont l’universalisme

suppose l’indivisibilité étaient affaiblis par leur division en deux instruments juridiques

différents –à savoir le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après

PIDCP) d’une part et, d’autre part, le Pacte international relatif aux droits économiques,

sociaux et culturels (ci-après PIDESC)–, la propriété ne figure ni dans le PIDCP, ni

dans le PIDESC, du fait de son caractère inclassable158, mais surtout à cause des

divergences qui ont pu exister entre les différents pays. Comme Frédéric SUDRE le

résume, « [L]e droit de propriété est un droit contesté dans sa nature même : droit

économique pour les uns, droit civil pour d’autres, son caractère même de droit de

l’homme prête à discussion selon que l’on considère, ou non, que la propriété privée

157 De manière constante, les livres blancs portant sur la situation des droits de l’homme confèrent la priorité aux droits économiques, sociaux et culturels. Il s’agit précisément du droit à l’existence, du droit au développement et du droit à l’indépendance du peuple chinois. 158 Patrice MEYER-BISCH, « Méthodologie pour une présentation systématique des droits humains », in Emmanuelle BRIBOSIA, Ludovic Hennebel (sous la dir. de), Classer les droits de l’homme, Bruylant, 2004, p. 76.

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51

est essentielle à l’existence de l’individu »159. Par l’absence de véritable mécanisme

juridictionnel de contrôle, le processus d’internationalisation de la protection de la

propriété avance laborieusement, ce qui ne signifie pas pour autant que l’on soit

confronté à un vide juridique160. Car, en ce qui concerne la mise en ouvre des droits de

l’homme universellement proclamés, plusieurs procédures de vérification des

violations, générales et thématiques, fonctionnent auprès de la Commission des droits

de l’homme –désormais transformée en Conseil des droits de l’homme161– et des

organes institués qui surveillent la mise en oeuvre des principaux traités internationaux

sur les droits de l’homme, tels que le Comité des droits de l’homme pour les pays qui

ont accepté sa compétence. Certes, faute de force juridique contraignante, les

mécanismes de contrôle en matière de droits de l’homme n’ont pas pu « parvenir à

accélérer un processus qui reste figé, comme gelé par la résistance des États »162. Tel

est le cas de la Chine, malgré des travaux préparatoires soutenus par le gouvernement

chinois. En ce qui concerne la date de ratification du PIDCP, elle demeure cependant

encore incertaine. L’acceptation de la compétence du Comité des droits de l’homme,

surtout sur la question des examens des communications émanant de particuliers à

propos de violations du droit de propriété, aura vraisemblablement peu de chance de

devenir une réalité dans un proche avenir163. Dans le cadre de l’examen exercé par le

Comité des droits économiques, sociaux et culturels, la Chine reste vigilante quant aux

éventuelles ingérences politiques extérieures en se défendant contre les critiques

portant sur la situation des droits de l’homme en Chine. Cette posture de défense

adoptée par la Chine reflète en effet le maintien de l’idée selon laquelle le sujet des

droits de l’homme est une question de politique intérieure de l’État. En ce sens, les

violations des droits de l’homme en Chine tombent sous la compétence juridictionnelle 159 Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, 9e édition revue et augmentée, PUF, 2008, § 256. 160 V., Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (II) : le pluralisme ordonné, Éditions Seuils, 2006, p. 211. 161 Résolution 60/251 de l’Assemblée Générale de l’ONU établissant le Conseil des droits de l’homme, 15 mars 2006. 162 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (II) : le pluralisme ordonné, op. cit., p. 211. 163 V., Katie LEE, « China and international covenant on civil and political rights: prospects and challenges », Chinese Journal of International Law, juillet 2007, pp. 466 et s, 473.

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52

exclusive des cours et tribunaux chinois164.

40. - Il semble que les traités internationaux des droits de l’homme relatifs aux

droits économiques, sociaux et culturels ont une fonction affirmative plutôt

qu’instrumentale –en témoigne, par excellence, la DUDH dans la mesure où l’adhésion

à ces traités ne constitue tout au plus qu’une pression morale exercée sur l’État

signataire afin qu’il respecte ses engagements165. Cependant, il faut remarquer que

l’amélioration de certains droits économiques, sociaux et culturels appelle le

renforcement des droits civils et politiques. Ainsi en va-t-il en Chine du droit au

logement qui fait l’objet du mépris des autorités dans la pratique comme le montrent

notamment les atteintes à la propriété entraînées par les expropriations illégales. Dans

le contexte particulier chinois, c’est l’abus d’expropriation qui a significativement

renforcé la spéculation foncière et par conséquent contribué à la flambée des prix

immobiliers. Il en résulte que la force de marché n’a joué qu’un rôle secondaire parmi

les obstacles à la réalisation du droit au logement. De même, dans les zones rurales,

l’occupation des terres cultivables résultant de l’expropriation porte atteinte au droit

d’usage du sol est l’une des causes importantes de la paupérisation des paysans

chinois166. L’exemple du droit au logement, comme celui des atteintes aux droits des

paysans en Chine, semble démentir l’hypothèse selon laquelle la justiciabilité des

droits économiques, sociaux et culturels pourrait constituer un contrepoids à

l’importance accordée aux droits civils et politiques dans le contexte de l’économie de

marché 167 . Au contraire, l’amélioration du droit au logement, de même que

l’amélioration du niveau de vie des paysans, appelle le renforcement de la garantie de

la propriété. Selon Patrice MEYER-BISCH, « tous les droits humains étant plus ou

moins transversaux en vertu du principe de l’indivisibilité, chacun conditionne le

respect des autres », et la propriété figure parmi ceux qui « ont une transversalité

164 V., GUO Luoji, « A human right critique of the Chinese legal system », 9 Harv. Hum. Rts. J. 1, pp. 5 à 14. 165 V., Oona A. HATHAWAY, « Do human rights treaties make a difference?», 111 Yale L.J. 1935, p.1941. 166 V., LIU Yuting, HE Shenjing, WU Fulong, « Urban pauperization under China’s social exclusion: a case study of Nanjing », Journal of urban affairs, vol. 30, n° 1, 2008, pp. 21 à 36. 167 V., Ellen WILES, « Aspirational principles or enforcable rights? The future for socio-economic rights in national law », 22 Am. U. Int'l L. Rev. 35, pp. 36 et s.

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53

systématique particulière. La conséquence en est qu’ils conditionnent immédiatement

la réalisation de n’importe quel droit de l’homme »168. Il est vrai que la propriété est au

fondement du libéralisme, car « pas de libertés civiles sans le respect de la propriété,

pas de libertés culturelles sans la participation aux patrimoines, pas de libertés

économiques sans protection des diverses formes de propriété, en particulier celles qui

profitent au plus grands nombre : les biens communs »169 , mais elle est aussi

importante pour la réalisation des droits sociaux. En témoignent les atteintes au droit

au logement en Chine où la propriété est menacée par l’abus d’expropriation.

41. - Malgré la faible prise en compte de sa dimension sociale, la propriété

bénéficie toutefois d’une garantie plus solide dans le droit chinois sous l’influence de

la libéralisation économique et de la politique d’ouverture. De manière constante, la

propriété apparaît comme un sujet important pour le droit international économique

auquel la Chine se soumet plus volontiers. Il s’agit d’abord du droit international des

investissements qui se présente comme un prolongement du droit de la condition des

étrangers et impose l’obligation aux États de respecter certains droits fondamentaux

des étrangers dès que ces derniers se trouvent sur leur territoire. Ces droits

fondamentaux qui ont été longtemps circonscrits aux droits de la personne s’étendent

désormais aux biens que possèdent les étrangers. Avec la prolifération des instruments

conventionnels, « l’accent n’est plus seulement mis sur la sécurité de l’opérateur, mais

aussi sur la rentabilité de l’opération »170. Qu’il s’agisse de l’objectif de sécurité ou de

celui de rentabilité, le droit international des investissements constitue une source

juridique importante de la protection des biens des étrangers. Ce constat vaut aussi

pour la Chine qui a conclu plus d’une centaine d’accords bilatéraux portant sur la

protection des investissements depuis la mise en place de la politique d’ouverture171.

L’apport du droit international des investissements à la protection de la propriété tient

dans le fait que les conventions bilatérales « contiennent toujours une stipulation 168 Patrice MEYER-BISCH, « Méthodologie pour une présentation systématique des droits humains », op. cit., pp. 73, 74. 169 Ibid., p. 75. 170 Dominique CARREAU, Patrick JUILLARD, Droit international économique, 3e éd., 2007, § 1119. 171 Pour une information détaillée sur les règles conventionnelles engageant la Chine, mise à jour jusqu’au 1er juin 2008, consulter le site Internet de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED), http://www.unctad.org/Templates/Page.asp?intItemID=2344&lang=1.

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54

consacrée aux problèmes de l’expropriation et de la nationalisation »172 et sont

susceptibles de combler les lacunes du droit interne en matière de protection de la

propriété. L’importance des règles conventionnelles relatives à la protection des

investissements étrangers se renforce donc, d’autant plus que la Chine s’est désormais

engagée en signant les accords d’investissements de « nouvelle génération » qui

prévoient un mécanisme juridique encore plus contraignant concernant le règlement

des contentieux entre l’investisseur étranger et l’État hôte173. En effet, en signant les

accords bilatéraux d’investissements la Chine a accepté d’élargir la compétence de

l’arbitrage international à tous les différends portant sur les violations des accords, au

lieu de la limiter à ceux qui sont relatifs au montant des indemnités en cas

d’expropriation. D’ailleurs, grâce à l’« umbrella clause » qui figure dans les accords de

« nouvelle génération », les investisseurs étrangers ont désormais le pouvoir de

transformer toute violation des contrats qu’ils ont conclus avec la Chine, si celle-ci en

est responsable en tant qu’État hôte, en une violation des engagements internationaux.

Ce faisant, ils élargissent l’étendue de la compétence de l’arbitrage international en la

matière174.

42. - L’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en

2001 renforce encore davantage l’influence du droit international économique sur la

transformation du droit interne chinois. L’approche dite de « rule-oriented »175 du

droit de l’OMC coïncide d’une certaine manière avec l’objectif principal de la réforme

juridique en Chine qui peut se résumer par la formule « gouverner l’État par la loi ».

172 Dominique CARREAU, Patrick JUILLARD, Droit international économique, op. cit., § 1376. 173 V., Ko-Yung TUNG, Rafael COX-ALOMAR, « The new generation of China BITS in light of Tza Yap Shum v. Republic of Peru », 17 Am. Rev. Int’l Arb. 461, pp. 461 à 467 ; Stephan W. SCHILL, « Tearing the Great Wall : the new generation treaties of the Republic of China », 15 Cardozo J. Int’l & Comp. L. 73, pp. 91 à 94; Rostislav PEKAR, Ondrej SEKANINA, « China’s bilateral investment treaties with EU Member States: gaining a competitive advantage through investment protection », China Law & Practice, septembre 2007. 174 V., Stephan W. SCHILL, « Tearing the Great Wall : the new generation treaties of the Republic of China », op. cit., pp. 109 à 111; Kim M. ROONEY, « ICSID and BIT arbitration and China », Journal of international arbitration, 2007, vol. 24, n° 6, p. 695; v., aussi, Peter J. TURNER, « Investor-State arbitration », in Michael J. MOSER, Managing business disputes in today’s China, dueling with dragons, Kluwer Law International, 2007, pp. 247 à 249. 175 John H. JACKSON, The jurisprudence of GATT and the WTO: Insights on treaty law and economic relations, Cambridge University Press, 2000, p. 8.

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55

C’est la raison pour laquelle l’entrée dans l’OMC est considérée comme une étape

importante dans la libéralisation de l’économie176, mais aussi comme un élément non

négligeable de la construction d’un État de droit en Chine177. Car, en plus des

conséquences économiques de son entrée dans l’OMC, « les droits, les concepts

juridiques, ainsi que les valeurs du droit de l’OMC sont en train de s’implanter dans le

système juridique chinois »178. En ce qui concerne la protection de la propriété, en

amont, l’Accord sur les aspects des droits de la propriété intellectuelle qui touchent au

commerce (ADPIC) doit être intégré au droit interne chinois afin que ce dernier soit

compatible avec le droit de l’OMC179, alors qu’en aval, la mise en oeuvre du droit des

propriétés intellectuelles demeure encore problématique180. Ces points reflètent les

faiblesses des différents aspects de l’application du droit chinois dans la pratique. Mais

les droits établis par l’Accord sur les ADPIC concernent non seulement les étrangers

mais aussi les nationaux au premier plan. Dans la mesure où l’effet de la mise en

oeuvre de l’Accord sur les ADPIC peut contribuer à harmoniser les systèmes juridiques

des Membres de l’OMC, les citoyens chinois bénéficient aussi de l’amélioration du

droit chinois concernant la garantie des droits de propriété intellectuelle. Encore faut-il

souligner que le droit de l’OMC comporte des prescriptions qui correspondent à la

doctrine de la « bonne gouvernance » et peuvent par conséquent avoir une influence

176 V., par ex., Deepak BHATTASALI, Shantong LI, Will MARTIN (ed.), China and the WTO, accession, policy reform, and poverty reduction strategies, The World Bank, 2004, pp. 1 à 19. 177 V., par ex., Leïla CHOUKROUNE, L’accession de la République Populaire de Chine à l’Organisation mondiale du commerce, instrument de la construction d’un tat de droit par l’internationalisation, thèse, l’Université Paris 1, 2001 ; Li ZHANG, Le contrôle juridictionnel de la légalité des actes administratifs en Chine : éléments d’analyse comparée des contentieux administratifs chinois et français, thèse, l’Université Paris 1, 2007 ; CAO Jianming, « WTO and the rule of law in China », Temple International and Comparative Law Journal, automne 2002, p. 379 et s. 178 WANG Guiguo, The law of WTO: China and the future of free trade, Sweet & Maxwell Asia, 2005, p.57. 179 V., par ex., Shujie FENG, L’intégration du droit de l’OMC touchant à la propriété intellectuelle dans l’ordre juridique interne : étude comparée franco-chinoise concernant le droit des brevets, thèse, l’Université Paris 1, 2007. 180 V., Jingzhou TAO, « Problems and new developments in the enforcement of intellectual property rights in China », in Paul TORREMANS, Hailing SHAN, Johan ERAUW (ed.), Intellectual property and TRIPS compliance in China, Chinese and European perspectives, Edward ELGAR, 2007, pp. 107 à 124.

Page 64: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

56

générale sur l’ensemble des structures gouvernementales181 au sein desquelles le

régime de propriété constitue un élément essentiel. À cet égard, la transformation

structurelle caractérisée par la mise en place d’un système de garantie générale de la

propriété privée et la réforme vers l’égalité des traitements des entités économiques

publiques et privées, s’inscrit bien dans les réformes qui ont été exigées de la Chine

lors de son entrée dans l’OMC182. Comme Philippe BERAUD l’a souligné, « les

conséquences de l’internationalisation croissante de la production et de

l’intensification des dynamiques de marché, ainsi que les mesures d’accompagnement

et les retombées qui entourent l’adhésion de la Chine à l’OMC, constituent autant de

forces centrifuges qui poussent à l’éclatement de la propriété sociale (...) »183. Alors

que le mécanisme de règlement des différends peut conduire le droit chinois à

améliorer la garantie judiciaire des droits de propriété intellectuelle selon les exigences

de l’Accord sur les ADPIC, l’examen des politiques commerciales, qui correspond en

fait à la mise en oeuvre du principe de cohérence, vise dans un contexte plus général à

influencer les réformes juridiques et politiques relatives au commerce international, y

compris la réforme qui a trait au régime de propriété. Le droit de l’OMC constitue

donc une référence incontournable concernant la transformation du droit chinois sur le

sujet de la protection de la propriété. Par rapport aux autres branches du droit

international économique, l’influence du droit de l’OMC est la plus remarquable.

D’autant plus que sa contribution à l’internationalisation du droit est en pleine

expansion, grâce au « juge de l’OMC »184 qui assure l’unification des règles juridiques

et la primauté du droit international par le biais d’une dynamique de juridicisation185.

181 V., Frederick M. ABBOTT, « Emerging doctrines of good governance: the impact of the WTO and China’s accession », in Thomas COTTIER (ed.), The Challenge of WTO Law: collected essays, Cameron May International Law and Policy, 2007, pp. 332 à 337. 182 V., Ligang SONG, « The state of the Chinese economy –structural changes, impacts and implications », in Deborah Z. CASS, Brett G. WILLIAMS, George BARKER (ed.), China and the world trading system, Cambridge University Press, 2003, pp. 89 à 90. 183 Philippe BERAUD, « Du despotisme oriental au socialisme de marché: l’État et les droits de propriété en Chine », op. cit., p. 98. 184 Hélène RUIZ-FABRI, « Le juge de l’OMC: ombres et lumières d’une figure judiciaire », Revue Général de Droit International Public, 2006, n° 1, pp. 39 à 82. 185 V., Hélène RUIZ-FABRI, « La contribution de l’Organisation mondiale du commerce à la gestion de l’espace juridique mondial », in Éric LOQUIN, Catherine KESSESDJIAN (sous la dir. de), La

Page 65: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

57

43. - Si la contribution respective du droit international portant sur les

investissements et du droit de l’OMC à la protection de la propriété en Chine est

remarquable, ces deux types de droit ont cependant essentiellement pour objet les

prérogatives économiques et commerciales qui sont inhérentes avec le droit

d’entreprendre. Alors que l’indivisibilité des droits de l’homme est une présomption

idéale, les forces centrifuges de la mondialisation économique risquent bien de

remettre en cause une telle présomption car elles conduisent à une interprétation des

droits de l’homme comme droits non seulement des personnes physiques mais aussi

des personnes morales et donc essentiellement des entreprises transnationales186. Ainsi,

sur le plan européen, « la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés

fondamentales est devenue une véritable source du droit des affaires »187. Le droit de

propriété ou le droit au respect des biens figure parmi les dispositions de la CEDH qui

« peuvent être invoquées avec profit par les entreprises et leurs conseils »188. Comme

la propriété est la clé du système économique contemporain, la protection accrue de la

garantie des droits des investisseurs –qui constitue l’une des étapes majeures de la

mondialisation caractérisée par l’appropriation et la privatisation des ressources et de

l’espace–, risque aussi fort bien de déboucher sur « une autre négation de l’État de

droit que l’on pourrait définir comme un totalitarisme économique »189. D’où la

nécessité de renforcer la dimension de droit de l’homme de la propriété afin de rétablir

l’équilibre des différents aspects de ce droit, et par conséquent, de s’assurer que

l’ouverture économique de la Chine dans le contexte de la mondialisation favorise bien

le passage à l’État de droit.

mondialisation du droit, Litec, 2000, pp. 352, 358 et s. 186 V., Bob KIEFFER, L’Organisation mondiale du commerce et l’évolution du droit international public, Groupe De Boeck, s. a., Larcier, 2008, pp. 222 à 226. 187 V., J. –F. FLAUSS, « La Convention européenne des droits de l’homme, une nouvelle interlocutrice pour le juriste d’affaires », Revue de jurisprudence et de droit des affaires, 1995, p. 524 ; R. DUMAS, « Les droits fondamentaux : source nouvelle de la matière commerciale », Jurisclasseur Commercial, Fasc. 30, 2007. 188 Romain DUMAS, Eric GARAUD, CEDH et droit des affaires, Éditions Francis Lefebvre, 2008, p. 7. 189 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p. 575.

Page 66: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

58

(2). – La possible synergie du droit international économique et du droit international

des droits de l’homme pour la protection des droits de propriété

44. - Le déséquilibre entre droit international économique et droit international des

droits de l’homme résulte de l’expansion constante de l’ordre juridique international

qui rencontre un nouveau problème, celui du maintien de son unité190. La synergie des

deux branches du droit international économique et des droits de l’homme ne peut que

se fonder sur la fonction sociale qui est dévolue au droit international, afin de trouver

une force non seulement morale, mais aussi normative. Car le droit international

contemporain se voit attribuer des finalités nouvelles qui ne sont plus fondées sur le

respect des intérêts des États mais reposent sur des valeurs universellement partagées.

Pour le droit chinois, la prise en compte entière de l’influence du droit international

doit s’inscrire en même temps dans un processus d’acceptation des nouvelles finalités

du droit international. Ces finalités modifient le droit international dans la mesure où il

n’apparaît plus seulement comme un instrument neutre de régulation entre les États

mais également comme un droit au service de l’humanité tout entière191. Il ne faut pas

nier que le droit international est l’instrument de la politique internationale comme le

prouve l’un de ses aspects. Ce point semble donner raison dans une large mesure à la

vision instrumentaliste du droit chinois sur le plan interne. Néanmoins, il est plus

important pour la Chine de dépasser cette logique instrumentale et d’accepter que le

droit international porte des valeurs communes, ce qui nécessite aussi l’abandon de

l’approche sélective dans le traitement du rapport entre droit international et droit

interne. C’est à ce prix là qu’une synergie pourra voir le jour. Elle exige en effet le

renforcement du droit international des droits de l’homme, alors que dans la pratique le

droit chinois fait toujours preuve d’une hostilité implicite vis-à-vis de ce dernier.

45. - Quant à la protection de la propriété, la nature particulière de ce droit fait

signe vers la possibilité d’une synergie. En effet, alors que le droit international des

droits de l’homme consacre le principe général de la protection de la propriété, en

proclamant que la privation arbitraire et l’expropriation sont par eux-mêmes des actes

190 Pierre-Marie DUPUY, Droit international public, 9e éd., Dalloz, 2008, § 27. 191 V., Marie-Hélène RENAUT, Histoire du droit international public, Ellipses, 2007, p. 4.

Page 67: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

59

illégaux et ne peuvent exister que pour des motifs exceptionnels, les règles précises de

l’application de ce principe doivent encore être développées par le biais des

jurisprudences internationale et interne. Il ne faut pas nier que le droit international

portant sur les investissements, en posant des règles relatives à la nationalisation et à

l’expropriation, a pour effet de concrétiser le principe général de la protection de la

propriété dans le domaine des investissements. S’il n’y a pas de raison valable pour

opérer une distinction en matière de garantie juridique privilégiant le propriétaire

investisseur, ni de faire une discrimination entre les investisseurs étrangers et

nationaux, les propriétaires individuels et nationaux doivent pouvoir bénéficier des

même garanties que les investisseurs en cas d’expropriation ou de cas de privation de

la propriété. La pratique problématique du droit chinois, qui se caractérise par une

asymétrie entre la garantie de la propriété des investisseurs et celle de la propriété

individuelle, met en relief les effets pervers de cette approche qui consiste à opérer des

distinctions artificielles192. L’abandon de cette approche est nécessaire d’autant plus

qu’avec l’apparition de l’Accord sur les ADPIC, les normes substantielles relatives à la

protection des droits de propriété intellectuelle, ainsi que les règles pour en assurer

l’effectivité, bénéficient aussi bien aux étrangers qu’aux nationaux sans établir entre

eux de différence majeure. Encore faut-il souligner que les règles qui garantissent la

protection des investissements étrangers peuvent contribuer à développer le principe du

droit international relatif à la protection de la propriété. Par exemple, en ce qui

concerne la nationalisation ou l’expropriation des investissements étrangers, la

question de savoir si la licéité ou l’illicéité de la mesure prise par l’État hôte doit

influer sur les pertes à retenir pour évaluer le dommage est considérée comme « le vrai

problème de principe »193. C’est dire que la question ne concerne pas uniquement le

calcul du montant des indemnités en cas de nationalisation ou d’expropriation des

investissements étrangers, mais relève plus largement du principe d’indemnisation

pour la privation de la propriété, proclamé par le droit international des droits de

192 V., ZHANG Xiaobo, « Asymmetric property rights in China’s economic growth », 33 Wm. Mitchell L. Rev. 567, pp. 573 à 580. 193 Philippe KAHN, Thomas W. WÄLDE (sous la dir. de), Les aspects nouveaux du droit des investissements internationaux, Académie de droit international de la Haye, Leiden, Boston : M. Nijhoff, 2007, p. 38.

Page 68: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

60

l’homme. Cet exemple démontre que la synergie n’a pas qu’une signification théorique,

elle est aussi une exigence pratique.

46. - En ce qui concerne la synergie du droit international économique et des droits

de l’homme en matière de protection de la propriété, l’expérience de l’Europe est une

source importante d’inspiration pour le droit chinois quant à la prise en compte de

l’influence du droit international sur le droit interne. À l’origine, la CEDH n’énonce

pas le droit de propriété, alors même que le droit au respect des biens est proclamé par

le 1er Protocole additionnel à la Convention dans une formulation très laconique. La

Cour européenne des droits de l’homme, dans une jurisprudence substantielle ouverte

par l’arrêt Sporrong et lönnroth c/ Suède du 23 septembre 1982, a conforté la place du

droit de propriété au sein de l’ensemble des droits garantis par la Convention. Souvent

considéré comme « la seule disposition de la Convention qui protège un droit de

l’homme de nature économique »194 qui prolonge les droits civils et politiques, la

protection de la propriété a été affirmée avec force malgré certaines limitations. Il faut

constater que les normes relatives à la protection du droit de propriété, telles qu’elles

sont proclamées par le Protocole additionnel n° 1 de la CEDH, s’appliquent sans

aucune difficulté à la protection des investissements étrangers. Comme la professeure

Hélène RUIZ-FABRI l’a constaté, les règles de l’évaluation des indemnités en cas

d’expropriation des investissements prévues par la CEDH ne sont pas différentes de

celles qui existent dans le droit international général. Ce qui est différent, c’est que le

juge européen joue un rôle plus important sur le sujet de la protection des

investissements, dans la mesure où les investisseurs individuels peuvent prendre

l’initiative concernant l’examen de la compatibilité des mesures d’expropriation avec

les règles du droit international195. Il existe donc un parallèle entre le recours direct

d’une personne privée contre un État pour la violation des droits de l’homme et le

recours de l’investisseur contre un État en s’appuyant sur les dispositions d’un traité

194 Luigi CONDORELLI, « Premier protocole additionnel, Article 1 », in L. –E. PETTITI, E. DECAUX, P. –H. IMBERT, La Convention européenne des droits de l’homme, commentaire article par article, 2e éd., ECONOMICA, 1999, p. 971. 195 Hélène RUIZ FABRI, « The approach taken by the European court of human rights to the assessment of compensation for ‘regulatory expropriations’ of the property of foreign investors », 11 N.Y.U. Envtl. L.J. 148, p. 148 et s.

Page 69: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

61

d’investissement196. Ces analogies s’expliquent dans une large mesure par le fait que

les systèmes régionaux de protection des droits de l’homme, comme les traités

d’investissement, offrent aux particuliers un droit de recours face à un État devant une

instance internationale. En ce qui concerne les règles substantielles, plusieurs règles

prévues dans les traités d’investissement et dans les traités de protection des droits de

l’homme se ressemblent. Comme les traités d’investissement, les traité de protection

des droits de l’homme interdisent les discriminations, protègent la propriété et

prohibent les expropriations illégales et arbitraires. « Il n’est donc pas étonnant de voir

les investisseurs privés utiliser les deux mécanismes pour protéger leurs droits face

aux États »197. Néanmoins, si la protection de la propriété en tant que droit de l’homme

et la garantie des investissements sont combinées dans le cadre de la CEDH, il faut

encore souligner que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a

reconnu, en plus de sa dimension économique, de nouvelles valeurs à la propriété en

tant que droit de l’homme. D’où « la force actuelle du système conventionnel tendant à

garantir les biens »198. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme révèle que

la protection traditionnelle des biens est toujours d’actualité et qu’une protection plus

moderne est venue se greffer sur elle, non pas en s’y substituant, mais en s’y

superposant. Depuis l’affaire Gaygusuz c/ Autriche199, l’interprétation extensive de

certaines prestations sociales entrent dans le champ d’application de la protection des

biens200 et conduit ainsi à l’idée de socialisation de la notion de « biens». Comme on

l’a déjà constaté, « le droit au logement et la protection de l’outil de travail sont les

deux directions vers lesquelles l’application de l’article 1er du Protocole 1 a été

196 V., Geneviève BURDEAU, « Nouvelles perspectives d’arbitrage dans le contentieux économique intéressant les États », Revue de l’arbitrage, 1995, n° 1, p. 15. 197 Walid BEN HAMIDA, « L’arbitrage de l’État-investisseur face à un désordre procédural: la concurrence des procédures et les conflits de juridictions », Annuaire français de droit international, L1, 2005, CNRS Éditions, p. 584. 198 Jean-François RENUCCI, Traité de droit européen des droits de l’homme, LGDJ, 2007, § 395. 199 CEDH, 16 septembre 1996, Gaygusuz c/ Autriche, requête n° 17371/90 ; JCP, 1997, I, 4000, n° 46, obs. F. Sudre ; D, 1998, 438, note J. –P. Marguénaud et J. Mouly. 200 V., CEDH, 16 septembre 1996, Gaygusuz c/ Autriche, requête n° 17371/90 ; JCP, 1997, I, 4000, n° 46, obs. F. Sudre ; D, 1998, 438, note J. –P. Marguénaud et J. Mouly ; CEDH, 30 septembre 2003, Koua Poirrez c/ France, requête n° 40892/98, § 37 ; CEDH, 12 octobre 2004, Asmudsson c/ Islande, requête n° 60669/00, § 44.

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62

dernièrement orientée pour donner une coloration nettement sociale à un texte

initialement controversé pour avoir consacré un droit de nature économique »201. Une

autre extension remarquable concerne les obligations positives à la charge des États.

Dans l’affaire Öneryildiz c/ Turquie, la Cour a estimé que l’exercice réel et efficace du

droit de propriété ne saurait dépendre uniquement du devoir de l’État de s’abstenir de

toute ingérence car il est envisageable d’exiger des mesures positives de protection202.

Désormais la norme générale du principe du respect des biens est susceptible de

prévoir des sanctions contres les États non seulement pour leurs actes d’ingérence

injustifiés mais aussi pour tout manquement à leurs obligations positives et nécessaires

à la protection du droit de propriété203. La prise en compte des considérations de la

dimension sociale de la propriété par la jurisprudence de la Cour européenne des droits

de l’homme est non seulement révélatrice de l’indivisibilité des droits de l’homme,

mais aussi très instructive à l’égard de l’expérience du droit chinois pour lequel la

dimension économique de la propriété l’emporte dans une large mesure sur les

considérations de justice sociale.

47. - Sur le plan du droit de l’Union européenne, la propriété tient une place

paradoxale à cause du silence à priori de l’ordre juridique communautaire : l’approche

de celui-ci est donc essentiellement fonctionnelle par une adaptation a posteriori. En se

référant à la CEDH, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE)

reconnaît le principe, ainsi que les limites du droit de propriété, dans les mêmes termes

que la Cour européenne des droits de l’homme. « Depuis lors, le droit de propriété fait

partie des droits fondamentaux protégés par la Cour de justice : c’est d’ailleurs à ce

titre qu’est protégée l’activité économique »204. Partant de la spécificité du droit

communautaire, le juge communautaire a tiré une conséquence importante de la

protection du droit de propriété, à savoir le principe général selon lequel les travailleurs

201 Frédéric SUDRE (et al.), Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, 4e éd. mise à jour, PUF, 2007, p. 668. 202 CEDH, 30 novembre 2004, Öneryildiz c/ Turquie, requête n° 48939/99, § 134. 203 V., F. SUDRE, « Les obligations positives dans la jurisprudence européenne des droits de l’homme », RTDH, 1995, p. 363 et s. 204 Jean-François RENUCCI, Traité de droit européen des droits de l’homme, op. cit., §507.

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peuvent disposer à leur gré de leur rémunération205. En outre, selon le principe de la

liberté d’établissement, le juge communautaire a affirmé la possibilité pour les

ressortissants communautaires d’acquérir et de disposer librement des biens

immobiliers sur le territoire d’un autre État206. Ce point signifie qu’afin d’instaurer et

d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, les prérogatives du propriétaire,

définis par le droit des États membres, sont confrontées aux exigences des libertés

communautaires, telles que la liberté de circulation ou la libre concurrence. « Le droit

communautaire aborde donc le droit de propriété par le biais des prérogatives qui le

constituent en ce qu’elles peuvent s’opposer aux libertés structurant l’intégration

communautaire »207. Pour le droit chinois qui préfère la libéralisation économique à la

protection des droits de l’homme, la conciliation entre le droit communautaire et la

protection de la propriété en tant que droit fondamental constitue aussi un exemple de

la prise en considération de la protection des droits de l’homme dans la mise en oeuvre

du droit international économique.

48. - L’État étant « de toute façon le principal agent d’application du droit

international »208, la synergie entre le droit international économique et les droits de

l’homme consolidant la protection de la propriété s’inscrit avant tout dans l’application

du droit international dans l’ordre juridique interne, à travers la prise de conscience et

la prise d’action des acteurs qui sont, non seulement des acteurs institutionnels –les

pouvoirs institués, à savoir, l’exécutif, le législatif et le judicaire–, mais aussi des

acteurs économiques et civiques qui jouent désormais un rôle croissant dans la

dynamique d’internationalisation du droit209. Dans un but de stimuler la prise de

conscience et la prise d’action pour la protection de la propriété, il faut montrer que la

synergie du droit international économique et des droits de l’homme ne peut que

conforter son influence (PARTIE DEUXIÈME) sur la transformation du droit interne

chinois (PARTIE PREMIÈRE). 205 CJCE, 20 octobre 1994, Scaramuzza c/ Commission, aff. C-76/93 P, Rec., p. I-5173. 206 CJCE, 30 mai 1989, Commission c/ Grèce, aff. 305/87, Rec., p. 1461. 207 Sylvaine PERUZZETTO, Gérard JAZOTTES, « Le point de vue du juriste en droit communautaire sur la propriété et l’appropriation », Droit et ville, n° 61, 2006, p. 85. 208 Pierre-Marie DUPUY, Droit international public, op. cit., § 410. 209 V., Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (III) : la refondation des pouvoirs, Éditions Seuil, 2007, p. 33.

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PREMIÈRE PARTIE – LA TRANSFORMATION DU DROIT DE PROPRIÉTÉ

EN CHINE

49. - Après une rupture de l’histoire, la notion juridique de propriété revient en

droit chinois à la suite des travaux législatifs conduits par la mise en place de la

politique de réforme économique. De l’adoption des Principes généraux du droit civil

en 1986 à la promulgation de la loi sur les droits réels en 2007, en passant par la

révision de la Constitution en 2004, proclamant la protection constitutionnelle de la

propriété privée des citoyens, la formation du droit de propriété en Chine témoigne de

la transformation du droit chinois ces vingt dernières années. Il est vrai que la

proclamation constitutionnelle et la construction législative du droit de propriété

(TITRE I) répondent aux besoins contemporains de la Chine en quête de la croissance

sur le plan économique. Certes, l’écart entre l’inscription des normes en droit positif et

la mise en oeuvre des garanties de la propriété reflète l’une des particularités du droit

chinois qui peuvent se caractériser par un processus de la transformation à double

vitesse. Le retard pris dans l’application des normes de droit reste l’obstacle majeur à

l’effectivité du droit de propriété en Chine. La recherche des réponses à la question

comment assurer l’application effective des garanties constitutionnelles et législatives

de la propriété (TITRE II), nécessite l’intégration de la transformation du droit chinois

dans le sens de la construction d’un État de droit sur les plans juridique et politique, en

dépassant l’approche pragmatique de l’instrumentalisation du droit.

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66

TITRE I.– PROCLAMATION CONSTITUTIONNELLE ET

CONSTRUCTION DU RÉGIME JURIDIQUE

DU DROIT DE PROPRIÉTÉ

50. - La réhabilitation du droit en Chine s’accompagne de la reconnaissance de la

notion de propriété en droit civil. Le droit de propriété s’amorce avec les révisions

constitutionnelles et la multiplication des lois et règlements qui ont vu le jour dès la

réforme politique lancée au début des années 80. La construction du droit de propriété

est complétée par deux événements majeurs, à savoir la révision constitutionnelle de

2004, qui proclame le principe « les biens privés légaux des citoyens sont inviolables »,

et la promulgation de la loi sur les droits réels en 2007 qui constitue désormais le droit

commun des biens en Chine210. Il faut souligner que l’apport de la loi sur les droits

réels consiste moins à la création qu’à la compilation des dispositions juridiques déjà

existantes en matière de droit de propriété. À cet égard, la particularité du droit chinois

réside en ce que la construction du régime juridique du droit de propriété (CHAPTIRE II)

précède la formation du fondement constitutionnel de ce droit (CHAPITRE I). Ce trait

particulier de la transformation du droit chinois en matière de propriété, qui peut se

résumer par le bouleversement entre le fondement et les piliers du droit, invite à

relativiser, par une vision souple, la distinction des notions de légitimité et de légalité.

Alors que la légitimité de la propriété privée des citoyens n’est officiellement

proclamée qu’avec la révision constitutionnelle de 2004, la floraison des normes

juridiques relatives à la propriété en droit civil, économique et administratif chinois

contribue non seulement au renforcement de la légalité mais aussi à l’aboutissement de

la révision constitutionnelle de 2004. La législation est donc tributaire de l’évolution

du fondement constitutionnel du droit de propriété, alors que la légitimité de ce droit

est encore à consolider et enrichir par les travaux normatifs dont l’objectif principal est

l’amélioration de la qualité des lois.

210 Il est à noter que la loi sur les droits réels comporte non seulement les principes et règles juridiques applicables aux droits réels, mais aussi ceux relatifs à la propriété publique de certaines catégories des biens, ainsi que les dispositions en matière de sûretés réelles.

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67

CHAPITRE I. – L’ÉVOLUTION DU FONDEMENT CONSTITUTIONNEL DU

DROIT DE PROPRIÉTÉ

51. - La République populaire de Chine a connu l’instabilité constitutionnelle par

l’adoption de quatre Constitutions211, qui est le reflet d’une profonde instabilité

politique212. La Constitution en vigueur est celle de 1982, elle-même révisée par quatre

fois jusqu’en 2004213, où l’inviolabilité des biens privés des individus fut reconnue214.

La constitution chinoise est « la loi la plus fondamentale de l’État »215 et fixe des

paramètres pour les évolutions juridiques. Comme toutes les avancées des constitutions

successives recèlent potentiellement des conséquences importantes pour le

développement du constitutionnalisme dans le pays216 , l’évolution du fondement

constitutionnel du droit de propriété est sans doute le symbole de la transformation du

droit chinois. En effet, alors que la propriété privée n’est pas une notion étrangère à la

tradition juridique chinoise217, la fondation de la République Populaire de Chine (RPC)

211 Il s’agit de la Constitution de 1954, la Constitution de 1975, la Constitution de 1978 et la Constitution de 1982. Il faut encore souligner le Programme commun adopté en 1949 qui est généralement considéré comme une « Constitution » provisioire. 212 Pierre GENTELLE (sous la dir. de), L’État de la Chine, Paris, Édition La Découverte, 1989, p. 246. 213 Il s’agit de la première révision en date du 12 avril 1988, la deuxième révision en date du 29 mars 1993, la troisième révision en date du15 mars 1999 et la quatrième révision en date du 14 mars 2004. 214 Article 22 des révisions constitutionnelles, adopté le 14 mars 2004 par la deuxième session plénière de la Xe APN, dispose que « Les biens privés légaux des citoyens sont inviolables ». Notons qu’est utilisée ici l’expression « biens », notion plus large que la propriété d’un point de vue civiliste. 215 V., préambule de la Constitution de1982. 216 CHEN Jianfu, « La dernière révision de la Constitution chinoise : grand bond en avant ou simple geste symbolique ? », Perspectives chinoises, n°82, mars - avril 2004, p.15. 217 Sous les trois premières dynasties chinoises, « quoique les anciens ne pussent être propriétaires de leurs terres, ils étaient différents des serfs de l’Europe ; en effet chacun avait une portion égale de terre, il la cultivait et jouissait de ses fruits ». V., SIE Choeu-Tchang, Esquisse d’une histoire du droit chinois, De l’origine jusqu’à la fin de l’époque féodale, Paris : Jouve & Cie, 1924, p. 180. À l’époque féodale, bien que les dispositions soient présentées sous une forme « pénale », les codes impériaux contenaient des dispositions civiles, spécialement en ce qui concerne l’héritage, la vente et la vente immobilière, le prêt, la mise en gage, la responsabilité, etc. Par conséquent, la propriété fut reconnue par l’ancien droit chinois par les biais des dispositions pénales. V., Madeleine ZELIN, Jonathan K. OCKO, Robert GARDELLA (éd.), Contract and Property in Early Modern China, Standford University Press, 2004, pp. 19 à 20; Patrick A. RANDOLPH, LOU Jianbo, Chinese Real Estate Law, Kluwer Law International, 1999; Jérôme BOURGON, « La coutume et le droit en Chine à la fin de l’empire », Annales HSS, 1999, n° 5, pp. 1075 à 1976 ; H. F. SCHURMANN, « Traditional Property Concepts in China », Far Eastern

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68

a conduit à la suppression de ce droit en faveur d’un régime de propriété publique

consacré comme le fondement de l’économie socialiste, au motif que la propriété

privée est d’origine bourgeoise et donc incompatible avec le communisme218. Il faut

toutefois rappeler que la première constitution formelle de la R.P.C, la Constitution de

1954, admit la coexistence de quatre régimes de propriété en matière de matériels de

production, à savoir la propriété d’État, la propriété collective des masses laborieuses,

la propriété individuelle et la propriété capitaliste219, et reconnut la protection légale de

la propriété des individus et des capitalistes portant sur les moyens de production220.

Certes, la Constitution de 1954 n’exista que deux ans : celle-ci fut abandonnée suite à

la réorientation politique du PCC vers la construction d’un État socialiste, et par

conséquent ne joua qu’un très faible rôle dans le système juridique chinois221. Par

le mouvement de socialisation, c’est-à-dire construire un État socialiste par

l’établissement du mode de production socialiste sur tout le territoire de la Chine

populaire, les entreprises à capitaux privés ou à capitaux étrangers furent transformées

en propriété publique. Pendant la Révolution culturelle, les droits fonciers des paysans

individuels furent abolis et remplacés par la propriété collective du sol ; de même, les Quarterly, août 1956, pp. 507 à 516. TSIEN Tche-hao, Le droit chinois, Que sais-je ?, PUF, 1982, p. 12. La République de Chine disposait d’un Code civil qui comportait les dispositions relatives au droit de propriété et d’un Code foncier dont l’article 7 prévoyait que « Les terrains situés sur le territoire de la République chinoise appartiennent à l’ensemble de la nation chinoise. Ceux dont les citoyens ont acquis la propriété conformément à la loi, sont des terrains privés ; mais l’acquisition de la propriété du terrain n’entraîne pas celle des mines qui y sont contenues ». V., Code foncier de la République de Chine, texte chinois et traduction française par François Théry, in Le Droit chinois moderne, n° 11, Paris : Hautes Études Sirey, 1931. En effet, sous l’impact de la théorie des « Trois principes du Peuple » par SUN Yat-sen, la propriété fut conçue comme une institution sociale et entre les systèmes capitaliste et communiste, il y a place pour une réglementation d’État en vue de réaliser une harmonie complète et réprimant les abus de droit. Il s’agissait donc d’assurer le respect et le maintien de la propriété privée, mais avec une réglementation de ses abus. V., Jean ESCARRA, « La codification contemporaine du droit privé chinois », Extrait du Bulletin de la Société de législation comparée, 1930, p. 20. 218 DAVID René, JAUFFRET-SPINOSI Camille, Les grands systèmes de droit contemporains, 11e éd., Dalloz, 2002, p. 239. 219 Article 5 de la Constitution de 1954. 220 Article 10 de la Constitution de 1954. 221 CAI Dingjian, Xianfa Jingjie (Constitution: An intensive reading), Law Press China, 2006, p. 46. En effet, dès 1953, la direction du Parti communiste décidait de collectiviser les terres et de nationaliser la plupart des entreprises. L’étatisation de l’économie pouvait permettre l’éradication de toute classe ou organisation sociale susceptible de limiter la puissance politique du PCC. V., Jean-Pierre CABESTAN, Le système politique de la Chine populaire, PUF, 1994, p. 125.

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69

habitations privées dans les zones rurales furent transformées en propriété publique par

les mesures de facto de confiscation ou d’expropriation222. Depuis lors, la Constitution

de 1975, la Constitution de 1978 et la Constitution de 1982, avant sa révision en 2004,

ne laissèrent aucune place à la propriété privée tout en affirmant que « les biens publics

socialistes sont sacrés et inviolables »223. Dès les années 80, la réforme économique,

qui s’est déployée dans le contexte de l’impasse de l’économie planifiée et la pénurie

des richesses, a conduit à reconnaître progressivement les économies individuelles et

privées, ainsi que la réforme de la propriété publique déclenchée par la restructuration

et la diversification des actions des entreprises d’État 224 . La réforme juridique

recouvrant le droit de propriété a été menée initialement dans la quête de l’efficience

économique 225, sans révision constitutionnelle et sans adoption de lois formelles.

52. - L’évolution du droit chinois en matière de propriété conduit à réfléchir sur les

questions d’ordre philosophique en ce qui concerne le fondement du droit de propriété.

Les systèmes juridiques peuvent répondre à ces questions de différentes manières et il

n’est pas douteux que coexistent dans la plupart d’entre eux des zones de propriété

privée et des zones de propriété publique ou collective. Mais la répartition peut

profondément varier d’un régime à un autre : les termes du choix sont liés à la

prédominance de l’esprit libéral ou de l’esprit socialiste 226. À cet égard, il est

intéressant de noter que l’essor du statut juridique de la propriété privée –résultant

d’abord de la révision constitutionnelle de 2004, puis de la promulgation de la loi sur

les droits réels en 2007– est la réflexion dans le domaine juridique du retour, quoique

toute relative, de la libéralisation du régime227. Quant à la propriété publique dont

222 V., Angus MADDISON, L’économie chinoise : Une perspective historique, 2e éd., OECD, 2007, pp. 72, 73. 223 Article 10 de la Constitution de 1982. 224 V., Hongyi Harry LAI, Reform and the non-State economy in China: The political economy of liberalization strategies, Palgrave Macmillan, 2006, pp. 2 à 5; Ross GARNAUT, Ligang SONG, Stoyan TENEV, Yang YAO, China’s ownership transformation: Process, outcomes, prospects, World Bank, 2005, pp.1 à 10; Jean C. OI, Andrew G. WALDER (éd.), Property rights and economic reform in China, Stanford Universtiy Press, 1999, pp. 6 à 13. 225 Ronald C. Keith, Zhiqiu LIN, Law and justice in China’s new marketplace, Palgrave, 2001, p. 175. 226 François TERRÉ, Philippe SIMLER, Droit civil. Les biens, 7e éd., Dalloz, 2006, §115. 227 V., Samir AMIN, « ‘Market socialism’, a stage in the long socialist transition or shortcut to capitalism ? », Social Scientist, Vol. 32, n°11/12, 2004, pp. 9, 10 ; CHEN Yan, « Le libéralisme chinois

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70

l’inviolabilité est constitutionnellement affirmée, elle ne cesse de perdre du terrain

dans la vie économique, en parallèle à la prise d’importance des biens privés228. Alors

que sur le plan constitutionnel, la propriété publique constitue la base de l’économie

nationale, sa part et sa performance ont significativement diminué dans la pratique par

rapport à la prospérité des entités économiques privées au sens large. Sur le plan

juridique, la norme constitutionnelle « la propriété publique socialiste est

inviolable »229 est toutefois dépourvue de véritable valeur contraignante en raison de

l’inexistence de règles législatives bien précises, opérationnelles et conformes aux

exigences de la légalité. Les mesures politiques ou les actes administratifs demeurent

les sources principales de la réglementation et de la gestion de la propriété publique230.

Depuis 1993 où la construction de l’économie de marché socialiste est définie comme

le but de la réforme économique de l’État231, la réforme de la propriété publique

s’attache à répondre à la question, à savoir comment rendre la propriété publique

compatible avec les règles de marché afin de maintenir ses dynamiques et renforcer sa

rentabilité232 ? Mis à part l’impact du libéralisme sur la réforme du régime économique,

il faudrait encore examiner l’apport des considérations libérales à la réforme du droit

chinois, surtout à la protection des droits fondamentaux de l’homme. En effet, le

libéralisme sert d’appui à la persistance de la propriété privée dans la mesure où la

propriété privée est à la fois la préservation de la liberté, la garantie de l’harmonie et de

la prospérité du corps social233. Il est assez remarquable que par la même révision

face à la société post-totalitaire », Revue des deux mondes, octobre-novembre 2003, p. 156 ; Jean-Pierre CABESTAN, Le système politique de la Chine populaire, op. cit., p. 469. 228 V., Neil GREGORY, Stoyan TENEV, Dileep WAGLE, China’s emerging private enterprise: perspects for the new century, International Finance Corporation, 2000, p. 18; Ligang SONG, « The state of the Chinese economy –structural changes, impacts and implications », in Debrah Z. CASS, Brett G. WILLIAMS, George BARKER, China and the World trading System, Cambridge University Press, 2003, pp. 85, 87. 229 Article 12, alinéa 1er de la Constitution de 1982. 230 La loi sur les actifs d’État des entreprises fut adoptée le 28 octobre 2008 et entrera en vigueur le 1er mai 2009. 231 V., Résolution sur des questions relatives à la construction de l’économie socialiste de marché, adoptée lors du troisième plénum du XIVe Comité central du PCC, 14 novembre 1993. 232 V., Thierry PAIRAULT, Petite introduction à l’économie de la Chine, Éditions des archives contemporaines, 2008, pp. 28, 29. 233 Dans Les harmonies économiques (1850), Frédéric Bastiat développe l’idée selon laquelle il y a,

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71

constitutionnelle de 2004, la Chine s’engage à respecter et protéger non seulement la

propriété privée légale des citoyens, mais aussi les droits de l’homme dans un contexte

bien plus large 234. Cette déclaration peut signifier que la Chine a finalement accepté

l’universalité des droits de l’homme en acceptant les deux pactes internationaux

relatifs aux droits de l’homme235, après avoir insisté sur une conception « asiatique »

ou « chinoise » de ces derniers –rappelons le fameux discours de DENG Xiaoping « la

souveraineté l’emporte sur les droits de l’homme»236. L’engagement du respect et de la

protection des droits de l’homme par l’État pourrait contribuer à conforter la protection

de la propriété privée, à condition que la nature de droit fondamental soit bien établie

d’une part et, d’autre part, que le régime juridique des droits fondamentaux soit

effectif.

53. - Il faudrait donc examiner le fondement constitutionnel du droit de propriété

sous l’angle non seulement de la réforme économique, mais aussi de la garantie des

droits fondamentaux. Qu’il s’agisse du renforcement de la protection de la propriété

privée ou de l’amélioration de la législation relative à la propriété publique, l’évolution

du fondement constitutionnel du droit de propriété est révélatrice d’un processus de

changement progressif selon le « modèle chinois »237 au lieu d’une révolution brutale.

Prenant en considération la caractéristique évolutive du droit chinois, l’analyse sur le

fondement constitutionnel du droit de propriété insiste sur la méthode de

différenciation238 entre les avancées (SECTION I) et les résistances (SECTION II) de la

consécration constitutionnelle des droits de propriété, tentant de repérer le sens du

développement du droit chinois au regard de la propriété au sens large. dans la propriété, « la vérité et la justice même(...), le principe du progrès et de la vie ». L’accent est mis sur le juste et l’utile dans la société ou sur la sauvegarde de la liberté. V. aussi, HAYEK Friedrich A., Droit, législation et liberté, t. 3, L’ordre public d’un peuple entier, P. U. F., Quadrige, 2007, p. 49 et s. 234 Par l’article 24 des révisions constitutionnelles, est inséré « L’État respecte et protège les droits de l’homme » comme un nouvel alinéa 3 dans l’article 33 de la Constitution de 1982. 235 La China a signé le Pacte international relatif aux droits politiques et civils le 5 octobre 1998, et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ce dernier a été ratifié par le Comité permanent de l’APN le 28 février 2001. 236 DENG Xiaoping wenxuan (Oeuvres choisies), tome 2, Renmin chubanshe, 1993, p. 345. 237 Louis PUTTERMAN, « The role of ownership and property rights in China’s economic transition », The China Quarterly, n ° 144, special issue: China’s Transitional Economy, 1995, p. 1058. 238 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit dans la Chine d’aujourd’hui. Avancées et résistances (1) », D., 2002, n° 32, pp. 2484 à 2490.

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72

SECTION I. – LES AVANCÉES DE LA CONSÉCRATION

CONSTITUTIONNELLE DU DROIT DE PROPRIÉTÉ

54. - Avant la révision constitutionnelle de 2004, la disparition de la propriété

privée dans les constitutions chinoises semblait résulter du « socialisme qui s’appuie

sur l’abolition de la propriété privée des moyens de production » tel qu’elle est

affirmée par le sixième paragraphe du Préambule de la Constitution de 1982. La

distinction entre moyens de production et matériels de consommation239, surtout

l’assimilation abusive des formes d’appropriation (suoyouzhi xingshi) à des catégories

distinctes du droit de propriété, ont fait obstacle à la reconnaissance générale de la

propriété privée des biens240. Les formes d’appropriation sont l’expression des rapports

de production et le développement des forces productives. Selon la vulgate marxiste

qui ne prend en compte que la forme d’appropriation des seuls moyens de production,

les formes d’appropriation seraient objectives en ce sens qu’elles témoigneraient des

conditions de production et de développement des forces productives, par suite

l’adoption de telles ou telles formes d’appropriation des moyens de production

attesterait de l’adéquation de la société au développement de ses forces productives241.

Le droit de propriété est une catégorie juridique qui définit les prérogatives d’un

propriétaire quel que soit son statut juridique, le mode d’appropriation et les formes de

cette dernière. Il est une construction de l’esprit qui reflète les conditions

sociopolitiques de l’instant. Les formes d’appropriation des moyens de production

révèleront à leur tour un système de droits à la propriété –qu’il s’agisse de

239 La distinction remonte à la Constitution de 1954 puis fut maintenue par la Constitution de 1975. V., TSIEN Tche-hao, « Les traits particuliers de la nouvelle Constitution chinoise », Revue Internationale de Droit Comparé, 1975, n° 2, p. 371. 240 Il est intéressant de comparer ici les deux versions de l’article 13 de la Constitution de 1982, avant et après la révision constitutionnelle en 2004 : avant la révision, « L’État protège le droit des citoyens à la propriété de revenus légitimes, d’épargne, de maisons d’habitation et d’autres biens légalement acquis. L’État protège, selon les dispositions de la loi, le droit des citoyens à l’héritage des biens privés » ; après la révision en 2004, « La propriété privée légale des citoyens est inviolable. L’État protège le droit des citoyens à la propriété privée et à l’héritage de biens. Dans l’intérêt public, l’État peut procéder à des expropriations ou à des réquisition pour son usage selon la loi et offrir une indemnisation ». 241 V., K. STOYANOVITCH, « Les biens selon Marx », in Archives de philosophie du droit, les biens et les choses, t. 24, Sirey, 1979, p. 199 et s.

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73

l’appropriation par l’État ou de l’appropriation par les collectivités de travailleurs– et

« peuvent fautivement se comprendre par un système de droits de propriété, à savoir la

propriété d’État ou la propriété collective »242. Du fait de cette confusion, la propriété

privée des moyens de production fut considérée comme la forme d’appropriation en

contradiction avec la propriété publique elle-même considérée comme la forme

d’appropriation publique qui est à la base de l’économie socialiste. C’est dire que

reconnaître la propriété privée des moyens de production, qui s’identifiait à reconnaître

la forme d’appropriation privée, semblait être en contradiction avec le principe

constitutionnel selon lequel la transformation socialiste de la propriété privée des

moyens de production était la condition de l’abolition du système de l’exploitation de

l’homme par l’homme et de l’instauration définitive du régime socialiste. Sans

officiellement abandonner l’approche qui confond le droit de propriété et la forme

d’appropriation des moyens de production, les révisions constitutionnelle ont pourtant

reconnu la légitimité des formes d’appropriations non publiques qui peuvent désormais

coexister avec la propriété publique243, ouvrant par conséquent la voie à l’émergence

du droit de propriété privée ayant pour objet des moyens de production. En d’autres

termes, par le biais de la reconnaissance constitutionnelle du statut des entités

économiques qui traduisent les formes d’appropriation non publique, le droit de

propriété relevant de l’établissement et de la gestion de ces entités économiques, à

savoir notamment les entreprises individuelles, les sociétés par actions, les

investissements étrangers, etc., est constitutionnellement garanti. Les révisions

constitutionnelles ont abouti à démanteler le monopole de la propriété publique des

moyens de production, contribuant par conséquent à la reconnaissance

constitutionnelle de la propriété privée.

55. - À la différence du changement idéologique qui a permis l’existence et le

développement des entités économiques qui ne prennent pas la forme d’appropriation

publique des moyens de production, en l’état actuel du droit en Chine, la propriété

privée du sol est toujours exclue pour des raisons à la fois idéologique et pragmatique.

242 V., Thierry PAIIRAULT, « L’affaire Sun Dawu : codification des droits réels et microfinance », Mondes en développement, n° 128, 2004, pp. 31, 32. 243 Article 11 de la Constitution de 1982, révisé en 1988, 1999 et 2004.

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74

Le sol étant le moyen de production le plus important, la privatisation du sol pourrait

profondément ébranler la base du régime socialiste et est donc idéologiquement

inacceptable. La propriété publique du sol est la clé de voûte de l’économie nationale,

surtout, la propriété publique du sol dans les zones rurales est considérée indispensable

pour assurer la stabilité de la production agricole et par conséquent

l’approvisionnement alimentaire. Il en résulte que la privatisation du sol est

pratiquement défendue par les considérations économiques. Certes, la propriété du sol

est aussi « le gage de l’existence humaine des individus »244. Ayant pour objectif de

promouvoir la production agricole et d’enrichir les paysans, la Constitution de 1982

affirme la politique de réforme mettant en place le système d’exploitation forfaitaire

familiale245. Ce système d’exploitation forfaitaire familiale a conduit à l’émergence des

droits d’usage portant sur les terres de propriété collective, dans la mesure où le contrat

établi entre, d’une part, une collectivité locale (le village, les entités collectives de

production) ou un gouvernement de base (canton ou commune) et, d’autre part, un

foyer des paysans, permet à ce dernier d’exploiter en toute indépendance une terre

déterminée. En contrepartie, le foyer s’engage à verser une redevance forfaitaire (sous

forme d’impôt, de quotas de produit agricole ou plus souvent d’une somme d’argent)

préalablement défini quelle que soit la nature du résultat d’exploitation qu’il réalise.

Tandis que le droit à l’exploitation forfaitaire des terres n’équivaut pas au droit de

propriété dans la mesure où il ne confère aux foyers paysans que les prérogatives de

l’utiliser sans toutefois celle d’en disposer, et donc ne change en rien la nature de la

propriété publique des terres, il faut admettre que ce droit constitue un titre légal dont

l’opposabilité bénéficie de la garantie juridique. Les prérogatives détenues par les

paysans dans l’exploitation forfaitaire du sol sont juridiquement garanties comme

éléments de droit réel. Ces prérogatives peuvent être davantage renforcées par les

mesures de réformes. De même que la propriété publique des terres rurales s’assouplit

par la mise en place du système d’exploitation forfaitaire, le droit d’usage portant sur

les terres de propriété d’État dans les zones rurales peut être concédé à titre onéreux ou

attribué à titre gratuit à leurs usagers en vertu de la révision constitutionnelle de

244 R. Rowton SIMPSON, Land Law and Registration, Cambridge University Press, 1976, p. 3. 245 Article 8, alinéa 1er de la Constitution de 1982.

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75

1988246. La réforme récente menée par le gouvernement central se dirige vers la

reconnaissance des droits d’usage sur les ressources naturelles qui sont aussi de

propriété publique, y compris, les prairies, les terrains forestiers, les courants d’eau, les

zones littorales, etc. La création des droits d’usage exige non seulement la clarification

de leur contenu et leur nature juridique, mais aussi l’examen de la signification de la

propriété publique qui est le fondement des droits d’usage.

56. - Qu’il s’agisse de la reconnaissance de la propriété privée à travers la

légitimation des formes d’appropriation non publique (Sous-section 1) ou de la

création des droits d’usage (Sous-section 2) sur le fondement de la propriété publique

des terres et des ressources naturelles, les deux phénomènes témoignent de l’évolution

du fondement constitutionnel de la propriété par « une approche courageuse d’un

dilemme idéologique fondamental »247 . Cela exige par conséquent des réflexions

renouvelées au sujet de la propriété248.

Sous-section 1. – La reconnaissance de la propriété privée à travers la

légitimation des formes d’appropriation non publiques

57. - Dans le processus de reconnaissance constitutionnelle de la propriété privée,

la politique de réforme économique a joué un rôle essentiel, dans la mesure où elle a en

amont donné la tolérance aux entités économiques avec les formes d’appropriation non

publique (§ 1) qui a favorisé par conséquent la formation du régime juridique du droit

de propriété 249 , et a en aval contribué à l’aboutissement de la proclamation

constitutionnelle de l’inviolabilité de la propriété privée (§ 2).

246 Article 10, alinéa 4 de la Constitution de 1982. 247 CHEN Jianfu, « La dernière révision de la Constitution chinoise », op. cit., pp. 20 et s. 248 V., Yan LAN, H. G. HERRMMAN, « Un nouveau concept de la propriété en République populaire de Chine? », RIDC, 1997, pp. 593 et s ; comp. XU Baikang, « Panorama du droit chinois en vigueur », RIDC, 1990, pp. 896. 249 Donald CLARKE, Peter MURRELL, Susan WHITING, « The role of law in China’s economic development », The George Washington University Law School Public Law and Legal Theory Working Paper, n° 187, 2006, pp. 30, 51.

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§ 1. – La tolérance des entités économiques de formes d’appropriation non

publique

58. - Dès la première Constitution de 1954, la distinction dogmatique entre moyens

de production et matériels de consommation demeure en droit chinois. Certes, les

constitutions chinoises n’ont pas donné un critère précis de la distinction. En effet, la

propriété publique des moyens de production était assurée par l’emprise de l’économie

planifiée et par l’exclusion des acteurs privés des domaines d’activités industrielles et

commerciales. La Constitution de 1982 semble faire une brèche à cette dichotomie en

reconnaissant l’existence de « l’économie individuelle » (geti jingji) qui désigne les

unités économiques individuelles et de « l’économie privée » (siying jingji) qui

s’entend par les entités économiques d’exploitation privative. Aussi bien l’économie

individuelle que l’économie privée sont par essence des entreprises individuelles, dont

la reconnaissance constitutionnelle a conduit à admettre la forme d’appropriation

privée des moyens de production par les acteurs économiques. Lors de la révision

constitutionnelle de 1999, fut inséré dans la Constitution dite aujourd’hui de 1982 un

nouveau concept d’« économie non publique » qui désigne l’ensemble des entités

économiques avec les formes d’appropriation non publique. Ce concept couvre

désormais les unités économiques individuelles, les entités économiques d’exploitation

privative et toutes les autres entités économiques qui ne prennent pas les formes

d’appropriation publique au sens strict, par exemple, les sociétés par actions, les

entreprises à capitaux étrangers, etc. En même temps que le statut constitutionnel de la

forme d’appropriation publique se relativise (A) par la reconnaissance constitutionnelle

des entités économiques avec les formes d’appropriation non publique, la signification

de la notion d’appropriation publique évolue avec la transformation des entreprises en

différentes formes de sociétés (B). Dorénavant, les sociétés sont devenues les formes

juridiques principales des entités exerçant des activités économiques en droit chinois.

Par la transformation des entreprises d’État en sociétés par actions qui s’inscrit dans la

réforme économique, les formes d’appropriation publique ne se limitent plus à

l’appropriation par l’État, l’appropriation par la collectivité laborieuse. Elles

comportent aussi le système d’actions sur le capital (gufenzhi) dans lequel les sociétés

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77

par actions occupent une place centrale. Il en résulte que l’assimilation de la forme

d’appropriation par l’État à la notion juridique de propriété d’État n’est plus

logiquement viable. Car les sociétés par actions, qui sont la forme d’appropriation

publique, n’est pourtant pas de propriété d’État. Cette brèche ouverte par l’évolution de

la signification de l’appropriation publique favorise la légitimation de la propriété

privée qui existe sous forme d’actions.

A. – La relativisation du statut constitutionnel des formes

d’appropriation publique

59. - Par les révisions constitutionnelles reconnaissant le statut des entreprises

individuelles, les formes d’appropriation des moyens de production n’ont plus de statut

absolu dans l’économie nationale. Cette tendance à la relativisation se traduit par la

coexistence des formes d’appropriation publique et privée, alors qu’auparavant elle

n’était pas admise. Le droit chinois distingue deux formes concrètes des entreprises

individuelles : l’économie individuelle ou en d’autres termes les unités économiques

individuelles (1) qui désigne les entreprises individuelles s’appuyant uniquement la

main-d’oeuvre de l’entrepreneur individuel, alors que les entités économiques

d’exploitation privative –appelées en droit chinois « économie privée »– sont les

entreprises dont l’opération dépend de la main-d’oeuvre de l’entrepreneur mais aussi

du travail d’un certain nombre de salariés (2). Il existe donc la notion d’embauche dans

ces entreprises qui serait une forme de l’exploitation de l’homme par l’homme selon la

doctrine marxiste.

(1). – Le statut constitutionnel des unités économiques individuelles

60. - Au début des années 80, l’établissement des unités économiques individuelles

fut admis à titre expérimental250 . Car il était a priori paradoxal d’intégrer des

entreprises individuelles dans l’économie socialiste fondée sur le principe de la

250 Le CAE a adopté le Règlement sur la politique concernant l’économie individuelle non agricole dans les villes et les agglomérations urbaines le 7 juillet 1981.

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78

propriété publique des moyens de production. Certes, la Constitution de 1982 semble y

apporter une dérogation en affirmant, par une formulation assez ambiguë, que

« l’économie individuelle des travailleurs des villes et de la campagne, pratiquée dans

les limites définies par loi, constitue un complément du secteur socialiste de

l’économie fondée sur la propriété publique. L’État protège les droits et les intérêts

légitimes de cette économie individuelle (...) ». Le statut des unités économiques

individuelles s’analysait donc comme se situant hors du secteur socialiste de

l’économie fondé sur la propriété publique, mais constituant un complément de ce

dernier251. Pour s’engager dans des activités industrielles et commerciales, les entités

économiques individuelles ne peuvent pas ne pas exploiter des moyens de productions.

Faut-il donc reconnaître le droit de propriété privée des travailleurs individuels sur

leurs moyens de production? La réponse ne peut qu’être affirmative252 . Car, la

distinction entre les matériels de consommation et les moyens de production est trop

artificielle ; elle était étroitement liée à l’économie planifiée où les moyens de

production font l’objet de contrôle étatique selon l’exigence de la planification centrale.

C’est par la reconnaissance constitutionnelle des unités économiques individuelles que

le régime d’économie planifiée se voit assoupli avec des éléments hors de la

planification gouvernementale et qui revient à atténuer la rigidité de la distinction entre

moyens de production et matériels de production. Il faut admettre qu’au début les

individus entreprennent des activités productives avec les biens qui leur appartiennent

et leur propre main-d’oeuvre. Puis avec l’accumulation des richesses, les unités

économiques individuelles ont pu occuper une place de plus en plus importante dans

l’ensemble de l’économie nationale et se sont souvent transformées en entités

économiques d’exploitation privative avec l’embauche de salariés253. Selon la doctrine

251 La Constitution de 1954 a toléré la propriété privée dite « propriété des travailleurs individuels » et la propriété capitaliste, en préoyant leur transformation et leur disparition, alors que les deux formes de propriété sont supprimées dans la Constitution de 1975. La Constitution de 1982 semble revenir à la Constitution de 1954 en admettant les unités économiques individuelles. 252 On considère qu’il s’agit en fait de formes de propriété privée, puisqu’il y a propriété de moyens de production et qu’il y a maintenant la possiblité d’embaucher des aides qui ne constituent pas une « exploitation » d’autrui. V., TSIEN Tche-hao, La Chine : Constitution de 1982, La Documentation française, 1983, p. 22. 253 V., Ligang SONG, « Emerging private enterprises in China: transitional paths and implications », in

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79

marxiste à laquelle adhèrent les théoriciens chinois, il s’agit moins de la croissance des

chiffres d’affaires des entreprises que du changement du mode de production. Pour les

unités économiques individuelles, tous les bénéfices des entreprises sont les fruits du

travail de l’individu puisque ce dernier entreprend par l’investissement de ses propres

labeurs sans embaucher personne, alors que pour les entités économiques

d’exploitation privative, les entrepreneurs s’approprient partiellement les fruits du

travail des embauchés du fait de leur possession des moyens de production. D’où la

distinction entre la classe exploitante et la classe exploitée selon la doctrine marxiste.

Reste donc à concilier le statut des entités économiques d’exploitation privative avec

l’idéologie socialiste telle qu’elle est exprimée par le préambule de la Constitution de

1982, « [L]a transformation socialiste de la propriété privée des moyens de production

a été réalisée, le système de l’exploitation de l’homme par l’homme aboli et le régime

socialiste définitivement instauré »254. (2). – Le statut constitutionnel des entités économiques d’exploitation privative

61. - À la différence du droit français où l’économie privée désigne les entreprises

individuelles et les sociétés, l’expression d’ « économie privée » telle qu’elle est

utilisée dans la Constitution chinoise entretien une signification particulière. Ici,

l’adjectif « privée » met l’accent sur la nature d’exploitation privative des entreprises

et non le statut des entrepreneurs comme personnes privées. C’est la raison pour

laquelle l’économie privée s’explique en droit chinois par une forme spécifique

d’entreprise privée qui la distingue des unités économiques individuelles ou des

entreprises individuelles au sens strict tel qu’il est compris en droit français. En effet,

peu de temps après la révision constitutionnelle de 1988, le CAE a adopté un

règlement provisoire sur les entreprises privées qui les a définies comme les entités

économiques qui embauchent plus de huit salariés, tout en affirmant que les actifs des

entreprises privées appartiennent aux entrepreneurs255.

Ross GARNAUT, Ligang SONG (éd.), China’s third economic transformation: the rise of private economy, op. cit., pp. 31 à 43. 254 Préambule de la Constitution de 1982, § 6. 255 Article 2 du Règlement provisoire sur les entreprises privées, adopté le 25 juin 1988 et entré en

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62. - Par la révision constitutionnelle de 1988, l’appropriation privée des moyens

de production a été formellement admise. Car selon un nouvel alinéa 3 de l’article 11,

« L’État permet à l’économie privée d’exister dans les limites définies par loi.

L’économie privée est un complément du secteur socialiste de l’économie fondé sur la

propriété publique. L’État protège les droits et les intérêts légitimes de l’économie

privée, l’oriente, l’aide et la contrôle». Par cette révision constitutionnelle, l’économie

privée se voit conférer le même statut que celui de l’économie individuelle: tous sont

complémentaires à l’économie socialiste. Certes, le changement du qualificatif

d’« individuelle » à celui de « privée » a pour effet d’affirmer sans équivoque

l’appropriation des moyens de production par les entreprises privées. Il faudrait

néanmoins souligner que le statut constitutionnel de la propriété privée demeurait

faible jusqu’à la révision constitutionnelle de 1988. En effet, tant l’économie

individuelle que l’économie privée se voyait conférer un statut très marginal dit

« complémentaire » par rapport au secteur économique socialiste fondée sur la

propriété publique. Ce qui reflète l’influence du dogmatisme socialiste, surtout de

l’impact de l’économie planifiée.

63. - La révision constitutionnelle de 1993 marque un tournant de la réforme

économique dans la mesure où elle a déclenché la mise en place de l’économie de

marché. L’ancien article 15 de la Constitution de 1982 qui disposait que « L’État met

exerce une économie planifiée fondée sur le système socialiste de la propriété publique

(…) » fut remplacée par « [L]’État met en œuvre l’économie socialiste de marché (…)»,

créant par conséquent un contexte favorable au développement des entreprises

individuelles au sens large qui pourraient désormais profiter d’un système économique

qui s’orienterait davantage à la libre concurrence. Ce qui a suscité l’aspiration au vigueur le 1er juillet 1988. La distinction entre entreprise individuelle et entreprise privée s’effectue selon le critère du seuil du nombre de salariés embauchés, cette approche n’est pas moins ridicule dans la pratique : l’entreprise qui embauche 7 salariés n’est pas différente de celle de 8 employés. Ceci pourrait s’expliquer par la préoccupation du gouvernement de contrôler l’envergure des exploitations dans la relation patron-salariés. En effet, en vertu de l’article 11 de la Constitution et dudit règlement provisoire, l’État peut contrôler les entreprises privées, alors que tel n’est pas le cas pour les entreprises individuelles. D’ailleurs, pour des raisons fiscales, des entreprises privées ont pu se faire enregistrer –par fraude, parfois sous l’accord tacite de l’administration fiscale– comme entreprises individuelles qui n’ont pas de personnalité morale, les entrepreneurs sont donc exonérés de la double imposition sur leurs revenus.

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81

traitement égal entre les entités économiques de formes d’appropriation publique et

celles de d’autres formes d’appropriation, en d’autres termes, entre les entreprises

privées au sens large et les entreprises publiques. Un pas important a été franchi par la

révision constitutionnelle de 1999. En effet, l’article 11 de la Constitution de 1982 fut

révisé comme suit : « [L]es secteurs économiques non publics, telles que l’économie

individuelle et l’économie privée, pratiqués dans les limites définies par la loi,

constitue une partie importante de l’économie de marché socialiste (…) ». Il en résulte

que les entités économiques de formes d’appropriation économies non publique ne

sont plus des compléments de l’économie socialiste de propriété publique mais

constituent dorénavant une partie importante de l’économie de marché socialiste. En

remplaçant l’expression « complémentaire » par celle d’« une partie importante », la

révision constitutionnelle de 1999 a significativement promu le statut des entités

économiques de formes d’appropriation non publique par rapport au statut des entités

économiques de propriété publiques.

64. - Il faut remarquer d’ailleurs que la révision constitutionnelle de 1999 emprunte

à une nouvelle formulation « secteurs économiques non publics » pour désigner les

entités économiques de formes d’appropriation on publiques dont les composantes ne

se limitent pas à l’économie individuelle et à l’économie privée. Selon la doctrine, les

secteurs économiques non publics, s’opposant aux secteurs économiques publics,

comportent non seulement l’économie individuelle, l’économie privée, mais aussi les

entités économiques partenaires, les entreprises à capitaux étrangers, les sociétés à

responsabilité limitée et les sociétés anonymes, etc., correspondant donc à la

diversification des formes juridiques des opérateurs économiques depuis la réforme

économique256. Par conséquent, la révision constitutionnelle de 1999 a davantage

élargi le champ d’existence du secteur privé.

Pourtant, par l’expression de « formes d’appropriation non publique », la révision

constitutionnelle de 1999 a contourné la proclamation de la propriété privée des

moyens de production. Or, selon la doctrine civiliste de l’époque, la notion de propriété

privée comprend la propriété des travailleurs individuels portant sur les biens des

256 LIANG Huixing, «Dui xianfa xiuzheng’an de ruogan sifa jiedu (Views from private law of the constitutional amendments) », Dangdai faxue (Contemproray Law Review), vol. 18, n° 5, 2004, p. 40.

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entreprises qu’ils gèrent par leur propre labeur, la propriété capitaliste exercée par une

personne privée sur un bien de moyen de production et la propriété des individus

exercée sur les biens de consommation257. Le non-dit sur les entités économiques de

formes d’appropriation privée reflète la persévérance de la confusion entre la notion

juridique de propriété d’une part et, d’autre part, la notion de l’économie politique de

formes d’appropriation. Au sens de la forme d’appropriation des moyens de production,

la propriété privée semble être toujours un tabou sur le plan juridique et politique,

puisqu’en vertu de la Constitution en vigueur, le régime socialiste s’instaure par

l’abolition du régime de la propriété privée entendu comme une forme d’appropriation

des moyens de production. En utilisant l’expression « formes d’appropriation non

publique », la Constitution chinoise évite l’opposition frontale entre propriété publique

et propriété privée. La juxtaposition de la forme d’appropriation publique et des formes

d’appropriation non publique semble se justifier par la fameuse théorie selon laquelle

« la Chine sera à long terme dans le stade primaire du socialisme »258, dans la mesure

où les formes d’appropriation non publiques existeront aussi longtemps que la Chine

sera à ce stade primaire du socialisme. Dans ce contexte, il semble donc que la

Constitution chinoise suggère la légalité de la propriété privée « mais en limite la

légitimité » 259. Mais la clarification doctrinale de la relation entre droit de propriété au

sens juridique et forme d’appropriation au sens de l’économie politique, surtout

l’atténuation de la notion de la forme d’appropriation publique entraînée par la

transformation des entreprises en sociétés, ont largement contribué à la révision

constitutionnelle de 2004 consacrant la légitimité de la propriété privée.

B. – L’évolution de la signification de l’appropriation publique

65. - La Constitution de 1982 ne manque pas de définir le régime économique

socialiste sous l’angle des formes d’appropriation des moyens de production. En vertu

de l’article 6 de la Constitution de 1982, le régime économique socialiste a pour base 257 CHEN Yunsheng, « Législation comparée : Chine », Juris-Classeur Notarial Formulaire, Fasc. Unique : Chine, 1993, §§ 81, 82. 258 Préambule de la Constitution de 1982, § 7, révisé en 1999. 259 Thierry PAIRAULT, « Droit de propriété et réforme du secteur d’État », op. cit., p. 26

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l’appropriation socialiste publique des moyens de production, c’est-à-dire

l’appropriation par le peuple tout entier et l’appropriation par la collectivité des masses

laborieuses. Sur le plan juridique, la doctrine chinoise admet que l’exercice du droit de

propriété par le peuple tout entier est impossible en réalité ; pour dépasser cet obstacle,

l’État doit assumer le rôle du propriétaire en disposant directement des biens du peuple

entier260. Par conséquent, sur le modèle de l’ancienne URSS, l’État était défini comme

propriétaire unique des biens du peuple tout entier en droit chinois261. Certes, les

entités économiques avec la forme d’appropriation par la collectivité des masses

laborieuses sont définies par la Constitution de 1982 en fonction de la localisation et la

nature des entités économiques. En effet, en vertu de l’article 8, il s’agit, d’une part,

dans la campagne, de l’économie coopérative sous diverses formes de production,

d’approvisionnement et de vente, de crédit et de consommation ; et, d’autre part, dans

des agglomérations urbaines, de l’économie coopérative dans divers secteurs de

l’artisanat, de l’industrie, du bâtiment, des transports, du commerce, des services, etc.

La différenciation consiste à ce que les entités économiques avec la forme

d’appropriation des moyens de production par l’État est la force dirigeante de

l’économie nationale 262 , alors que les entités économiques avec la forme

d’appropriation des moyens de production par la collectivité de masses laborieuse ne

l’est pas263.

66. - Force est de constater que la réforme du secteur étatique, commencée au début

des années 80 a largement fait évoluer le fondement constitutionnel de l’appropriation

publique comme base du régime économique socialiste. En effet, la restructuration des

260 V., TONG Rou, Zhongguo minfa (Droit civil chinois), Law Press China, 1990, p. 136 ; v. aussi, WANG Liming, Guojia suoyouquan yanjiu (Étude de la propriété d’État), Zhongguo renmin daxue chubanshe, 1991, pp. 76 à 95 ; LI Kangning, WANG Xiuying, « Guojia suoyouquan fali jiexi (Analysis on the theoretical basis of law of national ownership)», Ningxia shehui kexue (Social Sciences in Ningxia), n° 7, 2005, pp. 13 à 18 ; NIU Lifu, « Lun woguo guojia suoyouquan de falü wanshan (L’amélioration du droit de propriété étatique en Chine) », Guangxi shehui kexue (Guangxi Social Sciences), n° 8, 2005, pp. 70 à 72. 261 V. notamment, SUN Xianzhong, Lun wuquanfa (Droit réel), Law Press China, 2001, p. 11. 262 V., article 7 de la Constitution 1982, tel que révisé en 1993. 263 Article 8, alinéa 3 de la Constitution 1982 prévoit que « L’État protège les droits et les intérêts légitimes des organisations économiques collectives, urbaines et rurales, encourage, oriente et soutient son développement ».

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entreprises publiques, l’assouplissement de leur contrôle par l’État, en passant par la

privatisation très prudente264, s’inscrivent dans les efforts du gouvernement chinois à

établir un « système moderne d’entreprises», et à clarifier l’appartenance des biens des

entreprises au regard de la notion du droit de propriété265. D’abord, les entreprises ne

furent plus directement gérées par l’État. Par la révision constitutionnelle de 1993, la

notion d’entreprise gérée par l’État est remplacée par l’entreprise d’État 266 .

C’est-à-dire qu’avant la réforme de 1993, non seulement les biens de ces entreprises

appartenaient-ils à l’État, mais surtout l’État pouvait intervenir directement dans la

gestion des entreprises. Cette intervention de l’État était toutefois considérée comme

contraire au principe de l’économie de marché selon lequel le gouvernement ne joue

qu’un rôle régulateur, et par conséquent supprimée par la révision constitutionnelle de

1993. Cette dernière utilise la nouvelle formulation « l’entreprise d’État » pour

désigner uniquement la relation entre l’État et l’entreprise dont les actifs de celle-ci

découlent des biens de propriété d’État. Ensuite, avec l’adoption en 1993 de la loi sur

les sociétés267, certaines entreprises d’État de petite taille et des entreprises collectives

264 De nombreuses recherches ont été consacrées au sujet de la réforme des entreprises d’État en Chine, on retient ici notamment, Jean-François HUCHET, « Dossier : Quel avenir pour les entreprises d’État après le XVe Congrès ? Le XVe Congrès et la réforme de la propriété », Perspectivces chinoises, n° 43, 1997, p. 14 et s ; Hubert BAZIN, Hans-Günter HERRMAN, « Restructuration, dénationalisation et privatisation des entreprises d’État ? », Gazette du Palais, 1997 n° spécial, la Chine et le droit : évolution récente, pp. 16 à 18 ; Jean C. OI, Andrew G. WALDER, Property rights and economic reform in China, op. cit., Introduction; Corine EYRAUD, L’entreprise d’État chinoise, De « l’institution sociale totale vers l’entité économique », L’Harmattan, 1999 ; Hubert BAZIN, « La Chine 20 ans après son ouverture, Entreprises privées et privatisation dans l’économie chinoise », Gazette du Palais, 2000 n° 186, p. 14 ; Thierry PAIRAULT, « Droit de propriété et réforme du secteur d’État », Études chinoises, vol. XX, n° 1-2, printemps-automne 2001, pp. 7 à 33 ; Zhuang HAN, De l’autonomie des entreprises d’État en droit chinois, L’Harmattan, 2003, pp. 20 à 31 ; Ross GARNAUT, Ligang SONG, Stoyan TENEV, Yang YAO, China’s ownership transformation, process, outcomes, prospects, World Bank, 2005, pp. 46 à 86. 265 En ce qui concerne le rapport entre l’État et les entreprises d’État à l’égard de l’appartenance des biens d’entreprises, il existait différentes théories, telle que « la double propriété (shuangchong suoyouquan)», « la propriété de la personne morale d’entreprise (qiye faren suoyouquan) », « la propriété des actionnaires (gudong suoyouquan) ». V., CHEN Jianfu, From Administrative Authorities to Private Law, A Comparative Perspective of the Developing Civil Law in the P.R.C., Martinus Nijhoff Publishers, 1995, pp. 213 à 218. 266 V., article 7 de la Constitution 1982, tel que révisé en 1993. 267 La loi sur les sociétés, promulguée le 29 décembre 1993, a été amendée le 25 décembre 1999, le 28 août 2004, et révisée le 27 ocotbre 2005. V., LEI Kai, « La nouvelle loi sur les sociétés en Chine »,

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85

furent restructurées en sociétés à responsabilité limitée, mais beaucoup cherchèrent à

devenir sociétés par actions. Lors du XVe Congrès du PCC en septembre 1999, la

réforme des entreprises d’État entra dans une phase décisive. Le gouvernement central

lança la politique de « maintien des grands et libération des petites entreprises»

aboutissant à la privatisation partielle des entreprises d’État de petite taille. La priorité

de cette réforme fut réaffirmée lors du 4e plénum du XVe Congrès en 1999, en

accentuant le principe de diversification des formes de propriété dans les actifs des

entreprises. C’est-à-dire permettre l’investissement des biens non publics aux

entreprises d’État sous diverses formes de privatisation, fusion ou même faillite des

entreprises d’État. Ceci fut considéré comme l’un des moyens pour transformer les

entreprises d’État en sociétés par actions, en parallèle du « désengagement de

l’État »268 dans les secteurs publics. En ce faisant, aussi bien l’État que les personnes

privées sont reconnus le statut d’actionnaire d’une société résultant de la

restructuration. Par la résolution du Comité central du PCC adoptée en 2003 sur

l’amélioration du système de l’économie socialiste de marché, l’actionnariat a été

officiellement affirmé comme la principale forme parmi diverses formes de réalisation

de la propriété publique269. Il faut rappeler que l’objectif de la transformation des

entreprises d’État en sociétés par actions consistait principalement à séparer les droits

de propriété détenus par l’État des droits d’exploitation exercés par le représentant

légal de l’entreprise, autrement dit « réaliser la séparation du gouvernement et des

entreprises »270. La résolution de 2003 du PCC a franchi un pas plus important : elle a

non seulement normalisé la transformation des entreprises d’État en société, mais aussi

ouvert la voie à la cession d’actions d’État aux personnes privées. Sur le plan

économique, la cession au secteur privé d’actions appartenant à l’État ne semble plus Reveu de droit des affaires internationales, 1994, n° 8, pp. 945 à 961 ; Jean Marc DESCHANDOL, « Le nouveau droit chinois des sociétés », Gazette du Palais, 1995, n° 183, pp. 43 à 45 ; Yves DOLAIS, « L’avancée du droit des affaires en Chine : bilan de 20ans d’ouverture », Gazette du Palais, 2000, n° 184, pp. 48 à 50, MA Yuchi, HU xinyu, « Impact de la nouvelle ‘loi sur les sociétés’ sur le régime juridique des sociétés à capitaux étrangers », Gazette du Palais, 2008, n° 172, pp. 59 à 63. 268 Françoise LEMOINE, L’économie de la Chine, 4e éd., Éditions de la Découverte, 2006, p. 23. 269 V., Résolution sur des questions relatives à l’amélioration du système d’économie socialiste de marché, adoptée le 14 octobre 2003 par le troisième plénum du XVIe Comité central du PCC. 270 Corine EYRAUD, L’entreprise d’État chinoise, de « l’institution sociale totale » vers l’entité économique ?, op. cit., p. 192.

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choquer ni l’opinion publique, ni les défenseurs de l’orthodoxie, puisque les

théoriciens ont bien caractérisé la restructuration comme une forme de réaffectation

des biens selon le rationnel économique271.

67. - Toutefois, sur le plan juridique, il reste des obstacles à résoudre. En effet, les

ventes d’actions d’État sur le marché boursier pose la question de l’appropriation

privée des biens étatiques, ce qui semble entrer en conflit avec l’article 12 de la

Constitution chinoise selon lequel « la propriété publique socialiste est sacrée et

inviolable ». Afin de concilier l’inviolabilité de la propriété publique et la cession

d’actions d’État, on a proposé qu’un amendement à l’article 12 pour déblayer le

chemin de la transformation des entreprises d’État aux sociétés par actions, et surtout

de la cession des actions d’État272. Il s’agirait soit de supprimer l’expression « sacré et

inviolable », soit d’admettre sans équivoque la cessibilité des actions d’État. Alors

qu’une révision de l’article 12 de la Constitution de 1982 n’est pas à l’ordre du jour de

l’APN, la cession d’actions d’État a été déjà mise en place par l’adoption des textes

spéciaux législatifs ou réglementaires à l’échelon national et local273. En l’état actuel,

l’article 12 semble n’avoir que la valeur symbolique, puisque la réforme menée par

l’État a progressivement abouti à la désacralisation de la propriété publique : celle-ci

peut désormais faire l’objet de cession selon les règles de droit, comme les biens de

propriété privée. Jusqu’ici, la signification de l’appropriation publique a profondément

évolué. En effet, l’appropriation par l’État permet non seulement la coexistence des

biens publics et privés dans les actifs d’une société qui résulte de la restructuration

d’une entreprise d’État, mais aussi la cession des actions d’État aux personnes privées.

Cette évolution de la signification de l’appropriation publique a pour effet d’affirmer

indirectement la légitimité de la propriété privée.

§ 2. – L’aboutissement de la proclamation constitutionnelle de l’inviolabilité

du droit de propriété

271 Ross GARNAUT, Ligang SONG, Stoyan TENEV, Yang YAO, China’s ownership transformation, process, outcomes, prospects, op. cit., p. 46. 272 Zhuang HAN, De l’autonomie des entreprises d’État en droit chinois, op. cit., p. 247. 273 V., infra, n° 146.

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68. - La réforme économique, caractérisée par le retour à l’économie de marché et

par l’essor des secteurs économiques non publics274, s’accompagne du changement de

la mentalité du peuple chinois275 et de la renaissance du courant libéral qui reviennent

à imposer leur impact sur la vision politique au sujet de propriété privée et de

libéralisation économique (A). Mais il ne faut pas oublier le rôle décisif joué par le

PCC (B) dans la proclamation constitutionnelle de l’inviolabilité de la propriété privée,

en acceptant le changement idéologique et le contexte politique caractérisé par la

libéralisation économique.

A. – L’impact du courant libéral

69. - Les libéraux proches du pouvoir s’accordent pour affirmer que le passage

d’une économie dirigée à une économie de marché et que le passage d’un système de

propriété collective à un système de propriété privée doit se faire vite et au moindre

274 Selon le deuxième recensement de l’économie nationale effectué par le Bureau national des statistiques de Chine en 2003, le nombre des entités économiques enregistrées comme entreprises privées s’élève à 43,7% de l’ensemble des entreprises en droit chinois. L’analyse du Bureau national des statistiques de Chine sur ledit recensement démontre d’ailleurs que 10,3% des capitaux investis pour l’ensemble des entreprises appartiennent aux entreprises privées. V., Analyse n° 7 du recensement de 2003, disponible sur le site http://www.stats.gov.cn/tjfx/ztfx/decjbdwpc/t20030523_79579.htm, consulté le 19 août 2003. 275 Les sondages ont confirmé le changement de la mentalité des citoyens en matière de propriété privée : les individus, tant de la ville que de la campagne, attachent davantage d’importance à leurs droits réels qu’aux droits politiques et qu’aux droits personnels –constatation faite par une étude sociologique sur la connaissance des droits du peuple chinois à l’époque de la réforme et de l’ouverture. V., GAO Hongjun, « L’évolution de la connaissance des droits du citoyen chinois (zhong guo gong min quan li yi shi de yan jin) », in XIA Yong (éd.), L’avènement de l’ère de droits : l’étude sur le développement des droits du citoyen chinois (Zoujin quanli de shidai : zhongguo gongmin quanli fazhan yanjiu), Pékin, Zhongguo Zhengfa Daxue Chubanshe, 1999, pp. 81 à 83. Lors d’un sondage d’opinion un an avant la révision constitutionnelle 2004, 97% des habitants urbains étaient pour l’intégration d’une norme constitutionnelle garantissant le droit de propriété privée, dont 45,5% s’appuyaient sur la part importante qu’occupent les économies non publiques dans l’économie nationale ; 30,3% des sondés considéraient que l’amendement constitutionnel serait souhaitable pour combler la lacune de garanties légales du droit de propriété privée. V., le reportage du CCTV (China Central Television Station), « Duoshu jumin guanzhu siyou caichan baohu (La majorité des habitants prêtent leur attention à la protection des biens privés) », disponible sur le site http://www.cctv.com.cn/financial/zhongguocjbd/meizhoudc/20020403/index.html, consulté le 18 avril 2003.

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88

coût276. Et « ce sont les libéraux qui ont proposé d’ajouter à la Constitution chinoise la

clause du droit de propriété »277. Le libéralisme chinois a joué un rôle important

d’autant plus que l’influence des entrepreneurs privés était pendant longtemps

relativement faible dans la vie politique278. En effet, l’État est déterminé à favoriser la

formation d’une classe d’entrepreneurs capables de contribuer au développement

économique tout en acceptant à la fois de s’intégrer au cadre politique existant279. Le

capitalisme chinois ainsi mis en place est donc l’exemple unique du capitalisme

enfanté par un régime socialiste. Il s’agit de la création par l’État d’une classe

capitaliste. En témoigne la théorie des « Trois Représentativités » voulue par JIANG

Zemin, ayant pour but de concilier capitalisme et communisme. C’est dans ce contexte

que des capitalistes sont admis dans les instances représentatives. Une étude sur les

secteurs économiques privés280 a révélé que 17,4% des entrepreneurs sont des députés

des assemblées populaires ; 35,5% des entrepreneurs sont des membres du PCC ; plus

d’un tiers des entrepreneurs privés remplissent des fonctions représentatives dans les

collectivités locales, provinciales ou nationales de la Conférence consultative politique

du Peuple chinois (CCPPC). L’intégration des entrepreneurs leur donne la possibilité

d’exercer une influence institutionnelle281.

70. - L’étude sociologique sur la formation d’une classe moyenne à travers des

mécanismes d’accès à la propriété montre que la classe moyenne exerce aussi une

276 Chloé FROISSART, « La renaissance du libéralisme chinois dans les années 1990 », Esprit, décembre 2001, p. 120. Parmi les libéraux qui soutiennent la propriété privée, on peut citer notamment CAO Siyuan, Renjian zhengdao siyouhua (La privatisation est le dogme de la société humaine), Hongkong : Xiafeier, 1999. 277 CHEN Lichuan, « Le débat entre libéralisme et nouvelle gauche au tournant du siècle », Perspectives chinoises, n° 84, 2004, p. 34. 278 Politiquement, les investisseurs constituent une strate sociale distincte, mais ne disposant d’aucune personnalité représentative dans le champ politique, ni d’aucune organisation politique pour représenter leurs intérêts de classe et leurs demandes politiques, ils ne peuvent pas devenir une force politique indépendante. V., ZHU Huayou, LIU Chenghui, « L’économie non gouvernementale et privée en Chine : justification historique et théorique des réformes », Alternatives Sud, Vol. VIII(2001), n° 1, p. 101. 279 Marie-Claire BERGÈRE, Capitalisme et capitalistes en Chine, des origines à nos jours, Édition Perrin, 2007, pp. 253, 330, 331. 280 Groupe de recherche sur les entreprises privées, « Rapport de l’enquête sur les entreprises privées en Chine (Zhong guo siying qiye diaocha baogao) », 26 février 2003, Finance (Cai Jing), n° 4, 2003. 281 V., « Groupes stratégiques et capacité étatique », interview d’un entrepreneur député à l’ANP, réalisée en 1999 par Thomas Heberer, in Perspectives chinoises, n°75, 2003, pp. 4 à 10.

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89

influence importante sur le choix du gouvernement. « Leur nouveau statut

socio-économique aura un impact important sur l’évolution politique, sociale et

économique de la Chine. Ils souhaitent utiliser leur pouvoir pour protéger les intérêts

qu’ils ont déjà acquis, et en obtenir d’autres »282. Ainsi en est-il, la Fédération

panchinoise de l’industrie et du commerce (quanguo gongshanglian), dont les

membres sont principalement des entrepreneurs privés, a joué un certain rôle sur la

révision constitutionnelle de 2004. En tant que « parti démocratique » en collaboration

avec le PCC, elle avait successivement initié trois propositions relatives à la révision

constitutionnelle relevant tant du statut des secteurs économiques privés que du droit

de propriété privée. À l’occasion des sessions plénières de l’APN en 1998 et en 1999,

elle a entrepris la campagne en faveur d’un amendement à la Constitution ayant pour

objectif d’affirmer la protection de la propriété privée d’une part et, d’autre part, de

légitimer le statut légal des entreprises privées. Ainsi a-t-elle proposé que la propriété

privée se situe au même rang que la propriété publique, et par conséquent soit

inviolable comme la propriété publique. En 2003, lors de la session plénière de la Xe

CCPPC, la Fédération panchinoise de l’industrie et du commerce a pu, pour la

troisième fois, faire entendre sa voix sur la protection constitutionnelle du droit de

propriété privée283. En outre, il faut souligner que la revendication à la protection de ce

droit ne se limite pas au milieu des riches entrepreneurs privés. Dans cette période de

transition socio-économique, les personnes défavorisées revendiquent aussi des

garanties juridiques contre les injustices dont elles sont victimes284. Des théoriciens

chinois libéraux ont pu prêter leur concours à la montée de la conscience de ce droit,

s’efforçant à faire accepter la propriété comme l’un des droits fondamentaux des

citoyens dont le respect doit être assuré par l’État285.

282 LI Jian, NIU Xiaohan, « Accès à la propriété et formation d’une classe moyenne à Pékin », Perspectives chinoises, 2002, n° 74, pp. 17 à 18. 283 V., MU Jia, « Quanguo gongshanglian san ti xiuxian, wanshan baohu siren caichan de falü zhidu (Trois propositions de la Fédération panchinoise de l’industrie et du commerce sur la révision constitutionnelle pour la protection de la propriété privée) », Zhonghua gongshang shibao (China Business Time), 6 mars 2004. 284 Jérôme A. COHEN, « Law in political transitions: lessons from East Asia and the road ahead for China », 37 NYUJILP 423, p. 427. 285 V., par exemple, ZHANG Weiying, Qiye de qiyejia : qiyue lilun (Entrepreneurs des entreprises :

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90

B. – Le rôle décisif du PCC

71. - Le 12 décembre 2003, le Comité central du PCC présenta au Comité

permanent de l’APN sa proposition relative à la révision constitutionnelle286, qui fut

adoptée par l’APN sans modification substantielle. Selon la révision constitutionnelle

de 2004, les secteurs économiques privés se voient reconnaître un statut plus favorable

à leur développement : en vertu de l’article 11, alinéa 2 tel que révisé en 2004, l’État

protège les droits et les intérêts légitimes non seulement de l’économie individuelle, de

l’économie privée mais aussi de tous les autres entités économiques de formes

d’appropriation non publique ; l’État prend des mesures pour encourager et soutenir

leur développement, et non plus comme auparavant, pour les orienter, les contrôler et

les administrer. Ensuite, l’article 13 de la Constitution de 1982 tel qu’il est révisé en

2004 proclame que la propriété privée légale des citoyens est inviolable; l’État protège

le droit des citoyens aux biens privés et le droit à la succession de biens ; et dans

l’intérêt public, l’État peut procéder à des expropriations ou à des réquisitions des

terres selon les dispositions légales et moyennant indemnisation.

72. - Le PCC a joué un rôle décisif dans la révision constitutionnelle de 2004, en

définissant l’orientation relative à la signification de la protection de la propriété privée.

Lors de la préparation de la révision de l’article 13, il existait des divergences

importantes sur deux points essentiels. Il s’agissait tout d’abord de la question de

savoir s’il fallait proclamer la propriété privée comme droit « sacré et inviolable »,

telle qu’elle est en vertu de la Déclaration des droits de l’homme et des citoyens de

1789. Pour les uns, la sacralisation de la propriété privée aurait pour effet de consolider

la garantie de ce droit, alors que pour ceux qui s’y opposaient, la sacralisation de la théorie de contrat), Shanghai renmin chubanshe, 1995, chapitre 3 ; XU Youyu, «Ziyouzhuyi yu dangdai Zhongguo (Le libéralisme et la Chine contemporaine )», in Zhishifenzi lichang : ziyouzhuyi zhizheng yu Zhongguo sixiangjie de fenhua (Les positions des intellectuels : Débat sur le libéralisme et la scission de l’intelligentsia chinoise), Changchun : Shidai wenyi chubanshe, 1999, p. 417 ; WANG Dingding, XU Xianming, « Yingdang yong xianfa guding de shixiang quanli (Dix droits fondamentaux devant être consacrés par la Constitution) », Nanfang zhoumo (Nanfang Weekends), 14 mars 2002 ; YANG Haikun, «Xianfa xiugai yu gongmin jiben quanli xinlun (À propos des révisions constitutionnelles et des droits fondamentaux du citoyen) », Faxue luntan (Legal forum), n° 4, 2003, pp. 97 à 99. 286 La proposition présentée par le Comité central du PCC est disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/newscenter/2003-12/22/content_1243461.htm, consulté le 22 décembre 2003.

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propriété privée reflétait en effet l’idéologie capitaliste et traduisait le caractère absolu

de ce droit, qui est pourtant inopportune à l’époque contemporaine287. La proposition

du PCC sur la révision constitutionnelle fut de refuser de reconnaître la propriété

privée comme un droit sacré, affirmant donc le caractère relatif de ce droit.

73. - Le deuxième point sur lequel portaient les divergences plus sérieuses était de

savoir s’il fallait limiter la protection constitutionnelle à des biens privés légalement ou

légitimement acquis. Selon les uns, les biens illégalement ou illégitimement acquis ne

bénéficieraient pas de la protection constitutionnelle par souci de justice. Or cette

position fut critiquée pour sa rigidité. Dans la pratique, les entités économiques de

formes d’appropriation non publiques furent souvent constituées dans un contexte

juridique peu clair à défaut de règles précises et opérationnelles de droit. Il en résulte

qu’une approche trop rigide sur la légalité des activités économiques qui s’inscrivaient

dans le contexte de réforme et de la transition pourrait menacer l’intérêt des

entrepreneurs privés. Pour rassurer les droits et intérêts acquis des entrepreneurs privés,

il fallut abandonner l’exigence de « légalement ou légitimement acquis », donc la

limitation à la protection constitutionnelle des biens privés. En utilisant la formulation

« biens légaux » (hefa caichan), la proposition du PCC confirma la position selon

laquelle la Constitution ne protège que les biens légalement ou légitimement acquis,

tout en refusant par conséquent d’accepter la notion de droits acquis. D’où l’incertitude

juridique pour les biens dont la légalité est ambiguë288.

74. - La révision constitutionnelle de 2004 traduit plus nettement le lien entre

l’économie non publique et la propriété privée. Comme on l’a observé, en substituant

l’expression générale « propriété privée» à l’énumération des biens protégés par la

Constitution, la révision constitutionnelle a élargi en effet l’étendue des biens

constitutionnellement garantis, englobant non seulement les droits réels, mais aussi

tous les droits ayant valeur patrimoniale289. En effet, si le sol et les ressources

287 CAI Dingjian, Xianfa Jingjie (Constitution: An intensive reading), op. cit., pp. 202, 203. 288 V., infra, n° 124. 289 WANG Liming, « Xianfa yu siyou caichan de baohu (La Constitution et la protection des biens privés) », Faxue Zazhi (Law Science Magazine), n° 3, 2004, p. 11 ; HAN Dayuan, « Siyou caichanquan ruxian de xianfaxue sikao (Réflexions sur la proclamation constitutionnelle de propriété privée) », Faxue (Legal Science Monthly), n° 4, 2004, p.14.

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92

naturelles demeurent propriété publique, les droits d’usage qui sont établis sur le

fondement de la propriété publique peuvent entrer dans la catégorie des biens privés

constitutionnellement garantis.

Sous-section 2. – La reconnaissance constitutionnelle des droits d’usage sur

les biens de propriété publique

75. - Par les révisions constitutionnelles, les droits d’usage290 portant sur le sol et

sur les ressources naturelles de propriété publique sont reconnus aux personnes privées.

Les droits d’usage, soumis désormais à la catégorie de l’usufruit291, a contribué à

l’extension de l’objet du droit des biens privés et à la formation de la notion de droits

réels dans le système juridique chinois, qui ont été finalement concrétisés par

l’adoption en 2007 de la loi sur les droits réels (wuquan fa). Partant d’une vision

civiliste, deux catégories de droits coexistent sur un même bien, il s’agit, d’une part, de

la propriété publique du sol et des ressources naturelles (§ 1) et, d’autre part, des droits

d’usage dont la nature de droit réel est désormais reconnue en droit chinois (§ 2).

§ 1. – La propriété publique du sol et des ressources naturelles

76. - La Constitution chinoise distingue la propriété étatique de la propriété

collective portant sur le sol et les ressources naturelles (A). S’il est vrai que cette

290 En droit français, le droit d’usage s’explique par un droit en vertu duquel le propriétaire d’un domaine ou les habitants d’une commune peuvent prendre dans le fonds d’autrui certaines substances dans la limite de leurs besoins. La charge pesant toujours sur le fonds d’autrui, il est permis d’exclure de la catégorie des droits d’usage la jouissance des habitants d’une commune sur ses biens communaux, entendu au sens de «propriété collective». Cf., Caroline GAU-CABEE, Droits d’usages et Code civil, thèse, l’Université Paris 1, L.G.D.J, 2006, pp. 3 à 4. Certes, le droit d’usage en droit chinois ne correspond pas à celui en droit français, ce dernier considère l’usage comme l’usufruit en réduction, qui ne peut être constitué que par la volonté privée, convention et surtout testament, et qui est limité aux besoins du titulaire et de sa famille. V., Jean CARBONNIER, Droit civil. Les biens. Les obligations, PUF, 2004, § 763. 291 La loi sur les droits réels établit, par l’article 2, al. 3, la typologie des droits réels : droit de propriété (suoyou quan), droit réel d’usage et de jouissance (yongyi wuquan) et droit réel de garantie (danbao wuquan). Notons que les droits d’usage sont compris dans le Titre III consacré au droit réel d’usage et de jouissance.

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93

distinction est liée aux considérations d’économie politique, il faut notamment

souligner que la propriété collective subit davantage des limitations dans la réforme de

revalorisation des biens publics (B), pour des raisons impératives de contrôle de l’État

sur le secteur agricole dont les activités de production dépendent largement des terrains

et ressources naturelles dans les zones rurales.

A. – La distinction entre la propriété d’État et la propriété collective

77. - La Constitution chinoise reconnaît d’emblée la propriété publique du sol et

des ressources naturelles, car ils sont les moyens de production les plus importants

pour l’économie nationale292. Ainsi, les personnes privées sont-elles exclues de la

propriété du sol et des ressources naturelles. Certes, sous l’impact de la confusion entre

formes d’appropriation des moyens de production et catégories de droit de propriété

qui consiste à la détermination de la nature et le contenue du droit de propriété par les

modes ou formes d’appropriation293, la propriété publique du sol et des ressources

naturelles se distingue entre propriété d’État et propriété collective sur le plan juridique.

La première correspond à l’appropriation par l’État, tandis que la seconde correspond à

l’appropriation par la collectivité des travailleurs. Or, cette approche simplifiée dans la

distinction des deux catégories de propriété ne suscite pas moins des problèmes. À cet

égard, il faut surtout observer que la Constitution chinoise n’a pas clairement défini le

critère pour distinguer les deux formes de propriété publique (1) du sol et des

ressources naturelles. En ce qui concerne la propriété du sol, la distinction entre

propriété d’État et propriété collective se fonde par essence sur la division 292 V., CAI Dingjian, Xianfa jingjie (Constitution: An intensive reading), op cit., pp. 193, 194. Le droit de propriété est défini par l’article 72 des Principes généraux du droit civil : «"La propriété d’un bien" désigne les droits du propriétaire en conformité avec la loi de le posséder, de l’utiliser, d’en tirer profit et d’en disposer». La traduction ici reprend celle de Monsieur Daniel Arthur LAPRÈS, disponible sur le site http://www.lapres.net/cntrpgdc.html. En droit français, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion affirmer que les personnes publiques exercent un véritable droit de propriété sur leurs biens, ce qui assure la même protection constitutionnelle que celle dont bénéficient les biens privés et leur assure la même liberté d’entreprendre. V., CC, 18 décembre 1986 ; CC, 26 juin 2003, à propos de la loi d’habilitation. 293 CHEN Jianfu, From administrative authorisation to private law: A comparative perspective of the developing civil law in the P.R.C., op. cit., p.153.

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94

géographique urbaine et rurale. Cela montre que la distinction entre propriété d’État et

propriété collective se justifie plus nettement pour des raisons d’économie politique (2),

déterminées dans une large mesure par la situation actuelle de l’État chinois..

(1). – Les critères de distinction des deux formes de propriété publique

78. - En matière de ressources naturelles, l’article 9 de la Constitution de 1982

dispose que « [L]es ressources minérales, les eaux, les forêts, les montagnes, les

prairies, les terrains non cultivés, les bancs de sable et de vase, ainsi que les autres

ressources naturelles sont propriété d’État, c’est-à-dire propriété du peuple tout entier.

Font exception les forêts, les montagnes, les prairies, les terrains non cultivés et les

bancs de sable et de vase qui, en vertu de la loi, relèvent de la propriété collective ».

Selon la formulation de cet article, on peut déduire que la propriété d’État des

ressources naturelles est le principe, alors que la propriété collective des ressources

naturelles n’est possible qu’en vertu des dispositions législatives. Il en résulte que sans

une loi spécifique prévoyant la propriété collective ayant pour objet des biens

énumérés par l’article 9, ces derniers sont présumés propriété d’État. La présomption

se justifie par le fait que les ressources naturelles sont les moyens de production

indispensables au développement durable de l’économie nationale : son importance à

l’économie exige l’appropriation par le peuple tout entier294.

79. - Quant à la propriété du sol, l’article 10, alinéas 1er et 2 de la Constitution de

1982 dispose que « [D]ans les villes, le sol est propriété d’État. À la campagne et dans

les banlieues urbaines, il est propriété collective, exception faite de celui qui, en vertu

de la loi, est propriété d’État ; de même les terrains pour construire des logements et

les parcelles de terre cultivable ou les parcelles dans les montagneuse réservées à

l’usage personnel sont propriété collective ». Il existe toutefois des problèmes

particuliers dans la distinction entre propriété d’État et propriété collective qui se fonde

sur la division géographique urbaine et rurale. Tout d’abord, puisque la distinction

entre propriété d’État et propriété collective dépend de la division géographique, la

circonscription des villes joue un rôle clé dans la détermination de la propriété d’État 294 V., CAI Dingjian, Xianfa jingjie (Constitution: An intensive reading), op. cit., p. 193.

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du sol. Il en résulte que la modification de la circonscription des villes entraînera la

modification de la propriété d’État du sol. Ensuite, au cas où la frontière entre le

territoire urbain et le territoire rural ne serait pas bien déterminée, l’appartenance du

sol qui se situe dans la zone litigieuse est incertaine. Enfin, si la division entre les

différentes villes et celle entre la ville et la compagne sont relativement précises, il

existe bien des cas où les différentes zones rurales ne sont pas clairement délimitées295.

Cela pose la question de savoir à qui appartient-elle une certaine parcelle de terrain.

Cette question devient d’autant plus aiguë que les gouvernements locaux exercent de

facto la propriété collective du sol dans les territoires qui tombent sous leur juridiction.

Par conséquent, le différend sur l’appartenance des terres rurales relève par essence de

la juridiction territoriale des gouvernements locaux à l’échelon de base.

(2). – Les raisons d’économie politique de la distinction

80. - La distinction entre propriété d’État et propriété collective est importante à

l’égard de l’établissement des droits d’usage. Car le régime foncier collectif est, dans

ses principes, plus restrictif encore que celui des terrains de l’État. Alors que le droit

d’usage du sol étatique peut s’établit soit par le contrat de concession soit par

l’attribution à titre gratuit, les terrains de propriété collective sont attribués

prioritairement aux foyers paysans dans le cadre du contrat d’exploitation forfaitaire

(Chengbao jingying hetong). L’émergence des droits d’usage du sol rural résulte d’un

processus de la « décollectivisation » par laquelle les communes populaires, les

brigades et les équipes de production furent progressivement démantelées et totalement

supprimées au milieu des années 80, avec les droits d’usage du sol directement

« affermés » aux paysans 296 . Mais la trace de la propriété collective demeure

perceptible : en effet, contrairement au droit d’usage du sol étatique dont la libre

cessibilité est admise, la cession du droit d’usage du sol rural fait toujours l’objet de

295 V., Peter HO, Institutions in Transition, land ownership, property rights, and social conflict in China, Oxford University Press, 2005, p. 55 à 61. 296 Bruno CABRILLAC, Économie de la Chine, 2e éd., P. U. F., 2003, p. 56.

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restrictions plus lourdes297, en dépit de la législation spécifique et surtout de la

nouvelle orientation politique toute récente permettant quelques flexibilités à la

transaction de ce droit298. L’interdiction de modifier l’utilisation agricole des terrains

demeure l’obstacle majeur à la libre cession du droit d’usage du sol rural. Ce qui

démontre la principale différence entre le droit d’usage du sol étatique et le droit

d’usage du sol collectif, mais aussi traduit le maintien de la dichotomie urbaine et

rurale dont l’objectif est de sécuriser la production agricole considéré comme le

secteur-clé de l’économie nationale.

Il faut encore rappeler que lors de la rédaction de la Constitution de 1982, il

existait l’idée de ne pas reconnaître la propriété collective du sol, tous les terrains

auraient été l’objet de la propriété étatique. Or, cette proposition ne fut pas acceptée.

L’objectif principal de la reconnaissance constitutionnelle de la propriété collective du

sol rural est de protéger l’intérêt des paysans dans l’utilisation des terres. À l’époque là,

il était considéré que la propriété collective du sol rural favoriserait la stabilisation du

droit des paysans dans l’exploitation des terres, surtout, en cas d’expropriation, les

paysans auraient droit à l’indemnisation donnée par l’État. Ce faisant, les intérêts

particuliers des paysans seraient protégés299.

B. – La revalorisation des biens publics

81. - L’adéquation entre propriété d’État et propriété du peuple tout entier conduit à

priver la propriété des individus comme membres du peuple tout entier, c’est-à-dire

qu’alors que le peuple tout entier est propriétaire représenté par l’État, les citoyens qui

composent le peuple ne peuvent pas l’être. Le paradoxe du fait, pourtant soutenu en

théorie, semble être atténué d’une certaine manière par la création d’un droit réel

d’usage et de jouissance sur les biens de propriété publique. Par analogie des rapports

297 V., infra, n° 178. 298 V., Résolution sur des questions relatives à la promotion des réformes rurales, adoptée le 22 octobre 2008, lors du troisième plénum du XVIIe Comité central du PCC. La Décision définit la nouvelle orientation politique qui prévoit la suppression des restrcitions à la libre cession du droit d’usage du sol rural. Des mesures concrêtes de réforme seront prises en pratique dans le proche avenir. 299 CAI Dingjian, Xianfa jingjie (Constitution: An intensive reading), op. cit., pp. 197, 198.

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de droit concernant les biens en droit civil, la propriété publique se trouve écornée,

démembrée. « De trois pouvoirs dont elle était le faisceau, l’usus et le fructus passent

à l’usufruitier ; le propriétaire ne conserve que l’abusus, qui est assurément la partie

la plus profonde de son droit, mais non pas la plus visible ni la plus vivante »300. Outre

les droits d’usage du sol dont la protection est proclamée par la Constitution, le

principe d’utilisation à titre onéreux des ressources naturelles est désormais affirmé par

la loi sur les droits réels301. L’article 118 de la loi sur les droits réels dispose que les

entités ou les individus peuvent occuper, utiliser et tirer le profit des ressources

naturelles. Par la loi sur les droits réels, les règles générales applicables à l’usufruit

sont applicables aux droits d’usage portant sur les ressources naturelles, qui

comportent le droit d’usage sur les zones maritimes302, le droit d’exploration et

d’exploitation minière, le droit à puiser de l’eau, ainsi que le droit de pêche et

d’élevage sur les rivières et les bancs de sable303. Il faut souligner toutefois que les

droits d’usages sont créés dans le contexte de réforme dont l’objectif est le

remplacement de l’utilisation à titre gratuit du sol et des ressources naturelles par

l’utilisation à titre onéreux, sauf les cas exceptionnellement prévus par la loi dans

lesquels l’utilisation du sol étatique est attribuée aux usagers à titre gratuit304.

82. - La réforme sur l’utilisation des biens publics vise à accroître l’efficacité et la

rentabilité économique de la propriété publique305. Cette réforme qui se caractérise par

la revalorisation des biens publics se comprendrait mieux au regard du droit français.

Car la patrimonialisation du domaine, en particulier du domaine public, est aujourd’hui

le phénomène marquant de l’évolution du droit domanial. Le symbole le plus fort de la

mutation qui affecte le domaine apparaît dans l’ordre des mots, à travers la substitution

progressive de l’expression propriété publique à celle de domaine pour désigner la

même chose à savoir l’ensemble des biens immobiliers et mobiliers appartenant aux

300 Jean CARBONNIER, Droit civil, les biens, les obligations, P.U.F., 2004, § 754. 301 V., article 119 de la loi sur les droits réels. 302 V., article 122 de la loi sur les droits réels. 303 V., article 123 de la loi sur les droits réels. 304 V., article 23 de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines. 305 NAN Luming, XIAO Zhiyue, Zhonghuarenmingongheguo dichan falü zhidu, tudi gaige yu tudi shiyongquan churang zhuanrang (Le droit foncier de la RPC: la réforme foncière, la concession et le transfert du droit d’utilisation), Zhongguo fazhi chubanshe, 1991, pp. 24 à 32.

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98

personnes morales publiques. Le rattachement des biens publics à des personnes

publiques identifiées comme propriétaires s’est naturellement imposé non seulement

pour trancher la question du statut de ces biens mais surtout pour régler le mode de

gestion de ceux-ci sur celui des biens privés. La patrimonialisation a contribué en ce

sens à légitimer la prévalence de la gestion sur la police du domaine306. Cependant, il

faut nuancer les deux phénomènes de patrimonialisation en droit français et de la

revalorisation des biens publics en droit chinois. En droit français, la protection du

domaine public est bien intégrée dans le bloc de constitutionnalité, résultant de la

protection que l’article 17 de la Déclaration de 1789 accorde aux propriétés privées et

publiques dont le domaine public fait partie et de l’existence et de la continuité des

services publics ainsi que des droits et libertés des personnes à l’usage duquel il est

affecté307. Il semble donc que si la propriété publique est évoquée ce n’est que pour

conforter le statut du domaine public 308 . Certes, en droit chinois, la base

constitutionnelle de la propriété publique du sol et des ressources naturelles semble se

fonder uniquement sur la propriété publique des moyens de productions qui est

proclamée comme la base du régime économique socialiste. Ni la notion de service

public, ni celle de droit et liberté des personnes à l’usage du domaine public, n’existe

dans la Constitution chinoise. On pourrait se demander quel serait le destin de la

propriété étatique du sol et des ressources naturelles fondée sur le régime économique

de propriété publique, celui-ci étant désormais relativisé par le mot d’ordre du PCC

« [R]echercher les diverses formes de réalisation de la propriété publique ». La

cession d’actions d’État étant déjà admise, la cession de la propriété étatique du sol et

des ressources naturelles ne saurait être interdite, sauf pour des raisons impératives

imposées par la Constitution. Or, tout dépend de la détermination de l’État-Parti qui

s’habitue à « réviser sa théorie pour sauver sa doctrine »309.

306 Ch. LEVIALLE, « Regards sur trente ans d’évolution du droit domanial », in J. KRYNEN, M. HECQUARD-THERON, Regards critiques sur quelques (r)évolutions récentes du droit, t. 1, Presses de l’Université des Sciences Sociales de Toulouse, 2005, pp. 255 à 257. 307 V., CE, 31 mars 2003, Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l’électricité et les réseaux ; CC, décision du 26 juin 2003-473 DC. 308 Ibid, contra Etienne FATÔME, «À propos des bases constitutionnelles du domaine public », AJDA, 2003, pp. 1192 et s. 309 René PASSET, L’économique et le vivant, Économica, 1996, p. 36, cité par Thierry PAIRAULT,

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99

§ 2. – L’émergence des droits d’usage dans la Constitution

83. - La reconnaissance constitutionnelle des droits d’usage portant sur le sol de

propriété publique est l’un des résultats importants de la réforme des biens publics.

L’objectif de la réforme consiste à établir l’équilibre entre le maintien de la propriété

publique du sol d’une part et, d’autre part, la quête de la rentabilité moyennant la

stimulation économique. Comme l’économiste Steven N. S. CHEUNG l’a indiqué,

impulsée par l’efficacité de production, la politique de réforme économique se

poursuivrait jusqu’à l’émergence d’un « droit de quasi-propriété » sur le sol310. Certes,

alors que les règles d’établissement des droits d’usage sont reconnues par la

Constitution et complétées par de multiples textes normatifs (A), la nature juridique de

ces droits prête à la discussion (B).

A. – L’établissement des droits d’usage

84. - Le droit d’usage portant sur le sol étatique (1) et le droit d’usage portant sur le

sol de propriété collective (2) sont établis selon des modalités différentes. Cette

distinction des règles juridiques relatives aux droits d’usage pourrait être considérée

comme la conséquence de la distinction entre propriété étatique et propriété collective

du sol.

(1). – Le droit d’usage du sol étatique

85. - L’usage des terrains étatiques en Chine était pendant longtemps dominé par le

régime d’attribution administrative: les organes gouvernementaux compétents,

représentants de l’État, procédaient à l’attribuer à titre gratuit des terrains aux organes

administratifs et aux entreprises publiques, etc.311 Selon la doctrine, l’utilisation des

« Droit de propriété et réforme du secteur d’État », op. cit., p. 32. 310 V., Steven N. S. CHEUNG, Zhongguo de qiantu (Le futur de la Chine), Hongkong : Hongkong Xinbao Company Ltd, 1988, p. 206. 311 GAO Fuping, HUANG Wushuang, Fangdichan faxue (Droit des biens immobiliers), Pékin: Higher Education Press, 2003, p. 24.

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100

terrains par les organes administratifs ou par les entreprises publiques à titre gratuit est

la forme concrète de la possession des terrains par l’État lui-même propriétaire,

c’est-à-dire l’attribution n’a aucune incidence sur la propriété étatique des terrains: des

organes administratifs et des entreprises publiques qui occupent et utilisent les terrains

ne sont que les représentants de l’État en matière d’exercice du droit de propriété sur

les terrains312 . Or, à l’exception de ce régime d’attribution gratuite des terrains

étatiques, la loi sur les entreprises à capitaux chinois et étranger (Equity Joint Ventures)

promulguée en 1979, prévoit par l’article 5, alinéa 3, que les entreprises à capitaux

chinois et étranger doivent payer à l’État chinois le frais d’usage des terrains qu’elles

occupent, sauf si le droit d’usage fait l’objet d’un apport par un partenaire chinois au

capital d’une entreprise à investissement étranger. Par la suite, certaines villes côtières

concédèrent –à titre expérimental– le droit d’usage des terrains étatiques pour la durée

prédéterminée aux entreprises étrangères contre le paiement de frais d’usage313. La

réforme sur l’usage du sol étatique se répandait depuis lors. Avec l’adoption des

Principes généraux du droit civil en 1986, il est reconnu par son article 80 que le droit

d’usage du sol étatique peut être procuré par les entités (danwei) étatique et collective

conformément à la loi ; les entités titulaires du droit d’usage doivent s’engager à gérer,

à protéger et à exploiter de manière raisonnable des terrains étatiques. Toutefois, la

portée du droit d’usage prévu par les Principes généraux du droit civil est relative :

d’une part, les titulaires de ce droit ne peuvent qu’être les entités –les personnes

morales dans la plupart des cas– tout en excluant les personnes physiques ; d’autre part,

la cessibilité de ce droit demeure incertaine faute de prévision législative. Peu de temps

après la promulgation des Principes généraux du droit civil, la loi sur l’administration

du sol promulguée en 1986 proclame dans son article 7314 que les terrains de propriété

publique –aussi bien les terrains étatiques que les terrains collectifs– pouvaient être

affectés à l’utilisation des individus. La création législative du droit d’usage du sol

312 WANG Weiguo, Zhongguo tudi quanli yanjiu (Étude sur les droits fonciers en Chine), Zhongguo zhengfa daxue chubanshe, 1997, p. 85. 313 V., NAN Luming, XIAO Zhiyue, Zhonghuarenmingongheguo dichan falü zhidu, tudi gaige yu tudi shiyongquan churang zhuanrang (Le droit foncier de la RPC: la réforme foncière, la concession et le transfert du droit d’utilisation), op. cit., pp. 33 et s. 314 Devenu article 9 par la révision en1998.

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101

public fut réaffirmée par la révision constitutionnelle de 1988 : l’article 10, alinéa 4, de

la Constitution permet sans équivoque la cessibilité du droit d’usage portant sur les

terrains publics. Pour y répondre, la loi sur l’administration du sol fut ultérieurement

complétée par l’insertion de deux dispositions en vertu desquelles le droit d’usage est

cessible selon les règles édictées par le CAE d’une part et, d’autre part, l’État met en

place un régime d’usage des terrains à titre onéreux, en parallèle avec l’attribution à

titre gratuit du sol qui est propriété d’État315.

86. - Les différences entre le droit d’usage issu de la concession à titre onéreux et

celui issu de l’attribution gratuite sont précisées par la loi sur l’administration des biens

immobiliers dans les zones urbaines316. Premièrement, l’attribution gratuite du sol

étatique ne peut s’appliquer qu’aux cas prévus par la loi. À cet égard, il faut préciser

que les sujets qui peuvent obtenir le droit d’usage par l’attribution à titre gratuit sont

bien limités : ils sont les organes étatiques et militaires. D’ailleurs, le droit d’usage du

sol peut également être attribué pour la construction des travaux d’infrastructure ou

pour d’autres fins d’intérêt général, ainsi que pour des travaux d’énergie, de circulation

et des travaux hydrauliques317. Deuxièmement, la durée du droit d’usage du sol par

concession est limitée par les dispositions législatives et réglementaires en droit

chinois. En effet, l’article 12 du Règlement provisoire sur la concession et le transfert

du droit d’usage du sol étatique dans les zones urbaines (1990) précise différentes

durées maximales en fonction des usages : 70 ans pour l’usage résidentiel ; 50 ans pour

l’usage industriel, éducatif, scientifique, culturel, sanitaire et sportif ; 40 ans pour

l’usage commercial, touristique et récréatif. Le contrat de concession stipule la durée

du droit d’usage sous le plafond de ces durées maximales. Le renouvellement du

contrat de concession, donc de la durée du droit d’usage qui en dépend, peut être

autorisé par l’organe gouvernemental compétent à la demande du concessionnaire,

selon les conditions et modalités établies par la loi318. Il en résulte que le droit d’usage

315 V. article 2, alinéas 4 et 5 de la loi d’administration des terrains, révisée en 1988 ; article 3 de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines. 316 La loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines est promulguée en 1994 et révisée en 2007. 317 V., article 24 de la loi d’administration des immobiliers urbains. 318 V., article 21 de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines.

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issu du contrat de concession à titre onéreux n’a pas vocation à se perpétuer319. En

contraste, le droit d’usage établi par l’attribution gratuite est réputé révocable

unilatéralement par l’État, à défaut de terme. Troisièmement, le droit d’usage par

concession est cessible, alors que le transfert du droit d’usage attribué à titre gratuit

doit être préalablement approuvé par les gouvernements locaux qui sont pourtant

discrétionnaires en la matière320.

(2). – Le droit d’usage du sol de propriété collective et ses variations

87. - Outre le droit d’usage du sol étatique, la Constitution reconnaît également le

droit d’usage portant sur le sol de propriété collective. L’article 8 dispose que « (...)Les

travailleurs qui participent aux entités économiques collectives rurales ont le droit,

dans les limite définies par la loi, d’exploiter des parcelles de terre cultivables ou de

montagne réservées à leur propre usage, de se livrer à des productions subsidiaires

familiales et de posséder des têtes de bétail à titre individuel ». Ce droit d’usage

portant sur le sol de propriétés collectives est précisé par l’article 12 de la loi sur

l’administration du sol en vertu duquel les terrains étatiques et collectifs peuvent faire

l’objet d’exploitation forfaitaire par les entités et les individus. Il s’agit d’une forme

d’exploitation du sol basé sur un contrat forfaitaire entre d’une part, les gouvernements

locaux ou les collectivités des paysans qui exercent les propriétés collectives du sol

rural et, d’autre part, les entités ou les individus. Par ce contrat qui se dit « contrat

d’exploitation forfaitaire », les entités ou les individus sont reconnus le droit d’usage

portant sur une certaine parcelle des terres dans un terme défini par le contrat et par

conséquent peuvent librement l’exploiter. En contrepartie, ces entités ou individus

s’engagent à verser le bénéfice d’une somme fixée quel que soit le résultat de

l’exploitation. Dans la pratique, un contrat d’exploitation forfaitaire s’établit souvent

entre un gouvernement local de base ou une collectivité des paysans et le foyer des

319 Pour le droit d’usage résidentiel du sol étatique, la loi sur les droits réels prévoit le mécanisme de renouvellement automatique par lequel la durée de ce droit peut en principe se prolonger à l’échéance du contrat de concession, sauf dans les cas prévus par la même loi. V., article 149 de la loi sur les droits réels. 320 V., article 39 de la loi d’administration des biens immobiliers dans les zones urbains.

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103

paysans qui sont membres de la collectivité ou de la collectivité sous la juridiction du

gouvernement local. Ce mécanisme d’exploitation forfaitaire, qui correspond au

système de responsabilité centré sur la prise en charge par la cellule familiale conçu sur

le plan économique, est la voie principale à reconnaître le droit d’usage du sol aux

travailleurs participant à des entités économiques collectives rurales. Il faut rappeler

qu’avant 1982, l’État chinois n’avait pas explicitement indiqué qu’on pouvait conclure

les contrats d’exploitation forfaitaires dans la production d’agriculture. Les communes

populaires furent l’entité collective qui intégrèrent dans leur capacité toutes les

activités rurales, y compris la production agricole. Divisées en brigades (dadui) à

l’échelon du village et en équipes de production (shengchan dadui) regroupant

quelques dizaines de familles, « les communes favorisèrent une collectivisation

radicale de la vie sociale »321. À la fin des années 1970, la production agricole

collective assurée par les communes populaires fut considérée comme la contrainte à la

productivité et la cause principale de la pauvreté des paysans chinois. Dans le but

d’améliorer la productivité par l’encouragement des paysans, le régime d’exploitation

forfaitaire du sol fut introduit pour remplacer le régime foncier des communes

populaires. Cette réforme fut ultérieurement affirmée par la Constitution de 1982.

88. - Le droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire n’est qu’une expression

du droit d’usage du sol adaptée à la spécificité d’agriculture des zones rurales. En effet,

la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural adoptée en 2002 précise le contenu du

droit d’usage pour l’exploitation forfaitaire, à savoir notamment le droit d’utiliser les

terrains conformément à la loi et d’en tirer profit, de céder le droit d’exploitation

forfaitaire, ainsi que le droit à l’indemnisation en cas de réquisition ou d’occupation322.

Il convient de souligner que la Constitution chinoise établit le droit d’usage du sol pour

l’exploitation forfaitaire sans pour autant préciser les règles d’application de ce régime,

notamment en ce qui concerne les modalités de mise en place de ce droit. À cet égard,

la loi de 2002 sur l’exploitation forfaitaire du sol rural distingue deux modalités par

lesquelles peut être établi le droit d’exploitation forfaitaire323. Il s’agit, d’une part, de

321 Jean-Pierre CABESTAN, Le système politique de la Chine populaire, op. cit., p. 132. 322 V. article 16 de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural. 323 En vertu de l’article 2 de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural, tous les terrains à

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104

l’exploitation forfaitaire à titre familial établi par des contrats écrits conclus entre la

collectivité et le foyer de celle-ci et, d’autre part, les autres formes d’exploitation

forfaitaire. En ce qui concerne l’exploitation forfaitaire à titre familial, la loi de 2002

dispose que « nulle organisation, nul individu ne peut priver ni limiter illégalement le

droit des membres des entités collectives à l’exploitation forfaitaire des terrains»324.

Les autres formes d’exploitation forfaitaire consistent en contrats établis entre la

collectivité d’une part et, d’autre part, les personnes autres que les membres de la

collectivité325.

89. - Après l’établissement et la stabilisation du régime d’exploitation forfaitaire,

de nouvelles formes d’usage des terres rurales sont apparues dans la pratique comme

les variations du droit d’usage du sol de propriété collective. « En effet, si le système de

responsabilité des ménages était censé s’appliquer à tout le pays, sa mise en oeuvre a

revêtu différentes formes en fonction des autorités locales »326. Il s’agit, par exemple,

de la dualité des règles d’usage de la terre, des opérations agricoles sur vaste échelle,

de la vente aux enchères du droit d’usage des terres incultes situées sur les montagnes,

dans les ravins, sur les coteaux et en zones inondables et, enfin, du régime coopératif

d’actionnariat.

90. - La dualité des règles d’usage des terres consiste à diviser les terres faisant

l’objet du contrat d’exploitation forfaitaire par les foyers paysans en deux catégories,

c’est-à-dire les terres pour assurer la subsistance et les terres sur lesquelles portent les

engagements envers la collectivité. Les premières sont distribuées par tête d’habitant.

Les secondes sont distribuées soit par tête d’habitant, soit au moyen de la mise aux

enchères. Ces deux catégories de terres imposent au foyer paysan des obligations

différentes : pour les premières, seul la taxe agricole était exigible tandis que pour les

secondes, en plus de la taxe agricole, le foyer doit encore s’acquitter, au titre de la

l’utilisation d’agriculture peuvent faire l’objet d’exploitation forfaitaire. Par conséquent, l’applicabilité de l’exploitation forfaitaire ne se limite pas à la seule terre collective. 324 V., article 5, alinéa 2 de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural. 325 V., chapitre 3 de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural. 326 Maëlys DE LA RUPELLE, DENG Quheng, LI Shi, Thomas VENDRYES, « Insécurité foncière et flux migratoire intérieurs en Chine », Perspectives chinoises, 2008, n° 2, p. 30.

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105

redevance forfaitaire, des prélèvements du village et des retenues du canton327. L’idée

de la dualité des règles d’usage des terres est de redresser toute inégalité en ce qui

concerne la disponibilité des terres dans le cadre du système d’exploitation forfaitaire

des terres, qui peut provenir du changement dans le nombre des membres de chaque

foyer paysan et de garantir à chacun des membres de la communauté l’accès égalitaire

aux ressources foncières.

91. - Le mode d’exploitation sur une vaste échelle se présente sous trois formes. La

première consiste en une exploitation centralisée des fermes collectives. La deuxième

consiste en une exploitation centralisée avec une gestion décentralisée. Une dernière

forme, fréquente dans les régions côtières développées de l’Est du pays, concerne les

terres de grande surface couvertes par le contrat d’exploitation forfaitaire établi entre la

collectivité et les foyers paysans. Sous forme de sous-bail ou sous-traitance,

l’utilisation de ces terres revient à la collectivité. Les paysans membres de celle-ci ont

droit, comme contrepartie, aux bénéfices résultant de l’exploitation assumée par la

collectivité.

92. - La vente aux enchères du droit de l’usage des terres incultes situées sur les

montagnes, dans les ravins, sur les coteaux et en zone inondable représente une autre

forme nouvelle de l’octroi du droit d’usage du sol collectif. Au début de la réforme,

leur mode de prise en charge était identique à celui qui était prévu pour les terres

cultivées. La seule différence résidait dans le fait que pour ces terres non cultivées, la

durée du contrat est plus longue. Elle peut aller jusqu’à 50, voire 100 ans. La vente aux

enchères du droit d’usage des terres non cultivées situées sur les montagnes, dans les

ravins, sur les côteaux et en zone inondable ne change en rien le droit de propriété.

L’acquéreur de ce droit d’usage doit assurer leur aménagement et jouit de l’usufruit.

De plus, le droit de leur usage est cessible, louable et hypothécable et en outre

utilisable pour l’investissement en partenariat.

93. - Le régime coopératif d’actionnariat (gufen hezuozhi) est une pratique de

réforme selon laquelle la valeur totale de l’ensemble des biens, y compris les terres,

d’une collectivité est convertie en actions puis distribuées parmi les membres de la

327 La taxe agricole a été abolie à partir du 1er janvier 2006 par la décision du Comité permanent de l’APN.

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collectivité. Les paysans membres d’une collectivité sont reconnus à titre égal le statut

et les droits des actionnaires par analogie d’une société. Le régime coopératif

d’actionnariat consiste en effet à une titrisation des biens collectifs, qui facilite par

conséquent à la collectivité d’en exploiter et en gérer selon le modèle d’une société

commerciale. Ce régime s’accommode en effet à la tendance d’industrialisation des

régions côtières de la Chine, où l’exploitation agricole des terres cède ses pas devant

l’usage industriel. Pour ce faire, la première opération est d’évaluer la valeur des terres

et d’autres biens appartenant à la collectivité, de leur mettre à un prix pour les convertir

en actions. Ensuite, les actions sont réparties entre les paysans en prenant comme base

la population totale de la collectivité à un moment donné. Le bénéfice résultant de

l’exploitation est partagé entre les paysans en fonction du nombre d’actions possédées

par chacun d’eux. Et les actions sont cessibles parmi les membres de la collectivité, et

peuvent aussi faire l’objet de succession.

B. – La nature juridique des droits d’usage

94. - Avec la promulgation de la loi sur les droits réels, la nature de droit réel des

droits d’usage est bien affirmée (1). Mais il existe encore des problèmes dans la

législation et la pratique, qui sont la cause principale de la précarité des droits d’usage

(2). Ce contraste traduit plus nettement la nature inachevée de l’évolution du

fondement constitutionnel du droit de propriété. (1). – Le caractère de droit réel des droits d’usage

95. - En droit civil chinois, l’utilisation est généralement considérée comme l’un

des attributs du droit de propriété. Les Principes généraux du droit civil définissent, par

article 71, que le droit de propriété est le droit pour le propriétaire d’une chose de jouir

de quatre prérogatives, à savoir la possession (zhanyou), l’utilisation (shiyong), la

jouissance (shouyi) et la disposition (chufen). L’importance du droit d’user de la chose

est incontestable puisque l’usage des biens est de toutes les prérogatives du propriétaire,

le plus simple, la moins intellectualisée et la plus caractéristique de ce contact direct

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107

qu’établit la propriété entre le propriétaire et sa chose328. Certes, pendant longtemps, la

législation chinoise et la doctrine civiliste en Chine refusait de considérer les droits

d’usage comme droits réels. Le raisonnement de ce refus consiste à voir les droits

d’usage qui naissent du contrat comme les droits de créance, donc droits personnels.

La création des droits d’usage n’était que le résultat de l’aliénation de certaines

prérogatives du propriétaire pendent une durée bien définie, et ces prérogatives ainsi

aliénées pouvaient toujours revenir ultérieurement au propriétaire à l’échéance du

contrat. Ce qui était résumé par la doctrine chinoise comme l’élasticité des attributs du

droit de propriété. Il s’agissait d’étendre aux droits sur la chose d’autrui la qualification

de servitude, se ressemblant à l’approche du droit romain dans son état achevé329. Ce

refus de reconnaître les droits d’usage pouvait s’expliquer aussi par le seul fait que le

droit civil chinois « populaire » ne retenait pas la notion de droits réels330. La situation

a bien changé avec la promulgation de la loi sur les droits réels en 2007 : un titre III est

consacré à l’usufruit qui englobe les droits d’usage portant sur le sol et les ressources

naturelles. Ainsi en est-il, la nature juridique des droits d’usage du sol comme droit réel

est désormais reconnue sans équivoque en droit chinois331.

(2). – La précarité des droits d’usage

96. - Il existe des similitudes apparentes entre les droits d’usage en droit chinois et

les droits réels constitués sur le domaine public en droit français dans un objectif de

concilier le régime juridique de domaine public et l’économie de marché332. En droit

328 Philippe MALAURIE, Laurent AYNÈS, Les biens, Defrénois, 2003, § 434. 329 V., Fédéric ZENATI-CASTAING, Thierry REVET, Les biens, 3e éd., 2008, § 291. 330 Section première du chapitre V des Principes généraux du droit civil s’intitule « Du droit de propriété sur les biens et des droits patrimoniaux en rapport avec le droit de propriété ». Il en résulte que les Principes généraux du droit civil ne subdivisent pas les droits patrimoniaux en deux catégories, les droits réels et les droits personnels. Par ailleurs, le droit chinois définit la possession comme l’un des attributs du droit de propriété, alors que la possession n’est qu’un état de fait en droit français. V., Thierry PAIRAULT, « Droit de propriété et réforme du secteur d’État », op. cit., pp.12 à18. 331 V., infra, Chapitre 2, Section 1. 332 V., Jean-Pierre LEBRETON, Stéphane MANSON, Le domaine public, La Documentation française, n° 2.12 édition 2004, p. 34 et s. On a même conclu que « le droit conféré par le titre d’occupation sur la dépendance domaniale elle-même constitue un véritable droit réel administratif : un droit réel, parce

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français, le droit de propriété reconnu à l’occupant du domaine public « n’est pas celui

du Code civil. Il est temporaire, contrairement au principe de la perpétuité de la

propriété civile puisqu’il cesse avec l’expiration du titre »333. Il y a lieu de se demander

si le régime de la domanialité n’aboutit pas à une dénaturation du droit de propriété au

sens de la jurisprudence constitutionnelle et à empêcher toute consécration d’un droit

de propriété sur les biens édifiés sur le domaine public334. Quant au droit chinois, la

précarité du droit d’usage des terrains publics fait également l’objet de vives critiques :

les durées d’existence du droit d’usage portant sur les terrains étatiques qui sont

déterminées par la loi sont trop courtes, la possible suppression du droit d’usage par

l’administration rend précaire le droit de propriété des biens édifiés sur les terrains

publics et porte atteinte aux intérêts des propriétaires335. De plus, le destin du droit

d’usage du sol étatique à l’issue du terme du contrat est prévu par l’article 22 de la loi

sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines : il s’agit soit d’un

renouvellement du contrat à la demande de l’usager et accepté par l’État, soit de la

récupération des terrains par l’État en s’appropriant à titre gratuit les biens édifiés sans

pour autant indemnisation336. Selon des critiques, le droit de propriété des biens édifiés

qu’il est toujours opposable non seulement à l’égard des tiers mais aussi et surtout à l’égard de l’Administration puisque, en cas de retrait avant terme, le droit de l’occupant ne disparaît pas purement et simplement mais se transformer en un droit à indemnité ; droit réel administratif, car, dans la mesure où l’administration domaniale dispose à tout moment de la prérogative unilatérale de transformer ce droit d’occupation en un droit à indemnité sous le contrôle du juge administratif ». V., E. FATÔME, Ph. TERNEYRE, « La loi du 25 juillet 1994 : observations complémentaires », AJDA, 1994, pp. 784-785. 333 Christian LAVIALLE, note sous CE, 21 avril 1997, Dr. adm., 1997, n° 316 ; v., aussi, M. LECERF, G. BLANC, « Entreprises privées et domaine public, comment gérer les contraintes de la domanialité relatives aux cessions d’ouvrages réalisés par les occupants », JCP N, 1998, n° 28, p. 1076. GODFRIN, « Une prudente audace : la loi du 15 juillet 1994 relative à la constitution de droits réels sur le domaine public », CJEG, 1995, p. 12 et s. 334 V., Jérôme TREMEAU, « Fondement constitutionnel du droit de propriété », Juris-Cl. Notarial Répertoire, 2001, fasc. 10, n°72. 335 V., WANG Weiguo, Zhongguo tudi quanli yanjiu (Étude sur les droits fonciers en Chine), op. cit., pp. 141-146 ; v., aussi, ZHAO Hongmei, Fangdichanfa lun (Étude de droit immobilier), Zhonggguo zhengfa daxue chubanshe, 1995, pp. 97 à 98 ; LOU Jianbo, « Fangdichan kaifa yu jiaoyi zhong ruogan wenti de falü tantao (Réflexions sur les problèmes juridiques relatives à l’exploitation et au transfert des biens immobiliers) », in WEI Zhenying, WANG Guiguo, Shichang jingji yu falü(Droit et économie de marché), Beijing daxue chubanshe, 1995, pp. 146 à 150. 336 V., article 40 du règlement provisoire sur la concession et le transfert du droit d’usage du sol étatique dans les zones urbaines.

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sur les terrains publics serait ainsi privé du caractère de perpétuité, devenant précaire à

l’égard de l’État-propriétaire des terrains; d’ailleurs, l’appropriation gratuite par l’État

de ces biens à l’issue du terme du droit d’usage porterait atteintes à leurs propriétaires

dans la mesure où elle constituerait une mesure de privation de propriété sans

indemnisation337. Il fallut attendre jusqu’à l’adoption de la loi sur les droits réels

qu’une innovation majeure se voit le jour. En effet, l’article 149 de la loi sur les droits

réels instaure le renouvellement automatique du droit d’usage des terres pour

construction d’habitation une fois le terme arrivé. Compte tenu des délais en cause, un

tel renouvellement du droit d’usage n’a jamais réellement eu lieu dans la pratique.

Mais la loi sur les droits réels entérine ce qu’anticipent les propriétaires, à savoir la

stabilité et la perpétuité de leur droit par le renouvellement du droit d’usage une fois le

terme arrivé. Plus précisément, les propriétaires des immeubles édifiés sur les terrains

publics sont désormais assurés de pouvoir rester comme propriétaires du même édifice

à l’échéance de leur droit d’usage. En pratique, la disposition de l’article 149 conduit à

garantir l’usage du bien immobilier tout au long de la vie du titulaire, ce qui peut être

« assimilé de facto à un droit de propriété »338. Pourtant, pour les terrains à usage

industriel et commercial, l’article 149 de la loi sur les droits réels renvoie aux futurs

lois et règlements qui devront être ultérieurement adoptés. Le renouvellement du droit

d’usage tel que prévu par la loi sur les droits réels ne s’applique pas au droit d’usage

du sol pour l’exploitation forfaitaire. Issu des contrats forfaitaires établis entre les

collectivités et leurs membres, le droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire

était toutefois souvent traité comme un droit personnel dans le règlement des litiges339.

97. - Quant au droit d’usage du sol dans les zones rurales, la loi sur l’exploitation

forfaitaire du sol rural, adoptée en 2002, clarifie la conception : l’objectif de la loi tient

à reconnaître aux paysans le droit durable et sécurisé en matière d’utilisation des

337 V., GAO Fuping, HUANG Wushuang, Fangdichan faxue (Droit immobilier), op. cit., pp. 47, 69. 338 J. GIBSON, B. de MARAIS (sous la dir. de), Réformes du droit économique et développement en Asie,La Documentation française, 2007, p. 232. 339 Cf. Cour suprême populaire, Interprétations sur le traitement des affaires relevant des contrats d’exploitation forfaitaire rurale (Guanyu shenli nongye chengbao hetong jiufen anjian ruogan wenti de guiding), adoptées le 5 juin 1999.

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110

terrains340. Le droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire est acquis pour une

durée de trente ans ; les réajustements de terrains au sein d’une même collectivité

–dans la plupart des cas, le village– et les redistributions périodiques entre les foyers

doivent s’effectuer à titre exceptionnel341. En outre, la loi sur l’exploitation forfaitaire

du sol rural comporte les dispositions qui précisent que les gouvernements locaux ne

peuvent pas supprimer le droit d’usage du sol rural ou en modifier les limites pendant

ces trente années, ainsi qu’en cas de réquisitions, les membres des collectivités ont le

droit à l’indemnisation342. Ce qui conduit à croire que le droit d’usage du sol pour

l’exploitation forfaitaire tombe dans la catégorie des droits réels et par conséquent qu’il

ne s’agit pas d’une simple obligation contractuelle343. Mais la précarité de ce droit dans

la pratique, notamment en cas d’expropriation, de suppression ou de redistribution

imprévisible des droits d’usage du sol par les collectivités locales dans l’exercice de

leurs pouvoirs de contrôle et de gestion, continue à inquiéter les titulaires de ces droits,

et par conséquent, faire obstacle aux investissements agricoles et à la croissance

économique dans les zones rurales344. En effet, en dépit de l’existence de contrats

fonciers, les redistributions administratives continuent d’exister, mais leur fréquence et

les critères retenus varient sensiblement d’un village à un autre. La réglementation

locale relative à la gestion des terres et aux contrats individuels n’est pas toujours

transparente. Les critères retenus par les autorités villageoises pour effectuer les

redistributions administratives ou pour juger du respect ou du non-respect des contrats, 340 V., article 1er de la loi d’exploitation forfaitaire du sol rural. 341 Il s’agit notamment des cas où les désastres naturels ont entraîné de graves dégâts aux terrains faisant l’objet du contrat d’exploitation forfaitaire. Le réajustement dans ce cas-là doit être approuvé par deux tiers des villageois ou des représentants des villageois. V., article 27 de la loi d’exploitation forfaitaire du sol rural. 342 V. article 16, alinéa 2 de la loi d’exploitation forfaitaire du sol rural. 343 ZHANG Junhao, Minfaxue yuanli (Principes du droit civil), 3e éd., Zhongguo zhengfa daxue chubanshe, 2000, p. 469 ; LIU Suinian, «Guanyu tudi chengbaofa caoan de shuoming (Explications sur le projet de la loi d’exploitation forfaitaire des terres rurales) », Journal Officiel du comité permanent de l’APN, n° 5, 2002; HU Kangsheng, Zhonghuarenmingongheguo nongcun tudifa tongsu duben (Introduction de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural), Law Press China, 2002, pp. 94, 104. 344 Hanan G. JACOBY, Guo LI, Scott ROZELLE, « Hazards of expropriation: Tenure insecurity and investment in rural China », The American Economic Review, vol. 92, n° 5, 2002, pp. 1422, 1444; v., aussi, Klauss DEININGER, Songqing JIN, « The impact of property rights on household’s investment, risk coping and policy preferences: evidence from China », World Bank Policy Research Working Paper 2931, novembre 2002.

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111

demeure implicites et partiellement arbitraires. Le degré d’insécurité foncière semble

dépendre avant tout des facteurs spécifiques relatifs au village, à la parcelle, au ménage

ou à l’individu345.

SECTION II. – LES RÉSISTANCES À LA CONSÉCRATION

CONSTITUTIONNELLE DU DROIT DE PROPRIÉTÉ

98. - La révision constitutionnelle déclarant l’inviolabilité des biens privés et la

protection des droits de l’homme est-elle un pur exercice politique ? Ou bien,

l’exaltation apparente du droit est-elle, dans une large mesure, destinée à satisfaire les

étrangers ?346 Le destin chaotique de la propriété privée dans l’histoire du droit

constitutionnel chinois, la prédominance de la politique du PCC par rapport à la

législation, en passant par le courant de pensée tendant à mettre en cause la légitimité

de la propriété privée lors de la révision constitutionnelle de 2004, posent la question

suivante : la propriété privée, en tant que droit fondamental des citoyens

constitutionnellement garanti, pourrait-il dépasser les résistances politiques et

juridiques ? Il faut nuancer que les résistances politiques pourraient menacer la

légitimité de la propriété privée (Sous-section 1), alors que les résistances juridiques

pourraient compromettre plus précisément la valeur de ce droit en tant que droit

fondamental protégé par la Constitution chinoise (Sous-section 2).

Sous-section 1. – Les résistances politiques à la consécration constitutionnelle du

droit de propriété privée

345 V., Charles C. KRUSEKOPF, « Diversity in land tenure arrangement under the household responsibility system in China », China Ecnomic Review, vol. 13, n° 2, 2002, pp. 297 à 312 ; Loren BRANDT (et al.), « Land rights in China : facts, fictions and issues », The China Journal, n° 47, 2002, pp. 67 à 97 ; Maëlys DE LA RUPELLE, DENG Quheng, LI Shi, Thomas VENDRYES, « Insécurité foncière et flux migratoire intérieurs en Chine », op. cit., pp. 31, 32. 346 Alice Her-Soon TAY, « Culture juridique chinoise », in Wanda CAPELLER, Takanori KITAMURA, Une introduction aux cultures juridiques non-occidentales, Bruyant, 1998, p. 218.

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112

99. - Les observateurs du droit chinois s’entendent pour dire que le droit chinois est

largement instrumentaliste347. C’est-à-dire qu’en Chine la politique l’emporte sur

l’application du droit. Alors que les règles de droit ne sont pas totalement dépréciées en

Chine, les dirigeants chinois veillent à ce que le droit ne porte pas atteinte à la

suprématie du PCC348. Dans ce contexte, le statut de droit fondamental de la propriété

privée n’est pas assuré : qu’il s’agisse de la rupture puis de la réhabilitation du droit de

propriété (§ 2) ou de la position de l’État-Parti qui a volontairement défendu la

propriété privée contre l’accusation sur la légitimité de ce droit (§ 1), la consécration

constitutionnelle de la propriété privée semble toujours être assujettie au pouvoir

politique du PCC.

§ 1. – L’accusation d’illégitimité de la propriété privée

100. - La proclamation constitutionnelle sur l’inviolabilité de la propriété privée a

été contestée par les courants anti-libéraux qui accusent la légitimité de ce droit (A). Si

ces critiques ne sont pas bien acceptées, elles ont pourtant produit leur répercussion sur

le remaniement des politiques du PCC (B).

A. – La contestation sur la légitimité de la propriété privée

347 V., Marianne BASTID-BRUGUIÈRE, « L’esprit de la codification chinoise », Droits, n° 27, 1998, p. 144; Yuanyuan SHEN, « Conceptions and receptions of legality, understanding the complexity of law reform in modern china », in Karen G. TURNER, James V. FEINERMAN, R. Kent GUY, The limits of the Rule of law in China, University of Washington Press, 2000, p. 27; CHEN Jianfu, « L’application du droit en Chine: une bataille politico-légale », Perspectives chinoises, n° 72, 2002, p. 36. Hélène PIQUET, « État de droit et tradition juridique chinoise », in Daniel MOCKLE, Mondialisation et État de droit, Bruxelles Bruylant, 2002, pp. 161 à 198 ; Jean-Pierre CABESTAN, « Le contexte du droit chinois : évolutions institutionnelles et législatives », in Centre français de droit comparé, L’actualité du droit chinois des affaires, Société de législation comparée, 2003, pp. 13 et s ; Murray Scot TANNER, The politics of lawmaking Post-Mao China : institutions, processes, and democratic prospects, Oxford University Press, 1999, pp. 51 et s; Stanley LUBMAN, Bird in a cage: Legal reform in China after Mao, Stanford University Press, 1999, p.132. 348 Hélène PIQUET, La Chine au Carrefour des traditions juridiques, Bruxelles, Bruylant, 2006, pp. 76 et 77.

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113

101. - La réforme économique aboutissant à la constitutionnalisation de la propriété

privée s’est heurtée aussi bien à la résistance des anti-libéraux, qu’à celle des

conservateurs attachés à l’idéologie communiste349. Alors que les libéraux chinois

soutiennent que la protection de la propriété privée est une condition primordiale aussi

bien pour garantir la liberté individuelle que pour fournir un cadre juridique

indispensable au développement de l’économie de marché350, le courant de pensées dit

« néogauchiste » ou « nouvelle gauche » met en doute le but et l’utilité de la protection

des biens privés. Pour les néogauchistes, après vingt ans de réforme, la Chine est de

fait entrée dans le système capitaliste. La question essentielle aujourd’hui est donc

celle de la justice sociale pour remédier à l’effet pervers de la réforme vers l’économie

de marché351. Selon le courant « néogauchiste », le marché a certes joué un rôle positif

dans la réforme économique entreprise par l’État, mais il est aussi devenu une menace

à l’égalité des citoyens et au bien-être du peuple chinois, car le capital s’est associé au

pouvoir pour exploiter le peuple. Pour éviter au pays de souffrir des maux qu’engendre

toujours le capitalisme, les « néogauchistes » soutiennent les mesures égalitaristes.

Attachés à l’idée de la propriété collective, ils critiquent vivement l’apologie que font

les libéraux de la propriété privée352. Il est vrai que le poids de la pauvreté et des

inégalités est devenu plus préoccupant qu’auparavant353. Le problème figure parmi les

difficultés d’ordre social auxquels la Chine est confrontée au regard des perspectives

de développement. Il s’agit principalement des inégalités régionales d’une part et,

349 V., ZHENG Yongnian, Globalization and State transformation in China, op. cit., pp. 174 à 179. 350 XU Youyu, « Ziyouzhuyi yu dangdai Zhongguo (Le libéralisme et la Chine contemporaine) », loc. cit. 351 V., Linda WONG, « Market reforms, globalization and social justice », Journal of contemporary China, vol. 13, n° 38, 2004, pp. 167, 168. 352 V., ZHANG Lun, La vie intellectuelle en Chine depuis la mort de Mao, Fayard, 2003, pp. 249, 250. 353 La Banque mondiale a chiffré à près de deux millions le nombre de Chinois vivant avec moins de deux dollars par jour. V., Homi KHARAS, Indermit GILL, An East Asian renaissance: idea for economic growth, World bank, 2006, p. 63. La Banque asiatique du développement calcule que la portion des urbains pauvres serait passée de l % en 1984 à 10.3% en 1999 pour les résidents permanents et à 15.2 % pour les immigrants urbains. Et la distribution des revenus devient plus inégalitaire envers les pauvres urbains, qui ne peut que creuser l’écart des richesses V., Wing Thye WOO, LI Shi, YUE Ximing, Harry WU, XU Xinpeng, The poverty challenge for China in the new Millenium, report to the Poverty Reduction Taskforce of the Millennium Development Goals Project of the United Nations, octobre 2004, pp. 2, 12.

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114

d’autre part, des inégalités entre les villes et les campagnes 354 . Selon Thierry

PAIRAULT, les pratiques socialistes qui ont été largement relayées par celles propres

au marché sont d’une manière générale la cause principale qui génère la pauvreté et

l’inégalité de la répartition355. La préférence au développement industriel par l’octroi

de considérables avantages sociaux aux citadins a pu maintenir la paysannerie dans une

pauvreté voulue. Le bien-fondé du renforcement de la protection de la propriété privée

est mis en doute par les « néogauchistes », dans la mesure où « si le processus de

privatisation n’est pas démocratique et équitable, ce processus de légitimation ne fait

que protéger le processus de la distribution illégale »356, en témoignent les abus de

pouvoir ayant permis à certains individus de s’approprier indûment des biens sociaux.

La réforme économique aboutissant à la légitimation de la propriété privée était

également contestée parce qu’elle rend précaire des biens des entreprises non

publiques nées dans le contexte de la réforme où la légalité n’était pas bien établie357.

En s’appuyant sur la prédominance de la propriété publique telle qu’est affirmée par la

Constitution, certains conservateurs ont tenté de remettre en cause le bien-fondé de la

révision constitutionnelle proclamant l’inviolabilité de la propriété privée358, et ont

réussi à reporter l’adoption de la loi sur les droits réels en profitant de la procédure de

contrôle constitutionnel établie par la loi sur l’élaboration des normes juridiques

adoptée en 2000359.

102. - Mais la contestation s’appuie également sur la répugnance de l’illégalité de

l’acquisition des biens privés, qui se traduit par l’idée de corruption primitive liée à la

naissance des entreprises non publiques. Comme on l’a constaté, « l’économie chinoise

354 V., Angus MADDISON, L’économie chinoise : une perspective historique, op. cit., pp. 23, 24. 355 Thierry PAIRAULT, Petite introduction à l’économie de la Chine, op. cit., pp. 52, 54. 356 WANG Hui, «Dangdai Zhongguo de sixiang zhuangkuang he xiandaixing wenti (L’état de la pensée chinoise contemporaine et la question de la modernité) », in Les positions des intellectuels : Débat sur le libéralisme et la scission de l’intelligentsia chinoise (Zhishifenzi lichang : ziyouzhuyi zhizheng yu Zhongguo sixiangjie de fenhua), op. cit., p. 93. 357 V., WEI Qing, « Bie wujiele siyou caichan baohu (Ne pas mal interpréter la protection de la propriété privée) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/comments/2004-03/10/content_1355052.htm, consulté le 12 mars 2004. 358 V., La lettre ouverte de GONG Xiantian, disponible sur le site http://www.law-walker.net/detail.asp?id=3624, consulté le 24 mars 2006. 359 V., infra, n° 138 et s.

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115

est contrôlée par des réseaux formés de détenteurs de pouvoirs et de leur clientèle »360.

D’ailleurs, le secteur privé était toujours conféré un statut inférieur et faisait l’objet de

discriminations multiples. Pour échapper aux contraintes qui pèsent sur eux, les

entrepreneurs ont recours à diverses stratégies de contournement –par excellence le

phénomène de « chapeaux rouges »361, corruption, activités clandestines et illicites :

« ce sont des stratégies qui ont rendu possible le développement du secteur privé, bien

avant l’intervention de mesures officielles, mais ce sont elles aussi qui le rendent très

vulnérable »362. Bien avant la révision constitutionnelle de 2004, certains considéraient

que « toute création d’entreprise privée était affligée du ‘péché originel’ quel que soit

les circonstances de l’enfantement », dans la mesures où « la création d’une entreprise

privée serait un acte de rébellion en même temps qu’une prévarication car le plus

souvent il a fallu indûment ‘privatiser’ le patrimoine commun dont le souci revient par

essence au Parti »363. Face à ce courant hostile au secteur privé, le PCC est venu tout

d’abord à établir la ligne officielle –théorisée par les « Trois Représentativités »– selon

laquelle on ne peut plus stigmatiser ceux qui s’enrichissent tant par leur propre travail

que par celui des autres364, et par la même, établir une véritable coopération entre des

entrepreneurs privés et le PCC365. L’autorité locale est venue ensuite pour y prêter son

360 Jean-Louis ROCCA, « Le capitalisme chinois ou les paradoxes du flou », Pouvoirs, n° 81, 1997, p. 21. 361 Thierry PAIRAULT, « L’affaire de SUN Dawu : Codification des droits réels et microfinance », op. cit., p. 28. L’auteur constate que « Les nouveaux entrepreneurs individuels eux-mêmes instrumentalisent l’absence d’un cadre juridique cohérent pour se protéger d’un État qu’ils considèrent comme une menace tant pour la privatisation de l’économie elle-même que pour la libre gestion de leur ‘propriété’. Et la meilleure façon de se protéger de l’État était de s’en réclamer de collusion avec ses représentants. D’où le port d’un ‘chapeau rouge’ (dai hongmaozi) pour cacher les origines de l’entreprise ». 362 Marie-Claire BERGERE, Capitalisme et capitaliste en Chine, op. cit., p. 287. 363 Thierry PAIRAULT, « L’affaire de SUN Dawu : Codification des droits réels et microfinance », op. cit., p. 38. 364 V., JIANG Zemin, Intervention du rassemblement de célébration du 80e anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois (1er juillet 2001), disponible sur le site http://french.china.org.cn/e-speech/f-jiangzm.htm, consulté le 12 mars 2008. Comme la théorie des « Trois Représentativités » l’exige, «il n’est plus justifié de considérer simplement la situation financière et l’importance des biens d’une personne comme le critère de son attitude politique, mais de la juger à travers ses comportements réels et ses conceptions politique et idéologique, selon le mode d’acquisition de ses biens et la façon dont elle en dispose et en fait usage, et selon la contribution qu’elle a apportée, grâce à son labeur, à l’édification du socialisme à la chinoise ». 365 Bruce J. DICKSON, Red capitalists in China: The Party, private entrepreneurs and prospects for

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116

soutien, en exigeant que les organes judiciaires prennent soin dans le jugement des

affaires mettant en cause des activités des entrepreneurs privés366. Peu de temps après

la révision constitutionnelle de 2004, le CAE a adopté en février 2005 son document

officiel intitulé « Opinions sur l’encouragement, le soutien et la direction du

développement des entreprises non publiques » qui a pour vocation de consolider le

statut du secteur privé par l’élargissement d’accès au marché auparavant réservé aux

secteurs publics et la suppression des discriminations, notamment en ce qui concerne le

financement des entreprises privées367. Toutes ces mesures issues de l’autorité publique

ont été expliquées par la presse chinoise comme un signe symbolique de l’exonération

du péché originel des entreprises privées368. Si la condition de légalité n’était plus

problématique sur le plan politique, l’article 13, « la propriété privée légale est

inviolable », peut toutefois faire rebondir la question sur le plan juridique à savoir s’il

existe une limite à la garantie constitutionnelle de la propriété privée, à cause de

l’adjectif « légale ». En d’autres termes, si seuls les biens légalement ou légitimement

acquis sont-ils protégés par la Constitution ? Cette question d’ordre politique amènera

à l’examen sur les résistances juridiques à la proclamation constitutionnelle de la

propriété privée369.

B. – La répercussion des critiques « néogauchistes » sur le

remaniement de la politique de l’État

103. - Si les critiques « néogauchistes » se déroulent dans un cercle restreint, trop

marginal pour véritablement influer sur les évolutions à court terme, on ne peut pour

political changes, Cambridge University Press, 2003, p. 115. 366 V., par exemple, Décision relative à la création par les organes juridiques des circonstances favorables à l’amélioration de l’écnomie de marché, adoptée par la Commission politico-judiciaire du Comité provincial du PCC de Hebei, le 31 décembre 2003. 367 V., CAE, Guofa n° 2005 (3), publié le 19 février 2005. 368 V., notamment, LI Yining, «Minying qiye yuanzui bufuhe shiji (L’hypothèse de ‘péché originel’ des entreprises non publiques est mal fondée)», disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/newscenter/2004-03/10/content_1355751.htm, consulté le 10 mars 2004 ; HU Deping, « Minying qiye meiyou yuanzui (Pas de péché originel pour les entreprises privées) », Zhonghua gongshang shibao (China Business Times), 24 novembre 2006. 369 V., infra, n° 115 et s.

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autant sous-estimer ses répercussions à moyen et à long terme. Les revendications des

libéraux d’une meilleure garantie du droit de propriété, d’une concurrence libre et

égale correspondent parfaitement aux attentes de la classe moyenne naissante du

secteur non étatique, alors que l’insistance des « néogauchistes » sur la justice sociale

en faveur des plus démunis est loin d’être inutile pour éviter les dérives dans le futur.

Pour répondre à la pensée « néogauchiste », les libéraux soulignent que le libéralisme

économique, dans la mesure où il implique transparence, respect de la loi et

concurrence loyale –autrement dit, un État de droit– est garant d’une certaine justice

sociale qui profite à tous également. D’ailleurs, la polémique avec les

« néogauchistes » a permis à une partie des libéraux de prendre conscience de certains

revers du libéralisme économique et de l’économie de marché, en réajustant leurs

positions théoriques sur la prospective de la réforme en Chine370. Le politique du PCC

a bien pris en compte certaines idées néogauchistes à propos de l’égalité sociale.

Traduisant le souci de l’État de maintenir un équilibre entre économie libérale et

justice sociale, les mots d’ordre de construire une société d’harmonie (hexie

shehui)371et d’introduire le concept de développement scientifique (kexue fazhanguan)

visent la réalisation de l’équité et de la justice comme l’un des objectifs prioritaires du

développement du pays. Réduire le phénomène de la fracture sociale entre riches et

pauvres, permettre aux gens de s’enrichir ensemble, ainsi qu’aider les pauvres à s’en

sortir, tout en laissant une partie de la population devancer les autres sur le chemin de

l’enrichissement constituent les éléments de la ligne directrice du PCC. Or, il faut

remarquer ici la particularité du droit chinois en matière de réalisation de la justice

sociale. À la différence de certains paysans occidentaux, par exemple, la France, où la

conciliation entre la justice sociale et l’appropriation privée des richesses se fait

principalement par les impôts ou d’autres mesures fiscales qui s’inscrivent dans les

limitations au droit de propriété, tout en affirmant sans équivoque ce dernier en tant

que droit fondamental, l’un des facteurs de l’inégalité en Chine relève de la

catégorisation des propriétés dans son droit, et par conséquent de la différenciation des 370 V., Chloé FROISSART, « La naissance du libéralisme chinois dans les années 1990 », Esprit, décembre 2001, p. 123. 371 V., Résolution sur des questions relatives à la construction de la société d’harmonie socialiste, adoptée lors du sixième plénum du XVIe Comité central du PCC, le 11 octobre 2006.

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statuts et contenus des différentes propriétés. Cette différenciation s’avère plus

nettement dans le domaine du droit foncier où les droits d’usage du sol se distinguent

selon la localisation des terrains dans les zones urbaines ou rurales. Les titulaires des

droits d’usage su sol de la propriété collective dans les zones rurales, qui sont les

paysans, sont en effet largement défavorisés par rapport aux titulaires des droits

d’usages du sol dans les zones urbaines. Par exemple, la sécurité des droits d’usage des

paysans est davantage menacée par les abus d’expropriation des terres collectives. Les

paysans subissent des restrictions plus lourdes quant à la cessibilité de ce droit d’usage

portant sur les terres arables. Ces deux phénomènes placent les paysans dans une

situation où la valorisation de leur droit foncier est presque figée, sinon juridiquement

inadmissible. C’est pour stimuler la croissance des revenus des paysans que la

jouissance de leur droit de propriété doit être renforcée au lieu d’être limitée. Cette

exigence a été déjà prise en compte dans l’orientation politique du PCC. En effet, la

protection des terres arables contre l’expropriation illégale, la stabilisation du droit

d’exploitation forfaitaire des terres rurales et la construction du système juridique

permettant la libre transaction du droit d’usage des terres rurales sont conçues comme

mesures prioritaires à prendre par l’État pour lancer le développement du secteur

agricole372.

104. - Encore faut-il souligner que la réforme récente menée par le gouvernement

central en ce qui concerne l’amélioration du statut des paysans dans l’exercice de leurs

droits d’usage confirme l’hypothèse d’Amartya SEN qui distingue la pauvreté par le

revenu et par les capacités. Selon cet auteur, « pour tout individu, améliorer les

capacités dont il dispose pour conduire sa vie, tend, d’une manière générale, à faciliter

ses possibilités d’accroître sa productivité et ses revenus »373. En d’autres termes, c’est

la privation de capacités qui est à la cause de la pauvreté et l’inégalité par le revenu374.

En cas de Chine, réduire la pauvreté et accroître les revenus des paysans afin de

réaliser l’égalité et la justice sociale, appelle à leur reconnaître davantage les droits et à

372 V., HU Jintao, Rapport d’activités présenté devant le XVIIe congrès du PCC, le 15 octobre 2007, cinquième partie, section III. 373 Amartya SEN, Un nouvau modèle économique, développement, justice, liberté, Éditions Odile Jacob, 2000, p. 98. 374 Ibid., pp. 113 à 117.

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prévenir de manière efficace la privation de capacités. Il est intéressant d’observer

qu’en Chine les intellectuels ont récemment posé une nouvelle vision de « pauvreté de

droits des paysans »375, pour décrire la raison principale de l’inégalité dont subissent

ces derniers. L’idée de reconnaître davantage droits aux personnes défavorisées dans la

réforme vers l’économie de marché pourrait réduire la tension entre la protection de la

propriété privée et la justice sociale, sur laquelle portent les divergences entre les

libéraux et les « néogauchistes ». Mais les critiques des « néogauchistes » soucieux de

justice sociale ont relevé la particularité de la réforme juridique en matière de droit de

propriété. Cette réforme était étroitement liée à un régime politique caractérisé par

l’État-Parti, et par conséquent, l’inégalité dans la jouissance de la propriété résultait

moins de la force du marché que de l’orientation politique de l’État. Ce qui amène à

l’autre aspect de la résistance à la consécration constitutionnelle du droit de propriété.

§ 2. – La prédominance du politique dans la réhabilitation du droit de

propriété privée

105. - La Constitution de 1982 proclame la primauté de la loi, mais elle exprime

aussi le leadership du PCC376. Comme Stanley LUBAN l’a souligné, « la législation

dépende toujours du politique, elle est donc potentiellement secondaire par rapport à

la formulation des politiques spécifiques par le PCC »377. Selon la doctrine dominante,

les lignes directrices et politiques du PCC n’ont pas force de loi. En conséquence, elles

ne peuvent pas remplacer le droit. Elles ne deviendront une loi qu’après leur adoption

375 V., DONG Heping, CHANG An, « Zhuanxingqi nongmi zhengzhi quanli de baohu (La protection des droits politiques des paysans chinois à l’époque de transition)», Fazhi lunchong (The rule of law forum), 2007, pp. 78 à 83 ; LI Shiping, JIANG Meili, SUN Hanbing, « Shidi nongmin pinkun xianzhuang yuanyu zhongguo nongmin quanli pinkun (La pauvreté de droits est la cause de la pauvreté de revenus des paysans chinois : à propos de l’indemnisation en cas d’expropriation) », Nongcun jingji (Rural Economy), 2006, n° 1, pp. 27 à 30; LIU Huazhen, LEI Hong, « Shidi nongmin de shehui quanli pinkun (La pauvreté de droits sociaux des paysans privés de terres) », Jingji yu shehui fazhan (Economic and social development), 2006, n° 2, pp. 158 à 160; HONG Zhaohui, « Lun zhongguo nongmin tudi quanli de pingkun (La pauvreté de droits sur les terres des paysans chinois) », Dangdai zhongguo yanjiu (Modern China Studies), n° 1, 2004. 376 V., le 7e paragraphe du Préambule de la Constitution 1982. 377 Stanley LUBMAN, Bird in a cage: Legal reform in China after Mao, op. cit., p. 140.

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par l’autorité législative compétente suivant le résultat de la pratique concrète.

« L’avenir de cette heureuse évolution dépend encore cependant du bon

fonctionnement de la démocratie chinoise »378. Tant que la relation entre la politique du

PCC et la législation étatique n’est pas normalisée, l’instabilité (A) et le pragmatisme

(B) de la politique continuent à être la cause de la précarité du statut constitutionnel du

droit de propriété.

A. – L’instabilité de la politique et ses impacts sur le droit de propriété

106. - Il est vrai que la propriété privée a subi d’une histoire sinueuse en droit

chinois depuis la fondation de la République Populaire de Chine à cause du

changement incohérent des politiques (1). Certes, à l’époque contemporaine, il ne

s’agit plus du problème de la simple affirmation ou négation de la propriété privée,

mais des atteintes importantes à ce droit qui sont également liées à l’instabilité de la

politique (2).

(1). – L’histoire sinueuse de la propriété privée en Chine populaire

107. - Le caractère capricieux de la mutation de la politique en matière de droit de

propriété se manifeste plus nettement en ce qui concerne le régime foncier dans les

zones rurales qui a connu six grands changements d’orientation : quatre phases de

collectivisation qui se sont poursuivies jusqu’à la suppression totale de la propriété

privée et deux phases de marche arrière, qui amenèrent pratiquement à un retour à la

case départ379. Il convient de rappeler qu’après la fondation de la République populaire

de Chine en 1949, pour abolir le régime de propriété privée et instituer un régime

foncier basé sur la propriété des paysans et soucieux de libérer les forces productives

dans les régions rurales, de redresser et de développer la production agricole afin

d’ouvrir la voie à l’industrialisation, la loi de la République populaire de Chine sur la

378 Dominique T. C. WANG, Les sources du droit de la République populaire de Chine, Genève : Librairie Droz, 1982, p. 165. 379 V., Angus MADDISON, L’économie chinoise : une perspective historique, op. cit., pp. 84 à 86.

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réforme agraire fut promulguée en juin 1950. Cette loi prévit de confisquer les terres

des propriétaires fonciers et de les distribuer à titre gratuit aux paysans sans terres ou

qui en manquaient. La réforme agraire permit de supprimer en Chine, en 1953, le

régime de propriété privée des terres, d’abolir le système d’affermage et d’attribuer la

terre à ceux qui la travaillaient. Plus de 300 millions de paysans qui n’eurent que peu,

voire pas de terre se partagèrent 700 millions de mus de terres380. De plus, ils acquirent

le droit à l’exploitation en toute liberté, au commerce et à la location des terres qu’ils

possédèrent. À cette période, les paysans furent les propriétaires des terres qu’ils

occupèrent pour l’exploitation agricole. Certes, cette appropriation privée des terres et

surtout l’exploitation familiale avérèrent très vite incompatibles avec l’idéologie

socialiste de l’économie où la planification centrale l’emporta sur la régulation des

forces du marché. Pour développer la production et permettre aux paysans de mener,

aussi vite que possible, une vie aisée et enfin éviter la bipolarisation en terme de

richesses, l’État lança l’appel aux paysans chinois de s’organiser en groupes d’entraide

et en coopératives de type inférieur dans la production agricole pour dépasser

l’exploitation individuelle et familiale. Bien que la nature privée de la propriété

foncière demeurât inchangée dans la coopérative, les paysans qui y adhérèrent durent,

comme contribution, céder leurs terres pour une gestion unifiée par la coopérative. En

1956, soit six ans après la promulgation de la loi sur la réforme agraire et à peine deux

ans après la promulgation de la Constitution de 1954 affirmant la propriété privée

foncière, une campagne eut lieu en Chine visant à institutionnaliser les coopératives de

type supérieur au sein desquels la terre, la traction animale et la machine lourde, après

évaluation de leur coût, furent cédées aux coopératives pour devenir propriété

collective utilisée de façon communautaire. Par le mouvement du « Grand bond en

avant » déclenché en 1958, période durant laquelle furent établies les communes

populaires comme base de la gestion des biens et de production agricole commune, la

propriété privée foncière des paysans fut complètement remplacée par la formule floue

et peu juridique de la propriété collective à trois échelons, c’est-à-dire que les terres,

ainsi que tous les moyens de production, furent théoriquement répartis entre les

équipes de production, les brigades et les communes populaires. 380 Un « mu » de terre vaut approximativement 650 m².

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122

108. - Dès le début de la réforme lancée à la fin des années 70, le fameux discours

de DENG Xiaoping –« Peu importe que le chat soit noir ou blanc, s’il attrape des

souris... » fut appuyé pour justifier la propriété privée des entreprises par ses

contributions au développement économique et à l’accroissement de la richesse381. Il

s’agit-là d’un tournant de la politique du PCC de la lutte des classes vers la quête du

développement économique et de l’amélioration du niveau de vie du peuple. La

résolution du Comité central du PCC relative à la construction de l’économie socialiste

de marché en 1993 précéda la révision de l’article 13 de la Constitution en 2004, dans

la mesure où elle prévoyait que « [L]’État protège tous les biens et revenus légalement

acquis par les citoyens et les personnes morales… »382. Par une deuxième résolution en

2003 relative à l’amélioration de l’économie de marché, le PCC précisa les mesures à

adopter afin d’assurer le développement des entités économiques non publiques à

égalité avec les entités économiques de propriété publique. Ces mesures tinrent

notamment à l’élargissement des secteurs économiques accessibles auparavant réservé

à l’économie de propriété publique et à la mise en place du traitement égal des

entreprises publiques et privées383. Dans la même résolution, le PCC mit l’accent sur la

nécessité d’un régime moderne de propriété, surtout la protection de la propriété privée,

pour assurer le bon fonctionnement de l’économie de marché. L’idée sous-jacente fut

que la propriété privée fut non seulement à la base de la survivance des secteurs

économiques privés, mais aussi du développement de l’économie nationale384. Tout

dépendant de la détermination du PCC, si « les entrepreneurs ont joué un certain rôle

pour la reconnaissance du droit de propriété privée, ils n’ont rien imposé et, si le

régime n’avait pas décidé de franchir ce pas, ils n’auraient pas pu l’y contraindre »385.

381 Selon DENG Xiaoping, « La pauvreté n’est pas le socialisme, ni le communisme non plus ». V., discours de DENG en date du 30 juin 1984, in DENG Xiaoping wenxuan (Oeuvres choisies), tome 3, Renmin Chubanshe, 1993, p. 64. 382 V., Résolution sur des questions relatives à la construction de l’économie socialiste de marché, précitée, 25e section. 383 V., Résolution sur des questions relatives à l’amélioration de l’économie socialiste de marché, précitée, 5e section. 384 BIAN Yaowu, « Zhongguo feigongyouzhi jingji fazhan de falü jichu (Le fondement juridique du développement des économies non publiques en Chine) », Zhongguo Faxue (China Legal Science), n° 12, 2003, pp. 54, 55. 385 Marie-Claire Bergère, Capitalisme et capitalistes en Chine, op. cit., p. 342.

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Comme on l’observe, c’est toujours le Comité central du PCC qui prend l’initiative et

envoie à l’APN ses propositions relatives à la révision de la Constitution, si bien que

l’on considère comme constituant une coutume constitutionnelle386, révélatrice donc de

l’absence de l’autonomie du droit chinois par rapport à la politique du parti. Si la

politique a beaucoup évolué en moins d’un demi-siècle, son caractère capricieux n’a

pas changé et qui peut toujours influencer les dispositifs du droit. En d’autres termes,

les choix politiques effectués à un moment donné peuvent être plus tard remis en cause.

Cette pratique peut compromettre l’avenir du droit de la propriété privée en Chine. À

l’époque contemporaine, l’incohérence du changement des politiques, qui s’inscrit

dans la régulation économique gouvernementale, demeure une menace à l’effectivité

de la protection de la propriété.

(2). – L’impact actuel de l’instabilité de la politique sur le droit de propriété

109. - Dans un contexte où l’intervention étatique dans l’économie nationale est très

fréquente et s’opère avec peu de prévisibilité, la dimension économique de l’exerce du

droit de propriété peut être directement influencée par le changement des politiques

économiques de l’État. Il s’agit notamment de la régulation gouvernementale sur les

opérations relevant des différents secteurs économiques. Le gouvernement peut

d’abord admettre –ou plus souvent par accord tacite dans la pratique– que les

personnes privées investissent dans certains secteurs auparavant réservés aux acteurs

publics, mais ensuite, par un revirement de la politique pour des raisons

conjoncturelles, restreindre leurs activités ou même les interdire. Cette instabilité

politique provoque l’insécurité juridique des opérations industrielles et commerciales

des personnes privées. Il en est ainsi dans le secteur bancaire et financier

traditionnellement –considéré comme secteur-clé de l’économie nationale et justifiant

l’intervention étatique– où le changement de la politique gouvernementale est

relativement plus versatile. L’étude de M. Thierry PAIRAULT sur l’évolution du statut

386 ZHANG Qingfu, « Jianquan xianfa pingwen fazhan jizhi, baozheng xianfa guanche shishi (Compléter le système du développement stable de la Constitution et garantir sa mise en œuvre) », Faxue zazhi (Law Science Magazine), 2003, n° 1, p. 5 à 9.

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des maisons de prêt sur gage en Chine387 démontre par excellence l’impact de

l’instabilité politique dans ce secteur sur les droits et intérêts des acteurs privés. Les

maisons de prêt sur gage à capitaux privés firent leur réapparition dans les années 80,

une trentaine d’années après leur disparition. Leur rapide prolifération dans les années

90 témoigna de la prospérité de l’économie chinoise à l’époque. L’engouement saisit

aussi bien des individus à la recherche de bénéfices faciles que des services publics

soucieux de mieux soutenir leurs usagers. Les succès des officines amenèrent les

maisons de prêt sur gage à rechercher davantage de moyens de financement pour faire

face à des demandes grandissantes de prêts. Dans le même temps, elles pratiquèrent le

prêt sur gage, elles se lancèrent dans la gestion de comptes de dépôt qu’elles

proposèrent de rémunérer à des taux supérieurs à ceux offerts par les banques étatiques.

Assez étonnamment, aucun texte réglementaire ou législatif ne fut édicté en vue de

définir et de réglementer l’activité des maisons de prêt sur gage, expliquant sans doute

la prolifération incontrôlée d’officines ainsi que la diversité de leurs pratiques. De fait,

nombre de maisons de prêt sur gage ne furent là que pour dissimuler des banques

privées. Face à la menace que les maisons de prêt sur gage présentèrent aux intérêts

des banques publiques, l’ancien vice-Premier Ministre ZHU Rongji démarra en juillet

1993 un mouvement de rectification financière aboutissant à la suppression d’un

certain nombre d’officines de prêt sur gage, dans le cadre de la politique nationale de

« restauration de l’ordre financier »388. Mais les agents économiques qui souhaitèrent

mener des activités financières furent non seulement restés grandement indifférents à

l’orientation politique financière, mais encore imposèrent de tels freins au contrôle que

dut exercer la Banque populaire de Chine. L’insécurité du statut juridique des maisons

de prêt sur gage se traduisit aussi par la question de savoir à qui dut conférer l’autorité

de tutelle. Cette ambiguïté subsista en raison des divergences entre les différents

organes étatiques. Suite à des changements successifs à la tête du service en charge des

maisons de prêt sur gage389, finalement, le Ministère du Commerce et le Ministère de

387 V., Thierry PAIRAULT, « Les habits neufs des maisons de prêt sur gage chinoise », Mondes en développement, n° 118, t. 30, 2002, pp. 21 à 38. 388 Banque populaire de Chine, Guanyu jiaqiang diandang hangye guanli de tongzhi (Circulaire sur le renforcement de la gestion des maisons de prêt sur gage), 19 août 1993. 389 Pour les textes relatifs à l’administration des maisons de prêt sur gage, v., Ministère de la Sécurité

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la Sécurité Publique promulguèrent conjointement le Règlement d’administration de

prêt sur gage en 2005390. Désormais, les maisons de prêt sur gage, après avoir obtenu

les licences, peuvent entreprendre leurs activités de prêt dans tous les domaines, sauf

les opérations bancaires interdites par ledit règlement. Mais il fallut attendre presque

vingt ans pour que le régime juridique relatif aux maisons de prêt sur gage soit

définitivement établi. Non seulement l’exerce du droit d’entreprendre des opérateurs

dans ce domaine, mais aussi les actes de gage qui sont la forme par excellence de

l’exerce du droit de propriété par le biais des maisons de prêt sur gage, ont subi

l’insécurité juridique pendant des années en raison de l’ambiguïté et l’instabilité de la

politique gouvernementale. Selon M. Thierry PAIRAULT, l’histoire des maisons de

prêt sur gage en Chine est instructive sur cette question du droit et des difficultés à le

formuler. En effet, « le développement du secteur privé en Chine apparaît davantage

comme le sous-produit des libertés prises par le secteur public que comme la

manifestation d’un esprit d’entreprise dont ferait preuve un peuple chinois

révolutionné par l’économie de marché »391. Or, il existe d’autres cas dans lesquels le

peuple cherche à établir certains droits de bien, en se débarrassant des contraintes des

règles formelles. Stimulés davantage par la force du marché, ils subissent toutefois

l’insécurité juridique à cause même de l’instabilité politique. Il en va ainsi dans le

domaine du droit foncier.

110. - Depuis la fin des années 90 où le processus d’urbanisation s’accéléra avec la

flambée du prix immobilier, les collectivités locales se situant dans les agglomérations

urbaines furent encouragées à transférer leurs terrains de propriété collective aux

promoteurs immobiliers pour la construction d’appartements qui furent finalement mis

en vente au public dont la majorité fut des citadins. Le prix significativement bas des

appartements, en raison de leur situation géographique éloignée du centre ville, fut un

atout qui concerna les acheteurs citadins à revenu moyen. Dans ce contexte, les Publique, Mesures d’administration de sécurité publique sur les maisons de prêts sur gage, promulguées le 30 mai 1995 ; Banque populaire de Chine, Mesures provisoires sur l’administration des maisons de prêts sur gage, promulguées le 3 avril 1996 ; Commission d’État à l’économie et au commerce, Règlement d’administration des maisons de prêts sur gage, 8 août 2001. 390 Ministère du Commerce, Ministère de la Sécurité Publique, Règlement d’administration de prêt sur gage, promulgué le 9 février 2005 et entré en vigueur le 1er avril 2005. 391 Thierry PAIRAULT, « Les habits neufs des maisons de prêt sur gage chinoise », op. cit., p. 37.

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appartements ainsi édifiés se répandirent dans la pratique. Or, il faut souligner que

l’ensemble des transactions susvisées est hors la loi : les collectivités locales n’ont pas

le droit de transférer aux promoteurs immobiliers leurs terrains qui sont de propriété

collective et par conséquent faisant l’objet de l’interdiction de la transaction

commerciale. Les promoteurs immobiliers n’ont pas le droit de construire des

habitations sur les terrains collectifs dont l’usage est réservé par la loi à l’usage

agricole. Les acheteurs ne peuvent pas avoir un titre légal sur les appartements qu’ils

s’approprient par le contrat de vente, puisque les citadins n’ont pas le droit de

s’approprier le droit d’usage du sol dans les zones rurales. Par conséquent, l’organe

gouvernemental compétent pour inscrire ces biens immobiliers au registre ne peut pas

délivrer, à la demande des acheteurs, un quelconque titre légal sur les appartements

ainsi acquis. Pour rassurer les acheteurs d’appartements, ce furent généralement les

collectivités locales qui préparèrent les papiers attestant la possession du droit du sol

par les acheteurs des appartements édifiés sur les terrains à l’intérieur de leurs

territoires. Dans la pratique, ces papiers sont souvent appelés les « petits titres de

propriété (xiao chanquan zheng) », révélant ainsi leur nature locale qui n’est pas

formellement reconnue par la loi étatique. Certes, il est assez paradoxal qu’en dépit de

la répétition de la politique gouvernementale condamnant l’illégalité des appartements

de « petit titre de propriété »392, aucune mesure de contrôle ou de sanction n’a été

effectivement adoptée pour en prévenir la prolifération. La croissance du nombre des

appartements de « petit titre de propriété », avec l’expansion du marché des

transactions de ces appartements, a récemment provoqué des débats autour de la

question si les appartements construits sur les terrains collectifs doivent être légitimés

en reconnaissant à leurs acheteurs un titre légal393. Dans cette affaire, mis à part des

392 Les politiques sont constantes en stipulant l’illégalité des appartements pour l’usage commercial, édifiés sur les terrains collectifs dans les zones rurales, v., le document officiel le plus récent du CAE, Guanyu yange zhixing youguan nongcun jiti jianshe yongdi falü he zhengce de tongzhi (Avis sur l’application avec rigueur des lois et politiques relatives aux terres collectives à l’usage de construction dans les zones rurales), n° Guobanfa (2007) 71, 30 décembre 2007. 393 Pour le détail des débats, v., le site http://house.people.com.cn/2007zt/xcqf/index.htm, consulté le 1er décembre 2008. En février 2008, un projet de loi sur les constructions d’habitation est préparé au milieu des intellectuels, dans lequel est proposée la légalisation des appartements avec petit titre de propriété, v., le site http://news.cctv.com/china/20080226/100275.shtml, consulté le 1er décembre 2008.

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considérations économiques et financières, le gouvernement central se met toutefois

dans un dilemme à l’égard du droit. S’il applique la loi toujours en refusant de

reconnaître un titre légal à ces appartements, les intérêts des acheteurs seront en cause,

la réaction de ces derniers pourrait produire des troubles sociaux déstabilisant le

régime politique, alors que reconnaître ces appartements en abandonnant des lois et

politiques déjà réaffirmées pendant des années pour satisfaire au peuple irait à

l’encontre des exigences de légalité. En l’état actuel, le gouvernement central semble

adopter une approche de compromis. Il réaffirme l’illégalité des collectivités locales et

des promoteurs immobiliers dans la construction d’appartements de « petit titre de

propriété », mais en même temps il promet la protection des intérêts des acheteurs au

motif que ces derniers ne connaissaient pas bien l’interdiction de la loi lors de

l’acquisition des appartements et donc ne l’avaient pas volontairement transgressée394.

Pour l’instant, la protection des intérêts des acquéreurs d’appartements de « petit titre

de propriété » est une promesse du gouvernement central qui n’a qu’une valeur

symbolique car elle ne signifie pas que les acquéreurs auront dans l’avenir leur

propriété pleinement reconnue sur les appartements construits sur les terrains collectifs

à l’usage agricole, puis pourront les vendre au marché immobilier. Avant que les

mesures concrètes ne soient prises par le gouvernement central pour régulariser de

manière précise le titre de droit des appartements qui sont d’origine illégale, le droit

des acquéreurs ne peut que demeurer ambigu. Mais, ce qui est sûr, c’est que

l’incertitude du destin des appartements de « petit titre de propriété » est la

conséquence directe de la politique gouvernementale à la fois instable et incohérente

sur la mise en oeuvre des règles de droit.

B. – Le pragmatisme de la politique de réforme sur le droit de

propriété

394 Cette position est révélée par CHEN Xiwen, directeur du Bureau des affaires rurales du CAE, lors de la conférence de presse organisée par l’Office d’information du CAE en date du 22 octobre 2008, v., le site http://www.scio.gov.cn/xwfbh/xwbfbh/wqfbh/2008/1022/200810/t228191.htm, consulté le 1er décembre 2008.

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111. - Dans le contexte actuel de la Chine, le pragmatisme de la politique de réforme

se traduit par son « approche à petit pas »395. La redistribution progressive par l’État

des biens publics « sous forme de restructuration du régime de la propriété

publique »396 afin de se libérer des contraintes d’ordre économique et financier, a

accéléré l’augmentation des biens privés tout en évitant la confrontation flagrante avec

l’idéologie socialiste qui entretient une vision négative sur la propriété privée397. Mais

le pragmatisme de la politique de réforme n’a entraîné pas moins des problèmes

juridiques. En effet, certains droits immobiliers sont créés par les mesures de réforme

et à l’absence des règles législatives précises. Ce qui pourrait causer l’insécurité

juridique aux détenteurs de ces droits (1). De même, sur le plan théorique, la politique

de réforme a intentionnellement opté pour l’ambiguïté en ce qui concerne le lien entre

la propriété privée et les droits de l’homme, contournant la question relative au

fondement légitime de ce droit (2)398. Il en résulte que le pragmatisme de la politique

de réforme conduit au pragmatisme du droit qui est la cause principale de l’instabilité

de l’ordre juridique chinois399.

(1). – La création des droits immobiliers à l’absence des règles législatives précises

112. - L’expérience de la réforme montre que l’importance du droit de propriété est

pratiquement attachée à la dimension économique, d’autant que la déclaration par la

Constitution chinoise sur l’inviolabilité de la propriété privée correspond dans une

large mesure à l’exigence de la libéralisation économique400. Outre les deux exemples

395 Hongyi Harry LAI, Reform and the non-State economy in China: the political economy of liberalization Strategies, op. cit., p. 2. 396 Jean C. OI, Andrew G. WALKER (éd.), Property rights and economic reform in China, op. cit., p. 6. 397 V., Maurice MEISNER, The Deng Xiaoping era: an inquiry into the fate of socialism 1978-1994, New York: Hill and Wang, 1996, p. 513. 398 V., Edward STEINFELD, Forging Reform in China: the fate of State-owned industry, Cambridge University Press, 1998, pp. 7, 27. 399 V., YU Xingzhong, « Legal pragmatism in the People’s Republic of China », in Perry KELLER (éd.), Chinese law and legal theory, Ashgate Publishing Company, 2001, pp. 61 à 84. 400 Hal BLANCHARD, « Constitution revisionism in the PRC: ‘seeking truths from facts’ », 17 Fla. J. Int'l L. 365; Arjun SUBRANHMANYAN, « Constitutionalism in China: changing dynamics in legal and political debates », China L. & Prac., mai 2004, p. 27.

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qui reflètent le pragmatisme de la politique relative à la propriété privée, à savoir la

reconnaissance de la propriété privée par le biais des entités économiques non

publiques et la reconnaissance des droits d’usage du sol résultant de la revalorisation

des terres publiques, il faut encore rappeler l’émergence et l’augmentation des

logements de titre privé dans les villes résultant de l’urbanisation à marche forcée. En

effet, le régime de distribution des logements sous forme d’habitation à loyer modéré,

perçue aussi comme un service social en cette période d’économie planifiée, fut

progressivement aboli à partir du milieu des années 90. Par la réforme mise en place

par le CAE depuis 1998401, les entreprises publiques et les établissements publics se

virent interdire d’acheter ou de construire des appartements et de les distribuer à leur

personnel. Comme mesure de substitution, les subventions financières furent offertes

aux employés pour les aider à acquérir les appartements sur le marché. Pour former les

sources budgétaires des subventions, les gouvernements des villes procédèrent à la

vente d’appartements de propriété publique déjà loués au personnel. Du même coup,

les locataires occupants se transformèrent aux propriétaires et purent finalement

disposer de la propriété de leurs appartements. En conséquence, différents types de

marchés immobiliers apparurent, allant de l’habitation dite « commerciale » –la plus

récente et la plus chère, assorti d’un titre de propriété permettant la revente et la

location immédiates–, à l’appartement privatisé –dont l’acquisition est réservée aux

employés ayant un certain nombre d’années dans l’entreprise et avec un prix réduit–, et

au logement subventionné et de qualité médiocre dont l’acquisition fut réservée aux

personnes défavorisées. « Dès 2000, dans les villes côtières, 70% des logements

publics avaient été cédés. Un milliard six cents millions de mètres carrés sont ainsi

passés des mains de l’État à celles de personnes privées, qui lui ont versé 95 milliards

de dollars, soit 20% de leur valeur estimée »402. Il faut souligner que cette réforme

répandue de la cession des appartements publics aux personnes privées n’a été prévue

par aucune loi formelle au niveau national. Les acheteurs d’appartements publics

401 CAE, Guanyu jinyibu shenhua chengzhen zhufang zhidu gaige jiakuai zhufang jianshe de tongzhi (Avis sur la réforme du régime de logement dans les zones urbaines et l’accélération de la construction des habitations), n° Guofa (1998) 23, 3 juillet 1998. 402 Éric MEYER, Sois riche et tais-toi ! Portait de la Chine aujourd’hui, Robert Lafffont, 2002, 145.

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130

peuvent encourir des risques quant à leur titre de propriété sur les biens immobiliers

qui se compose de deux documents, à savoir, un pour le sol et un pour l’édifice.

113. - Or, dans la pratique, tous les deux titres sont fort difficiles à obtenir. En effet,

les appartements publics sont généralement construits sur les terrains dont l’usage est

attribué par l’État à titre gratuit à des entreprises ou à des établissements publics. Si ces

derniers peuvent céder la propriété des appartements selon les mesures de réforme

admises par le gouvernement central, ils ne peuvent céder les droits d’usage des

terrains qu’après avoir rempli les conditions et modalités en vertu de la loi en

vigueur403. Il s’agit essentiellement de transformer le droit d’usage des terrains par

l’attribution gratuite au droit d’usage par la concession moyennant le paiement d’une

prime au département gouvernemental compétent. Mais des entreprises publiques,

surtout les établissements publics, en difficulté de financement ou pour des raisons

interdites par la loi, sont souvent incapables d’accomplir la transformation du droit

d’usage par l’attribution en celui par la concession. Il en résulte que les acheteurs

d’appartements publics n’ont que le droit de propriété sur les édifices, sans pour autant

le droit d’usage du sol. Alors que ce phénomène était admis dans les pratiques de

réforme, il ne saurait plus compatible avec la loi sur les droits réels, entrée en vigueur

le 1er octobre 2007 : l’article 147 de celle-ci prévoit sans équivoque que la disposition

des droits réels des constructions, des édifices, ainsi que de leurs accessoires, porte en

même temps sur le droit d’usage du sol occupé. D’où le principe d’intégration des

droits réels du sol et des édifices404. Le problème est d’autant plus compliqué que dans

certains cas, les entreprises publiques ou les établissements publics –tout en se

réservant le statut du nu-propriétaire– ont délivré l’usage de l’appartement public à leur

personnel qui peut exercer la plénitude de ses pouvoirs sur la chose comme

l’usufruitier405. Jusqu’à ce jour, il n’y a pas encore de solution précise –par l’adoption

de nouvelles règles de droit ou de nouvelles mesures de réforme– relative au destin du 403 V., article 39 de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines. 404 V., Commission des travaux législatifs du Comité permanent de l’APN (éd.), Zhonghua renmin gongheguo wuquanfa tiaowen shuoming, lifa liyou ji xiangguan guiding (La loi sur les droits réels de la République Populaire de Chine: explications, motifs et les dispositions pertinentes), Peking University Press, 2007, p. 273. 405 V., Thierry PAIRAULT, « L’affaire SUN Dawu : codification des droits réels et micofinance en Chine», op. cit., p. 33.

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droit d’usage des terrains par l’attribution à titre gratuit sur lesquels se trouvent les

appartements publics déjà vendus aux personnes privées. Ces dernières se mettent

toujours dans une situation d’insécurité juridique en ce qui concerne le droit d’usage

sur le fonds de leurs appartements. Cette insécurité juridique influence, par conséquent,

la valorisation de leur droit immobilier par la libre transaction au marché ou

l’appréciation des indemnités en cas d’expropriation.

(2). – L’ambiguïté de la politique sur le fondement légitime du droit de propriété au

regard de la protection des droits de l’homme

114. - Les discours officiels du gouvernement chinois ont mis à l’ombre le lien entre

propriété privée et droits de l’homme. En témoigne les livres blancs régulièrement

publiés par le CAE en matière de protection des droits de l’homme en Chine. Le droit

de propriété était pendant longtemps absent dans les livres blancs concernant la

situation des droits de l’homme en Chine. Il faut souligner que la formulation « l’État

respecte et protège les droits de l’homme » a déjà figuré dans les rapports des XVe et

XVIe congrès du PCC, avant qu’elle ne soit intégrée dans la Constitution en 2004,

consolidant par conséquent le statut constitutionnel des droits fondamentaux des

citoyens406. Toutefois, c’est par la publication en octobre 2005 du livre blanc intitulé

« [L]’édification de la politique démocratique en Chine » que le droit de propriété a

été officiellement reconnu comme faisant partie des droits civils et politiques garantis

par la Constitution et la loi. Néanmoins, en ce qui concerne les droits de l’homme, le

livre blanc de 2005 met l’accent sur le droit au développement407. Il en résulte que la

reconnaissance du droit de propriété privée –considéré ailleurs comme la forme la plus

complète du droit subjectif408 qui suppose du collectif à l’individuel du point de vue

406 CAI Dingjian, Xianfa jingjie (Constitution: An intensive reading), op. cit., p. 244. 407 « Le Parti communiste chinois, …considère que le droit à l’existence et le droit au développement comme droits primordiaux de l’homme. Il persiste à en considérer le développement comme la tâche principale… ». V., Office d’information du CAE, L’édification de la politique démocratique en Chine, octobre 2005, Section VII. Disponible au site http://french.china.org.cn/french/200630.htm, consulté le 15 novembre 2005. 408 Selon Jean CARBONNIER, « la propriété est une institution du droit objectif, le propriétaire a un drroit de propriété, qui est un droit subjectif ». V., Jean CARBONNIER, Droit et passion du droit sous la

Page 140: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

132

de la sociologie juridique409– n’a pas abouti au changement de la politique. Celle-ci

tend toujours vers le maintien de la primauté du droit au développement et du droit à

l’existence. Alors que la position de la Chine peut –selon la doctrine chinoise–

s’expliquer comme un défi à l’universalisme des droits de l’homme et une correction

nécessaire à l’hégémonie du libéralisme et à la tendance néo-impérialiste du

mouvement de droits de l’homme410, il faut néanmoins souligner que dans le processus

d’évolution aboutissant à la reconnaissance du droit de propriété privée et des droits de

l’homme, l’autorité publique chinoise a à la fois gardé ses caractéristiques répressives

et en même temps a adopté quelques aspects du libéralisme411. En réalité, la singularité

de la situation chinoise aujourd’hui résulte sans doute des contradictions nées des

rapports complexes qu’entretiennent l’État et le marché. L’État a donné naissance au

marché tout en se battant contre son empiètement412, traduisant donc la vigilance par

rapport aux effets du marché. En contraste, selon une conception originale des droits

fondamentaux en France, le caractère fondamental d’un droit se situe en amont du droit

lui-même et en dehors d’un cadre purement formel, car l’adjectif « fondamental »

s’analyse en effet comme porteur de l’importance d’un droit retenue dans la

conception413. Mis à part l’inexistence de la notion d’inviolabilité de la propriété privée

dans la tradition chinoise414, l’effet symbolique de la révision constitutionnelle de 2004

Ve République, Éditions Flammarion, 1996, p. 120. 409 V., Paul ROUBIER, Droits subjectifs et situations juridiques, Dalloz, 1963, p. 29, cité par François TERRE, Philippe SIMLER, Droit civil, Les biens, 7e éd., Dalloz, 2006, pp. 100, 101 ; François TERRÉ, « Sur la notion de libertés et droits fondamentaux », in Rémy CABRILLAC, Marie-Anne FRISON-ROCHE, Thierry REVET (sous la dir.), Libertés et droits fondamentaux, 14e éd., 2008, p. 4. 410 Randall PEERENBOOM, « Law and development of constitutional democracy in China: Problem or paradigm? », 19 Colum. J. Asian L. 185, p. 189. 411 V., Jean-Pierre CABESTAN, « The political and practical obstacles to the reform of the Judiciary and the establishment of a rule of law in China », Journal of Chinese Political Science, vol. 10, n° 1, 2005, p. 44. 412 CHEN Yan, « Le libéralisme chinois face à la société post-totalitaire », Revue des deux mondes, octobre-novembre 2003, p. 156. 413 V., Étienne PICARD, « L’émergence des droits fondamentaux en France », AJDA, n° spéciale, Les droits fondamentaux, une nouvelle catégorie juridique ?, juillet-août 1998, p. 40. 414 JI Weidong, « Xianfagaige de tujing yu caichanquan wenti (Réforme constitutionnelle et problèmes du droit de propriété) », in même auteur, Xianzheng xinlun : quanqiuhua shidai de fa yu shehui bianqian (De nouveaux propos sur le constitutionnalisme : droit et mutations sociales dans le contexte de la globalisation), Peking University Press, 2002, p. 185.

Page 141: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

133

est d’autant plus atténuée par le destin chaotique de ce droit. En effet, la propriété

privée fut d’abord abolie dès l’arrivée au pouvoir du PCC, puis réhabilitée comme

résultat de la politique de réforme. Dans le contexte particulier chinois, comme la

révision constitutionnelle de 2004 politiquement porte en elle-même « les germes de la

schizophrénie »415, il ne reste pas moins des résistances juridiques qui empêchent la

concrétisation effective de la propriété comme droit fondamental opposable à l’État.

Car l’obstacle à la réforme juridique en Chine ne réside pas dans l’absence du droit,

mais plutôt dans « sa mise en action »416.

Sous-section 2. – Les résistances juridiques à la consécration

constitutionnelle du droit de propriété

115. - La révision constitutionnelle de 2004 proclame la protection de la propriété

privée des citoyens, mais aussi la protection et le respect des droits de l’homme

assumés par l’État. L’effectivité de ces droits ne s’échappe pas à l’impact du contexte

d’État-Parti caractérisé par la prédominance de la politique du PCC sur la loi417, mais il

existe aussi les résistances de nature juridique à la consécration de la propriété privée

et des droits de l’homme. Il s’agit d’une part des incertitudes sur la qualification de la

propriété privée en tant que droit de l’homme (§ 1) et, d’autre part, des incertitudes sur

les valeurs juridiques supralégislative et supranationale de la propriété privée en droit

constitutionnel chinois (§ 2).

§ 1. – Les incertitudes sur la qualification de la propriété privée en tant que

droit de l’homme

415 CHEN Yan, « Le libéralisme chinois face à la société post-totalitaire », loc. cit.; Stéphanie BALME, « ‘Communisme et schizophrénie’, L’individu face au dans la société chinoise postrévolutionnaire », Raisons politiques, n° 3, août 2001, p. 84. 416 Stanley B. LUBMAN, Leïla CHOUKROUNE, « L’incomplète réforme par le droit », Esprit, 2004, p. 128. 417 V., Jean-Pierre CABESTAN, Le système politqiue de la Chine populaire, op. cit., pp. 286, 287.

Page 142: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

134

116. - La révision constitutionnelle de 2004 proclame à la fois l’inviolabilité de la

propriété privée, le respect et la protection des droits de l’homme. Cette coïncidence

pose toutefois la question à savoir si la propriété privée entre désormais dans la

catégorie juridique des droits de l’homme selon la Constitution chinoise. En effet, le

chapitre 2 de la Constitution de 1982 proclame les droits fondamentaux des citoyens,

alors que la propriété privée se situe dans les principes généraux de la Constitution. La

dissociation entre la propriété privée et les droits fondamentaux des citoyens dans le

texte de la Constitution de 1982 n’est qu’une des incertitudes relatives au statut de

droit fondamental de la propriété privée, qui sont principalement liés au problème

d’incohérence entre les différentes dispositions constitutionnelles. Dans une moindre

mesure, le caractère fondamental du droit de propriété privé semble aussi entrer en

concurrence avec l’alinéa 6 du Préambule de la Constitution, qui rappelle la dictature

du prolétariat. Le problème d’incohérence de la Constitution chinoise consiste à

juxtaposer l’inviolabilité de la propriété privée et la dictature du prolétariat, alors que

selon la doctrine socialiste la dictature du prolétariat se fonde sur l’abolition de la

propriété privée. Comme on l’a constaté, « cette façon de combiner discours

idéologique à valeur historique et contenu juridique à valeur prospective contribue

sans doute à l’ambiguïté de l’ensemble »418 . Si l’idéologie de lutte des classes

concrétisée par la dictature du prolétariat peut coexister avec la protection des droits de

l’homme, surtout de la propriété privée, par le biais de « compromis sans respecter des

principes » 419 auquel empruntent les révisions constitutionnelles, il reste des

problèmes techniques à résoudre. Il s’agit par excellence des problèmes d’incohérence

entre d’une part, la révision constitutionnelle de 2004 proclamant la protection de la

propriété privée et, d’autre part, les dispositions constitutionnelles proclamant le

respect et la protection des droits de l’homme et celles relatives aux droits et devoirs

fondamentaux des citoyens. L’incertitude de la valeur juridique de la propriété privée

résultant des problèmes d’incohérence entre la propriété privée et les droits

fondamentaux de l’homme (A) est rendue plus sérieuse par l’absence, dans la 418 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p. 565. 419 JI Weidong, Xianzheng xinlun (De nouveaux propos sur le constitutionnalisme), Beijing University Press, 2002, p. 190.

Page 143: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

135

Constitution chinoise, de la notion juridique de la propriété comme institution naturelle

(B).

A. – Les problèmes d’incohérence entre la protection de la propriété

privée et les droits fondamentaux de l’homme

117. - Les problèmes d’incohérence existent dans deux aspects. Il s’agit d’abord de

la limitation des sujets de la propriété privée aux citoyens chinois (1), ensuite la

dissociation de l’article 13 proclamant l’inviolabilité de la propriété privée et des autres

dispositions constitutionnelles relatives aux droits et devoirs fondamentaux des

citoyens (2).

(1). – La limitation des sujets de la propriété privée aux citoyens chinois

118. - D’abord le problème d’incohérence au regard du sujet du droit de propriété

proclamé par la révision constitutionnelle de 2004. Il faut rappeler que qualifier un

droit ou une liberté de « fondamental » consiste à le ou la situer parmi les valeurs

inhérentes à l’humanité, à l’homme en tant qu’homme, qu’il soit citoyen ou étranger420.

La fondamentalité du droit est liée ici à l’universalité de ces titulaires421, alors que

l’article 13, alinéa 1er de la Constitution de 1982 proclame comme inviolable la

propriété privée légale des citoyens. Quant aux sujets de ce droit, l’article 13, alinéa 1er

se limite a priori aux citoyens chinois. Par une interprétation littéraire, les étrangers

sembleraient être exclus. La formulation de l’article 13, alinéa 1er semble donc être en

contradiction avec la valeur juridique de la propriété privée conçue en tant que droit

fondamental de l’homme, au regard de l’étendu des sujets de ce droit. La propriété

privée légale des étrangers doit-elle être refusée la garantie constitutionnelle? La

réponse ne peut qu’être incertaine. Malgré l’article 32 de la Constitution de 1982 qui

420 Véronique CHAMPEIL-DESPLATS, « Les droits et libertés fondamentaux en France : Genèse d’une qualification », in Antoine LYON-CAEN, Pascal LOKIEC (sous la dir.), Droits fondamentaux et droit social, Dalloz, 2005, p. 26. 421 CC, décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale, considérant n° 14.

Page 144: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

136

proclame que les droits et intérêts légaux des étrangers sont protégés par la RPC, le

deuxième Chapitre de la Constitution de 1982 s’intitule « [D]roits et devoirs

fondamentaux des citoyens », semble ne s’appliquer pas aux étrangers, d’autant plus

que l’article 33 de la Constitution donne la définition du « citoyen chinois » selon le

critère de nationalité422. Cette distinction entre droits et devoirs fondamentaux des

citoyens d’une part et, d’autre part, les droits et intérêts légaux des étrangers, est la

cause de l’incertitude concernant la protection de la propriété privée des étrangers. Par

l’interprétation littéraire de l’article 13, la propriété privée des étrangers semble y être

exclue. Elle ne peut être garantie qu’en vertu de l’article 32 dont l’interprétation

recouvre la propriété privée. Il faut souligner d’ailleurs qu’en intégrant un nouvel

alinéa 3 proclamant « l’État respecte et protège les droits de l’homme » à l’article 33

qui figure dans le Chapitre II de la Constitution chinoise consacrant les droits et

devoirs fondamentaux des citoyens, l’étendu des sujets des droits de l’homme semble

se réduire aussi aux citoyens chinois. Ce qui entraînerait la confusion entre droits des

citoyens et droits de l’homme ou la confusion des notions de citoyen et d’homme,

révélant l’absence de la notion d’universalité en droit chinois.

(2). – La dissociation de l’article 13 et des dispositions constitutionnelles relatives aux

droits et devoirs fondamentaux des citoyens

119. - Il est à noter ensuite que l’inviolabilité de la propriété privée légale est

consacrée dans le premier chapitre « Principes généraux » de la Constitution –en

dehors du Chapitre « [D]roits et devoirs fondamentaux des citoyens ». A priori, la

propriété ne relève pas d’un droit fondamental mais d’un principe général, d’autant

plus que la Constitution de 1982 conçoit la propriété sous l’angle du système

économique de l’État423. On peut donc s’interroger sur la signification de la distinction

422 Article 33, alinéa 1er dispose que « Sont citoyens de la République populaire de Chine tous ceux qui ont acquis sa nationalité. Tous les citoyens de la République populaire de Chine sont égaux devant la loi. Tout citoyen jouit des droits prévus par la Constitution et la loi, en même temps qu’il doit s’acquitter des devoirs prévus par celles-ci ». 423 WANG Kai, « The basic theory of property right in Chinese constitutional law (Zhongguo xianfa zhong de lilun jichu) », Dangdai faxue (Contemporary Law Review), n° 1, 2005, p. 30.

Page 145: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

137

entre principes généraux et droits fondamentaux, notamment en ce qui concerne le

statut constitutionnel de la propriété. Certains auteurs considèrent que les droits

fondamentaux prévalent sur les principes généraux qui portent sur les instituions de

l’État. Par conséquent, il serait souhaitable de mettre le chapitre consacré aux droits

fondamentaux avant les principes généraux dans la Constitution afin de manifester la

primauté de l’un par rapport à l’autre en termes d’importance424. Toutefois, la plupart

des auteurs reconnaissent désormais la propriété privée comme l’un des droits

fondamentaux par l’interprétation lato sensu du texte de la Constitution de 1982425.

Alors que la propriété privée ne figure pas au chapitre « [D]roits et devoirs

fondamentaux des citoyens », le discours métajuridique reconnaît sans équivoque la

propriété privée comme l’un des droits civiques et politiques des citoyens. Cette

hypothèse est politiquement confirmée par le livre blanc du gouvernement chinois

« [L]’édification de la politique démocratique en Chine »426. De même, des juristes

chinois n’hésitent pas à prôner le statut de la propriété comme droit fondamental, du

fait de son importance pour la protection des personnes427.

B. – Absence de la notion juridique de la propriété comme institution

naturelle

120. - Le droit constitutionnel chinois semble étranger à l’idée selon laquelle la

propriété est une institution naturelle et ne peut pas être artificiellement supprimée

pour des raisons politiques ou économiques conjoncturelles. L’expérience du droit

français peut aider à mieux comprendre cet aspect particulier de la notion juridique de

424 WU Jiaqing, DU Chengming, « Lun xianfa quanli jiazhi linian de zhuanbian yu jiben quanli de xianfa bianqian (La tranformation des idées sur la valeur des droits fondamentaux reconnus par la Constitution) », Faxue pinglun (Law Review), n° 6, 2004, pp. 3 à 9. 425 V., par exemple, ZHANG Qingfu, HU Zejun, Zhonghua renmin gongheguo xianfa gaiyao (Outlines of the Constitution of People’s Republic of China), Law Press China, 2004, p. 39; DONG Heping, Zhongguo xianfaxue (Droit constitutionnel chinois), Zhongguo Zhengfa Daxue Chubanshe, 2002, pp. 298, 299. 426 CAE, octobre 2005, Section VII « Respecter et garantir les droits de l’homme », disponible sur le site http://french.china.org.cn/french/200747.htm, dernière lecture 12 mars 2008. 427 LIU Junning, « La propriété, c’est le droit de l’homme (Caichanquan, shi renquan, bushi wuquan) », disponible sur le site http://www.tecn.cn/data/detail.php?id=13732, 31 mars 2007.

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138

la propriété et sa signification. En s’appuyant sur l’article 2 de la Déclaration de 1789

qui proclame la propriété comme droit naturel, le Conseil constitutionnel français

considère qu’il existe un rempart infranchissable pour les mesures de privation. À cet

égard, le Conseil constitutionnel insiste sur l’existence minimale des propriétés sous

menace des procédés de nationalisations ; il veille à ce que les transferts de biens et

d’entreprises ne restreignent pas de façon trop importante le champ de la propriété

privée. Car les transferts de trop grande ampleur seraient de nature à empêcher le droit

de propriété de s’exercer par la disparition de l’objet de ce droit428. Ce qui correspond

en effet à l’analyse de M. ZÉNATI : les expropriations et les nationalisations

légalement et constitutionnellement réalisées ne diminuent pas le droit de propriété, ni

même le nombre de propriétaires mais le nombre des propriétés429. D’ailleurs, les

nationalisations trop importantes constitueraient une atteinte à l’article 2 (devenu

l’article 1) de la Constitution de 1958 qui énonce que la France est une République

sociale, ce qui ne doit pas être confondu avec une République socialiste430. Il en résulte

que la signification de la propriété en tant qu’institution naturelle exige qu’il doive

exister un seuil au-delà duquel la privation des propriétés conduirait à la privation de la

propriété431.

121. - Alors que « le droit positif contemporain a un grand point commun : la

référence à la fonction sociale de la propriété »432 qui justifie la relativisation de la

protection de ce droit, la Constitution chinoise est une exception. Les dispositions

constitutionnelles proclamant la protection de la propriété privée n’indiquent pas la

fonction sociale de la propriété. Certes, l’évolution de la Constitution chinoise

démontre que la reconnaissance de la propriété est dans une large mesure le résultat de

428 Louis FAVOREU, « La jurisprudence du Conseil constitutionnel et le droit de propriété proclamé par la Déclaration de 1789 », in La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, colloque des 25 et 26 mai 1989 au Conseil constitutionnel, PUF, 1989, p. 123 et s. 429 Frédéric ZÉNATI, « Sur la constitution de la propriété », D, 1985, chronique, p.171. 430 Louis FAVOREU (sous la dir. de), Nationalisations et Constitution, Economica, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 1982, p. 221, Recours des députés. 431 Michel VERPEAUX, « Le droit de propriété dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel : permanence et actualité », CJEG, 1999, p. 411 et s. 432 Yoïchi HIGUCHI, « Rapport général, les garanties de la propriété dans une mutation de la vie économique », in La propriété, journées vietnamienne, T. LIII, 2003, Société de législation comparée, 2006, p. 502.

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139

la réforme de l’économie planifiée vers l’économie de marché, à laquelle le PCC

attache sans relâche l’étiquette politique de socialisme. La propriété n’est pas

considérée comme l’institution naturelle infranchissable, mais plutôt comme

l’instrument pour le développement économique mené par l’État433, car « la réforme

est en soi la réaffectation des propriétés »434. Si la libéralisation économique a

contribué à la formation de la propriété privée, elle n’en est pourtant pas un gage. Ce

constat peut être appuyé par l’histoire de l’abolition de la propriété privée par le PCC

au début des années 50 à l’issu d’une longue période où domina la politique de

tolérance et même d’encouragement435. À l’époque contemporaine, l’abolition de la

propriété privée semble être une hypothèse irréaliste. Car, selon la doctrine actualisée,

la propriété privée est tolérée aussi longtemps que la Chine demeure au stade primaire

du socialisme. Et le Préambule de la Constitution chinoise affirme que ce stade

primaire du socialisme va durer infiniment longtemps, par conséquent, la propriété

privée sera autant tolérée. Or, la libéralisation qui s’inscrit dans le plus complexe

processus de réforme économique sociale ne se heurte pas moins aux pratiques

interventionnistes de l’État visant à réglementer les affaires économiques et sociales.

C’est dans ce contexte que les mesures trop importantes de limitation ou privation

éventuellement prises en raison du revirement de la politique économique, peuvent

conduire éventuellement à la suppression de facto de l’institution naturelle de propriété.

Car l’ensemble des politiques publiques approuvées par le PCC afin de tenter de faire

face aux effets politiques et sociaux du ralentissement économique restera

discrétionnaire, souvent caricaturé par la formule « la carotte et le bâton »436. À défaut

d’un seuil constitutionnellement reconnu en droit chinois par l’affirmation de la

433 V., Ross GARNAUT, Ligang SONG, Stoyan TENEV, Yang YAO, China’s ownership transformation, Process, Outcome, Prospects, World Bank, 2005, pp. 46 à 50; Zhiyuan CUI, « Whither China? The discourse on property rights in the Chinese reform context », Social Text 55, Vol. 16, n° 2, 1998, pp. 68 à 73. 434 Jean C. OI, Andrew G. WALDER (ed.), Property rights and economic reform in China, op. cit., p.6. 435 V., Bennis Wai-Yip SO, « The policy making and political economy of the abolition of private ownership in the early 50s: finding from new materials », The China Quarterly, 2002, pp. 682 à 703. 436 Jean-Pierre CABESTAN, « Crise asiatique et (non) réforme de l’État en Chine populaire », Revue française d’administration publique, n° 98, 2001, p. 292.

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140

propriété comme l’institution naturelle, celle-ci risque d’être réduite à néant selon la

mutation des circonstances.

122. - L’inexistence de l’affirmation de la propriété comme institution naturelle dans

la Constitution de 1982 correspond aussi à l’absence dans la pensée juridique chinoise

de la notion du droit naturel qui suppose l’idée de supériorité au droit positif. Comme

la notion de l’opposabilité des droits fondamentaux de l’homme à l’État n’est que la

métamorphose de cette idée sur le plan juridique, la propriété comme droit

fondamental s’opposant à l’État est plus douteuse aux termes des normes

constitutionnelles, d’autant que ces dernières insistent sur le caractère légal des biens

acquis par les citoyens. D’où la question sur les valeurs supralégislative et

supranationale du droit de propriété.

§ 2. – Des incertitudes sur les valeurs supralégislative et supranationale du

droit de propriété

123. - « Les libertés et droits fondamentaux vont prendre valeur supralégislative et

supranationale, leur effectivité étant garantie par divers mécanismes de recours

nationaux et internationaux »437. La Constitution chinoise, malgré sa proclamation de

la propriété privée et des droits de l’homme, demeure ambiguë quant à la valeur

juridique de ces droits. En ce qui concerne la valeur supralégislative de la propriété

privée en tant que droit fondamental, l’incertitude est liée à la condition de légalité qui

est paradoxalement imposée à la garantie constitutionnelle de ce droit (A). En ce qui

concerne l’apport du droit international à la protection de la propriété privée,

l’incertitude résulte dans une large mesure de l’ambiguïté de la relation entre droit

international et droit interne chinois en vertu des dispositions de la Constitution de

1982 (B).

437 Mireille DELMAS-MARTY, Claude Lucas DE LEYSSAC, Libertés et droits fondamentaux, 2e éd., Editions du Seuil, 2002, p. 10 ; Patrick WACHSMANN, « L’importation en France de la notion de ‘droits fondamentaux’ », RUDH, 2004, p. 46.

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141

A. – L’incertitude sur la valeur supralégislative du droit de propriété

au regard de la condition de légalité

124. - S’il est vrai que « le recours en France à la théorie des droits fondamentaux

n’a pas encore abouti à une promotion systématique de ces derniers au profit des

personnes placées dans une situation de dépendance, dans la mesure où les

améliorations récentes se limitent à la consécration des droits à l’initiative

législative »438, la Constitution chinoise semble être davantage infirmative sur la valeur

supralégislative des droits fondamentaux, y compris la propriété privée proclamée par

la révision constitutionnelle de 2004. Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel

français, si les droits fondamentaux ne sont pas absolus parce qu’ils peuvent être

conciliés avec d’autres principes constitutionnels et avec l’ordre public, le législateur

ne peut réduire leur niveau de garantie439 et ne saurait intervenir que pour les rendre

plus effectifs440. Quant à la propriété, si ce droit à caractère fondamental n’est pas

absolu et peut faire l’objet des limitations définies par la loi, ces limitations ne doivent

pas revêtir un caractère de gravité tel que l’atteinte qui en résulte dénature le sens et la

portée du droit de propriété 441 . Il en résulte qu’en droit français, la valeur

supralégislative de la propriété privée proclamée en tant que droit fondamental exige

l’existence d’un seuil au-delà duquel les limitations imposées par la loi ne sauraient

être justifiées, donc l’encadrement du pouvoir législatif en matière de restrictions à la

propriété privée. En contraste, cette notion d’encadrement du pouvoir législatif n’existe

pas dans le droit constitutionnel chinois. En effet, l’article 13, alinéa 1er de la

Constitution de 1982, en affirmant que la propriété privée légale est inviolable, met

l’accent sur la légalité des biens privés garantis par la Constitution. Par l’interprétation

438 Patrick WACHSMANN, « L’importation en France de la notion de “droits fondamentaux” », RUDH, n° 1-4, 2004, p. 48. 439 Véronique CHAMPEIL-DESPLATS, « Les droits et libertés fondamentaux en France : Genèse d’une qualification », op. cit., p. 17. 440 CC, décision n° 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984, « Entreprises de presse », ; décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, « Maîtrise de l’immigration »; décision n° 94-345 DC du 29 juillet 1994, loi relative à l’emploi de la langue française. 441 CC, décision n° 98-403 DC du 29 juillet 1998, loi d’orientation relative à la lutte contre l’exclusion, considérant n° .

Page 150: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

142

a contrario, l’adjectif « légale » semble impliquer que la propriété privée ne saurait

être garantie que lorsqu’elle est conforme à la loi442. La réserve quant à la légalité des

biens est d’ailleurs maintenue lors de la codification de la loi sur les droits réels443. Il

faut rappeler que lors de la délibération au sein du Comité permanente de l’APN, il

existait des thèses selon lesquelles la loi sur les droits réels ne saurait protéger ni les

revenus illégaux ni les biens illégalement appropriés, et que des responsabilités

administratives ou pénales seraient engagées par l’auteur d’actes illégaux dans

l’appropriation des biens444. Il faut encore souligner que l’expression de « propriété

privée légale », telle qu’elle est formulée en chinois comme « hefa de siyou caichan »,

vise non seulement à la légalité de l’acquisition des biens privés, mais aussi à la

légalité du maintien de ces biens. Il en résulte que certains biens qui ont été légalement

acquis pourraient ultérieurement devenir illégaux à la suite de la modification des lois.

Ce qui présente une menace pour la sécurité juridique des propriétaires. La condition

importante de légalité existe d’ailleurs en ce qui concerne la protection des entités

économiques non publiques. En effet, l’article 11 de la Constitution de 1982 prévoit

que « les secteurs économiques non publics, pratiqués dans les limites définies par la

loi constituent une partie importante de l’économie de marché socialiste », et que

« l’État protège les droits et les intérêts légaux des entités économiques non

publiques ».

125. - Si, en théorie, la persistance à la condition de légalité par la révision

constitutionnelle ainsi que par l’élaboration des droits réels peut se justifier par la

considération de légitimité sur l’appropriation des biens privés, il est pourtant difficile

à l’appliquer avec rigueur dans la pratique. D’autant que l’appropriation des biens

privés s’inscrivait dans un contexte où la réforme s’était mise en place sans que la

442 HAN Dayuan, « Siyou caichanquan ruxian de xianfaxue sikao (Réflexions sur la proclamation constitutionnelle de propriété privée) », op. cit., p. 15. 443 V., articles 64, 65 et 66 de la loi sur les droits réels. 444 YANG Minglun, « Wuquanfa buhui chengwei feifa caichan de baohusan (La loi sur les droits réels ne protège pas les biens illégaux) », disponible sur le site http://npc.people.com.cn/GB/28320/50638/50640/5592057.html, 9 avril 2007 ; v., aussi, CHEN Liang, « Wuquanfa chutai zaiji, siyou caichan baohu tingji zhiduhua (La protection de la propriété privée sera institutionnalisée avec l’adoption imminente de la loi sur les droits réels) », Zhongguo jingyingbao (China Business Journal), 1 novembre 2004.

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143

légalité ait été bien fondée. Le phénomène d’accumulation des richesses par les

«comportements gris », pour désigner les opérations économiques qui n’étaient ni tout

à fait légales ni tout à fait illégales, était d’une certaine manière le résultat de

l’ambiguïté des normes juridiques et de la lacune du système de droit. La situation

devient d’autant plus préoccupante que s’établit le lien entre l’appropriation des biens

privés d’une part et, d’autre part, les vols et les coulages des biens étatiques,

notamment ceux des entreprises d’État. Comme l’on a déjà constaté, « la transition

dans les entreprises d’État se caractérise aussi par des vols et des coulages

généralisés ; ces pratiques sont tellement répandues qu’elles sont perçues quasiment

comme un droit d’utiliser les avantages liés à une fonction »445. Le mécontentement du

peuple envers cette anormalité, et par conséquent leur revendication à ne protéger que

les biens privés légalement acquis, s’accentue avec le creusement de l’écart des

richesses conduit par les « comportements gris ». Si l’attente du peuple pouvait être

politiquement justifiée, à savoir redresser les actes illégaux d’appropriation ou tout au

moins les prévenir par l’amendement constitutionnel ou la législation en matière de

droits réels, il est logiquement une erreur de soumettre la garantie constitutionnelle de

la propriété à la condition de légalité. En effet, des formulations telles que « la

propriété privée légale» –dont la signification est plus large que « la propriété privée

légalement acquise »–, « dans les limites définies par la loi » et « les droits et intérêts

légaux» auxquelles emprunte la Constitution chinoise ont pour effet de renforcer le

rôle du pouvoir législatif, au lieu de lui imposer les limites. Pour les juristes chinois,

les uns considèrent qu’en se référant à la loi, la Constitution chinoise a simplement

réaffirmé le principe général selon lequel les droits individuels sont à la fois créés et

limités par la loi446. Les autres proposent toutefois la présomption de légalité des biens

privés en vue de sortir l’impasse447.

445 Antoine KERNEN, La Chine vers l’économie de marché: Les privatisations à Shenyang, Éditions Karthala, 2004, p. 134. 446 V., XIA Yong, Gongfa (Droit public), t. 1, Law Press China, 1999, p. 98 ; aussi, ZHENG Xianjun, « Jiben quanli de xianfa goucheng jiqi shizhenghua (La constitution des droits fondamentaux et leur mise en place en droit positif) », Faxue yanjiu (Chinese Journal of Law), n° 2, 2002, p. 55 ; TANG Shaojun, « The commentary on supervision over legislative power of National People’s Congress », Hebei faxue (Hebei Law Science), n° 7, 2005, pp. 109 à 112. 447 V., MENG Qinguo, « Wuquanfa ruhe baohu siyou caichan (Comment la loi sur les droits réels

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144

126. - Jusqu’au jour, la doctrine chinoise n’a pas osé douter de la suprématie de la

loi, qui permettrait toutefois au pouvoir législatif d’aménager la propriété pour les

motifs qu’il juge opportuns. Or, dans le contexte où le droit chinois est largement

instrumentalisé par l’autorité politique, notamment le PCC, la condition de légalité

imposée par la Constitution chinoise ne peut que favoriser « le produit d’une

expérience en boucle » 448. C’est-à-dire que l’intervention du pouvoir politique serait

davantage facilitée par le biais de la législation à laquelle la Constitution attache de

manière constante l’importance, quant à la protection des biens privés et des entités

économiques non publiques. La Constitution chinoise, au lieu de construire un abri

contre l’empiètement du pouvoir législatif, soumet le droit de propriété privée aux

risques d’atteinte par la loi. Reste à savoir si l’influence croissante du droit

international peut provoquer une ouverture et y apporter une solution souhaitable.

B. – L’incertitude sur l’apport du droit international

127. - Le droit international peut consolider la protection de la propriété en droit

interne chinois, dans la mesure où il comporte des normes qui imposent aux États

l’obligation de protéger la propriété, mais aussi les mécanismes de contrôle qui en

assurent l’effectivité. Certes, la fonction du droit international dépend dans une large

mesure du dispositif du droit chinois concernant les rapports entre droit international et

droit interne. Soucieux de la sauvegarde de la souveraineté étatique, le droit chinois

demeure être très prudent dans l’acceptation de la primauté du droit international par

rapport au droit interne. Alors que selon la doctrine, la globalisation économique

exigerait les États à accepter un nouveau concept de la souveraineté qui désormais

s’assimile largement « aux pouvoirs gouvernementaux de la prise des décisions »449

protège les biens privés) », Faxue (Legal Science Monthly), 2005, n° 8, p. 28 ; ZHENG Xiaomin, « Wuquanfa yu goujian shehui zhuyi shichang jingji tizhi lilun yantaohui huiyi zongshu (Compte rendu du séminaire sur la loi sur les droits réels et la théorie de l’économie socialiste de marché) », Faxue zazhi (Law Science Magazine), 2007, n° 2, p. 9. 448 Stéphanie BALME, « Juridicisation du politique et politisation du juridique dans la Chine des réformes (1978-2004) », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., p. 599. 449 J. H. JACKSON, Sovereignty, the WTO and changing fundamentals of international law, Cambridge

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145

pour réaliser des différents objectifs politiques, et par conséquent, la notion de « la

souveraineté partagée »450 pour répondre au besoin de la gouvernance globale,

l’accession de la Chine à l’OMC ne semble pas avoir conduit l’abandon de son concept

classique de la souveraineté étatique. C’est dans ce contexte que la Constitution de

1982 demeure très lacunaire en ce qui concerne la hiérarchie entre les normes

internationales et les normes internes, à l’exception des articles qui prévoient les

autorités compétentes pour conclure et ratifier les traités avec pays étrangers451. Certes,

certaines dispositions insérées dans un nombre de textes de loi contribuent à clarifier la

place des normes du droit international par rapport à celle du droit interne afin d’éviter

le conflit entre elles452. Il en résulte que les normes du droit international n’ont pas de

valeur supralégislative en Chine, leur supériorité par rapport au droit interne n’est

évidente que dans l’hypothèse où les dispositions du droit interne entrent en conflits

avec les normes internationales453. D’ailleurs, la doctrine dominante insiste sur le fait

que l’harmonisation entre le droit international et le droit interne chinois est assurée

University Press, 2006, p. 72. 450 Thomas COTTIER, Maya HERTIG, « The propsects of 21st century constitutionalism », in Thomas COTTIER (ed.), The Challenge of WTO Law: collected essays, London: Cameron May Ltd. 2007, p 448. 451 V., article 67, § 14 ; article 89, § 9. Shaping SHAO, « The theory and practice of the implementation of international law in China », in Jianfu CHEN, Yuwen LI, J. M. OTTO, Implementation of Law in the People’s Republic of China, Kluwer Law International, 2002, p.198. 452 Par exemple, dans la loi relative à l’impôt sur le revenu des entreprises à capitaux chinois et étrangers adoptée en 1980, article 16, alinéa 2, prévoit que les traités ratifiés et entrés en vigueur sont considérés comme étant intégrés dans l’ordre juridique interne et qu’ils sont directement applicables à toutes les entreprises concernées. Les Principes généraux du droit civil, par son article 142, disposent que lorsque la loi civile de la République populaire de Chine est en conflit avec des dispositions des traités que la R. P. C. a signé ou auxquels elle a adhéré, on applique les dispositions de ces traités, à l’exception des dispositions pour lesquelles la R. P. C. a émis des réserves ; lorsque les dispositions appropriées font défaut dans la loi civile chinoise ou dans les traités signés ou acceptés par la R. P. C., on applique les usages internationaux. 453 Xuefeng QI, La normalisation graduelle des rapports entre le droit chinois et le droit international public : aspects généraux et question d’intégration des normes internationales en matière d’investissements étrangers en chine, thèse, Université Laval, Canada, 2005, p. 188 ; YANG Zewei, « Lun guojifa zai woguo guoneifa shangde xiaoli (On the effect of international law on our national law) », Hebei faxue (Hebei Law Review), 1995, n° 5, pp. 17, 18.

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146

par les pratiques législative et judiciaire en Chine454, tout en contournant le problème

de hiérarchie.

128. - Quant à l’application des normes internationales dans l’ordre juridique interne,

l’incertitude réside principalement dans les incohérences des pratiques chinoises et

l’absence des critères précis : tantôt l’applicabilité directe des traités internationaux,

tantôt l’applicabilité indirecte par la législation spécifique intégrant les normes

internationales aux lois internes455. Il n’y a donc pas de distinction entre traités

self-executing et non-self-executing en droit chinois456. La porosité du droit chinois en

matière de rapport entre normes internes et normes internationales, de même que

l’ambiguïté des méthodes d’application du droit international dans l’ordre juridique

interne, peuvent par conséquent limiter le rôle du droit international sur la protection

de la propriété en Chine. Ainsi, l’impact du droit international s’inscrit dans

l’interaction entre droit international et droit interne qui varie en fonction non

seulement de la force du droit international, mais aussi de la performance du droit

interne.

454 V., DUAN Muzheng, Guoji fa (Droit international), Beijing University Press, 1989, pp.33 à 40; ZHOU Jingsheng, Guoji fa (Droit international), Pekin: The Commercial Press, 1976, pp. 16 à 20; Shaping SHAO, « The theory and practice of the implementation of international law in China », op. cit., pp. 204, 205. 455 V., notamment, ZENG Lingliang, Guoji faxue (Droit international), Renmin fayuan chubanshe, 2003, pp. 41, 42. 456 WANG Tieya, « Tiaoyue zai zhongguo falü zhidu zhong de diwei (Le statut des traités internationaux dans le système juridique chinois) », Zhongguo guojifa niankan (Annales chinoises de droit international), Law Press China, 1994, p.11.

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147

CONCLUSION DU CHAPITRE

129. - Face au vieux débat fondamental sur la légitimité de la propriété privée, la

révision constitutionnelle de 2004 semble donner sa réponse que « ce que la propriété

retire à la collectivité, elle l’ajoute à l’individu en lui permettant de résister aux

agressions que la société fait subir »457. La réforme en Chine aide à créer un espace

juridique favorable à la jouissance du droit de propriété privée. Cet espace juridique a

la fonction de stimuler la croissance économique458 et de consolider la conscience du

droit des citoyens. De la suppression à la proclamation d’inviolabilité, l’évolution du

fondement constitutionnel de la propriété privée s’inscrit dans le même mouvement de

la réhabilitation du droit en Chine. Qu’il s’agisse de gouverner l’État par le droit ou de

construire l’État de droit socialiste, le droit chinois semble néanmoins toujours être au

service de la politique. Pourtant, si le droit est à la fois un produit et un enjeu politiques,

il exerce en retour des effets sur le politique, à la fois comme cadre plus ou moins

contraignant et comme ressource dans les jeux de pouvoir et les stratégies des

acteurs459. Il est important de remarquer que l’utilité du droit suppose avant tout qu’il

soit lui-même transparent, précis, complet et effectif, au sens d’interprétation

restrictive de la rule of law460. D’où la nécessité de construire un régime juridique du

droit de propriété sur le fondement constitutionnel d’inviolabilité.

457 Rémy LIBCHABER, « La propriété, droit fondamental », in Rémy CABRIALLC, Marie-Anne FRISON-ROCHE, Thierry REVET (sous la dir. de), Libertés et droits fondamentaux, 14e éd., 2008, § 877. 458 On a constaté que « le secteur privé n’a généré des gains de productivité plus grands qu’à partir du moment où le contexte politique et juridique s’est amélioré en ce qui concerne le statut de la propriété privée. À cet égard, la propriété est cruciale à la performance économique : la Chine n’est pas une exception ». V., Vai Io LO, Xiaowen TIAN, « Property rights, productivity gains and economic growth: the Chinese experience », Post-Communist Economies, vol.14, n° 2, 2002, p. 256. 459 Jacques CAMMAILLE, Laurence DUMOULIN, Cécile ROBERT, La juridicisation du politique, Leçons scientifiques, LGDJ, 2000, p. 21. 460 V., Randall PEERENBOOM, « Let one hundred flowers bloom, one hundred schools contend: debating rule of law in China », 23 Mich. J. Int’l L. 471, pp. 478 à 480; Jiangyu WANG, « The rule of law in China: A realistic view of the jurisprudence, the impact of the WTO, and the prospects for future development », 2004 Sing. J. Legal Stud. 347, p. 351.

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148

CHAPITRE II. – LA CONSTRUCTION DU RÉGIME JURIDIQUE

DU DROIT DE PROPRIÉTÉ

130. - Le 16 mars 2007, lors de la 5e session du Xe APN, a été adoptée la loi sur les

droits réels qui est entrée en vigueur le 1er octobre 2007. Cette loi marque une nouvelle

étape de la réforme juridique en matière de droit des biens en Chine. L’adoption de la

loi sur les droits réels est d’autant plus significative qu’au regard de la révision

constitutionnelle proclamant l’inviolabilité des biens privés des citoyens. Après la

reconnaissance constitutionnelle de la légitimité de la propriété privée, la loi sur les

droits réels vient consolider ce droit par la construction du régime juridique du droit

des biens. En regroupant les règles relatives à la propriété (SECTION I), à l’usufruit

(SECTION II) et à la mutation des droits réels (SECTION III), la loi sur les droits réels

constitue désormais le droit commun des biens en Chine. Étant donné que la majorité

des dispositions existent déjà dans divers textes législatifs et réglementaires, la

promulgation de la loi sur les droits réels résulte d’une certaine manière de la

compilation des normes en la matière. Mais cela n’empêche pas que l’élaboration de la

loi sur les droits réels (SECTION PRÉLIMINAIRE) effectue d’importants apports à la

construction du régime juridique du droit de propriété.

SECTION PRÉLIMINAIRE. – L’ÉLABORATION DE LA LOI SUR

LES DROITS RÉELS

131. - L’avènement de la loi sur les droits réels n’est pas linéaire, controverses

doctrinales, parfois débats entre les différentes sensibilités ont pu y imposer leur

impact au cours de la rédaction de cette loi. Les traces de la prudence, du compromis

ou du choix du législateur apparaissent dans le texte de la loi, autour de certains thèmes

importants d’ordre juridique (§ 1) mais aussi politique (§ 2).

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149

§ 1. – L’aspect juridique de l’élaboration de la loi sur les droits réels

132. - Le régime juridique du droit des biens se construit au fur et à mesure des

réformes dans les années 80. De nombreuses lois déjà promulguées comportent les

normes relatives au droit des biens. Ce dernier trouve ses multiples sources

législatives dans les Principes généraux du droit civil en 1986 qui « jouaient le rôle de

loi fondamentale en matière civil »461 et qui incluent les règles de droit des biens dans

la section « [D]roit de propriété et droits patrimoniaux relatifs au droit de

propriété »462. Des lois civiles spéciales, telle que la loi sur les sûretés de 1995,

prévoient pour la première fois la distinction entre biens meubles et immeubles463 ; la

loi sur le commerce maritime adoptée en 1992 dispose des règles relatives à la

propriété des navires464 ; la loi sur l’aviation civile adoptée en 1995 prévoit les règles

relatives à la propriété des avions465 . Des législations dans la catégorie de droit public,

quant à elles, posent aussi les normes de droit des biens : la loi sur l’administration du

sol adoptée en 1986 466 précise l’appartenance et la gestion du sol de propriété

publique ; la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines

prévoit les dispositions concernant les droits d’usage du sol de propriété d’État ; la loi

sur l’exploitation forfaitaire du sol rural adoptée en 2002 définit la notion et le contenu

de la propriété collective du sol rural. Ces multiples sources législatives et les divers

règlements administratifs ont peu ou prou des incidences sur l’exercice du droit des

biens467.

461 LIANG Huixing, Minfa zonglun (Introduction générale du droit civil), révisé, Law Press China, 2004, p. 45. 462 V., articles 71 à 83 des Principes généraux du droit civil. 463 V., article 92 de la loi sur les sûretés. 464 V., articles 7 à 10 de la loi sur le commerce maritime. 465 V., articles 14, 15 de la loi sur l’aviation civile. 466 La loi sur l’administration du sol a été successivement révisée en 1988, 1998 et 2004. 467 Par ex., le Règlement sur l’administration des habitations privées dans les zones urbaines met en place le régime d’enregistrement des biens ; le Règlement provisoire sur la concession et l’attribution du droit d’usage du sol de propriété d’État précise les modalités et conditions applicables à la constitution du droit d’usage du sol étatique.

Page 158: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

150

133. - Dans « la relance de l’entreprise de codification du droit civil chinois » 468, la

rénovation du droit des biens était envisagée par le législateur469. Dans le projet de

Code civil déposé à l’APN en décembre 2002, un livre était consacré aux biens470.

L’idée de rédiger un Code civil n’était pas nouvelle en Chine et certaines tentatives

avaient été faites en ce sens dans le passé. Cependant, les soubresauts du contexte

politique avaient pour effet d’empêcher qu’elles aient été menées à terme 471. À

l’époque contemporaine, si pour une nouvelle fois un consensus s’est formé eu égard à

la nécessité d’un Code civil pour la Chine, « la signification, le contenu et les enjeux

de ce dernier diffèrent sensiblement entre les juristes civilistes chinois dans travaux

préparatoires » 472 débuté au milieu des années 90. Face à ces désaccords techniques,

le Comité permanent de l’APN a opté pour l’approche de compilation, c’est-à-dire

d’élaborer et d’adopter successivement des lois spéciales qui seront ultérieurement

intégrées dans le futur Code civil chinois sous forme de livres. « L’élaboration de la

loi sur les droits réels figurait donc dans l’agenda des travaux législatifs de l’APN,

suite à la suspension des travaux préparatoires du Code civil chinois»473.

468 Jiayou SHI, La codification du droit civil chinois au regard de l’expérience française, LGDJ, 2006, p. 217. 469 Sur le processus d’élaboration de la loi sur les droits réels, v., WANG Liming, DIAO Ying, « Les particularités de la loi relative au droit réel et l’expérience chinoise en la matière », Gazette du Palais, 21 juin 2008 n° 173, pp. 23 à 26. 470 V., GU Angran, « Guanyu zhonghuarenmingongheguo minfa caoan de shuoming (Explications du projet de Code civil de la République populaire de Chine) », disponible sur le site http://www.law-lib.com/fzdt/newshtml/20/20050710163416.htm, consulté le 14 mars 2008. L’idée de rédiger un Code civil n’est pas nouvelle en Chine, et certaines tentatives ont été faites en ce sens dans le passé. Cependant, les soubresauts du contexte politique ont eu pour effet d’empêcher qu’elles soient menée à termes. 471 V., Edward J. EPSTEIN, « Codification of civil law in the People’s Republic of China: Form and substance in the reception of concepts and elements of western private law », 32 U.B.C. L. Rev. 153, p. 155; XU Baikang, « Les principes généraux du droit civil en Chine », Revue Internationale de Droit Comparé, 1989, n° 1, p. 125. 472 V., Hélène PIQUET, La Chine au carrefour des traditions juridiques, op. cit., pp. 202 à 212 ; LIANG Huixing, « Minfadian zhiding de santiao silu (Trois courants de pensée relatifs à l’élaboration du Code civil) », Peking University Law Journal(Zhongwai faxue), 2001, n° 1, pp. 5 à 17 ; LIANG Huixing, «Zhongguo minfadian bianzuan de jicheng yu zhenglundian (Le processus de l’élaboration du Code civil chinois et les controverses) », disponible sur le site http://www.iolaw.org.cn/shownews.asp?id=42, consulté le 12 mars 2004. 473 LIANG Huixing, « Zhongguo wuquanfa de zhiding (L’élaboration de la loi sur les droits réels) », Shanxi daxue xuebao zhexue shehuikexue ban(Journal of Shanxi University, Phylosophy & Social

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151

134. - Dans les travaux préparatoires, des juristes étaient désignés pour rédiger

l’avant-projet de la loi474, les opinions publiques étaient sollicitées et recueillies par le

Comité permanent de l’APN475, en vue d’assurer la rationalité de la future loi et « le

caractère démocratique de la législation par la participation spontanée du peuple à la

politique » 476. L’approche comparative était largement utilisée par les auteurs du

projet de loi. On peut y voir des emprunts aux droits des familles aussi bien

romano-germanique que common law comme un élément en accord avec « le besoin

d’un Code du XXIe siècle »477. En effet, si la définition de la propriété par ses attributs

à savoir l’usus, l’abusus et le fructus se rapproche davantage des droits de tradition

civiliste, les dispositions concernant les sûretés réelles sont beaucoup plus inspirées par

le common law478, en reconnaissant, par exemple, le gage flottant dans l’article 181.

Derrière la loi sur les droits réels, partie qui sera importante dans le futur Code civil,

les intentions du législateur consistaient à entériner par mesure de codification les

changements survenus dans la société chinoise depuis le début des réformes mais aussi,

de manière plus ambitieuse, de mettre fin au pouvoir discrétionnaire de

Science), Vol. 25, n° 2, p. 30. 474 Un équipe de travaux préparatoires a été composé, dont les neuf membres sont JIANG Ping, WANG Jiafu, LIANG Huixing, WEI Zhenying, WANG Baoshu, WANG Liming, FEI Zongyi, XIAO Xun, WEI Yaorong, les six premiers étant professeurs universitaires. 475 Le projet de loi sur les droits réels a été publié par le Comité permanent de l’APN le 8 juillet 2005, les citoyens pouvaient y adresser leurs voix écrites jusqu’au 20 août 2005. V., reportage du China Radio International, « Le projet de la loi du “Droit réel” reçoit plus de 6500 propositions en deux semaines », disponible sur le site http://french.china.org.cn/news/txt/2005-07/28/content_2186796.htm, consulté le 28 juillet 2005. 476 CAI Dingjian, « The development of constitutionalism in the transition of Chinese society», Columbia Journal of Asian Law, vol. 19, n° 1, 2005, pp. 10, 11. 477 JIANG Ping, « Zhiding minfadian de jidian hongguan sikao (Quelques réflexions sur l’élaboration du Code civil) », Zhengfa luntan (Tribune of Political Science and Law), 1997, n° 3, pp. 27, 28. V., aussi, WANG Zhenmin, « The roman Law tradition and its future development in China », Frontiers L. China (2006) 1, pp. 72 à 78; ZHU Jingwen, « Legal transplantation in the judicature: Employing foreign laws in China’s judicial practice», Frontiers L. China (2006) 1, pp. 112 à 120; LIANG Huixing, « Zhongguo dui waiguo mifa de jishou (La transplantation des droits civils étrangers en droit chinois) », disponible sur le site http://www.usc.cuhk.edu.hk/wk_wzdetails.asp?id=2277, consulté le 14 mars 2008. 478 V., WANG Liming, « Danbao wuquan zhidu de fazhan yu woguo wuquanfa cao’an (Le développement du droit des sûretés réels et le projet de loi sur les droits réels chinois) », Journal of Shanxi University, Philosophy & Social Sicence (Shanxi daxue xuebao, zhexue shehui kexue ban), 2006, n° 4, pp. 1 à 8.

Page 160: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

152

l’administration et des juges 479 . Le désir de rupture avec l’ancien ordre est

particulièrement présent en matière de droit de propriété, l’un des éléments

idéologiques clés du droit chinois : le régime public n’étant pas aboli, la nouveauté

réside dans l’ajout d’autres formes de propriété qui sont reconnues en droit ou en

pratique. À cet égard, la loi sur les droits réels n’est pas une loi ordinaire, « elle

marque l’aboutissement de la culture juridique issue de vingt ans de réformes en

Chine »480. En témoigne la réaffirmation de la protection de la propriété privée, qui

peut être considéré comme l’un des apports majeurs de la loi sur les droits réels481.

Issue de la « logique d’un changement progressif »482, la loi de 2007 est désormais le

«droit commun des biens »483 en Chine.

479 Hélène PIQUET, La Chine au carrefour des traditions juridiques, op. cit., p. 215, 221 ; WANG Liming, « Lun woguo minfadian de zhiding (À propos de l’élaboration du Code civil chinois) », Zhengfa luntan (Tribune of Political Science and Law), 1998, n° 5, p. 47. 480 YIN Tian, « Lun zhongguo minfa de fadianhua (À propos de la codification du droit civil en Chine) », Zhengzhi yu falü (Political Science and Law), 2006, n° 2, p. 64. 481 MENG Qinguo, «Wuquanfa ruhe baohu jiti caichan ? (Comment protéger la propriété collective par la loi sur les droits réels) », Faxue (Law Science Monthly), n° 1, 2006, pp. 72 à 77; v., aussi reportage du China Daily, « Making Mencius’ saying a reality », 3 octobre 2008, p. 8. 482 Judith GIBSON, Bertrand DU MARAIS, Réformes du droit économique et développement en Asie, La Documentation française, 2007, p. 227. 483 La loi sur les droits réels est un droit commun des biens en droit chinois, puisqu’en vertu des articles 8 et 178 de la loi de 2007, si d’autres lois, à l’exception de la loi sur les sûretés, contiennent des dispositions spéciales sur les droits réels, celles-ci s’appliquent. On a considéré que la primauté de la loi sur les droits réels ne jouerait pas en ce qui concerne les dispositions relatives aux droits patrimoniaux contenus dans les Principes généraux de droit civil de 1986. V., Xiao-Ying LI-KOTOVTCHIKHINE, « Entre économie de marché et socialisme : la nouvelle loi chinoise sur les biens », Petites Affiches, 28 août 2007, n° 172, p. 3.

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153

135. - Par les 247 articles répartis dans dix-neuf chapitres et en cinq titres484, la loi

sur les droits réels donne la distinction fondamentale des biens entre meubles et

immeubles485, la définition du droit réel donne à son titulaire un pouvoir immédiat et

exclusif sur une chose, ainsi que la différenciation des droits réels entre la propriété,

l’usufruit et les sûretés 486 . La loi sur les droits réels apporte également des

modifications aux règles déjà existantes relatives aux sûretés réelles 487 et à la

484 La structure de la loi sur les droits réels s’organise comme suite : Titre Ier . – Règles générales Chapitre 1. – Principes fondamentaux Chapitre 2. – De l’acquisition, de la modification, de la transmission et de l’extinction des biens Section 1. – De l’enregistrement des immeubles Section 2. – De la remise des meubles Section 3. – D’autres dispositions Chapitre 3. – De la protection des droits réels Titre II . – Des propriétés Chapitre 4. – Dispositions générales Chapitre 5. – De la propriété d’État, de la propriété collective et de la propriété privée Chapitre 6. – De la copropriété des immeubles bâtis Chapitre 7. – Les rapports de voisinage Chapitre 8. – De l’indivision Chapitre 9. – Des règles spéciales sur l’acquisition de propriété Titre III. – De l’usufruit Chapitre 10. – Dispositions générales Chapitre 11. – Du droit d’exploitation forfaire des terres Chapitre 12. – Du droit d’usage des terres pour construction Chapitre 13. – Du droit d’usage des terres pour construction d’habitation familiale Chapitre 14. – Des servitudes Titre IV. – Des sûretés réelles Chapitre 15. – Dispositions générales Chapitre 16. – Des hypothèques Section 1. – De l’hypothèque de droit commun Section 2. – De l’hypothèque avec plafond Chapitre 17. – Des sûretés sur les meubles Section 1. – Du gage de meubles corporels Section 2. – Du nantissement Chapitre 18. – De la propriété retenue à titre de garantie Titre V. – De la possession Chapitre 19. – De la possession 485 V., l’article 2, alinéa 2 de la loi sur les droits réels. 486 V., l’article 2, alinéa 3 de la loi sur les droits réels. 487 La loi sur les sûretés réelles adoptée en 1995 n’est plus applicable avec l’entrée en vigueur de la loi sur les droits réels. Les sûretés étaient pendant longtemps considérées en droit chinois comme droits

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154

possession, avec en tête les règles générales introduisant les modalités de mutation de

la propriété et les principes relatifs à la protection des biens.

136. - « Les propriétés » et « l’usufruit » sont les deux titres principaux de la loi sur

les droits réels, leur juxtaposition confirme le constat selon lequel « la propriété est la

prérogative de principe » qui s’oppose aux « droits sur la chose d’autrui »488. Comme

le professeur Gérard CORNU l’a indiqué, « par la coexistence de la propriété et

l’usufruit sur une même chose, l’indépendance de l’usufruitier et du nu-propriétaire

forme la base de leurs rapports. Le devoir de respect mutuel est le contrepoint de cette

indépendance ». Outre ces rapports de droit, il existe entre l’usufruitier et le

nu-propriétaire les rapports d’intérêts qui se caractérisent à la fois par « la divergence

et l’union et conciliation des intérêts »489. Si l’on garde à l’esprit l’enseignement de

Gérard CORNU pour regarder de près l’opposition entre le droit de propriété et

l’usufruit en droit chinois, l’approche de « propriété démembrée » 490 revêt une

signification particulière. En effet, en droit chinois, il n’existe pas de définition unique

accessoires aux créances, et n’étaient pas considérées comme des droits réels, ce qui est démenti par la loi sur les droits réels. En droit français, « la sûreté réelle est la technique spécifique de sûreté visant cumulativement, d’une part, la rupture d’égalité, qui est réalisée par le droit de préférence, et, d’autre part, l’affectation de biens au paiement de la dette, qui est réalisée corrélativement, par le droit de prélèvement prioritaire sur la valeur du bien » (Jacques MESTRE, Emmanuel PUTMAN, Marc BILLAU, Droit commun des sûretés réelles, Traité de droit civil, LGDJ, 1996, §12). La nature juridique de droit réel des sûretés n’est pas sans aucun doute. Comme on l’a constaté, les sûretés « ne procèdent pas d’un véritable démembrement de la propriété, puisque leur véritable objet est le droit du constituant sur le bien grevé et qu’ils permettent seulement d’en appréhender la valeur et non de bénéficier des utilités qu’il peut offrir » (Michel CABRIALLC, Christian MOULY, Droit des sûretés, 7e éd., Litec, 2004, §504), ou bien « La doctrine classique classe les sûretés réelles parmi les droits réels accessoires. Les raisons de remise en cause de l’affirmation existent pourtant » (Dominique LEGEAIS, Sûreté et garanties du crédit, 5e éd., LGDJ, 2006, §379). Une réforme de grande ampleur du droit des sûretés a été opérée par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 : Livre IV « Des Sûretés » a été créé au Code civil, qui regroupe toute la matière des sûretés (Pierre VOIRIN, Gilles GOUBEAUX, Droit civil, t. 1, 31e éd., LGDJ, 2007, §1339). « Bien que la notion de “sûreté réelle” n’ait pas été définie par le législateur », la doctrine s’accorde sur ce qu’ «il s’agit de l’affectation d’un ou plusieurs biens d’un débiteur» (Christophe ALBIGES, Marie-Pierre DUMONT-LEFRAND, Droit des sûretés, Dalloz, 2007, §336). De ce fait d’affectation, ou leur nature comme « droits réels accessoires à une créance » (Francine MACORIG-VERNIER, Droit civil : Les sûretés, 1re éd., L’hermès, 1999, §24), la présente thèse ne traite pas spécifiquement des sûretés réelles intégrées dans la loi sur les droits réels. 488 Frédéric ZENATI-CASTAING, Thierry REVET, Les biens, op. cit., §161. 489 Gérard CORNU, Droit civil, Les biens, 13e éd., Montchrestien, 2007, §64. 490 François TERRÉ, Philippe SIMLER, Droit civil, Les biens, 7e éd., Dalloz, 2006, §773.

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155

de la propriété, mais « les propriétés » du fait de la catégorisation maintenue par la loi

sur les droits réels, à savoir propriété d’État, propriété collective et propriété privée. En

cohérence avec cette catégorisation, il existe un déséquilibre entre la propriété publique

et la propriété privée au regard de leurs objets : le sol et les ressources naturelles sont

en principe les objets de la propriété d’État ou de la propriété collective, par

conséquent, alors que tous les biens sont meubles ou immeubles, la propriété des

personnes privées sur les immeubles est réduite. La propriété privée ne peut pas porter

sur le sol et les ressources naturelles qui sont propriété d’État ou propriété collective.

Les droits d’usage, désormais intégrés au régime juridique de l’usufruit, prennent donc

de l’importance dans la mesure où ils peuvent contribuer à rééquilibrer le rapport entre

l’État, les collectivités et les personnes privées à l’égard de la répartition des droits

immobiliers491.

137. - Certes, de nombreux points ont permis le consensus entre les juristes chinois

mais bien d’autres les ont divisés. Il s’agissait d’abord de la question de savoir s’il

fallait intégrer la propriété intellectuelle dans la loi sur les droits réels. Au moment de

l’élaboration de la loi sur les droits réels, la Chine avait promulgué les lois et

règlements relatifs à la propriété intellectuelle, comme la loi sur les droits d’auteur, la

loi sur les brevets, la loi sur les marques, etc. Certains professeurs, comme ZHENG

Chengsi, beaucoup inspiré du droit français, avait vigoureusement soutenu

l’intégration de la propriété intellectuelle au projet de la loi sur les droits réels, au lieu

de limiter celle-ci aux biens meubles ou immeubles corporels. Selon le professeur

ZHENG, «la propriété n’étant qu’un élément de la catégorie juridique plus large de

biens qui englobent les biens corporels ou incorporels », et « la Chine devrait élaborer

une loi sur les biens au lieu d’une loi sur la propriété » 492. L’adversaire LIANG

Huixing, qui s’est attaché beaucoup à la structure du BGB, a insisté pour que le champ

d’application de la loi se limite aux droits réels et a critiqué l’élargissement du

491 GAO Fuping, « Wuquanfa de shige jiben wenti : wuquan fa caoan xiugai yijian (Les dix questions fondamentales du droit des biens, propositions de modification du projet de loi sur les droits réels) », Faxue (Law Science Monthly), 2005, n° 8, p.36. 492 ZHENG Chengsi, HUANG hui, « Faguo minfadian zhong de caichanquan gainian yu zhongguo lifa de xuanze (La notion des biens dans le Code civil français et l’orientation de la législation en Chine) », Zhishi chanquan (Propriété intellectuelle), n° 3, 2002, pp.9 à 11.

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156

domaine du projet de loi à la propriété intellectuelle493. Il convient de souligner que la

divergence porte moins sur l’importance de la propriété intellectuelle dans le système

juridique chinois que sur la structure et l’étendu de la loi sur les droits réels, ainsi que

du futur Code civil chinois494. La position de la loi sur les droits réels promulguée en

2007 consiste à limiter l’application de la loi aux biens corporels, tout en admettant la

possibilité des biens incorporels comme l’objet du droit réel en vertu des dispositions

législatives spécifiques495. Il s’agit notamment des règles relatives au nantissement qui

peut porter sur la propriété intellectuelle496. À cet égard, la loi sur les droits réels n’a

pas accepté la notion des biens telle que retenue en common law qui intègre la

propriété intellectuelle mais aussi d’autres droits qui ne portent pas nécessairement sur

la chose497.

§ 2. – Les débats politiques sur la constitutionalité de la loi sur les droits

réels

138. - Les débats sur la constitutionnalité de la loi sur les droits réels étaient

déclenchés par M. GONG Xiantian, professeur de droit à l’Université de Pékin, qui

proposait dans sa lettre ouverte à l’APN et à son Comité permanent d’examiner la

compatibilité du projet de loi avec la Constitution de 1982498. Selon le raisonnement de

l’auteur, le projet de loi n’insistait pas sur le principe selon lequel «la propriété

publique est sacrée et inviolable », en légalisant les droits réels privés, elle constituait 493 LIANG Huixing, «Shi zhiding wuquanfa haishi zhiding caichanfa ? Zhengchengsi jiaoshou de jianyi yinfa de sikao (Faut-il élaborer une loi des biens ou une loi sur les droits réels ? Réflexions soulevées par la suggestion du professeur ZHENG Chengsi) », in LIANG Huixing, Wei zhongguo minadian er douzheng (Combat pour le Code civil chinois), Law Press China, 2002, p. 76. 494 V., Jiayou SHI, La Codification du droit civil chinois au regard de l’expérience française, op. cit., pp. 233 à 235. 495 V., article 3 de la loi sur les droits réels. 496 V., article 223, paragraphe 5 de la loi sur les droits réels. 497 V., Alain A. LEVASSEUR, « The boundaries of property rights: la notion des biens », 54 Am. J. Comp. L. 145, p.155. 498 V., GONG Xiantian, « Yibu weifan xianfa de wuquanfa caoan (Un projet anticonstitutionnel de loi sur les droits réels ) », lettre au public disponible sur le site http://www.chinaelections.org/NewsInfo.asp?NewsID=45986, consulté le 20 janvier 2009.

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157

la tentative de privatisation des moyens de production au détriment de la propriété

publique. L’auteur contestait également que la majorité des dispositions du projet de loi

sur les droits réels se focalisaient sur la protection des biens privés, sans pour autant

suffisamment tenir compte de la sauvegarde des biens publics qui ne cessaient d’être

érodés dans la vie économique quotidienne. Selon l’auteur, le projet de loi s’identifiait

essentiellement à celui du Code de droits réels en vigueur dans la République de Chine

sous l’ancien régime de Parti nationaliste (Guomindang), alors que ce régime politique

fut déjà renversé par le Parti communiste chinois et son Code des droits réels fut aboli

comme le symbole de l’hégémonie bourgeoise. En d’autres termes, selon le professeur

GONG, la future loi sur les droits réels ne bénéficierait qu’aux riches et présenterait

une réelle menace aux intérêts des pauvres. En résumé, l’adoption de la loi sur les

droits réels entraînerait le recul de l’histoire en contredisant le principe constitutionnel

de l’hégémonie du prolétariat. On observe que la contestation de GONG Xiantian est

moins juridique qu’idéologique, provoquant des controverses sur la légitimité de la loi

sur les droits réels au regard notamment de la relation entre l’économie socialiste basée

sur l’appropriation publique des moyens de production et la propriété privée499.

139. - Les hauts dirigeants de l’APN, sensibilisés par la lettre ouverte, décidèrent de

ralentir la procédure législative afin de mieux cerner le problème et recueillir le

consensus en la matière500. La lettre ouverte fut vivement critiquée par les civilistes qui

soutinrent le principe d’égalité entre propriété publique et propriété privée501. D’autres

499 V., Joseph KAHN, « A sharp debate erupts in China over ideologies », New York Times, 12 mars 2006, « Caught between right and left, town and country », Economist, 10 mars 2007, Vol. 382; Peter FORD, « China’s great leap forward on property », Christian Science Monitor, 15 mars 2007, Vol. 99; Peter KWONG, « China’s neolibral Dynasty », Nation, 2 octobre 2006, Vol. 283, n° 10, pp. 20 à 22. 500 Suite à une publication du projet de loi sur les droits réels en juillet 2005, le Comité permanent entendait le présenter à la session plénière de l’APN au mois mars 2006 pour la mise aux voix mais la survenue de la lettre ouverte de GONG Xiantian a bloqué le déroulement de la procédure ainsi programmée, quand bien même l’officier de l’APN ne l’a jamais avoué. V., Reportage de LIAO Weihua, « QIAO Xiaoyang : Le projet de loi sur les droits réels sera voté en 2007 », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/legal/2006-03/13/content_4296243.htm, consulté le 6 avril 2008. 501 Un séminaire intitulé « La loi sur les droits réels et la construction d’une société harmonieuse » fut tenu à la faculté de droit de l’Université du Peuple (Remin daxue), dont l’objectif était de contre-attaquer la lettre ouverte de GONG Xiantian, v., reportage LI Li, WANG Xingya, «Minfa quanwei liting wuquanfa caoan, zhiyi zhizhi gongxiantian gongkaixin (Les grands civilistes soutiennent le projet de loi et mette en question la lettre ouverte) », Zhongguo qingnianbao (China Youth

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158

considérèrent qu’il exista des doutes sérieux sur la constitutionnalité du projet de loi

sur les droits réels, « il [est] souhaitable que l’APN clarifie la question en adoptant des

interprétations constitutionnelles »502. Le législateur chinois fut aussi sensibilisé par

les indignations de M. GONG Xiantian. À la suite de la publication de la lettre ouverte,

certaines dispositions du projet de loi furent remaniées en vue de renforcer la

protection des biens étatiques, M. WU Bangguo, Président de l’APN, donna son

instruction mettant en avant que « les acteurs économiques appartenant à l’État

forment la force dirigeante de l’économie nationale et les biens étatiques sont la

propriété du peuple entier »503. Mais renforcer la garantie de la propriété publique par

la loi sur les droits réels ne peut qu’être la réponse partielle aux contestations de

GONG Xiantian. Selon ce dernier, la possibilité pour la propriété privée de neutraliser

la propriété publique –entendue comme l’expression de l’appropriation publique des

moyens de production– qui elle-même est à la base du socialisme, rend toujours

critiquable la loi sur les droits réels. Dans les courants de pensées tentant de dépasser

les controverses idéologiques, il faut souligner celui très typique de YANG Jingyu,

Président du Comité des lois de l’APN à l’époque, selon lequel « la loi sur les droits

réels s’inscrit dans la propriété publique des moyens de production et traduit le

caractère du socialisme à l’étape préliminaire, par conséquent, se distingue des droits

de biens capitalistes »504. Mais la question de savoir « dans quelle mesure la libre

appropriation des biens serait tolérée par la propriété publique, en d’autres termes

l’étendu de la propriété privée reste indéterminé par la loi sur les droits réels»505, car il

Daily), 28 février 2008. 502 TONG Zhiwei, « Wuquanfa gai ruhe tongguo xianfa zhimen (Comment le projet de loi sur les droits réels passe l’examen de constitutionnalité) », Faxue (Legal Science Monthly), n° 3, 2006, p. 20. 503 Le Comité permanent de l’APN a pris en compte la lettre ouverte de GONG Xiantian, par la suite, un forum a été organisé par le Comité permanent au mois septembre pour discuter la modification du projet de loi sur les droits réels. Le président de l’APN, WU Bangguo qui a présidé le forum, soulignait que la future loi sur les droits réels doit veiller à la protection des biens publics contre diverses atteintes, détournements et gaspillages. V., Discours de WU Bangguo lors du forum sur la modification du projet de loi, 26 septembre 2005, disponible sur le site http://www.npc.gov.cn, consulté le 6 avril 2008. 504 YANG Jingyu, « Yibu juyou lichengbei yiyi de falü : wuquanfa chutaide beijing he yiyi (Une loi de pierre angulaire : l’arrière plan et la signification de la loi sur les droits réels) », Qiushi(Périodique du Comité central du PCC), 2005, n° 9. 505 QU Tao, « Wuquan gainian cong fouding dao kending de lishi (L’histoire de la négation à l’affirmation de la notion de droits réels) », Fazhi ribao(Legal Daily), 20 juillet 2005.

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159

s’agit d’une question politique plutôt que juridique. Si la loi sur les droits réels a réussi

à contourner la question, celle-ci peut ressurgir dans d’autres domaines du droit chinois

qui sont davantage influencés par l’internationalisation du droit506.

SECTION I. – LES PROPRIÉTÉS

140. - Avant la promulgation de la loi sur les droits réels, les Principes généraux du

droit civil promulgués en 1986 étaient la principale source juridique en matière de droit

de propriété. Par son article 71, la propriété est définie comme étant le droit de la

posséder, de l’utiliser, d’en disposer et d’en percevoir les fruits. Cette définition est

reprise par l’article 39 de la loi sur les droits réels. Il convient de souligner parmi les

quatre prérogatives ainsi reconnues au propriétaire, le droit d’utiliser et de tirer profit

des biens correspondant à la jouissance, le droit de disposer de ses biens constitue donc

la disposition consacrée par l’article 544 du Code civil français. Il existe toutefois une

nuance en ce qui concerne la possession : en droit français, la possession est un mode

de sélection du propriétaire préférable dans la mesure où le comportement et l’état

d’esprit d’un propriétaire peuvent suffire pour engendrer la propriété507, tandis que le

droit chinois reconnaît la possession comme l’un des prérogatives du propriétaire. La

possession de fait –pour la distinguer avec la possession comme l’un des attributs de la

propriété– est traitée dans le dernier chapitre de la loi sur les droits réels. La doctrine

civiliste dominante en Chine ne considère pas la possession de fait comme un droit réel,

mais admet son importance à l’égard de la protection des intérêts des possesseurs.

Selon le professeur WANG Liming, le rôle de la possession « consiste à la

préservation de l’ordre de l’occupation et la prévention de la privation ou de l’atteinte

à l’occupation aux fins de préserver l’ordre matériel et la sécurité de la société »508. Il

en résulte que « toute occupation, même si elle est illégale, fait l’objet de la protection

du système. En dehors d’organes d’État qui peuvent, selon les lois, priver l’occupation 506 V., infra, n° 622 et s. 507 V., Christian ATIAS, Droit civil, Les biens, 8e éd., Litec, 2005, n° 304. 508 WANG Liming, DIAO Ying, « Les particularités de la loi relative au droit réel et l’expérience chinoise en la matière », op. cit., p. 26.

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des objets des occupants, personne ne peut confisquer ni s’emparer des objets des

occupants, à défaut les occupants ont le droit de demander la protection juridique »509.

Il s’agit donc de la protection possessoire qui se distingue du pétitoire. C’est au nom de

la paix sociale que la loi sur les droits réels met en place la protection possessoire en

matière mobilière et immobilière. Les actions possessoires sont conçues en fonction

des particularités des troubles. Elles comportent la dénonciation qui s’exerce à titre

préventif contre un trouble imminent, la réintégration qui peut être demandée en cas de

dépossession, la complainte qui est recevable en cas de trouble actuel et constitue une

mesure de protection curative du possesseur. D’ailleurs, la loi des réels prévoit la

protection du possesseur contre des faits dommageables qui n’implique pas une

prétention contraire à sa situation. Cette dernière protection relève du droit de la

responsabilité civile510.

141. - Il faut souligner que la codification à la fin de Dynastie Qing a pu importer en

Chine la notion de droits réels en matière civile, ce qui reflète l’impact de la tradition

romano-germanique sur le droit chinois511. Certes, suite à l’abolition des codes du

gouvernement du Parti nationaliste (Guomindang), la législation civile fut plus

largement influencée par le droit soviétique512. La notion de droits réels fut longtemps

ignorée en droit civil chinois, sauf à être évoquée dans la doctrine civiliste chinois513.

Ainsi en est-il, les Principes généraux du droit civil rassemblent les règles relatives aux

biens dans la section première du Chapitre 5 intitulé « Du droit de propriété et d’autres

droits sur les biens en rapport avec le droit de propriété », sans pour autant utiliser

l’expression de droits réels514. Le premier apport de la loi sur les droits réels réside

donc en la définition des droits réels qui sont « les droits de disposer des biens

509 Ibid. 510 V., article 244 de la loi sur les droits réels. 511 QIAN Mingxing, Wuquanfa yuanli (Théorie générale sur les droits réels), Peking University Press, 1994, p. 89. 512 V., Albert H. Y. CHEN, «Socialist law, civil law, common law, and the classification of contemporary Chinese law», in J. M. OTTO (et al.), Law-making in the P. R. C., op. cit., pp. 57, 61. 513 V., par ex., WANG Liming, GUO Mingrui, WU Handong, Minfa xinlun (Nouveau traité de droit civil), vol. 2, Zhongguo zhengfa daxue chubanshe, 1988, p. 19. 514 Thierry PAIRAULT, « Droit de propriété et réforme du secteur d’État », Étude chinoises, n° 1-2, 2001, p. 12.

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161

conformément à la loi et de manière exclusive»515. L’exclusivité des prérogatives du

propriétaire est donc pour la première fois reconnue en droit chinois. Il importe aussi

que la loi sur les droits réels accepte la division fondamentale des meubles et des

immeubles516 . Par l’article 223, la loi sur les droits réels semble impliquer la

distinction entre les meubles corporels et les meubles incorporels qui sont les droits

mobiliers. Ces derniers comportent les créances mobilières, les parts sociales, brevets,

marques, droits d’auteur et d’autres droits patrimoniaux peuvent faire l’objet du

nantissement conformément aux dispositions légales517. Cependant, la valeur juridique

de la distinction meuble et immeuble est relativisée, face à la catégorisation des

propriétés en trois sortes : la propriété d’État (Sous-section 1), la propriété collective

(Sous-section 2) et la propriété des personnes privées (Sous-section 3), qui demeure la

division fondamentale des biens en droit chinois, mais aussi l’une des particularités de

la législation chinoise en matière de droits réels518.

Sous-section 1. – La propriété d’État

142. - La propriété d’État est définie aussi bien par la Constitution de 1982 que par les Principes

généraux du droit civil de 1986, au lieu de simplement réaffirmer les règles de droit déjà existantes,

la loi sur les droits réels clarifie la définition du droit de propriété d’État (§ 1) en précisant son

statut juridique (§ 2) au regard de la propriété privée pour répondre au principe d’égalité de

protection des propriétés publiques et privées519.

515 V., article 2, alinéa 2 de la loi sur les droits réels. 516 V., article 2, alinéa 1er de la loi sur les droits réels. La loi sur les garanties des obligations (danbaofa), entrée en vigueur au 1er octobre 1995, apporte pour la première fois la distinction des biens entre meubles et immeubles. 517 En vertu de l’article 223 de la loi sur les droits réels, les droits mobiliers peuvent faire l’objet du gage. 518 V., WANG Liming, Diaoying, « Les particularités de la loi relative au droit réel et l’expérience chinoise en la matière », op. cit., p. 25 ; 519 WANG Zhaoguo, « Guanyu wuquanfa caoan de shuoming (Explications sur le projet de loi sur les droits réels) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/misc/2007-03/08/content_5818772.htm, consulté le 20 mars 2008.

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162

§ 1. – La clarification du droit de propriété d’État

143. - La loi sur les droits réels définit la propriété d’État par l’énumération des

biens appartenant à l’État (A). Cette définition tient également compte des

particularités du régime juridique des biens des entreprises d’État (B), ouvrant par

conséquent la voie à l’élaboration des règles spéciales en la matière.

A. – Les biens appartenant à l’État

144. - La loi sur les droits réels précise d’abord l’étendu des biens de propriété

d’État (1) et puis les sujets auxquels sont confiés les droits de l’exercer (2), qui sont les

deux volets indissociables de la définition du droit de propriété d’État.

(1). – L’étendue des biens de propriété d’État

145. - La loi sur les droits réels reprend la plupart des articles des Principes généraux

du droit civil en ce qui concerne la catégorisation des droits de propriété, tout en y

apportant des précisions et des modifications non pas moins importantes. Tout d’abord,

la loi sur les droits réels énumère avec précision les biens de propriété d’État, alors

qu’auparavant la législation était peut claire en la matière. Selon la loi sur les droits

réels, les biens de propriété d’État comportent les mines, les eaux courantes, les zones

maritimes520, les animaux sauvages et les espèces végétales en tant que composantes

des ressources biologiques521, l’espace hertzien522, les patrimoines culturels523, les

biens à usage de défense nationale, les infrastructures telles que les chemins de fer, les

520 V., article 46 de la loi sur les droits réels. 521 V., article 49 de la loi sur les droits réels. LIANG Huixing contestait que les animaux sauvages soient qualifiés comme propriété d’État, au motif que les animaux sauvages se déplacent toujours ; que de ce fait, il serait illusoire d’exercer de facto le droit de propriété sur eux. V., LIANG Huixing, « Buyi guiding yeshengdongwu ziyuan guiguojia suoyou (Contre la propriété d’État sur les animaux sauvages) », disponible sur le site http://www.iolaw.org.cn/showarticle.asp?id=1986, consulté le 22 mars 2008. 522 V., article 50 de la loi sur les droits réels. 523 V., article 51 de la loi sur les droits réels.

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routes et les installations de télécommunication et celles d’approvisionnement

d’électricité et de gaz524. Il faut d’ailleurs souligner qu’en droit français, certains

auteurs estiment que le régime de propriété demeure peu compatible avec la

domanialité publique, s’agissant notamment de certains biens publics qui sont en vérité

des choses communes qui constituent un patrimoine collectif525. La loi sur les droits

réels affirme cependant la propriété d’État sur des biens de nature patrimoine collectif,

tout en renvoyant aux d’autres lois spéciales pour préciser les droits que l’État exerce

sur eux526.

(2). – Les sujets à qui sont confiés les droits d’exercer la propriété d’État

146. - L’État étant une notion abstraite en droit chinois, la question se pose à savoir à

qui doit être confié les droits d’exercer réellement la propriété d’État527. La loi sur les

droits réels prévoit que le CAE exerce en principe ces droits, sauf cas prévus par les

dispositions législatives spéciales528. Pour les biens de l’État détenus par les organes de

l’État et les établissements à but non lucratif établies par l’État –telles que les écoles,

les hôpitaux, etc., la loi sur les droits réels précise qu’ils peuvent posséder et utiliser les

biens meubles ou immeubles de l’État ; pourtant, ils ne peuvent en disposer et en tirer

profit que si la loi ou le règlement du CAE le prévoit529. Quant aux actions de l’État, la

loi sur les droits réels précise que le CAE ou des gouvernements locaux exercent les

droits et assument les obligations de l’État en tant qu’actionnaire, conformément aux

524 V., article 52 de la loi sur les droits réels. 525 Jean-Marie AUBY, Pierre BON, Jean-Bertrand AUBY, Philippe TERNEYRE, Droit administratif des biens, 5e éd., Dalloz, 2008, §28. 526 De nombreuses lois précisent les droits de l’État sur ces biens en commun. V., par exemple, l’article 3 de la loi de 2002 sur l’administration des zones maritimes, l’article 3 de la loi de 1996 sur les ressources minières, l’article 3 de la loi de 1996 sur le charbon, l’article 4 de la loi de 1998 sur le plateau continental et les zones économiques exclusives. 527 GUO Lihong, « Zhengque renshi guozi de chanquan guishu (Sur l’appropriation des biens étatiques) », Jingji yanjiu cankao (Review of Economic Research), n° 23, 2003, pp. 4 à 7. 528 V., article 45, alinéa 2 de la loi sur les droits réels. Il existe une opinion différente selon laquelle la propriété d’État ne peut être exercée que par l’APN, pour traduire le sens de la propriété du peuple tout entier. V., CAI Dingjian, Xianfa jingjie (Constitution: An intensive reading), op. cit., p. 189. 529 V., articles 53 et 54 de la loi sur les droits réels.

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164

lois et règlements applicables530.

147. - Pour que la propriété d’État devienne une notion juridique opérationnelle, les

dispositions susmentionnées de la loi sur les droits réels distinguent la propriété d’État

et l’exercice de ce droit. Ces dispositions constituent l’un des apports majeurs de la loi

sur les droits réels. Car les Principes généraux du droit civil, « mis au point en fonction

de la réalité spécifique de la Chine conformément à la Constitution de 1982 »531,

reprennent simplement la formulation de la Constitution sans pour autant préciser le

sens de la propriété d’État532. Certains civilistes chinois considèrent que l’État détient

la puissance publique et que, de ce fait, il n’exerce pas de droit de propriété sur les

biens publics comme les propriétaires ordinaires 533 , mais plutôt le pouvoir

d’administration534. En conférant au CAE les droits d’exercer la propriété d’État, la loi

sur les droits réels semble contourner le problème soulevé par des civilistes en

combinant la gestion des biens étatiques et le pouvoir d’administration. En témoigne la

concession des droits d’usage portant sur les mines et les zones maritimes qui est

contrôlée par le Ministère du Territoire et des Ressources, l’établissement du droit

d’exploitation forfaitaire des prairies tombe sous la compétence du Ministère de

l’Agriculture, alors que la concession du droit d’usage sur les terrains forestiers est

menée à titre expérimental par le Bureau National d’Administration Forestière535.

B. – La clarification de la propriété des biens des entreprises d’État

148. - La question majeure concernant la propriété des biens des entreprises d’État

530 V., article 55 de la loi sur les droits réels. 531 XU Baikang, « Les principes généraux du droit civil en Chine », op. cit., p. 126. 532 V., article 73 des Principes généraux du droit civil. 533 V., LIU Xinwen, Xinzhongguo minfaxue yanjiu shuping (Commentaire sur l’étude du droit civil en Chine), Zhongguo zhengfa daxu chubanshe, 1999, p. 367. 534 V., SUN Xianzhong, « Woguo wuquanfa suoyouquan tixi de yingran jiegou (Sur le régime raisonnable du droit de propriété en droit chinois) », Fashang Yanjiu (Studies in Law and Business), 2002, n° 5, pp. 20 à 24. 535 V., reportage « Woguo jiang quanmian qidong lingai peitao gaige (La réforme forestière sera systématiquement mise en place par l’État) », disponible sur le site officiel du Bureau national d’administration forestière, http://www.forestry.gov.cn/jtlqgg/Default2.aspx?id=2699, consulté le 31 mai 2008.

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165

relève de la relation entre l’État et les entreprises d’État à l’égard de l’exercice du droit

des actifs des entreprises. La loi sur les droits réels affirme le statut d’actionnaire de

l’État par rapport aux entreprises d’État (1), mais la question de savoir qui exerce les

droits sur les parts sociales de l’État demeure floue (2).

(1). – L’affirmation du statut d’actionnaire de l’État

149. - Dans le contexte de la réforme du secteur d’État dont l’objectif est de

moderniser la gestion des entreprises d’État tout en assurant son autonomie par rapport

à l’État et en préservant les patrimoines de l’État, la question de la propriété, à savoir à

qui appartiennent les biens des entreprises d’État a provoqué des débats536. La question

concerne le rapport juridique entre l’État et les entreprises d’État en matière de

modalités de l’exercice du contrôle par le gouvernement sur les biens d’entreprises

d’État 537 . Avant 1978, l’action du gouvernement s’exerçait directement sur les

entreprises d’État par le biais de la planification économique de l’État. Certes, par la

réforme économique progressive –au lieu de la privatisation dite « traitement de

choc»538–, le secteur d’État se transformait sur le modèle de propriété publique

décentralisée au profit des entreprises d’État afin d’augmenter la rentabilité de ces 536 Rappelons la controverse en droit français sur la même question tranchée par la jurisprudence du Conseil d’État. En statuant au contentieux, le Conseil d’État a définitivement rejeté la thèse des biens propriété de l’État et a jugé que les biens considérés étaient la propriété des entreprises. V., CE, 1er déc. 1950, EDF : Rec. CE, p. 595 ; CJEG 1951, p. 80, concl. Agid ; D. 1952, jurispr. p. 652, note L’Huillier ; S. 1951, 3, p. 61, note Boulouis. CE, 7 nov. 1962, EDF c/ Jacquet : AJDA 1963, p. 184, note Laubadère. V., aussi, Jean-Paul BUFFELAN-LANORE, « Régime des entreprises publiques », JurisClasseur Administratif, Fasc. 157, Côte 05, 2000, 01 février 2000, § 129. 537 V., notamment, Thierry PAIRAULT, Droit de propriété et réforme du secteur d’État, loc. cit. ; Russell SMYTH, « Property rights in China’s economic reforms », Communist and Post-Communist Studies, n° 3, 1998, pp. 235 à 248 ; Zhiyuan CUI, « Whither China ? The discourse on property rights in the Chinese reform context », Social Text, n° 2, summer 1998, pp. 67 à 81; Frank Xianfeng HUANG, « The Path to Clarity: Development of property rights in China », Columbia Journal of Asian Law, n° 2, spring 2004, pp. 191à 223; Donald C. CLARKE, « Economic development and rights hypothesis: the China problem », The American Journal of Comparative Law, n° 1, 2003, pp. 89 à 111. 538 V., par ex., Andrew WALDER, Jean OI, « Property rights in the Chinese economy: Contours of the process of change », in Andrew WALDER, Jean OI (eds.), Property rights and economic reform in China, Standford: Standford University Press, 1999, pp. 1 à 26. Cf., Xiaobo HU, Problems in China’s transitional economy: Property rights and transitional models, Singapore: Singapore University Press, 1998.

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166

dernières539. D’abord, les Principes généraux du droit civil prévoient la séparation de

l’appropriation et de l’administration du secteur étatique540. En suite, dans les années

90, se réalisaient des opérations de mise en société des entreprises d’État. La grande

incertitude était de savoir quels étaient les droits dont disposent les organes

gouvernementaux dans la gestion des entreprises mises en sociétés541. Car, la loi sur les

sociétés promulguée en 1993, avant d’être modifiée en 2005, par son article 4, alinéa 3,

disposait que « les capitaux d’État d’une société sont la propriété de l’État »542. Selon

la doctrine chinoise, cette assimilation des capitaux d’État à la propriété de l’État a

pour conséquence que l’État en qualité de propriétaire puisse directement disposer des

biens des sociétés et intervenir dans la gestion de celles-ci, tandis que le même article

reconnaît aux sociétés « le droit patrimonial des personnes morales (faren

caichanquan) » 543 sur leurs actifs sociaux qui constituent l’ensemble des biens et

valeurs de l’établissement. Certes, la signification du droit patrimonial des personnes

morales a suscité bien des débats au sein des juristes chinois544. Pour les uns, ils

considéraient que le droit patrimonial des personnes morales portant sur leurs biens

était, par essence, droit de propriété545 et, le droit patrimonial des personnes morales

était une notion générale englobant divers droits parmi lesquels figure le droit de

propriété546. Pour les autres qui s’appuyaient sur l’exclusivité du droit de propriété,

539 V., notamment, Lixin Colin XU, « Determinants of the re-partitioning of property rights between the government and state enterprises », disponible sur le site http://www.wds.worldbank.org/servlet/WDS_IBank_Servlet?pcont=details&eid=000009265_3971110141245, consulté le 22 avril 2006. 540 V., WANG Hanbin, « Explications sur le projet des Principes généraux du droit civil lors de la 4e session plénière du sixième APN », 2 avril 1986, Journal officiel du Comité permanant de l’APN, n° 4, 1986. 541 Zhuang HAN, De l’autonomie des entreprises d’État en droit chinois, op. cit., p. 163 ; Thierry PAIRAULT, « Droit de propriété et réforme du secteur d’État », op. cit., p. 29. 542 La traduction ici reprend celle du Code chinois du droit des affaires. V., Robert GUILLAUMOND, XIE Zhao Hua, Code chinois du droit des affaires, Larcier, 1995, p. 11. 543 V., article 4, alinéa 2 de la loi sur les sociétés. 544 Cf., CHAI Zhen’guo (et al.), Faren caichanquan de fansi yu chonggou (Réflexions et reconstruction des droits patrimoniaux des personnes morales), Law Press China, 2001, pp. 16 à 19. 545 V., par exemple, QIAN Mingxing, « On company property, company property ownership, and shareholder’s stock right », Zhongguo renmin daxue xuebao (Journal de l’Université de Renmin), n° 2, 1998, pp. 54 à 59. 546 V., MA Junju, « Faren zhidu de jiben lilun he lifa wenti zhi tantao (Théorie générale et problèmes de

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167

considéraient que le droit patrimonial des personnes morales ne serait pas le droit de

propriété, car les biens investis par l’État dans les sociétés demeureraient propriété de

l’État547. L’enjeu des débats était de savoir qui serait le sujet du droit de propriété sur

les biens des sociétés : l’État ou la société. Le professeur JIANG Ping a expliqué que la

propriété d’État sur les biens qu’il investit dans les sociétés se transforme en actions

–celles-ci n’est pas l’objet de propriété– par conséquent, seules les sociétés sont

propriétaires de leurs actifs548. L’opinion du JIANG Ping a été partagée par la plupart

des juristes chinois. La loi sur les sociétés a été donc modifiée en 2005. L’ancien article

4 a été remplacé par la nouvelle disposition en vertu de laquelle l’État est l’actionnaire

des sociétés par mesure d’investissement549. Par ses articles 55 et 67, la loi sur les

droits réels reprend l’approche de la loi sur les sociétés, en insistant sur la qualité

d’actionnaire de l’État à l’égard des biens meubles ou immeubles qu’il a investis dans

des sociétés, par conséquent, consolide le statut des sociétés comme propriétaires de

leurs biens, ainsi que son autonomie par rapport à l’État550.

(2). – La question concernant l’exercice des droits sur les parts sociales détenues par

l’État

150. - Le flou du rapport entre le gouvernement et les entreprises d’État résultant de

la « décentralisation » de la propriété d’État était considéré comme une ambiguïté du

législation sur la personnalité morale) », Faxue pinglun (Law Review), n° 6, 2004, pp. 24 à 37 ; ZHANG Yanli, « Qiye faren caichanquan zaiyi (Reconsidération sur le droit des biens des personnes morales d’entreprises) », Faxue zazhi (Law Science Magazine), 2003, n° 9, pp. 39 à 41; LEI Xinghu, FENG Guo, « Lun gudong de guquan yu gongsi de faren caichanquan (Sur les droits des actionnaires et le droit de propriété des personnes morales d’entreprises) », Faxue pinglun (Law Review), 1997, n°2, p. 80. 547 V., notamment, QI Duojun, « Lun guquan (À propos des actions) », Xiandai faxue (Modern Law Science), n°4, 1993, pp. 8 à 13. 548 V., JIANG Ping, KONG Xiangjun, « Lun guquan (À propos des actions) », Zhongguo faxue (China Legal Science), n°1, 1994, pp. 72 à 81 ; TANG Dehuan, « Guquan xingzhi lunbian (Sur la nature juridique des actions) », Zhengfa luntan (Tribune of Political Science and Law), n° 1, 1994, pp. 67 à 72. 549 V., article 65, alinéa 2 de la loi sur les sociétés. 550 World Bank, China’s Management of Enterprise Assets: the State as Shareholder, Report n° 16265-CHA, 5 June 1997.

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168

droit de propriété 551 . Il faut d’abord souligner que plutôt que le terme de

décentralisation, c’est celui de déconcentration administrative qui s’applique le mieux

à la Chine d’aujourd’hui. Car, les instances locales auxquelles ont été déléguées un

certain nombre de compétences ne sont pas en effet élues mais désignées par le PCC.

Elles demeurent directement subordonnées sur le plan hiérarchique à l’échelon

supérieur du bloc État-Parti552. En ce qui concerne l’administration et la gestion de la

propriété d’État, la décentralisation ou plus exactement la déconcentration décrit non

seulement l’autonomie accrue des autorités locales, mais surtout l’autonomie accrue

des entreprises d’État qui étaient auparavant plus directement contrôlées par l’État.

Depuis 1997, le PCC considéra la « clarification des droits de propriété » comme l’une

des réformes prioritaires des entreprises d’État 553 , pour résoudre la question

fondamentale à savoir « qui dispose de quels droits » pour les biens publics554. La ligne

directrice fut adoptée lors du XVIe congrès du PCC : « l’État [procèdera] à

l’élaboration de lois et règlements en vue d’instituer un système de gestion des biens

de l’État conférant tant au gouvernement central qu’aux gouvernements locaux le

pouvoir, en qualité de représentants de l’État, d’assumer les attributions et les

responsabilités de bailleurs de fonds avec jouissance des droits et intérêts de

propriétaires »555. Il existait une hypothèse selon laquelle l’exercice de la propriété

d’État devrait être partagé entre le gouvernement central et les gouvernements locaux

de divers échelons, donc une décentralisation de la propriété d’État556. Or, la loi sur les

551 V., Frank Xianfeng HUANG, « The path to clarity: Development of property rights in China », loc. cit.; Victor NEE, Sijin SU, « Institutions, Social Ties, and Commitment in China’s Corporatist Transformation », in John McMILLIAN, Barry NAUGHTON (eds.), Reforming Asian Socialism: The growth of market institutions, Ann Arbor: University of Michigan Press, 1996, p.111 à 133; Thierry PAIRAULT, « Droit de propriété et réforme du secteur d’État », loc. cit. 552 V., Thierry SANJUAN (sous la dir. de), Dictionnaire de la Chine contemporaine, Armand Colin, 2006, p. 62. 553 V., JIANG Zemin, Rapport présenté devant le XVe Congrès du PCC, disponible sur le site http://www.people.com.cn/GB/shizheng/252/5089/5093/, 30 avril 2001. 554 V., notamment Ronald C. KEITH, Zhiqiu LIN, Law and justice in China’s new marketplace, Palgrave Macmillan, 2001, pp. 139 à149. 555 V., Texte intégral du rapport de Jiang Zemin au XVIe Congrès du Parti communiste chinois (IV), disponibles sur le site http://china.org.cn/french/50669.htm, 24 octobre 2002. 556 V., ZHOU Linbin, Wuquanfa xinlun (Étude renouvelées des droits réels), Peking University Press, 2002, pp. 379 ; SUN Xianzhong, « Queding woguo wuquan zhonglei yiji neirong de nandian (Les

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169

droits réels précise que le CAE et les gouvernements locaux exercent les droits de

l’actionnaire et assument les responsabilités de l’actionnaire en tant que représentants

de l’État 557 . Cela renverse l’hypothèse de décentralisation: l’État demeure le

propriétaire unique558 mais avec une décentralisation de la gestion des actions d’État.

Selon le professeur SUN Xianzhong, l’apport important de la loi sur les droits réels

consiste à ce qu’elle précise le sujet, les objets et le contenu de la propriété d’État et,

par conséquent, transforme la propriété d’État –qui fut confondue avec le mode

d’appropriation étatique des biens– en une vraie catégorie juridique en droit chinois559.

151. - La loi sur les actifs d’État des entreprises promulguée le 28 octobre 2008

réaffirme la décentralisation de la gestion de tous les actifs d’État des entreprises, en

donnant la précision sur la répartition entre le CAE et les gouvernements locaux des

affaires de gestion des actifs d’État. En vertu de l’article 4 de cette loi, la gestion des

actifs d’État des entreprises des secteurs clés de l’économie nationale, des entreprises

concernant la sécurité nationale, celles des secteurs d’infrastructure et de sources

naturelles est assumée par le CAE, alors que la gestion des actifs d’État de toutes les

autres entreprises relève des gouvernements locaux. Prévues à cet effet, la Commission

d’État chargée de la supervision et de la gestion des actifs d’État (SASAC) a été

instituée auprès du CAE, ses subordonnées ont été créées aux gouvernements locaux. Il

faut souligner que la loi de 2008 confère désormais le pouvoir de supervision à l’APN

et aux assemblées populaires locaux de différents échelons sur la gestion des actifs

difficultés de la classification et de la définition du droit réel) », Faxue yanjiu (Chinese Journal of Law), n° 1, 2001, p. 54 ; SHEN Yi, « Lun Fenji suoyou de difang guoyou zichan jingying (La gestion des biens étatiques par les gouvernements locaux en cas du partage du droit de propriété) », Reform (Gaige), n° 1, 2003, pp. 11 à 16 ; SHI Jichun, YAO Haifang, « Guoyouzhi gexin de lilun yu shijian (Théorie et pratique de la réforme de la propriété d’État) », Faxue luntan (Legal Forum), n° 1, 2005, pp. 9 à 15. 557 V., article 55 de la loi sur les droits réels. 558 V., WANG Liming, Wuquanfa yanjiu (Étude des droits réels), Zhongguo renmin daxue chubanshe, 2002, p. 291 ; même auteur, « Guojia suoyouquan de falü tezheng yanjiu (Étude sur les caractères juridiques de la propriété d’État) », Falü Kexue (Science of Law), n° 6, 1990, pp. 29 à 35 ; SHI Jichun, LÜ Ning, « Lun woguo quanminsuoyouzhi shixian de falü xingshi ( Les formes de la réalisation du droit de propriété d’État en Chine) », Hebei faxue (Hebei Law Review), n° 4, 1989, pp. 16 à 18. 559 SUN Xianzhong, « Wuquanfa de zhongda lilun gengxin he zhidu chuangxin (De grands renouvellements de la théorie et des institutions par la loi sur les droits réels) », Guangming ribao (Quotidien des lumières), 5 juin 2007, p. 4.

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d’État par le CAE ou par les gouvernements locaux560. La loi de 2008 réaffirme

également l’indépendance des entreprises d’État par rapport au gouvernement en leur

reconnaissant les prérogatives du propriétaire sur tous les biens meubles et immeubles

des entreprises561. Certes, les mutations importantes concernant les actifs d’État, y

compris la fusion, la division, la dissolution et la faillite des entreprises dont l’État est

l’actionnaire unique ou majoritaire, doivent avoir préalablement obtenu l’approbation

des gouvernements de différents niveaux auxquels est confiée la gestion des actifs

d’État562. L’exigence d’approbation préalable s’applique même à la cession totale ou la

cession partielle des actifs d’État qui entraîne la perte du statut d’actionnaire

majoritaire de l’État563. En tant qu’actionnaire des entreprises dans lesquels il a investi,

l’État, représenté par le CAE ou par les gouvernements locaux de différents échelons,

exerce un pouvoir important à la gestion des entreprises à travers l’exercice des droits

sur ses parts sociales. Il en résulte que la question de savoir comment concilier

l’autonomie des entreprises d’État et l’exerce des droits sur les parts sociales par l’État

demeure un sujet controversé en droit chinois.

§ 2. – La précision sur le statut de la propriété d’État

152. - Après des débats concernant la question si la propriété privée devait avoir ou

non le même statut que la propriété publique, il y eut un consensus en ce qui concerne

la renonciation de certains privilèges de la propriété d’État (A) afin de se conformer au

« principe d’égalité de protection » des propriétés publique et privée en droit civil.

Mais la protection de la propriété d’État, du fait de son importance moins juridique que

politique, est également réaffirmée comme l’un des principes de la loi sur les droits

réels (B).

A. – La renonciation à certains privilèges de la propriété d’État

560 V., article 63 de la loi sur les actifs d’État des entreprises. 561 V., articles 6 et 16 de la loi sur les actifs d’État des entreprises. 562 V., article 34 de la loi sur les actifs d’État des entreprises. 563 V., article 53 de la loi sur les actifs d’État des entreprises.

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153. - L’idée de mettre la propriété de l’État et la propriété des individus sur un pied

d’égalité fut soulevée très tôt en 1995 par le professeur WANG Jiafu qui s’appuya sur

la théorie selon laquelle le traitement sans discrimination de tous les sujets devant la loi

est le principe de l’économie de marché564. Lors de l’élaboration du projet de loi sur les

droits réels, il exista des opinions opposées sur cette question, à savoir si la propriété

publique et la propriété privée devaient être traitées de la même manière et sans aucune

distinction. La divergence surgit pour la définition du droit de propriété. Selon WANG

Liming, –civiliste et membre de l’équipe de travaux préparatoires–, la loi sur les droits

réels devrait exprimer la spécificité du régime économique chinois à savoir la

coexistence des différentes propriétés et, par conséquent, maintenir les différentes

définitions de la propriété d’État, de la propriété collective et de la propriété privée,

ainsi que les différents régimes juridiques correspondants565. Or, cette hypothèse fut

vivement critiquée par un autre membre de l’équipe de travaux préparatoires, LIANG

Huixing qui considéra que la division entre la propriété publique, la propriété

collective et la propriété privée fut purement artificielle et contraire au principe

fondamental d’égalité en droit civil. En résumé, les trois différentes définitions

concernant respectivement la propriété publique, la propriété collective et la propriété

privée devraient être remplacées par une notion unique du droit de propriété566. En

2005, après la troisième lecture du projet de la loi sur les droits réels, la Commission

des travaux législatifs (fazhi gongzuo weiyuanhui) du Comité permanent de l’APN fit

état que l’un des objectifs de la future loi serait de reconnaître la protection égale des

trois catégories de propriétés567. Les débats furent ainsi clos par la « conciliation entre

la catégorisation des propriétés et la reconnaissance du principe d’égalité de

564 Ministère de la Justice, Office nationale de la diffusion de droit, Zhonggong zhongyang fazhi jiangzuo huibian (Recueil des lectures de droit devant le Comité central du PCC), Law Press China, 1998, p. 66. 565 WANG Liming, Wuquanfa yanjiu (Étude des droits réels), Zhongguo renmin daxue chubanshe, 2002, p. 282. 566 LIANG Huixing, Zhongguo wuquanfa caoan jianyigao (Propositions sur le projet de loi sur les droits réels), Shehui kexue wenxian chubanshe, 2000, p. 212. 567 V., Commission des travaux législatifs du Comité permanent de l’APN, Rapport sur la modification du projet de la loi sur les droits réels, présenté le 19 octobre 2005, disponible sur le site http://www.npc.gov.cn/zgrdw/common/zw.jsp?label=WXZLK&id=342510&pdmc=1502, consulté le 23 octobre 2005.

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protection de toutes les propriétés »568.

154. - Selon le professeur WANG Liming, « [L]’égalité de protection constitue non

seulement un principe primordial dans la loi relative au droit réel de la Chine, mais

aussi une particularité de la loi relative au droit réel à la chinoise »569. Le principe

d’égalité de protection signifie que les sujets du droit réel se trouvent dans des

positions juridiquement égales, jouissent des mêmes droits et respectent les mêmes

obligations prescrites par la loi. Si le droit chinois a toujours entériné a posteriori des

pratiques déjà bien établies au sein de la population chinoise570, il faut cependant

souligner que la suppression de la supériorité de la propriété d’État est un nouvel

apport de la loi sur les droits réels. D’abord, celle-ci ne répète pas le principe

constitutionnel en vertu duquel «les biens publics socialistes sont sacrés et

inviolables » –pourtant réaffirmé par l’article 73, alinéa 2 des Principes généraux du

droit civil comme « la propriété d’État est sacrée et inviolable ». Le principe d’égalité

entre différentes propriétés est intégré dans l’article 3 de la loi sur les droits réels, en

vertu duquel « l’État assure le statut juridique égal de tous les acteurs du marché et

leur droit au développement ». De même, l’article 4 dispose que « les biens de l’État,

des collectivités, des individus et d’autres personnes sont protégés par la loi contre les

atteintes », visant à établir la coexistence des propriétés publique et privée qui se

justifie par l’étape primaire du socialisme auquel « la Chine restera pendant une

longue période »571. Outre les principes symboliques, la loi sur les droits réels renonce

à certains privilèges de la propriété d’État qui furent pendant longtemps consentis en

pratique. Premièrement, en vertu de l’article 79 des Principes généraux du droit civil,

les biens apparemment sans maître étaient présumés propriété d’État, tandis qu’en

vertu de la loi sur les droits réels les biens perdus ou sans maître doivent d’abord faire 568 LIU Baoyu, « Suoyouquan de leixinghua yu pingdeng baohu yuanze de jiehe (La conjugaison entre la catégorisation des propriétés et le principe d’égalité) », Faxue pinglun (Law Review), n° 6, 2005, pp.93, 94. 569 WANG Liming, DIAO Ying, « Les particularités de la loi relative au droit réel et l’expérience chinoise en la matière », op. cit., p. 24. 570 Jacque DELISLE, « Property reform in China », in The future of political reform in China, présenté par The China Program at The Carnegie Endowment, 29 janvier 2004, disponible sur le site http://www.carnegieendowment.org/files/Jan29-FinalPanel-edited-23Feb2004.pdf, consulté le 16 mars 2008. 571 V., Préambule, alinéa 7 de la Constitution 1982, révisé en 2004.

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173

l’objet d’un avis public en cherchant ses titulaires. L’État pourra ensuite s’approprier

ces biens si les titulaires ne se présentent pas à l’échéance d’une durée de six mois à

partir du jour de la publication de l’avis572. Deuxièmement, par l’introduction de la

notion de possession, les biens dont l’appartenance est controversée entre deux parties,

mais aucune partie ne peut fournir la preuve justifiant son statut de propriétaire, ne

seront plus présumés comme la propriété d’État, alors que cette présomption était

auparavant généralement admise dans la pratique judiciaire573. Enfin, la loi sur les

droits réels n’affirme plus la pratique judicaire selon laquelle les délais de l’action ne

s’appliquaient pas aux litiges intentés contre les atteintes au droit de propriété

d’État574.

155. - Cependant, selon LIANG Huixing, la distinction en trois catégories de

propriété est en soi injuste, puisqu’elle entraîne nécessairement la différenciation et les

traitements discriminatoires des propriétés en droit et pratique 575 . Mais il faut

remarquer que la question porte donc moins sur l’égalité entre différents droits de

propriété –au sens d’une catégorie juridique (suoyouquan)– que sur l’égalité entre

différentes formes d’appropriation qui relèvent de l’économie politique exprimant les

rapports de production et le développement des forces productives. La protection égale

affirmée par la loi sur les droits réels ne s’applique qu’aux droits de propriété publique

et privée ; elle ne s’applique pas aux différentes formes d’appropriation publique ou

privée576. Néanmoins, l’internationalisation du droit économique chinois, conduite par

572 V., articles 113, 114 de la loi sur les droits réels. 573 LIANG Huixing, « Sanfenfa haishi yiyuanlun, wuauqnfa zhidaosixiang zhizheng (Trichotomie ou monisme : les débats sur la ligne conductrice de la loi sur les droits réels) », disponible sur le site http://www.iolaw.org.cn/shownews.asp?id=5297, consulté le 17 mars 2008. 574 V., La Cour populaire suprême, Avis d’interprétation en date du 5 décembre 1990 sur l’application des Principes généraux du droit civil, §198. 575 LIANG Huixing, « Sanfenfa haishi yiyuanlun, wuauqnfa zhidaosixiang zhizheng (Trichotomie ou monisme : les débats sur la ligne conductrice de la loi sur les droits réels) », loc. cit., V., aussi SUN Xianzhong, « Zhongguo minfadian zhiding xianzhuang ji zhuyao wenti (Drafted Conditions and Main problems of China’s Civil Code) », Jilin University Journal Social Sciences Edition (Jilin daxue shehuikexue xuebao), n° 4, 2005, pp. 166 à 174; « Wuquanfa ying caina yitichengren pingdengbaohu de yuanze ( Plaidoyer pour la reconnaissance du principe d’égalité des propriétés par la loi sur les droits réels)», Falü kexue (Science of Law), 2006, n° 4, p. 146. 576 Commission des travaux législatifs du Comité permanent de l’APN, Zhonghuarenmingongheguo wuquanfa : tiaowen shuoming, lifaliyou ji xiangguanguiding (La loi sur les droits réels, explications,

Page 182: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

174

l’accession de la Chine à l’OMC, ouvre la voie au traitement égal des secteurs de

différentes propriétés 577 et peut apporter un nouveau sens à l’égalité entre les

différentes propriétés qui ne se cantonne plus au droit civil.

B. – La réaffirmation des principes de protection de la propriété

d’État

156. - En droit français, les biens publics sont insaisissables et ne doivent pas être

cédés en-dessous de leur valeur578. Ces principes sont également reconnus par la loi sur

les droits réels sous l’angle de la protection de la propriété de l’État. L’article 41

proclame le principe selon lequel les individus ou les organisations ne peuvent pas

s’approprier les biens qui sont définis comme la propriété exclusive de l’État. Il en

résulte que les biens énumérés dans les articles 46 à 52 ne peuvent pas faire l’objet du

droit de propriété privée ou collective. L’État est donc affirmé comme le propriétaire

unique de ces biens. Par ce principe, ces biens de propriété d’État sont à la fois

insaisissables, imprescriptibles et incessibles. Pour les biens de propriété d’État dont la

cessibilité est permise par la loi sur les droits réels, celle-ci prévoit le principe de

garantie plus rigoureux qu’en droit français où les biens publics ne peuvent pas être

cédés en-dessous de leur valeur. Car, l’article 57 de la loi sur les droits réels impose

aux organes publics et leurs fonctionnaires chargés d’administrer des biens étatiques

l’obligation de renforcer la gestion et le contrôle des biens étatiques, d’en promouvoir

la rentabilité et d’en prévenir le dommage. Ceux qui abusent de leurs pouvoirs ou

manquent à leurs devoirs doivent assumer la responsabilité pour les préjudices causés à

l’État. La responsabilité est également engagée pour ceux qui cèdent les biens étatiques

en-dessous de leur valeur, détournent les biens étatiques, ou donnent des garanties sur

les biens étatiques ou prennent d’autres actes en méconnaissant des règles de droit et,

par conséquent, causent des préjudices à l’État. Il faut remarquer en outre que l’article

57, alinéa 2, met aussi l’accent à ce que les actes illégaux susmentionnés peuvent être motifs et dispositions pertinentes), Beijing University Press, 2007, p. 6. 577 V., infra, n° 622 et s. 578 Jean-Marie AUBY, Pierre BON, Jean-Bertrand AUBY, Philippe TERNEYRE, Droit administratif des biens, 5e éd., Dalloz, 2008, §§ 29, 30.

Page 183: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

175

passés lors de restructurations, de fusions d’entreprises ou d’opérations entre les parties

liées, traduisant donc la préoccupation du législateur de mieux répondre au besoin de

renforcer la garantie des actifs des entreprises d’État. Certes, la question centrale est de

savoir comment assurer la garantie effective des biens étatiques, plutôt qu’à l’énoncé

des principes579.

Sous-section 2. – La propriété collective

157. - Les biens faisant l’objet de la propriété collective sont déterminés par la

Constitution de 1982 qui ne précise toutefois pas qui est le titulaire de ce droit. La

notion juridique de la propriété collective est définie par les Principes généraux du

droit civil 1986580. Il faut d’abord souligner que la propriété collective se différencie de

la notion de propriété collective en droit français. Comme François TERRÉ l’a

constaté, en droit civil français, les deux principales modalités communes à plusieurs

personnes sont l’indivision ordinaire et la copropriété des immeubles bâtis divisés en

lots581. Or, la propriété collective en droit chinois est l’expression juridique du régime

économique basé sur l’appropriation publique des moyens de production582. C’est la

raison pour laquelle, l’indivision et la copropriété ne sont pas considérées par la loi sur

les droits réels appartenant à la catégorie juridique de la propriété collective. Il ne reste

pas moins vrai que la notion de l’appropriation publique des moyens de production

s’est immiscée sur la définition de la propriété collective, notamment à l’égard du sujet

de ce droit. Alors qu’en droit français l’individu est le propriétaire de sa part privative

dans le cas de propriété collective, les dispositions législatives en droit chinois sont

toujours ambiguës en la matière. D’où des débats au sein des juristes chinois,

notamment sur la question de savoir si les membres individuels de la collectivité sont

579 V., infra, n° 337 et s. 580 V., article 74 des Principes généraux du droit civil. 581 François TERRÉ, Philipe SIMLER, Droit civil, Les biens, 7e éd., op. cit., § 546. 582 YU Nengbin, « Woguo wuquanlifa jiejian de lixing xuanze yu fansi (Réflexions sur la transposition de droit dans l’élaboration de la loi sur les droits réels) », Huanqiu falü pinglun(Global Law Review), n° 1, 2006, p. 26.

Page 184: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

176

propriétaires des biens collectifs 583 . Les uns, s’appuyant sur l’article 6 de la

Constitution de 1982 –selon lequel la propriété collective est une forme de la propriété

publique–, considèrent que seules les collectivités ou les entités économiques

collectives sont propriétaires des biens collectifs, par conséquent, les individus

membres des collectivités ne les sont pas584. Les autres considèrent toutefois que les

individus membres des collectivités ont la qualité d’indivisaires de la propriété

collective, les collectivités ou les entités économiques collectives ne détiennent que des

droits d’exploitation et de gestion des biens collectifs en qualité de représentants de

leurs membres585. Après avoir repris les dispositions des Principes généraux du droit

civil concernant les biens faisant l’objet de la propriété collective586, la loi sur les droits

réels redéfinit les sujets du droit de propriété collective, mais selon la distinction entre

zones rurale (§ 1) et urbaine (§ 2).

583 V., NAN Luming, XIAO Zhiyue, Zhonghuarenmingongheguo dichan falü zhidu, tudi gaige yu tudi shiyongquan churang zhuanrang (Le droit foncier de la RPC: la réforme foncière, la concession et le transfert du droit d’utilisation), op. cit., pp. 205, 206. 584 V., par ex., Zhonghua faxue dacidian, minfaxue juan (Dictionnaires du droit chinois : droit civil), Zhongguo jiancha chubanshe, 1994, p.334 ; LIU Xinwen, Xinzhongguo minfaxue yanjiu shuping (Commentaire sur l’étude du droit civil en Chine), op. cit., p. 372. WANG Liming, Wuquanfa lun (Étude des droits réels), Zhongguo zhengfa daxue chubanshe, 1998, pp. 331, 483 et 519 ; MENG Qinguo, «Wuquanfa ruhe baohu jiti caichan ? (Comment protéger la propriété collective par la loi sur les droits réels) », loc. cit. 585 V., par ex., WEN Shiyang, «Luelun woguo wuquanfa de tixi (Sur la structure des droits réels) », in WANG Liming (ed.), Wuquanfa lun (Étude des droits réels), op. cit., p. 518 ; v., aussi, HAN Song, « Lun jiti suoyouquan de zhuti xingshi (À propos du sujet de la propriété collective) », Fazhi yu shehui fazhan (Law and Social Development), n°, pp. 39 à 51 ; WANG Tiexiong, « Jiti tudi suoyouquan zhidu zhi wanshan (L’amélioration du système juridique du droit foncier de propriété collective) », Faxue (Law Science Monthly), n° 2, 2003, pp. 41 à 47. 586 Article 58 de la loi sur les droits réels prévoit ce que sont les biens de propriété collective : (1) le sol, les forêts, les terres montagneuses, les prairies, les bancs de sable et de vase, tels qu’ils sont définis par la loi; (2) les bâtiments, les moyens de production, les travaux hydrauliques pour l’agriculture ; (3) les établissements d’enseignements, de recherches scientifiques, de culture, d’hygiène et de sports etc. ; (4) d’autres meubles et immeubles appartenant à la collectivité. On a toutefois critiqué que la loi sur les droits réels n’érige pas de critère pour distinguer les biens de propriété collective et des biens de propriété d’État, dans la mesure où elle renvoie à d’autres lois pour déterminer l’appartenance des biens publics. V., HAN Song, «Woguo wuquan lifa zhong guiding jiti suoyouquan de sikao (Comments on the stipulation concerning collective ownership in the draft law of property right of PRC)», Faxue zazhi (Law Science Magazine), 2005, n° 4, pp. 17 à 20.

Page 185: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

177

§ 1. – Les biens collectifs dans la zone rurale

158. - L’article 59 de la loi sur les droits réels proclame sans équivoque que les biens

meubles ou immeubles ruraux de propriété collective appartiennent à la collectivité des

membres paysans. Si la loi sur les droits réels réussit à davantage préciser les

prérogatives dont jouissent les membres paysans de la collectivité dans l’exercice du

droit de propriété collective (A), elle n’a pas pour autant abouti à reconnaître le statut

de propriétaire aux membres de la collectivité (B).

A. – Les prérogatives des membres des entités collectives dans

l’exercice du droit de propriété collective

159. - En ce qui concerne les prérogatives des paysans membres des entités

économiques collectives –souvent sous la forme de coopératives de production

agricole (nongye shengchan hezuoshe), il s’agit par la nature des pouvoirs de

participation à la décision sur les affaires importantes de la gestion des biens

collectifs587: l’adoption du plan de mise en oeuvre du régime d’exploitation forfaitaire

et d’attribution du sol collectif à d’autres personnes que les membres de la collectivité ;

l’ajustement entre les membres de la collectivité des terrains sous l’exploitation

forfaitaire ; la distribution et l’utilisation des indemnités en cas d’expropriation des

terres collectives; la cession des biens des entreprises collectives, etc. Selon l’article 60

de la loi sur les droits réels, l’entité économique collective du village ou le comité de

villageois588, les équipes de villageois (cunmin xiaozu) au sein d’un village589, l’entité

587 HAN Guangming, « Jiti suoyouquan : nongcun de caichan zhixu jichu (La propriété collective: fondement de l’ordre patrimonial rural) », Yangcheng wanbao (Yangcheng Evening News), 9 septembre 2007, disponible sur le site http://www.ycwb.com/ycwb/2007-09/09/content_1611933.htm, consulté le 19 mars 2008. 588 Le comité de villageois est l’organisation autonome des membres d’un village administratif sous l’autorité du canton ou de la commune. En vertu de l’article 5 de la loi sur l’organisation du comité de villageois 1998, le comité de villageois a le pouvoir de gérer les biens collectifs du village. Dans la plupart des cas, la coopérative de production agricole de village –ou la brigade de production– s’identifie au comité de villageois, qui n’est que l’expression juridique de droit civil du comité de villageois, qui était longtemps considérés comme auxiliaire du gouvernement de canton ou commune. 589 Il s’agit de l’entité collective des membres du village au sens géographique au sein d’un village

Page 186: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

178

économique collective du canton ou de la commune590, exercent le droit de propriété

collective en représentant les entités économiques collectives. L’article 63 prévoit aussi

la possibilité pour les membres des collectivités rurales de demander par voie judiciaire

l’annulation des décisions des comités des villageois ou des entités collectives

économiques sur la gestion des biens collectifs. On concluait ainsi que « les paysans

individuels sont reconnus comme propriétaires des biens collectifs en vertu de la loi

sur les droits réels»591. Pourtant, la Commission des travaux législatifs a bien démenti

cette hypothèse selon laquelle les paysans, en tant que membres de la collectivité, sont

indivisaires de la propriété collective. Lors de la quatrième lecture du projet de loi sur

les droits réels en 2005, la Commission des travaux législatifs a réitéré que la propriété

collective, comme la propriété d’État, constituent les formes concrètes de la propriété

publique ; par conséquent, la jouissance des biens collectifs par des membres des

collectivités et des entités économiques collectives doit être impérativement

subordonnée à la sauvegarde de la propriété collective. Il en résulte que les paysans

membres de la collectivité ne peuvent pas disposer des biens collectifs à titre

individuel, ni demander la division de la propriété collective592. Les membres des

collectivités peuvent cependant demander par voie judiciaire l’annulation des décisions

des comités des villageois ou des entités collectives économiques593. L’apport de la loi

sur les droits réels ne réside pas en la modification de la nature juridique de la propriété

collective –toujours conçue comme propriété publique– mais en l’amélioration de sa

gestion participative afin d’assurer que les intérêts individuels des membres de la

collectivité soient dûment respectés, ce qui est aussi exigé par « la construction d’une

administratif, le droit chinois reconnaît la possibilité d’établir plusieurs groupes de villageois dans un village administratif dont le territoire est assez large. 590 L’entité économique collective de canton ou commune désigne diverses coopératives de production agricole établies par les collectivités de canton ou commune, qui ne se limitent pas nécessairement au territoire du canton ou de la commune. 591 HAN Song, «Woguo wuquan lifa zhong guiding jiti suoyouquan de sikao (Comments on the stipulation concerning collective ownership in the draft law of property right of PRC)», op. cit., pp. 17 à 20. 592 V., Commission des travaux législatifs du Comité permanent de l’APN, Rapport sur la modification du projet de la loi sur les droits réels, loc. cit. 593 V., article 63, alinéa 2 de la loi sur les droits réels.

Page 187: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

179

société stable et harmonieuse »594.

B. – Le refus de statut de propriétaire aux membres de la collectivité

160. - La loi sur les droits réels ne définit pas le propriétaire du sol collectif dans les

zones rurales (1). Ce silence est défavorable aux paysans d’autant plus que ces derniers

sont souvent victimes de l’abus de pouvoir par les dirigeants locaux dans

l’administration des terres rurales (2).

(1). – Le silence de la loi quant au propriétaire des biens collectifs dans les zones

rurales.

161. - La loi sur les droits réels demeure lacunaire en ce qui concerne la définition

de « la collectivité de paysans », à savoir, qui est le propriétaire des biens collectifs

ruraux : les paysans membres de la collectivité ne sont pas propriétaires indivis, pas

plus pour les entités économiques collectives ou les comités de villageois qui n’ont que

la qualité de représentants dans l’exercice du droit de propriété collective. Il s’agit

donc d’une « ambiguïté institutionnelle voulue»595 par l’autorité chinoise qui tente de

maintenir l’équilibre entre l’arrière-plan historique et le besoin contemporain à la

croissance économique et stabilité sociale dans la distribution de la propriété conçue

non pas comme un droit absolu et exclusif, mais comme « un faisceau de droits »596.

Comme CAI Dingjian l’a rappelé597, lors de l’élaboration de la Constitution 1982, il

existait des divergences sur la question de savoir si le sol rural devait être également

propriété d’État : les uns considéraient que le socialisme exigerait la propriété d’État

594 Commission des travaux législatifs du Comité permanent de l’APN, La loi sur les droits réels: explications, motifs et dispositions pertinentes (Zhonghuarenmingongheguo wuquanfa : tiaowen shuoming, lifaliyou ji xiangguanguiding ), op. cit., pp. 97, 98. 595 Peter HO, Institutions in Transition, land ownership, property rights, and social conflict in China, Oxford University Press, 2005, p.12; « Who owns China’s land? Policies, property rights and deliberate institutional ambiguity », The China Quarterly, 2001, Vol. 166, p.400. 596 Harold DEMSETZ, «Toward a theory of property rights», American Economic Review, vol. 62 (1967), pp.347 à 359. 597 CAI Dingjian, Xianfa jingjie (Constitution: An intensive reading), op. cit., pp. 195, 196.

Page 188: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

180

du sol rural ; les autres pensaient toutefois que la nationalisation du sol rural serait

inutile puisque c’était toujours les paysans qui exploitent réellement les terres, la

suppression droit d’usage par l’État nécessitant l’indemnisation des paysans concernés,

même si le sol était la propriété d’État. D’ailleurs, la nationalisation du sol rural

pourrait aller à l’encontre de l’espérance des paysans qui avaient soutenu la révolution

dirigée par le PCC afin de réaliser le rêve de « à chaque laboureur une parcelle du

terrain ». Ce fut dans ce contexte que la propriété collective du sol rural fut maintenue.

Ainsi, la propriété collective du sol fut déjà le compromis entre la propriété d’État

imprégnée du socialisme et le besoin de la garantie de la survivance des paysans.

L’ambiguïté juridique en matière de sujet de la propriété collective est donc la

traduction fidèle de ce compromis entre l’idéologie et l’utilitarisme. Le législateur

chinois, estimant que la clarification du sujet de la propriété collective n’aboutit pas à

réaliser le but d’assurer les intérêts des paysans comme membres de la collectivité,

consolide les droits de ces derniers dans l’exercice du droit de propriété collective, tout

en diminuant le « domaine éminent de l’État chinois notamment en matière de régime

foncier»598. Certes, la loi sur les droits réels entend mieux garantir le droit des paysans

à l’indemnisation en cas d’expropriation ou de réquisition. L’article 132 prévoit sans

équivoque qu’en cas d’expropriation, le titulaire du droit du d’usage du sol pour

l’exploitation forfaitaire a droit à l’indemnisation conformément à la loi, tandis

qu’auparavant, ce droit à l’indemnisation n’était directement reconnue qu’à la

collectivité des paysans599.

(2). – Les paysans défavorisés par le régime actuels de propriété collective du sol

162. - Les défauts de la propriété collective du dol sur laquelle se fonde le système

d’exploitation agricole forfaitaire peuvent se résumer par la « contradiction entre le

droit de posséder la terre et le droit de disposer de la terre »600. En effet, par le contrat

598 Mark SELDEN, Aiguo LIU, «The reform of landownership and political economy of contemporary China», in Mark SELDEN (ed.), The Political economy of Chinese development, New York: M. E. Sharpe, 1993, p.190. 599 V., article 46 de la loi sur l’administration du sol. 600 CHEN Guidi, WU Chuntao, Les paysans chinois aujourd’hui, Trois années d’enquête au coeur de la

Page 189: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

181

d’exploitation forfaitaire établi entre les foyers des paysans et la collectivité, la terre

était souvent considérée comme propriété privée des paysans. Ces derniers occupent

librement la terre pour construire des maisons d’habitation, de fours à briques, creuser

des étangs pour la pisciculture et pratiquer une culture extensive. Toutefois, d’un autre

côté, la collectivité a le droit de redistribuer la terre. Or, à l’égard de la disposition des

terres, le régime actuel accorde trop de pouvoir et de ressources aux pouvoirs locaux

dans les zones rurales, sans contrepartie. Surtout, il manque un contrôle efficace de

leur activité : les cadres ruraux ne cherchent pas à établir une relation d’égal à égal

avec les paysans et une grande partie d’entre eux a fait de ses privilèges une habitude

profondément ancrée, rejetant loin d’elle l’esprit de « servir le peuple ». Certains

dirigeants locaux considèrent la terre qu’ils gèrent comme leur appartenant et ils

peuvent la céder, contre argent, à des entreprises ou à des administrations. Ce qui ne

peut que faciliter les expropriations illégales. Ces problèmes de la gestion des terres

rurales ont conduit à la perte de la surface cultivable des terres et à la dégradation du

niveau de vie des paysans.

163. - Alors que les paysans comme membres de la collectivité peuvent désormais

davantage participer à la gestion des terres collectives en vertu de la loi sur les droits

réels, ils n’ont pourtant pas de droit d’en disposer librement comme propriétaires. Il est

aussi important de souligner que contrairement au droit d’usage du sol de propriété

d’État dans les zones urbaines, le droit d’usage du sol collectif détenu par les foyers

des paysans en vertu du contrat d’exploitation forfaitaire ne peut pas faire l’objet de la

libre disposition. La loi sur les droits réels est très ambiguë en ce qui concerne les

conditions et modalités de la transition du droit d’usage du sol collectif. En pratique, ce

sont les mesures prises à titre expérimental par les gouvernements locaux qui précisent

les cas exceptionnels dans lesquels le droit d’usage du sol collectif peut être transféré,

l’autorisation préalable de la collectivité étant d’ailleurs souvent l’une des conditions

nécessaires. Cette politique de fixer les paysans aux terres rurales en restreignant la

disposition du droit d’usage pour assurer la production agricole est aussi l’une des

raisons de la baisse des revenus des paysans, et par conséquent, élargit « l’ouverture

des ciseaux » pour désigner le phénomène de la « spoliation » des paysans et des Chine, Bourin Éditeur, 2007, p. 207.

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182

campagnes au bénéfice des citadins et des villes.

§ 2. – Les biens collectifs dans la zone urbaine

164. - Pour les biens de propriété collective dans les agglomérations urbaines, la loi

sur les droits réels prévoit par son article 61 que la collectivité exerce les droits de

posséder, d’utiliser ces biens, d’en tirer le profit et d’en disposer. Certes, la loi sur les

droits réels ne prévoit aucun droit dont peuvent disposer les membres des entités

collectives –qu’il s’agisse des coopératives de production ou des entreprises collectives

des agglomérations urbaines. La lacune s’expliquerait par la complexité de la

formation des entreprises collectives enracinée dans l’histoire de l’économie planifiée.

Alors qu’en réalité les biens des ces collectivités furent souvent issus de

l’investissement de la communauté des individus601, il exista bien d’autres entreprises

collectives établies par des gouvernements locaux ou par des entreprises étatiques, ou

bien issues de la collectivisation des unités économiques individuelles ou privées dans

les années 50. À l’époque contemporaine, le phénomène de « chapeaux rouges » ne

peut que rendre la situation plus compliquée602. La lacune de l’article 61 des droits

réels est d’autant plus regrettable que la loi sur les entreprises des cantons et des

communes promulguée en 1996 précise que les biens des entreprises établies par les

entités économiques collectives rurales appartiennent à l’ensemble de leurs membres

paysans. Dès lors que les biens des entreprises collectives rurales appartiennent à

l’ensemble des membres paysans, il n’est plus raisonnable de nier le droit de propriété

des membres des collectivités des agglomérations urbains sur les biens de ces entités

économiques collectives. Au cours de l’élaboration du projet de loi sur les droits réels,

des opinions exprimées par des voies publiques étaient recueillies par le Comité

permanent de l’APN. Elles proposaient que la future loi doive reconnaître les membres

601 V., HAN Song, « Lun jiti suoyouquan de zhuti xingshi (À propos du sujet de la propriété collective) », loc. cit. ; HONG Yuanqi, Hezuo jingji de lilun yu shijian (Théorie et pratique des économies coopératives), Fudan University Press (Fudan daxue chubanshe), 1996, pp. 196 et 348. 602 WANG Shengming, « Woguo de wuquan falü zhidu (Le système juridique de droits réels en Chine) », Guojia xingzheng xueyuan xuebao (Journal of China National School of Administration), n° 5, 2005, p. 10.

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183

des entités collectives comme propriétaires des biens collectifs603. Or, le législateur

chinois a bien avoué que « l’origine des entreprises collectives urbaines étant très

variée, la question sur le sujet de ce droit ne peut être clarifiée qu’avec

l’approfondissement de la réforme dans le futur »604. Il en résulte que la loi sur les

droits réels simplement affirme que « l’appartenance des biens meubles ou immeubles

collectifs urbains est déterminée par des dispositions législatives et réglementaires »605,

tout en laissant ouverte la question à savoir en quoi en consiste la « collectivité ». Il

semble que l’expérience de privatisation des entreprises des cantons et des communes

situées en zone rurale dans la seconde moitié des années 1990606 peut donner une

solution par analogie au problème de droit de propriété des entreprises collectives en

zone urbaine.

Sous-section 3. – La propriété des personnes privées

165. - Par l’adoption de la loi sur les droits réels, la propriété privée en droit chinois

est modernisée dans sa définition (§ 1), mais aussi dans sa forme. Car la copropriété est

formellement reconnue (§ 2) dont la nature privée ne pose aucun doute.

§ 1. – La rénovation de la définition du droit de propriété privée

166. - Au lieu de définir la propriété individuelle, la loi sur les droits réels utilise

l’expression plus large de propriété des personnes privées. On entend ici par personnes

603 V., WU Kun, « Quanguo renda changweihui fagongwei dui qunzhong yijian zuochu guina fenxi (Les avis publics sur l’élaboration du projet de la loi sur les droits réels présentés au Comité permanent de l’APN) », Fazhi Ribao (Legal Daily), 7 septembre 2005. 604 YANG Jingyu, « Rapport sur les modifications du projet de loi sur les droits réels par le Comité des lois », présenté devant le Comité permanent de l’APN le 19 octobre 2005, disponbile sur le site http://www.npc.gov.cn/npc/oldarchives/zht/zgrdw/common/zw.jsp@label=wxzlk&id=342510&pdmc=1502.htm, consulté le 23 octobre 2005. 605 V., Commission des travaux législatifs du Comité permanent de l’APN, Rapport sur la modification du projet de la loi sur les droits réels, loc. cit. 606 Cf., LIU Shiding, « Structure des droits de propriété et mécanisme du changement dans les entreprises de bourg et de village chinoises », in Laurence Roulleau-Berger, GUO Yuhua, LI Peilin, LIU Shiding (sous la dir. de), La nouvelle sociologie chinoise, CNRS Éditions, 2008, pp. 183 à 213.

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184

privées non seulement les individus, mais aussi –par l’interprétation systématique du

chapitre 5 de la loi sur les droits réels– les personnes morales, y compris les entreprises

ayant la personnalité morale607, les groupes sociaux608. Car, si la distinction des trois

catégories de propriété est établie par la loi sur les droits réels avec rigueur, il faudrait

néanmoins préciser que les biens des entreprises ayant personnalité morale et celle des

groupes sociaux ne sont ni la propriété d’État, ni la propriété collective en vertu des

dispositions législatives, par conséquent, elles ne peuvent qu’être classées dans la

catégorie de propriété privée. Il convient de rappeler que, selon François TERRÉ, la

propriété des personnes morales peut est soumise à la catégorie de la propriété

collective, mais « l’écran de la personnalité morale a pour conséquence que, en

termes de technique juridique, cette propriété obéit, pour l’essentiel, au régime de la

propriété individuelle »609.

167. - Quant aux objets de la propriété privée, la loi sur les droits réels, en reprenant

les dispositions des Principes généraux du droit civil et en y ajoutant les moyens de

production610, les investissements et leur rapport611. Ce qui confirme que la propriété

publique n’a plus de monopole sur les moyens de production, par conséquent,

l’abandon par la loi sur les droits réels de la distinction entre moyens de production et

matériels de consommation.

§ 2. – La reconnaissance de la copropriété

168. - La loi sur les droits réels pose les règles générales concernant la copropriété

des immeubles bâtis (A), alors que le régime juridique de celle-ci reste à être complété

par des dispositions plus précises (B).

A. – Les règles générales concernant la copropriété des immeubles

bâtis

607 V., article 68 de la loi sur les droits réels. 608 V., article 69 de la loi sur les droits réels. 609 François TERRÉ, Philippe SIMLER, Droit civil, les biens, op. cit., § 546. 610 V., article 64 de la loi sur les droits réels. 611 V., article 65 de la loi sur les droits réels.

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185

169. - De nature également privée, la loi sur les droits réels établit pour la première

fois en droit chinois le régime de copropriété sur les immeubles bâtis (jianzhuwu qufen

suoyouquan) qui correspond dans une large mesure à la copropriété en droit français612.

La loi sur les droits réels précise que les propriétaires d’un immeuble ont le droit de

propriété sur les parties privatives, jouissent des prérogatives de la collectivité des

copropriétaires sur les parties communes, ainsi qu’assument les charges

correspondantes613. À défaut d’imposer l’affectation comme le critère général de

distinction entre parties communes et privatives, la loi sur les droits réels prévoit

concrètement ceux qui composent les parties communes –soucieuse d’éviter les

éventuels conflits surgis en raison du caractère abstrait de la notion d’affectation–, tout

en permettant la distinction par la convention entre les parties614. En ce qui concerne le

système de gestion, la loi sur les droits réels prévoit l’assemblée générale des

copropriétaires et le comité des copropriétaires élu par l’assemblée générale comme la

forme de gestion par la collectivité des copropriétaires615.

170. - Il faut toutefois souligner la particularité du régime foncier chinois qui ne

pose pas moins des problèmes particuliers au régime de copropriété : alors que le droit

d’usage du sol urbain peut être concédé par l’État aux personnes privées pour

l’exploitation commerciale, y compris la construction des habitations, les personnes

individuelles sont pourtant exclues de facto de la procédure d’octroi de concession. En

effet, seules les personnes morales –dans la plupart des cas les promoteurs

immobiliers– peuvent acquérir le droit d’usage du sol selon la procédure d’octroi de

concession, et par la suite, y construire des bâtiments d’habitation. Par le contrat de

vente, les promoteurs immobiliers transfèrent aux acheteurs en même temps la

propriété des bâtiments d’habitation et le droit partagé d’usage portant sur le fonds. Le

régime de copropriété s’applique à la relation juridique entre les acheteurs d’un même

immeuble, de même que le partage du droit d’usage du sol bâti. En d’autres termes, la

612 V., Gérard CORNU, Droit civil, Les biens, 13e éd., Monchrestien, 2007, n° 106 à n° 108 ; Christian ATIAS, Droit civil, Les biens, op. cit., n° 416 et s. 613 V., les articles 70, 71 et 72 de la loi sur les droits réels. 614 V, les articles 73 et 74 de la loi sur les droits réels. 615 V., les articles 75 et 76 de la loi sur les droits réels.

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186

copropriété des immeubles bâtis naît de la propriété privée des promoteurs immobiliers

par les contrats de vente. Il en résulte que les conflits surgissent moins entre les

copropriétaires qu’entre les copropriétaires d’une part et, d’autre part, le promoteur

immobilier. Celui-ci tantôt réserve sa propriété sur des parties communes de

l’immeuble bâti qui auraient dû appartenir aux copropriétaires, par le tour de

passe-passe dans les contrats de vente des bâtiments d’habitation ; tantôt dépouille le

libre choix des copropriétaires en matière de gestion des parties communes616. L’appel

des copropriétaires à la protection effective de leurs droits et intérêts par rapport aux

promoteurs immobiliers a été présenté au législateur lors de l’élaboration du projet de

loi sur les droits réels617. De nouveaux ajustements ont été adoptés pour tenir compte

du besoin des copropriétaires618, mais la question centrale reste ouverte à savoir si le

droit d’usage du sol urbain peut être directement concédé aux individus, ce qui relève

de la particularité des droits d’usage qui sont désormais intégrés dans la catégorie des

usufruits par la loi sur les droits réels.

B. – L’amélioration du régime juridique de la copropriété en droit

chinois

171. - La loi sur les droits réels ne pose que les règles générales de la copropriété. Or

la complexité de celle-ci exige l’adoption de règles plus précises pour que le régime

juridique de la copropriété soit complet. À cet égard, la Cour populaire suprême est en

train d’élaborer deux avis d’interprétation judiciaire en vue de rendre opérationnelles

les dispositions relatives à la copropriété énoncées par la loi sur les droits réels. Ces

deux avis d’interprétation judiciaire qui concernent principalement la distinction des

616 V., SHEN Yuan, « Vers les droits du citoyen : la défense des droits des propriétaires comme mouvement citoyen dans la Chine contemporaine », in Laurence Roulleau-Berger, GUO Yuhua, LI Peilin, LIU Shiding (sous la dir. de), La nouvelle sociologie chinoise, CNRS Éditions, 2008, pp. 308 à 313. 617 V., WU Kun, « Quanguo renda changweihui fagongwei dui qunzhong yijian zuochu guina fenxi (Les avis publics sur l’élaboration du projet de la loi sur les droits réels présentés au Comité permanent de l’APN) », loc. cit. 618 V., Commission des travaux législatifs du Comité permanent de l’APN, Rapport sur la modification du projet de la loi sur les droits réels, loc. cit.

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187

parties privatives et des parties communes et la gestion de la copropriété, furent publiés

en 2008 en vue de solliciter les opinions publiques619. D’abord en ce qui concerne la

distinction des parties privatives et des parties communes, le projet d’avis

d’interprétation insiste sur le critère général d’affectation, c’est-à-dire que c’est la

finalité de chacune des parties qui commande la classification. Mais les terrains sur

lesquels porte le droit d’usage du sol, les cours, les parcs, les voies d’accès, le gros

oeuvre des bâtiments, les éléments d’équipement commun sont définis comme parties

communes légales. Il est également possible de préciser les parties privatives et

communes par le plan de bâtiment rédigé par le promoteur immobilier, à moins que la

description de la division ne porte atteinte à l’intérêt des copropriétaires. Des règles

plus précises sont prévues en ce qui concerne le calcul de la quote-part des parties

communes afférente à son lot de chacun des copropriétaires ainsi que les charges. Le

projet d’avis d’interprétation judiciaire aborde le rapport de voisinage entre les

copropriétaires à l’égard de la transformation de l’usage du bâtiment : un

copropriétaire ne peut transformer son lot à l’usage industriel ou commercial qu’avec

le consentement des autres copropriétaires concernés.

172. - Quant à la gestion du bâtiment, le projet d’avis d’interprétation précise les cas

dans lesquels le comité des copropriétaires ou l’assemblée générale des copropriétaires

peuvent agir en justice, ainsi que le droit des copropriétaires individuels à demander

l’annulation des décisions du comité des copropriétaires ou de l’assemblée générale

des copropriétaires. En l’état actuel, des contentieux contractuels surviennent souvent

entre le comité ou l’assemblée générale des copropriétaires, d’une part, et, d’autre part,

la société des services immobiliers à l’égard de la prestation des services de gestion, de

maintien, de réparation, etc., de l’immeuble. Par son avis d’interprétation judiciaire, la

Cour suprême populaire entend davantage préciser l’étendue et la signification des

obligations de la société des services immobiliers dans l’exécution du contrat de

services, en vue de compléter le Règlement sur la gestion immobilière adopté par le

CAE en 2003 et révisé en 2007. Ce dernier établit le système de gestion de la

copropriété des immeubles bâtis en donnant les règles concernant l’organisation, le

619 Les projets d’avis d’interprétation de la Cour populaire suprême sont disponibles sur le site http://news.xinhuanet.com/legal/2008-06/16/content_8376666.htm, consulté le 30 décembre 2008.

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188

statut, les fonctions et les droits et devoirs du comité et de l’assemblée générale des

copropriétaires. Il affirme que le comité ou l’assemblée générale des copropriétaires

peut librement désigner une société de services immobiliers dans l’établissement du

contrat de services. La qualification, les obligations et les responsabilités des sociétés

des services immobiliers sont également prévues par le règlement du CAE.

L’élaboration d’un avis d’interprétation judiciaire par la Cour populaire suprême

traduit donc l’intention de celle-ci de renforcer la mise en oeuvre du règlement du CAE

dans la pratique.

En tout état de cause, la défense des droits de copropriétaires est un parcours du

combattant dans le contexte actuel du droit chinois. Les violations des droits des

copropriétaires par les promoteurs immobiliers ou par les sociétés des services

immobiliers les conduisent à s’unir pour défendre leurs propres intérêts. La création de

l’assemblée générale et du comité des copropriétaires offre ceux-ci une instance de

résistance et une direction. Pour se révolter contre les promoteurs immobiliers et les

sociétés des services immobilières, mais également les autorités locales qui prennent

parti contre eux, les copropriétaires peuvent adopter différents moyens collectifs. Les

plaintes collectives et les procès sont les deux voies de lutte de base. Bien que les

échecs se succèdent, les procès continuent et sont de plus en plus visibles. En 2006, 33

comités de propriétaires déposent une demande formelle de création de l’Association

des comités de propriétaires de Pékin auprès des autorités compétentes de la

municipalité. Cette demande a sans surprise été rejetée, car, avec la politique en

vigueur de contrôle strict des organisations non gouvernementales, il est très difficile

d’obtenir l’approbation pour la création de n’importe quelle nouvelle organisation

sociale. Cependant, cette demande a eu des résultats importants avec la constitution

d’un comité de demande, c’est-à-dire un comité désigné par les comités de

copropriétaires de prendre en charge la demande de reconnaissance légale de

l’association. L’apparition de cette entité marque la formation de nouvelles formes

d’organisation par les propriétaires de Pékin. Ils traversent les frontières de leur

résidence et commencent à s’unir. Selon certains auteurs, cela « symbolise l’essor

rapide de la dimension sociale de la forme pratique des droits de propriété, la

croissance rapide de l’espace commun basé sur le droit de propriété privée au sens

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189

d’Habermas, et la naissance récente de la société civile de la classe moyenne (...) qui

pousse progressivement à une reconstruction des relations entre l’État, le marché et la

société »620.

SECTION II. – L’USUFRUIT

173. - Les droits d’usage sont reconnus en droit chinois par la révision

constitutionnelle. Mais la précarité de ces droits et l’ambiguïté de leur contenu font

souvent l’objet des critiques doctrinales621. D’autant que dans le contexte où le sol et

les ressources naturelles sont en principe propriété publique, les droits d’usage des

personnes privées portant sur le sol de propriété publique se fondent sur l’acte des

organes gouvernementaux, qu’il s’agisse de l’autorisation administrative ou de la

modalité de concession dont la nature du contrat administratif fut largement

controversée622. Par exemple, dans le cas du droit d’usage du sol étatique, bien que la

620 SHEN Yuan, « Vers les droits du citoyen : la défense des droits des propriétaires comme mouvement citoyen dans la Chine contemporaine », op. cit., p. 324. 621 V., par ex., FANG Shaokun, DING Haihu, ZHANG Hongwei, « Yongyi wuquan sanlun (Trois pensées sur les droits d’usufruit) », Zhongguo faxue (China Legal Sicence), n° 3, 1996, p. 97 ; QIAN Mingxing, Wuquanfa yuanli (Théorie générale sur les droits réels), op. cit., pp. 293 à 306 ; Joyce PALOMAR, « Land tenure security as a market stimulator in China contents », 12 Duke J. Comp. & Int’l L. 7, pp. 13, 14. 622 V., YU An, Waishang touzi texuquan xiangmu xieyi yu xingzheng hetong fa (BOT and administrative contract), Law Press China, 1998, p. 164; ZHANG Qizhen, PAN Hui, « Guoyou tudi shiyongquan churang hetong xingwhi qianxi (Analyse sur la nature juridique du contrat de concession du droit d’utilisation des terres étatiques) », Zhonguo Tudi (China Land), n° 9, 2004, pp. 24 à 25 ; CHEN Shaoqiong, « Woguo guoyou tudi shiyongquan churang hetong falü xingzhi (The legal nature of contrat for assignement of the right to the use of state-owned land in China) », Zhongguo Sifa (Justice of China), 2004, pp. 70 à 73. Contra, LIU Chengwei, « Tudi shiyongquan churang xingwei xingzhi zai pingyi (Réflexions sur la nature juridique de la concession du droit d’utilisation des terres étatiques) », Zhongguo shehui kexueyuan yanjiusheng yuan xuebao (Journal of Graduate School of CASS), 2002, supplément, pp. 69 à 72 ; GUO Baishun, « Zhiyi tudi shiyongquan churang hetong shi xingzheng hetong (Critiques sur le contrat administratif de concession du droit d’utilisation des terres étatiques) », Dangdai Faxue (Modern Law Review), n° 11, 2003, pp. 66 à 75. La nature juridique du contrat de concession du droit d’utilisation des terres étatique pourrait s’analyser au regard de l’applicabilité de la loi des contrats promulguée en 1999. Celle-ci prévoit qu’elle ne s’applique qu’aux contrats entre les sujets de statut égal, ce qui semble exclure le contrat de concession du droit d’utilisation622. La Commission des travaux législatifs du Comité permanent de l’APN, qui est chargée de l’élaboration du projet de la loi des contrats, admet que le contrat de concession du droit d’utilisation des terres étatiques

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190

loi sur les contrats applique au contrat de concession du droit d’usage du sol623,

l’exercice des pouvoirs réglementaires par la partie des départements

gouvernementaux dans la performance du contrat de concession a pour effet de

restreindre la libre jouissance du droit d’usage du sol par les concessionnaires

personnes privées de telle manière à « remettre en cause le caractère de droit réel de ce

droit»624. En outre, contrairement au droit français « l’usufruit est un droit réel,

généralement viager » 625, les droits d’usage en droit chinois sont généralement limités

dans le temps en vertu des actes juridiques qui les établissent. Il en résulte que les

droits d’usage sont de caractère provisoire, ce qui introduit l’incertitude au destin du

titulaire du droit d’usage à l’échéance de ce droit. Confrontés à ces problèmes, des

juristes chinois ont fortement revendiqué la consolidation des droits d’usage par

l’établissement d’un régime juridique autonome de l’usufruit, en vue de mieux assurer

les intérêts des titulaires des droits sur la chose d’autrui. Le professeur MENG Qinguo

considère qu’il est souhaitable de construire le système juridique des biens qui se fonde

sur les deux piliers de la propriété et de l’usufruit, tout en élevant le statut de l’usufruit

au même rang que celui de la propriété626. Le professeur CUI Jianyuan voit même dans

l’usufruit la notion de quasi-propriété627, exprimant en effet l’importance des droits

d’usufruit. La loi sur les droits réels réussit à établir les règles générales du régime

juridique de l’usufruit (Sous-section 1) et à intégrer les droits d’usage déjà reconnus en

droit chinois qui comportent les droits d’usage du sol de propriété collective

(Sous-section 2) et le droit d’usage du sol pour la construction (Sous-section 3), ainsi

que les droits conférés par la servitude (Sous-section 4).

est couvert par la loi des contrats, toutefois, sa particularité relève des règles juridiques spéciales. 623 Commission des travaux législatifs du Comité permanent de l’APN, Zhonghua renmin gongheguo hetongfa quanshu (Recueil pratique du droit des contrats), Zhongguo Shangye Chubanshe, 1999, p. 108. 624 GAO Fuping, HUANG Wushuang, Fangdichan faxue (Real Property Law), Higher Education Press, 2003, pp. 37, 38. 625 François TERRÉ, Philippe SIMLER, Droit civil, Les biens, op. cit., § 777. 626 Cf. MENG Qinguo, Wuquan eryuan jieguolun: zhongguo wuquanzhidu de lilun chonggou (La reconstruction de la théorie du droits des biens par la doctrine de deux piliers des droits réels ), Renmin fayuan chubanshe, 2002, pp. 35 et s. 627 Cf. CUI Jianyuan, Zhunwuquan yanjiu (Étude sur la quasi-propriété), Law Press China, 2003, pp. 78 et s.

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191

Sous-section 1. – Les règles générales relatives à l’usufruit

174. - Par l’article 117, l’usufruit est défini comme « le droit d’occuper, d’user et de

tirer profit d’un bien immeuble ou meuble d’autrui conformément à la loi ». La loi sur

les droits réels élargit le contenu de l’usufruit qui ne se limite pas aux droits d’usage

déjà reconnus en droit chinois, en posant le principe selon lequel l’usage des ressources

naturelles de la propriété d’État ou collective peut être concédé aux personnes privées

à titre onéreux sauf dispositions contraires628. Il en résulte que le droit d’usage des

zones maritimes, le droit d’exploration et d’extraction des mines, le droit de puiser de

l’eau, le droit d’usage des eaux pour l’élevage et la pêche acquis conformément à la loi

sont également qualifiés l’usufruit629. Mais il convient de souligner que la loi sur les

droits réels ne précise pas les conditions et les modalités relatives à l’acquisition de ces

nouveaux droits d’usufruit par des personnes privées. Par la formulation

« conformément à la loi », la loi sur les droits réels se réfère à d’autres législations

spéciales. La primauté de la loi est par ailleurs réaffirmée par l’article 5 de la loi sur les

droits réels qui dispose que « les types de droits réels et leur contenu sont fixés par la

loi ». Selon la doctrine civiliste chinoise630, ce principe de légalité a vocation à

restreindre la liberté contractuelle en matière d’établissement des droits réels.

D’ailleurs, la signification du principe de légalité est incertaine. Pour les uns, le

principe ne permettrait pas de créer un droit réel non reconnu par la loi, ou un droit réel

dont le contenu irait à l’encontre de celui établi par la loi631. Pour les autres, il serait

susceptible de créer, par des clauses contractuelles, certains droits réels qui ne seraient

pas expressément interdits par la loi632. La méthode d’interprétation du principe de

légalité détermine si certains droits d’usufruit pourraient librement établis par la 628 V., articles 118 et 119 de la loi sur les droits réels. 629 V., articles 122 et 123 de la loi sur les droits réels. 630 WANG Liming, « Wuquanfa de jibenyuanze tantao (Réflexions sur les principes fondamentaux des droits réels) », in Sifa yanjiu (Étude droit privé), n° 1, 2002, Zhongguo zhengfadaxue chubanshe, pp. 100. 631 V., par ex., LIANG Huixing, Zhongguo wuquanfa yanjiu (Étude sur les droits réels), Law Press China, 1998, p. 67. 632 V., par ex., FANG Shaokun, WANG Hongping, « Lun sifa zizhi yu wuquan fading zhi bianzheng guanxi (Le rapport entre l’autonomie de la volonté en droit privé et la légalité des droits réels) », Faxue zazhi (Law Science Magazine), n° 5, 2005, pp. 12,13.

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192

convention des personnes privées, alors qu’ils ne sont pas directement prévus par la loi

sur les droits réels. Par excellence, le droit d’habitation qui figurait dans le projet de loi

sur les droits réels, mais a été supprimé au moment de l’adoption de la loi sur les droits

réels, pour cause de divergences d’opinion sur son utilité633.

175. - Dans les règles générales relatives à l’usufruit, la loi sur les droits réels

précise que sont légalement protégés le droit d’usage des zones maritimes, le droit à

l’exploration minière, le droit à l’exploitation minière, le droit à puiser de l’eau, le

droit de pêche et d’élevage sur les rivières et les bancs de sable. Les prérogatives des

personnes privées à la jouissance des ressources naturelles –qui sont établis par des

actes des départements gouvernementaux, qu’il s’agisse de l’autorisation, de

l’attribution ou de la concession, etc.– sont qualifiées de droit réel. Selon la loi sur les

droits réels, le principe d’utilisation à titre onéreux des ressources naturelles

correspond à la base juridique de la création des droits d’usufruit. Pour assurer les

intérêts des usufruitiers, l’article 120 de la loi sur les droits réels prévoit que le

propriétaire ne peut s’immiscer dans la jouissance des droits de l’usufruitier, ce dernier

n’étant engagé que par des dispositions légales relatives à la protection et l’exploitation

rationnelle des ressources naturelles. Le statut des usufruitiers est également conforté

par l’extension des garanties en matière d’expropriation ou de réquisition au droit

d’usufruit. L’article 121 de la loi sur les droits réels prévoit qu’en cas où l’usufruit est

empêché ou rendu impossible en raison d’expropriation ou de réquisition des biens,

l’usufruitier a le droit à l’indemnisation en évoquant les dispositions de la loi sur les

droits réels qui sont applicables en principe pour la protection des propriétaires

expropriés634.

Sous-section 2. – Les droits d’usage du sol de propriété collective

176. - Le droit chinois distingue deux catégories de droits d’usage portant sur le sol

de propriété collective : l’un est le droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire (§ 633 V., reportage de ZHANG Zongtang « Juzhuquan shifou biyao zhuanjia cunzai fenqi (Les experts divergent sur l’utilité du droit d’habitation) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/newscenter/2005-08/07/content_3319696.htm, consulté le 23 mars 2008. 634 V., articles 121, 42 et 44 de la loi sur les droits réels.

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193

1), l’autre est le droit d’usage du sol pour la construction d’habitations des paysans (§

2). Ces deux droits –relevant aussi de la production agricole dans la zone rurale– sont

reconnus aux paysans en tant que membres de la collectivité.

§ 1. – Le droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire

177. - Avec la mise en place du système d’exploitation de responsabilité centrée sur

la prise en charge par la cellule familiale –l’exploitation forfaitaire à titre familial–, le

droit d’usage du sol rural pour l’exploitation forfaitaire est reconnu aux membres de

l’entité économique collective635. En vertu de la Constitution de 1982, les travailleurs

qui participent aux entités économiques collectives rurales ont le droit, dans les limites

définies par la loi, d’exploiter des parcelles des terres cultivables ou montagneuses

réservées à leur propre usage, de se livrer à des productions subsidiaires familiales et

de posséder des têtes de bétail à titre individuel636. Les dispositions constitutionnelles

sont reprises par les Principes généraux du droit civil637. Pour stabiliser le système de

responsabilité centré sur la prise en charge par la cellule familiale, assurer le droit

d’usage du sol des paysans dans un long terme, la loi sur l’exploitation forfaitaire du

sol rural adopte de nouvelles règles destinées à mieux encadrer l’exécution du contrat

d’exploitation forfaitaire qui constitue la base juridique du droit d’usage du sol rural638.

En effet, avant l’entrée en vigueur de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural, le

contrat d’exploitation forfaitaire définissait les droits et les obligations des parties à

l’égard du droit d’usage du sol639. Le professeur JIANG Ping critiquait le droit d’usage

du sol rural pour l’exploitation forfaitaire comme étant dépourvu de la nature de droit

réel, mais s’apparentait plutôt au droit personnel640. Les juristes chinois considéraient

635 V., FENG Kaiwen, « A Study on the outline history of the household responsibility system in rural China since 1949: The organizations, institutions, and their Changes », African and Asian Studies, vol. 3, n° 3-4, 2004, pp. 219 à 244. 636 V., article 8 de la Constitution de 1982, révisé en 1999. 637 V., articles 80 et 81 des Principes généraux du droit civil. 638 V., articles 1 et 3 de la loi d’exploitation forfaitaire du sol rural, v. également, l’article 5 de la loi d’agriculture promulguée en 1993 et modifiée en 2002. 639 V., article 80, alinéa 2 et l’article 81, alinéa 3 des Principes généraux du droit civil. 640 V., par exemple, JIANG Ping, Zhongguo tudi lifa yanjiu (Étude sur la législation foncière en Chine),

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194

que les intérêts des paysans seraient mieux garantis par l’établissement du régime

juridique du droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire en tant que droit réel, ce

qui empêcherait la collectivité de porter atteinte aux intérêts de ses membres en

abusant de ses prérogatives dans la formation et l’exécution du contrat d’exploitation

forfaitaire641. Les intérêts des paysans ne sont pas suffisamment respectés, aussi parce

que la liberté contractuelle n’existait pas dans l’établissement du contrat d’exploitation

forfaitaire entre la collectivité d’une part et, d’autre part, ses membres : les clauses du

contrat d’exploitation étaient généralement prédéterminées par la collectivité en tant

que gestionnaire des terres collectives tout en excluant la libre négociation642. En

pratique, la violation du contrat d’exploitation forfaitaire par la collectivité consistait

souvent en la restitution des terrains avant l’échéance du contrat, effectuée au nom des

intérêts de la collectivité mais en réalité pour des intérêts privés de ses responsables643.

D’ailleurs, renforcer la garantie du droit d’exploitation forfaitaire des terres revêt

l’importance particulière en Chine. Car, jusqu’à aujourd’hui, conserver le droit d’usage

du sol pour l’exploitation forfaitaire dans une longue période est aussi le moyen

d’assurer la survie des paysans qui ne sont pas couverts par le régime de sécurité

sociale644. Avec la promulgation de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural, les

prérogatives des collectivités sont relativement réduites. Les modalités de

l’établissement du contrat d’exploitation forfaitaire du sol rural, ainsi que les attributs

du droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire sont plus précisément déterminés

Zhongguo Zhengfa Daxue Chubanshe, 1999, p. 309. 641 V., par ex., WANG Liming, «Nongcun tudi chengbaoquan de ruogan wenti tantao (Quelques réflexions sur le droit d’exploitation forfaitaire des terres rurales) », loc. cit. ; v. aussi XU Jiansu, ZHAO Xin, « Study on farmland right to use circulates system », Hebei faxue (Hebei Law Science), vol. 23, n° 9, 2005, pp. 135 à 140; CAO Jianmin, « Tudi chengbao jingyingquan wuquanhua de yiyi (À propos de la protection du droit d’exploitation forfaitaire en vertu des règles juridiques des droits réels) », Zhongguo tudi (China Land), n° 1, 2005, pp. 26, 27. 642 V., WANG Liming, « Nongcun tudi chengbaoquan de ruogan wenti tantao (Quelques réflexions sur le droit d’exploitation forfaitaire des terres rurales) », Zhongguo Renmin Daxue Xuebao (Journal académique de l’Université de Renmin), n° 6, 2001, pp. 78 à 86. 643 V., SHI Shujun, « Farmers should own absolute right of land property (Nongmin yingyou wanzheng de tudi caichan quanli) », Law Science Magazine (Faxue Zazhi), n° 2, 2005, pp. 88 à 90. 644 V., GU Angran, « Guanyu nongcun tudi chengbaofa shenyi jieguo de shuoming (Rapport sur la délibération du projet de loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural», 23 août 2002, Journal Officiel du Comité permanant de l’APN, n° 5, 2002.

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195

par les règles législatives. À cet égard, le législateur chinois a bien manifesté sa

volonté de traiter le droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire comme droit

réel défini par la loi645.

178. - Les dispositions de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural sont

largement reprises par la loi sur les droits réels. Mais ces dispositions s’appliquent

désormais tant au droit d’usage du sol rural de propriété collective qu’au droit d’usage

du sol de propriété d’État pour l’exploitation agricole646. En outre, sont réaffirmées les

différentes durées du droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire : 30 ans pour

les terres cultivables, de 30 à 50 ans pour les prairies; de 30 à 70 ans pour les terres

boisées dont la prolongation est possible par décision de l’administration sylvicole

compétente647. Il est ajouté dans l’article 126 alinéa 2 de la loi sur les droits réels qu’«

à l’expiration de la durée, le titulaire du droit d’usage continue, selon les dispositions

de l’État, l’exploitation dans le cadre d’un contrat forfaitaire ». Il s’agit d’une

reconduction automatique du droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire, mais

ce texte flou n’indique pas les conditions qui s’y appliqueront, question qui semble être

laissée à plus tard 648 . Pour assurer la stabilité du droit d’usage du sol pour

l’exploitation forfaitaire qui était souvent endommagée par la résiliation unilatérale du

contrat d’exploitation forfaitaire par la collectivité, l’article 131 interdit à la collectivité

locale de supprimer le droit d’usage par la restitution des terrains soumis à

l’exploitation forfaitaire. Pour la même raison, l’aménagement des terrains soumis à

l’exploitation forfaitaire qui se fait parmi les membres de la collectivité est strictement

limité649. La loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural permet la cessibilité du droit

d’usage du sol rural, mais sous conditions de ne peut pas entraîner la modification de

l’usage agricole, et pour cette fin, l’accord préalable de la collectivité est exigé.

L’article 128 de la loi sur les droits réels réaffirme comme principe que les terrains

645 V., LIU Suinian, LIU Suinian, « Explications sur le projet de la loi d’exploitation forfaitaire des terres rurales (Guanyu tudi chengbaofa caoan de shuoming) », loc. cit. 646 V., article 134 de la loi sur les droits réels. 647 V., article 20 de la loi d’exploitation forfaitaire du sol rural ; article 126 de la loi sur les droits réels. 648 Xiao-Ying LI-KOTOVTCHIKHINE, « Entre économie de marché et socialisme : la nouvelle loi chinoise sur les biens », op. cit., p. 6 649 V., article 130 de la loi sur les droits réels, celui-ci renvoie aux conditions posées par la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural.

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196

sous régime d’exploitation forfaitaire ne peuvent pas être utilisés par un but non

agricole sans autorisation préalable. Le motif de cette limitation consiste en ce que le

droit d’usage du sol collectif, qui est le seul moyen de production et de survie pour les

paysans, assume par conséquent la fonction de protection sociale pour ceux-ci. La

libéralisation de la cession pourrait nuire aux intérêts des paysans avant que soit établi

en zone rurale un système de protection sociale650. La politique de protection des terres

cultivables menée par le gouvernement, réaffirmée par la législation651, exige aussi le

maintien de la dichotomie entre zones rurale et urbaine par la limitation à la transaction

du sol rural. Mais l’application de la loi sur les droits réels dans certaines localités a

donné une certaine flexibilité à la cessibilité du droit d’usage, ce qui pourrait

éventuellement brouiller la distinction agricole et non agricole. Ainsi en est-il dans la

municipalité de Chongqing où les paysans sont autorisés à apporter leurs droits

d’exploitation forfaire du sol à la coopérative de production dans les zones rurales652.

Pour JIANG Ping, la suppression progressive des limites à la libre cession du droit

d’usage du sol rural est l’intérêt des paysans. La réforme vers la libre cession du droit

d’usage du sol rural établi par le contrat d’exploitation forfaitaire fut récemment

intégrée dans l’orientation politique du PCC653. L’objectif fut d’admettre, par la

réforme progressive du régime juridique actuel, la libre cession du droit d’usage du sol

rural afin de mettre en place les économies d’envergure dans les zones rurales, et de

réaliser le traitement égal entre le droit d’usage du sol collectif et le droit d’usage du

sol de propriété d’État.

179. - Comme la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural, la loi sur les droits

650 WANG Zhaoguo, « Guanyu wuquanfa caoan de shuoming (Explications sur le projet de loi sur les droits réels) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/misc/2007-03/08/content_5818772.htm, consulté le 20 mars 2008. 651 V., article 43 de la loi sur les droits réels; CAE, Guanyu yange zhixing youguan nongcun jiti jianshe yongdi falü he zhengce de tongzhi (L’avis sur le renforcement de la mise en oeuvre des politiques et du droit d’usage du sol collectif rural) , 30 décembre 2007, disponible sur le site http://www.chinalaw.gov.cn/, consulté le 20 mars 2008. 652 V., reportage de TIAN Qianfeng, « Beijing: chanquan zhidu gaige hou nongmin bian gumin (Pékin: les paysans deviennent des actionnaires après la réforme du régime de propriété) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/report/2005-07/11/content_3203340.htm, consulté le 11 avril 2008. 653 V., Résolutions relatives à la promotion de la réforme et du développement rural, adoptées lors de la troisième session plénière du comité central du XVIIe congrès du PCC en date du 12 octobre 2008.

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197

réels réaffirme le système d’exploitation forfaitaire comme le meilleur mécanisme pour

remédier à l’inefficacité de la propriété collective, et renforce la stabilité des relations

juridiques en matière d’utilisation des terres collectives, tout en conservant les mérites

du droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire « comme une sorte de

quasi-propriété privée » 654 . Certes, ce droit de quasi-propriété privée se voit

exclusivement appliquer dans l’espace rural, car dans les territoires urbains s’applique

un autre régime juridique différent, celui du droit d’usage du sol pour la construction

(infra, Sous-section 3).

§ 2. – Le droit d’usage du sol pour la construction d’habitations des paysans

180. - Le droit d’usage du sol pour la construction d’habitations des paysans est

reconnu par la Constitution655, puis réaffirmé par la loi sur l’administration du sol656. Il

s’agit du droit des membres de collectivité à occuper et à utiliser, à titre du foyer, le sol

collectif pour construire leurs bâtiments d’habitation. De manière plus simple, la loi sur

les droits réels renvoie à la loi sur l’administration du sol adoptée en 1986 et

dernièrement révisée en 2004, pour déterminer les règles relatives à l’acquisition, à

l’exercice et à la cession de ce droit657. D’abord, le droit d’usage du sol pour la

construction des logements des paysans est gratuitement alloué aux foyers d’une

collectivité locale de canton ou de commune658, avec l’approbation du gouvernement

de district. À chaque foyer ne peut être allouée qu’une parcelle de terrain dont la

surface est dans la limite déterminée par le gouvernement d’échelon provincial.

Ensuite, le droit d’usage du sol collectif pour la construction des logements est

incessible aux habitants urbains. Au cas où le foyer transférerait son logement, il n’a

654 James Kai-sing KUNG, « Choice of land tenure in China: The case of a county with quasi-private property rights », in Economic Development and Cultural Change, University of Chicago, 2002, pp. 793 à 817. 655 V., article 10, aliéna 3 de la Constitution 1982. 656 V., article 8, alinéa 2 de la loi sur l’administration du sol. 657 V., article 153 de la loi sur les droits réels. 658 Au début des années 90, le CAE a procédé à titre expérimental à l’établissement d’un régime d’utilisation à titre onéreux du sol collectif pour la construction de logements des paysans, mais ces mesures d’expérimentation ont été abandonnées par la suite.

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198

plus le droit de demander une nouvelle parcelle de terrain au nom du droit d’usage du

sol pour la construction d’habitations, sauf pour raison de déménagement 659 .

Troisièmement, les bâtiments d’habitations des paysans ainsi construits peuvent faire

l’objet du droit de succession, le successeur peut jouir du droit d’usage du fonds sur

lequel est construit le logement du foyer. Mais la loi exige que le successeur doive

avoir le statut de paysan –en vertu de l’enregistrement de résidence– comme condition

préalable à l’exercice du droit de succession. À cet égard, le droit d’usage pour la

construction d’habitations des paysans revêt par conséquent le caractère des « droits

attachés à la personne »660.

Sous-section 3. – Le droit d’usage du sol pour la construction

181. - Le régime juridique du droit du sol pour la construction est établi par la loi sur

l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines, entrée en vigueur le 1er

janvier 1995 et révisée en 2007. La loi sur les droits réels, en réaffirmant les principaux

dispositifs de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines,

insère des modifications et de nouvelles règles visant à mieux équilibrer les intérêts

entre l’État-propriétaire (§ 1) et les concessionnaires (§ 2) du droit d’usage du sol.

§ 1. – Des modifications pour l’intérêt de l’État

182. - Le droit chinois prévoit deux voies à l’établissement du droit d’usage du sol

pour la construction: l’attribution à titre gratuit et la concession du droit d’usage du sol

à titre onéreux. Cependant, la loi sur les droits réels pose le principe selon lequel

l’attribution à titre gratuit du droit d’usage du sol étatique est strictement encadrée, elle

ne s’applique qu’à titre exceptionnel et en vertu des dispositions législatives

spéciales661. Par conséquent, la concession est la principale voie pour établir le droit

d’usage du sol de propriété d’État. La restriction vise à assurer que les conditions 659 V., Ministère du territoire et des ressources, Communiqué sur le renforcement de l’administration du droit d’usage du sol pour la construction des logements des paysans, Guotuzifa (2004) n° 234. 660 Frédéric ZENATI-CASTAING, Thierry REVET, Les biens, op. cit., § 29. 661 V., article 137 de la loi sur les droits réels.

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199

imposées par la loi sur la mise en oeuvre de l’attribution seront pleinement respectées,

tout en évitant les abus de pouvoir par les organes gouvernementaux compétents. Par

conséquent, l’intérêt financier de l’État dans l’attribution du droit d’usage peut être

mieux sauvegardé.

183. - Pour le même motif, les modalités de l’établissement du contrat de concession

sont davantage encadrées, dans la mesure où la loi sur les droits réels prévoit la

procédure obligatoire d’octroi de concession. Selon cette procédure, la concession est

attribuée par adjudication au plus offrant si au moins deux offres valables ont été

déposées pour cette concession et si les entreprises intéressées remplissent les

conditions générales d’octroi des concessions662, alors qu’en vertu de la loi sur

l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines, le lancement de la

procédure d’octroi de concession n’était que facultatif. Selon la loi sur l’administration

des biens immobiliers dans les zones urbaines, le contrat de concession peut

valablement s’établir aussi longtemps que la prime de concession consentie par les

deux parties du contrat –à savoir d’une part, les gouvernements locaux au niveau de

ville et de district en tant que représentants de l’État et, d’autre part, les

concessionnaires– ne soit pas inférieure au montant minimum fixé par l’État663. Or,

l’ambiguïté du dispositif de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les

zones urbaines avait largement permis à la relation interpersonnelle entre les

promoteurs immobiliers et les membres des gouvernements locaux d’influencer la

concession du droit d’usage du sol étatique, notamment à l’égard de la redevance du

concessionnaire664. La manipulation dans les coulisses et de graves corruptions ont

sensibilisé le public et le gouvernement central665. L’adoption de la procédure d’octroi

de concession par la loi sur les droits réels s’inscrit donc dans une série d’actions prises 662 V., article 137, alinéa 2 de la loi sur les droits réels. 663 V., article 13, alinéa 3 de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines. 664 V., Gregory M. STEIN, « Acquiring land use rights in today’s China: a snap shot from on the ground », 24 UCLA Pac. Basin L.J. 1, pp. 18, 19. 665 V., reportage de Gareth POWELL, « Real estate sector a hotbed for corruption: Minister », China Economic Review, 23 février 2007 ; v., aussi, reportage de SUN Yuting, « Jianchabu guotuziyuanbu tongbao shiqi tudi weifa weigui dianxi anjian (Le Ministère de la Surveillance et le Ministère du Sol et des Ressources Naturelles communiquent dix affaires typiques d’illégalité relatives au droit d’usage du sol) », disponible sur le site http://www.chinanews.com.cn/gn/news/2007/12-10/1100199.shtml, consulté le 22 mars 2008.

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200

par l’État pour lutter contre les illégalités dans la concession du droit d’usage du sol

étatique666. Avec l’introduction de ce mécanisme de concurrence, la procédure de la

concession du droit d’usage du sol étatique s’améliore par la recherche de transparence

qui profite non seulement aux promoteurs nationaux, mais aussi aux investisseurs

étrangers pour lesquels l’accès au marché immobilier chinois est formellement

reconnu667.

§ 2. – De nouvelles règles pour l’intérêt des concessionnaires

184. - Quant à l’apport de la loi sur les droits réels aux intérêts des concessionnaires,

il convient d’abord de souligner qu’elle admet la possibilité d’établir des droits d’usage

distincts portant respectivement sur la surface du sol, le dessous et le dessus668, alors

qu’auparavant seule était prévue la surface du sol. Pour les juristes chinois, l’un des

apports importants de la loi sur les droits réels consiste néanmoins à accepter « le

principe d’intégration » en ce qui concerne le rapport entre le droit d’usage du sol pour

la construction et le droit de propriété des biens qui y sont édifiés669. Aux termes de

l’article 142, les titulaires du droit d’usage du sol pour la construction sont présumés

être propriétaires des biens édifiés, sauf preuve contraire. À première vue, la loi sur les

droits réels semble reconnaître l’acquisition de la propriété par accession et permettre

l’incorporation à l’immeuble des constructions qui y sont implantées. Mais il existe

une exception importante à ce principe d’intégration : l’État peut réserver la propriété

des biens édifiés sur le sol pour la construction lors de l’établissement du contrat de

concession. Dans ce cas-là, les biens édifiés sur le sol demeurent la propriété d’État,

666 V., Ministère de la Surveillance, Guanyu kaizhan guoyoutudi churang qingkuang zhuanxiang qingli gongzuo de tongzhi (Avis sur le recensement spécifique des concessions du droit d’usage du sol étatique), 8 août 2007, disponible sur le site http://www.gov.cn/zwgk/2007-08/20/content_721724.htm, consulté le 22 mars 2008. 667 V., infra, n° 633 et s. 668 V., article 136 de la loi sur les droits réels. 669 V., WANG Liming, « Guanyu woguo wuquanfa zhidingzhongde ruogan yinan wenti de tantao (Étude sur des questions difficiles dans l’élaboration de la loi sur les droits réels) », Zhengfa Luntan (Tribine of Political Science and Law), n° 6, 1995, pp. 46 à 54 ; v., aussi, LIANG Huixing, Zhongguo wuquanfa yanjiu (Étude des droits réels chinois), Law Press China, 1998, pp. 651 à 653 ; WANG Liming, YIN Fei, Wuquanfa, yongyi wuquan(Droit des biens : l’usufruit), Zhongguo fazhi chubanshe, 2005, pp. 224, 225.

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201

bien qu’ils soient construits par le concessionnaire. Dans la pratique, il s’agit

notamment des installations à l’usage public. La réserve de propriété d’État rassure

l’usage public de ces biens670. Encore faut-il souligner que le principe d’intégration ne

s’applique qu’aux biens qui sont légalement édifiés sur le sol pour la construction671.

En d’autres termes, le concessionnaire ne saurait obtenir aucun titre légal sur les biens

illégalement construits en invoquant l’article 142.

185. - Les articles 146 et 147 expriment aussi la signification du principe

d’intégration dans le cas de la mutation de propriété: la disposition du droit d’usage du

sol pour la construction par la vente, l’échange, l’investissement ou la donation

entraîne en même temps la disposition de la propriété des biens édifiés, vice versa. En

d’autres termes, le principe d’intégration exige que le droit d’usage du sol pour la

construction et le droit de propriété des biens édifiés ne puissent pas être séparément

aliénés. Il en résulte que, par exemple, lors de transaction d’immeubles d’habitation,

les acheteurs acquièrent en même temps deux titres séparés : un titre sur la propriété de

l’immeuble d’habitation, et un titre sur le droit d’usage portant sur le fonds. Ainsi, les

bureaux locaux municipaux d’administration du sol et d’habitation peuvent être

reconnus la compétence pour la délivrance des deux titres via l’inscription des

immeubles au registre. Ce qui peut aider à résoudre la difficulté à laquelle se heurtent

souvent les copropriétaires quant à l’obtention du titre du droit d’usage sur le fonds.

Car, à cause de la séparation des deux systèmes d’enregistrement des biens

immobiliers –l’un sur le fonds, l’autre sur les bâtiments construits– il est très fréquent

que les copropriétaires soient théoriquement considérés comme titulaires du droit

d’usage du sol bâti, mais sans pour autant disposer d’aucun titre justificatif672.

670 Commission des travaux législatifs du Comité permanent de l’APN, Zhonghuarenmingongheguo wuquanfa : tiaowen shuoming, lifaliyou ji xiangguanguiding (La loi sur les droits réels, explications, motifs et dispositions pertinentes), op. cit., p. 266. 671 V., articles 73, 76 et 83 de la loi sur les droits réels. 672 L’arrêté de l’ancien Ministère de la Construction sur l’administration de la vente des habitations urbaines (2001) prévoit l’obligation des vendeurs –promoteurs immobiliers– d’assister les acquéreurs d’habitation pour se procurer le titre de droit d’usage, mais en pratique, dans la plupart des municipalités, deux organes administratifs locaux coexistent pour la délivrance des titres : le titre sur la propriété de l’immeuble d’habitation est délivré par les bureaux locaux d’administration d’habitation urbaine, alors que le titre sur le droit d’usage du sol bâti est délivré par les bureaux locaux d’administration du sol. La séparation des deux administrations a posé des problèmes aux acquéreurs des habitations. Car les

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202

186. - La loi sur les droits réels ne prévoit le principe d’intégration que dans le cadre

du droit d’usage du sol pour la construction dans les zones urbaines. La réponse à la

question de savoir si le principe d’intégration s’applique aussi aux droits d’usages du

sol dans les zones rurales reste ouverte. Mais le principe d’intégration peut avoir des

conséquences particulières sur la limitation à la libre cession des droits d’usage du sol

collectif dans les zones rurales. En effet, si en l’état actuel le droit chinois n’admet pas

encore la libre cession des droits d’usage du sol collectif, il n’y a toutefois pas

d’interdiction formelle sur la transaction des biens immobiliers édifiés sur les terrains

de propriété collective. Or, dans la pratique, il arrive très souvent que le titulaire des

droits d’usage du sol collectif contourne la limitation à la cession de ces droits à travers

le transfert des bâtiments qui y sont construits. La séparation des deux titres, l’un

portant sur le fonds, l’autre sur les bâtiments construits, rend largement ineffective la

limitation à la libre cession du sol collectif. Étendre le champ d’application du principe

d’intégration aux droits d’usage du sol collectif tout en reconnaissant en même temps

la libre cession de ces droits semble être une solution souhaitable au problème actuel.

Le principe d’intégration a une signification particulière en droit chinois dans la

mesure où il modifie substantiellement la loi sur l’administration des biens immobiliers

dans les zones urbaines qui prévoyait l’appropriation à titre gratuit par l’État des

terrains soumis au contrat de concession à l’échéance de ce contrat, si le

concessionnaire ne demande pas le renouvellement du contrat de concession ou si la

demande est rejetée par l’État pour l’intérêt général673. Par le principe d’intégration, le

titulaire du droit d’usage du sol, qui est en même temps le propriétaire des biens édifiés

au terrain soumis au contrat de concession, a droit à l’indemnisation pour ses biens

édifiés à l’échéance du contrat de concession.

187. - Une autre nouveauté de la loi sur les droits réels consiste au principe de

renouvellement automatique du contrat de concession en ce qui concerne les bâtiments

bureaux locaux d’administration du sol ne délivrent le titre sur le droit d’usage du sol qu’aux concessionnaires –à savoir les promoteurs immobiliers, les acquéreurs des habitations demeurent théoriquement titulaires du droit d’usage du sol bâti en théorie, mais sans disposer d’aucun titre justificatif. Toutefois, le changement est en cours, des municipalités ont commencé à fusionner les deux administrations locales afin d’unifier la délivrance des deux titres. 673 V., article 22 de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines.

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203

d’habitations674. C’est-à-dire, le droit d’usage du sol pour l’usage résidentiel devient

reconductible675. Ce principe contribue aussi à la consolidation du droit de propriété

privée sur les maisons et appartements construits sur les terrains étatiques. La solution

constitue donc une exception majeure à la solution prévue par la loi sur

l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines, selon lequel le

renouvellement doit être demandé un an avant l’expiration du terme et il peut être

refusé pour intérêt public. Il en résulte que le droit de propriété privée peut exister

aussi longtemps que l’existence physique des habitations comme ses objets, sans être

influencée par le terme du contrat de concession du droit d’usage du sol étatique.

Cependant, la loi sur les droits réels se contente de proclamer le principe de

renouvellement automatique, tout en laissant aux futures législations le soin d’élaborer

les règles concernant la prime de concession qui devraient être versée par le titulaire du

droit d’usage du sol lors du renouvellement. D’où l’incertitude pour les propriétaires

des habitations676.

Sous-section 4. – Les droits conférés par la servitude

188. - À la différence du Code civil français, la loi sur les droits réels proclame

d’emblée les droits conférés par la servitude qui sont établis par la convention entre le

titulaire des droits d’un bien immobilier dominant d’une part et, d’autre part, le

titulaire des droits d’un bien immobilier servant677, sans prévoir les servitudes qui

dérivent de la situation des lieux, ni la servitude établie par la loi. Pourtant, il convient

de souligner qu’un chapitre septième de la loi sur les droits réels intitulé « voisinage »

prévoit les règles qui correspondent pour l’essentiel à celles des servitudes qui dérivent

674 V., supra, § 19. 675 V., article 149 de la loi sur les droits réels. 676 Lors de la délibération sur le projet de loi sur les droits réels, certains membres du Comité permanent de l’APN ont proposé que le paiement des frais d’usage soit clarifié dans la disposition de la future loi. V., reportage de ZOU Shengwen, « Tudi qishinian shiyongqimanhou, guojia ying shenshou tudi shiyongfei (L’État devrait avoir la prudence sur le paiement des frais d’usage du sol à l’échéance du contrat de concession) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/politics/2006-08/23/content_4999091.htm, consulté le 22 mars 2008. 677 V., article 166 du projet de la loi sur les droits réels.

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204

de la situation des lieux. En droit français, seules les servitudes « profitant à un fonds

de terre sont admises... par crainte de voir la servitude utilisée pour créer librement

des droits réels et attenter au régime d’ordre public des biens »678, alors qu’en Chine

les servitudes personnelles ne sont pas interdites sans équivoque selon la loi sur les

droits réels. Cependant, l’interdiction pourrait en être déduite, car l’article 166 précise

l’amélioration de l’utilité de l’immeuble est le but de la servitude.

189. - L’autre aspect particulier du droit chinois consiste à l’impact de la relation

entre le propriétaire et le titulaire du droit d’usage du fonds sur le régime juridique de

la servitude. D’abord, la liberté du propriétaire du fonds servant dans l’acception des

charges de servitude est limitée pour les intérêts du titulaire des droits d’usage pourtant

sur le même fonds. L’article 163 de la loi sur les droits réels prévoit que le propriétaire

du sol doit préalablement obtenir l’accord des titulaires du droit d’usage du sol pour

l’exploitation forfaitaire, du droit d’usage du sol pour la construction ou du droit

d’usage du sol pour la construction d’habitations des paysans, avant de consentir au

bénéficiaire sa prise en charge de la servitude. En revanche, la loi sur les droits réels

n’exige pas que les titulaires des droits d’usage du sol doivent avoir l’accord préalable

du propriétaire du sol pour établir la servitude avec un tirer bénéficiaire. Ensuite, les

droits conférés par la servitude ou les charges du servant déjà existants demeurent

valables après l’établissement des droits d’usage sur le fonds concerné. De même, au

cas où les droits conférés par la servitude et les droits d’usage coexisteraient sur le

même fonds, les uns ne peuvent pas être totalement ou partiellement cédés ou

hypothéqués de manière dissociée des autres, vice versa679.

SECTION III. – LES MODALITÉS DE MUTATION DES DROITS RÉELS

190. - La loi sur les droits réels, par son Chapitre 2 intitulé « [R]ègles communes

relatives à l’acquisition, à la modification, à la transmission et à l’extinction des

biens », pose les règles de droit commun concernant la constitution et la mutation des

droits réels. D’abord, l’accomplissement des opérations telles que la constitution, la

678 Frédéric ZENATI-CASTAING, Thierry REVET, Les biens, op. cit., § 297. 679 V., articles 164 à 167 de la loi sur les droits réels.

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transmission et l’extinction des droits réels sont désormais subordonnées aux

formalités prévues par la loi : pour les biens meubles, la loi sur les droits réels affirme

le principe selon lequel le transfert de propriété est subordonné à la tradition, tandis

que pour les biens immeubles, il s’agit de l’inscription obligatoire au registre et ses

exceptions. Outre les règles de principe, la loi sur les droits réels complète le mode

d’acquisition de propriété privée par les règles spéciales d’acquisition de bonne foi.

Ces deux aspects, la formalité d’enregistrement (Sous-section 1) et l’acquisition de

bonne foi (Sous-section 2), sont des nouveautés en droit chinois. Cependant, comme

on l’a regretté, la loi sur les droits réels n’a pas pu aller jusqu’au bout pour établir le

régime de l’acquisition prescriptive 680 , de même que d’autres modes originaux

d’acquisition tels que l’accession, l’acquisition des biens vacants et sans maître.

Sous-section 1. – Les formalités d’enregistrement

191. - Le problème de l’effet juridique des modalités d’enregistrement sur le

transfert de propriété fut vivement débattu lors de l’élaboration de la loi sur les droits

réels681. Au lieu de s’aligner sur le principe solo consensus682, la loi sur les droits réels

établit le régime d’enregistrement obligatoire (§ 1), tout en admettant des exceptions

selon lesquelles l’enregistrement n’est que la condition d’opposabilité (§ 2). Comme le

professeur WANG Liming l’a constaté, « le droit chinois opte pour le compromis à

partir de l’hétérogénéité des pays de droit civil »683.

680 V., PENG Chengxin, LIU Zhi, «Qude shixiao de shijian jiazhi yu lifa sheji ( La valeur pratique et la construction du régime juridique de l’acquisition prescriptive) », Shehui kexue yanjiu (Social Science Study), n° 4, 2007 ; YANG Lixin, LIN Xuxiang, « Wuquanfa yingdang guiding qude shixiao zhidu (La loi sur les droits réels doit reconnaître l’acquisition prescriptive) », disponible sur le site http://www.yanglx.com/dispnews.asp?id=284, consulté le 25 mars 2008. 681 V., CUI Jianyuan, Woguo wuquan lifa nandian wenti yanjiu (Étude sur les difficultés dans l’élaboration de la loi sur les droits réels), Qinghua daxue chubanshe, 2005, p. 77. 682 V., Frédérique ZENATI-CASTAING, Thierry REVET, Les biens, op. cit., § 178. 683 WANG Liming, « Wuquanfa caoan zhongde budongchan biandongmoshi (Le mode de transfert des biens immobiliers dans le projet de loi sur les droits réels) », disponible sur le site http://www.npc.gov.cn/npc/oldarchives/zht/zgrdw/common/zw.jsp@label=wxzlk&id=341947&pdmc=1502.htm, consulté le 23 mars 2008.

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§ 1. – L’enregistrement comme condition du transfert de propriété des biens

immeubles

192. - L’article 9, alinéa 1er, dispose que « la constitution, la modification, la

transmission ou l’extinction des droits immobiliers doivent être enregistrées

conformément à la loi ; lesdits actes ne produisent pas d’effet juridique sans

l’enregistrement, à l’exception des cas prévus par loi ». Il convient de souligner que

l’enregistrement obligatoire concerne non seulement le transfert de propriété, mais

aussi la constitution, la transmission, la modification et l’extinction du droit d’usage du

sol pour la construction684. La loi sur les droits réels précise que la constitution, la

modification, la transmission ou l’extinction du droit des biens prend effet juridique à

compter de leur inscription dans les registres fonciers établis par l’État 685 ,

enregistrement qui fait foi quant au titulaire et au contenu des droits enregistrés686, et

qui l’emporte sur le certificat de droit réel immobilier détenu par le titulaire à moins

que l’erreur contenue dans le registre soit établie687. Il en résulte que la signification de

l’enregistrement ne consiste pas à l’opposabilité comme en droit français « le transfert

de la propriété est, en principe, opposable aux tiers solo consensus »688, mais à la

réalisation du transfert. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de mutation de la propriété, si

celle-ci n’était pas enregistrée selon les dispositions légales.

193. - Pour protéger l’intérêt de l’acquéreur ayant cause, l’article 15 de la loi sur les

droits réels distingue encore l’effet juridique de l’enregistrement de celui du contrat

translatif de propriété. Selon cet article, la validité du contrat comme mode d’aliénation

des biens n’est pas mise en cause du fait que le bien faisant l’objet d’aliénation n’est

pas enregistré à la suite de l’établissement du contrat. Au cas où l’aliénateur

empêcherait l’enregistrement par le refus de transmettre les biens, l’acquéreur peut

invoquer l’article 15 pour obtenir la compensation des dommages-intérêts du fait de

l’inexécution du contrat par l’aliénateur. La disposition est d’autant plus importante

684 V, article 139, article 145, article 150 de la loi sur les droits réels. 685 V., article 14 de la loi sur les droits réels. 686 V., article 16 de la loi sur les droits réels. 687 V., article 17 de la loi sur les droits réels. 688 Frédérique ZENATI-CASTAING, Thierry REVET, Les biens, op. cit., §181.

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207

qu’il y avait souvent des confusions considérant le système d’enregistrement

obligatoire comme « défavorable pour l’acquéreur, qui, avant l’enregistrement de son

droit, peut voir la vente résiliée ou le bien revendu par le propriétaire qui cherche à

profiter de la hausse du prix du marché immobilier »689. De surcroît, l’acquéreur qui a

la maîtrise effective des biens sans les avoir enregistrés, peut invoquer les règles

relatives à la possession prévue par la loi sur les droits réels690, dont la nature juridique

diffère de celles du droit français. Ce dernier distingue le détenteur précaire et le

possesseur : « un détenteur précaire réalise l’élément matériel de la possession, à

l’exclusion de l’élément intentionnel », par exemple, un locataire qui n’est pas

possesseur, mais, seulement détenteur691. À cet égard, la loi sur les droits réels se

contente de prévoir la maîtrise de la chose sur la base du contrat, dont le respect est

assuré par la loi692, sans pour autant distinguer le détenteur précaire ou un possesseur.

Car l’enregistrement obligatoire en droit chinois a pour effet de ne laisser aucune place

à la possession telle que reconnue en droit français selon lequel la possession

prolongée pendant le temps requis pour la prescription rend le possesseur

propriétaire693. Il en résulte qu’en Chine l’acquéreur ne peut qu’exiger le respect de sa

maîtrise matérielle de la chose pour bénéficier de la protection comme détenteur

précaire.

194. - Du fait du caractère obligatoire de l’enregistrement immobilier, il existe des

controverses sur la question de savoir si le droit chinois admet la dissociation entre

l’engagement des parties et la réalisation du transfert en s’inspirant du droit civil

allemand en la matière 694 . La majorité des civilistes chinois considèrent que

689 Xiao-Ying LI-KOTOVTCHIKHINE, « Entre économie de marché et socialisme : la nouvelle loi chinoise sur les biens », loc. cit. 690 V., article 245 de la loi sur les droits réels. 691 Pierre VOIRIN, Gilles GOUBEAUX, Droit civil, t. 1, op. cit., §646. 692 V., article 241 de la loi sur les droits réels. 693 Pierre VOIRIN, Gilles GOUBEAUX, Droit civil, t. 1, op. cit., §655. 694 Pour la thèse infirmative, v., par ex., LIANG Huixing, « Woguo minfa shifou chengren wuquan xingwei (Le droit civil reconnaît-il l’acte juridique de droit réel ) », Faxue yanjiu (Chinese Journal of law), n° 6, 1989; pour la thèse affirmative, v., par ex., SUN Xianzhong, « Deguo minfa dui zhongguo zhiding wuquanfa de jiejian zuoyong (Les inspirations du droit civil allemand sur l’élaboration de la loi sur les droits réels en Chine) », disponible sur le site http://www.iolaw.org.cn/shownews.asp?id=1473, consulté le 23 mars 2008.

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208

l’enregistrement obligatoire est requis par le principe de publicité dont l’objectif est de

rendre public la mutation de la propriété afin d’assurer la sécurité des transactions et de

clarifier le rapport juridique des personnes au regard de l’appartenance des biens et

faciliter le contrôle fiscal de l’État, etc.695 Donc, il n’y a pas de lieu d’insister sur la

distinction artificielle entre contrat de vente et contrat pour le transfert de propriété.

Pourtant, l’amélioration de la sécurité de transactions immobilières repose sur

l’efficacité du système des registres fonciers. À cet égard, la loi sur les droits réels ne

pose que des principes sans pour autant préciser les règles pour rendre le système

d’enregistrement opérationnel. En l’état actuel, de multiples organes étatiques sont

compétents en matière d’enregistrement immobilier en fonction de différents critères

de distinction des biens, ce qui ne peut que nuire à l’effet de publicité696. La mise en

place d’un système unifié d’enregistrement immobilier au niveau national demeure le

pas à franchir après l’adoption de la loi sur les droits réels697. Des propositions ont été

présentées par des juristes chinois, parmi lesquelles figure celle qui réclame « une plus

grande intervention du notariat » 698 qui accroîtra la sécurité juridique des

transactions, s’inspirant de l’expérience du droit français. À l’heure actuelle, la

question reste toutefois ouverte : un projet de loi sur l’enregistrement des biens

immobiliers est au cours de rédaction sous l’égide de l’ANP, qui vise à fonder un

système complet et unique d’enregistrement immobilier 699 . En matière

695 WANG Liming, « Wuquanfa caoan zhongde budongchan biandongmoshi (Le mode de transfert des biens immobiliers dans le projet de loi sur les droits réels) », loc. cit. 696 LIU Kaixiang, « Guanyu budongchan dengji wenti de jidian sikao (Quelques réflexions sur des problèmes de l’enregistrement immobilier », disponible sur le site http://article.chinalawinfo.com/article/user/article_display.asp?ArticleID=27512, consulté le 23 mars 2008 ; v., aussi, A. VOINNESSON, « L’entreprise et la concurrence – Les droits réels, 7es Journées juridiques franco-chinoises », Revue Internationale de droit comparé, n°1, 2003, p. 235. 697 V., reportage de TANG Yaoguo, « Wuquanfa xiangguan peitao fagui ying jinkuai chutai (De nouveaux règlements devaient être adoptés récemment pour le besoin de la mise en oeuvre de la loi sur les droits réels) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/legal/2007-04/16/content_5980953.htm, consulté le 23 mars 2008. 698 SHEN Weixing, «Neirong yu xingshi zhijian : woguo wuquan dengji lifa de wanshan (Entre fond et forme : perfectionnement de la législation sur l’enregistrement de la propriété en Chine) », Peking University Law Review, n° 2, 2006, pp. 223 et s. 699 V., reportage de SONG Changqing, « Qiao hanrong daibiao: zhiding tongyi dengji zhidu peitao wuquanfa (Le député QIAO hanrong : construire un système unifié d’enregistrement immobilier pour compléter la loi sur les droits réels) », disponible sur le site

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209

d’enregistrement des bâtiments d’habitations, il semble que l’organe administratif va

continuer à jouer le rôle principal, car le Ministère du Logement et du Développement

Urbain et Rural a adopté en janvier 2008 un arrêté qui s’intitule Mesures

d’administration sur l’enregistrement des bâtiments d’habitations700 pour abriter le

système d’enregistrement des habitations dans l’ensemble du territoire national,

désignant les bureaux locaux d’administration des immeubles d’habitations comme les

organes d’enregistrement.

§ 2. – Les exceptions à l’enregistrement obligatoire

195. - La loi sur les droits réels prévoit deux cas d’exception à l’enregistrement

obligatoire. D’abord, la loi sur les droits réels admet dans certains cas que l’inscription

au registre n’est pas la condition au transfert de propriété, mais à l’opposabilité du

transfert au tiers de bonne foi. Ainsi, l’enregistrement est facultatif. Les exceptions

concernent le droit d’usage du sol pour l’exploitation forfaitaire701, les droits conférés

par la servitude702, le droit d’usage du sol collectif pour la construction d’habitations

des paysans703. Selon WANG Liming, les exceptions ainsi prévues se justifient dans la

mesure où la cessibilité des droits susmentionnés est limitée par la loi, par exemple,

« le droit d’usage du sol collectif pour la construction d’habitations ne peut faire

l’objet de transmission que parmi les membres d’une même collectivité, ce qui tempère

l’utilité de la publicité par l’enregistrement »704 . D’ailleurs, pour certains biens

http://news.xinhuanet.com/misc/2008-03/05/content_7723488.htm, consulté le 23 mars 2008. V., aussi, WU Bangguo, Rapport de travail du Comité permanent de l’APN devant la 1re session plénière du XIe APN, 8 mars 2008, disponible sur le site http://npc.people.com.cn/GB/71673/7030565.html, consulté le 31 mars 2008. 700 L’arrêté est entrée en vigueur le 1er juillet 2008. Le texte de l’arrêté est disponible sur le site http://www.cin.gov.cn/zcfg/jsgz/200803/t20080321_147199.htm, consulté le 16 mai 2008. 701 V., article 129 de la loi sur les droits réels. 702 V., article 158 de la loi sur les droits réels. Toutefois, en vertu de l’article 169, l’enregistrement est obligatoire pour les droits conférés par la servitude déjà enregistrés en cas de modification, de transmission ou d’extinction ultérieure. 703 V., article 155 de la loi sur les droits réels. Toutefois, l’enregistrement est obligatoire pour le droit d’usage du sol pour la construction d’habitations des foyers ruraux déjà enregistrés en cas de transmission ou d’extinction ultérieure. 704 WANG Liming, « Wuquanfa caoan zhongde budongchan biandongmoshi (Le mode de transfert des

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210

mobiliers tels que le navire, l’aéronef, le véhicule automobile, l’enregistrement est

requis pour que la mutation de propriété soit opposable au tiers de bonne foi705.

Dans un autre cas, l’enregistrement devient inutile du fait que la constitution, la

modification, la transmission ou l’extinction des droits des biens résulte du jugement,

de l’arbitrage, de la décision administrative, de la succession ou de la libéralité ou des

actes de fait706. De même, la propriété d’État sur les ressources naturelles, du fait de

son caractère hors commerce, n’est pas sujette à l’enregistrement707.

Sous-section 2. – L’acquisition de bonne foi des biens privés

196. - Alors que l’acquisition de bonne foi est reconnue par la doctrine civiliste et la

jurisprudence708, c’est la loi sur les droits réels qui adopte pour la première fois les

règles législatives en la matière. En revanche, à regarder de près, il y a des différences

importantes entre la loi sur les droits réels et le Code civil français, en ce qui concerne

l’acquisition de bonne foi des biens aussi bien meubles (§ 1) qu’immeubles (§ 2).

§ 1. – L’acquisition de bonne foi des biens meubles

197. - Les conditions constitutives de l’acquisition de bonne foi sont prévues par

l’article 106. Premièrement, l’acquéreur doit avoir la bonne foi au moment de

l’acquisition –ce qui ressemble à l’article 2269 du Code civil. Deuxièmement,

l’acquisition de propriété se fait au prix juste. Troisièmement, l’acquéreur doit avoir la

maîtrise effective des biens meubles. La deuxième condition est plus restrictive par

rapport au droit français, dans la mesure où elle exige non seulement que l’acquéreur

biens immobiliers dans le projet de loi sur les droits réels) », loc. cit. 705 V., article 34 de la loi sur les droits réels. 706 V., articles 28 à 30 de la loi sur les droits réels. 707 V., article 9 de la loi sur les droits réels. 708 V., LIANG Huixing, CHEN Huabin, Wuquan fa (Droit des biens), 2e éd., Law Press China, 2003, p. 203 ; YIN Tian, « Lun wuquanfa guiding qude shixiao de biyaoxing (Sur la nécessité de l’acception de l’acquisition prescriptive par la loi sur les droits réels) », Faxue (Law Science Monthly), 2005, n° 8, pp. 10 à 13.

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211

ait un titre sur les biens –qu’il s’agisse des biens mobiliers ou immobiliers–, mais aussi

que le prix comme contrepartie du titre soit juste. Alors qu’en droit français, n’est

exigé que le juste titre pour les biens immeubles en vertu de l’article 2265 du Code

civil 709 ; pour les biens meubles, « la possession vaut titre » 710 . Il en résulte

l’acquisition à titre gratuit ou au prix qui n’est pas juste –sous le jugement souverain

du tribunal, le tiers ne serait protégé contre le propriétaire au procès de revendication,

bien qu’il soit la bonne foi. L’exigence d’un juste prix résulte du souci de maintenir

l’équité entre le propriétaire et le tiers acquéreur, traduisant donc la notion de justice

substantielle qui prévaut dans la connaissance du peuple chinois. Il en résulte qu’en

droit chinois si le tiers procure quelque chose pour rien ou à prix sensiblement bas par

rapport à la valeur de la chose, l’intérêt du propriétaire l’emporte sur la sécurité du

droit du tiers.

198. - Quant aux meubles perdus, la loi sur les droits réels reconnaît le droit de

revendication du propriétaire. Toutefois, les dispositions doivent être nuancées au

regard du Code civil français. D’abord, le délai de revendication est différent. En droit

français, le propriétaire peut revendiquer son bien perdu ou volé pendant trois ans à

compter du jour de la perte ou du vol contre le possesseur de bonne foi, alors qu’en

droit chinois, ce délai est réduit à deux ans à compter du jour où le propriétaire

identifie ou doit identifier le tiers possesseur. Plus important encore, la loi sur les droits

réels est beaucoup plus influencée par les bonnes moeurs chinoises que « la personne

qui trouve la chose perdue doit toujours la restituer au propriétaire, sans même

pouvoir exiger la compensation » 711. Pour cette raison, la loi sur les droits réels

impose le principe selon lequel celui qui trouve la chose perdue doit la restituer à la

personne ayant droit, ainsi que les procédures qui y sont applicables712. En vertu de ces

procédures, la personne qui a trouvé la chose perdue doit avertir le propriétaire ou

rendre la chose au commissariat de police ou à d’autres organes gouvernementaux qui 709 Le juste titre est celui qui, considéré en soi, serait de nature à transférer la propriété à la partie qui invoque la prescription. Civ. 3e, 29 févr. 1968: Bull. civ. III, n°83; 13 janv. 1999: ibid. III, n°13; JCP 1999. I. 175, n° 6, obs. Périnet-Marquet ; 30 avr. 2002: Bull. civ. III, n°89; D. 2002. Somm. 2510, obs. Reboul-Maupin; JCP 2002. I. 176, n° 4, obs. Périnet-Marquet. 710 V., article 2279 du Code civil français. 711 ZHENG Li, WANG Zuotang, Minfaxue (Droit civil), Beijing University Press, 1999, p. 157. 712 V., articles 109 à 111 de la loi sur les droits réels.

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212

procèdent à la recherche du propriétaire par l’avis au propriétaire ou par l’avis public.

Si le propriétaire de la chose perdue ne se présente pas à l’échéance de six mois à

compter du jour de la publication de l’avis, l’État s’approprie la chose. À la différence

du droit français qui reconnaît la possibilité pour la personne qui trouve l’ « épave »

peut devenir propriétaire par prescription acquisitive713, la personne qui trouve la chose

perdue ne peut en aucun cas être l’acquéreur de bonne foi, ni bénéficier de la

protection possessoire aux termes de la loi sur les droits réels. Mais cette dernière

exige que le propriétaire doive donner une compensation pour les frais engagés par la

personne pour conserver la chose perdue714. Si la vertu morale de « ne pas cacher

l’argent qu’on a ramassé » (shijin bumei) demeure louable, le droit à compensation a

gagné l’approbation, puisqu’il est « justifié par l’intérêt légitime de la personne qui a

trouvé la chose perdue »715. De même, la loi sur les droits réels exclut l’applicabilité de

l’acquisition de bonne foi aux objets volés716, ce qui correspond aux pratiques

judiciaires chinoises selon lesquelles les victimes retiennent toujours le droit de suite.

§ 2. – L’applicabilité de l’acquisition de bonne foi aux biens immeubles

199. - En droit français, celui qui a acquis de bonne foi a non domino un immeuble

ne tiendra son droit de la loi qu’au terme d’une période de possession de dix à vingt

ans717. En revanche, en droit chinois, l’application de l’acquisition prescriptive n’existe

pas. D’autant que « le transfert de propriété s’effectue par l’enregistrement obligatoire,

il n’y a donc plus de lieu pour la protection du tiers de bonne foi en ce qui concerne les

biens immobiliers»718. Néanmoins, pour les autres juristes chinois, ils considèrent que

713 Frédéric ZENATI-CASTAING, Thierry REVET, Les biens, op. cit., §17. 714 V., article 112 de la loi sur les droits réels. 715 CHENG Xiao, « Shide yishiwu yingfufei shijinbumei meide buhui bianwei (Le droit à compensation ne dénature pas la vertu morale) », disponible sur le site http://www.china.com.cn/law/txt/2007-03/19/content_7981368.htm, consulté le 24 mars 2008. 716 YANG Jingyu, « Rapport sur les modifications du projet de loi sur les droits réels par le Comité des lois », loc. cit. 717 V., article 2265 du Code civil français. 718 LIANG Huixing, CHEN huabin, Droit des biens (Wuquanfa), 1997, Law Press China, p. 185 ; YU Haiyong, « Le principe fondamental de la protection du tiers de bonne foi dans le transfert de propriété (Wuquan biandong zhong disanren baohu de jiben yuanze) », Falü kexue (Science of Law), n° 4, 2001 ;

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213

l’acquisition de bonne foi s’applique également aux immeubles dans le cas où

« l’acquéreur aurait la croyance sur l’enregistrement vicieux, c’est-à-dire les

informations souscrites au registre ne correspond pas à l’appartenance réelle des

biens » 719 et ainsi enterait dans la transaction. Du fait que « l’enregistrement constitue

l’apparence de la propriété immobilière »720, il y a lieu de rassurer le droit du tiers de

bonne foi qui s’appuie sur cet enregistrement. La loi sur les droits réels admet sans

équivoque l’applicabilité de l’acquisition de bonne foi aux biens immeubles. Toutefois,

selon l’article 106, l’acquisition de bonne foi des biens immeubles est soumise à la

condition, entre autres, d’enregistrement. À cet égard, on ne peut que se demander s’il

s’agit de conforter la valeur obligatoire de l’enregistrement ou de protéger le droit du

tiers de bonne foi.

SUN Xianzhong, «Wuquanfa jiben fanchou yu zhuyao zhidu fansi (Réflexions sur les catégories fondamentales et les institutions du droit des biens) », Zhongguo faxue (China Legal Science), n° 6, 1999, pp. 54 à 63. 719 CHANG Peng’ao, «Shanyi qude jinjin shiyongyu dongchan wuquan ma ? (L’acquisition de bonne foi devrait-elle s’appliquer uniquement aux biens meubles ?) », Peking Universtiy Law Journal, 2006, n° 6, p.656 à 668. ; YANG Lixin, « Gongtong gongyou budongchan jiaoyi zhongde shanyi qude (L’acquisition de bonne foi des biens immeubles indivis) », Faxue yanjiu (Chinese Journal of Law), n° 4, 1997, pp.150 à157. 720 CHANG Peng’ao, Wuquanfa dianxing panli yanjiu (Étude sur les grands arrêts de droit des biens), Renmin fayuan chubanshe, 2002, p.166.

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214

CONCLUSION DU CHAPITRE

200. - L’adoption de la loi sur les droits réels ne se limite pas à remédier à la

dispersion et à l’émiettement des sources du droit des biens à travers le regroupement

rationnel de règles éparses. Il est vrai que « [toute] codification apparaît à l’origine

comme la réponse technique à un besoin de sécurité juridique »721, dans le cas de

l’élaboration de la loi sur les droits réels, la sécurité juridique s’entend au sens tant

formel que substantiel. Car la sécurité juridique suppose la systématisation des sources

juridiques du droit des biens pour répondre aux critiques que « le droit chinois n’est

guère prévisible »722, la solution aux problèmes surgis dans la vie quotidienne du

peuple, ainsi que la rationalisation du rapport entre l’État et ses citoyens au tour des

biens. Cependant, la volonté politique de légiférer ne suffit pas à apporter des solutions

à certaines questions qui ne sont pourtant pas moins importantes pour la sécurité

juridique. Tout d’abord, à défaut de notion du domaine public de l’État en droit chinois,

la propriété d’État est utilisée pour désigner les biens qui ne sont pas susceptibles

d’être propriété privée, ni collective, dont le fondement demeure le régime économique

socialiste ayant pour base l’appropriation publique des moyens de production, tandis

que la distinction étanche entre moyens de production et matériels de consommation

n’est plus viable. Pour éviter l’extension de la propriété d’État favorisée par la

confusion de la propriété et du pouvoir politique –ce qui peut présenter une menace

pour la propriété privée, le droit chinois a besoin d’y imposer une limite. La propriété

collective, au lieu d’être l’expression juridique des biens communaux, demeure « un

droit sans sujet » : elle est la propriété publique, mais ni l’État, ni la collectivité ne peut

en disposer, les membres de la collectivité n’ayant que les droits à la gestion. Quant à

la propriété privée, elle se réduit aux biens meubles et aux biens immeubles édifiés sur

le sol de propriété publique dont la sécurité juridique dépende plus ou moins de la

propriété publique, de même pour les droits d’usufruit. Il en résulte que le régime

juridique du droit de propriété reste à être amélioré, par voie législative, mais surtout

721 Rémy CABRIALLC, Les codifications, PUF, 2002, p. 68. 722 Robert GUILLAUMOND, « Le droit chinois est-il prévisible ? », in Gazette du Palais, n° spécial « La Chine et le droit : les évolutions récentes », le 16 décembre 1997, p. 1632.

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215

judiciaire.

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216

CONCLUSION DU TITRE

201. - Si le droit chinois est largement institutionnalisé, il ne faut pas pour autant

négliger la dimension politique de la proclamation constitutionnelle de l’inviolabilité

des biens des citoyens, ainsi que de la législation du droit des biens. En effet, « si

l’approche de la législation civile en Chine est pragmatique et instrumentaliste dans la

mesure où elle est soumise aux besoins immédiats du développement et d’ouverture de

la Chine, il y a toutefois un contenu non seulement plus technique et plus juridique

mais aussi plus institutionnel et par conséquent plus nettement politique de la

législation civile »723. Ainsi en est-il de l’affirmation du principe d’égalité de protection

des propriétés publique et privée, de la rénovation de la définition du droit de propriété

privée, de l’intégration de divers droits d’usage dans le régime juridique de l’usufruit,

de la restriction de la transaction du d’usage du sol collectif et du renforcement des

droits des membres de la collectivité dans la participation à la gestion des biens

collectifs, etc. Tous répondent aux besoins immédiats, mais aussi traduisent

l’orientation politique de l’État dans la construction d’un système juridique à la fois

compatible et « nécessaire au développement de l’économie de marché socialiste »724.

Il est nécessaire de souligner que la dimension politique du droit chinois réside non

seulement au fait que l’État se sert de la législation comme l’instrument de réforme

qu’il dirige, mais aussi à la volonté du peuple de recourir aux normes de droit pour se

défendre contre l’excès du pouvoir. Ce phénomène d’instrumentalisation à l’inverse du

sens de haut en bas se traduit par le mot d’ordre de « la vocation de la protection des

droits individuels de l’entreprise de codification civile »725. Mais il reste à demander si

la codification civile a la capacité et les moyens de réaliser pleinement sa vocation

espérée de la protection des droits individuels. À partir de l’affirmation sur « l’essence

723 V., Jean-Pierre CABESTAN, « Le contexte juridique chinois, évolutions institutionnelles et législatives », in Centre français de droit comparé, L’actualité du droit chinois des affaires, colloques du 14 novembre 2003, Société de législation comparée, 2004, p. 15. 724 Xiao-ying LI-KOTOVTHIKHINE, « La réforme du droit chinois par la codification », Revue Internationale de Droit Comparé, n° 3, 2000, p. 536. 725 SHI Jiayou, La Codification du droit civil chinois au regard de l’expérience française, op. cit., p.161.

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du droit civil est droit privé »726, le professeur JIANG Ping soutient vivement la thèse

selon laquelle la protection des droits individuels contre l’empiètement du pouvoir ne

saurait être assurée sans le concours du droit public727. En effet, si les fondements de la

division droit public et droit privé sont habituellement invoqués par les juristes chinois

tout en insistant sur la différenciation entre l’État et la société civile, la position des

juristes « ne va pas jusqu’à parler de la relation d’opposition entre les deux »728. Il

reste donc à franchir un pas important vers la reconnaissance de la primauté du droit

privé qui « correspond au postulat typiquement idéologique selon lequel les droits de

l’individu sont antérieurs à toute organisation sociale»729. En ce qui concerne la

propriété, l’utilité de la loi ne consiste pas à la création de ce droit, mais à sa

confirmation dont l’efficacité nécessite le recours à elle, mais aussi le dépassement

d’elle. Car, « pour les libéraux, la bonté de l’homme ne représente rien de plus qu’un

argument qui servira à mettre l’État au service de la société ; elle signifie donc

simplement que la société trouve son ordre en elle-même et que l’État n’est que son

subordonné, maintenu dans des limites précises et contrôlé avec défiance »730.

202. - Du point de vue de sociologie juridique, la proclamation constitutionnelle de

l’inviolabilité des biens des citoyens, comme la législation du droit des biens, c’est

aussi « donner à une action ou à un discours la forme qui est reconnu comme

convenable, légitime, approuvée », qui permet la force symbolique à « s’exercer

pleinement en se faisant méconnaître en tant que force et en se faisant reconnaître,

approuver, accepter, par le fait de se présenter sous les apparences de l’universalité

–celle de la raison ou de la morale »731. La réhabilitation du droit de propriété privée

aurait pour effet de faire en sorte que la liberté s’enracine dans l’idée du peuple,

726 JIANG Ping, ZHANG Chu, « Minfa de benzhi shi sifa (L’essence du droit civil est droit privé) », Zhongguo faxue (Chinese Legal Science), n° 6, 1998, p.32. 727 JIANG Ping, « Minfa de huigu yu zhanwang (Rétrospectif et prospectifs du droit civil) », Bijiaofa yanjiu (Journal of Comparative Law), 2006, n° 2, p. 9. 728 Hélène PIQUET, La Chine au Carrefour des traditions juridiques, op. cit., p. 178. 729 François XAVIER, « La distinction du droit public et du droit privé est-il idéologique ? », Recueil Dalloz, 1998, p. 345. 730 C. SCHMITT, La notion de politique, Calmann-Lévy, 1972, p. 106. 731 Pierre BOURDIEU, « Codification », in Le sens commun, choses dites, Les éditions de minuit, 1987, p. 103.

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puisque la propriété est le synonyme de liberté732. Par la légitimation et la légalisation

du droit de propriété privée, le droit chinois semble abandonner « la route de la

servitude » dans laquelle la liberté politique ne survenait pas à la planification

centralisée où « tous les moyens de production étaient concentrés dans une seule

main » du pouvoir total733. Pour que le sens du droit chinois s’éloigne encore de la

servitude, il faudrait des garanties non juridiques mais aussi politiques. Or, en ce qui

concerne le mécanisme de la mise en œuvre des droits constitutionnellement reconnus,

y compris la propriété privée, on ne trouve que l’écart entre la proclamation des droits

et leur réalisation dans la pratique, ce qui caractérise d’une certaine manière

l’indifférence du droit chinois à la promotion systématique des droits. Comme la

professeure Mireille DELMAS-MARTY l’a souligné, «qu’il s’agisse de principes

nouveaux (sur les droits de l’homme et le droit de propriété) ou déjà consacrés, comme

l’État de droit, l’effectivité de l’ensemble des droits fondamentaux inscrits dans la

Constitution dépendra avant tout de la possibilité d’un contrôle »734. Pour la propriété,

c’est un contrôle dont l’objectif est de garantir ce droit par la loi mais aussi contre la

loi.

732 V., Albert SOREL, « Introduction », in Jean-Louis HALPÉRIN (présentation), Le Code civil 1804-1904, Livre du centenaire, Paris : Dalloz, 2004, p. XXXI. 733 Friedrich A. HAYEK, La route de la servitude, 4e éd., PUF, 2005, p. 79. 734 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, Fayard, 2007, p. 565.

Page 227: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

219

TITRE II. – LA MISE EN OEUVRE DES GARANTIES

DU DROIT DE PROPRIÉTÉ

203. - La proclamation du droit ne signifie pas pour autant qu’il soit effectif.

L’existence d’un « droit est liée à son inscription dans une norme, alors que l’existence

d’un mécanisme de contrôle n’est que le garant de son effectivité »735. Proclamé et

aménagé, le droit de propriété doit également être garanti, c’est-à-dire qu’il doit être

accompagné de sanctions juridiques qui le protègent contre d’éventuelles atteintes. Au

regard de la notion des libertés publiques, la méthodologie de l’étude des garanties

juridiques du droit de propriété peut s’organiser à partir de deux approches différentes :

la première met l’accent sur l’organe chargé de la sanction, la seconde s’attache à

l’origine de l’atteinte. Cette dernière approche est privilégiée, puisque «la notion même

de libertés publiques implique une protection de la personne à l’égard des atteintes

aux libertés commises par l’État ou en son nom », mais aussi, « chaque norme, dans

un État de droit, bénéficie de son propre mécanisme de sanction qui permet de garantir

les libertés publiques »736. C’est dans l’esprit selon lequel la hiérarchie des garanties

correspond à la hiérarchie des normes que seront ici successivement étudiées la mise

en oeuvre des garanties constitutionnelles (CHAPITRE I) et la mise en oeuvre des

garanties juridiques du droit de propriété prévues par la loi et d’autres textes normatifs

(CHAPITRE II), cherchant ainsi à démontrer l’écart existant entre la proclamation et

l’effectivité du droit dans le système juridique chinois.

735 Bertrand MATHIEU, Michel VERPEAUX, Contentieux constitutionnel et des droits fondamentaux, LGDJ, 2002, p. 12. 736 Claude-Albert COLLIARD, Roseline LETTERON, Libertés publiques, 8e éd., 2005, §115.

Page 228: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

220

CHAPITRE I. – LA MISE EN OEUVRE DES

GARANTIES CONSTITUTIONNELLES DU DROIT DE PROPRIÉTÉ

204. - L’utilité et la nécessité de la constitutionnalisation du droit de propriété sont

évidentes, quand il s’agit d’un pays qui est en transition vers l’économie de marché,

pour empêcher l’éventuel retour excessif ou arbitraire de l’État dans la vie économique

de la société. Dans les pays où les législations civiles et pénales ont déjà une longue

expérience de garantie de la propriété, le problème concerne plutôt l’efficacité du

contentieux constitutionnel737. En droit français, « l’idée selon laquelle le droit de

propriété n’était pas un droit fondamental prévalait jusqu’en 1982 » 738 . La

Constitution de 1958 n’envisage pas particulièrement la garantie constitutionnelle du

droit de propriété sauf la garantie législative prévue par l’article 34 et sous l’angle de la

répartition des compétences normatives entre le législateur et le pouvoir réglementaire.

Il fallut attendre l’intégration de la Déclaration 1789 dans le bloc de constitutionnalité

par les décisions du Conseil constitutionnel pour que soit reconnue en droit français la

valeur constitutionnelle du droit de propriété et par conséquent la garantie

supralégislative de ce droit739. Dans tous les cas, il suppose le bon fonctionnement du

contrôle de constitutionnalité des normes juridiques. Pour la Chine, le contrôle de 737 Yoïchi HIGUCHI, « Rapport général, les garanties de la propriété dans une mutation de la vie économique », in La propriété, journées vietnamienne, T. LIII, 2003, Société de législation comparée, 2006, p. 500. 738 Michel VERPEAUX, « Le droit de propriété dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel : permanence et actualité », CJEG, décembre 1999, pp. 411 à 419. 739 Cons. const., 16 janv. 1982, D. 1983,169, note L. Hamon, JCP 1982, II. 19788, note Nguyen Quoc Vinh et C. Franck, Gaz. Pal. 1982, 1, 67, note A. Piedelièvre et J. Dupichot. V., aussi, P. BON, « Le statut constitutionnel du droit de propriété », RFD adm. 1989, n°6 ; F. BOUYSSOU, « Les garanties supra-législatives du droit de propriété », D. 1984, chron. 231 ; J.-Y. CHÉROT, « La protection de la propriété dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Mélanges Mouly, 1998, t. 1, pp. 405 et s. ; F. COLLY, « Le Conseil constitutionnel et le droit de propriété », RD publ. 1988, p.135 ; L. FAVOREU, « Le droit de propriété dans la déclaration de 1789 », in La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, 1989, PUF, p. 123 et s. ; R. LEGEAIS, « Le Conseil constitutionnel, protecteur du droit de propriété », Mélanges Flattet, 1985, pp. 61 et s. ; J.-L. MESTRE, « Le Conseil constitutionnel, la liberté d’entreprendre et la propriété », D. 1984, chron. 1 ; N. MOLFESSIS, Le Conseil constitutionnel et le droit privé, préf. M. GOBERT, Bibl. dr. privé, t. 287, LGDJ, 1997, n° 59 et s. ; R. SAVY, « La constitution des juges », D. 1983, chron. 105 ; F. ZÉNATI, « Sur la constitution de la propriété », D. 1985, chron. 171 ; Anne-Françoise ZATTARA, La dimension constitutionnelle et européenne du droit de propriété, Bibl. dr. privé t. 351, LGDJ, 2001, pp. 8 et 9.

Page 229: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

221

constitutionnalité est d’autant plus important que les atteintes au droit de propriété

s’inscrivent dans le contexte de « désordre normatif » du droit chinois, dont les causes

principales sont « la libéralisation progressive de l’économie, la délimitation

insuffisante des pouvoirs normatifs et le pragmatisme de la politique législative »740. Il

en résulte que la protection du droit de propriété exige d’abord la rationalisation de la

loi qui « n’a plus tous les droits »741, d’autant plus que l’excès du pouvoir en Chine

prend souvent la forme de loi au sens large742.

205. - La protection constitutionnelle du droit de propriété implique la définition du

régime des atteintes portées à ce droit. Ce régime comporte des garanties en faveur du

propriétaire. En droit français, il s’agit de s’assurer que la privation ou la

réglementation du droit de propriété s’insère dans un cadre juridique préétabli et

répond notamment à des exigences constitutionnelles. Ces contraintes développent

leurs effets sur deux plans. D’une part, les règles strictes de compétence en matière

d’atteinte au droit de propriété ; d’autre part, les conditions applicables à la privation et

à la réglementation du droit de propriété743. Ces deux aspects des garanties du droit de

propriété, à savoir la répartition de compétence (SECTION I) et les conditions

applicables aux atteintes au droit de propriété (SECTION II), existe également en droit

chinois, dont l’effectivité est assurée par le mécanisme du contrôle établi par la

Constitution de 1982 et complété par la loi du 15 mars 2000 sur l’élaboration des

normes juridiques (lifa fa). Mais à la difficulté politique de la constitutionnalisation du

droit chinois744 s’ajoute la dominance politique de l’État-parti. Ces deux facteurs

limitent l’effectivité de la mise en oeuvre des garanties constitutionnelles par le

mécanisme de contrôle intitulé « supervision constitutionnelle» ou « supervision

740 Xiao-Ying LI-KOTOVTCHIKHINE, « La réforme du droit chinois par la codification », op. cit., p. 541. 741 Mireille DELMAS-MARTY, Vers un droit commun de l’humanité, Textuel, 2004, p. 43. 742 Par exemple, pour les lois stricto sensu, il peut y avoir 7 appellations : loi (fa), résolution (jueyi), décision (jueding), règlement (tiaoli), dispositions (guiding), solution (banfa), programme (fang’an). V., ZHOU Wangsheng, De la législation (lifa xue), Bejing University Press, 1994, p. 573. 743 V., Jérôme TRÉMEAU, « Fondement constitutionnel du droit de la propriété », JurisClasseur Civil Code, Art. 544, Fasc. 20 : PROPRIÉTÉ, § 83. 744 Voir notamment la réponse évasive du Premier ministre WEN Jiabao lors d’une conférence de presse en date du 14 mars 2004, face à la question relative au contrôle constitutionnel des lois et règlements, Les Nouvelles de Chine, La lettre du centre Asie, IFRI, n° 14, 2004, pp. 5 et s.

Page 230: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

222

législative » 745 dont l’objectif est d’assurer la cohérence des normes de droit.

SECTION I. – LA MISE EN OEUVRE DES GARANTIES SUR LA

RÉPARTITION DES COMPÉTENCES

206. - En droit français, L’article 34 de la Constitution précise que la loi détermine

les principes fondamentaux du régime de la propriété. La compétence législative de

principe est encore renforcée par d’autres alinéas de l’article 34, comme celui relatif

aux nationalisations et aux transferts de propriété d’entreprises du secteur public au

secteur privé746. Par l’existence d’un « noyau de compétence législative exclusive », le

règlement n’a qu’une place secondaire pour la réglementation du droit de propriété : la

loi pose les normes primaires, tandis que le règlement est limité à l’exécution des

prescriptions législatives747.

207. - En droit chinois, la réserve de la compétence du législateur en matière de la

garantie du droit de propriété n’est pas directement affirmée par la Constitution de

1982. Or, de multiples renvois à la loi par les dispositions constitutionnelles concernant

le droit de propriété, ou d’autres droits réels, ainsi que les conditions de l’expropriation

et de la réquisition, impliquent que seule la loi joue le rôle décisif quant à la protection

et à la limitation du droit de propriété tout en restreignant l’intervention des pouvoirs

réglementaires en la matière (Sous-section 1). À cet égard, la loi sur l’élaboration des

normes juridiques non seulement réaffirme la réserve de compétence législative –le

deuxième chapitre de la loi sur l’élaboration des normes juridiques adoptée en 2000

comble désormais la lacune en précisant les matières réservées au pouvoir législatif

parmi lesquelles figure l’expropriation des biens non publics–, mais aussi prévoit la

procédure de contrôle pour assurer le respect de la compétence législative par le

pouvoir réglementaire (Sous-section 2). Étant donné que les atteintes au droit de

745 Peter Howard CORNE, « Creation and application of law in the PRC », 50 Am. J. Comp. L. 369, pp. 420, 423. 746 V., H. PAULIAT, Le droit de propriété dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, t. 1, LGDJ, 1994, pp. 210 et s. 747 Catherine HAGUENAU, « Le droit de la loi en droit français et en droit anglais », Revue française de droit constitutionnel, 22, 1995, p. 269.

Page 231: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

223

propriété résultent des règlements administratifs au niveau national ou local plus que

des règles législatives, « réduire l’abus de pouvoir administratif par l’adoption des

règles strictes de répartition des compétences a été conçu comme l’un des objectifs de

la loi sur l’élaboration des normes juridiques »748. Il s’agit d’une réforme « vers une

hiérarchie plus rigoureuse des normes»749.

Sous-section 1. – L’affirmation de la compétence législative en matière du

droit de propriété

208. - Alors que la compétence législative en matière du droit de propriété est

affirmée par des normes constitutionnelles et par la loi sur l’élaboration des normes

juridiques qui énumère de manière plus précise les règles relevant obligatoirement du

domaine de la loi, il convient de souligner que la réserve de compétence législative en

matière de droit de propriété (§ 1) n’a qu’une portée relative, dans la mesure où le droit

chinois « ne clarifie pas la division des pouvoirs législatifs au sein de l’ensemble du

système d’élaboration de normes»750. L’imprécision des règles sur l’étendue de la

compétence législative ouvre la voie à l’empiètement éventuel de compétence par les

actes normatifs en matière de droit de propriété (§ 2).

§ 1. – L’émanation du principe de compétence législative en matière de

propriété

209. - En l’absence d’une proclamation constitutionnelle, la réserve de compétence

législative en matière de propriété peut être développée à travers le renvoi à la loi

effectué par les normes constitutionnelles (A). La loi sur l’élaboration des normes

juridiques confirme en effet cette hypothèse (B).

748 V., GU Angran, « Lifafa caoan shuoming (Explications sur le projet de loi sur la législation) », Renmin ribao (Quotidien du Peuple), 10 mars 2000, p. 2. 749 Yves DOLAIS, Banggui JIN, « Le droit en Chine: vers une légalité formelle et effective », Gaz. Pal., recueil juillet-août 2004, p. 2220. 750 J. M. OTTO, Yuwen LI, « An overview of law-making in China », in J. M. OTTO et al. (eds.), Law-Making in People’s Republic of China, Kluwer Law International, 2000, p. 13.

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224

A. – Le renvoi à la loi par les normes constitutionnelles

210. - Il faut d’abord se référer à l’article 13 de la Constitution de 1982, révisée en

2004, qui proclame que la propriété privée légale des citoyens est inviolable. Par

l’adjectif « légale », la Constitution semble pose le principe de légalité dont la portée a

suscité des controverses depuis l’élaboration de l’amendement à l’article 13 de la

Constitution. Les uns pensaient que l’apposition du terme « légale » au terme de

propriété privée n’est pas redondante, il servirait à apaiser les inquiétudes concernant

la possibilité que des biens illégalement acquis –que ce soit par la corruption, le

détournement de biens publics ou par d’autres moyens illégaux– puissent devenir

intouchables751 . Certains considéraient que, dans l’esprit de la Constitution, les biens

illégalement acquis feraient l’objet des mesures de sanction en vertu de la loi. « La

réserve de légalité traduit bien le souci populaire dans la vie quotidienne de ne pas

étendre la protection constitutionnelle aux biens qui dérivent des activités portant

atteintes à la propriété publique »752. Pour d’autres, la distinction entre propriété légale

et illégale par la Constitution impliquerait des incertitudes pour les acteurs

économiques non publiques qui se développaient dans un contexte de transition de

l’économie planifiée à l’économie de marché. En effet, le cumul des richesses des

entrepreneurs privés s’effectuait parfois en profitant des lacunes du système juridique

chinois. Afin d’assurer la stabilité du développement économique, il serait opportun

d’opter pour la présomption de légalité de la propriété privée. Ainsi, dans la mise en

œuvre de l’article 13 de la Constitution, les biens individuels devraient-ils être

considérés comme légaux en l’absence de preuves contraires 753. Les débats sur

l’interprétation de la signification « de la propriété privée légale » portant sur la

légitimité des biens non publics, peut dans une moindre mesure impliquer le principe

751 V., CHEN Jianfu, « La dernière révision de la Constitution chinoise, Grand bond en avant ou simple geste symbolique? », Perspectives chinoises, n° 82, 2004, p. 21. 752 LI Nan, «Siyou caichan qingxi ruxian, caichan yuanzui youdai qiujie (La proclamation constitutionnelle de la propriété privée et son origine illégale) », China News Week, n° 163, 2004, p.4. 753 CHEN Su, « Dui gongmi caichan shixing tuiding hefa (Pour la présomption légale de la propriété des citoyens) », Jingji cankao bao (Economic Information Daily), 22 mars 2004.

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225

de légalité : seule la loi peut déterminer si les biens privés sont légalement ou

illégalement acquis et peut assurer d’une certaine manière la sécurité juridique de la

propriété des biens privés, excluant ainsi toute intervention d’autres sources de droit

tels que les règlements administratifs qui ne cessent de proliférer et de se modifier.

211. - La compétence législative en matière de propriété est aussi implicitement

prévue par l’article 11 de la Constitution selon lequel les acteurs économiques non

publics, qui s’entreprennent dans les limites définies par la loi, constituent une partie

importante de l’économie de marché socialiste ; l’État protège les droits et les intérêts

légitimes des acteurs économiques non publics ; l’État contrôle et administre les

activités des acteurs économiques non publics selon la loi. Les expressions telles que

« dans les limites définies par la loi », « légitimes » et « selon la loi » affirment la

compétence législative en ce qui concerne la protection et le contrôle sur les économies

non publiques. Reconnaître la compétence législative en matière de régulation sur les

acteurs économiques non publics est en elle-même la réaffirmation sur la propriété

privée, du fait du lien étroit entre les acteurs économiques privés et la propriété privée.

212. - En ce qui concerne les droits portant sur le sol, les articles 8 et 10 de la

Constitution de 1982 prévoient également la réserve de compétence législative en la

matière. Selon l’article 8, les paysans membres des collectivités rurales ont le droit,

dans les limites définies par la loi, d’exploiter des parcelles de terre de propriété

collective. Cette disposition constitue donc la base constitutionnelle de la loi 2002 sur

l’exploitation forfaitaire du sol rural. En vertu de l’alinéa 3 de l’article 10, l’État peut,

dans l’intérêt public, procéder à des expropriations ou à des réquisitions de terres pour

son usage selon la loi et moyennant l’indemnisation. L’alinéa 4 de l’article 10 prévoit

également que le droit d’usage du sol terres est cessible conformément à la loi. En se

référant à la loi, la Constitution de 1982 implique que l’édiction des règles s’imposant

aux expropriations et aux réquisitions de terres tombe dans la compétence législative.

À cet égard, la loi sur l’administration du sol adoptée en 1986 et la loi sur

l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines adoptée en 1994

constituent la base législative principale du droit d’usage du sol de propriété publique,

et celle des conditions de l’expropriation et de la réquisition.

Il convient de souligner qu’à la différence de la Constitution française, la

Page 234: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

226

Constitution chinoise de 1982 ne mentionne ni la nationalisation, ni la privatisation. Il

en résulte qu’en principe ces deux mesures de transfert de propriété ne sont pas

constitutionnellement reconnues.

B. – La précision sur la compétence législative par la loi sur

l’élaboration des normes juridiques

213. - La loi de 2000 sur l’élaboration des normes juridiques énumère les matières

réservées à la compétence législative. Le Chapitre II, section I « La compétence

législative » de ladite loi précise d’abord que les règles concernant l’expropriation des

biens non étatiques doivent être édictées par la loi754 . Par la loi de 2000 sur

l’élaboration des normes juridiques, le terme « expropriation » figure pour la première

fois dans un texte législatif avant que la révision constitutionnelle de 2004 ne proclame

les normes de garantie en la matière. Il faut souligner qu’un autre apport de la loi de

2000 consiste à ce que la notion de « biens non étatiques » est plus large que les terres

non étatiques et la propriété privée. Par conséquent, le législateur a le monopole de la

compétence non seulement en ce qui concerne l’expropriation des terres et de la

propriété privée, mais aussi d’autres biens non étatiques. Mais il est regrettable que la

loi de 2000 ne distingue pas les meubles des immeubles pour préciser que seules les

biens immobiliers peuvent faire l’objet de l’expropriation.

214. - Il est également important que la loi sur l’élaboration des normes juridiques

reconnaisse la compétence exclusive du législateur sur l’adoption des règles

concernant « les régimes fondamentaux de droit civil »755, alors qu’il ne précise pas en

quoi consistent « les régimes fondamentaux de droit civil ». Il semble donc que la

disposition selon laquelle les régimes fondamentaux de droit civil sont de la

compétence du législateur n’ait qu’une valeur symbolique, puisque le Comité

permanent de l’APN n’a jamais annulé un règlement pour que celui-ci adopte des

règles concernant les régimes fondamentaux de droit civil.

754 V., article 8, paragraphe 6 de la loi sur l’élaboration des normes juridiques. 755 V., article 8, paragraphe 7 de la loi sur l’élaboration des normes juridiques.

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227

§ 2. – L’atténuation du principe de compétence législative en matière du droit

de propriété

215. - La structure législative en vigueur en Chine est celle qui, placée sous la

direction unifiée de l’autorité centrale, applique une certaine division des pouvoirs

législatifs en plusieurs niveaux et plusieurs catégories756. Or, à défaut de démarcation

stricte entre les différents pouvoirs normatifs, la loi 757 et les autres textes normatifs

peuvent aisément entrer en conflit. Il en résulte que l’affirmation de compétence

législative en matière de droit de propriété n’a qu’une valeur relative. De surcroît, « le

désordre de l’interprétation des règles normatives brouille la ligne de démarcation

entre la législation et l’application »758, ce qui ne peut que davantage relativiser la

réserve de compétence législative en matière de droit de propriété. En conséquence, la

compétence législative en matière de propriété se voit atténuer au profit des pouvoirs

administratifs sur le plan national (A) et des pouvoirs locaux (B).

A. – L’atténuation de la compétence législative au profit des pouvoirs

administratifs

216. - Sur le plan national, on notera d’abord l’ambiguïté de la répartition des

pouvoirs législatifs entre l’APN d’une part et son Comité permanent d’autre part. En

effet, l’APN a le pouvoir de légiférer et modifier les lois fondamentales en matière de

droit pénal, droit civil et organes étatiques759, tandis que le Comité permanent de

l’APN dispose du pouvoir de légiférer et de modifier les lois autres que les lois

756 Les activités législatives en Chine comprennent celles de l’APN et de son Comité permanent (lois), celles du CAE (règlements administratifs) et des divers départements ministériels (arrêtés), celles des autorités locales (règlements et arrêtés locaux), celles des circonscriptions autonomes de minorités ethniques, celles des zones économiques spéciales (règlements spéciaux) et celles des régions administratives spéciales. 757 Dans un sens étroit, l’expression « loi » se rapporte uniquement aux textes désignés par ce terme et adoptés par l’APN ou son Comité permanent. 758 Stanley LUBMAN, Bird in a cage: Legal Reform in China after Mao, op. cit., p.145; v., aussi, Peter Howard CORNE, « Creation and application of law in the PRC », op. cit., p. 395. 759 V., article 62, paragraphe 3 de la Constitution 1982.

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228

fondamentales760. Pourtant, la Constitution de 1982 ne précise pas le critère sur la

qualification de lois fondamentales, ce qui détermine la répartition du pouvoir législatif

entre l’APN et son Comité permanent761. En pratique, les lois de même nature aux

termes d’importance ont été élaborées tantôt par l’APN tantôt par son Comité

permanent762. Mais c’est le Comité permanent qui « exerce le véritable pouvoir

législatif car il siège en permanence »763, alors que « l’APN se marginalise »764. Tel a

été le cas concernant l’élaboration de la loi sur les droits réels, le Comité permanent de

l’APN attachait une grande importance à l’élaboration de la loi : sept délibérations sur

le projet de loi avaient été organisées depuis 2002 avant de le mettre aux voix devant

l’APN en 2007, établissant un nouveau record des travaux législatifs du Comité

permanent765.

217. - Mais les problèmes surgissent surtout en matière de distinction entre le

pouvoir législatif de l’APN et le pouvoir réglementaire du CAE qui ont entraîné « des

contradictions fréquentes entre les lois et les règlements adoptés par le CAE qui ont 760 V., article 67, paragraphe 2 de la Constitution 1982. 761 L’arrière-plan de la répartition du pouvoir législatif entre l’APN et son comité permanent a été révélé par l’ancien président de l’APN, PENG Zhen. Selon lui, « compte tenu de l’impossibilité de la réduction du nombre des députés à l’APN, la nouvelle Constitution attribue une partie des fonctions et pouvoirs de l’APN à son Comité permanent en vue de mieux assurer le bon fonctionnement de ces organismes d’État ». Cf., Explications sur le projet de révision de la Constitution de la RPC, présentées par PENG Zhen à la 23e session du Comité permanent de la 5e APN, in Beijing Information, n° 19, 1982, pp. 19 à 27. 762 Par exemple, la loi sur le mariage est promulguée par l’APN, alors que la loi sur l’adoption est promulguée par le Comité permanent de l’APN ; la loi des contrats est promulguée par l’APN, alors que la loi des sociétés est promulguée par le Comité permanent de l’APN. Des critiques furent faites dans le sens où la loi sur le mariage et la loi sur l’adoption devraient être regroupées dans la même catégorie des lois fondamentales de droit civil ; et la loi des contrats et la loi des sociétés devraient avoir la même nature fondamentale en ce qui concerne l’ordre économique. V., WANG Kejin, «Woguo lifafa de quexian fenxi (L’analyse sur les faiblesses de la loi sur l’élaboration des normes juridiques) », Recueil de droit et politique (Zhengfa luncong), n° 3, 2002, pp. 47 à 50. 763 Mireille DELMAS-MARTY, La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation, in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Etienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., p.555. 764 MO Jihong, Xiandai xianfa de luoji jichu (Le fondement logique de la constitution moderne), Law Press China, 2001, p. 248. 765 V., Reportage du Centre d’Informations Internet de Chine, « WU Bangguo: le Xe Comité permanent attache une grande importance à l’élaboration de la loi sur la propriété », disponible sur le site http://french.china.org.cn/archives/lianghui2008/2008-03/08/content_12004701.htm, consulté 8 mars 2008.

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229

pour l’objectif de mettre en œuvre des lois »766. Au regard de la hiérarchie des normes,

les règlements administratifs sont inférieurs à la Constitution et aux lois, mais

supérieurs aux lois et règlements à caractère local, et exercent leur effet à l’échelle

nationale. L’exercice du pouvoir d’élaborer des lois et règlements administratifs a pour

but fondamental d’appliquer la Constitution et les lois et de concrétiser leurs principes

et leur esprit. Or, le CAE dispose des pouvoirs extensifs réglementaires selon l’article

89, paragraphe 1er de la Constitution qui constitue « la base constitutionnelle de la

délégation du pouvoir législatif au CAE »767. Ce dernier est « l’organe de facto le plus

puissant de législation en Chine »768. De surcroît, contraire au droit français où la

réserve de loi interdit l’habilitation législative769, la délégation des pouvoirs législatifs

est admise par la Constitution chinoise770. Par la décision du 10 avril 1985771, le CAE

est reconnu le pouvoir d’édicter les règlements en matière de réforme économique et la

politique d’ouverture conformément à la Constitution et aux principes fondamentaux

des lois et des décisions adoptées par l’APN ou par son Comité permanent. Il s’agit

donc d’une délégation du pouvoir législatif de portée générale, dans la mesure où

l’APN n’a pas précisé ni le contenu ni la limite de la délégation en empruntant à la

formule abstraite « en matière de réforme économique et politique d’ouverture ». En

effet, seules les matières du droit pénal et de la procédure pénale sont clairement visées

766 Peter CORNE, « Legal system reforms promise substantive –but limited –improvement», China Law and Practice, June 1997, pp. 33, 34. 767 CAI Dingjian, Xianfa Jingjie(Constitution: An intensive reading), Law Press China, 2004, p. 355. 768 CHEN Jianfu, Towards an Understanding of Chinese Law, Its Nature, and Development, Cambridge: Kluwer Law International, 1999, p. 103. Jan Michiel OTTO, Maurice V. POLAK, Jianfu CHEN, Yuwen LI (eds), Law making in the People’s Republic of China, Kluwer Law International, 2000, p. 13, sp, pp. 103, 104. 769 V., Louis FAVOREU, « Le pouvoir normatif primaire du gouvernement en droit français », in Louis FAVOREU, Légiférer par décret, PUF, 1997, p. 720. 770 La Constitution chinoise de 1982 distingue trois cas de figure : la délégation du pouvoir législatif par l’APN à son Comité permanent, la délégation au CAE des pouvoirs d’adopter des règlements administratifs sur les matières appartenant à la compétence de la loi, l’autorisation aux législatures des quatre Zones Économiques Spéciales d’adopter par celles-ci les règlements locaux. V., ZHOU Wangsheng, « Guanyu shouquan lifa de jige jiben wenti (On several essential problems of delegated legislation) », China Legislation Review, n° 5, Peking University Press, 2005, p. 20. 771 APN, La décision sur l’autorisation au CAE d’adopter les règlements provisoires en matière de réforme économique et de politique d’ouverture, 10 avril 1985.

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230

comme ne relevant pas de la réforme économique ni de la politique d’ouverture772, et

donc ne peuvent pas faire l’objet d’une délégation au CAE. De surcroît, il s’agit d’une

délégation qui demeure valable depuis lors, faute d’une durée préalablement

déterminée. Il en résulte qu’à partir de la décision du 10 avril 1985, le CAE est

partiellement délégué le pouvoir législatif auparavant réservé à l’APN et son comité

permanent773. Aux termes de la décision du 10 avril 1985 de l’APN, le CAE peut

même adopter les règlements en matière de droit de propriété. Car, le droit de propriété

relève sans doute des matières de réforme économique et de politique d’ouverture. La

délégation traduit en réalité l’approche flexible et instrumentaliste de l’APN et son

Comité permanent dans l’exercice de ses pouvoirs législatifs. Il s’agit d’une méthode

expérimentale selon laquelle « la loi peut être adoptée uniquement lorsque les

conditions sont réunies»774. Avant l’avènement d’une loi, le CAE pouvait adopter des

mesures réglementaires pour combler à titre temporaire et expérimental des lacunes de

la loi. Cette approche est critiquable, car « la délégation au CAE était largement

pratiquée comme mesure palliative substituant le règlement administratif à la

législation nationale, par conséquent, méconnaît l’objectif constitutionnel de la

construction d’un État de droit socialiste »775.

218. - La prédominance des règlements administratifs existe bel et bien dans le

domaine du droit des biens. À cet égard, il faut surtout évoquer le Règlement

772 V., WANG Hanbin, « Guanyu shouquan guowuyuan zai jingji tizhi gaige he duiwai kaifang fangmian zhiding zanxing de guiding huozhe tiaoli de jueding de shuoming (Explications sur le projet de décision sur l’autorisation au CAE à adopter les règlements provisoires en matière de réforme économique et de politique d’ouverture)», Quanguo Renda Changweihui Gongbao (Bulletin officiel du Comité permanent de l’APN), 3 avril 1985. 773 On constate en outre que la délégation pourrait découler de l’ambiguïté de l’article 89 de la Constitution. En effet, de nombreuses lois prévoient que les règles détaillées de leur application seront déterminées par le CAE, ce qui constitue un phénomène usuel en droit chinois. Il suscite des controverses en droit chinois sur la question de savoir si le pouvoir d’élaborer et de modifier les règles d’application de lois relève du pouvoir d’adoption des règlements administratifs selon l’article 89, paragraphe 1 ou du pouvoir législatif au titre de délégation dont l’article 89, paragraphe 18 constitue la base juridique, ou du pouvoir quasi-législatif. V., MO Jihong, Xiandai xianfa de luoji jichu (Le fondement logique de la constitution moderne), op. cit., p. 246. 774 V., ZHOU Wangsheng, « Guanyu shouquan lifa de jige jiben wenti (On several essential problems of delegated legislation)», op. cit., p.19. 775 Perry KELLER, « The National People’s Congress», in Jan Michel OTTO et al. (eds.), Law-making in the People’s Republic of China, Kluwer Law International, 2000, p.78.

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231

provisoire sur la concession et l’attribution du droit d’usage du sol appartenant à l’État

adopté par le CAE en 1990. En dépit de la révision constitutionnelle de 1988 qui

dispose que « le droit d’usage du sol peut être cédé conformément à la loi », les

procédures d’octroi du droit d’usage du sol étatique ne sont légiférées qu’avec

l’adoption en 1994 de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les zones

urbaines. Entre-temps, c’était le règlement provisoire de 1990 qui constituait la base

juridique de la mise en œuvre de l’attribution et du transfert du droit d’usage du sol

étatique. Il faut souligner que ce Règlement provisoire de 1990 demeure valable après

l’entrée en vigueur en 1995 de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans

les zones urbaines, notamment en ce qui concerne la durée maximale du contrat de

concession du droit d’usage du sol, auquel renvoie ladite loi. Si le règlement a le

mérite de rendre les normes législatives plus opérationnelles en y apportant les

précisions ou d’anticiper la loi comme en normalisant les mesures de réformes

reconnaissantes des droits, l’instrumentalisation du règlement administratif peut

également porter atteinte au droit ou le rendre précaire. Tel est le cas en matière

d’expropriation pour cause d’utilité publique. En dépit de la révision constitutionnelle

de 2004 qui prévoit que l’expropriation et la réquisition doivent être réalisées selon la

procédure définie par la loi, l’expropriation des bâtiments dans les zones urbaines est

cependant soumise aux dispositions du Règlement d’administration sur la démolition

des bâtiments dans des zones urbaines (Chengshi fangwu chaiqian guanlitiaoli) adopté

par le CAE776. Ce dernier Règlement demeure la principale source de droit en matière

d’expropriation des immeubles dans les zones urbaines, avant l’avènement d’une loi

sur l’expropriation pour cause d’utilité publique dont le projet est au cours de

préparation sous l’égide du Comité permanent de l’APN. La position actuelle est

réaffirmée par la révision en 2007 de la loi sur l’administration des biens immobiliers

dans les zones urbaines. Après avoir précisé la démolition des bâtiments dans des

zones urbaines comme mesure d’expropriation et après avoir imposé les conditions

d’indemnisation, notamment l’obligation des expropriants à reloger les expropriés, la

776 Le premier règlement sur la démolition et le déplacement des habitations urbaines a été adopté en 1991, puis remplacé par le Règlement sur la démolition et le déplacement des habitations urbaines adopté en 2001.

Page 240: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

232

révision ajoute que l’élaboration des mesures concrètes relatives à l’expropriation des

bâtiments des les zones urbaines est confiée au CAE.

219. - Quant à l’expropriation du sol collectif, la loi sur l’administration du sol ne

prévoit que des principes généraux relatifs à l’indemnisation par 3 articles777, alors que

les dispositions plus précises sont adoptées par le CAE dans le Règlement

d’application de la loi sur l’administration du sol.

220. - Le rôle prédominant des règlements administratifs est plus évident en matière

de gestion des biens étatiques. À l’heure actuelle, le projet de loi sur la gestion des

biens étatiques est en cours d’élaboration sous l’égide du Comité permanent de l’APN,

de divers règlements du CAE778, ainsi que de multiples arrêtés de la Commission du

CAE chargée de la supervision et de la gestion des actifs d’État (SASAC)779 ,

constituent les sources juridiques opérationnelles du droit de propriété étatique en

dehors de la loi sur les droits réels qui ne pose que les règles générales en la matière. Il

en résulte qu’alors que la propriété publique est constitutionnellement « sacrée et

inviolable », son régime juridique n’est qu’une coquille quasiment vide, uniquement

complétée par lesdits textes administratifs qui sont parfois décrits comme « loi

politique »780. La situation peut être changée avec la promulgation en 2008 de la loi sur

les actifs d’État des entreprises, dans la mesure où la législation commence à prendre

son ampleur dans le domaine des biens publics.

B. – L’atténuation de la compétence législative au profit des pouvoirs

locaux

221. - L’atténuation de la compétence législative s’avère plus nettement dans le

domaine du droit foncier (1). Mais deux exemples d’actualité démontrent que la

777 Il s’agit des articles 47, 48 et 49 de la loi sur l’administration du sol, modifiée en 2004. 778 Il s’agit du Règlement provisoire sur la supervision et la gestion des actifs d’État des entreprises, adopté en 2003. 779 V., par ex., Mesures provisoires sur la supervision et la gestion des affaires d’investissement des entreprises centrales, adoptées le 28 juin 2006 par la Commission du CAE chargée de la supervision et la gestion des actifs d’État des entreprises. 780 MENG Qinguo, « Guanyu zhengcelifa de yixie wenti (Problèmes de la loi politique) », Tianjin shehui kexue (Tianjin Social Science), n° 1, 1990, pp. 55 à 58.

Page 241: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

233

dilatation des pouvoirs locaux s’étend à d’autres domaines relevant plus ou moins de

l’exercice du droit de propriété (2).

(1). – L’atténuation de la compétence législative nationale dans le domaine du droit

foncier

222. - En droit chinois, le pouvoir législatif local a été reconnu par l’adoption en

1979 de la loi organique sur les assemblées populaires locales et les gouvernements

locaux de différents échelons, et affirmée par la Constitution de 1982 781 . Les

règlements et arrêtés locaux ainsi adoptés concernent principalement trois domaines. Il

s’agit d’abord de l’application des lois, règlements et arrêtés ministériels à l’échelle

locale ; ensuite de la gestion des affaires locales, à savoir les affaires qui ne peuvent

être traitées que localement ; et de mettre en place des règlements locaux à titre

expérimental. Or, en pratique, « la distinction entre la législation et l’application des

règles législatives par les textes locaux n’est pas toujours claire»782. Par exemple,

l’adoption des règlements locaux à titre expérimental est particulièrement importante,

dans la mesure où des lois nationales sont souvent anticipées par les règlements locaux

dans un domaine juridique nouveau. Dès que le moment est venu, un tel règlement

local peut « servir de modèle à un texte national »783. Comme on l’a constaté, « en

dépit des efforts du pouvoir central pour unifier le droit foncier, les autorités locales

permettent encore souvent des pratiques qui devient des lignes directrices tracées par

le législateur national »784. La législation sur la concession du droit d’usage du sol

781 Il s’agit trois catégories d’organes détenteurs de pouvoirs législatifs à l’échelle locale: les assemblées populaires et leurs comités permanents à l’échelon provincial, y compris les régions autonomes et les municipalités placées sous l’administration du CAE ; les assemblées populaires des « plus grandes villes » et leurs comités permanents, soit une catégorie qui fait référence aux villes dans lesquelles siègent les gouvernements provinciaux ou dans lesquelles sont situées des zones économiques spéciales et les autres agglomérations ayant obtenu le statut de « grande ville » ; enfin, les assemblées populaires de régions, préfectures et cantons autonomes. 782 Stanley LUBMAN, Bird in a Cage: legal Reform in China after Mao, op. cit., p.143. 783 ZOU Keyuan, « La difficile harmonisation des législations locale et nationale », Perspectives chinoises, n° 81, 2004, pp. 44 à 53. 784 Jingzhou TAO, Droit chinois des affaires, Economica, 1999, p. 211.

Page 242: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

234

étatique était l’ « un des exemples les plus connus des limites de la loi nationale »785.

Au milieu des années 80, la concession du droit d’usage du sol étatique était

réglementée à titre expérimental dans certaines municipalités dans les zones côtières786,

bien avant la révision constitutionnelle de 1988 proclamant la mise en place d’un

régime d’utilisation du sol étatique à titre onéreux et la cessibilité du droit d’usage du

sol étatique légalement acquis.

223. - Tout comme le règlement administratif, tandis que les règlements locaux sont

utiles dans la reconnaissance à titre expérimental des droits qui tombent dans la

catégorie juridique des biens, ils trouvent pourtant leur limite dans certains autres cas.

D’autant que la situation la plus inquiétante se trouve dans l’éventuel conflit entre les

règlements locaux et des arrêtés locaux d’un côté et la loi et le règlement nationaux de

l’autre côté, à défaut de la démarcation précise des compétences législatives entre les

autorités nationales et locales. La situation est particulièrement préoccupante en

matière d’expropriation787, d’autant plus que le pouvoir de procéder à l’expropriation

est décentralisé au lieu d’être soumis « au monopole de l’État » représenté par le

gouvernement central 788 . En dépit de la révision constitutionnelle de 2004 qui

proclame le principe selon lequel l’État peut procéder à l’expropriation ou à la

réquisition, les règles législatives pertinentes donnent une explication lato sensu à

l’expression de l’État comme comportant les collectivités locales. En ce qui concerne

l’expropriation du sol collectif dans les zones rurales, l’article 45 de la loi sur

l’administration du sol prévoit la répartition des pouvoirs de décision entre le CAE et

les gouvernements provinciaux, des régions autonomes et des municipalités 785 Perry KELLER, « Legislation in the People’s Republic of China», University of British Columbia Law Review, 1989, Vol. 23, p.659; « The National People’s Congress and the Making of National Law », in J. M. OTTO (et al.), Law-Making in the People’s Republic of China, op. cit., p.78. 786 V., par exemple, Règlement sur l’administration du sol adopté par le comité permanent de l’Assemblée Populaire du province de Guangdong, en date du 29 décmbre1987. 787 WANG Cailiang (et al.), Fangwu chaiqian yinan wenti jieda (Réponses aux questions difficiles relatives à l’expropriation des immobiliers dans les zones urbaines), Law Press China, 2005, p.8. 788 En droit français, « seul l’État est titulaire du pouvoir d’exproprier. En revanche, les initiateurs d’une expropriation peuvent être aussi bien une personne publique qu’une personne privée. Il en va de même des bénéficiaires de l’expropriation ». V., Jean-Marie AUBY, Pierre BON, Jean-Bernard AUBY, Philippe TERNEYRE, Droit administratif des biens, 5e éd., 2008, p. 491. À la différence au droit français, le droit chinois confère le pouvoir d’expropriation aux collectivités locales, sans pour autant distinguer le titulaire du pouvoir d’exproprier, les initiateurs de l’expropriation et les bénéficiaires.

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235

subordonnées directement à l’autorité centrale 789 . L’exécution des décisions

d’expropriation est d’autant plus décentralisée que la mise en oeuvre du projet

d’expropriation déjà légalement approuvée est assumée par les gouvernements locaux

de district et supérieurs790. En pratique, ces derniers peuvent modifier le détail du

projet d’expropriation en fonction du besoin de l’exécution. À défaut d’une

démarcation claire et d’un contrôle sur la distinction entre décision et exécution des

décisions, les gouvernements locaux peuvent facilement empiéter sur les pouvoirs des

gouvernements supérieurs et surtout celui du gouvernement central. L’effet pervers de

la décentralisation de l’expropriation du sol rural réside surtout en l’indemnisation des

expropriés. Tandis que l’indemnisation juste est législativement prévue par la loi sur

l’administration du sol, chaque collectivité locale adopte toutefois ses propres mesures

d’exécution sous divers titres tels que règlement (tiaoli), mesure (banfa), disposition

(guiding), etc., qui comportent les critères locaux plus précis en vertu desquels est fixé

le montant des indemnités en tenant compte de la spécificité locale. Le risque n’est

donc « pas le manque de règles mais leur surabondance, sans véritable système

permettant de définir et de garantir une cohérence d’ensemble »791. L’indemnisation

injuste dans les pratiques d’expropriation a provoqué un mouvement de protestation

des paysans qui revendiquent le contrôle plus strict sur la mise en oeuvre des

expropriations par les gouvernements locaux.

224. - La décentralisation existe également en matière de concession du droit

d’usage du sol étatique, ici c’est l’intérêt de l’État-propriétaire du sol qui est en jeu.

L’article 11 prévoit même la répartition des pouvoirs de décision entre le CAE et les

gouvernements aux niveaux provinciaux relatifs à la concession du droit du d’usage du

sol étatique, ainsi que le pouvoir d’exécution du projet de concession par les

gouvernements locaux de niveau district. Certes, en pratique, les gouvernements

789 Sont subordonnée au pouvoir de décision du CAE, les expropriations des terrains agricoles élémentaires délimités par le plan général d’exploitation du sol, ou des parcelles des terrains arables dont la surface est supérieure à 35 hectares, ou des parcelles des autres terrains dont la surface est supérieure à 70 hectares. L’expropriation des terrains qui ne figurent pas dans lesdites situations peut être décidée par les gouvernements locaux de niveau provinciaux. 790 V., article 46 de la loi sur l’administration du sol. 791 Mireille DELMAS-MARTY, « La Constitution d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p. 555.

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236

locaux et leurs membres n’hésitent pas à chercher leurs propres intérêts et ceux de

leurs alliances tout en se méfiant de la loi nationale dans la concession du droit d’usage

du sol étatique. La marge de manoeuvre de l’autorité locale se manifeste surtout « par

la sous-évaluation intentionnelle de la valeur des terrains à concéder par rapport au

prix vénal »792, en contrepartie, le concessionnaire s’engage à partager les bénéfices

ainsi acquis avec les gouvernements locaux. Dans cette transaction caractérisée par

« l’approvisionnement de la propriété privée par le gouvernement »793, les textes

normatifs locaux engendrent « le protectionnisme local organisé sous les auspices de

la loi et conduisent également à la corruption collective »794.

(2). – Deux exemples d’actualité illustrant la dilatation des pouvoirs locaux sur

l’exercice du droit de propriété

225. - Il existe des cas où l’intervention des pouvoirs locaux constitue une ingérence

non seulement dans l’exercice du droit de propriété, mais aussi dans les libertés du plus

grand nombre telles que la liberté d’entreprendre et de faire du commerce, par exemple.

Nous présenterons deux exemples ayant des répercussions sociales dans les zones

urbaines: l’un relève de la réglementation du para-commercialisme, c’est-à-dire le fait

d’exercer un commerce sans autorisation, l’autre concerne la réglementation de

l’élevage des animaux domestiques.

226. - Avant d’expliquer le problème de réglementation du para-commercialisme en

Chine, il faut rappeler qu’en droit français, toute personne qui exerce une activité

commerciale doit satisfaire aux conditions générales auxquelles sont assujettis les

792 Nelson CHAN, « Land-use rights in mainland China: problems and recommendations for improvement », Journal of Real Estate Litterature, n°7, 1999, p.59. 793 Jieming ZHU, « From land use right to land development right: Institutional changes in china’s urban development », Urban Studies, vol. 41, n° 7, 2004, pp.1263, 1264. 794 V., ZOU Keyuan, « La difficile harmonisation des législations locale et nationale », op. cit., p.49. Aussi, Jean-Pierre CABESTAN, « L’impossible avènement d’un État de droit en Chine populaire : est-ce la faute aux valeurs asiatiques, au communisme ou au retard économique ? », in Thierry Marrès & Paul Servais (Sous la dir. de), Droits humains et valeurs asiatiques. Un dialogue possible?, Bruyant, Louvain-la-Neuve, 2002, pp.77 à 90; « Le contexte juridique chinois, évolutions institutionnelles et législatives », in Centre français de Droit Comparé, L’actualité du droit chinois des affaires, colloque du 14 novembre 2003, Société de Législation Comparée, 2004, pp. 13 à 19.

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237

commerçants traditionnels, les personnes qui pratiquent le commerce ambulant, la

vente au déballage, etc., doivent encore respecter les normes de réglementation

spéciales, telles que l’autorisation ou la réglementation relative à l’utilisation du

domaine public en cas de vente sur la voie publique795. Si, en France, la règlementation

administrative encadre lesdites activités commerciales selon les exigences de légalité,

le droit chinois s’avère quant à lui très lacunaire en la matière. En effet, aucun texte

législatif ou réglementaire n’existe sur le plan national qui impose les règles précises

relatives à la réglementation des activités para-commercialistes. Il en résulte que ce

sont les autorités locales qui exercent le pouvoir réglementaire dans les territoires sous

leurs juridictions. Si les contenus des textes locaux sont très diversifiés en la matière, il

existe des points communs entre eux : le commerce ambulant hors des marchés et

foires autorisés est généralement interdit pour préserver la tranquillité, la propreté et le

bon ordre de la vie sociale. Pour assurer le respect de l’interdiction, les brigades de

réglementation de la ville (chengshi guanli) ont été pratiquement créées dans presque

toutes les villes et deviennent de facto organes des gouvernements locaux dont le statut

juridique n’est cependant jamais officiellement reconnu par la législation nationale. Il

faut encore souligner que ces brigades de réglementation de la ville exercent de

multiples fonctions réglementaires qui ne sont jamais clairement définies et qui

peuvent partiellement empiéter sur les fonctions d’autres organes étatiques, y compris,

la Police, l’Administration d’État pour l’Industrie et le Commerce, l’Administration

d’État des Impôts, etc. Dans la pratique, la prévention et la sanction du commerce

ambulant qui provisoirement occupe les lieux publics sont l’une des tâches les plus

importantes. Outre infliger des amendes pécuniaires, les brigades de réglementation de

la ville peuvent confisquer les produits et les biens ayant permis la vente des produits

ou l’offre des services, sans être toutefois assujetties à de véritables garanties

procédurales. Par ailleurs, les petits marchands ambulants, qui sont souvent des

chômeurs, des personnes n’ayant jamais eu d’activités ou des paysans migrants, n’ont

aucun recours judiciaire. Alors que la confiscation –qui sans doute porte atteinte au

795 V., Olivier RENARD-PAYEN, « Ventes et produits réglementés », JurisClasseur Administratif, Fasc. 261-10, Côte 11-2004 ; v., aussi, « Vente sur la voie publique », La revue fiduciaire, 1er juin 2007, FH 3201, pp. 295 à 299.

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238

droit de propriété et donc doit être décidée par le juge– est effectuée par un organe

gouvernemental sans aucun fondement légal, les brigades de réglementation sont

paradoxalement appelées dans la pratique à prendre les mesures d’exécution de la loi.

Les conflits corporels entre le personnel des brigades de réglementation de la ville et

les commerçants ambulants lors de l’ «exécution de la loi »796, débouchant sur les

incidents sanglants ou même mortels, ont déjà suscité de vives critiques appelant

l’abolition des brigades de réglementation de la ville et la réforme du régime

réglementaire répandu au niveau local797. La contestation des citoyens est d’autant plus

remarquable qu’elle se fonde sur la protection du droit de propriété en invoquant,

notamment, la loi sur les droits réels et s’appuie sur des arguments juridiques pour

remettre en cause le pouvoir des brigades de réglementation de la ville798. Les brigades

de réglementation de la ville et leurs pouvoirs de confiscation à l’encontre des

commerçants ambulants naissent des pratiques des gouvernements locaux dans

l’exercice de leurs pouvoirs réglementaires. Leur caractère sans fondement au niveau

national témoigne de l’expansion des pouvoirs locaux qui est à l’origine des atteintes

aux droits des citoyens. Pour renforcer la garantie de ces droits, y compris le droit de

propriété qui est toujours sous menace réelle dans le cas de réglementation de la ville,

l’encadrement des pouvoirs locaux par la législation nationale est l’une des mesures

indispensables.

227. - L’élevage des animaux domestiques, notamment les « animaux de

compagnie », fait aussi l’objet de restriction. Il convient d’abord de souligner qu’en

droit chinois, l’animal est protégé, comme dans certains pays, « en tant que

composante de l’environnement humain, une composante qu’il est jugé indispensable

de préserver en raison du rôle bénéfique que l’animal joue pour l’homme et son

796 V., par ex., un reportage du CNN, « Man beaten to death in China for taking pictures », disponible sur le site http://edition.cnn.com/2008/WORLD/asiapcf/01/11/china.blogger/index.html?iref=topnews, consulté le 11 décembre 2008. 797 XU Kai, « Chengguan zhifa zhengyi (La contestation sur l’exécution de la loi par les brigades de réglementation de la ville) », Caijing (Finance), 21 janvier 2008, n° 203, p. 122 à 125. 798 V., reportage de Coldness KWAN, « Property law challenges power of ‘Chengguan’? », disponible sur le site http://www.chinadaily.com.cn/china/2007-04/03/content_842743.htm, consulté le 11 décembre 2008.

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écosystème »799. En témoigne la loi sur la protection des animaux sauvages, adoptée en

1989 et révisée en 2004. La loi sur les droits réels réaffirme qu’en vertu des

dispositions législatives, les animaux et la flore sauvages, en tant que ressources

naturelles, sont propriété d’État800. En ce qui concerne l’animal domestique, celui-ci

est considéré comme une chose, un meuble, donc l’objet du droit. Certes, si les règles

de la protection du droit de propriété s’appliquent certainement à l’animal, le

propriétaire subit en revanche des restrictions dans l’exerce de son droit à l’élevage de

l’animal. À la différence de l’opposition sur la question s’il y a lieu de reconnaître les

droits de l’animal801, la divergence en Chine porte sur la question de l’existence de la

liberté d’élever l’animal domestique, et surtout le chien. Alors que les propriétaires des

chiens peuvent se référer à la loi sur les droits réels pour justifier l’élevage des chiens

au nom de l’exerce du droit de propriété, les règlements locaux prolifèrent et imposent

de lourdes restrictions en la matière. Il s’agit essentiellement d’un régime de contrôle

qui se fonde sur la délivrance d’un permis, établit généralement par les gouvernements

locaux. Les personnes ne peuvent « légalement » élever leurs propres chiens qu’après

avoir obtenu le permis selon les conditions et les procédures prévues par les règlements

locaux. Par exemple, selon les Mesures réglementaires relatives à l’élevage des

chien(ne)s, adoptées en 2003 par l’Assemblée populaire de la municipalité de Pékin,

un foyer ne peut élever qu’un(e) chien(ne) de petite ou moyenne taille qui ne doit pas

être, en plus, de caractère « féroce »802. Les pôles du commissaire de Police au niveau

du district sont les organes qui examinent les conditions et décident de la délivrance du

permis à la demande du foyer. Ce dernier doit encore préalablement obtenir le

consentement du comité des habitants ou du comité des villageois auquel il

appartient803. Le foyer demandant le permis doit verser une somme de mille yuans

comme frais annuels de service pour la première année, et cinq cents yuans pour les

799 Olivier LE BOT, « La protection de l’animal en droit constitutionnel, étude de droit comparé », Revue de la recherche juridique, droit prospectif, 2007, n° 4, p. 1824. 800 Article 49 de la loi sur les droits réels. 801 V., Georges CHAPOUTHIER, Les droits de l’animal, Que sais-je ?, P. U. F., 1992, pp. 4 et s. 802 Article 10 des Mesures réglementaires relatives à l’élevage des chiens de la municipalité de Pékin. 803 Article 12 des Mesures réglementaires relatives à l’élevage des chiens de la municipalité de Pékin.

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240

années suivantes804. Les personnes ayant obtenu le permis doivent respecter les règles

de comportement relatives à l’élevage des chien(ne)s, dont l’objectif est de ne pas

causer le trouble au voisinage et au quartier, la nuisance à l’hygiène et le trouble à

l’ordre de la vie sociale805. La violation des règles de comportement, y compris surtout

l’élevage des chien(ne)s sans permis, entraîne des pénalités telles qu’amende, retrait du

permis, confiscation des chien(ne)s, et autres sanctions disciplinaires. Les mesures

réglementaires de Pékin donnent le cadre général de la réglementation de l’élevage des

chien(ne)s en Chine. En effet, presque chaque municipalité a son propre règlement

dans ce domaine, dont les contenus peuvent varier sur le détail. Dans la pratique, la

mise en oeuvre des règlements avec férocité –la confiscation et l’extermination des

chien(ne)s sans permis ou comme la conséquence de la violation par son propriétaire

des mesures réglementaires–, n’apporte pas de soulagement aux gens de cynophobie,

par contre, elle mécontente des cynophiles qui protestent l’excessive règlementation

empêchant la jouissance de la liberté des individus dans l’élevage de l’animal de

compagnie806. Il est vrai que les protestataires prennent comme arme juridique le droit

de propriété, en invoquant la Constitution et la loi sur les droits réels. Mais l’effectivité

de cette référence ne semble pas à la hauteur de leur espérance. Ce qui montre combien

il est important de soumettre les pouvoirs locaux aux principes constitutionnels et

législatifs, d’autant plus que la dilatation des pouvoirs locaux touche plus concrètement

les différents aspects de l’exerce du droit de propriété dans la vie quotidienne.

Sous-section 2. – La faiblesse du mécanisme de contrôle sur le respect de la

compétence législative en matière de droit de propriété

228. - Dans un objectif de réaliser « l’intégrité et l’unité du système législatif »807, la

loi de 2000 sur l’élaboration des normes juridiques consolide les mécanismes visant à

804 Article 13 des Mesures réglementaires relatives à l’élevage des chiens de la municipalité de Pékin. 805 Article 17 des Mesures réglementaires relatives à l’élevage des chiens de la municipalité de Pékin. 806 V., reportage de Jim YARDLEY, « A law that says a man can have only one ‘best friend’ », New York Times, 14 novembre 2006. 807 Jianfu CHEN, « Unanswered questions and unresolved issues », in Law making in the People’s Republic of China, op. cit., p. 241.

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241

assurer le respect de la répartition des compétences ainsi que le respect de la hiérarchie

des normes. L’importance de la loi de 2000 réside non seulement dans le fait qu’elle

précise davantage la répartition des compétences normatives parmi les organes

nationaux et locaux, mais aussi qu’elle précise le mécanisme de contrôle établi pour

faire respecter la loi. Bien que la loi de 2000 n’ait pas valeur constitutionnelle, et que

« la mise en place d’un contrôle de constitutionnalité est l’étape décisive qui reste à

franchir »808, la loi de 2000 marque « la première étape du contrôle constitutionnel sur

les règlements administratifs et locaux »809. Par la loi de 2000, l’APN et son Comité

permanent peuvent encadrer le dispositif législatif en définissant le domaine de chaque

catégorie de norme, leur procédure d’élaboration, leur hiérarchie de valeur juridique et

les rapports entre elles, la solution en cas de conflits, en empruntant au système de

notification (beian) qui consiste « à imposer aux autorités inférieures de notifier aux

autorités désignées à cet effet par la loi la publication d’un texte normatif pour que

celles-ci en prennent acte et procèdent éventuellement à un contrôle de

constitutionnalité ou de légalité »810. Ce système de notification est complété par le

mécanisme selon lequel certaines catégories de personnes publiques811 et toutes les

personnes privées physiques ou morales ont désormais le droit de proposer au Comité

permanent de l’APN d’examiner des règlements et des arrêtés dont ils contestent la

légalité ou la constitutionnalité. Le mécanisme de contrôle sur les règlements et arrêtés

établi par la loi de 2000 est repris par la loi de 2006 sur la supervision par les comités

permanents des assemblées populaires de différents échelons 812 . Le droit de

808 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p. 563. 809 WANG Zhenmin, « Woguo xianfa kefou jinru susong ? (La Constitution chinoise peut-elle être invoqué devant le tribunal ?) », in XIA Yong (éd.), Gongfa (Droit public), vol. 2, Law Press China, 2000; WU Shaokui, «Dui guifanxing wenjian bei’an shencha zhidu de sikao (Réflexions sur le régime de dépôt et examen des textes normatifs) », Zhongguo renda (L’APN chinoise), 10 janvier 2005, pp. 35 à 37. 810 Yves DOLAIS, Banggui JIN, « Le droit en Chine: vers une légalité formelle et effective », op. cit., p. 2221. 811 En vertu de l’article 90 de la loi de 2000, les personnes publiques qui ont le droit de proposition sur l’examen des règlements et arrêtés sont les organes étatiques autres que le CAE, le Comité central militaire, la Cour populaire suprême, le Procureur suprême, les comités permanents des Assemblées populaires d’échelon provincial. 812 V., le Chapitre V de la loi de 2006 qui s’intitule « Dépôt et examen des textes normatifs »

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242

proposition a pour effet d’ « augmenter le niveau de connaissance de la Constitution

du peuple »813 et contribue à renforcer le contrôle sur les textes administratifs par le

législateur. Toutefois, celui-ci s’avère assez réticent à effectuer le mécanisme de

contrôle à cause des limites du mécanisme établi par la Constitution de 1982 et la loi

de 2000 (§ 1), tout en laissant une marge importante de manoeuvre au pouvoir

règlementaire dans la garantie du droit de propriété (§ 2).

§ 1. – Les limites du mécanisme de contrôle

229. - Les limites du mécanisme de contrôle existent aussi bien en ce qui concerne le

contrôle d’office (A), qu’en ce qui concerne le contrôle sur proposition (B).

A. – La limite du contrôle d’office

230. - Dans le but d’unifier les pouvoirs législatifs et de renforcer l’autorité de

l’APN et de son Comité permanent et de remédier à l’insuffisance de la réserve du

pouvoir législatif au niveau national, la loi sur l’élaboration des normes juridiques

précise les matières réservées à la législation nationale tout en réduisant par conséquent

les pouvoirs législatifs des collectivités locales814. À cet égard, il faut souligner que la

loi de 2000 prévoit les conditions815 et les procédures816 applicables à la délégation du

(Guifanxing wenjian de bei’an shencha). 813 V., Jianfu CHEN, « La dernière révision de la Constitution chinoise », op. cit., notes 79 et 82. 814 V., LI Yahong, « The law-making law: A solution to the problems in the Chinese legislative system? », 30 H.K.L.J. 120, 2000, pp. 125, 126. 815 Selon l’article 9 de la loi sur l’élaboration des normes juridiques, l’APN et son Comité permanent peuvent prendre la décision, le cas échéant, d’autoriser le CAE à adopter des règlements administratifs pour les matières devant être traitées par la loi en vertu de l’article 8, sous réserve toutefois, d’une part, qu’aucune loi n’ait été adoptée dans ces matières et, d’autre part, que les matières de droit pénal, de mesures forcées ou de sanctions ayant pour effet de priver les droits politiques ou les libertés physiques des personnes privées, et les matières relevant des institutions judiciaires soient exclues du champ de délégation. Certes, le droit de propriété ne figure pas dans les matières qui ne peuvent pas faire l’objet de délégation selon l’article 9, la délégation est donc permise en la matière. 816 L’article 10, alinéa 1, de la loi sur l’élaboration des normes juridiques exige que la décision de l’APN et son Comité permanent doive préciser le but et l’étendue de l’autorisation. La délégation de portée générale ne serait donc plus admise par la loi sur l’élaboration des normes juridiques. En vertu de

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243

pouvoir législatif. Mais la loi de 2000 « contient elle-même des limites puisqu’elle

laisse au législateur la possibilité de déléguer » sans pourtant le soumettre à aucun

contrôle extérieur817. Par exemple, l’article 10 de la loi sur l’élaboration des normes

juridiques n’impose pas que la délégation soit limitée pendant une durée préalablement

déterminée, la possibilité de délégation de portée générale n’est donc pas

complètement exclue818. Mais l’APN et son Comité permanent s’engagent à légiférer

en temps utile sur les matières faisant l’objet de délégation, ce qui implique

indirectement la limite temporelle de la délégation819. Comme le responsable des

organes législatifs l’a révélé, « la délégation serait de plus en plus réduite tout au long

de la formation d’un système légal en bonne fonction »820, d’autant plus que l’article

88, paragraphe 7, précise que l’APN et son Comité permanent peuvent modifier ou

annuler les règlements administratifs ou locaux qui outrepassent les pouvoirs délégués

ou dénaturent le but défini par la délégation, et même annuler la décision de délégation

des pouvoirs législatifs en cas nécessaire. Il s’agit du contrôle d’office par l’APN dont

l’efficacité dépend toutefois largement de la coopération des autorités administratives

et locales. Tout d’abord, le contrôle est anticipé par la notification des règlements

administratifs et locaux par leurs auteurs821. Ensuite, par le mécanisme de filtrage, les

l’article 10, alinéas 2 et 3, le CAE est imposé l’obligation de respecter le but et l’étendue de la délégation dans l’exercice de son pouvoir et s’interdire de subdéléguer à d’autres organes les pouvoirs qui lui sont conférés par la décision de délégation. 817 Banggui JIN, « La répartition des compétences normatives nationales en France et en Chine », Revue internationale de droit comparé, 2001, n° 4, pp. 963, 964. 818 SU Yuanhua, « Guanyu wanshan woguo shouquan lifa zhidu de jige wenti (Réflexions sur l’amélioration de la délégation du pouvoir législatif en droit chinois) », Renda Yanjiu (Étude de l’APN), n° 9, 2005. 819 ZHOU Wangsheng, « Guanyu shouquan lifa de jige jiben wenti (On several essential problems of delegated legislation) », op. cit., p. 20. 820 ZHANG Chunsheng, « Guanyu lifafa caoan de shuoming (Explications sur le projet de loi sur l’élaboration des normes juridiques) », présentation devant le 12e session du Comité permanent du IXe APN, disponible sur le site http://www.people.com.cn/item/lifafa/bj13.html, consulté le 2 avril 2008. 821 L’article 89 de la loi de 2000 exige que tous les règlements administratifs et locaux, les statuts et règlements particuliers des régions autonomes et des arrêtés doivent être rapportés à des organes déterminés dans les 30 jours à partir de leur publication : les règlements administratifs adoptés par le CAE doivent être rapportés au Comité permanent de l’APN ; les règlements locaux adoptés par les Assemblées Populaires locales et leurs Comités permanents de niveau provincial doivent être rapportés au Comité permanent de l’APN et au CAE; les règlements locaux adoptés par les Assemblées Populaires et leurs Comités permanents des grandes villes doivent être présentés par les Assemblés Populaires

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244

commissions spécifiques au sein du Comité permanent822 peuvent décider de faire

l’examen sur la légalité ou la constitutionnalité des règlements dont l’illégalité ou

l’inconstitutionnalité est soupçonnée. Ces commissions spécifiques peuvent d’ailleurs

donner leurs avis aux organes en cause en leur indiquant des mesures nécessaires pour

rendre leurs règlements compatibles à la loi et à la Constitution. La procédure

d’examen se termine, dès lors que les organes qui ont adopté lesdits règlements

réagissent conformément aux avis des commissions spécifiques dans les deux mois à

compter du jour où les avis leur sont parvenus. Dans le cas contraire, les commissions

spécifiques peuvent présenter les propositions d’annulation ou de modification des

règlements à la réunion présidentielle du Comité permanent de l’APN qui détermine

s’il y a lieu de transférer les propositions au vote du Comité permanent de l’APN823. Le

parcours au sein du Comité permanent de l’APN n’est ni transparent ni encadré par des

règles procédurales déterminées824, la crédibilité du contrôle d’office ne peut qu’être

largement mise en cause.

B. – La limite du contrôle sur proposition

231. - En parallèle avec l’examen d’office, l’article 87 de la loi de 2000 prévoit la

provinciales au Comité permanent de l’APN et au CAE; les statuts et règlements particuliers émanant des régions autonomes doivent être rapportés par les Assemblés Populaires provinciales au Comité permanent de l’APN et au CAE; les arrêtés ministériels et les arrêtés des gouvernements locaux doivent être rapportés au CAE; les arrêtés des gouvernements locaux devant également être rapportés aux Assemblées Populaires locales de même niveau ; les arrêtés des gouvernement locaux des grandes villes doivent être rapportés aux Assemblées Populaires provinciales. 822 Les commissions spécifiques au sein du Comité permanent de l’APN sont la Commission des affaires ethniques, la Commission des travaux législatifs, la Commission des affaires intérieures et judiciaires, la Commission des affaires économiques et financières, la Commission de l’éducation, de la science, de la culture et de la santé publique, la Commission des affaires étrangères, la Commission des affaires des émigrants, la Commission de la protection de l’environnement et des ressources naturelles, la Commission des affaires d’agriculture et rurales. 823 V., article 91 de la loi sur l’élaboration des normes juridiques. 824 Lors d’une réunion présidentielle du Comité permanent de l’APN tenue en décembre 2005, se sont précisées dans un document intérieur les modalités par lesquelles le Comité permanent examine d’office des textes administratifs qui lui sont notifiés. V., reportage de MENG Na, « L’examen des règlements et des opinions judiciaires par le Comité permanent», disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/legal/2005-12/19/content_3941558.htm, consulté le 2 avril 2008.

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245

possibilité pour les organes étatiques et les citoyens de proposer au Comité permanent

de l’APN d’annuler des règlements administratifs illégaux. Le droit de proposition

ainsi reconnu a pour effet de combler la lacune du droit chinois qui ne prévoit pas le

recours juridique effectif pour les citoyens de contester les textes normatifs de

l’administration. Il faut souligner que selon la loi sur le contentieux administratif

adoptée en 1989, les personnes physiques ou morales et les organes ne peuvent

invoquer le contentieux administratif qu’à l’encontre des actes administratifs

concrets825. Il en résulte que sont irrecevables les contentieux intentés contre les actes

administratifs de portée générale tels que les règlements administratifs adoptés par le

CAE, les arrêtés ministériels ou les arrêtés des gouvernements locaux826. Pour le même

motif de renforcer l’autorité de l’APN par rapport au CAE et aux gouvernements

locaux afin d’assurer la hiérarchie des normes et « la représentativité du système

légal »827, le droit de proposition fut reconnu par la loi de 2000828. Certes, il ne faut pas

exagérer l’utilité du recours individuel en exerçant le droit de proposition. Tout d’abord,

le mécanisme d’examen ne s’applique pas à la délégation de la compétence législative.

Les personnes publiques et privées ne peuvent donc pas contester la décision de

délégation –en exerçant leur droit de proposition– au motif que la décision de

délégation n’a pas respecté les conditions applicables prévues par la loi de 2000.

C’est-à-dire que le droit de proposition ne peut pas être appuyé pour censurer les

carences du législateur. Ensuite, le mécanisme d’examen institué par la loi de 2000 ne

concerne pas les arrêtés, alors que ces derniers touchent plus directement les droits et

intérêts des administrés. Il s’agit des actes administratifs abstraits, dotés d’une force

obligatoire et de portée générale, comme les règlements administratifs829. Ils sont

825 V., article 2 de la loi sur le contentieux administratif. 826 V., YING Songnian, Xingzhengfa yu xingzheng susongfaxue (Droit administratif et contentieux administratif), Law Press China, 2005, p.465. V., aussi, Cour populaire suprême, Guanyu zhixing zhonghua renmin gongheguo xingzheng susongfa ruogan wenti de jieshi (Explications sur l’exécution de la loi sur le contentieux administratif), 8 mars 2000, article 3. 827 Laura PALER, « China’s legislation law and the making of a more orderly and representative legislative system », The China Quarterly, 2005, pp. 301 à 318. 828 V., article 90 de la loi sur l’élaboration des normes juridiques. 829 En droit chinois, les arrêtés existent aussi bien au niveau national (ministères et commission du CAE) qu’au niveau local (provinces, villes et régions autonomes). On distingue donc entre les arrêtés ministériels et les arrêtés des gouvernements locaux.

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246

d’ailleurs plus concrets et plus opérationnels que les lois et les règlements

administratifs. Dans le domaine de la gestion administrative, ils guident et encadrent

plus directement les activités des citoyens, des personnes morales et des autres

organisations. D’ailleurs, les arrêtés ont un effet juridique complet à l’égard non

seulement des administrations mais aussi des juges830. Et il est fréquent que « certains

arrêtés dépassent le cadre des lois et règlements en vertu desquels ils avaient été

élaborés, et leurs auteurs outrepassent leur compétence normative »831. Comme les

citoyens ne peuvent pas contester l’illégalité des règlements par voie de contentieux

administratifs, les arrêtés échappent aussi au contrôle judiciaire. Cette lacune de la loi

sur le contentieux administratif n’est pas comblée par la loi de 2000, dans la mesure

où le contrôle des normes juridiques sur proposition ainsi reconnu aux citoyens ne

s’applique pas aux arrêtés.

232. - Le Comité permanent entend bien canaliser les voies d’exercice du droit de

proposition par les personnes privées en prenant les mesures complémentaires. En mai

2004, fut instituée au sein de la Commission des travaux législatifs du Comité

permanent une cellule chargée de la réception des propositions écrites sur l’examen des

règlements832. L’exerce du droit de proposition par des personnes privées et des

personnes publiques est d’autant plus assuré que la cellule chargée de la réception des

propositions s’engage à répondre aux personnes en précisant la conclusion de l’examen

des règlements contestés. Cependant, le mécanisme d’examen des règlements ne doit

pas être assimilé au contrôle constitutionnel. Car « la constitutionnalité des lois n’est

830 L’article 53 de la loi sur le contentieux administratifs dispose que « dans les litiges administratifs, les tribunaux populaires se réfèrent (canzhao) aux arrêtés élaborés conformément aux lois et règlements administratifs, par les ministères et commission du CAE ou par les gouvernements locaux, qu’il s’agisse de ceux de provinces, régions autonomes ou de leurs chefs-lieux mais aussi des gouvernements de municipalité relevant de l’autorité centrale ou de grande villes ». 831 V., LIU Han, « L’importance de la place et du rôle des arrêtés », in Xiao-Ying LI-KOTOVTCHIKHINE (sous la dir. de), Les sources du droit et la réforme juridique en Chine, actes du colloque international des 7 et 8 octobre 2002, Palais du Luxembourg, Paris, Litec, 2003, pp. 89 à 103. 832 V., Reportage de CUI Li, « L’institution d’une cellule de réception des propositions sur l’examen des règlements par le Comité permanent de l’APN », China Youth Daily (Zhongguo qingnianbao), 21 juin 2004.

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247

pas visée par ce mécanisme »833. L’examen de la légalité et de la constitutionnalité des

règlements est assuré « par le législateur lui-même au lieu d’un organe indépendant du

pouvoir législatif »834 . Mais il faut remarquer que le mécanisme d’examen des

règlements sur proposition des organes étatiques ou des personnes privées aurait pour

effet de « davantage promouvoir la connaissance constitutionnelle du peuple

notamment à l’égard de la protection des droits fondamentaux »835, et par conséquent,

d’inciter le Comité permanent de l’APN à davantage remplir leur fonction de contrôle

normatif par le biais du mécanisme d’examen. Certes, jusqu’à présent, le Comité

permanent n’a jamais officiellement annulé un règlement administratif selon ladite

procédure, alors que la violation de la compétence législative par les règlements

administratifs est plus que jamais contestée et est considérée comme la cause des

atteintes aux droits fondamentaux des citoyens parmi lesquelles figure le droit de

propriété privée836. Selon un reportage, les propositions sur l’examen de la légalité du

Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines

ont été présentées au Comité permanent. Ces propositions contestent, entre autres, la

violation par le Règlement de l’article 8 de la loi de 2000 selon lequel l’expropriation

des biens non étatiques relève de la compétence de la loi837. En d’autres termes, la

833 CAI Dingjian, « Fagui bei’an shencha budengyu weixian shencha (L’examen des règlements n’est pas le contrôle constitutionnel) », Zhongguo xinwen zhoukan (China Newsweek), 9 janvier 2006, p. 84. 834 ZHANG Zhenqiang, « Weixian shenchaquan yinggai duliyu lifaquan (Le pouvoir de contrôle constitutionnel doit être indépendant du pouvoir législatif) », Étude de l’APN (Renda yanjiu), n° 4, 2006, pp. 40, 41. 835 Une étude publiée en 2002 par l’Université de Suzhou a signalé que 96,9% des personnes interrogées connaissaient l’existence de la constitution et 66% estimaient qu’elle servait à imposer des contraintes au gouvernement et à protéger les droits des citoyens V., Chen Jianfu, « La dernière révision de la Constitution chinoise », op. cit. ; XIAO Yang, « Legislative review panel to smooth legal bumps », China Daily, 21 juin 2004; YUE Jianguo, « Zhide qidai de yixiaobu (À petits pas dignes d’être attendus) », China Econ. Times, 22 juin 2004. 836 V., par ex., ZENG Xianghua, « Xingzheng lifa de zhengdangxing yanjiu (On the appropriateness of administrative legislation) », Jiangsu shehui kexue (Jiangsu Social Sciences), n° 2, 2005, pp. 110 à 116; LIN Jichang, LI Jitian, « Lun quanli jiguan dui xingzheng lifa de jiandu (Le contrôle du législateur sur le pouvoir normatif de l’Administration) », Xingzheng yu fa (Public Administration & Law), n° 10, 2002, pp. 42 à 44 ; WANG Kejin, «Woguo lifafa de quexian fenxi (L’analyse sur la faiblesse de la loi sur l’élaboration des normes juridiques)», Zhengfa Luncong (Journal of Political Science and Law), n° 2, 2002, pp. 47 à 50. 837 V., Propositions au Comité permanent de l’APN sur l’examen du règlement des démolitions et déplacements immobiliers dans les zones urbaines, disponibles sur le site

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248

démolition des bâtiments est une forme d’expropriation des biens non étatiques et, par

conséquent, l’adoption dudit Règlement par le CAE constitue un empiètement de la

compétence législative. Jusqu’aujourd’hui, aucune procédure formelle d’examen sur

l’illégalité dudit Règlement n’a pas été engagée. Ce qui démontre aussi la limite du

contrôle sur proposition dans la mesure où l’APN et son Comité permanent demeurent

largement discrétionnaire quant à la prise de décision sur le déclenchement de la

procédure d’examen.

§ 2. – La marge de manoeuvre du pouvoir réglementaire

233. - La faiblesse de la mise en oeuvre des garanties constitutionnelles réside non

seulement en la limite du mécanisme de contrôle, mais également en la volonté des

auteurs du contrôle de s’abstenir d’emprunter des voies de contrôle pour annuler ou

modifier les normes administratives en conflit avec les normes de hiérarchie supérieure.

En matière de droit de propriété, il faut notamment souligner l’inertie du Comité

permanent au Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des

zones urbaines. Alors qu’il existe de l’utilisation abusive de la marge de manoeuvre par

le pouvoir réglementaire(A), les opérations récentes du CAE pour freiner les mesures

d’expropriation illégales dans les zones urbaines comme dans les zones rurales ont

pourtant montré en quelque sorte l’utilité de la marge de manoeuvre du pouvoir

règlementaire dans la mise en oeuvre des garanties du droit de propriété (B).

A. – L’utilisation abusive de la marge de manoeuvre par le pouvoir

réglementaire

234. - En l’état actuel, la démolition des bâtiments dans des zones urbaines (1) et

l’expropriation du sol collectif (2) sont les deux domaines où l’abus de pouvoir

réglementaire est relativement plus fréquent838.

http://www.calaw.cn/lesson/main%20frames/J%20X%20S%20X/JXSX_right.htm, consulté le 15 décembre 2005. 838 V., HE Qinglian, « Geige sanshinian : guojia nengli de jixing fazhan jiqi houguo (Trent ans de

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249

(1). – L’exemple de la démolition des bâtiments dans des zones urbaines

235. - L’article 8, paragraphe 6 de la loi de 2000 précise que l’expropriation des

biens non étatiques relève de la compétence exclusive de la loi. Or, le CAE, en

adoptant le Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones

urbaines du 1991, a méconnu de manière flagrante la réserve de compétence législative

affirmée par la Constitution ainsi que par la loi de 2000839. Mais il constitue de facto la

base juridique des expropriations des bâtiments pour renouvellement urbain. Le

développement du marché foncier débuté au milieu des années 90 s’est accompagné de

la flambée du prix de l’immobilier et a amené les gouvernements locaux à participer à

l’exploitation foncière en s’appropriant des terrains occupés840. D’où les vagues de

privation des bâtiments de leurs propriétaires par l’abus d’expropriation pour but

d’intérêt public. C’est dans ce contexte que la légalité du règlement 1991 a fait l’objet

de vives critiques841. Sous l’influence de ces critiques, le CAE a modifié son règlement

en 2001, en imposant des contraintes aux pouvoirs des gouvernements locaux dans

l’exécution des mesures de démolition. Certes, le CAE aurait dû abroger ce règlement

ou le modifier après l’adoption des révisions constitutionnelles en 2004 et la

promulgation de la loi 2000, afin de s’aligner sur la Constitution en ce qui concerne la

réserve de compétence de la loi. L’empiètement du pouvoir législatif par le Règlement

du CAE est d’autant plus évident que la loi sur les droits réels précise que

l’expropriation des bâtiments d’usage individuel pour cause d’utilité publique doit

s’effectuer selon la compétence et la procédure prévues par la loi842. Le professeur

Réformes: le développement difforme du pouvoir étatique et ses conséquences) », Modern China Studies, 2008, n° 4, p. 3 et s. 839 WANG Zhao, «Dui chenshi fangwu chaiqian tiaoli zhong ruogan wenti de yanjiu ( Étude sur les questions du règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines) », Xiandai shangye (Modern Business), 2007, n°16, p. 200. 840 V., Aimin CHEN, « China’s urban housing market development: problems and prospects », Journal of Contemporary China, 1998, vol.7, n° 17, pp. 43 et s; Yanzhong HUANG, Dali L. YANG, « The political dynamics of regulatory change: speculation and regulation in the real estate sector », Journal of Contemporary China, 1996, vol.5, n° 12, pp. 171 et s. 841 V., par ex., Eva PILS, « Land disputes, rights assertion, and social unrest in China: a case from Sichuan », Columbia Journal of Asian Law, Vol. 19, n° 1, 2005, p. 249. 842 V., l’article 42 de la loi sur les droits réels.

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250

WANG Liming, en s’appuyant sur la loi sur les droits réels, considère que « la

démolition des bâtiments porte atteinte au droit le plus fondamental des citadins dans

leur vie quotidienne, à savoir la propriété des maisons, il en résulte que seule la

compétence et la procédure définie par la loi peuvent s’appliquer »843, et que ledit

Règlement du CAE est illégal. En exerçant le droit de proposition reconnu par la loi de

2000, des propositions sur l’examen dudit Règlement ont été présentées par des juristes

universitaires au Comité permanent en 2004844. Néanmoins, jusqu’à présent, ni l’APN,

ni son Comité permanent n’a déclenché le contrôle d’office sur la constitutionnalité et

la légalité dudit règlement du CAE. L’inertie du Comité permanent dans le contrôle

formel du règlement du CAE s’explique par le fait que le projet de loi sur

l’expropriation des biens immobiliers pour cause d’utilité publique est en cours de

rédaction. En d’autres termes, le Comité permanent entend bien priver la valeur dudit

Règlement par l’avènement d’une nouvelle loi dans le futur. Entre temps, c’est la loi

sur les droits réels qui prend plus de poids dans le contrôle juridictionnel des mesures

d’expropriation, dont l’application effective dépend du juge qui doit préférer la loi sur

les droits réels sur le règlement du CAE. C’est la raison pour laquelle la Cour populaire

suprême élabore actuellement les avis d’interprétation judiciaire relatifs à l’application

de la loi sur les droits réels afin de répondre à l’attente des citoyens845, y compris des

avis d’interprétation judiciaire plus précis et opérationnels en matière d’expropriation.

(2). – L’exemple de l’expropriation du sol collectif

236. - L’utilisation du pouvoir réglementaire est abusive non seulement à cause de l’

843 WANG Liming, « Gongmin caichanquan baohu he zhengshou zhengyong lifa (La protection des biens des citoyens et l’expropriation, la réquisition) », Guangming ribao (Quotidien des Lumières), 6 août 2007. 844 V., WANG Cailiang, Fangwu chaiqian jiufen jiaodian shiyi (Explications sur les conflits dans la démolition et le déplacement urbains), Law Press China, 2004, p. 282 ; DAI Xiaoli (et al.), « Guanyu chengshi fangwu chanqian guali tiaoli weixianshencha de jianyi (Propositions sur le contrôle de constitutionnalité du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines) », en date du 14 avril 2004, 25 avril 2004, disponibles sur le site http://www.calaw.cn, consulté le 15 décembre 2005. 845 Jusqu’au présent, la Cour populaire suprême n’a élaboré que deux projets d’avis d’interprétation concernant la copropriété. V., supra., n° 171.

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251

empiètement sur le pouvoir législatif, mais surtout en raison de la contradiction entre le

règlement et les normes législatives, méconnaissant ouvertement la hiérarchie des

règles de droit. Tel est le cas du règlement du CAE adopté en 1991 sur l’indemnisation

et la réinstallation des foyers dans l’expropriation des terres labourées pour les grands

travaux hydrauliques et d’hydro-électricité. Les indemnités prévues par le règlement de

1991 étaient en contradiction avec celles prévues en vertu de la loi de 1986 sur

l’administration du sol. En effet, selon le règlement de 1991, le montant de l’indemnité

sur l’usage du sol collectif était fixé entre 3 ou 4 fois la valeur moyenne de production

des terres labourées des trois années précédentes à la date d’expropriation, tandis qu’en

vertu de la loi de 1986 la fourchette du montant est entre 6 à 10 fois la valeur moyenne

de production. D’ailleurs, selon le règlement de 1991, le montant de l’indemnité pour

la réinstallation des paysans était fixé entre 2 à 3 fois la valeur moyenne de production

des terres labourée des trois années précédentes à la date d’expropriation, tandis qu’en

vertu de la loi de 1986, la fourchette est entre 4 à 6 fois de la valeur moyenne de

production. Le règlement de 1991 prévoyait également la possibilité pour le Ministère

de l’Hydraulique de réduire l’indemnité pour l’usage du sol et celle pour la

réinstallation. Le règlement de 1991 demeurait valable, en dépit de sa contradiction

avec la loi de 1986, pour le calcul du montant des indemnités jusqu’à l’adoption d’un

nouveau règlement en 2006 qui le remplace. Il est intéressant de souligner que le

nouveau règlement de 2006 a significativement augmenté le montant des indemnités

en supprimant la fourchette dans le calcul des indemnités. Désormais, la somme de

l’indemnité pour l’usage du sol et l’indemnité pour la réinstallation est égale à 16 fois

de la valeur moyenne de production des terres labourées des trois années précédentes à

la date d’expropriation846. À cet égard, le règlement de 2006 peut favoriser les

expropriés en prévoyant la hausse des indemnités, en dépassant la limite imposée par la

loi de 1986.

846 V., article 22 du règlement sur l’indemnisation et la réinstallation des foyers dans l’expropriation des terres labourées pour les grands travaux hydrauliques et d’hydro-électricité, adopté par le CAE en date du 7 juillet 2006 et entré en vigueur le 1er septembre 2006.

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252

B. – L’utilité de la marge de manoeuvre du pouvoir réglementaire

237. - L’utilité du pouvoir réglementaire se manifeste par les efforts du

gouvernement central dans le maintien de la stabilité sociale menacée par les réactions

du peuple qui subissait des atteintes au droit de propriété causées par des actes des

gouvernements locaux. En effet, « des expropriations illégales des terres rurales

collectives et des démolitions des bâtiments dans les zones urbaines, conduits par le

rapide développement d’urbanisation, sont les deux principales causes des

mécontentements du peuple envers le gouvernement »847, dans la mesure où ces

mesures de privation n’étaient pas justifiées par l’intérêt général, « ni les

indemnisations était raisonnables par rapport aux atteintes subies par les personnes

ainsi dépouillées de leurs droits constitutionnellement reconnus » 848 . Avec

l’amélioration de la connaissance constitutionnelle du peuple, et notamment grâce à

l’exercice du droit de proposition en vertu de la loi de 2000, les citoyens se sont

mobilisés en revendiquant les mesures législatives pour défendre leur droit de propriété.

Ils demandent que les mesures gouvernementales affectant le droit de propriété soient

compatibles avec les normes de garanties constitutionnellement reconnues. La

revendication des droits par les citoyens a eu parfois des répercussions politiques et a

pu sensibiliser le gouvernement central849. En témoigne le reportage sur un résident

âgé de Pékin qui, deux semaines après la promulgation des révisions constitutionnelles

sur la protection de la propriété privée, avait invoqué la Constitution à l’encontre d’une

décision de démolir sa maison construite cent ans avant850. Dans certains cas, la

tension sociale s’aggravait puisque des gouvernements locaux, en abusant de leur

pouvoir quasi-autonome d’arrêter le plan d’urbanisme, assimilaient l’expropriation des 847 Katherine WILHELM, « Rethinking property rights in urban China », Journal of International Law and Foreign Affairs, fall/winter 2004, pp. 227 et s. 848 Pamela N. PHAN, « Enriching the land of the political elite? Lessons from China on democratization of the urban renewal process », 14 Pac. Rim. L. & Pol’y J. 607, 2005, pp. 607 et s. 849 V., reportage du Reuters et AP, «À Donghzou, la police chinoise ouvre le feu sur des villageois expropriés », Le Monde, 12 septembre 2005 ; Bruno PHILIP, « En Chine du Sud, la police chinoise a réprimé dans le sang une manifestation de paysans », Le Monde, 12 décembre 2005 ; Eric ECKHOLM, « Where workers, too, rust, bitterness boils », The New York Times, 20 mars 2002. 850 YAN Yang, « Xiang shouchi xianfa weiquan de laoren zhijing (Saluer la personne qui a protégé ses droits avec la Constitution sur ses mains) », Remin ribao (Quotidien du peuple), 14 avril 2004, p. 13.

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253

bâtiments dans les zones urbaines au projet de renouvellement urbain « qui n’était pas

nécessairement pour réaliser le bien commun ou la justice sociale en raison de

l’absence d’un encadrement bien précis »851. Ce fut typiquement le cas lorsque les

gouvernements locaux prêtèrent leur concours aux promoteurs immobiliers dans le

processus d’appropriation des terrains occupés par les habitants actuels, en exécutant

des mesures de démolition forcée afin de dépouiller les habitants des terrains convoités

par les promoteurs852. La collaboration entre les membres des gouvernements locaux et

les promoteurs immobiliers dans l’exploitation des terrains urbains a également

entraîné la corruption des fonctionnaires locaux et par conséquent les protestations du

peuple853.

238. - Face au désordre des opérations d’expropriation menées par les

gouvernements locaux, le CAE a réagi en adoptant des mesures visant à régulariser la

démolition des bâtiments dans des zones urbaines et l’expropriation des terres rurales,

en vue d’assurer la stabilité sociale. En dépit de la loi sur l’administration du sol et du

règlement administratif portant sur l’application de la loi sur l’administration du sol,

ainsi que du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des

zones urbaines, le CAE a imposé des contraintes plus strictes aux gouvernements

locaux quant à la réalisation du projet d’expropriation. Au lieu d’adopter des

règlements spécifiques, de récentes mesures de contrôle du CAE prirent les formes

plus simples de décision, d’avis ou d’opinion, traduisant donc sa flexibilité dans

l’élaboration des règles administratives854. L’intervention du CAE eut pour but de

851 Daniel Benjamin ABRAMSON, « Urban planning in China », Journal of American Planning Association, Spring 2006, Vol. 72, n° 2, pp. 197, 198. 852 George C. S. LIN, Samuel P. S. HO, « The State, land system, and land development processes in contemporary China », Annals of the Association of American Geographers, p. 422; Eva PILS, « Land disputes, rights assertion, and social unrest in China: a case from Sichuan », loc. cit. 853 Xiaolin GUO, « Land expropriation and rural conflicts in China », The China Quarterly, 2001, n° 166, p. 422 à 439; Eva PILS, « Land disputes, rights assertion, and social unrest in China: a case from Sichuan », loc. cit. 854 Il s’agit du communiqué officiel urgent sur l’administration de la démolition des bâtiments pour le maintien de la stabilité sociale, adopté le 19 septembre 2003 ; le communiqué officiel sur le renforcement du contrôle sur l’envergure des démolitions des habitations urbaines, adopté le 6 juin 2004 ; la décision sur l’approfondissement de la réforme et le renforcement de l’administration du sol adoptée le 21 octobre 2004 ; le communiqué officiel sur le renforcement de la règlementation du sol adopté le 31 août 2006.

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254

suspendre toutes les expropriations illégales en cours, d’imposer des charges et des

responsabilités plus lourdes aux autorités locales qui entendirent procéder à

l’expropriation, ainsi que de préciser les garanties utiles pour les expropriés. En somme,

le CAE réussit à bloquer l’expansion des expropriations désordonnées par la prise des

mesures ponctuelles ciblant des pratiques vicieuses des autorités inférieures. Le

pouvoir réglementaire détenu par le CAE continue d’être utile dans la mesure où le

système de pétition du peuple est permis dans le système politique chinois, et « les

autorités inférieures sont d’autant plus responsables à l’autorité supérieure qu’au

public, celui-ci pourrait par conséquent faire entendre sa demande légitime par les

gouvernements locaux en imposant la pression à l’autorité supérieure »855. Le CAE

fonctionne comme clef de voûte dans cette communication établie entre le détenteur du

pouvoir et les citoyens, alors que l’APN et son Comité permanent ne jouent qu’un rôle

secondaire dans le système juridico-politique qui n’a pas abouti à la démocratisation.

SECTION II. – LE CONTRÔLE DES ATTEINTES AU DROIT DE PROPRIÉTÉ

239. - En droit français, la mention de l’article 544 du Code civil du caractère absolu

du droit de propriété ne doit pas être interprétée comme proscrivant toute limitation de

ce droit, contrairement à ce qu’avait proclamé la doctrine de la fin du XIXe siècle856.

Le juge constitutionnel admet lui aussi que le droit de propriété puisse faire l’objet

d’atteinte de la part de l’autorité étatique. Il s’agit donc d’un droit susceptible d’être

limité, puisque non intangible. La jurisprudence du Conseil constitutionnel français

permet de dresser une typologie des atteintes au droit de propriété. le Conseil

constitution français vérifie aussi que les atteintes ne dénaturent pas le droit lui-même.

Dès lors qu’elles respectent certaines limites et certaines règles, les lois diminuant ou

supprimant les prérogatives des propriétaires passent l’épreuve du contrôle de

855 Yongshun CAI, « Managed participation in China », Political Science Quarterly, 2004, Vol. 119, n° 3, p. 427. 856 C. ATIAS enseigne que « juridiquement, la propriété ne se définit qu’assortie de limites, de bornes, de restrictions », « Le qualificatif d’absolu suppose seulement que la propriété revêt trois caractéristiques : elle n’est pas un élément d’un autre droit ; elle est le régime normal des biens et elle est le droit le plus complet ». V., C. ATIAS, Droit civil, les biens, op. cit., pp. 91, 98.

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255

constitutionnalité. Il existe ainsi un véritable régime juridique des atteintes au droit de

propriété. Il faut souligner que le Conseil constitutionnel français étend les garanties

constitutionnelles du droit de propriété privée au droit de propriété des personnes

publiques, en affirmant que la garantie des biens publics trouve « un fondement dans

les dispositions de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 relatives au droit de

propriété et à la protection qui lui est due ; cette protection ne concerne pas seulement

la propriété privée des particuliers mais aussi, à un titre égal, la propriété de l’État et

des autres personnes publiques »857. Il en résulte que les garanties du droit de propriété

en cas des atteintes s’appliquent sans différence à la propriété publique et privée.

240. - En droit chinois, les garanties concernant l’expropriation et la réquisition des

terres et de la propriété privée sont désormais proclamées par les révisions

constitutionnelles de 2004. Il s’agit, outre le respect à la compétence législative, de la

justification d’intérêt public d’une part et d’autre part, le versement des indemnités.

Toutefois, la Constitution chinoise ne prévoit pas que lesdites normes de garanties en

matières des atteintes au droit de propriété s’appliquent également pour la sauvegarde

des propriétés publiques, notamment de la propriété étatique. En effet, la Constitution

chinoise exprime simplement la politique de l’État pour le maintien du « régime

économique fondamental dans lequel la propriété publique occupe une place

prépondérante »858, sans pour autant préciser les normes de garanties constitutionnelles

spécifiques. Les dispositions en faveur de la garantie de la propriété publique sont

adoptées par la loi sur les droits réels et par la loi sur les actifs d’État des entreprises

promulguée le 28 octobre 2008, mais elles n’ont pas comblé la lacune des garanties

constitutionnelles. Car ces dispositions s’inscrivent dans l’approche de protéger les

biens publics en s’appuyant sur les normes législatives spéciales qui n’ont toutefois pas

de valeur constitutionnelle. D’ailleurs, les « droits de propriété mieux définis et plus

certains seraient à même de favoriser le retrait de l’Etat des secteurs clés de

l’économie chinoise et de faire entrer l’acteur individuel au centre de cette

857 CC, déc. n° 86-207 DC des 25-26 juin 1986, Privatisations : RJC I-254, 58e considérant; CC, déc. n° 86-217 DC, 18 sept. 1986, Liberté de communication : RJC I-283, 47e considérant ; CC, déc. n° 94-346 DC, 21 juill. 1994, Droits réels sur le domaine public : RJC I-598, 3e considérant. 858 V., article 6, alinéa 2 de la Constitution de 1982.

Page 264: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

256

économie »859. En d’autres termes, la mise en oeuvre des garanties constitutionnelles

de la propriété privée revêt la signification particulière au regard de la transformation

du droit chinois. Ainsi, sous l’angle de la garantie des biens essentiellement privés,

sont ici successivement examinées la typologie des atteintes au droit de propriété

(Sous-section 1) et les conditions qui y sont applicables (Sous-section 2).

Sous-section 1. – La typologie des atteintes au droit de propriété

241. - En ce qui concerne des normes de garantie du droit de propriété, la

contribution de la révision constitutionnelle en 2004 consiste d’abord en la distinction

des mesures d’expropriation (§ 1) et de réquisition (§ 2) qui furent longtemps

confondues en droit chinois. Les modifications des dispositions législatives ont été

effectuées pour tenir compte de la révision constitutionnelle. Certes, en contraste avec

la jurisprudence du Conseil constitutionnel français qui permet de dresser une

typologie des atteintes au droit de propriété, à savoir la privation de la propriété et la

simple réglementation de l’usage des biens, la Constitution chinoise ne procède pas à

la distinction des mesures de privation et de réglementations. De surcroît, la

Constitution chinoise ne stipule pas de normes applicables à la nationalisation, ni à la

privatisation des propriétés publiques. Ainsi, le droit chinois est dépourvu de principes

constitutionnels en matière de nationalisation, sauf de rares dispositions législatives

prévoyant l’engagement de l’État chinois à ne pas procéder à la nationalisation des

entreprises à investissement étranger860.

§ 1. – L’expropriation

242. - La notion d’expropriation n’apparaît dans le texte de la Constitution qu’après

859 J. GIBSON, B. de MARRAI (sous la dir. de), Réforme du droit économique et développement en Asie, op. cit., p. 228. 860 Par exemple, l’article 5 de la loi sur les entreprises étrangères et l’article 2, alinéa 3, de la loi sur les joint-ventures prévoient que l’État ne procède pas à la nationalisation ni à l’expropriation des entreprises étrangère sauf au nom d’intérêt public, selon la procédure légale et moyennant une juste indemnisation ; de même, pour la loi sur les joint-ventures.

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257

la révision de 2004. Il s’agit d’abord de l’article 10, alinéa 3 de la Constitution qui

proclame que dans l’intérêt public, l’État peut procéder à des expropriations ou à des

réquisitions de terres pour son usage selon la loi et moyennant indemnisation. Avant la

révision en 2004, l’article 10, alinéa 3 ne prévoyait que les réquisitions des terres.

L’assimilation de l’appropriation des terres rurales par l’État à la notion de réquisition

est ainsi supprimée. Ensuite, l’article 13 de la Constitution, par la révision en 2004,

insère un nouvel alinéa 3 disposant que « [D]ans l’intérêt public, l’État peut procéder

à des expropriations ou à des réquisitions des propriétés selon la loi et moyennant

indemnisation». Cela pose en effet le principe d’expropriations et de réquisitions dans

une norme constitutionnelle qui est consacrée à la reconnaissance de la propriété privée.

Ces deux articles constitutionnels imposent désormais les conditions applicables aux

mesures d’expropriations et de réquisitions, à savoir le but d’intérêt public, l’exigence

de légalité et l’indemnisation. Il y a lieu de rechercher en quoi constitue l’expropriation

en droit chinois en comparaison avec le droit français en la matière.

243. - L’expropriation se définit en droit français tout d’abord par son objet : la

cession forcée d’un bien qui peut être un immeuble ou un droit réel immobilier mais

non un meuble861 ; par ailleurs, les réquisitions portant sur les immeubles ne peuvent

concerner que leur usage et en aucun cas leur propriété ; à l’inverse, les réquisitions

portant sur les meubles peuvent porter soit sur l’usage du meuble soit sur sa

propriété862. Au regard du droit français, la Constitution chinoise ne précise pas

l’étendu des objets de l’expropriation. Ainsi en est-il, l’article 13 de la Constitution, en

imposant les mêmes conditions aux mesures prises par l’État en matière

d’expropriation et de réquisition, ne semble pas chercher à les distinguer à l’égard de

leurs objets. L’ambiguïté de la Constitution chinoise a suscité des critiques doctrinales.

Le professeur LIANG Huixing a considéré que les objets de l’expropriation ne peuvent

qu’être des droits immobiliers, à savoir notamment la terres de propriété collective et le

droit d’usage portant sur les terres publiques, alors que la réquisition peut viser tant

aux meubles qu’aux immeubles et constitue un acte provisoire s’exécutant notamment

861 V., Jean-Marie AUBY, Pierre BON, Jean-Bernard AUBY, Droit administratif des biens, op. cit., p. 427. 862 Ibid., p. 429.

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258

en cas d’urgence863. Pour d’autres, l’expropriation peut viser non seulement les droits

réels immobiliers mais aussi les meubles, même les biens immatériels864. Mais il n’est

guère contesté que l’expropriation constitue une mesure privative des droits. Par la loi

sur les droits réels, l’expropriation des biens immobiliers et la réquisition qui peut

porter sur les biens mobiliers et immobiliers sont deux différents concepts juridiques.

En ce qui concerne l’expropriation, la Constitution chinoise précise respectivement

l’expropriation du sol collectif (A) et l’expropriation des biens privés (B).

A. – L’expropriation du sol collectif

244. - Comme l’un de ses apports, la révision constitutionnelle en 2004 soumet au

régime juridique de l’expropriation les activités d’appropriation du sol collectif (1) et

du droit d’usage (2) pour cause d’intérêt public.

(1). – L’encadrement de l’appropriation du sol collectif par l’expropriation

245. - Avant la révision de 2004, l’article 10, alinéa 3 de la Constitution ne prévoyait

que la réquisition du sol par l’État, qui englobait toutefois la situation dans laquelle

l’État s’approprie des terrains collectifs. Avec la révision de 2004, l’ancienne

formulation selon laquelle l’État peut procéder à la réquisition du sol est remplacée par

« l’État peut procéder à l’expropriation ou la réquisition du sol ». Ce changement a

863 LIANG Huixing, «Tan xianfa xiuzheng’an dui zhengshou he zhengyong de guiding (À propos des normes constitutionnelles relatives à l’expropriation et à la réquisition) », Zhejiang xuekan (Zhejiang Academic Journal), 2004, n° 4, pp. 116 à 120. V., aussi FEI Anling, « Budongchan zhengshou de sifa sikao (Thinking about the real estate expropriation from the perspective of private law)», Zhengfa luntan (Tribune of Political Science and Law), 2003, n° 1, pp. 116 à 124. 864 V., DAI Mengyong, « Wuquanfa shiye zhong de zhengshou zhidu (L’étude sur l’expropriation au regard de droits réels) », Zhengzhi yu falü (Political Science and Law), 2005, n° 5, pp. 18 à 23 ; YANG Jiejun, GU Yeqing, « Xianfa goujia xia zhengshou zhengyong zhidu zhi zhenghe (L’intégration des régimes constitutionnels de l’expropriation et de la réquisition) », Fashang yanjiu (Studies in Law and Business), 2004, n° 5, pp. 39 à 48; ZHENG Chuankun, TANG Zhongmin, « Wanshan gongyi zhengshou zhengyong falü zhidu de xikao (Thinking about perfecting the legal system of expropriation and requisition for commonweal)», Zhengfa luntan (Tribune of Political Science and Law), 2005, n° 2, pp. 133 à 140; QU Maohui, ZHANG Hong, « Lun Zhengshou falü zhidu de jige wenti (À propos des questions relatives à l’expropriation) », Faxue pinglun (Law Review), 2003, n° 2, pp. 50 à 57.

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259

pour effet l’acceptation de la distinction entre l’expropriation et la réquisition en droit

chinois. La loi sur l’administration du sol fut modifiée en 2004 suite à la révision de la

Constitution, réaffirmant sans équivoque que l’appropriation des terres collectives

constitue une expropriation et non plus une réquisition865 et en y substituant les

conditions applicables à l’expropriation. Du fait que la propriété collective du sol rural

est de nature juridique de propriété publique, le droit chinois se différencie du droit

français où la jurisprudence a consacré depuis longtemps la solution selon laquelle

l’expropriation ne vise pas la propriété publique, avec toutefois certaines atténuations

de la désaffectation 866 . Mais il faut notamment souligner l’importance de la

reconnaissance constitutionnelle de l’expropriation du sol collectif au regard des

exigences de la protection du sol rural. Car, par la distinction entre droit d’usage du sol

étatique et droit d’usage du sol collectif, l’État ne peut pas concéder le droit du d’usage

portant sur les terrains collectifs sans se les avoir préalablement appropriés. La

modification de la propriété collective des terrains concernés en propriété étatique est

donc l’étape précédant la concession du droit d’usage qui s’inscrit souvent dans la mise

en oeuvre du plan d’urbanisme. Assujettir l’appropriation du sol collectif au régime de

l’expropriation constitue donc un encadrement à la concession du droit d’usage du sol

dans la mesure où les autorités compétentes doivent respecter les conditions de

l’expropriation, à savoir, l’intérêt public, la procédure légale et surtout l’exigence

d’indemnisation.

(2). – L’applicabilité de la procédure d’expropriation au droit d’usage

246. - Quant à la question de savoir si les droits d’usage portant sur les terres

publiques –à savoir principalement le droit d’usage du sol étatique, le droit

d’exploitation forfaitaire du sol rural– peuvent faire l’objet de l’expropriation, la

réponse ne peut qu’être ambiguë selon la Constitution chinoise, puisque celle-ci se

contente d’affirmer, par l’article 10, alinéa 4, que « le droit d’utiliser des terres peut

865 V., article 43, alinéa 2 de la loi sur l’administration du sol. 866 V., Jean-Marie AUBY, Pierre BON, Jean-Bernard AUBY, Droit administratif des biens, op. cit., p. 158.

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260

être cédé conformément à la loi ». Avant l’adoption de la loi sur les droits réels, les

dispositions législatives contournaient aussi la question. Ainsi en était-il de la loi sur

l’administration du sol –avant sa modification en 2004– qui disposait de la suppression

du droit d’usage par l’État dans plusieurs articles : l’article 58 imposait les conditions

dans lesquelles l’administration du sol peut supprimer le droit d’usage qu’elle a

concédé, pour cause d’intérêt général et d’urbanisation, et les titulaires du droit d’usage

ont le droit à indemnisation appropriée pour les atteintes causées par la suppression du

droit d’usage ; l’article 65 prévoyait également la possibilité pour les collectivités

locales de supprimer, moyennant indemnisation, le droit d’exploitation forfaitaire

portant sur certaines parcelles du sol rural. De même, l’article 20 de la loi sur

l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines dispose que l’État ne

supprime pas le droit d’usage avant l’échéance du contrat sauf pour des raisons

d’intérêt général ; la suppression du droit d’usage doit être effectuée selon la procédure

légale ; l’indemnisation aux titulaires du droit d’usage se calcule en fonction du terme

du contrat de concession et de l’état d’exploitation des terrains. La loi sur l’exploitation

forfaitaire du sol rural prévoit que les titulaires du droit d’exploitation forfaitaire ont le

droit à l’indemnisation en cas d’occupations des terres auxquelles porte le droit

d’exploitation forfaitaire867 . Toutes ces dispositions susmentionnées n’utilisent ni

l’expression d’ « expropriation », ni celle de « réquisition » pour désigner l’acte de

suppression du droit d’usage. Il existait également des opinions différentes dans la

doctrine. Pour les uns, la suppression du droit d’usage ne constituait pas la mesure

d’expropriation mais la simple conséquence de l’exercice du droit de propriété par

l’État sur les terres qui lui appartenaient868. Pour les autres, afin de mieux protéger les

droits des usagers, il faudrait encadrer la suppression du droit d’usage portant sur des

terres étatiques par l’application des règles constitutionnelle relatives à

l’expropriation869.

247. - L’incertitude juridique en la matière a été désormais supprimée avec

867 V., article 16, paragraphe 2 et article 26, alinéa 4 de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural. 868 V., par exemple, WANG Weiguo, Zhongguo tudi quanli yanjiu (Étude sur les droits fonciers en Chine), Zhongguo zhengfa daxue chubanshe, 1997, p.119. 869 V., par exemple, GAO Fuping, HUANG Wushuang, Fangdichan faxue (Real Property Law), Pékin : Higher Education Press, 2003, p. 46.

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261

l’adoption de la loi sur les droits réels. L’article 121 dispose sans équivoque qu’en cas

où l’expropriation ou la réquisition des biens entraînerait l’extinction des droits

d’usufruit ou ferait obstacle à l’exercice des droits d’usufruit, les usufruitiers ont le

droit à l’indemnisation en vertu des dispositions relatives à l’expropriation870 ou celles

relatives à la réquisition 871 . En reconnaissant l’applicabilité de la procédure

d’expropriation aux droits d’usage et à d’autres droits d’usufruit, l’intérêt des

usufruitiers est mieux garanti grâce aux conditions d’expropriation imposées par la loi

sur les droits réels, « mais il faut encore que les critères d’indemnisation soient

précisés par la législation spéciale»872.

B. – L’expropriation des biens privés

248. - L’alinéa 3 de l’article 13 dispose que « [D]ans l’intérêt public, l’État peut

procéder à des expropriations ou à des réquisitions des propriétés privées selon la loi

et moyennant indemnisation». Reste à préciser l’étendu des propriétés privées qui

peuvent faire l’objet de l’expropriation en vertu de cet article. À cet égard, les

controverses portent notamment sur la question de savoir si les garanties

constitutionnelles s’appliquent aux pratiques de démolition des bâtiments dans des

zones urbaines. Selon le Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments

dans des zones urbaines du CAE, les bâtiments construits sur le fonds de propriété

étatique dans les zones urbaines peuvent faire l’objet de destructions par mesures

forcées prises par le gouvernement municipal. La particularité du problème consiste à

ce que les propriétaires des bâtiments ne disposaient pas nécessairement du droit

d’usage sur les fonds des bâtiments: il existe des bâtiments construits sur les terrains

dont l’usage a été attribué par l’État à titre gratuit, tel était le cas notamment avant

l’établissement du système de la concession du droit d’usage du sol étatique à titre

onéreux. Selon le professeur WANG Liming, dans le cas où « l’État demeure le

propriétaire des parcelles du terrain dont le droit d’usage n’a pas été concédé, la 870 V., article 42 de la loi sur les droits réels. 871 V., article 44 de la loi sur les droits réels. 872 WANG Liming, « Gongmin caichanquan baohu he zhengshou zhengyong lifa (La protection des biens des citoyens et l’expropriation, la réquisition) », loc. cit.

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262

démolition des bâtiments peut se faire sans l’expropriation préalable »873. Il s’agit

d’une notion stricte d’expropriation retenue par l’auteur, qui ne s’applique qu’au sol, à

l’exclusion des constructions qui y sont édifiées. Certes, pour la majorité des auteurs,

la révision constitutionnelle de 2004 a pour effet d’encadrer les mesures de démolition

des bâtiments dans des zones urbaines par les normes constitutionnelles

d’expropriation 874 . Car ledit Règlement accorde aux gouvernements locaux les

pouvoirs de décision sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines, mais

aussi leur permet de prendre les mesures d’exécution forcée dans la mise en oeuvre de

décision de démolition, ce qui constitue sans doute une forme concrète de

l’expropriation875. Selon certains auteurs, il serait nécessaire de qualifier la démolition

des bâtiments dans des zones urbaines comme mesure d’expropriation, d’autant plus

que les décisions des gouvernements locaux étaient rarement justifiées par la cause

d’intérêt général, mais plutôt pour le but commercial. Il en résulte qu’en l’état actuel

du droit chinois, l’intégration de la démolition des bâtiments dans des zones urbaines

dans la catégorie juridique d’expropriation a pour l’objectif « moins de légitimer les

atteintes au droit de propriété que de limiter l’abus de pouvoir par les autorités

locales » 876. La loi sur les droits réels a confirmé cette hypothèse, puisque l’article 42

prévoit spécifiquement les bâtiments à l’usage personnel peuvent faire l’objet

d’expropriation, mais à condition qu’elle soit justifiée par la cause d’utilité publique,

selon la compétence et la procédure définies par la loi et moyennant l’indemnisation. 873 WANG Liming, « Wuquanfa caoan zhong zhengshou zhengyong zhidu de wanshan (Amélioration des règles d’expropriation et de réquisition dans le projet de loi sur les droits réels) », Zhongguo faxue (China Legal Science), 2005, n° 6, p. 63. 874 V., par exemple, LIN Zhe, «Qiangzhi chaiqian yu gonggong liyi (L’intérêt public et la destruction et le déplacement forcés) », Liaowang xinwen zhoukan (Outlook Weekly), 2005, n° 6, pp. 26 à 29 ; LI Rui, « Fangwu chaiqian buchang yu gongmin caichanquan de xianfa baozhang (L’indemnisation en cas de demolition des constructions d’habitation urbaines et la protection constitutionnelle de la propriété privée) », Hebei faxue (Hebei Law Science), 2004, n° 10, pp. 40 à 44 ; WANG Guozhu, «Wei gonggong liyi jinxing de fangwu chaiqian zhong beichaiqianren liyi de baohu (The protection of the interests of the person whose building is removed for the purpose of promoting the public interests) », Xingzheng yu fa (Public Administration & Law), 2005, n° 6, pp. 126, 127. 875 V., articles 16 et 17 du règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines, adopté par le CAE en 2001. 876 JIANG Dehai, « Weihu chaiqian jumin de xianfa quanli (La protection du droit constitutionnel des habitants victimes de destructions et de déplacements urbains) », Tansuo yu zhengming (Exploration and Free Views), 2004, n° 1, pp. 18 à 20.

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263

L’article 42, alinéa 3, de la loi sur les droits réels précise également les habitants

expropriés doivent être assurés la condition d’habitat, comme condition

complémentaire à l’indemnisation. La précision sur la nature de la démolition des

bâtiments dans des zones urbaines comme mesure d’expropriation par la loi sur les

droits réels a été reprise par la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les

zones urbaines : la révision de ladite loi en 2007 y insère un nouvel article 6 qui

réaffirme que l’État peut procéder à l’expropriation des bâtiments construits sur le sol

étatique pour l’intérêt général et moyennant l’indemnisation.

§ 2. – La réquisition

249. - En droit français, la réquisition est conçue comme l’acte par lequel l’autorité

administrative impose dans un intérêt général à une personne privée le transfert de la

propriété d’un bien ou le louage d’une chose, moyennant indemnisation877. En droit

chinois, la réquisition ne fut reconnue qu’en matière de terres de propriété collective.

L’article 10, alinéa 3 de la Constitution, avant d’être révisé en 2004, disposait que

« dans l’intérêt public, l’État peut réquisitionner la terre selon les dispositions de la

loi ». Il s’agissait en effet d’une mesure forcée par laquelle l’État s’appropriait des

terres collectives moyennant indemnisation. Corrélativement, la loi sur l’administration

du sol avant la modification en 2004 ne prévoyait que la réquisition des terres pour

désigner le transfert forcé du sol collectif à l’État. À cet égard, le droit chinois

confondait la réquisition et l’expropriation au regard du droit français, dans la mesure

où la réquisition en droit français peut être un mode de cession forcée des meubles

mais non des immeubles. La confusion pouvait s’analyser d’une certaine manière par

le fait que « pendant longtemps le droit chinois n’effectuait pas la distinction entre

biens mobiliers et immobiliers, mais celle entre les moyens de production et les biens

de consommation »878 . Par la révision constitutionnelle de 2004, notamment la

modification de la loi sur l’administration du sol par laquelle tous les articles utilisant 877 Cf., Pascal PLANCHET, « Réquisition de biens.– Exercice du droit de réquisition », JurisClasseur Administratif, Fasc. 480, 1998. 878 CHEN Yunsheng, « Législation comparée : Chine », Juris-Classeur Notarial Formulaire, Fasc. unique, 1993, § 79.

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264

le terme « réquisition » pour désigner l’appropriation par l’État des terres collectives

doivent dorénavant le remplacer par le terme « expropriation »879, le droit chinois ne

fait donc plus la confusion entre l’expropriation et la réquisition qui ne concerne que

l’usage des immeubles. Cette distinction a été bien prise en compte par la doctrine.

Selon la plupart des auteurs, la réquisition porte sur l’usage des terres à titre provisoire,

alors que l’expropriation a pour effet d’en priver la propriété 880 . La loi sur

l’administration du sol prévoit aussi que les occupations provisoires des terres

collectives pour faciliter les travaux de construction des infrastructures et l’exploration

géographique constituent les cas de réquisition881.

250. - Cependant, l’article 13, alinéa 3, de la Constitution pose un nouveau problème

dans la mesure où il impose des conditions communes à l’expropriation et à la

réquisition. Ainsi proclame-t-il, « dans l’intérêt général, l’État peut procéder à des

expropriations ou à des réquisitions des propriétés selon la loi et moyennant

indemnisation ». Il semble que si l’expropriation se différencie de la réquisition à

l’égard des objets qu’elles visent, leurs conditions d’application sont toutefois

identiques. Néanmoins, selon le professeur LIANG Huixing, « l’expropriation doit se

justifier par l’intérêt général en temps normal, tandis que la réquisition ne s’applique

qu’en cas d’urgence, ce qui revient à exiger la simplification de la procédure de la

réquisition pour répondre à l’impératif de l’urgence»882. Il faut souligner qu’en droit

chinois, les normes de réquisitions sont comprises dans de différents textes législatifs.

Il s’agit par exemple des réquisitions militaires883, des réquisitions exigées par l’état de

siège884, des réquisitions pour le secours en cas de tremblement de terre885, des

879 Il s’agit des articles 43, alinéa 2, 45, 46, 47, 49, 51, 78 et 79 de la loi sur l’administration du sol. 880 V., par exemple, WANG Liming, «Xianfa yu siyou caichan de baohu (La Constitution et la protection de la propriété privée) », Faxue zazhi (Law Science Magazine), 2004, n° 3, pp. 9 à 12 ; DAI Mengyong, « Wuquanfa shiye zhong de zhengshou zhidu (L’étude sur l’expropriation au regard de droits réels) », loc. cit.; HOU Xiaoguang, « Lun gongyi zhengshou (On public expropriation)», Xingzheng faxue yanjiu (Administrative Law Review), 2004, n°3, pp. 66 à 73. 881 V., article 57 de la loi sur l’administration du sol. 882 LIANG Huixing, « Tan xianfa xiuzheng’an dui zhengshou yu zhengyong de guiding (Libre propos sur la révision constitutionnelle relative à l’expropriation et la réquisition) », op. cit., p. 120. 883 V., article 48 de la loi de défense nationale adoptée le 14 mars 1997. 884 V., article 17 de la loi martiale adoptée le 1er mars 1996. 885 V., articles 32 et 38 de la loi de la prévention du séisme adoptée le 29 décembre 1997.

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265

réquisitions pour le secours en cas d’inondation886, des réquisitions pour la prévention

des maladies contagieuses887, etc. Lors de l’élaboration de la loi sur les droits réels, le

professeur WANG Liming proposait la distinction entre l’expropriation et la réquisition,

d’autant que les objets, les conditions d’application, l’effet à la propriété des biens

concernés, et les critères d’indemnisation sont différents dans les deux catégories

juridiques888. La loi sur les droits réels retient la proposition de WANG Liming. Selon

l’article 44, la réquisition doit répondre au besoin de secours en cas de désastres et

d’autres urgences et selon la compétence et procédure définies par la loi. En outre, la

réquisition entraîne la transition provisoire du droit d’usage des biens, au cas où les

biens réquisitionnés seraient périmés ou endommagés, le propriétaire des biens

réquisitionnés a droit à indemnisation.

Sous-section 2. – Les conditions applicables à l’expropriation et à la

réquisition

251. - Les garanties constitutionnelles en matière d’atteintes au droit de propriété

sont prévues par l’article 10, alinéa 3 et l’article 13, alinéa 3. Premièrement, les

mesures d’expropriation et de réquisition doivent être justifiées par le but d’intérêt

public. Deuxièmement, l’expropriation et la réquisition doivent s’effectuent selon la

compétence et la procédure prévues par la loi. Et troisièmement, le versement des

indemnités. La réserve de compétence législative étant étudiée dans la Section I du

chapitre, on se contente d’analyser ici la justification des atteintes au droit de propriété

par l’intérêt public (§ 1) et l’exigence d’indemnisation (§ 2) en vertu de la Constitution

1982. La loi sur les droits réels a largement repris ces garanties constitutionnelles tout

886 V., article 45 de la loi sur la prévention des inondations adoptée le 29 août 1997. 887 V., article 45 de la loi sur la prévention des maladies contagieuses adoptée le 21 février 1989 et modifiée le 28 août 2004. L’application récente de la réquisition pour la prévention des maladies contagieuses était la réquisition des habitations dans la ville de Pékin pour lutter contre la pneumonie atypique en 2003. V., Municipalité de Pékin, « Notice on Temporary Requisitions of Housing for Use in Controlling and Preventing Atypical Pneumonia », Chinese Law and Government, vol. 40, n° 1, 2007, pp. 113, 114. 888 WANG Liming, « Wuquanfa caoan zhong zhengshou zhengyong zhidu de wanshan (Amélioration des règles d’expropriation et de réquisition dans le projet de loi sur les droits réels) », op. cit., pp. 61, 62.

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266

en y apportant des précisions en vue de les rendre plus opérationnelles.

§ 1. – Le but d’intérêt public

252. - En droit français, la jurisprudence constitutionnelle laisse croire que la notion

de nécessité publique, comme celle de la notion d’utilité publique ou d’intérêt général

est impossible à cerner puisqu’elle est à la fois évolutive, extensive et contingente889.

La difficulté dans la définition de l’intérêt public existe également en droit chinois.

Outre les débats sur la signification de l’intérêt public, le problème réside surtout sur la

valeur juridique de la notion. En effet, en l’absence du contrôle constitutionnel des lois

par un organe indépendant, la notion d’intérêt public semble n’avoir qu’une valeur

symbolique et donc dépourvue de force contraignante. L’abus d’expropriation au nom

de l’intérêt public dans la pratique de démolition appelle toutefois la mise en oeuvre

effective de la garantie constitutionnelle d’intérêt public. C’est la raison par laquelle les

travaux législatifs sont en cours pour compléter la définition actuelle de l’intérêt public

(A), en vue de réduire l’abus de cette notion dans la pratique (B).

A. – La notion de l’intérêt public telle qu’elle est définie en droit

chinois

253. - La notion de l’intérêt public peut être définie par la loi formelle (1), mais

aussi plus remarquablement être expliquée et déterminée par la politique de l’État (2)

qui occupe une place prédominante par rapport au droit dans la Chine actuelle.

(1). – La définition de l’intérêt public par les dispositions législatives

889 René HOSTIOU, « Deux siècles d’évolution de la notion d’utilité publique », in Un droit inviolable et sacré, la propriété, ADEF, 1989, p. 30 à 45 ; J. –F. COUZINET, « De la nécessité publique à l’utilité publique : les évolutions du fait justificatif de l’expropriation », in Propriété et Révolution, actes du Colloque de Toulouse 12-14 octobre 1989, Éditions du CNRS, Service des Publications de Toulouse I, 1990, pp. 165 et s.

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267

254. - Avant la révision constitutionnelle, la notion d’intérêt public figure déjà dans

de multiples lois qui prévoient les cas concrets dans lesquels l’État peut procéder à

l’expropriation ou à la réquisition. Il est donc possible d’en déduire le sens d’intérêt

public retenu par le législateur. Ainsi, la loi sur l’énergie électrique prévoit que l’État

peut exproprier les terrains pour la construction des équipements d’électricité890; la loi

sur les chemins de fer prévoit l’expropriation des terrains pour l’installation des voies

ferrées891 ; la loi sur les charbons prévoit l’expropriation des terrains pour l’exploration

des mines 892 ; la loi sur la protection des établissements militaires prévoit

l’expropriation des terrains pour établir des zones militaires interdites ou des zones de

contrôle militaires893. Quant aux mesures de réquisitions, celles-ci sont justifiées soit

par la défense nationale s’agissant des réquisitions ayant des objectifs militaires894, soit

par la sécurité nationale s’agissant des réquisitions dans l’état d’urgence895, soit par la

sûreté publique s’agissant des réquisitions pour les secours en cas des désastres

naturelles896, soit par la santé publique s’agissant des réquisitions pour la prévention

des maladies contagieuses897. La révision constitutionnelle de 2004 a incité la doctrine

chinoise à approfondir la recherche sur la signification de l’intérêt public. Certains

auteurs distinguent l’intérêt public d’autres notions semblables, par exemple, l’intérêt

étatique, l’intérêt collectif, l’intérêt social, l’ordre public, l’ordre social, la sûreté

nationale et la sécurité publique qui figurent dans de différentes normes

constitutionnelles ou législatives. Certains d’entre eux considèrent que « l’intérêt

public a la valeur juridique supérieure et ne saurait être substitué par les autres

notions semblables »898. En revanche, la doctrine avait pendant longtemps confondu

890 V., article 16 de la loi sur l’énergie électrique adoptée le 28 décembre 1995. 891 V., article 36 de la loi sur le chemin de fer adoptée le 7 septembre 1990. 892 V., article 20 de la loi sur le charbon adoptée le 29 août 1996. 893 V., article 12 de la loi sur la protection des établissements militaires adoptée le 23 février 1990. 894 V., article 48 de la loi de la défense nationale adoptée le 14 mars 1997. 895 V., article 17 de la loi martiale adoptée le 1er mars 1996. 896 V., articles 32 et 38 de la loi sur la prévention du séisme adoptée le 29 décembre 1997 ; article 45 de la loi de la prévention des inondations adoptée le 29 août 1997. 897 V., article 45 de la loi sur la prévention des maladies contagieuses adoptée le 21 février 1989 et modifiée le 28 août 2004. 898 V., HU Jinguang, WANG Kai, « Lun woguo xianfa zhong gonggong liyi de jieding (Étude sur la notion d’intérêt public dans la Constitution chinoise) », Zhongguo faxue (China Legal Science), 2005, n°

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268

l’intérêt public et l’intérêt étatique899. Avec la révision constitutionnelle de 2004, les

auteurs commencent à accepter la considération selon laquelle « tous les intérêts de

l’État ne sont pas nécessairement compatibles à l’intérêt public »900. Cela signifie que

des expropriations réalisées par l’État pour la réalisation des projets commerciaux ne

doivent pas être considérées comme étant d’intérêt public. Dans l’avant-projet de loi

sur les droits réels rédigé par le professeur LIANG Huxing, celui-ci tenta de définir

l’intérêt public par mesure d’énumération. Selon lui, s’agissant du but d’intérêt public

dans les domaines du transport routier commun, de la santé publique, de la prévention

des désastres, dans les domaines scientifiques et de l’éducation, de la protection de

l’environnement, de la protection des biens culturels et des reliques historiques, de la

protection des sources d’eau et des forêts901. Certes la signification de la notion

d’intérêt public demeure incertaine selon la doctrine902. Pour les uns, « l’intérêt public

est la somme des intérêts privés des individus ; il y a la complémentarité entre l’intérêt

public et l’intérêt privé, au lieu de conflit fondamental » 903; pour les autres, « l’intérêt

public est l’intérêt prédominant de la société dans son ensemble ou du peuple tout

1, pp. 18 à 27. 899 V., par exemple, SHEN Zongling, Falixue yanjiu (Théorie du droit), Shanghai renmin chubanshe, 1990, p. 61. 900 V., par exemple, WANG Liming, « Heli hefa youxu youdu (La limitation au droit de propriété par l’intérêt public) », Renmin ribao (Quotidien du Peuple), 7 novembre 2004, p. 7 ; ZHANG Wuyang, « Gonggong liyi jieding de shijianxing sikao (Réflexions sur la définition d’intérêt public) », Faxue (Law Science Monthly), 2004, n° 10, pp. 20 à 22 ; YANG Feng, « Caichan zhengshou zhong gonggong liyi ruhe jieding (La qualification d’intérêt public dans les expropriations) », Faxue (Law Science Monthly), 2005, n° 10, pp. 94 à 117. 901 LIANG Huixing, Zhongguo wuquanfa cao’an jianyigao (Propositions sur le projet de loi sur les droits réels), Shehui kexue wenxian chubanshe, 2000, pp. 191,192. 902 V., par exemple, HU Jianmiao, XING Yijing, « Gonggong liyi gainian touxi (Étude sur la notion d’intérêt public) », Faxue (Law Science Monthly), 2004, n° 10, pp. 3 à 8 ; HUANG Xuexian, « Gonggong liyi jieding jiben yaosu ji yingyong (Les éléments de la définition d’intérêt public et leur application) », Faxue (Law Science Montly), 2004, n° 10, pp.10 à 13 ; ZHANG Wuyang, «Gonggong liyi jieding de shijianxing sikao (Réflexions sur la définition d’intérêt public) », loc. cit. ; YANG Feng, « Caichan zhengshou zhong gonggong liyi ruhe jieding (La qualification d’intérêt public dans les expropriations) », loc. cit. ; HU Jingguang, WANG Kai, « Lun woguo xianfa zhong gonggong liyi de jieding (Étude sur la notion d’intérêt public dans la Constitution chinoise) », loc. cit. 903 V., par ex., ZHANG Qianfan, « Gonggong liyi de goucheng : dui xingzhengfa de mubiao he yiji pingheng yiyi de tantao (La constitution de l’intérêt public : réflexions sur l’objectif du droit administratif et la signification de l’équilibre)», Bijiaofa yanjiu (Journal of Comparative Law), 2005, n° 5, pp. 3 et s.

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269

entier représenté par l’État »904. Un autre courant de pensée considère que « la notion

d’intérêt public est impossible à définir précisément »905, de la sorte que « l’efficacité

des garanties du droit de propriété ne réside donc qu’en l’exigence

d’indemnisation »906. Lors de l’élaboration de la loi sur les droits réels, le professeur

WANG Liming proposait qu’ « au lieu de définir la notion d’intérêt public, la loi sur

les droits réels [doit] préciser la compétence et la procédure applicables à

l’expropriation et à la réquisition, dont le respect [est] contrôlé par le juge»907, de

sorte que l’abus d’expropriation au nom de l’intérêt public soit effectivement contrôlé.

(2). – Le sens de l’intérêt public au regard des politiques gouvernementales

255. - Si le contenu de la notion de l’intérêt public est difficile à définir, certains

principes restent aussi fondamentaux en droit chinois et ont pour effet de proscrire

l’expropriation de certains biens, ce qui peut être considéré comme la limite à

l’appréciation de la notion d’intérêt public. Il s’agit de l’expropriation du sol rural de

propriété collective dont la plupart sont les champs cultivés. Pour nourrir la population

chinoise, la protection des champs cultivés pour assurer la production agricole est

consacrée comme « la politique la plus fondamentale du pays »908. La responsabilité

du respect de cette politique pèse sur tous les organes étatiques et locaux. À cet égard,

la loi sur l’administration du sol établit, parallèlement au système d’autorisation des

904 V., par ex., CHEN Xiaochun, HU Yangming, « Jianshe yi gonggongliyi wei daoxiang de fuwuxing zhengfu (Construire le gouvernement de service dirigé par l’intérêt public)», Guangming ribao (Quotidien des Lumières), 13 avril 2005, p. 8. 905 JIANG Bixin, LIANG Fengyun, « Wuquanfa zhong de xingzhengfa wenti (Des problèmes de droit administratif dans la loi sur les droits réels) », Zhongguo faxue (China Legal Science), 2007, n° 3, p. 139. 906 V., ZHANG Qianfan, « Gongzheng buchang yu zhengshouquan de xianfa xianzhi (L’indemnisation juste et la restriction constitutionnelle au prérogative d’expropriation) », Faxue yanjiu (Chinese Journal of Law), 2005, n° 2, pp. 25 à 37. 907 WANG Liming, « Wuquanfa caoan zhong zhengshou zhengyong zhidu de wanshan (Amélioration des règles d’expropriation et de réquisition dans le projet de loi sur les droits réels) », op. cit., p. 60, 61. 908 Par la Résolution 1991 du Comité permanent sur le programment décennal de développement social et économique national et le huitième plan quinquennal, la protection des terres cultivable, le planning familial et la protection de l’environnement est consacrés comme les trois politiques du pays les plus fondamentales. V., aussi, l’article 3 de la loi sur l’administration du sol.

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270

expropriations, un système d’autorisation hiérarchique au changement des champs

cultivés à l’usage non agricole –c’est-à-dire industriel, commercial, etc., en vue de

sauvegarder les terres de propriété collective contre la croissance déraisonnable de

l’expropriation impulsée par la vague d’urbanisme et la flambée du prix foncier des

années récentes909. Pour cette fin, la loi sur l’administration du sol a élevé le niveau

d’autorisation pour toute expropriation des champs cultivés. En vertu de l’article 45,

alinéa 1er, de ladite loi, un projet d’expropriation visant les trois catégories suivantes

des terrains relève du pouvoir d’autorisation du CAE : il s’agit des champs agricoles

fondamentaux (jiben nongtian), des champs cultivés autres que ceux à usage

fondamental agricole dont la surface est supérieure à 35 hectares, et d’autres terrains

dont la surface est supérieure à 70 hectares. Pour un projet d’expropriation des autres

terrains qui ne sont pas spécifiquement visés par l’article 45, alinéa 1er, les

gouvernements locaux d’échelon provincial ont le pouvoir d’autorisation910. Par la

répartition des compétences en matière d’expropriation des terres collectives au profit

de l’autorité centrale, tout en réduisant la marge de manoeuvre des autorités locales, la

loi sur l’administration du sol dresse une limite importante à l’expropriation des terres

collectives ayant pour objet l’intérêt public. L’abus des pratiques d’expropriation a

aussi conduit le gouvernement central à lancer des campagnes visant à préserver les

champs cultivés et à davantage encadrer l’exercice du pouvoir d’expropriation par les

gouvernements locaux, qui restent toujours l’une des priorités du CAE911.

909 Selon le Ministère du Territoire et des Ressources, près de 6 millions d’hectares de champs cultivés ont disparu en Chine pour répondre aux besoins de l’urbanisation, être utilisés à des fins commerciales ou industrielles ou encore ces terres ont été laissées en friche en attendant d’être vendues au plus offrant. La situation est d’autant plus grave que 122 millions d’hectares de champs cultivés sont placés sous le régime de la propriété collective, ce qui représente moins de 0,1 hectare par habitant. V., Ministère du Territoire et des Ressources, Communiqué officiel sur le territoire et les ressources 2005, publié le 1er mars 2006. Selon le rapport rédigé par le Ministère du Territoire et des Ressources en date du 14 juin 2006, 60% des cas d’utilisation du sol sont illégaux, qui occupe 50% des cas d’utilisation du sol pour la construction. V., Beijing Review, 9 juillet 2007, Vol. 49, n° 36, pp. 22, 23. 910 En vertu de l’article 45, alinéa 2, de la loi sur l’administration du sol, les actes d’autorisation doivent être déposés au CAE. Il s’agit donc d’une exigence de formalité, sans pour autant reconnaître au CAE le pouvoir de contrôle sur les autorisations données par les gouvernements locaux. 911 V., Commission nationale du développement et de la réforme, « Rapport sur l’exécution du plan de 2006 pour le développement économique et le progrès social et sur le projet de plan 2007 », présenté le 5 mars 2007 à la 5e session de la Xe APN, disponible sur le site

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271

B. – Les travaux législatifs visant à réduire l’abus d’expropriation

256. - Les abus d’expropriation au nom de l’intérêt public par des gouvernements

locaux (1) ont conduit le gouvernement central à adopter de nouvelles règles (2) afin

d’encadrer les pratiques d’expropriation en conformité avec la révision

constitutionnelle de 2004.

(1). – Les abus d’expropriation au nom de l’intérêt public par les gouvernements

locaux

257. - L’abus d’expropriation pour intérêt public réside notamment en la démolition

des bâtiments dans des zones urbaines. Les gouvernements locaux s’y impliquent à

travers l’exercice de leurs pouvoirs de régulation. Il faut tout d’abord souligner que le

règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines,

adopté en 1991 et révisé en 2001 par le CAE, est toutefois la cause principale de l’abus

d’expropriation. En effet, au lieu de définir clairement le but d’intérêt public comme la

justification de l’expropriation, ledit Règlement y substitue le plan d’urbanisme. Selon

l’article 2 dudit Règlement, la démolition des bâtiments dans des zones urbaines peut

être autorisée pour la réalisation du plan d’urbanisme. Or, le plan d’urbanisme qui est

rédigé par les gouvernements locaux présente souvent le caractère de partenariat public

et privé, dans la mesure où les gouvernements locaux permettent généralement

l’introduction de capitaux privés pour l’exécution de projet de renouvellement du

territoire local y compris dans le plan d’urbanisme. Le plus souvent dans la pratique, le

projet de renouvellement est conjointement élaboré par les gouvernements locaux et

les promoteurs immobiliers. Par des engagements réciproques, les gouvernements

locaux concèdent le droit d’usage du sol étatique aux promoteurs immobiliers, ces

derniers s’engagent à réaliser le projet de renouvellement en apportant leurs propres

capitaux. La démolition des bâtiments dans des zones urbaines et le déplacement des

foyers ne constituent qu’une étape dans le projet de renouvellement urbain qui déblaie

les terrains occupés pour les promoteurs immobiliers. Selon le Règlement du CAE, les http://www.french.xinhuanet.com/french/2007-03/18/content_402842.htm, consulté le 11 avril 2008.

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272

promoteurs immobiliers doivent se munir d’un permis de démolir des bâtiments délivré

par des gouvernements locaux avant qu’ils ne puissent légalement procéder à

l’exécution du projet de renouvellement912. Or, dans le contexte où les promoteurs

immobiliers ont activement participé à l’élaboration du projet de renouvellement

urbain, l’obtention de l’autorisation n’est qu’une exigence de formalité ayant peu de

signification913. Plus regrettable encore, la loi sur la planification urbaine adoptée en

1989 –avant qu’elle ne soit modifiée en 2007, qui est la base juridique de la rédaction

du projet de renouvellement, n’exigeait pas que l’élaboration des plans d’urbanisme

par les gouvernements de différents échelons soit strictement subordonnée au but

d’intérêt public914. Les implications des gouvernements locaux dans les pratiques de

renouvellement urbains ont pu largement brouiller la frontière entre la démolition des

bâtiments dans des zones urbaines pour but d’intérêt public et celle comprise dans le

projet d’exploitation foncière poursuivant des buts commerciaux915. À cet égard, le

Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines

est vivement critiqué non seulement parce qu’il méconnaît la réserve de compétence

législative en matière d’expropriation des propriétés non étatiques, mais surtout parce

qu’il permet aux gouvernements locaux d’expulser les habitants occupant les terrains

au nom de renouvellement du territoire soumis au plan d’urbanisme, alors que le projet

de renouvellement poursuit le but d’exploitation commerciale 916 . En réalité, les

912 V., les articles 4, 6 et 7 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. 913 WU Jing, « Chaiqian buchang tieshang ‘heli’ biaoqian (L’indemnisation à la démolition est apposée le visa de ‘juste’) », Remin ribao (Quotidien du peuple), 28 juin 2005, p. 10. 914 WANG Zhuguo, WANG Aihui, « Chengshi guihua : gonggong liyi, quanli jiuji : jianlun xiuding zhonghua renmingongheguo chengshi guihuafa (Planification urbaine : l’intérêt public et recours des droits, à propos de la révision de la loi sur la planification urbaine) », Guoji chengshi guihua (Planification Urbaines Internationale), n° 3, 2004, p. 79. 915 ZHOU Fen, « Chaiqianzhong zhengfu de falü dingwei yu zhize (La position et la responsabilité du gouvernement dans la démolition des bâtiments dans des zones urbaines) », Fazhi yu shehui (Legal System and Society), 2007, n°7, pp. 412, 413. 916 V., par exemple, HU Yi, « Chengshi fangwu chaiqian de zhidu fenxi (Institutional Analysis on Urbain Refurbishment) », Gaige (Reform), 2005, n°2, pp. 126 à 128 ; YANG Jianshun, «Lun fangwu chaiqian zhong zhengfu de zhineng (Le rôle du gouvernement dans la mise en œuvre de démolitions et déplacements) », Falü shiyong (National Judges College Law Journal), 2005, n°5, pp. 2 à 5 ; WU Jiandong, SHA Chunsheng, « Jige dianxing chaiqian wenti de sikao (Réflexions sur des questions majeures de démolitions et déplacements) », Chengshi fangwu chaiqian (Démolition des bâtiments dans

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273

bénéfices exorbitants dans la promotion foncière ont conduit aux collusions entre les

membres des gouvernements locaux et les promoteurs immobiliers. En exerçant leur

pouvoir d’expropriation les gouvernements locaux s’approprient les terrains occupés

moyennant une indemnisation médiocre aux habitants, puis les concèdent aux

promoteurs immobiliers qui partagent une part de leurs bénéfices avec les

gouvernements locaux et leurs dirigeants917. Le tour de passe-passe a souvent provoqué

le mécontentement des habitants, dans certains cas radicaux ont été survenus les

« événements de masse (quntixing shijian) »918. Le CAE n’a pas tardé à réduire

l’ampleur du mouvement des démolitions urbaines jugé élément déstabilisateur, pour

contrôler la répercussion sociale des démolitions. Ainsi, par le communiqué officiel n°

46 en date du 6 juin 2004, le CAE a ordonné la suspension de l’exécution de tous les

projets de démolitions urbaines, à l’exception ceux précisément exemptés par le

CAE919. Il faut souligner qu’entre la stabilité sociale et le respect du droit de propriété

des citoyens, le communiqué officiel susmentionné manifeste la volonté du

gouvernement central de mettre plus l’accent sur la stabilité sociale dans le processus

accéléré d’urbanisation. La mesure prise par le CAE n’est que tactique et

conjoncturelle. Elle n’a pas abouti à modifier le Règlement d’administration sur la

démolition des bâtiments dans des zones urbaines conformément aux normes

constitutionnelles d’expropriation et de réquisition des propriétés privées.

des zones urbaines), 2004, n° 12, pp. 30, 31. 917 V., par exemple, LEI Tao, « Buhexie de chaiqian (Des démolitions et déplacements inharmonieux) », Zhongguo gaige (China Reform), 2005, n° 8, pp. 47 à 49 ; SHI Youqi, « Lun chengshi fangwu chaiqian yu siyou caichanquan baohu (La démolition des bâtiments dans des zones urbaines et la protection de la propriété privée) », Zhongnan caijing zhengfa daxue yanjiusheng xuebao (Journal des Masters de l’Université de Science Economique et Juridique du Centre Sud), 2006, n°6, pp. 8, 9. 918 Dans les discours officiels du PCC, on utilise l’expression « événements des masses » (quntixing shijian) et non « émeute » pour désigner les réactions du peuple à l’encontre du gouvernement. V., par exemple, HU Jintao, « Zai shengbuji zhuyao lingdao ganbu tigao goujian shehui zhuyi hexie shehui nengli zhuanti yantaoban shang de jianghua (Discours devant le séminaire des dirigeants de niveau provincial sur la promotion de la capacité de la construction d’une société harmonieuse », Remin ribao (Quotidien du Peuple), 27 juin 2005, p. 1. 919 Les projets de démolition autorisés par le CAE concernent les démolitions pour la construction des infrastructures d’énergie, de transports en commun, d’ouvrages hydrauliques, pour la construction des habitats à loyer modéré et pour la réhabilitation des habitats, etc.

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274

(2). – L’encadrement des pratiques d’expropriation par de nouvelles règles de droit

258. - La révision constitutionnelle de 2004 a exigé la modification de la loi sur la

planification urbaine dont l’objectif consiste à rendre le plan d’urbanisme davantage

compatible à l’exigence d’intérêt public. En matière d’utilisation du sol, par la nouvelle

loi sur la planification urbaine et rurale adoptée le 28 octobre 2007, la marge de

manoeuvre des gouvernements locaux dans l’expropriation des terrains se voit réduire.

Il faut souligner en outre que la nouvelle loi de 2007 s’applique non seulement à la

planification des zones urbaines mais aussi à celle des zones rurales. Comme l’ancien

Ministère de la Construction l’a révélé, par la nouvelle loi de 2007, « il faut

particulièrement exercer un contrôle sur l’utilisation des terres d’une manière explicite

et ferme, et prévenir l’occupation abusive des champs cultivés »920. L’élaboration des

plans urbains et ruraux par les gouvernements locaux est désormais encadrée en amont

par la concertation des habitants locaux ou par le comité des villageois921 –alors

qu’auparavant le plan d’urbanisme était confidentiel en excluant la participation des

citoyens 922 . Le projet de plan urbain ou rural doit ensuite obtenir l’accord des

assemblées populaires locales923, avant d’être approuvé par l’autorité supérieure. En ce

qui concerne le contenu du plan urbain ou rural, il doit prévoir les conditions relatives

à l’attribution du droit d’usage du sol à titre gratuit, à la concession du droit d’usage du

sol étatique et à l’expropriation poursuivie en vue de l’aménagement du territoire. Les

citoyens disposent du droit de veiller à ce que l’utilisation du sol par les

gouvernements locaux soit compatible avec le plan approuvé924. Il faut rappeler qu’en

droit français « si la déclaration d’utilité publique doit désormais être compatible avec

les documents d’urbanisme, le principe d’indépendance des législations demeure dans 920 V., reportage du Centre d’Information Internet de Chine, « La Chine transformera le mode de développement urbain par la rectification du plan d’urbanisme », disponible sur le site http://french.china.org.cn/china/txt/2005-07/22/content_2185404.htm, 22 juillet 2005, consulté le 9 avril 2008. 921 V., articles 22 et 26 de la loi sur la planification urbaine et rurale 2007. 922 V., reportage de YAN Xiaoming, CHENG Jiaxing, « Gongzhong canyu yu chengshi guihua (Concertation publique et planification urbaine) », Renmin ribao (Quotidien du Peuple), 17 décembre 2001, p. 2. 923 V., articles 16 et 20 de la loi sur la planification urbaine et rurale 2007. 924 V., article 9 de la loi sur la planification urbaine et rurale.

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275

une version moins rigoureuse »925, alors que le législateur chinois tente de contrôler

l’abus d’expropriation en exigeant d’emblée la compatibilité de la déclaration d’intérêt

public avec la planification urbaine et rurale. Dans le contexte où l’État reste

propriétaire du sol urbain, soumettre l’aménagement du territoire à la condition

d’intérêt public a pour objectif principal de mieux respecter les intérêts des titulaires du

droit d’usage du sol et des propriétaires des bâtiments qui y sont édifiés. La

participation des citoyens à la création du plan urbain et rural par des audiences

publiques est une sorte de limitation à l’exercice du droit de propriété de l’État sur les

terres qui lui appartiennent. À la différence de la procédure d’expropriation pour cause

d’utilité publique en droit français, l’expropriation dans les zones urbaines chinoises se

caractérise par la coexistence dans un même territoire des propriétés publique et privée.

Dans le cadre de la démolition des bâtiments dans les zones urbaines, il existe non

seulement le conflit d’intérêt entre expropriant et exproprié, mais aussi celui entre

l’État-propriétaire du sol et les expropriés qui sont propriétaires des immeubles bâtis.

Le principe d’égalité de protection des toutes les propriétés, tel que proclamé par la loi

sur les droits réels, appelle donc une solution équitable par mesure de conciliation en

matière d’expropriation pour l’intérêt public.

259. - Certes, l’effectivité de l’approche du droit chinois trouve sa limite dans la

mesure où la procédure d’expropriation est très peu développée au regard de

l’expérience du droit français. De surcroît, en droit français, « hormis les rares

hypothèses où des textes précis ont spécifié que certaines circonstances clairement

définies justifient le recours à l’expropriation, c’est la jurisprudence qui a dû définir le

contenu de la notion d’utilité publique, laquelle présente, de ce fait, un caractère

casuistique extrêmement marqué »926 . Tel est notamment le cas d’expropriations

poursuivies en vue de l’aménagement et de l’urbanisme où l’appréciation du juge est

déterminante, en s’appuyant sur la théorie de bilan inaugurée par le Conseil d’État927.

925 Cf., Pierre TIFINE, « Expropriation.- Régime général et objet de la procedure », JurisClasseur Administratif, Fasc. 400-10, Cote : 01, 2008 § 20. 926 Ibid., §51. 927 CE, ass., 28 mai 1971, Ministre de l’équipement et du logement c/ Féd. de défense des personnes concernées par le projet actuellement dénommé Ville nouvelle-Est : Rec. CE 1971, p. 409, concl. Braibant ; D. 1972, jurispr. p. 194, note Lemasurier ; RD publ., 1972, p. 454, note M. Waline ; AJDA,

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276

Or, en Chine, l’expropriation s’inscrit souvent dans l’ « aménagement sans

concertation » dont « les méthodes sont surprenantes pour les professionnels français

qui savent que les risques d’une erreur de déroulement des procédures de concertation

peuvent peser lourd sur l’économie d’une opération mais qui apprécient les

enrichissements possibles à leurs projets liés à une concertation bien menée »928. Les

lacunes de « la phase administrative » de l’expropriation en droit chinois est d’autant

plus défavorables aux expropriés que le juge joue un rôle minime dans « la phase

judiciaire ». En attendant l’avènement de la loi sur l’expropriation pour l’intérêt public,

l’expropriation arbitraire à la chinoise n’est pas à l’abri des critiques929, surtout en ce

qui concerne le mode injuste de l’indemnisation.

§ 2. – Les exigences relatives à l’indemnisation

260. - Qu’il s’agisse de l’expropriation des terres rurales collectives ou de la

démolition des bâtiments dans des zones urbaines dans l’aménagement urbain ou

l’exploitation commerciale, l’indemnisation inéquitable des expropriés est la cause

principale des manifestations régulières de mécontentement 930 . La révision

constitutionnelle de 2004 proclame le principe selon lequel l’État doit verser les

indemnités en cas d’expropriations et de réquisitions, sans pour autant préciser que

l’indemnisation soit juste et préalable. Le professeur CAI Dingjian rappelle que lors de

la délibération sur le projet de révision constitutionnelle, certains proposaient

d’apporter des améliorations non sans importance sur la formulation de l’article 10,

1971, p. 404, chron. Labetoulle et Cabanes, concl. Braibant ; Rev. adm., 1971, p. 422, concl. Braibant ; JCP G 1971, II, 16873, note Homont ; CJEG, 1972, p. 35, note J. Virole. 928 Michel MICHEAU, « La production accélérée des villes chinoises », Études foncières, n° 130, 2007, p. 12. 929 V., par ex., Philippe PATAUD-CÉLÉRIER, « La Chine en mutation, Shanghaï sans toits ni lois », Le Monde diplomatique, mars 2004. 930 V., Isabelle THIREAU, HUA Linshan, « Introduction », Études rurales, D’une illégitimité à l’autre dans la Chine rurale contemporaine, n° 179, 2007, pp. 9 à 18 ; Valérie LAURANS, « Shanghai : l’argument du confort pour déplacer les résidents urbains », Perspectives chinoises, n° 87, 2004 ; Eva PILS, « Land disputes, rights assertion, and social unrest in China: a case from Sichuan », loc. cit. ; Howard W. FRENCH, « Chongqing Journal : Homeowner Stares Down Wreckers, at Least for a While », New York Times, 27 mars 2007.

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277

alinéa 3 et de l’article 13, alinéa 3, en vue d’éviter le malentendu dû au fait que le

critère d’indemnisation ne serait pas encadré par la loi. La proposition fut bien

acceptée et il en résulta que non seulement la compétence et la procédure mais aussi

l’indemnisation furent définies par loi en cas d’expropriation et de réquisition931.

Cependant, la pratique montre que les autorités locales disposent en effet d’une large

marge de manœuvre dans l’interprétation des règles législatives d’indemnisation en

l’absence d’une procédure équitable de négociation avec les expropriés. Outre

l’indemnisation problématique en cas d’expropriation pour l’intérêt public (A),

l’ambiguïté en matière d’indemnisation existe aussi dans d’autres cas où les mesures

privatives ou restrictives portent atteinte au droit de propriété (B). Dans ces derniers

cas, il s’agit souvent de la réquisition d’une part et, d’autre part, de la réglementation

de l’usage des biens.

A. – Les règles d’indemnisation en cas d’expropriation pour l’intérêt

public

261. - La Constitution de 1982, telle qu’elle a été révisée en 2004, prévoit dans deux

articles les règles d’indemnisation en cas d’expropriation qui sont en substance

identiques. Il s’agit d’abord de l’article 10, alinéa 3, qui contient les règles

d’indemnisation applicables à l’expropriation du sol collectif (1); ensuite, de l’article

13, alinéa 3, qui dispose des règles d’indemnisation en cas d’expropriation des biens

privés des citoyens. Par ailleurs, des règles d’indemnisation se sont développées dans

la pratique, notamment dans le domaine de la démolition des bâtiments dans des zones

urbaines (2) auquel s’appliquent les règles d’expropriation des biens privés.

(1). – Les règles d’indemnisation relatives à l’expropriation du sol collectif

262. - Les problèmes actuels des règles d’indemnisation relatives à l’expropriation

du sol collectif sont critiquables pour de multiples raisons (a). Pour mettre en oeuvre

du principe établi par la Constitution de 1982, les réformes vers l’amélioration des 931 CAI Jingjian, Xianfa jingjie (Constitution: An intensive reading), op. cit., p. 198.

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278

règles sont indispensables (b).

(a). – Les problèmes actuels

263. - La loi sur l’administration du sol prévoit les règles d’indemnisation en matière

d’expropriation des terres collectives. Toutefois, il ne s’agit pas d’une réparation

intégrale des préjudices directs, matériels et pour certains subis du fait de

l’expropriation telle que prévue en droit français932, mais d’une compensation partielle

à la perte de la valeur des productions résultant de l’expropriation. Selon l’article 47, le

montant de l’indemnité doit en principe correspondre à la valeur des productions des

terrains concernés et être évalué en fonction de la productivité des terres avant

l’expropriation. Par la suite, les autorités locales –qui sont déjà très autonomes par

rapport au gouvernement central en ce qui concerne le financement des projets

d’aménagement territorial, y compris notamment le projet d’expropriation du sol

collectif– sont déléguées le pouvoir d’adopter les règles plus précises pour mettre en

oeuvre ledit principe concernant l’expropriation des champs cultivés, car la plupart des

terres de propriété collective sont destinées à l’exploitation agricole933. Les éléments

qui sont pris en compte dans le calcul du montant de l’indemnité comportent la

compensation sur la perte pécuniaire entraînée par l’interruption de la production

agricole sur les terrains expropriés, le coût financier de la réinstallation des paysans, la

compensation pour la destruction des cultures sur les champs cultivés, ainsi que pour la

démolition des habitations, etc. 934 Les gouvernements d’échelon provincial

déterminent le critère d’indemnisation des terres non cultivées par référence aux règles

d’indemnisation des champs cultivés935. Il faut souligner qu’aux termes de l’article 47

de la loi sur l’administration du sol, l’indemnité ne se calcule pas sur la base de la

932 Jean-Marie AUBY, Pierre BON, Jean-Bernard AUBY, Philippe TERNEYRE, Droit administratif des biens, op. cit., § 682. 933 L’article 47, alinéa 3 de la loi sur l’administration du sol délègue aux provinces, régions autonomes et municipalités relevant directement de l’autorité centrale le pouvoir d’édicter les règles d’indemnisation pour l’expropriation des terres non cultivées, en se référant aux règles d’indemnisation applicables aux champs cultivés telles que proclamées par l’alinéa 2 du même article. 934 V., article 47, alinéa 2 de la loi d’administration du sol. 935 V., article 47, alinéas 3 et 4 de la loi d’administration du sol.

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279

valeur réelle des terrains expropriés, car la libre cession des terres collectives est en

principe interdite en droit chinois.

264. - La limite des règles d’indemnisation telles que prévues en droit chinois réside

dans le fait que l’expropriation entraîne la privation des moyens de production,

« menaçant par conséquent la subsistance des paysans » 936 . L’insuffisance de

l’indemnité qui résulte souvent des abus d’expropriation par les gouvernements

locaux937, entraîne « la paupérisation des paysans expropriés »938. Des paysans sont

davantage défavorisés en cas d’expropriation des terres collectives dans la mesure où

ils n’ont pas le titre de propriétaires. En réalité, le droit de propriété sur des terres

collectives est de facto exercé par des entités économiques collectives, à savoir

notamment des villages au nom de leurs membres. Mais ceux-ci n’occupent toutefois

qu’une position très faible dans le système bureaucratique et n’exerce pas d’influence

dans la négociation des indemnités avec les gouvernements locaux939. En outre, dans la

plupart des cas, des villageois n’étaient pas directement indemnisés par les

gouvernements locaux. Ce sont les villages, comme propriétaires des terres collectives,

qui procurent d’abord des indemnités et les distribuent parmi les villageois. Il était

fréquent que « les dirigeants des villages collaboraient avec les membres des

gouvernements locaux en réduisant intentionnellement le montant des indemnités et

par conséquent portaient atteintes aux intérêts des paysans »940. Des paysans, en tant

que membres des entités économiques collectives, n’avaient aucun rôle à jouer dans la

détermination des indemnités. Dans ce contexte, les détenteurs du pouvoir

936 HAN Jun, « Jujiao shidi nongmin (Focalisation sur les paysans sans terres) », Zhongguo gaige (China Reform), 2005, n° 9, p. 64. 937 V., par exemple, HAN Jun, « Zhiyi xingzheng qiangzhixing tudi guoyouhua (Critiques sur les expropriations des terres) », Caijing (Finance), 2004, n° 18 ; LIU Jianping, DAI Dunfeng, « Bieduozou wode maitian : Shandong Qihe quandi yundong de zhongjie (Étude sur l’expropriation illégale des terres au province de Shandong) », Nanfang Zhoumo (Journal Week-end du Sud), 8 janvier 2004. 938 CAO Peizhong, « Zhongguo ‘shidi nanmin’ xianxiang fali toushi he zhidu jiuji (Perspectives of China’s refugee of losing land and system remedy) », Faxue zazhi (Law Science Magzine), 2005, n° 5, p. 40. 939 Peter HO, Institutions in transition: land ownership, property rights, and social conflict in China, op. cit., p.45. 940 YU Guangjun, « Nongmin tudi chengbao jingyingquan de xin falü baozhang (New legal protection for farmers’ right: discussing on reforming the requisition of land in village) », Xingzheng yu fa (Public Administration & Law), n° 8, 2005, pp. 77 à 78.

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280

d’expropriation –souvent les autorités locales de district et supérieures– s’approprient

des terres arables collectives, puis les concéder aux promoteurs immobiliers pour

l’usage industriel ou commercial pour pallier les insuffisances des finances locales ou

pour s’enrichir en participant à la spéculation foncière941. Renforcer la garantie des

intérêts des paysans expropriés et élever le critère de l’indemnisation furent des

mesures largement proposées comme prioritaires pour protéger les champs cultivés et

les intérêts des paysans qui les exploitent 942 . Les critiques des pratiques

d’indemnisation injuste et surtout l’ampleur de la diminution des champs cultivés

provoquée par des expropriations abusives ont sensibilisé le gouvernement central943.

Ce dernier a pris des mesures mettant l’accent sur l’indemnisation « à temps et

raisonnable » aux paysans en cas d’expropriation des champs cultivés944. Mais il s’agit

moins de l’élaboration de nouvelles règles que de leur mise en oeuvre. Car, aux termes

de l’article 47, alinéa 6, de la loi sur l’administration du sol, au cas où le niveau de vie

des paysans ne pourrait être maintenu suite à l’expropriation, les gouvernements

locaux d’échelon provincial peuvent décider d’augmenter l’indemnité de réinstallation.

L’article 47, alinéa 7, prévoit qu’en cas particulier, le CAE peut être exonéré

l’obligation de respecter le plafond légal en prenant la décision d’augmenter les

indemnités. L’article 16 de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural réaffirme le

941 ZHOU Feizhou, « Feishuizhi shinian : zhidu jiqi yingxiang (La mise en place d’un double système fiscal depuis dix ans: institutions et ses influences) », Zhongguo shehui kexue (Social Sciences in China), 2006, n° 6, pp. 100 à 116. 942 V., par exemple, ZHANG Qianfan, « Gongzheng buchang yu zhengshouquan de xianfa xianzhi (L’indemnisation juste et la restriction constitutionnelle au prérogative d’expropriation) », loc. cit., QIAO Xinsheng, « Zhengdi buchang xuyao chulihao sige guanxi (L’amélioration du régime d’indemnisation en matière d’expropriations des terres) », Guangming Ribao (Quotidien des Lumières), 23 novembre 2004 ; WU Jianhua, LAI Chaochao, «Sichan zai zhengshou zhengyong zhong de gongfa baozhang jizhi yanjiu (Les garanties du droit de propriété en matière d’expropriations et de réquisitions au regard du droit public) », Zhongguo Faxue (China Legal Science), 2004, n° 6, pp. 48 à 53. 943 V., ZOU Jiahua, « Guanyu tudi guanli fa zhifa jiancha de baogao (Rapport du Comité permanent sur l’examen de l’exécution de la loi d’administration », Quanguo renda changweihui gongbao (Gazette du Comité permanent de l’APN), 2000, n° 5 ; CHANG Xiaohong, « Zhongguo gengdi liushi youhuan (La perte des terres cultivable en Chine) », Caijing (Finance), 2004, n° 8 ; REN Bo, HU Yifan, «Zhengdi zhidu gaige : tianping xiang hefang qingxie (À propos de réforme de l’expropriation des terres) », Caijing (Finance), 20 mars 2004. 944 WEN Jiabao, Rapport d’activités du Gouvernement présenté à la 2e session de la Xe APN en date du 5 mars 2004, disponible sur le site http://www.npc.gov.cn, consulté le 12 janvier 2006.

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281

principe selon lequel le foyer a droit à l’indemnisation en cas d’expropriation et de

réquisition des terres collectives faisant l’objet du contrat d’exploitation forfaitaire. La

loi sur les droits réels, quant à elle, prévoit le droit des villageois à la participation sur

la décision relative à la distribution et à l’utilisation des indemnités en cas

d’expropriation du sol soumis au régime d’exploitation forfaitaire945.

(b). – La tendance de réforme vers l’amélioration

265. - La tendance de réforme consiste à assurer le niveau de vie des paysans en cas

d’expropriation des champs cultivés. Selon l’orientation politique du gouvernement

central, l’indemnisation exige non seulement le paiement d’une indemnité en

numéraire mais aussi les mesures de réinstallation des paysans. Le CAE adopta une

décision spéciale selon laquelle les mesures de réinstallation des paysans en cas

d’expropriation des champs cultivés consistèrent à attribuer à des paysans de nouvelles

parcelles de terres cultivables, de fournir des aides en matière d’emploi, de permettre

l’adhésion des paysans au régime de sécurité sociale dont bénéficièrent seuls les

habitants urbains946. Lesdites mesures de réinstallation furent réaffirmées par le CAE

dans son Règlement de migration pour les travaux hydrauliques de Trois Gorges

(Changjiang sanxia gongcheng jianshe yimin tiaoli) adopté en 2001, et par le

Règlement sur l’indemnisation et la réinstallation des foyers dans l’expropriation des

terres labourées pour les grands travaux hydrauliques et d’hydro-électricité adopté en

2006, dont l’objectif fut le maintien et la promotion du niveau de vie des paysans

concernés par les travaux hydrauliques947. Outre l’indemnisation numéraire, furent

prévus par lesdits règlements des mesures de réinstallation des paysans dans d’autres

entités collectives rurales en leur attribuant des terres cultivables ayant la même

productivité; la construction de nouvelles habitations pour reloger les émigrés suite à

l’expropriation des terres ; le changement du statut des paysans à celui des habitants

urbains par la modification de l’enregistrement de la résidence ; l’aide à la réinsertion 945 V., article 42, alinéa 2, l’article 132 et l’article 59 (3) de la loi sur les droits réels. 946 CAE, décision n° 2004 (28) du 21 octobre 2004, disponible sur le site http://www.mlr.gov.cn/pub/gtzyb/zcfg/tdglflfg/t20060112_72080.htm, consultée le 12 janvier 2006. 947 V., article 3 du Règlement sur l’émigration pour les travaux hydrauliques de Trois Gorges.

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282

professionnelle des paysans expropriés dans les secteurs économiques urbains948. Ces

mesures ont été largement reprises par l’article 42, alinéa 2 de la loi sur les droits

réels qui énumère les contenus des indemnités telles que l’indemnité à l’usage du sol,

les frais de réinstallation des paysans, l’indemnité à la construction et les cultures sur

les champs expropriés, la somme pour la cotisation de sécurité sociale des paysans

expropriés, ainsi que l’obligation des gouvernements locaux d’assurer la condition de

vie des paysans.

266. - En revanche, à la différence du droit français qui exige l’indemnisation

préalable en cas de privation du droit de propriété, ni la Constitution chinoise ni les

normes législatives chinoises ne prévoient que l’indemnisation doit précéder le

transfert de propriété des terres collectives en cas d’expropriation. La loi sur les droits

réels dispose seulement que le retard et l’amortissement du paiement des indemnités

sont interdits, sans pour autant imposer le paiement des indemnités comme condition

préalable au transfert de propriété949. Cependant, le gouvernement central a veillé à

apporter des solutions adéquates aux problèmes d’indemnisation versées avec retard

portant atteintes aux intérêts des paysans. En vertu de ladite décision du CAE,

l’utilisation par les gouvernements locaux des terres expropriées doit être précédée de

l’attribution des indemnités numéraires et de la réalisation des projets de réinstallation

des paysans. Selon le rapport d’activités du gouvernement en 2005, le CAE avait pris

des mesures par lesquelles « les arriérés d’indemnités d’expropriation de terrains dus

aux paysans [ont] été payés pour l’essentiel »950. Il convient de souligner que si

l’indemnisation injuste résultait de « l’imprécision juridique » du droit de propriété

collective951 ou même de « la pauvreté de droit des paysans »952, la lacune législative

948 Sur la question de la réinsertion professionnelle des paysans et de leurs difficultés dans ce processus, v., par exemple, LI Youmei, « Processus d’émancipation et de production d’action individuelle et collective : étude sur la question paysanne dans l’ouverture et le développement de la nouvelle zone de Pudong dans les années 1990 », in Laurence Roulleau-Berger, GUO Yuhua, LI Peilin, LIU Shiding (sous la dir. de), La nouvelle sociologie chinoise, op. cit., pp 267 à 296. 949 V., article 42, alinéas 2 et 4 de la loi sur les droits réels. 950 WEN Jiabao, Rapport d’activités du Gouvernement présenté à la 3e session de la Xe APN en date du 5 mars 2005, disponible sur le site http://www.10thnpc.org.cn/french/163311.htm, consulté le 12 janvier 2006. 951 Isabelle THIREAU, HUA Linshan, « Introduction », op. cit., p.14 ; v., aussi, WANG Weicai, «Nongcun jinti tudi suoyouquan de tizhi queshi jiqi wanshan (La faiblesse systématique du droit de

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283

a été largement comblée par la législation récente. Il se pose donc la question de savoir

comment assurer le respect des normes de droit surtout par les autorités locales qui

sont pourtant « les principaux transgresseurs du droit foncier »953. Ce qui amène le

gouvernement central à renforcer la remise en ordre spécifique, «consistant à résoudre

en priorité les problèmes qui ont suscité de fortes réactions parmi les masses

populaires », parmi lesquels figure « l’expropriation et la réquisition de terres, la

démolition de vieilles maisons, etc.»954.

(2). – Les règles d’indemnisation relatives à la démolition des bâtiments dans des

zones urbaines

267. - Les règles plus détaillées relatives à l’indemnisation en cas de démolitions des

bâtiments dans des zones urbaines ont été adoptées par le règlement du CAE. Ces

règles sont complémentaires à la norme constitutionnelle, dans la mesure où elles

précisent non seulement le contenu des indemnités (a) mais aussi le moyen de la

détermination (b).

(a). – Le contenu des indemnités

268. - En vertu du règlement du CAE, l’indemnisation relative à la démolition des

bâtiments dans des zones urbaines peut prendre deux formes. Il s’agit soit du paiement

des indemnités numéraires soit du relogement des habitants expropriés en leur offrant propriété collective dans les zones rurales et la résolution) », Jingji luntan (Economic Tribune), 2005, n° 18, pp. 98, 99. 952 LIU Xiaoren, « Shidi nongmin quanli pinkun shi tudi weifa gaofa de shencengci dongyin (La pauvreté du droit des paysans expropriés est la cause principale des illégalités flagrantes en matière foncière) », Guangmin ribao (Quotidien des Lumières), 22 janvier 2008. 953 V., reportage de ZHANG Xiaosong, « Jingti difang zhengfu chengwei tudi weifa zhuti (État d’alerte: les gouvernements locaux sont les principaux auteurs de l’illégalité en matière foncière) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/newscenter/2006-06/11/content_4678597.htm, consulté le 12 avril 2008. 954 WEN Jiaobao, Rapport d’activités du gouvernement 2007, présenté le 5 mars 2007 à la 5e session de la Xe APN, disponible sur le site http://french.china.org.cn/archives/lianghui2008/2008-03/19/content_13072142_50.htm, consulté le 12 avril 2008.

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284

de nouvelles habitations955. Les indemnités numéraires sont en principe fixées selon la

valeur réelle des bâtiments sur le marché immobilier, en prenant compte des éléments

tels que le site, la surface et l’utilisation des bâtiments, etc. Mais les constructions

illégales ne sont jamais indemnisées en cas de démolition. Les gouvernements locaux

de niveau provincial peuvent adopter les règles d’application du principe

d’indemnisation ainsi prévu par ledit règlement. Mais il faut souligner que le règlement

du CAE néglige la réalité que le droit d’usage des propriétaires portant sur le fonds des

bâtiments démolis est aussi influencé par la démolition et le déplacement des habitants.

Le règlement ne prévoit donc pas l’indemnisation du droit d’usage du sol étatique aux

expropriés. C’est la raison pour laquelle l’indemnisation est systématiquement

insuffisante et, par conséquent, la démolition des bâtiments dans des zones urbaines

peut être en soi considérée injuste956. L’indemnisation du droit d’usage est d’autant

plus nécessaire que les bâtiments faisant l’objet de démolition sont souvent vétustes ou

insalubres, donc peu de valeur à l’égard du courant de marché immobilier. C’est aussi

le motif pour lequel l’aménagement urbain est souvent projeté par les gouvernements

locaux : le vrai intérêt des habitants réside moins en l’immeuble d’habitation qu’en la

valeur du fonds. La loi sur les droits réels affirme sans équivoque l’indemnisation du

droit d’usage du sol en cas d’expropriation957. Certes, en l’état actuel où le prix

immobilier s’envole dans les zones urbaines, les indemnités sont souvent loin d’être

suffisantes pour que les habitants aient le moyen suffisant pour se reloger dans une

nouvelle habitation et, pour la même raison, les « expropriants »958 préfèrent le

paiement des indemnités numéraires au relogement des expropriés959. Car la pénurie du

955 V., article 23 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. 956 V., par ex., LI Rui, « Fangwu chaiqian buchang yu gongmin caichanquan de xianfa baozhang (L’indemnisation en cas de démolition des constructions d’habitation urbaines et la protection constitutionnelle de la propriété privée) », loc. cit.. 957 V., articles 41, 42, 121 de la loi sur les droits réels. 958 À la différence du droit français où les expropriants sont les initiateurs de l’expropriation, l’expression des expropriants en droit chinois désigne ceux qui sont autorisés par le gouvernement local à procéder à la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. Il s’agit généralement de personnes privées, promoteurs fonciers. 959 LEI Tao, « Chengshi chaiqian zhongde liyi chongtu jiqi tiaozheng (Explore on the interest conflict and adjustment of urban demolition) », Beijing shehui kexue (Science sociale of Beijing), 2006, n° 2,

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285

fonds disponible pour la construction des logements, notamment dans des villes à forte

densité de population, rend le relogement des anciens propriétaires plus onéreux que

l’indemnisation numéraire. Mais cela soulève encore le problème du relogement qui

s’effectue souvent par le déplacement des habitants vers des zones périphériques de la

ville qui s’avère peu commode et rend la vie quotidienne plus difficile qu’avant la

démolition. C’est la raison pour laquelle le Règlement du CAE prévoit que les

habitants déplacés ont droit à compensation pour la différence de valeur entre

l’immeuble détruit et la nouvelle habitation offerte au nom de relogement960. Mais le

règlement du CAE n’impose pas à l’expropriant l’obligation de relogement961. Dans

l’intérêt des expropriés, le relogement des habitants est de plus en plus sollicité à se

substituer à l’indemnisation numéraire. D’ailleurs, l’indemnisation par le relogement

répond à l’attente légitime des citoyens qui souhaitent profiter de l’amélioration de leur

habitat grâce à l’accélération de l’urbanisme conduit par le gouvernement962. La loi sur

les droits réels précise par son article 42, alinéa 3, que l’expropriant doit assurer les

conditions de logement des habitants concernés par l’expropriation pour but d’intérêt

public, réaffirmant indirectement l’obligation de l’expropriant à reloger les expropriés.

Rappelons qu’à l’origine les habitations actuellement menacées de démolition furent

souvent des allocations versées par l’État à l’époque de l’économie planifiée pour le

bien-être des travailleurs urbains963, mais aussi une sorte de compensation à leurs

salaires qui furent dévalorisés964. Si l’intérêt public exige la démolition des bâtiments

p.46. 960 V., article 23 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. 961 En vertu de l’article 27, alinéa 2 du règlement, le relogement est obligatoire dès que l’immeuble est soumis au contrat de location qui n’est pas résilié au jour de la démolition par l’accord entre le propriétaire et le locataire. C’est donc pour la protection du locataire que le règlement exige l’offre de nouvelles habitations aux anciens propriétaires des immeubles démolis. 962 La création au plus vite d’ « un système de garantie en matière de logement » est devenue l’une des politiques sociales menées par le gouvernement central, V., WEN Jiabao, Rapport d’activités du gouvernement de 2007, loc. cit. 963 V., Valérie LAURANS, « Shanghai : l’argument du confort pour déplacer les résidents urbains », loc. cit. ; Thierry PAIRAULT, « L’affaire de SUN Dawu : Codification des droits réels et microfinance », op. cit., p. 30. 964 MA Congmin, «Qiantian gongyou zhufang zujin gaige youguan wenti (À propos des questions sur la réforme des loyers des habitations de propriété publique)», disponible sur le site

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286

dans des zones urbaines avec indemnisation, le relogement des habitants avec

l’amélioration de l’habitat sera en cohérence avec la poursuite du but d’intérêt public.

Par la révision en 2007 de la loi sur l’administration des biens immobiliers dans les

zones urbaines, l’obligation d’assurer de bonnes conditions de relogement a été

dorénavant formellement imposée aux expropriants en cas d’expropriation des

logements urbains.

269. - Outre les indemnités sur les bâtiments démolies, le règlement du CAE prévoit

l’indemnisation pour préjudices causés par la suspension des affaires en cas de

démolition des bâtiments qui ne sont pas uniquement à usage d’habitation. Mais le

Règlement ne dispose que d’une indemnisation « appropriée » sans pour autant

préciser les critères opérationnels965. Les compensations pour le déplacement des

habitants sont également prévues par le règlement du CAE, il s’agit du paiement d’une

somme d’argent –dont les montants sont généralement précisés par les gouvernements

locaux– par l’expropriant aux expropriés ou locataires pour compenser leurs frais et

dépenses encourus par le déménagement et par la réinstallation provisoire avant d’être

définitivement relogés966. Dans la pratique, les montants des compensations payées par

l’expropriant varient en fonction de la « performance » de la vitesse du déménagement

des habitants. Ceux qui abandonnent leurs maisons le plus vite peuvent toucher des

compensations plus intéressantes que ceux qui refusent l’offre de l’expropriant et qui

occupent leurs bâtiments pendant la négociation des indemnités. La flexibilité du

paiement des compensations a été toutefois souvent abusée dans la pratique par

l’expropriant comme une mesure incitative pour accélérer le processus d’évacuation

des terrains occupés.

(b). – La détermination des indemnités

270. - Au regard de la procédure par laquelle l’indemnisation est fixée, le Règlement

http://www.ggj.gov.cn/qgjggzxx/llyj/200501/t20050104_1768.htm, consulté le 12 avril 2008. 965 V., article 33 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. 966 V., article 31 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines.

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287

du CAE est d’autant plus critiquable. En effet, en vertu de l’article 13 du Règlement,

les personnes qui sont autorisées à procéder aux démolitions d’une part et d’autre part

les expropriés –les propriétaires, à l’exclusion des locataires des bâtiments faisant

l’objet de la démolition967– peuvent négocier le montant des indemnités par accord

contractuel. Si aucun accord n’est conclu, les administrations compétentes968 peuvent

décider du montant des indemnités. Cette décision peut faire l’objet du contrôle par les

tribunaux populaires locaux. En revanche, le recours juridictionnel contre la décision

des administrations concernant l’indemnisation n’entraîne pas la suspension des

mesures d’exécution du projet de démolition969. Par conséquent, dès lors qu’une

décision administrative est prise sur l’indemnisation –en dépit du fait que celle-ci

pourrait être ultérieurement annulée ou modifiée à l’issue de procédures

juridictionnelles– la procédure de la démolition des bâtiments devient irréversible. Ce

mécanisme de la détermination des indemnités est inéquitable non seulement du fait du

rôle marginal laissé au juge, mais surtout du fait de multiples rôles joués par les

administrations. Celles-ci ont le pouvoir d’autoriser la démolition des bâtiments au

nom du plan d’urbanisme, de décider du montant des indemnités et, surtout, de réaliser

le projet de démolition par mesures d’exécution forcée parfois brutales et abusives970.

En pratique, les autorités locales, comme leurs dirigeants, s’immisçaient

systématiquement dans les procédures de démolition comme « fonctionnaires

entreprenants » 971 . La collaboration entre les promoteurs immobiliers ou les

développeurs fonciers qui sont les vrais maîtres d’ouvrages d’une part et, d’autre part,

les gouvernements locaux qui voulaient tirer de la concession de terrains leurs

principales sources financières était à l’origine des injustices en matière

967 V., article 4 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. 968 En vertu du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines, l’administration compétente à l’échelon national en matière de démolitions et de déplacements est le Ministère de la Construction. Les administrations locales compétentes à l’échelon supérieur des districts ne sont pas précisées. Dans la pratique, il s’agit notamment des bureaux chargés d’urbanisation. 969 V., article 16 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. 970 GUO Guosong, « Jiahe shijian : jiti lanyong xingzhengquan de biaoben (L’affaire de Jiahe : cas typique de l’abus de pouvoir administratif)», Nanfang zhoumo (Journal Week-end du Sud), 8 juillet 2004. 971 Michel MICHEAU, « La production accélérée des villes chinoises », op. cit., p. 7.

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288

d’indemnisation. Dans ce contexte, il n’y avait donc pas de « véritables négociations et

encore moins de juste compensation du préjudice, puisque les autorités fixaient

arbitrairement le montant des indemnités ou proposaient des lieux de relogement »972.

Pour que l’utilité de l’indemnisation ne soit pas mise en cause, le consentement des

expropriés doit être plus rigoureusement protégé par les dispositions législatives, tout

en réduisant les pouvoirs exorbitants des autorités locales en matière d’indemnisation.

B. – Les règles d’indemnisation dans les autres cas d’atteinte au droit

de propriété

271. - La Constitution de 1982 n’impose que le principe d’indemnisation en cas de

réquisition des biens, alors que les règles relativement plus précises sont prévues par

différentes lois (1). Certes, ni la Constitution de 1982 ni les textes législatifs ne sont

clairs en ce qui concerne l’indemnisation en cas de la réglementation de l’usage des

biens (2).

(1). – Les règles d’indemnisation relatives à la réquisition

272. - En droit français, la différence entre l’expropriation pour l’utilité publique et

la réquisition est essentielle : la réquisition, ayant pour effet la dépossession définitive

d’un bien ou la perte temporaire de l’usage d’un bien, porte atteinte au droit de

propriété privée, alors que l’indemnisation n’est pas préalable à la prise de

possession973. En droit chinois, la révision constitutionnelle de 2004 n’impose pas de

règles d’indemnisation qui se différencient de celles applicables aux expropriations. En

revanche, les règles législatives en la matière ne sont pas unifiées. Différentes

formulations telles que l’ « indemnisation appropriée » 974 , l’ « indemnisation

972 Ibid, p. 10 ; v., aussi, JIN Jian, Zhongguo zhuzhaifa yanjiu (Housing Law of China), Law Press China, 2004, p. 93; WANG Kewen (et al.), Chengshi chaiqian falü wenti yanjiu (Étude des problèmes juridiques en matière de démolitions et déplacements urbains) », Zhongguo fazhi chuban she, 2007, p. 220. 973 Pascal PLANCHET, « Réquisition de biens.– Exercice du droit de réquisition », op. cit., §§ 4, 20. 974 V., article 45, alinéa 2 de la loi sur la prévention des inondations ; article 38 de la loi sur la

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289

raisonnable »975, l’ « indemnisation proportionnée »976 sont utilisées dans les textes

législatifs. Les législations récentes ont toutefois tendance à imposer simplement

l’exigence d’une indemnisation, sans pour autant préciser le caractère. Il en est ainsi de

la loi sur les eaux, modifiée en 2002, qui prévoit l’indemnisation des migrants en cas

de réquisition pour les travaux hydrauliques977, de même que l’indemnisation en cas de

réquisition pour la prévention des maladies contagieuses en vertu de l’article 45 de la

loi sur la prévention des maladies contagieuses modifiée le 28 août 2004. Il est aussi

regrettable que la juste indemnisation n’ait pas été clairement exigée par la

Constitution chinoise en matière de réquisition. Par conséquent, la marge de

manoeuvre est laissée aux autorités administratives. Cette incertitude de

l’indemnisation « constitue donc une menace au droit de propriété des citoyens »978.

Certes, avec l’adoption de la loi sur les droits réels, l’indemnisation en cas de

réquisition n’est exigée que si les biens réquisitionnés sont périmés ou endommagés. Il

semble donc que la réquisition qui n’a pas entraîné la perte des biens ne donne pas lieu

à indemnisation.

(2). – Le problème de l’indemnisation en cas de réglementation de l’usage des biens

273. - La question de savoir si l’indemnisation peut s’appliquer plus largement à la

réglementation de l’usage des biens demeure ouverte en droit chinois. À cet égard, en

droit français, le Conseil constitutionnel s’appuie tantôt sur le principe d’égalité devant

les charges publiques tantôt sur l’article 2 de la Déclaration de 1789 pour dégager

l’exigence d’une indemnisation pour la réglementation de l’usage des biens979. Par la

lecture de l’article 10, alinéa 3 et de l’article 13, alinéa 3, de la Constitution chinoise, il

prévention du séisme ; article 48 de la loi de la défense nationale. 975 V., article 36 de la loi sur les ressources minières. 976 V., article 17 de la loi martiale. 977 V., article 29 de la loi sur les eaux modifiée le 29 août 2002. 978 V., QING Feng, ZHANG Shuihai, « Zhongguo xingzheng buchang zhidu zonglun, lishi, xianzhuang yu fazhan qushi (Étude sur l’indemnisation administrative en droit chinois : histoire, perspective et futur) », Shehui kexue luntan (Tribune of Social Sciences), 2005, n° 9, pp. 23 à 40. 979 V., Jérôme TRÉMEAU, Jérôme TRÉMEAU, « Fondement constitutionnel du droit de la propriété », op. cit., §§122 à 132.

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semble que l’indemnisation n’est pas exigée en matière de réglementation de l’usage

des biens. En outre, il existe des lois et règlements qui permettent la limitation à

l’usage des biens sans indemnisation. Par exemple, la loi sur les forêts établit le régime

d’autorisation préalable pour l’abattage des bois980; la loi sur la protection des

patrimoines culturels limite les travaux à l’intérieur et à l’entourage des sites protégés

en appliquant un régime d’autorisation préalable981 ; le Règlement du CAE sur la

préservation des zones naturelles impose le principe d’interdiction des exploitations

commerciales et des installations des édifices au sein des zones naturelles protégées982,

etc. Aucune exigence de l’indemnisation n’a été prévue dans les cas susmentionnés qui

constituent toutefois les formes concrètes de la réglementation de l’usage des biens.

Selon la doctrine dominante des juristes chinois, l’indemnisation se distingue de la

compensation au regard de la nature juridique. La première résulte des actes licites de

l’administration, alors que la seconde est une forme de responsabilité imposée aux

auteurs des actes illégaux, qu’il s’agisse des personnes privées ou des administrations.

Les mesures de réglementation de l’usage des biens prises par l’administration étant

licites, la compensation ne s’y applique pas. Mais certaines juristes chinois ont proposé

que pour l’exigence de la protection du droit fondamental de l’homme, le respect au

principe d’équité, ainsi que pour la protection des intérêts des opérateurs économiques

selon la règle de marché, les atteintes aux droits des propriétaires en raison des

mesures limitant l’usage des biens doivent être indemnisables983. Certains juristes

chinois ont d’ailleurs proposé l’élaboration d’une loi spéciale relative à l’indemnisation

des atteintes causées par les actes administratifs984 . Ainsi peut-on croire que la

résolution du problème de l’indemnisation en cas de la réglementation de l’usage des

980 V., article 32 de la loi sur les forêts adoptée le 20 septembre 1984, modifiée le 29 avril 1998. 981 V., articles 17, 18 et 19 de la loi sur la protection des patrimoines culturels adoptée en 19 novembre 1982, modifiée le 28 octobre 2002. 982 V., articles 28, 29 et 32 du règlement sur la préservation des zones naturelles adopté le 9 octobre 1994. 983 V., par ex., ZHANG Peng, « Caichanquan heli xianzhi de jiexian yu woguo gongyong zhengshou zhidu de wanshan (La limitation au droit de propriété et l’amélioration de la procédure d’expropriation et de réquisition en droit chinois) », Fashang Yanjiu (Studies in Law and Business), 2003, n° 4, pp. 80 à 86. 984 V., JIANG Ming’an, « Xingzheng buchang zhidu yanjiu (Étude sur l’indemnisation administrative) », Faxue zazhi (Law Science Magazine), 2001, n° 5, pp. 14 à 17.

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biens dépend du progrès de la législation.

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292

CONCLUSION DU CHAPITRE

274. - L’utilité et la nécessité de la constitutionnalisation du droit de propriété sont

évidentes, quand il s’agit d’un pays qui est en transition vers l’économie de marché,

pour empêcher l’éventuel retour excessif ou arbitraire de l’État dans la vie économique

de la société. Dans les pays dans lesquels les législations civiles et pénales ont déjà une

longue expérience de garantie de la propriété, le problème concerne plutôt l’efficacité

du contentieux constitutionnel985 . Certes, le bon fonctionnement d’un régime de

contrôle constitutionnel qui est la base de la constitutionnalisation du droit chinois986

n’est pas bien garanti. En témoigne le critique sur le caractère peu hiérarchisé du droit

chinois987. Le contrôle de constitutionnalité est d’autant plus important que « ce qui

contribue probablement le plus à éloigner la Chine de l’État de droit est la vacuité de

son droit constitutionnel »988. Un régime de contrôle efficace est nécessaire pour

assurer la compatibilité des dispositions normatives avec les principes constitutionnels

relatifs à la garantie du droit de propriété en cas d’atteintes. Mais l’utilité du contrôle

de constitutionnalité des lois au niveau national par un organe indépendant est

largement réduite dans la mesure où l’APN est l’organe suprême des pouvoirs de l’État.

Il exerce à la fois les pouvoirs de réviser la Constitution et de légiférer. Son Comité

permanent détient le pouvoir d’interpréter la Constitution et de surveiller sa mise en

oeuvre, ce qui pourrait éviter des conflits éventuels entre la Constitution et les lois

nationales, qui sont les oeuvres du même auteur –l’APN et son Comité permanent.

Mais cette hypothèse suppose, d’une part, que les travaux législatifs de l’APN soient

eux-mêmes complets et cohérents et, d’autre part, que les pouvoirs législatifs soient

effectivement contrôlés par l’APN et son Comité permanent. Mais on ne peut que

regretter que ces deux conditions ne soient pas remplies dans la pratique. Ce constat est

985 Yoïchi HIGUCHI, « Rapport général, les garanties de la propriété dans une mutation de la vie économique », in La propriété, journées vietnamienne, T. LIII, 2003, Société de législation comparée, 2006, p. 500. 986 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., pp.565, 566. 987 Stanley LUBMAN, « Looking for law in China », 20 Colum. J. Asian L. 1, p. 29, pp. 34, 36. 988 J. –P. CABESTAN, « Chine: un État de lois sans État de droit », Revue Tiers-Monde, n° 147, 1996, p. 660.

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293

aussi vrai pour la garantie du droit de propriété. Tout d’abord, à défaut d’un régime de

contrôle constitutionnel par l’organe indépendant de l’APN et son comité permanent,

les garanties constitutionnelles du droit de propriété ne veillent pas à restreindre la

réglementation excessive de l’usage des biens conduisant à la privation du contenu du

droit de propriété, alors qu’en droit français, dans de nombreuses décisions, le Conseil

constitutionnel s’attache à rechercher l’absence de dénaturation du droit de propriété

qui résulte d’une réglementation excessive de ce droit989. Ensuite, la compétence

législative est largement partagée par le CAE à cause de la délégation du pouvoir

législatif à la « carte blanche » 990 , encore renforcée par la « législation

administrative »991 pour désigner le phénomène que l’autorité administrative adopte

des règles normatives au nom de l’interprétation des règles législatives. Le pouvoir

législatif de l’APN est de plus partagé par les autorités locales, ce qui rend difficile

l’ « harmonisation des législations locale et nationale »992 et conduit les conflits

omniprésents entre lois nationales et lois locales. Ce qui reflète en effet la formation du

« fédéralisme de facto dans la relation entre l’État central et les autorités locales»993.

Tous illustrent « l’écart profond entre le système juridique chinois et celui de la

plupart des pays démocratiques libéraux »994. Par exemple, en France, soumettre le

législateur au respect de la Constitution est «l’affirmation fondamentale de la plénitude

de la réalisation de l’État de droit » 995 , tandis qu’en Chine, la difficulté de

l’assujettissement du législateur consiste avant tout en la fragmentation du pouvoir

normatif dont la mise en ordre doit être le premier objectif du contrôle qui se heurte

989 V., CC, n° 84-172 DC du 26 juillet 1984, Structure des exploitations agricoles ; CC, déc. n° 89-254 DC, 4 juill. 1989, Modalités d’application des privatisations ; CC, déc. n° 90-287 DC du 16 janvier 1991, Santé publique et assurance sociale ; CC, déc. n° 2000-436 DC, 7 déc. 2000, Loi SRU ; aussi CC, déc. n° 2000-434 DC, Loi sur la chasse. 990 M. DOWDLE, « The constitutional development and operations of the National People’s Congress », Columbia Journal of Asian Law, Vol. 11, 1998, p.85. 991 Stanley LUBMAN, Bird in a Cage: Legal Reform in China after Mao, op. cit., pp.144, 145. 992 ZOU Keyuan, « La difficile harmonisation des législations locale et nationale », op. cit., p.44. 993 V., ZHENG Yongnian, De facto federalism in China: Reforms and dynamics of central-local relations, Singapore and London: World Scientific Publishing, 2007. 994 Perry KELLER, « The National People’s Congress and the making of national law », op. cit., p.79. 995 Louis FAVOREU, Loïc PHILIP, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 10e éd., Dalloz, 1999, p. 483.

Page 302: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

294

toutefois à l’obstacle politique996. Mais le dynamisme pour surmonter cet obstacle ne

manque pas. En effet, le mot d’ordre en Chine n’est pas celui du droit constitutionnel

français « la remise en cause du droit de propriété par les droits justifiés par l’intérêt

général »997, mais « assurer la protection efficace des intérêts vitaux du peuple en cas

d’expropriation »998. La croissance de la conscience du droit des citoyens chinois, qui

s’accompagne de l’augmentation des recours juridictionnels, des protestations contre

l’abus de pouvoir, ainsi que de la revendication des droits, peut accélérer le processus

de la transformation du droit chinois vers l’avènement d’un mécanisme de contrôle

garantissant le respect de la Constitution par tous les pouvoirs. 996 Un Comité de supervision législative selon le modèle du comité constitutionnel a été conçu lors de l’élaboration de la loi sur l’élaboration des normes juridiques de 2000, mais cette initiative n’a pas été acceptée par la loi promulguée. V., LI Buyun, « Explanations on the proposed law on law-making of the People’s Republic of China », in J. M. OTTO (et al.), Law-making in the People’s Republic of China, op. cit., p.173. 997 Michel FONTAINE (et al.), Notions fondamentales de droit, Foucher, 2006, 5e éd, pp. 110. 998 WANG Zhaoguo, « Guanyu wuquanfa caoan de shuoming (Explications sur le projet de loi sur les droits réels) », loc. cit.

Page 303: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

295

CHAPITRE II. – LA MISE EN ŒUVRE DES GARANTIES JURIDIQUES DU

DROIT DE PROPRIÉTÉ

275. - En droit français, le juge apparaît comme l’instrument le plus efficace de la

protection des libertés publiques face aux abus de l’administration ; les atteintes aux

libertés commises par l’Exécutif peuvent donner lieu à différents recours, devant les

différents juges999. En ce qui concerne la protection du droit de propriété, il existe une

convergence entre la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel : la Déclaration

des droits de l’homme de 1789 et l’article 544 du Code civil ont sans doute utilisé une

formulation volontairement maximaliste, par réaction aux atteintes portées à la

propriété1000. Selon la doctrine majoritaire en droit français, la définition du droit

fondamental repose avant tout sur le rang normatif et sur l’existence d’un contrôle

juridictionnel pour assurer la justiciabilité des droits ainsi reconnus1001. La référence

aux droits fondamentaux appelle et légitime en même temps l’accroissement du rôle du

juge et la multiplication des garanties de procédure au point que la garantie

juridictionnelle est consacrée comme un instrument de définition des droits

fondamentaux1002 . D’ailleurs, la mise en place d’un mécanisme de référé-liberté

fondamentale par la loi du 30 juin 2000 (article L. 521-2 du Code de justice

administrative) représente une accélération considérable dans l’exercice par le juge

administratif d’un contrôle de constitutionnalité1003 qui renforce la garantie du droit de

999 Claude-Albert COLLIARD, Roseline LETTERON, Libertés publiques, 8e éd., Dalloz, 2005, §175. 1000 V., Yves GUYON, « Le droit de propriété devant la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel », in La Cour de cassation et la Constitution de la République, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, pp. 180, 181 ; Anne-Françoise ZATTARA, La dimension constitutionnelle et européenne du droit de propriété, LGDJ, 2001. V., aussi, Cass. 1re civ., 4 janv. 1995, n° 92-20.013: Bull. civ. 1995, I, n° 4. 1001 V., notamment, François TERRÉ, « Sur la notion de libertés et droits fondamentaux », in Rémy CABRIALLC, Marie-Anne FRISON-ROCHE, Thierry REVET (sous la dir. de), Libertés et droits fondamentaux, 14e éd., 2008, pp. 3 à 6 ; Louis FAVOREU, Patrick GAÏA, Richard GHEVONTIAN (et al.), Droit des libertés fondamentales, 4e éd., Dalloz, 2007; Bertrand MATHIEU, Michel VERPEAUX, Contentieux constitutionnel et des droits fondamentaux, LGDJ, 2002, pp. 10 à 12. 1002 Marie-Joëlle REDOR, « Garantie juridictionnelle et droit fondamentaux », C. R. D. F., n° 1, 2002, pp. 95 et s. 1003 L. FAVOREU, « La notion de liberté fondamentale devant le juge administratif des référés », D, 2001, pp. 1739 et s. V., aussi, Marie-Joëlle REDOR, « Garantie juridictionnelle et droits fondamentaux », op. cit., pp. 94, 95.

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296

propriété. Car « la propriété, qui est une forme de liberté, bénéficie naturellement aussi

de ce référé »1004. La protection de la propriété comme droit fondamental exige donc

« la promotion du juge » qui est le garant de la réalisation de l’État de droit et en même

temps le gardien des droits fondamentaux1005.

276. - Au regard de l’expérience du droit français, établir la garantie particulière des

droits fondamentaux n’est pas encore envisagé en droit chinois. Pourtant, la

revendication des victimes qui subissent des atteintes au droit de propriété appelle le

juge à jouer ce rôle. L’effectivité des recours juridictionnels qui ont vocation à assurer

le respect des normes de garanties dépend toutefois de la compétence et des pouvoirs

du juge dans le traitement des litiges. Quant à la Chine, la pleine réalisation du rôle du

juge comme « gardien»1006 du droit de propriété repose sur l’abolition de l’approche

instrumentaliste du droit chinois qui insistait « beaucoup plus sur la mise en place de

lois, de règles formelles, que sur leur application et leur contrôle par des institutions

judiciaires notamment par des tribunaux indépendants »1007. Alors que l’approche

instrumentaliste du droit chinois n’est pas encore totalement marginalisée, de nouveaux

dynamismes peuvent pousser l’avancement du droit chinois vers son effectivité. À cet

égard, il faut en outre constater le recours au rapport de force dans la pratique qui est

devenu complément des recours juridictionnels quand ces derniers n’ont pas pu

répondre à l’attente des citoyens. Ce qui revient à mettre le gouvernement en jeu dans

la mise en oeuvre des garanties juridiques du droit de propriété. Car le gouvernement

1004 Bernard PACTEAU, Contentieux administratif, PUF, 2002, p. 324 ; v., aussi, François BRENET, « La notion de liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 CJA », Revue du droit public, n° 6, 2003, pp. 1536 à 1579. 1005 Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, Hélène GAUDIN, Jean-Pierre MARGUÉNAUD, Stéphane RIALS, Frédéric SUDRE (sous la dir. de), Dictionnaire des Droits de l’Homme, PUF, 2008, p. 284. 1006 En droit français, aucun élément du bloc de constitutionnalité n’établit de lien entre le droit de propriété et le juge judiciaire. Aussi était-il tentant d’utiliser l’article 66 de la Constitution (aux termes duquel l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle) pour opérer ce rapprochement. Cette argumentation s’est heurtée à une fin de non recevoir dans la décision du Conseil constitutionnel 85-189 DC du 17 juillet 1985, Principes d’aménagement, considérant n° 3. Mais, en droit chinois, il n’existe pas la dualité des juridictions ; par conséquent, il y n’a pas lieu de procéder à la répartition des compétences entre juge judiciaire et juge administratif 1007 Jean-Pierre CABESTAN, « Le contexte juridique chinois : évolutions institutionnelles et législatives », in L’actualité du droit chinois des affaires, colloques du 14 novembre 2003, Société de législation comparée, 2004, p.15.

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297

central joue toujours « les pompiers en trouvant l’argent nécessaire et l’autorité

indispensable pour mettre fin aux conflits sociaux les plus pressants »1008. La quête de

la croissance économique et surtout de l’urbanisation a conduit à l’expropriation et à la

réquisition des terres cultivables et de l’immobilier urbain en méconnaissant de

manière flagrante les droits et intérêts légaux des propriétaires ou des titulaires du droit

d’usages des terres1009. Le gouvernement central, qui considère la stabilité sociale

comme la priorité de toutes ses politiques, est ainsi tenu de réduire la tension sociale

résultant des conflits fonciers en conciliant les intérêts des gouvernements locaux, ceux

des élites « entreprenariales » et ceux des citoyens1010. C’est ainsi que s’amorcent des

améliorations ponctuelles de la mise en oeuvre des garanties juridiques qui redressent

les atteintes au droit de propriété. En outre, l’autorité administrative s’avère également

prédominante à l’égard de la propriété publique dont la protection et la gestion

s’appuient essentiellement sur des mesures administratives qui ne sont pourtant pas

véritablement assujetties au contrôle juridictionnel effectif. Il en résulte que la mise en

oeuvre des garanties juridiques du droit de propriété se caractérise donc par le

contraste entre d’une part le très faible rôle des organes juridictionnels (SECTION I) et

d’autre part la prédominance de l’autorité administrative (SECTION II). Ce qui

représente néanmoins une vraie menace pour la protection de la propriété.

SECTION I. – LE ROLE DES ORGANES JURIDICTIONNELS DANS LA

MISE EN OEUVRE DES GARANTIES JURIDIQUES DU DROIT DE

PROPRIÉTÉ

277. - La mise en oeuvre des normes de garantie du droit par voie juridictionnelle

repose sur la puissance de juger qui elle-même suppose l’indépendance judiciaire, ainsi

1008 Jean-Louis ROCCA, « Le capitalisme chinois ou les paradoxes du flou », Pouvoirs, n° 81, 1997, p. 28. 1009 V., reportage de l’Agence de presse Xinhua, « La Chine renforce l’administration des terres pour lutter contre le surchauffe économique », disponible sur le site http://french.china.org.cn/french/253761.htm, consulté le 16 août 2006. 1010 Pamela N. PHAN, « Enriching the land or the political elite? Lessons from China on democratization of the urban renewal process », 14 Pac. Rim. L. & Pol’y J. 607, pp. 607 et s.

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298

que l’effectivité de l’appareil à l’intérieur duquel les juges officient1011. En droit

français, l’indépendance de l’autorité judiciaire est garantie par la Constitution et

consolidée par des décisions du Conseil constitutionnel. D’ailleurs, « on distingue en

fait deux applications possibles du principe d’indépendance, l’une générale au corps

judiciaire et à ceux qui y sont assimilés et qui s’attache au statut, l’autre concernant

plus précisément les juges et qui se rapporte à l’exercice des fonctions »1012. Certes, le

droit chinois n’a pas reconnu le principe d’indépendance des juges1013. Quant au statut

juridique des organes juridictionnels par rapport à d’autres organes étatiques, la

Constitution chinoise dispose que « les tribunaux populaires procèdent de façon

indépendante, conformément aux dispositions de la loi, et ne souffrent aucune

ingérence des organes administratifs, des groupements sociaux ou des individus »1014.

Il s’agit de proclamer simplement la fonction indépendante des organes juridictionnels.

Or, même cette indépendance très réduite de la fonction des juges n’est pas

sérieusement garantie dans la pratique. Parmi les organes étatiques, il est désormais

admis que l’APN et les assemblées populaires ne doivent pas intervenir dans la

fonction judiciaire1015. Certes, l’autonomie du juge se heurte systématiquement à la

coordination politico-administrative qui exige des tribunaux à « s’en tenir au sens

politique correct »1016. Dans le contexte où les instances juridictionnelles s’immiscent

dans les «institutions bureaucratiques » et même en font la composante1017, la marge

de manoeuvre du juge est cantonnée dans les recherches de la conciliation entre la

revendication des droits des citoyens d’un côté et de l’autre l’emprise des politiques

1011 Raymond MARTIN, « Les cheminements des pourvois judiciaires depuis 1789 », RTDciv., 2004, pp. 251 à 259. 1012 Guy CANIVET, « Le juge judiciaire dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », in Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 16, 2004, p. 128. 1013 LUO Wei, The civil procedure law and court rules of the People’s Republic of China, New York: W. S. Hein, 2006, p. 6. 1014 V., article 126 de la Constitution de 1982. 1015 V., WU Bangguo, « Discours devant la première session du Comité permanent du XIème APN en date du 19 mars 2008 », Qiushi, 2008, n° 8, p.4. 1016 LUO Shuzhen, « Jianchizou zhongguo tese shehuizhuyi daolu budongyao : Dafaguan taolun HU Jintao jianghua shilu (Poursuivre sans faille dans la voie de socialisme à la chinoise : compte rendu sur les discussions des juges sur le rapport de HU Jintao)», disponible sur le site http://www.court.gov.cn/news/bulletin/activity/200712270005.htm, consulté le 16 avril 2008. 1017 Stanley LUBMAN, Bird in a cage: legal reform in China after Mao, op. cit., p.295.

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299

gouvernementales, en s’efforçant de minimiser la tension suscitée par le recours au

rapport de force. Car maintenir la stabilité sociale est souvent considéré comme la

mission importante des organes juridictionnels « pour le peuple »1018. L’examen de la

compétence (Sous-section 1) et des pouvoirs (Sous-section 2) du juge en matière de

protection de la propriété confirme cette observation sur la position difficile des juges

chinois.

Sous-section 1. – La compétence du juge

278. - En vertu de la loi sur les droits réels, la conciliation, la médiation, l’arbitrage

et le contentieux juridictionnel sont les voies de recours que le titulaire peut emprunter

en cas d’atteinte au droit de propriété1019. La compétence du juge chinois pour

connaître des contentieux relevant du droit de propriété est précisée aussi bien par la

loi que par certaines interprétations judiciaires (sifa jieshi) rendues par la Cour

populaire suprême qui sont généralement considérées comme ayant valeur

législative1020. Tandis que le droit chinois ne connaît pas la répartition des compétences

entre juge judiciaire et juge administratif comme en droit français, il existe cependant

des différences entre contentieux civil (§ 1) et contentieux administratif (§ 2) dans un

même corps juridictionnel. À l’heure actuelle, la compétence du juge chinois dans

l’interprétation des règles de droit à travers des contentieux n’a pas abouti au contrôle

de constitutionnalité des règles de droit, comme le judicial review en droit des

États-Unis.

§ 1. – La compétence du juge dans le contentieux civil relatif au droit de

propriété

1018 XIN Chunying, Chinese courts: history and transition, Law Press China, 2004, p. 178. 1019 V., article 32 de la loi sur les droits réels. 1020 CHEN Jianfu, « Unanswered questions and unresolved issues: comments on the law of law-making », in J. M. OTTO (et al.), Law-making in the People’s Republic of China, op. cit., p.250.

Page 308: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

300

279. - Dans le contentieux civil, le juge chinois est compétent pour trancher les

contentieux entre les parties comme « sujets égaux en droit civil »1021. L’entrée en

vigueur de la loi sur les droits réels, qui s’accompagne de l’augmentation des litiges

devant les tribunaux, a conduit la Cour populaire suprême à renouveler son règlement

intérieur relatif à la catégorisation des objets du litige en matière civile1022. Dans le

règlement intérieur sur les objets du litige, qui s’applique depuis le 1er avril 2008, est

inséré une troisième partie qui précise les objets du litige en droit des biens qui se

répartissent en six groupes. Il s’agit des litiges portant sur l’enregistrement des biens

immobiliers, sur la protection des droits réels, sur le droit de propriété, sur les droits

d’usufruit, des litiges portant sur les sûretés et sur la possession. Il en résulte que les

règles pour réaliser le droit au juge sont plus claires qu’auparavant. Cette amélioration

est d’autant plus importante que l’une des parties au contentieux appartient au groupe

« des personnes vulnérables ». En témoignent des usufruitiers qui sont souvent les

victimes de la violation du contrat de concession du droit d’usage du sol étatique ou

celle du contrat d’exploitation forfaitaire du sol rural. Comme l’ancien président de la

Cour populaire suprême XIAO Yang l’a révélé, l’amélioration du traitement des

contentieux civils relatifs au droit d’usage du sol étatique (A) et au droit d’exploitation

forfaitaire du sol rural (B) a été considérée comme l’une des priorités des activités des

tribunaux chinois1023.

A. – La compétence du juge dans le contentieux civil relatif au droit

d’usage du sol étatique

1021 V., article 8 de la loi de procédure civile. 1022 V., Cour populaire suprême, Avis sur la publication du règlement sur l’objet du litige (Guanyu yinfa minshi anjian anyou guiding de tongzhi), 4 février 2004, disponible sur le site http://www.court.gov.cn/lawdata/explain/civilcation/200803030002.htm, consulté le 16 avril 2008. 1023 XIAO Yang, Rapport d’activités de 2005 de la Cour populaire suprême, présenté devant la 4e session plénière de la Xe APN, disponible sur le site http://www.npc.gov.cn/dbdh/common/zw.jsp?label=WXZLK&id=347871&pdmc=zxbd, consulté le 19 mars 2006.

Page 309: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

301

280. - À défaut de règles législatives précises, la Cour populaire suprême a affirmé

ses compétences juridictionnelles par l’avis d’interprétation judiciaire1024 en ce qui

concerne le contentieux portant sur la validité ou la résiliation du contrat de concession

du droit d’usage du sol étatique. L’objectif de cet avis d’interprétation judiciaire

consiste à réduire la suppression arbitraire du droit d’usage du sol de la part des

autorités locales par le contrôle juridictionnel. Car, selon ledit avis d’interprétation, le

contrat de concession ne peut devenir caduc qu’en vertu de la décision du juge à l’issue

du contentieux. Il en résulte également que le titulaire du droit d’usage a le droit d’être

entendu par un juge en cas de violation du contrat de concession par des autorités

locales lui portant atteinte. Outre des règles procédurales, l’avis d’interprétation

judiciaire susmentionné prévoit les règles substantielles qui précisent les causes pour

lesquelles le contrat de concession peut être déclaré invalide. Il s’agit, outre les causes

de nullité du contrant de droit commun, des cas où les autorités locales ont outrepassé

leur compétence dans l’établissement du contrat de concession ou la prime de

concession est inférieure au plancher défini par la loi1025. Le juge peut également

décider la résiliation du contrat à la demande des autorités locales comme

concédant, lorsque le concessionnaire modifie l’usage des terres sans l’accord

préalable du concédant1026. Il faut souligner que le juge veille également à ce que

soient protégés les intérêts de la partie privée du contrat de concession. Car, à la

demande du concessionnaire –titulaire du droit d’usage– le contrat de concession peut

être résilié au cas où la partie de l’autorité locale refuserait de remplir ses obligations

contractuelles 1027 . Dans un cas comme dans l’autre, l’exécution du contrat de

concession du droit d’usage du sol est soumise au contrôle juridictionnel.

L’intervention du juge peut assurer, par son jugement impartial, l’équité entre les deux

parties du contrat. Le recours juridictionnel peut être utilisé par les concessionnaires

pour défendre leurs droits, alors que comme personnes privées ils ont une faible

position contractuelle par rapport à celle des autorités locales dans l’exécution du

contrat de concession. 1024 Cour populaire suprême, Avis d’interprétation n° 5 (2005), 18 juin 2005. 1025 V., articles 2 et 3 de l’avis d’interprétation de la Cour populaire suprême, n° 5 (2005). 1026 V., article 6 de l’avis d’interprétation de la Cour populaire suprême, n° 5 (2005). 1027 V., article 4 de l’avis d’interprétation de la Cour populaire suprême, n° 5 (2005).

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302

B. – La compétence du juge dans le contentieux civil relatif au droit

d’exploitation forfaire du sol rural

281. - Quant au contrat d’exploitation forfaitaire du sol rural, la Cour populaire

suprême a adopté un autre avis d’interprétation judiciaire en donnant les indications

plus précises pour résoudre les conflits relevant de l’exploitation forfaitaire du sol

rural1028. En effet, par l’avis d’interprétation judiciaire n° 6 (2005), la Cour populaire

suprême affirme que les tribunaux locaux de différents échelons sont compétents pour

traiter des contentieux civils relatifs à l’exercice du droit d’exploitation forfaitaire du

sol rural, ceux issus de l’exécution du contrat d’exploitation forfaitaire, ceux dans

lesquels le droit d’exploitation forfaitaire du sol a subi des atteintes à cause tous

d’autres actes illégaux. En pratique, les tribunaux locaux admettent les litiges qui

portent par exemple sur le transfert du droit d’exploitation forfaitaire du sol rural, la

distribution des indemnités parmi les membres de la collectivité concernés par les

mesures d’expropriation des terres collectives, ainsi que sur succession du droit

d’exploitation forfaitaire du sol, etc. Dans tous les cas, ce sont souvent les paysans qui

font grief des actes illégaux des entités économiques collectives dont ils sont membres.

L’intervention du juge peut avoir pour effet de réduire la possibilité de l’abus de

pouvoir par ces entités collectives dans l’administration et la gestion des terres

collectives. Par exemple, la suppression du droit d’usage par la résiliation unilatérale

du contrat forfaitaire sans cause justificative peut faire l’objet du contrôle

juridictionnel par voie de contentieux civil dès lors que les paysans dont les droits et

intérêts sont endommagés portent plaintes devant les tribunaux locaux.

282. - Néanmoins, la Cour populaire suprême s’abstient d’affirmer la compétence

juridictionnelle sur les contentieux liés à l’attribution du droit d’exploitation forfaitaire

du sol rural en vertu de la loi applicable1029. C’est-à-dire que les conflits entre les

collectivités locales d’une part et d’autre part leurs membres en ce qui concerne

l’attribution des terrains soumis au contrat d’exploitation forfaitaire ne constituent pas

1028 Cour populaire suprême, Avis d’interprétation n° 6 (2005), 29 juillet 2005. 1029 V., article 1, alinéa 2 de l’avis d’interprétation, n° 6 (2005).

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303

de contentieux civils admissibles devant les tribunaux. Selon l’avis d’interprétation de

la Cour populaire suprême, les affaires de ce genre devraient être d’abord traitées par

les gouvernements locaux compétents auxquels sont soumises les collectivités locales.

En amont, ce sont généralement les gouvernements locaux d’échelon de base qui

contrôlent, par voie administrative, la légalité et l’opportunité de l’attribution du droit

d’exploitation forfaitaire du sol rural par la collectivité locale. Au cas où les membres

d’une collectivité locale contesteraient la légalité de la décision du gouvernement local

qui contient son appréciation sur l’attribution des terres faite par ladite collectivité

locale, ils peuvent avoir recours devant les tribunaux compétents par voie de

contentieux administratif, car c’est l’acte administratif du gouvernement local qui

serait mis en cause. Ainsi, le droit des paysans à l’exploitation forfaire du sol rural

échappe au contentieux civil, mais peut être garanti à travers le contentieux

administratif.

Certes, il faut souligner qu’en vertu du règlement intérieur sur les objets du litige

qui s’applique depuis le 1er avril 2008, toutes les atteintes aux droits et intérêts des

membres de la collectivité sont considérées comme l’objet du contentieux civil. Il

semble donc que le juge peut désormais exercer un contrôle juridictionnel sur

l’attribution des terres collectives qui s’effectue dans le cadre de l’établissement du

contrat d’exploitation forfaitaire. Car, il n’y a guère doute que l’attribution du droit

d’exploitation forfaitaire soit dans les droits et intérêts des membres de la collectivité.

Par conséquent, on peut en déduire qu’est recevable le litige intenté par des paysans

membres à l’encontre de la collectivité à laquelle ils appartiennent concernant

l’attribution du droit d’exploitation forfaire du sol rural. À cet égard, l’avis

d’interprétation de la Cour populaire suprême semble avoir été modifié par le

règlement intérieur de 2008. Ce dernier est plus favorable aux paysans membres de la

collectivité dans la mesure où le recours à l’organe administratif supérieur n’est plus la

condition préalable obligatoire à l’action en justice, par conséquent, les paysans

peuvent être plus facilement entendus par le juge.

283. - Or, il est regrettable que l’avis d’interprétation de la Cour populaire suprême

limite la compétence du juge en matière d’indemnisation en cas d’expropriation des

terres collectives. Selon ledit avis d’interprétation judiciaire, doit être jugé irrecevable

Page 312: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

304

l’action intentée par les membres de la collectivité qui contestent le montant de

l’indemnisation au droit d’usage du sol en cas d’expropriation1030. Cette limitation peut

s’expliquer par la modalité de l’indemnisation établie par la loi sur l’administration du

sol. En effet, c’est la collectivité locale en tant que représentant de ses membres qui

reçoit directement les indemnités fixées dans la décision de l’autorité locale, ensuite,

les distribue parmi ses membres. Ces derniers n’ont pas le droit de contester la décision

de l’autorité locale en matière d’indemnisation puisque la propriété du sol collectif est

exercée non pas directement par les membres eux-mêmes mais par la collectivité qui

est, elle-même, l’expropriée de jure. Il faut toutefois souligner que la limitation à la

recevabilité de l’action intentée par les paysans ayant pour objet de contester

l’indemnisation injuste n’est plus légale avec l’entrée en vigueur de la loi sur les droits

réels, car l’article 42 de celle-ci prévoit sans équivoque le droit à l’indemnisation des

membres de collectivité en cas d’expropriation du sol collectif. Cette nouvelle

disposition établie par la loi sur les droits réels a pour effet de modifier la procédure

d’indemnisation prévue par la loi sur l’administration du sol, dans la mesure où la loi

sur les droits réels reconnaît désormais aux paysans le droit d’obtenir directement des

indemnités, tout en supprimant l’intermédiaire de la collectivité locale à laquelle

appartiennent les paysans membres. Pour que l’apport de la loi sur les droits réels soit

pleinement pris en compte dans la pratique judiciaire, l’avis d’interprétation

susmentionné de la Cour populaire doit être abrogé ou modifié, puisqu’il est en

contradiction avec la disposition de la loi sur les droits réels. En résumé, si le juge n’est

pas compétent pour trancher le litige en matière d’indemnisation par contentieux civil,

ce litige doit être recevable par voie de contentieux administratif.

§ 2. – La compétence du juge dans le contentieux administratif relatif au

droit de propriété

284. - Le contentieux administratif a pour objectif de protéger les citoyens contre

l’abus de pouvoir administratif et de contrôler la légalité des actes administratifs1031.

1030 V., article 1, alinéa 3 de l’avis d’interprétation n° 6 (2005). 1031 V., article 1er de la loi sur le contentieux administratif.

Page 313: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

305

La fonction du contentieux administratif en matière de droit de propriété est d’autant

plus importante que le civiliste chinois considère que l’exclusivité du droit de

propriété « appelle la démarcation entre droit privé et droit public »1032. L’impact du

droit administratif sur le droit des biens a été bien reconnu par les juristes chinois. Le

professeur YING Songnian a constaté que « le pouvoir administratif intervient par

divers moyens dans l’ensemble des mécanismes du droit des biens relatifs à

l’acquisition, à la modification, à la mutation et à l’extinction des biens »1033, et qu’il

est nécessaire de procéder à un « recensement des matières de droit administratif dans

la loi sur les droits réels»1034 afin que la protection du droit de propriété en droit privé

soit complétée par le droit public1035.

285. - Certes, la loi sur le contentieux administratif, qui est la source principale du

droit administratif en Chine, ne reconnaît pas au juge la compétence universelle à

l’égard du contrôle judiciaire des actes administratifs. En matière de droit de propriété,

il faut souligner qu’en dépit de l’affirmation de la compétence du juge (A), la

limitation de celle-ci (B) est imposée non seulement par les règles générales

applicables au contentieux administratif, mais aussi par les règles spéciales concernant

les recours juridictionnels en cas d’atteinte au droit de propriété résultant des actes

illégaux de l’administration. L’effectivité de la protection du droit de propriété exige

donc l’élargissement de la compétence juridictionnelle en matière de contentieux

administratif.

A. – L’affirmation de la compétence du juge dans le contentieux

administratif relevant du droit de propriété

1032 LIANG Huixing, « Zhiding he shishi wuquanfa yiyi zhongda (L’importance de l’élaboration et de la mise en oeuvre de la loi sur les droits réels)», Journal de la Cour populaire (Renmin fayuanbao), 5 avril 2007. 1033 YING Songnian, « Xingzhengquan yu wuquan zhi guanxi yanjiu (Étude sur la relation entre le pouvoir administratif et le droit des biens) », Zhongguo faxue (China Legal Science), n°5, 2007, p. 66. 1034 JIANG Bixin, LIANG Fengyun, « Wuquanfa zhong de ruogan xingwhengfa wenti (Les matières de droit administratif dans la loi sur les droits réels)», Zhongguo faxue (China Legal Science), n°3, 2007, pp. 138 et s. 1035 YING Songnian, « Xingzhengquan yu wuquan zhi guanxi yanjiu (Étude sur la relation entre le pouvoir administratif et le droit des biens) », loc.cit., p.72.

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306

286. - Le juge est compétent pour contrôler la légalité de certains actes

administratifs en vertu de la loi sur le contentieux administratif, entrée en vigueur le 1er

octobre 1990. L’article 11 de la loi de 1990 énumère les cas dans lesquels les

administrés peuvent intenter une action en cas de litige pour illégalité des décisions

administratives. Pour ce qui relève du droit des biens, il faut notamment souligner les

décisions administratives relatives à la confiscation des biens et à la limitation de

l’usage des biens tels que le gel, la saisie de biens1036. Il est également prévu que le

juge est compétent pour traiter le contentieux administratif contre le manquement de

l’administration à remplir ses fonctions de protection des biens des citoyens1037. De

manière plus générale, l’article 11 de la loi sur le contentieux administratif dispose que

le juge est compétent à traiter les litiges concernant les actes administratifs portant

atteinte à d’autres droits patrimoniaux des citoyens1038. Par la loi sur le contentieux

administratif, il est de principe que le juge puisse intervenir dans les litiges où les biens

des citoyens sont mis en cause par l’administration.

287. - La loi sur la révision administrative, entrée en vigueur depuis 1999, précise

davantage les actes de l’administration qui peuvent être révisés par l’autorité

compétente de hiérarchie supérieure dont la décision peut elle-même faire l’objet du

contentieux administratif1039. Parmi les actes de l’administration qui peuvent faire

l’objet de révision administrative, relayé par le contrôle juridictionnel, figurent ceux

qui relèvent du droit de propriété. Ainsi, l’article 6 de ladite loi prévoit que la

confiscation des biens et revenus, les mesures d’exécution prises par l’administration

telles que la saisie de biens et le gel de capitaux, ainsi que la décision administrative

confirmant la propriété ou le droit d’usage du sol et des ressources naturelles, peuvent

faire l’objet de révision. Il est également prévu par l’article 6 de la loi sur la révision

administrative que les individus, les personnes morales et d’autres organisations

sociales peuvent également contester l’illégalité des actes de l’administration portant

atteinte aux droits patrimoniaux en raison de la résiliation ou de la modification

1036 V., article 11, alinéa 1, paragraphes 1 et 2 de la loi sur le contentieux administratif. 1037 V., article 11, alinéa 1er, paragraphe 5 de la loi sur le contentieux administratif. 1038 V., article 11, alinéa 1er, paragraphe 8 de la loi sur le contentieux administratif. 1039 V., article 5 de la loi sur la révision administrative.

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307

unilatérale du contrat d’exploitation forfaitaire par l’administration 1040 ou de

l’imposition des charges pécuniaires en violation des lois1041, ainsi que le manquement

de l’administration dans l’accomplissement de ses fontions en matière de protection du

droit des biens1042. La loi sur la révision administrative prévoit en outre que les

administrés peuvent demander la révision des actes de l’administration portant atteinte

à leur droit à la liberté d’entreprendre, ce qui peut aussi contribuer à la protection du

droit de propriété du fait de son lien avec cette liberté.

288. - Il faut encore souligner l’apport de la loi sur l’autorisation administrative,

promulguée le 27 août 2003 et entrée en vigueur le 1er juillet 2004, en ce qui concerne

le contrôle juridictionnel sur les mesures de démolition des bâtiments dans des zones

urbaines. Le Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des

zones urbaines prévoit comme condition préalable à l’expropriation l’obtention du

permis de démolir. Celui-ci doit être sollicité par l’expropriant auprès des

gouvernements locaux à l’échelon du district 1043 . L’objectif de cette exigence

procédurale relative à la délivrance du permis de démolir est d’assurer par les

gouvernements locaux compétents la conformité du projet de démolition avec ledit

Règlement du CAE. Selon la loi sur l’autorisation administrative, le permis de démolir

tombe par nature dans la catégorie d’autorisation administrative qui peut faire l’objet

de contrôle juridictionnel à la demande des individus, des personnes morales et des

organisations sociales1044. Dans la pratique judiciaire, les habitants concernés par le

projet de démolition peuvent demander l’annulation du permis de démolir mais aussi

l’annulation des autres décisions administratives dans la phase précédant la démolition,

à savoir l’autorisation issue des organes de planification urbaine, l’autorisation

administrative concédant à l’expropriant le droit d’usage portant sur les parcelles de

terres où sont édifiées les habitations faisant l’objet de démolition1045. L’importance de

1040 V., article 6, paragraphe 6 de la loi sur la révision administrative. 1041 V., article 6, paragraphe 7 de la loi sur la révision administrative. 1042 V., article 6, paragraphe 9 de la loi sur la révision administrative. 1043 V., articles 6 et 7 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. 1044 V., article 7 de la loi sur l’autorisation administrative. 1045 PU Jingli, «Fangwu chaiqian xingzheng anjian de shouli yu shencha ( La recevabilité et l’examen des contentieux administratifs relatifs à la démolition des bâtiments dans des zones urbaines) »,

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308

la loi sur l’autorisation administrative réside également en son article 47 qui établit la

procédure d’audience publique préalable à l’adoption de toutes les autorisations qui

pourraient avoir des incidences sur les droits et intérêts des citoyens. Outre le cas où

l’audience publique peut être organisée d’office par le département gouvernemental,

elle peut également être initiée par les administrés concernés. Il ne fait guère de doute

que le permis de démolir affecte le droit de propriété des habitants, ceux-ci ont donc le

droit de demander l’audience publique et d’y assister afin de faire entendre leurs

opinions. La méconnaissance totale de la phase d’audience publique peut entraîner

l’annulation du permis de démolir pour vice de procédure des actes administratifs en

vertu de l’article 69 de la loi sur l’autorisation administrative. En s’appuyant sur cet

article, les habitants concernés par le permis de démolir peuvent donc demander devant

les tribunaux l’annulation de la décision administrative accordant le permis de démolir.

B. – La limitation de la compétence du juge dans le contentieux

administratif relevant du droit de propriété

289. - La limitation de la compétence du juge peut résulter de la disposition

législative (1). Plus paradoxalement, le règlement administratif peut aussi limiter la

compétence juridictionnelle sur certaines catégories de contentieux administratif, et la

Cour populaire suprême peut même refuser d’entendre certaines affaires par l’adoption

de l’avis d’interprétation judiciaire (2).

(1). – La limitation imposée par la loi

290. - La loi sur le contentieux administratif exclut le recours juridictionnel contre

les actes administratifs qui ne sont pas concrets, ainsi que les actes administratifs

légalement qualifiés comme « définitifs ». Selon l’article 2 de la loi sur le contentieux

administratif, seuls les actes administratifs concrets sont susceptibles d’être contrôlés

disponible sur le site http://www.chinacourt.org/public/detail.php?id=172308, publié le 5 août 2005 ; V., aussi, WANG Cailiang, Fangwu chaiqian yinan wenti jieda (Réponses aux questions difficiles relatives à l’expropriation des biens immobiliers dans les zones urbaines), Law Press China, 2005, pp. 35, 36.

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309

par le juge. Au lieu de donner une définition sur l’acte administratif concret, l’article

12, paragraphe 2, de la loi énumère les actes administratifs qui ne sont pas concrets. En

conséquence, c’est par l’interprétation a contrario qu’on peut en déduire ce qu’est

l’acte administratif concret. En vertu de cette disposition, le règlement, l’arrêté, ainsi

que la décision administrative « de portée générale, ayant vocation à s’appliquer à

l’ensemble des administrés »1046 ne sont pas les actes administratifs concrets, et par

conséquent, sont exclus du contentieux administratif. Selon la doctrine, ils sont les

actes administratifs « abstraits » qui s’étendent aux arrêtés locaux adoptés par les

gouvernements locaux au niveau provincial et aux arrêtés ministériels1047. Car il

appartient au pouvoir législatif de contrôler la légalité de ces actes administratifs qui

prennent la forme de textes normatifs, en vertu de la loi de 2000 sur l’élaboration des

normes juridiques et de la loi de 2007 sur la supervision par les comités permanents de

différents échelons1048.

291. - Certes, la différenciation entre les actes administratifs concrets et les actes

administratifs abstraits traduit la faiblesse du droit administratif substantiel en Chine,

puisque « rien ne permet de s’accorder sur la distinction entre un ordre de nature

générale (Allgemeinverfügung) qui peut être jugé devant un tribunal et un acte

normatif contre lequel aucune action en justice ne peut être entamée »1049. Cette

1046 Cour populaire suprême, Explications relatives à l’application de la Loi sur le contentieux administratif, publiées le 24 novembre 1999, l’article 3. 1047 Dans la pratique, l’élaboration des arrêtés tend à avantager les départements gouvernementaux dans leurs relations avec les administrés en élargissant leurs propres pouvoirs ou en renforçant leur contrôle sur les activités des individus. V., LI Shishi, « The State Council and law-making », in J. M. OTTO (et al.), Law-making in the People’s Republic of China, op. cit. p.104. 1048 V., Chapitre V de la loi sur la supervision par les comités permanents aux différents échelons. L’article 53 de la loi sur le contentieux administratif dispose que « dans les litiges administratifs, les tribunaux populaires se réfèrent aux arrêtés élaborés conformément aux lois et règlements administratifs ». Le terme « se référer » ne signifie pas qu’il faut totalement appliquer ou ignorer un texte, mais préconise que l’on s’y réfère et que l’on agisse selon les circonstances avec souplesse. À la différence de « suivre » ou « appliquer » un texte, « s’y référer » laisse un pouvoir d’appréciation: il est possible de l’admettre et de l’appliquer, totalement ou partiellement ou au contraire de ne pas le faire. Mais ce pouvoir discrétionnaire se limite à l’application concrète ; l’auteur de la référence ne peut pas, contrairement à l’autorité de contrôle ou d’approbation, confirmer ou infirmer l’objet de référence lui-même. V., LIU Han, « L’importance de la place et du rôle des arrêtés », in Li-Kotovtchikhine Xiao-Ying (sous la dir. de), Les sources du droit et la réforme juridique en Chine, op. cit., p.96. 1049 Robert HEUSER, « Le rôle des tribunaux administratifs dans les litiges entre les citoyens et le

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310

faiblesse qui exclut le contrôle juridictionnel sur des actes normatifs peut mettre en

cause le droit de propriété, ainsi en est-il en cas d’expropriation des terres collectives.

En vertu de l’article 45 de la loi sur l’administration du sol, le projet d’expropriation

des terres collectives doit être approuvé soit par le CAE, soit par les gouvernements

provinciaux, en fonction de la catégorie des terres en cause. Certes, les décisions

d’approbation du CAE ou des gouvernements provinciaux ne peuvent pas être

considérées comme actes administratifs concrets aux termes de l’article 2 de la loi sur

le contentieux administratif. D’autant que de manière constante, le CAE –en tant que

gouvernement central de l’État– n’adopte que l’acte administratif abstrait sous forme

de règlements et que les décisions d’approbation données par les gouvernements

provinciaux ne s’adressent non plus directement aux expropriés déterminés. Il s’agit

des documents officiels de portée générale qui s’appliquent aux tous les sujets qui se

trouvent sur le territoire local sous leurs propres juridictions. Par conséquent, les

expropriés –dans la plupart des cas, des collectivités de paysans du village ou du

canton en cas d’expropriation des terres collectives– ne peuvent pas contester

l’illégalité des décisions d’approbation par voie de contentieux administratif, afin de

faire suspendre ou de faire abandonner le projet d’expropriation, même si ce projet ne

se justifie pas par l’intérêt public et moyennant l’indemnisation juste. La condition

d’intérêt public à l’expropriation des terres collectives échappe donc au contrôle

juridictionnel du fait de l’incompétence du juge face aux décisions d’approbation du

CAE ou des gouvernements provinciaux. Dans ce contexte, le contrôle juridictionnel

se réduit aux contentieux administratifs portant soit sur l’illégalité des actes des

gouvernements locaux d’échelon de base dans l’exécution du projet d’expropriation

déjà approuvé, soit sur l’expropriation manifestement illégale, à savoir l’appropriation

des terres collectives sans être préalablement approuvée selon la procédure définie par

la loi sur l’administration du sol. La distinction entre actes administratifs concrets et

actes administratifs abstraits qui sont exclus du contrôle juridictionnel est critiquable,

puisqu’un grand nombre d’actes administratifs concrets sont accomplis en vertu des

actes abstraits, et lorsque les juges examinent un acte concret, il est impossible de le

dissocier de l’acte administratif abstrait. Sans le pouvoir de contrôle d’un acte abstrait gouvernement chinois », Perspectives chinoises, n°78, 2003, p. 23.

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311

qui serait lui-même illégal, le contrôle de l’acte concret par les juges perd son sens, et

il leur est alors impossible de rendre un jugement légal, raisonnable et convaincant1050.

292. - L’article 12 de la loi sur le contentieux administratif exclut le droit des

citoyens au recours juridictionnel contre les actes administratifs qualifiés par la loi

comme « définitifs ». Ce qui est toutefois jugé inacceptable, car « l’exclusion de la

compétence judiciaire sur lesdits actes administratifs est en conflit avec le principe

d’État de droit »1051. En matière de droit des biens, il s’agit des cas énumérés par

l’article 30, alinéa 2, de la loi de 1999 sur la révision administrative. Outre les

décisions d’approbation sur l’expropriation des terres collectives qui sont également

des actes administratifs « définitifs », les décisions sur la révision administrative

adoptées par le CAE ou par les gouvernements au niveau de la province, de la région

autonome ou des municipalités subordonnées directement à l’autorité centrale, les

décisions administratives sur l’appartenance ou la concession du droit d’usage des

ressources naturelles échappent également au contrôle juridictionnel. Par conséquent,

le CAE et les gouvernements provinciaux ont le dernier mot sur la légalité des actes

administratifs qui eux-mêmes pourraient mettre en cause le droit de propriété au sens

large.

293. - L’article 30, alinéa 1er, de la loi de 1999 sur la révision administrative prévoit

également que des actes administratifs concrets susceptibles de porter atteinte au droit

de propriété sur les ressources naturelles ou au droit d’usage des personnes privées sur

les ressources naturelles –y compris les ressources minérales, les eaux, les forêts, les

montagnes, les prairies, les terres incultes, les bancs de sable et de vase, ainsi que les

zones maritimes– ne peuvent être contrôlés par le juge qu’après la procédure de

révision administrative. Il s’agit d’une procédure préalable de contrôle administratif

obligatoire au contentieux administratif. Ainsi, les victimes des décisions illégales

doivent préalablement demander la révision des actes en cause à l’organe administratif

de hiérarchie supérieure. Dès lors que l’organe administratif supérieur adopte sa

décision à l’issue de la procédure de révision, les personnes concernées par la décision

1050 V., LIU Han, « L’importance de la place et du rôle des arrêtés », op. cit., p. 102. 1051 YING Songnian (ed.), Xingzhengfa yu xingzheng susongfaxue (Droit administratif et contentieux administratif), Law Press China, 2005, p. 467.

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312

de l’organe administratif supérieur peuvent saisir le juge en vue de déclencher la

procédure de contentieux administratif.

(2). – La limitation imposée par le règlement et l’avis d’interprétation judiciaire

294. - La limitation de la compétence du juge par le règlement et l’interprétation

judiciaire existe dans les affaires de démolition des bâtiments dans des zones urbaines.

L’article 13 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des

zones urbaines dispose que l’expropriant qui a obtenu le permis de démolir doit

conclure un accord avec les propriétaires ou les locataires des bâtiments d’habitations

en ce qui concerne l’indemnisation. Le mécanisme d’arbitrage administratif est prévu

en cas de conflit entre l’expropriant et les expropriés concernant le montant des

indemnités. Il s’agit de l’arbitrage par le département responsable des affaires de

démolition ou le gouvernement local auquel ledit département est adjoint1052. La

décision d’arbitrage ainsi adoptée constitue l’acte administratif qui vise à trancher les

conflits entre deux parties dont les statuts sont présumés égaux l’un par rapport à

l’autre1053. Cette décision est susceptible d’être contestée par voie de contentieux

administratif selon l’article 16, aliéna 2, dudit Règlement du CAE. En d’autres termes,

la décision d’arbitrage sur les disputes en matière d’indemnisation et de relogement

n’est pas décisive. Certes, selon l’article 16, alinéa 2, du Règlement du CAE, le recours

juridictionnel à l’encontre de la décision d’arbitrage administratif n’a pas d’effet

suspensif, dès lors que l’expropriant a versé l’indemnité monétaire aux habitants ou a

fourni une nouvelle habitation pour le but de relogement. C’est-à-dire que le recours

juridictionnel intenté par les expropriés contre l’expropriant au sujet de l’indemnisation

n’empêche pas la destruction de leurs bâtiments d’habitations par les mesures

d’exécution prises par les gouvernements locaux, souvent avec le concours de la force

1052 Les règles procédurales de l’arbitrage administratif en matière de démolition des bâtiments dans des zones urbaines sont davantage précisées par l’arrêté du Ministère de la Construction en date du 30 décembre 2003. 1053 YING Songnian, Xingzhengfa yu xingzheng susongfa (Administrative law and administrative litigation law), op. cit., p. 265.

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313

publique ordonné par les tribunaux locaux en vertu de la loi de procédure civile1054. Il

est très fréquent que la démolition des bâtiments soit réalisée, alors même qu’est en

cours devant le juge le contentieux administratif mettant en cause le caractère injuste et

irraisonnable de l’indemnisation ou de la condition du relogement. Cette situation là ne

peut être très défavorable aux expropriés.

295. - La Cour populaire suprême, par son avis d’interprétation judiciaire n° 9

adopté en 2005, dispose que le contentieux administratif portant sur l’indemnisation et

la condition de relogement dans le cas de démolition des bâtiments dans des zones

urbaines doit être obligatoirement précédé par la procédure d’arbitrage administratif

prévue par ledit Règlement du CAE. Il en résulte que la plainte visant à contester

l’indemnisation injuste portée par l’exproprié qui n’a pas préalablement demandé

l’arbitrage administratif est irrecevable devant les tribunaux1055. Dans ce contexte,

l’utilité du contrôle par le juge sur la légalité des décisions administratives autorisant la

démolition des bâtiments dans des zones urbaines ne peut qu’être mise en cause. Car,

en aucun cas le recours juridictionnel demandé par les expropriés ne peut empêcher la

démolition de leurs habitations par les autorités gouvernementales, alors que la

fonction du juge se réduit par conséquent à évaluer l’indemnisation1056. Suite à la

promulgation de la loi sur les droits réels en 2007, la Cour populaire suprême envisage

à élaborer de nouveaux avis d’interprétation judiciaire qui peuvent renforcer la

compétence du juge dans le contentieux administratif relatif à la démolition des

bâtiments dans des zones urbaines1057. Cela pourrait davantage permettre « à la justice

administrative de redevenir conforme aux dispositions législatives »1058. Mais il reste à

examiner si le juge a les pouvoirs suffisants pour effectivement contrôler les actes

administratifs. 1054 La loi de procédure civile fut promulguée le 9 avril 1991 et modifiée le 28 octobre 2007. La loi telle que modifiée en 2007 est entrée en vigueur le 1er avril 2008. 1055 Cour populaire suprême, Réponse à la question d’interprétation demandée par la Cour supérieure de province Zhejiang, 1er août 2005. 1056 WANG Cailiang, Fangwu chaiqian jiufen jiaodian shiyi (Explications sur les conflits dans la démolition et le déplacement urbains), Law Press China, 2004, p. 111. 1057 WANG Cailiang, Fangwu chaiqian yinan wenti jieda (Réponses aux questions difficiles relatives à l’expropriation des biens immobiliers dans les zones urbaines), op. cit., pp. 112, 113. 1058 LI Changdao, ZHANG Li, « L’évolution récente du contentieux administratif en Chine », Gazette du Palais, recueil juillet-août 2004, p. 2230.

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314

Sous-section 2. – Les pouvoirs du juge

296. - Si, en droit français, les juges administratifs et judiciaires ne sont pas à l’abri

des critiques en matière de contrôle juridictionnel sur les atteintes au droit de

propriété1059, les juges chinois sont d’autant plus critiquables qu’ils se montrent tantôt

réticents tantôt impuissants à pleinement exercer leur fonction dans la garantie

juridictionnelle du droit de propriété dont l’effectivité et l’efficacité ne peuvent qu’être

largement affaiblies. La limite des pouvoirs des juges dans l’exercice de la compétence

de contrôle juridictionnel sur les atteintes au droit de propriété n’est que la

manifestation concrète du statut problématique du juge chinois : tant que

l’indépendance judiciaire n’est pas assurée, le pouvoir du juge se heurte aux limites

imposées à la fois par le pouvoir législatif (§ 1) et par le pouvoir réglementaire (§ 2).

§ 1. – La limite des pouvoirs du juge au regard du pouvoir législatif

297. - Les pouvoirs du juge sont limités par le législateur dans la mesure où il est

impossible pour le juge de contrôler la constitutionnalité des normes juridiques (A)

d’une part et, d’autre part, l’avis d’interprétation judiciaire des règles de droit qui est

utile dans la mise en oeuvre des garanties de droit fait aussi l’objet de contrôle par le

pouvoir législatif. Ce contrôle est exercé par le Comité permanent de l’APN et les

comités permanents des assemblées populaires locales au nom de la supervision

constitutionnelle et de la supervision législative (B).

A. – L’impossible contrôle juridictionnel de constitutionnalité des

normes juridiques

298. - Selon la doctrine française, il est admis que le juge ordinaire peut contrôler la

constitutionnalité d’un acte administratif ou d’un acte de droit privé, même des lois et

1059 V., par ex., Gilbert GANEZ-LOPEZ, « Le juge de l’expropriation entre la puissance publique et le propriétaire », in Un droit inviolable et sacré : La propriété, Association des Études foncières, 1989, pp. 170 à 187.

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315

des traités, comme un prolongement logique, naturel et nécessaire des exigences de

l’État de droit et le résultat de l’emprise des droits et libertés fondamentaux sur le

système juridique1060. Certes, « le contrôle de constitutionnalité des normes relève, de

manière générale de la compétence du Conseil constitutionnel, et les juridictions

ordinaires ne disposant à ce titre que d’une compétence subsidiaire »1061.

En contraste, en vertu de la Constitution chinoise, l’APN et son Comité

permanent conservent le monopole du pouvoir d’interpréter la Constitution et de

superviser l’application de la Constitution par tous les autres sujets. La loi de 2000 sur

l’élaboration des normes juridiques consolide ce monopole dans la mesure où est

désormais institué le régime d’examen par l’APN et son Comité permanent sur les

règlements administratifs et locaux et les arrêtés, afin de contrôler par ces derniers sur

la constitutionnalité, la légalité ainsi que le respect de la hiérarchie de différentes

normes. Dans l’affaire « des semences de Luoyang » en 20031062, madame la juge LI

Huijuan annulait dans un contentieux civil le règlement d’administration des semences

adopté par l’assemblée populaire provinciale du Henan au motif que le règlement local

en cause était en conflit avec la loi nationale. La juge provocatrice mécontentait

l’assemblée populaire provinciale du Henan qui publiait ensuite un communiqué

officiel exigeant de la cour intermédiaire de Luoyang qu’elle poursuivît en

responsabilité la juge LI, en lui reprochant d’avoir illégalement annulé le règlement

local, car le pouvoir d’annulation des règlements locaux appartient au Comité

permanent de l’APN en vertu de la loi de 2000. Malgré la réintégration de Madame LI

dans ses fonctions en février 2004, l’affaire est typique dans la mesure où elle

démontre que les juges chinois sont dépourvus de pouvoir dans l’annulation des

règlements par voie d’exception d’illégalité dans le traitement des contentieux.

D’ailleurs, l’article 90 de la loi de 2000 prévoit seulement la possibilité pour la Cour

suprême de demander à l’APN et à son Comité permanent d’examiner des règlements

1060 Bertrand MATHIEU, Michael VERPEAUX, Contentieux constitutionnel et des droits fondamentaux, LGDJ, 2002, pp. 116, 117. 1061 Ibid., p. 118. 1062 V., reportage de TIAN Yi, WANG Ying, « Yige faguan de mingyun yu ‘fatiao dichu zhibian’ (Le destin d’une juge et le débat sur le conflit entre les normes de droit) », Ershiyi shiji jingji baodao (21st Century Business Herald), 17 novembre 2003, p. 5.

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316

qu’elle juge inconstitutionnels ou illégaux. En théorie, si un juge met en doute la

constitutionnalité ou la légalité d’un règlement dans un litige, il doit suspendre la

procédure juridictionnelle et solliciter l’avis de la Cour populaire suprême qui

elle-même peut solliciter le Comité permanent de l’APN d’examiner règlement en

cause. Dès que le Comité permanent de l’APN débouche sur le résultat de l’examen, le

juge reprend la procédure juridictionnelle et tranche l’affaire prenant dûment en

compte la décision du Comité permanent sur la constitutionnalité ou la légalité du

règlement. Cependant, dans la pratique, le mécanisme d’examen des règlements

institué par la loi de 2000 pouvait souvent être dispensé par le juge en empruntant la

technique d’ « interprétation conforme ». Car, en interprétant le règlement en cause de

manière à le rendre conforme à la Constitution et à la loi, le juge chinois peut

contourner la phase de l’examen par le Comité permanent par souci d’efficacité du

traitement des litiges1063.

299. - Quant à la question de savoir si le juge chinois peut écarter l’application des

lois par voie d’exception d’inconstitutionnalité, la réponse ne peut qu’être négative

selon la Constitution de 1982 et la loi de 2000 sur l’élaboration des normes juridiques,

puisque toutes les deux conservent le pouvoir d’annulation ou de modification des lois

à l’APN et à son Comité permanent. Toutefois, le juge chinois a tenté de faire des

avancées dans certaines affaires, provoquant ainsi des débats concernant la mise en

place d’un véritable régime de contrôle de constitutionalité des lois en droit chinois.

Ainsi, par un avis d’interprétation du 13 août 2001, la 1ère chambre civile de la Cour

suprême a-t-elle pour la première fois considéré que la violation d’un principe

constitutionnel –précisément dans cette affaire le droit à l’éducation– peut donner lieu

à la responsabilité de réparation sans le support d’une loi1064. Certes, l’affaire s’agissait

d’un conflit privé. L’avis d’interprétation de la Cour populaire suprême n’était pas à la

hauteur de l’attente selon laquelle un mécanisme de contrôle constitutionnel sur les 1063 V., HAN Dayuan, Zhongguo xianfa shili yanjiu (Étude sur les affaires constitutionnelles en Chine), Law Press China, 2005, p. 302. 1064 Par la décision récente de la Cour populaire suprême, l’avis d’interprétation sur le droit à l’éducation fut aboli au motif qu’il fut déjà suspendu d’être appliqué. V., Cour populaire suprême, Décision relative à l’abolition de certains avis d’interprétation adoptés avant la fin de 2007, Fashi (2008) 15, publié par le communiqué officiel du 18 décembre 2008 et entré en vigueur le 24 décembre 2008.

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317

textes normatifs pourrait s’établir sur la base de l’avis d’interprétation judiciaire au

nom de la protection des droits fondamentaux. Car il reste hautement improbable

jusqu’à aujourd’hui qu’un plaignant obtienne réparation de l’État en cas de violation

par la puissance publique des droits fondamentaux reconnus par la Constitution, par

excellence, le droit à la liberté d’expression, de réunion et de manifestation proclamé

par l’article 35 de la Constitution de 19821065. À la suite de l’affaire dite « des

semences de Luoyang » susmentionnée, a resurgi le débat sur la mise en place d’un

régime de contrôle de constitutionnalité par le renforcement du pouvoir du juge en lui

permettant d’annuler les textes normatifs issus des assemblées populaires locales par

voie d’exception d’illégalité ou d’inconstitutionnalité1066. À l’occasion des travaux

préparatoires pour la modification de la loi sur l’organisation des cours populaires1067,

certains juristes ont proposé de revaloriser le statut des organes juridictionnels par

rapport aux organes législatifs locaux visant à reconnaître la pleine indépendance du

pouvoir judiciaire1068. Certes, à défaut d’engagements de la part du gouvernement, la

réforme des organes juridictionnels ne peut qu’être sporadique1069. À cet égard, force

est de constater qu’au lieu de redresser le déséquilibre qui se caractérise par la faiblesse

des organes juridictionnels par rapport au pouvoir législatif, la tendance est de

restreindre les pouvoirs du juge notamment en ce qui concerne l’interprétation

judiciaire des règles de droit.

B. – Le contrôle législatif sur l’avis d’interprétation judiciaire

1065 V., Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p.565. 1066 V., CHANG An, « Guanyu luoyang zhongzi shijian de xikao (À propos de l’affaire « des semences de Luoyang) », disponible sur le site http://www.law-thinker.com/special.asp?SpecialID=41, consulté le 18 octobre 2006. V., aussi, reportage de ZENG Quansheng, «LI Huijuan shijian zai diaocha (De nouvelles investigations sur l’affaire LI Huijuan) », Shidaichao (Chinese times), 2004, n° 10, pp. 36, 37. 1067 La loi fut adoptée en 1979 et modifiée en 1983 et 2006. 1068 HE Weifang, « Fayuan mingcheng de bian yu bubian (Changer ou ne pas changer le nom des cours)», disponible sur le site http://www.carnegieendowment.org/pdf/2005-04-18/He_Courtsname.pdf, consulté le 2 mai 2008. 1069 LI Yuwen, « Court reform in China: problems, progress and prospects », in Jianfu CHEN, Yuwen LI, Jan Michiel OTTO (eds.), Implementation of law in the People's Republic of China, Kluwer Law International, 2002, pp. 80, 81.

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318

300. - Alors que la notion de jurisprudence est destinée à réduire la tension qui

existe entre la fonction de légiférer et celle de juger1070, la création du droit par les

juges en Chine prend toutefois la forme spéciale de l’avis d’interprétation judiciaire.

La Cour populaire suprême et le Parquet populaire suprême peuvent édicter, dans leur

activité d’interprétation, des règles de portée générale ayant force obligatoire. Leurs

avis d’interprétation judicaire sont donc considérés comme véritable source du droit

chinois1071. D’ailleurs, selon l’interprétation stricte de la Constitution de 1982, les

tribunaux chinois sont même tenus à prendre en compte dans leurs décisions la

protection des droits de l’homme dont le principe a été proclamé par la révision

constitutionnelle de 2004, tout au moins lorsque la loi chinoise n’est pas claire ou est

ambiguë sur certains points1072. Certes, si l’avis interprétation judiciaire peut être

utilisé par le juge pour conserver une certaine marge de manoeuvre dans la mise en

oeuvre des règles de droit pour trancher les affaires qui sont portées devant lui (1),

l’exception d’inconstitutionnalité est toutefois hors de question. Le pouvoir

quasi-normatif du juge par le biais des avis d’interprétation judiciaire est d’autant plus

restreint que la loi sur la supervision par les comités permanents des assemblées

populaires de différents échelons établit le mécanisme de contrôle qui peut

éventuellement réduire l’utilité de l’interprétation judiciaire dans sa fonction de

combler les lacunes législatives (2).

(1). – L’exemple de l’utilité de l’interprétation judiciaire en matière de droit de

propriété

301. - Suite à la proclamation constitutionnelle du droit de propriété privée,

l’amélioration du traitement des contentieux relatifs au droit d’usage du sol étatique et

au droit d’exploitation forfaitaire du sol rural fut considérée comme la priorité des

1070 V., Guy CANIVET, « Activisme judiciaire et prudence interprétative : Introduction générale », in La création du droit par le juge, Archives de philosophie du droit, t. 50, 2007, pp. 7 à 32. 1071 X.-Y LI-KOTOVTCHIKHINE, « L’évolution des sources du droit chinois, de la première à la deuxième modernisation », in X.-Y LI-KOTOVTCHIKHINE (sous la dir. de), Les sources du droit et la réforme juridique en Chine, op. cit., p.33. 1072 CHEN Jianfu, « La dernière révision de la Constitution chinoise », op. cit., p.20.

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319

activités judiciaires par la Cour populaire suprême1073. Celle-ci adopta en 2005 deux

avis d’interprétation judiciaire visant à consolider l’ordre juridique de droits réels

établis sur les terres publiques, en apportant des règles complémentaires aux

législations déjà promulguées.

302. - Aux termes de l’avis d’interprétation judiciaire n° 5 (2005) relatif au

traitement des litiges issus du contrat de concession du droit d’usage du sol étatique, la

Cour populaire suprême précise les conditions dans lesquelles le juge peut décider la

nullité du contrat de concession du droit d’usage du sol étatique, ainsi que sur le

réajustement de la prime de concession du droit d’usage du sol étatique. L’intervention

du juge dans l’exécution du contrat de concession du droit d’usage du dol étatique peut

redresser le rapport inégal des deux parties du contrat, à savoir les personnes privées

concessionnaires du droit d’usage d’une part et, d’autre part, le gouvernement local

représentant l’État-propriétaire du sol : la résiliation unilatérale du contrat de

concession par l’autorité locale qui met en cause le droit d’usage du sol des personnes

privées peut faire l’objet du contrôle juridictionnel de la part du juge.

303. - L’avis d’interprétation n° 6 (2005) relatif au droit d’exploitation forfaire du

sol rural précise les conditions applicables à la cession du droit d’exploitation

forfaitaire du sol rural entre les membres d’une même entité économique collective.

Selon ledit avis d’interprétation judiciaire, la cession du droit d’exploitation forfaitaire

devient valide si l’entité économique collective à laquelle appartient le titulaire du droit

d’exploitation forfaitaire du sol s’abstient d’approuver dans un délai raisonnable ou

refuse de donner l’approbation sans fondement légal 1074 . L’entité économique

collective ne peut pas demander l’annulation du contrat de sous-traitance, du bail ou du

contrat d’échange ayant pour l’objet le droit d’exploitation forfaitaire du sol au seul

motif qu’elle a pas été préalablement notifiée 1075 . L’avis d’interprétation admet

également la succession du droit d’exploitation forfaitaire du sol rural avant l’échéance

du droit d’exploitation forfaitaire1076. De surcroît, en ce qui concerne la distribution des

1073 XIAO Yang, Rapport d’activités de 2005 de la Cour populaire suprême, disponible sur le site http://politics.people.com.cn/GB/1026/4215718.html, consulté le 2 mai 2008. 1074 V., article 13 de l’avis d’interprétation n° 6 (2005) de la Cour populaire suprême. 1075 V., article 14 de l’avis d’interprétation n° 6 (2005) de la Cour populaire suprême. 1076 V., article 25 de l’avis d’interprétation n° 6 (2005) de la Cour populaire suprême.

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320

indemnités en cas d’expropriation des terres collectives, l’avis d’interprétation précise

non seulement des indemnités pour certaines pertes encourues par les paysans1077, mais

aussi la procédure de délibération au sein des entités économiques collectives afin de

déterminer les modalités de la distribution des indemnités parmi les membres de

l’entité économique collective1078. Ces dispositions de l’avis d’interprétation judiciaire

ont été largement reprise par la loi sur les droits réels de 2007. Cependant, l’avis

d’interprétation interdit aux membres de l’entité économique collective d’hypothéquer

son droit d’exploitation forfaitaire ou de s’acquitter des dettes en cédant son droit

d’exploitation forfaitaire du sol à la personne autre que membre de la même entité

économique collective –en pratique, il s’agirait souvent des banques ou d’autres

institutions financières1079. Cette interdiction limite par conséquent la cessibilité du

droit d’exploitation forfaitaire qui lui-même est pourtant conçu comme droit réel. Il

faut constater que l’avis d’interprétation judiciaire n° 6 (2005) s’abstient d’apporter des

précisions sur les règles en vertu desquelles est défini le statut de membre d’une entité

économique collective ou d’une collectivité locale. Ces règles conditionnent pourtant

l’acquisition du droit d’exploitation forfaitaire du sol rural par les individus et le droit

de ces derniers à l’indemnisation en cas d’expropriation des terres collectives. Car

seule la personne ayant statut juridique de membre d’une entité économique collective

ou collectivité locale peut avoir le droit d’exploitation forfaitaire portant sur le sol sous

la juridiction territoriale de l’entité collective ou collectivité locale. Selon la Cour

populaire suprême, les règles ayant vocation à définir le statut de l’individu en tant que

membre de la collectivité relèvent des droits civils fondamentaux des paysans, par

conséquent, ces règles doivent être édictées par le Comité permanent de l’APN sous

forme de loi1080.

304. - L’interprétation judiciaire est d’autant plus attendue que de nouvelles

questions ont été soulevées avec l’entrée en vigueur de la loi sur les droits réels en 1077 V., articles 22 à 24 de l’avis d’interprétation n° 6 (2005) de la Cour populaire suprême. 1078 V., article 25 de l’avis d’interprétation n° 6 (2005) de la Cour populaire suprême, article 59 (3) de la loi sur les droits réels. 1079 V., article 15 de l’avis d’interprétation n° 6 (2005) de la Cour populaire suprême. 1080 CHEN Si, « Nongcun jiti jingji zuzhi chengyuan zige you renda jieshi (Le statut des individus membres de la collectivité doit être interprété par l’APN) », disponible sur le site http://www.chinacourt.org/public/detail.php?id=171383, consulté le 30 mars 2008.

Page 329: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

321

2007. Ces questions appellent des réponses précises pour que soit facilitée la mise en

oeuvre des règles de droit par le juge. Il s’agit d’abord de savoir comment concilier

l’éventuel conflit entre les nouvelles règles de la loi sur les droits réels et celles qui ne

sont pourtant pas abrogées, notamment en matière de sûretés réelles. Ensuite, de

nombreuses règles de la loi sur les droits réels relèvent de questions juridiques de droit

administratif, telles que l’expropriation et la réquisition, les conditions et modalités

relatives à l’inscription des biens immobiliers au registre, le statut juridique du comité

des villageois dans l’exercice du droit du sol collectif et l’acquisition du droit d’usage

du sol collectif pour la construction d’habitations, etc. De surcroît, l’accroissement des

confits en matière de copropriété conduirait également le juge à préciser davantage les

règles de droit par l’avis d’interprétation judiciaire1081. Lors d’une conférence de presse,

le vice-président de la Cour populaire suprême a révélé que celle-ci est en train

d’élaborer les avis d’interprétation judiciaire sur l’application des règles de droit dans

les contentieux auxquels s’applique la loi sur les droits réels1082. Il s’agirait des règles

plus précises et opérationnelles adoptées par la Cour populaire suprême qui

constituerait une source juridique complémentaire aux dispositions de la loi sur les

droits réels.

305. - Suite à l’entrée en vigueur de la loi sur les droits réels au 1er octobre 2007, les

litiges relevant des droits réels tendent à s’accroître devant les tribunaux et les cours

populaires. Les juges chinois se mettent actuellement à l’épreuve d’appliquer les

dispositions de la loi sur les droits réels dans les affaires concrètes. Sachant que de

nombreux avis d’interprétation furent adoptés par la Cour populaire suprême pour

guider les juges inférieurs dans le traitement des contentieux de droits réels avant

l’adoption de la loi sur les droits réels, et que certains avis d’interprétation ne sont plus

compatibles avec la loi sur les droits réels, la Cour populaire suprême n’a pas hésité à

donner de nouvelles directives quant à la relation entre les anciens avis d’interprétation

1081 Pour la présentation sur le contenu des avis d’interprétation en matière de copropriété, v., supra, n° 171, n° 172. 1082 V., reportage de TIAN Yu, DING Bing, « Zuigao fayuan yiqidong wuquanfa sifa jieshi qicao gongzuo (La Cour populaire suprême a entamé l’élaboration de l’avis d’interprétation judiciaire sur la loi sur les droits réels) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/legal/2007-07/04/content_6330119.htm, consulté le 2 mai 2008.

Page 330: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

322

et la loi sur les droits réels. En effet, par la décision relative à l’abolition de certains

avis d’interprétation adoptés avant la fin de 20071083, la Cour populaire suprême

énumère les avis d’interprétation qui ne sont plus applicables dans la pratique

judiciaire. La majorité des avis d’interprétation ainsi abrogés relèvent de différences

aspects des droits réels. Les motivations pour l’abolition des avis d’interprétation

concernent trois cas de figure : il s’agit d’abord des avis d’interprétation dont les

situations auxquelles ils s’appliquaient sont devenues désuètes –ce qui concerne

principalement les affaires relatives à la mutation de la propriété immobilière effectuée

pendant le mouvement de socialisation. Ensuite, des avis d’interprétation dont les

dispositions sont désormais remplacées par la loi sur les droits réels –c’est-à-dire que

ces dispositions ne sont pas contraires à la loi sur les droits réels, mais elles sont

remplacées par l’application du principe de lex posterior derogat legi priori. Il s’agit

des avis d’interprétation concernant le droit d’usage du sol collectif pour la

construction d’habitations des paysans et le droit d’exploitation forfaitaire du sol rural.

Troisièmement, certains avis d’interprétation sont abrogés pour leur manifeste

contradiction avec certaines dispositions de la loi sur les droits réels. Dans ce dernier

cas, il s’agit des avis d’interprétation qui refusèrent de reconnaître la validité du contrat

de vente des biens immobiliers à cause de l’absence de l’inscription obligatoire au

registre, des avis d’interprétation comportant certaines règles de sûretés réelles, ainsi

que des avis d’interprétation concernant les obligations et les responsabilités du

possesseur des choses perdues, les prescriptions, etc. Ces avis susmentionnés ne sont

plus compatibles avec la loi sur les droits réels, ont été par conséquent abrogés par

ladite décision de la Cour populaire suprême.

(2). – Le contrôle sur l’interprétation judiciaire

306. - Par la résolution sur le renforcement des activités d’interprétation des lois

adoptée par le Comité permanent de l’APN en 1981, la Cour populaire suprême et le

1083 Cour populaire suprême, Décision relative à l’abolition de certains avis d’interprétation adoptés avant la fin de 2007, Fashi (2008) 15, publié par le communiqué officiel du 18 décembre 2008 et entré en vigueur le 24 décembre 2008.

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323

Parquet suprême se sont vus confier le pouvoir d’interprétation des règles législatives

dans l’application des lois dans les cas concrets. Certes, dans la pratique,

l’interprétation judiciaire est créatrice dans la mesure où la Cour populaire suprême

élabore, à partir d’enquêtes et de recherches approfondies mais aussi de la pratique, des

interprétations abstraites afin de répondre aux questions générales posées par

l’application de la loi et aux sollicitations des tribunaux inférieurs. « Ainsi, l’interprète

agit à sa guise en laissant de côté la loi interprétée, comme si l’objet de

l’interprétation était tout le texte de cette loi »1084. Parce qu’il est utile de combler les

lacunes des lois, « l’interprétation judiciaire ultra vires était largement tolérée par

l’acquiescence tacite du législateur »1085. Les interprétations prennent en général la

forme d’avis, de circulaires ou de mesures, et jouent un rôle aussi important que la loi

et constituent un fondement direct dans l’activité judiciaire. Néanmoins, au lieu de

marginaliser la loi, « l’interprétation de la loi en Chine traduit pleinement les

exigences politiques liées au régime d’assemblées populaires et au centralisme

démocratique »1086. Pourtant, l’interprétation judiciaire est critiquée pour ses défauts

du fait de son empiètement sur le pouvoir législatif et du fait de son caractère non

uniforme et la procédure peu transparente de l’élaboration de l’avis d’interprétation

judiciaire1087. La loi de 2000 sur l’élaboration des normes juridiques ne prévoit que

l’examen des règlements et des arrêtés par le Comité permanent de l’APN, alors qu’en

vertu de la loi sur la supervision par les comités permanents des assemblées populaires

de différents échelons, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, le pouvoir d’examen du

Comité permanent de l’APN s’étend aux avis d’interprétation de la Cour suprême

populaire ainsi qu’à ceux du Parquet suprême, dont l’objectif est d’« assurer la

compatibilité entre les avis d’interprétation judicaire et la loi »1088. La loi de 2007

1084 DONG Gao, Sifa jieshi lun (L’interprétation judiciaire), zhongguo zhengfa daxue chubanshe, 1999, p.16. 1085 LI Wei, « Judicial interpretation in China », 5 Willamette J. Int’l L. & Disp. Resol. 87, pp. 104, 105. 1086 CHEN Chunlong, « La place et les fonctions de l’interprétation judiciaire en Chine », in Les sources du droit et la réforme juridique en Chine, op. cit., p. 221. 1087 Stanley LUBMAN, Bird in a cage: legal reform in China after Mao, op. cit., p. 284. 1088 QIAO Xiaoyang, « La loi sur la supervision et les travaux de supervision du Comité permanent de l’APN (Jiandufa yu quanguo renda de jiandu gongzuo) », conférence donnée aux membres du Comité permanent et aux membres des comités spécifiques de l’APN, disponible sur le site

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324

dispose que les avis d’interprétation émanant de la Cour populaire suprême ou du

Parquet populaire suprême, généralement dénommés comme l’« interprétation

judiciaire », doivent être rapportés au Comité permanent dans les 30 jours à partir de la

date de son adoption. Le Comité permanent de l’APN peut examiner soit d’office, soit

sur la proposition des personnes publiques déterminées ou des personnes privées, la

légalité des avis d’interprétation qui lui sont soumis 1089 . Au cas où des avis

d’interprétation seraient considérés incompatibles avec les règles législatives par le

Comité des lois et d’autres comités spéciaux de l’APN, ces comités de l’APN auraient

le droit d’initier la proposition sur l’abrogation ou la modification des avis

d’interprétation en cause par la Cour populaire suprême ou le Parquet suprême. Au cas

où ces derniers refuseraient de les abroger ou de les modifier, ces comités de l’APN

peuvent demander au Comité permanent de l’APN de donner l’interprétation

législative en vue d’annuler les avis d’interprétation judiciaire contraires aux lois1090. Il

en résulte que désormais, l’« interprétation judiciaire », comme les règlements

administratifs et locaux, sont mêmes contrôlés par le Comité permanent de l’APN. Le

Président du Comité permanent de l’APN WU Bangguo a fait état lors de la 4e session

de la Xe APN que l’examen des règlements et de l’ « interprétation judiciaire » est la

mesure concrète pour régulariser le fonctionnement du Comité permanent et renforcer

le contrôle des textes normatifs qui figurent parmi les objectifs poursuivis par

l’APN en tant qu’organe suprême des pouvoirs de l’État1091. Il faut remarquer qu’en

subordonnant l’« interprétation judiciaire » au contrôle de la légalité par le Comité

permanent de l’APN, la marge de manoeuvre de l’autorité judiciaire est plus restreinte

qu’auparavant.

http://npc.people.com.cn/GB/28320/120667/7185572.html, consulté le 10 mai 2008. 1089 V., articles 31 et 32 de la loi sur la supervision par les comités permanents des assemblées populaires de différents échelons. 1090 V., article 33 de la loi sur la supervision par les comités permanents des assemblées populaires de différents échelons. 1091 WU Bangguo, Rapport d’activités du Comité permanent de l’APN, présenté devant la 4e session de la Xe APN, disponible sur le site http://www.npc.gov.cn/dbdh/home/index.jsp?hyid=011004, consulté le 18 mars 2006.

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325

§ 2. – La limite des pouvoirs du juge au regard de l’autorité administrative

307. - Le droit chinois permet aux organes administratifs de prendre certaines

mesures qui pourraient porter atteinte au droit de propriété, sans pour autant prévoir

l’intervention du juge comme condition préalable à la prise de ces mesures. S’il est

vrai que le contrôle juridictionnel sur les mesures administratives est très marginalisé

en Chine (A), ce contrôle peut, dans une moindre mesure, viser les actes

d’expropriation manifestement illégaux, y compris par exemple l’expropriation des

terres collectives sans l’approbation préalable selon l’exigence de la loi applicable.

Certes, même dans des cas où la légalité des actes de l’administration est

manifestement mise en cause, le pouvoir d’injonction des organes juridictionnels

éprouve des difficultés (B), de sorte que l’utilité du contrôle juridictionnel des atteintes

au droit de propriété ne peut qu’être relativement réduite.

A. – La marginalisation du contrôle juridictionnel sur la prise des

mesures administratives

308. - De manière plus concrète, la faiblesse du contrôle juridictionnel existe non

seulement dans la procédure de démolition des bâtiments dans des zones urbaines (A),

mais aussi dans bien d’autres domaines où le droit de propriété peut être mis en cause

par les mesures administratives (B).

(1). – Le faible contrôle juridictionnel sur la démolition des bâtiments dans des zones

urbaines

309. - En droit français, le recours à la contrainte par l’administration comme moyen

d’exécution d’office ou d’exécution forcée est enfermé dans des conditions précises

définies par la loi ou développé par la jurisprudence1092, alors qu’en droit chinois le

pouvoir de l’administration est beaucoup moins contrôlé et par conséquent plus

discrétionnaire dans la prise des mesures forcées. En cas de démolition des bâtiments 1092 Jean RIVEO, Jean WALINE, Droit administratif, 22e éd., Dalloz, 2008, §423.

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326

dans des zones urbaines, le règlement du CAE confère aux gouvernements locaux au

niveau du district ou de la commune le pouvoir de procéder d’office à la démolition

des habitations, à l’échéance du terme défini par le permis de démolir ou par la

décision d’arbitrage administratif concernant l’indemnisation. Les gouvernements

locaux peuvent même solliciter le concours de l’autorité judiciaire à la démolition des

bâtiments par les mesures d’exécution forcée prévues par la loi de procédure civile1093.

À cet égard, il faut notamment souligner l’article 226 de la loi de procédure civile qui

précise les modalités de l’exécution de la démolition des bâtiments dans des zones

urbaines ou de l’expropriation des terres collectives dans des zones rurales. Selon cet

article, les biens personnels des expropriés peuvent être déménagés sans leur

consentement préalable pour effectuer la destruction des habitations ou pour évacuer

les terres occupées. La loi de procédure civile prévoit également que des actions de

résistance à l’encontre des mesures d’exécution prises par les tribunaux constituent une

infraction faisant l’objet de sanctions administratives qui sont l’astreinte, la détention

provisoire de la personne. En cas de gravité, les personnes qui ont commis lesdites

infractions seront sanctionnées par la loi pénale1094. C’est la raison pour laquelle

l’expropriation des habitations urbaines se nomme plus pratiquement « démolition et

expulsion forcées ». Il faut rappeler qu’en droit français, « en confiant une partie de

contentieux de l’expropriation au juge judiciaire, le législateur français ne l’a pas fait

sans réticences, et de nombreuses dispositions, tant de procédure que de fond,

témoignent de la méfiance des pouvoirs publics à son encontre »1095. Au regard de

l’expérience du droit français, le rôle du juge chinois est beaucoup plus marginalisé

face à l’autorité administrative. À la possibilité pour les gouvernements locaux de

procéder à l’exécution d’office de la démolition, s’ajoute le caractère non suspensif du

contentieux administratif, ce qui met l’exproprié dans une situation assez défavorable

et précaire. Car les gouvernements locaux peuvent d’abord délivrer à l’expropriant le

permis de démolir en indiquant une période de démolition en faveur de l’expropriant

1093 V., article 17 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. 1094 V., article 102 (5), (6) de la loi de procédure civile ; article 313 de la loi pénale. 1095 Gilbert GANEZ-LOPEZ, « Le juge de l’expropriation entre la puissance publique et le propriétaire », in Un droit inviolable et sacré : La propriété, op. cit., p. 174.

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327

mais qui s’impose comme une contrainte aux exproprié, puis procéder d’office à la

démolition ou demander aux tribunaux locaux de prendre des mesures d’exécution

forcée de la démolition à l’issue de la période ainsi indiquée. En pratique, sous la

pression du gouvernement local, les tribunaux locaux ne peuvent que consentir à

apporter leur concours pour les mesures d’exécution forcée. L’examen par le juge sur

le bien-fondé du permis de démolir par voie de contentieux administratif est donc

illusoire. Dans ce contexte où les tribunaux locaux collaborent avec les gouvernements

locaux, il existe de nombreux cas où le droit de propriété des habitants urbains sur

leurs bâtiments d’habitations s’expose à l’abus flagrant du pouvoir des gouvernements

locaux1096. Ces derniers n’ont pas hésité, dans certains cas radicaux, à prendre des

mesures portant atteinte à la liberté individuelle ou à la personne physique des

habitants urbains, afin de démolir les bâtiments d’habitations1097.

(2). – Le faible contrôle juridictionnel dans d’autres cas d’atteinte au droit de propriété

310. - Outre la démolition des bâtiments dans des zones urbaines –qui avait pris une

certaine ampleur et par conséquent avait provoqué des répercussions sociales, avant

que le gouvernement central n’ait pris la décision de la soumettre au contrôle plus

rigoureux–, le pouvoir de prendre la mesures d’exécution sur les biens des administrés

dans bien d’autres domaines est également conféré aux organes administratifs. Parmi

ces cas d’atteintes au droit de propriété, il faut notamment citer le pouvoir des

administrations fiscales dans l’exercice des contraintes sur les biens des contribuables.

En vertu de l’article 40 de la loi d’administration fiscale de 2001, les administrations

fiscales au niveau du district et au niveau supérieur peuvent décider du prélèvement sur

le compte bancaire du contribuable à un certain montant ou de la saisie, du gel et de la

vente des biens du contribuable dans la limite de la valeur correspondant aux impôts

1096 V., par ex., reportage de l’Agence de presse Xinhua, « Hunansheng, jianshebu yasu chachu jiahe weifa qiangzhi chaiqian anjiqn (La province du Hunan et le Ministère de la Construction sanctionnent sévèrement la démolition forcée illégale à Jiahe) », disponible sur le site http://www.people.com.cn/GB/shizheng/1027/2547737.html, consulté le 4 juin 2004. 1097 WANG Cailiang, Fangwu chaiqian yinan wenti jieda (Réponses aux questions difficiles relatives à l’expropriation des biens immobiliers dans les zones urbaines), op. cit., pp. 239, 266 et 332.

Page 336: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

328

qui n’ont pas été dûment acquittés, à l’exception toutefois des biens nécessaires pour la

vie quotidienne tels que la maison ou d’autres objets d’usage courant. D’ailleurs,

l’article 54 de la loi d’administration fiscale dispose que les administrations fiscales

peuvent mener l’inspection, dans le lieu d’opération l’entreprise, sur les produits et

marchandises et d’autres biens des contribuables afin de lutter contre la fraude fiscale.

Toutes ces mesures susmentionnées peuvent être prises de manière autonome par les

administrations fiscales et sans intervention préalable du juge. Les personnes qui ont

subi des atteintes causées par lesdites mesures ne peuvent que présenter a posteriori la

plainte par voie de contentieux administratif en vue d’obtenir la réparation.

311. - La loi sur les sanctions administratives adoptée en 1996 constitue la base

juridique sur laquelle les organes administratifs compétents peuvent imposer des

sanctions administratives aux administrés au motif que les activités de ceux-ci ont

violé les règles de police administrative. Parmi les sanctions administratives prévues

par loi, figure l’amende, la confiscation de revenus et biens illégaux1098. Comme

mesures d’exécution des sanctions administratives, l’astreinte, la saisie de biens et le

gel de comptes bancaires, ainsi que la vente des biens détenus par les organes

administratifs peuvent être employés par les organes administratifs à l’encontre des

administrés désobéissants1099. Les sanctions administratives peuvent faire l’objet de

contrôle a posteriori juridictionnel ou non juridictionnel par voie de révision

administrative1100. En vue de contraindre les organes administratifs et leurs agents à ne

pas abuser les sanctions administratives, les responsabilités civiles de compensation

des organes administratifs et de leurs agents et les sanctions disciplinaires sont prévues

en cas où la prise des sanctions administratives serait illégale, et par conséquent,

porterait atteinte au droit de propriété des administrés1101. Certes, l’abus de sanction

administrative par les organes administratifs dans la quête de leurs propres intérêts

illégitimes et les abus de pouvoir par leurs agents continuent d’être un phénomène

préoccupant. « L’amende abusive, la perception abusive des frais pour le service

public et la distribution abusive des charges pécuniaires » – phénomène souvent 1098 V., article 8 de la loi sur les sanctions administratives. 1099 V., article 51 (1), (2) de la loi sur les sanctions administratives. 1100 V., article 6 de la loi sur les sanctions administratives. 1101 V., articles 59 et 60 de la loi sur les sanctions administratives.

Page 337: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

329

appelé dans la langue courante comme « trois mesures abusives » ( sanluan)– sont les

abus généralisés de pouvoir administratif portant l’atteinte directe au droit des biens

des administrés. Ces abus constituent aussi justement les formes concrètes de la

corruption1102. Pour lutter contre les sanctions illégales qui prolifèrent au niveau local,

l’Office de la correction des actes abusifs (Jiuzheng hangye buzheng zhifeng

ban’gongshi) fut établi au sein du CAE qui entendit contrôler de manière plus effective

les activités des autorités administratives locales. L’objectif dudit Office est de

renforcer l’exercice du pouvoir de surveillance et d’inspection sur la légalité des actes

des organes administratifs dans tous les secteurs. La répression des abus de sanction

administrative, y compris notamment le phénomène de « sanluan » susmentionné, est

la priorité des activités de contrôle menées par l’Office1103. Mais la création dudit

Office, qui s’inscrivait dans la prolifération des institutions de contrôle au sein de

l’Administration, aurait pour effet de davantage marginaliser le rôle du contrôle

juridictionnel par l’avènement d’un régime d’« autorégulation » des organes

administratifs.

B. – La contrainte au pouvoir d’injonction face aux atteintes illégales

au droit de propriété

312. - En droit français, le juge administratif peut enjoindre à l’administration des

mesures d’exécution en cas d’atteintes illégales au droit de propriété. Dans la tendance

de renforcement de la protection de la propriété, la Cour de cassation a abandonné la

théorie de l’expropriation indirecte1104 sous l’impact de la Convention européenne des

droits de l’homme. En effet, les principes de légalité, de prévisibilité et de sécurité

juridique exigent la destruction des immeubles édifiés par voie d’expropriation

1102 SHI Zhanqi, « Luanfakuan yeshi fubai (L’amende abusive est une corruption) », Jiancha ribao (Quotidien de Parquet), 13 juin 2006, p.8. 1103 Sur l’organisation, la fonction et le rapport d’activités de l’Office de la correction des actes abusifs, v., son site officiel http://www.mos.gov.cn/gjb/index.jsp. 1104 Cass., Ass. Plén., 6 janvier 1994, Cts Baudon de Mony c. Electricité de France, AJDA, 2004, p. 339, note R. Hostiou.

Page 338: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

330

illégale1105. En droit chinois, l’effectivité du contrôle juridictionnel sur les atteintes au

droit de propriété est largement remise en cause dans la mesure où les organes

juridictionnels rencontrent des difficultés dans l’exercice de leur pouvoir d’enjoindre à

l’occupant de mettre un terme à son emprise si celle-ci est irrégulière, et surtout

d’interrompre les travaux engagés et d’ordonner la démolition des ouvrages réalisés.

Dans un communiqué de presse, le Ministère du Territoire et des Ressources a bien

révélé que la réticence des cours populaires à décider la destruction des immeubles

implantés sur les terrains illégalement expropriés constitue l’un des éléments

contribuant à la généralisation des expropriations illégales des terres1106. La réticence

des tribunaux tient au fait que la destruction des immeubles implantés sur les terres

illégalement expropriées peut compromettre l’intérêt des gouvernements locaux. Et

ceux-ci réagissent en faisant pression sur les tribunaux locaux afin d’empêcher

l’adoption de l’injonction de destruction. Face à l’influence des gouvernements locaux,

les tribunaux locaux se contentaient de statuer sur l’indemnisation sans pour autant

ordonner la restitution des terres par la destruction des immeubles édifiés1107. Il en

résulte que le contrôle juridictionnel sur les atteintes au droit de propriété est dénaturé

en sorte qu’il constitue l’instrument de l’appropriation illégale des terres par les

gouvernements locaux moyennant le paiement d’indemnités qui ne sont souvent ni

justes, ni raisonnables.

313. - En cas de démolition des bâtiments dans des zones urbaines, les tribunaux

locaux peuvent même se transformer en instrument des gouvernements locaux en

matière de privation de propriété, alors que l’expropriation n’est pas nécessairement

justifiée par le but d’intérêt général. Selon le Règlement d’administration sur la

démolition des bâtiments dans des zones urbaines, le tribunal local peut à la demande

du gouvernement local prendre les mesures exécutoires pour effectuer la démolition

1105 V., René HOSTIOU, « La Cour européenne des droits de l’homme et la théorie de l’expropriation indirecte », Revue trimestrielle des droits de l’homme, n° 70, 2007, pp. 385 à 395. 1106 V., Ministère du territoire et des ressources, Analyse sur les causes des expropriations illégales des terres collectives (Difang zhengfu weifa zhengdi yuanyin diaocha yu sikao), disponible sur le site http://www.mlr.gov.cn/pub/gtzyb/gtzyxw2/gtzyxw/t20061013_76812.htm, consulté le 13 octobre 2006. 1107 Groupe d’étude sur l’expropriation des terres collectives, Tudi zhengyong buchang biaozhun yu anli (La jurisprudence sur l’indemnisation en cas d’expropriation des terres collectives), Law Press China, 2006, p. 227.

Page 339: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

331

des bâtiments dans des zones urbaines. Certes, au cas où le gouvernement local

procéderait d’office à la démolition, il est très rare que le tribunal local ordonne la

suspension à la demande des expropriés qui invoquent l’article 44 de la loi sur le

contentieux administratif. Ledit article prévoit des exceptions à l’effet non suspensif du

contentieux administratif à l’exécution des actes administratifs concrets. Selon ce

dernier, le tribunal local peut, en théorie et dans les cas d’exception prévus par la loi

sur le contentieux administratif, ordonner la suspension de l’exécution des mesures

administratives en cas d’urgence et au motif que les mesures en cause peuvent

entraîner des dégâts irréparables, et que la suspension de l’exécution des mesures ne

compromet pas l’intérêt public1108. Certes, en pratique, à cause de la faible position des

tribunaux et cours populaires par rapport aux organes administratifs dans l’ensemble

du système hiérarchique des autorités publiques, le juge chinois ne peut que s’abstenir

à ordonner l’injonction pour son propre intérêt. Ainsi, le déséquilibre s’établit entre

l’administration et l’administré quant au recours juridictionnel: en ce qui concerne

l’expropriation des biens, le tribunal local favorise l’administration davantage que

l’administré. L’indépendance et l’impartialité du tribunal local ont été ainsi remises en

cause dans les affaires dans lesquelles s’immiscent les gouvernements locaux.

L’inutilité du recours juridictionnel n’est que a raison principale des recours au rapport

de force par les citoyens pour défendre leurs droits reconnus par la loi mais sans être

effectivement garantis par voie judiciaire. C’est pourquoi l’autorité administrative est

poussée à la « ligne du front » pour résoudre les conflits qui n’ont pas été tranchés par

les organes juridictionnels qui « ne dispose[nt] pas encore de l’autonomie nécessaire

vis-à-vis des assemblées populaires et des organes administratifs et politiques »1109.

SECTION II. – LE ROLE DE L’AUTORITÉ ADMINISTRATIVE DANS LA

MISE EN OEUVRE DES GARANTIES DU DROIT DE PROPRIÉTÉ

1108 V., article 44 (2) de la loi sur le contentieux administratif. 1109 Pierre BORRA, Haifeng ZHAO, « La réforme judiciaire en Chine », Gazette du Palais, 17 juillet 2004, n° 199, p. 12.

Page 340: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

332

314. - Jusqu’à aujourd’hui, l’autorité administrative demeure « la partie prenante »

dans la mise en oeuvre des garanties du droit de propriété dans le contexte spécial de

droit chinois. D’une part, la dépendance des organes juridictionnels entraîne la

méfiance des citoyens envers le recours juridictionnel pour remédier aux atteintes au

droit de propriété privée. La revendication de ce droit s’accompagne parfois d’un

rapport de force avec l’autorité administrative lequel reste le dernier recours utilisable

par les citoyens (Sous-section 1). D’autre part, la sauvegarde des biens publics est

largement confiée au pouvoir exécutif, le juge ne jouant qu’un rôle très marginalisé en

matière d’administration et de gestion des biens publics qui sont loin d’être

judiciarisées (Sous-section 2).

Sous-section 1. – Le rôle de l’autorité administrative à l’épreuve de la

revendication des droits par les citoyens

315. - Le manque d’intérêt dans le concept de séparation des pouvoirs, et donc dans

celui d’indépendance judiciaire et dans la dépolitisation de l’appareil judiciaire,

constitue l’obstacle principal à l’application du droit par les juges chinois. C’est

également les raisons pour lesquelles la revendication des droits contourne souvent les

organes juridictionnels et s’adresse directement aux organes administratifs qui

considèrent comme prioritaire le maintien de la stabilité sociale (§ 1). L’autorité

administrative entend faire des concessions nécessaires destinées à améliorer la

protection de droits, mais la répression peut être utilisée au moment où la pérennité du

régime serait menacée par la revendication des droits (§ 2). Tandis que la conscience

du droit ne cesse de s’accroître et contribue aux « résistances pour le droit »1110, la

répercussion sociale du recours au rapport de force met en relief l’importance de la

modération des mouvements des citoyens dont l’objectif est toutefois moins politique

que juridique1111. La tension entre la dominance de l’autorité administrative et la

revendication des droits des citoyens pourrait entraîner le changement 1110 O’Brien Kevin J., LI Lianjiang, Rightful resistance in China, Cambridge University Press, 2006, p. 5 1111 Keith J. HAND, « Using law for a righteous purpose: the SUN Zhigang incident and evolving forms of citizen action in the People’s Republic of China », 45 Colum. J. Transnat’l L. 114, p. 119.

Page 341: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

333

juridico-politique de la Chine du fait que le droit de propriété est l’un des éléments

relativement plus importants de la réforme du droit chinois.

§ 1. – La revendication des droits des citoyens

316. - L’inutilité du recours juridictionnel est la cause principale de la revendication

des droits par voie non juridictionnelle (A). Mais cette revendication qui s’est

caractérisée dans un premier temps par la demande de l’effectivité des droits s’est

étendue à certains droits qui ne sont pas encore légalement reconnus et à la restitution

des certains biens qui furent privés au temps passé (B).

A. – La revendication des droits comme remède à l’inutilité du recours

juridictionnel

317. - La revendication des droits par le peuple chinois, qu’il s’agisse des paysans

ou des citadins, s’inscrit dans « un mouvement de défense des droits qui a évolué,

passant d’une résistance en vue de défendre de simples intérêts à une résistance

politique pour la protection de droits »1112 . Dès lors, c’est la nature légale du

mouvement qui constitue sa spécificité. Mais il faut encore nuancer la revendication

qui vise à l’effectivité des garanties de droits (2) et celle qui vise à faire reconnaître les

droits par l’État. Alors que la première se sert de la loi comme une sorte d’arme, la

seconde entretient plutôt une vision critique envers la loi en recourant à la notion

fondamentale de justice. Cependant, la différence n’est pas absolue, l’ineffectivité des

garanties des droits résulte souvent de l’ambiguïté des droits formellement garantis par

la loi. L’ambiguïté des droits reconnus par la loi n’est qu’une des causes de l’inutile

recours juridictionnel (1).

(1). – Les causes de l’inutile recours juridictionnel 1112 YU Jianrong, « Conflits dans les campagnes: la naissance d’une conscience politique paysanne », Perspectives chinoises, n° 3, 2007, p. 36 ; même auteur, « Dangqian nongmin weiquan huodong de yige jieshi kuangjia (Un cadre explicatif du mouvement de défense par les paysans de leurs droits) », Shehuixue yanjiu (Sociological Studies), 2004, n° 2, pp. 49 à 55.

Page 342: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

334

318. - Après plus vingt ans de retour au droit, l’autonomie judiciaire en Chine subit

toujours des contraintes extérieures provenant du régime de l’État-Parti, tant au niveau

national qu’au niveau local1113. Ces contraintes deviennent aussi les obstacles d’ordre

politique à l’impartialité du juge. En l’état actuel, il est prématuré de parler de véritable

suprématie du droit ou de la Constitution en Chine où existe l’opposition entre « la

suprématie de la Constitution et la direction du pays par le PCC »1114. En d’autres

termes, il s’agit d’une incompatibilité manifeste entre la suprématie absolue du PCC et

l’État de droit1115. Dans ce contexte, pour maintenir la pérennité du régime, le PCC

rejette constamment la notion de la séparation des pouvoirs telle que développée par

Montesquieu 1116 . L’indépendance du pouvoir judiciaire, selon la conception

occidentale –surtout l’autonomie du juge dans l’exercice de sa fonction– n’est pas

encore acquise en Chine1117. Par conséquent, l’exercice de la fonction juridictionnelle

soumet le juge à diverses pressions de nature institutionnelle. Par excellence, les juges

eux-mêmes doivent aligner leurs opinions et décisions sur les opinions du Comité

judiciaire dont le président est généralement membre du PCC1118. L’impartialité du

juge chinois est souvent mise en doute dans les affaires où sont impliqués les intérêts

du gouvernement local, tel est le cas du contentieux portant sur la démolition des

bâtiments dans des zones urbaines. Il arrive très souvent que les personnes qui

maintiennent des relations personnelles avec les officiels locaux prennent leurs parts

pour s’enrichir dans un projet d’exploitation commerciale des terrains1119. Le refus de

traiter certaines affaires dans lesquelles sont impliqués les intérêts du gouvernement 1113 Stanley LUBMAN, « Bird in a cage: Chinese law reform after twenty years », 20 Nw. J. Int'l L. & Bus. 383, pp. 395, 396. 1114 CHEN Jianfu, « La révision de la Constitution en République populaire de Chine », Perspectives Chinoises, 1999, n° 53, p. 65. 1115 V., J. –P. CABESTAN, « Chine : un État de lois sans État de droit », Revue Tiers-Monde, 1996, n° 147, p. 663 à 666. 1116 V., WU Bangguo, « Discours devant la 1ère session du Comité permanent du XIème APN en date du 19 mars 2008 », loc. cit. 1117 XIN Chunying, Chinese Courts: history and Transition, Law Press China, 2004, p.177. 1118 Ibid., p. 180. 1119 V., Gregory M. STEIN, « Acquiring land use rights in today’s China: A snapshot from on the ground », 24 UCLA Pac. Basin L.J. 1, pp. 16, 18, 45; Pamela N. PHAN, « Enriching the land or the political elite? Lessons from China on democratization of urban renewal process », op. cit., pp. 608 et s.

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335

local et de ses membres constitue parfois une stratégie pour le tribunal local afin

d’éviter de se confronter aux organes administratifs ou d’être mis à l’index par les

citoyens1120. Il en fut ainsi lorsque la Cour populaire suprême s’abstint d’examiner

directement les affaires d’indemnisation en cas d’expropriation en exigeant l’arbitrage

administratif comme préalable obligatoire à tout contentieux administratif. Certes, le

recul stratégique du juge dans les affaires sensibles a pour effet de placer les organes

administratifs au centre des conflits.

319. - L’ambiguïté du raisonnement juridique est aussi un obstacle à la confiance des

citoyens sur l’autorité judiciaire. En effet, il est généralement vain de songer à la

jurisprudence pour évaluer le rôle du juge, puisque le motif des décisions judiciaires

est souvent mal prononcé et parfois indétectable. Du fait de l’existence de nombreuses

interprétations judiciaires créatrices, les juges des cours inférieures s’habituent, dans

l’exercice de leur fonction juridictionnelle, à d’abord apprécier les faits, puis à les

rattacher à des textes pour rendre leur décision. Il semble donc qu’ils n’aient pas

besoin d’interpréter eux-mêmes les lois, et que l’acte de juger se limite à appliquer

machinalement un texte de loi à des faits concrets. On a souligné qu’en respectant « les

faits comme base, et la loi comme critère », un slogan qui est la ligne directrice des

juges chinois, ces derniers se soustraient de leur fonction dans l’interprétation

« concrète » des règles de droit1121. Par conséquent, si l’on fait la lecture sur des

jugements des tribunaux et des arrêts des cours populaires, on ne trouve que

l’énumération des articles des textes normatifs applicables et la conclusion sur l’affaire

jugée dans le corps des jugements et des arrêts, la motivation des juges faisant presque

toujours défaut. L’absence de motivation peut contribuer à l’arbitraire du juge. Il n’y a

donc pas de prévisibilité en matière de résolution des litiges par voie juridictionnelle.

La pratique démontre que le juge chinois est sensible à l’influence extérieure telle que

l’opinion publique ou à l’avis des autorités gouvernementales qui peuvent avoir

d’importantes incidences sur la décision judiciaire finale. Dans certains cas, la décision

judiciaire ne pouvait que partiellement ou complètement méconnaître des règles de 1120 V., Xin HE, « Why did they not take the disputes? Law, power, politics in the decision-making of Chinese Court », International Journal of Law in Context, n° 3, 2007, pp. 203 à 225. 1121 CHEN Chunlong, « La place et les fonctions de l’interprétation judiciaire en Chine », op. cit., p. 228.

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336

droit pour se rendre compatible avec la volonté du gouvernement ou pour répondre à

l’opinion publique. C’est la raison pour laquelle les parties au contentieux mobilisent

souvent les médias, l’autorité gouvernementale locale ou supérieure, afin d’influencer

la formation de la décision judiciaire en provoquant des répercussions sociales de

l’affaire1122. Ce fut notamment le cas lors que le droit d’exploitation forfaitaire du sol

rural fut en cause, le juge maintint sa neutralité et se montre parfois plutôt bienveillant

envers les villageois à cause de leurs efforts de mobilisation1123.

320. - L’impuissance de l’autorité judiciaire se traduit également lors de l’exécution

des jugements. En effet, l’exécution des décisions judiciaires par les tribunaux ou les

cours populaires rencontre souvent de graves difficultés liées principalement au

pouvoir administratif –par exemple, le phénomène ancien et connu du protectionnisme

judiciaire local1124. Parmi les causes majeures de la non-exécution des jugements –tels

que la culture juridique traditionnelle, la position des tribunaux et des cours au sein de

l’appareil politique chinois, le retard des réformes juridiques sur les réformes

économiques et les changements sociaux, le rôle particulier de l’État–, les plus sérieux

sont les interférences de l’administration ou du PCC, phénomènes profondément

ancrés dans le paysage institutionnel chinois et en contradiction avec le principe

d’indépendance judiciaire1125. Car les tribunaux sont même considérés comme une

partie et une partie seulement de la structure de pouvoir du gouvernement et non pas

comme distincts des organes administratifs1126.

321. - À la dépendance de l’autorité judiciaire à l’autorité administrative, s’ajoute le

fonctionnement du système judiciaire selon le modèle de la hiérarchie bureaucratique

1122 V., WU Jing, « Yulun jiandu sifa de pinghengdian (Le point d’équilibre dans la surveillance médiatique sur le judiciaire) », Remin fayuanbao (People’s Court Daily), 19 juin 2006, B1. 1123 V., par exemple, WANG Hansheng, SHEN Jing, « La formation des droits de propriété dans les campagnes chinoises », Études rurales, 2007, n°179, pp. 198, 199 ; Eva PILS, « Land disputes, right assertion, and social unrest in China: a case from Sichuan », 19 Colum. J. Asian L. 235, pp. 271 à 275; Peter HO, Institution in transition: land ownership, property rights, and social conflict in China, op. cit., p.50. 1124 CHEN Jianfu, « L’application du droit en Chine : une bataille politico-légale », Perspectives chinoises, n° 72, 2002, pp. 28 à 38. 1125 V., Donald C. CLARKE, « Power and politics in the Chinese court system », Columbia Journal of Asian Law, 1996, Vol. 10, n° 1, pp. 8 à 11, 41 à 49. 1126 CHEN Jianfu, « L’application du droit en Chine : une bataille politico-légale », op. cit., p. 33.

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337

de l’Administration dans lequel la responsabilité individuelle du juge est minimisée.

L’inexistence d’un régime de responsabilité individuelle du juge est aussi considérée

comme l’une des causes de la corruption judiciaire en Chine1127. Dans la première

réforme judiciaire quinquennale, la lutte contre la corruption judiciaire semblait avoir

constitué un objectif prioritaire. Le code de déontologie adopté par la Cour populaire

suprême en 2001 indique en détail aux juges ce que l’éthique professionnelle

commande ou interdit. Mais la Cour populaire suprême a confondu dans une large

mesure la déontologie judiciaire avec la moralité du juge qui elle-même relève de la

conscience personnelle. D’ailleurs, « la lourdeur de sa pédagogie peut apparaître

comme un indice de la profondeur des racines du mal »1128. On ne peut regretter que le

code déontologie judiciaire élaboré par la Cour populaire suprême n’ait pas débouché

sur l’amélioration de la garantie juridictionnelle des droits des citoyens. Très

récemment, suite à l’explosion des scandales impliquant un vice-président de la Cour

populaire suprême1129, l’autorité centrale a modifié son attitude. Le mot d’ordre

politique est désormais de renforcer davantage la lutte contre la corruption judiciaire et

de « réparer l’image déjà abîmée de la justice»1130. Il reste toutefois à vérifier si la

campagne lancée par la Cour populaire suprême peut produire des résultats positifs en

améliorant l’effectivité du recours juridictionnel en Chine. Il faut remarquer que dans

un contexte où l’autorité judiciaire se transforme en un pouvoir privatisé, personnalisé

et localisé, l’idée selon laquelle l’autorité judiciaire est le gardien de justice n’est donc

guère donc convaincant pour les citoyens. La « méfiance générale sur les organes

juridictionnels »1131 ne peut que conduire les citoyens à revendiquer leurs droits en

empruntant les voies administratives plutôt que juridictionnelles.

1127 Ting GONG, « Dependant judiciary and unaccountable judges: judicial corruption in contemporary China », The China Review, Vol. 4, n° 2, 2004, pp. 44, 50. 1128 Pierre BORRA, Haifeng ZHAO, « La réforme judiciaire en Chine », loc. cit. V., aussi, LI Yuwen, « Professional ethics of Chinese judges », Perspectives Chinoises, n° 76, 2003, pp. 38 à 51. 1129 V., reportage de China Daily, « Top court official, 3 lawmakers removed », disponible au site http://english.people.com.cn/90001/6523140.html, consulté le 29 octobre 2008. 1130 V., reportage de LI Xiaoye, « Zuigao fayuan xianqi fantan suzheng fengbao, xiufu renmin fayuan xingxiang (La Cour populaire suprême lance une campagne de lutte contre la corruption et de régularisation afin de restaurer l’image des cours populaires) », Ershiyi shiji jingji baodao (21st Century Business Herald), 9 janvier 2009. 1131 CAI Dingjian, « Development of the Chinese legal system since 1979 and its current crisis and

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338

(2). – La revendication des garanties effectives des droits

322. - La forme non juridicitionnelle de la revendication des garanties effectives des

droits est le plus souvent l’action de « lettres et visites » (xinfang), c’est-à-dire de

déposer des plaintes et de solliciter l’intervention de l’autorité de hiérarchie supérieure

en effectuant des visites ou en envoyant des courriers à cette dernière afin de faire

corriger les erreurs des autorités hiérarchiques inférieures. Le traitement des actions

par lettres et visites par les autorités gouvernementales fut institutionnalisé en Chine

comme l’ « instrument alternatif de gouvernance »1132. En d’autres termes, « ‘lettres et

visites’, enfin, sont présentées comme contribuant à la supervision de

l’administration »1133. Le Règlement sur les activités des lettres et visites adopté par le

CAE en 1995 et révisé en 2005 est la source juridique principale en la matière. La

fonction des activités des lettres et visites pourrait être mieux comprise au regard du

droit de pétition en droit français qui est considéré comme l’un des moyens de

protection des libertés non organisés par le droit positif. « Dépourvu de sanctions

directes, le droit de pétition vaut surtout en tant que moyen de pression » et connaît un

déclin relatif en France1134. Certes, la « pétition chinoise » –pour désigner les activités

de lettres et visites dans le cadre du droit chinois– est largement utilisée par les

citoyens pour remédier à l’insuffisance des voies de recours juridictionnel en vue de

résoudre les questions de droit, par exemple, celles liées à la perception illégale des

impôts ou d’autres contributions non prévues par la loi, ainsi que les conflits relatifs à

l’usage du sol rural. D’ailleurs, tous ces problèmes susmentionnés relèvent de la

jouissance du droit des paysans sur leurs biens. Les visites collectives représentent le

mouvement typique par lequel les masses populaires appartenant aux couches

inférieures utilisent le procédé de pétition pour faire valoir leurs droits, protéger leurs

intérêts et faire entendre leurs exigences. À cause des mesures d’expropriations, de transformation », Cultural Dynamics, Vol. 11, N° 2, 1999, p.154. 1132 Carl F. MINZNER, « Xinfang: An alternative to formal Chinese legal institutions », 42 Stan. J. Int’l L. 103, p. 107. 1133 Thierry SANJUAN (Sous la dir. de), Dictionnaire de la Chine contemporaine, Armand Colin, 2006, p. 27. 1134 Jean RIVERO, Hugues MOUTOUH, Libertés publiques, t. 1, 9e édition mise à jour, PUF, 2003, p. 265.

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339

réquisition ou d’autres formes d’occupations jugées illégitimes, le nombre d’actions

collectives et de protestations paysannes n’a fait que croître depuis 19951135. Toutefois,

à défaut de statistiques officiels, il est difficile de préciser les nombres. Mais les

reportages fréquents sur des affaires de pétitions liées à l’expropriation des terres

rurales ou à la démolition des bâtiments dans des zones urbaines peuvent donner une

idée de l’ampleur de la situation1136. En matière d’expropriation des terres rurales, il

n’est pas rare que les paysans des villages concernés par l’expropriation fassent

parvenir des pétitions devant le CAE et ses ministères compétents en vue d’obtenir la

juste indemnisation contre le gouvernement local responsable des mesures

d’expropriation1137.

323. - La revendication des droits par lettres et visites en cas d’expropriation prend

une signification particulière dans la mesure où elle puise son origine dans le conflit

entre les droits et intérêts des citoyens et ceux de l’État. C’est notamment le cas de

l’affaire retentissante des entreprises pétrolières à la province du Shanxi1138. Cette

province est riche de ressources pétrolières dont l’exploitation fut longtemps

monopolisée par l’entreprise d’État Petrochina. En 1994, en vue de réaliser davantage 1135 YING Xing, « Les visites collectives des paysans auprès des autorités supérieures », Études rurales, 2007, n° 179, p. 157 ; v., aussi, YANG Weidong, « Woguo xinfang zhidu de chonggou –jianlun xin xinfang tiaoli de queshi (Sur la reconstruction du système des lettres et visites : à propos des faiblesses du nouveau règlement sur les lettres et visites) », Guojia xingzheng xueyuan xuebao (Journal of China National School of Administration), 2005, n° 6, pp. 34 à 37. 1136 V., reportage de MENG Hai, « Chaiqian shangfang yueyanyuelie, chaiqian gongcheng heshi caineng budongyong jingli ? (La pétition en matière de démolition des bâtiments dans des zones urbaines prend son ampleur : la mobilisation de la force de police serait-il toujours indispensable ? )», disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/newscenter/2004-04/26/content_1440743.htm, consulté le 5 mai 2008 ; XIE Wei, « Jianshebu : shangbannian chaiqian zhengdi shangfang chaoguo qunina zongliang (Le nombre de pétitions accueillies par le Ministère de la Construction fin du juin en matière d’expropriation des terres collectives et de démolition des bâtiments dans des zones urbaines dépasse la totalité de celles de l’année dernière)», Xinjingbao (The Beijing News), 5 juillet 2004. 1137 Eva PILS, « Land disputes, right assertion, and social unrest in China: a case from Sichuan », op. cit., p. 266. 1138 V., YANG Peng, « Jingji wenti zhengzhihua de weixian: shanbei shiyouan dongtai fenxin (Les risques de la politisation des questions économiques: l’analyse sur l’affaire de pétrole de Shanbei ) », Zhongguo gaige (China Reform), 2005, n° 7, pp. 61 à 62 ; v., aussi reportage de GAO Zhan, « Shanbei shiyouan zhengzhihua : minqi kaicai shiyou shifou hui wangdang wangguo? (La politisation de l’affaire des entreprises pétrolières dans la province du Shanxi : l’extraction du pétrole par les entreprises privées est-elle une menace pour l’État-Parti ?) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/report/2005-07/11/content_3204440.htm, consulté le 6 mai 2008.

Page 348: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

340

de profits de l’extraction des réserves de pétrole, un accord fut établi entre Petrochina

et le gouvernement provincial de Shanxi selon lequel Petrochina consentait à transférer

certains territoires au gouvernement provincial du Shanxi en permettant à ce dernier

d’exploiter les réserves de pétrole. Par la suite, sous contrôle du gouvernement

provincial du Shanxi, les gouvernements locaux furent autorisés à solliciter des

investissements privés dans l’extraction du pétrole sous forme de contrat de concession

du droit d’exploitation. D’où une vague de « privatisation » de l’exploitation des

réserves de pétrole par les entreprises privées. Certes, dès 1999, la fluctuation du prix

du pétrole et l’augmentation considérable de la demande conduisit le gouvernement

central à soumettre les exploitations pétrolières sous contrôle direct de l’État. La

politique macro-économique de concentration visa, entre autres, la suppression du droit

d’exploitation des réserves de pétrole déjà concédé par les gouvernements locaux, en

dépit du fait que la plupart des contrats de concession furent encore valables. En 2003,

pour répondre à l’exigence du gouvernement central, le gouvernement provincial du

Shanxi permit aux gouvernements locaux d’adopter des mesures forcées, y compris le

déploiement de la force de police, afin de mettre fin à l’opération des entreprises

privées et à les expulser des territoires où se trouvaient des forages. Ces mesures se

heurtèrent à la résistance des investisseurs privés ainsi qu’aux paysans locaux avec des

conflits physiques parfois sanglants. Pour trouver une issue dans cette affaire, les

investisseurs privés locaux s’organisèrent pour revendiquer leurs droits au moyen de la

pétition devant l’autorité nationale. La lettre de pétition fut même présentée au Premier

ministre WEN Jiabao. Parallèlement, des contentieux administratifs furent menés

contre les gouvernements locaux et le gouvernement provincial du Shanxi. Des

économistes, des juristes et des avocats furent mobilisés par les investisseurs pour

renforcer la revendication de leurs droits. L’enjeu dans cette affaire fut le montant de

l’indemnisation versée par les gouvernements de différents échelons de la province du

Shanxi: environ mille entreprises privées concernées réclamèrent des

dommages-intérêts évalués à 7 milliards yuans pour la violation du contrat de

concession. Le processus de la pétition, déjà assimilé à la négociation informelle entre

le gouvernement et les entrepreneurs privés, fut préféré au recours juridictionnel. Ainsi,

jusqu’à aujourd’hui, aucun jugement n’a jamais été rendu dans cette affaire.

Page 349: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

341

La revendication des droits se transforme dans la pratique en un jeu de rapport de

force. D’un côté, l’intimidation et la répression imposées par les gouvernements locaux,

de l’autre, la pression par la résistance et la menace de la mobilisation sociale par les

entrepreneurs privés, sont en Chine des stratégies de négociation, mais aussi un jeu de

rapport de force entre gouvernement et gouvernés dont le résultat reste imprévisible. Il

est regrettable que le système juridique qui établit la voie formelle de recours

juridictionnel soit marginalisé par le système de pétition1139. En conséquence, certaines

questions juridiques majeures restent ouvertes: la suppression du droit d’exploitation

par la résiliation unilatérale du contrat de concession constitue-t-elle dans la présente

affaire une forme de nationalisation ? Est-elle compatible avec la Constitution ? Selon

quels critères déterminer le montant juste de l’indemnisation dans l’hypothèse où les

biens privés sont expropriés par les actes du gouvernement, alors que celui-ci demeure

interventionniste dans la régulation économique? L’effet de la revendication de

l’effectivité des garanties du droit est donc variable selon le résultat du jeu des

pouvoirs qui n’est donc pas nécessairement compatible avec les règles de droit. II est

aussi regrettable que récemment la tendance de recourir à la violence s’accentue

notamment dans le domaine de démolition des bâtiments dans des zones urbaines1140,

ce qui reflète d’une certaine manière la marginalisation du recours juridictionnel

auquel les citoyens semblent avoir totalement perdu leur confiance1141. Les personnes

menacées par l’expropriation retournent vers la protestation physique en déstabilisant

l’ordre social, en vue d’obtenir des concessions de la part des gouvernements central et

local qui considèrent comme politique prioritaire le maintient de la stabilité sociale.

B. – Le développement de la revendication des droits

1139 Carl F. MINZNER, « Xinfang: An alternative to formal Chinese legal institutions », loc. cit. 1140 V., reportage de Reuters sur l’insurrection à la province du Gansu provoquée par le projet d’expropriation du gouvernement local de Longnan, « Top official meets rioters as China seeks stability », disponible sur le site http://www.reuters.com/article/worldNews/idUSTRE4AK0H820081121, consulté le 14 janvier 2009. 1141 V., Xiaoping CHEN, « The difficult road for rights advocacy : an unpredictable future for the development of rule of law in China », 16 Transnat’l L. & Contemp. Probs. 221, pp. 238 et s.

Page 350: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

342

324. - Les propos de reforme sur la privatisation des terres collectives (1) et la

revendication de la restitution de certains biens immobiliers expropriés (2) sont deux

exemples du développement de la revendication des droits dont l’effet potentiel sur la

transformation du droit chinois ne doit pas être sous estimé.

(1). – Les propos de privatisation des terres collectives

325. - L’ineffectivité des garanties du droit est souvent liée à l’imprécision,

l’ambiguïté et parfois à l’aspect contradictoire des textes adoptés1142. En matière de

terres collectives, les textes législatifs tendent, d’une part, à protéger le droit de l’État

et de ses représentants à procéder à des expropriations et, d’autre part, à protéger le

droit des paysans à exploiter les terres collectives et à contrôler les transferts du droit

d’exploitation forfaitaire des terres rurales. « Mais tant qu’aucune mesure ne sera

adoptée pour modifier le rapport de force entre les paysans et les gouvernements

locaux qui apparaissent comme les porte-parole de la collectivité, ces droits seront

difficiles à mettre en application »1143. Cette incapacité ne tient pas seulement aux

contradictions internes aux textes de lois, à l’importance des bénéfices générés par les

transactions, aux besoins croissants des finances locales ou aux tensions existant entre

les différents échelons administratifs. « Elle provient avant tout des difficultés

rencontrées pour fonder, en toute légitimité et en toute légalité, le régime actuel de

propriété collective des terres agricoles»1144. En d’autres termes, c’est la légitimité de

la propriété collective des terres elle-même qui est mise en doute. Dans la pratique,

« rendez-nous nos terres ! » sont les mots souvent utilisés par les paysans pour

revendiquer leurs droits1145. L’idée de reconnaître les droits réclamés par les paysans

est partagée par certains intellectuels. Ces derniers font également appel à la réforme

du régime de propriété publique des terres par la privatisation afin d’accorder le droit

de propriété des terres au peuple qui les exploite et dont leur subsistance dépend. Peu

1142 V., Matthew S. ERIE, « China’s post-socialiste property rights regime: assessing of the impact of the property law on illegal land takings », 37 HKLJ 919, pp. 946 à 948. 1143 Isabelle THIREAU, HUA Linshan, « Introduction », Études rurales, 2007, n°179, p.13. 1144 Ibid., p.14. 1145 Ibid., p.16.

Page 351: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

343

de temps après la promulgation de la loi sur les droits réels, le professeur QIN Hui

publia son article critiquant la propriété collective des terres en droit chinois comme

étant l’origine des atteintes aux droits de paysans. L’auteur a souligné que

l’indemnisation injuste en cas d’expropriation est inhérente au régime de propriété

collective, que la propriété collective est en-soi incompatible avec l’économie de

marché1146. L’auteur a même renversé l’hypothèse sur les risques de la privatisation

selon laquelle la privatisation des terres entraînerait l’annexion des terres et la

paupérisation des paysans individuels qui menaceraient par conséquent la stabilité du

régime politique 1147 . L’idée de privatiser les terres collectives 1148 a récemment

provoqué les débats sur le fondement légitime du régime de propriété collective. Cela

signifie que l’adoption de la loi sur les droits réels n’a pas pu mettre le point final aux

propos de réforme.

326. - Les propos de privatisation s’appuient principalement sur des études qui

établissent que la propriété collective des terres cultivables et l’insécurité qui en

découle constituent les obstacles au développement rural. En effet, l’absence de

perspective à long terme, qui est le résultat de droits de propriété incomplets, empêche

les paysans d’investir dans leurs terres de peur que les fruits de leur investissement

soient récoltés par d’autres. C’est-à-dire que l’absence de droits de propriété privée

pour les terres cultivables et donc d’un véritable marché foncier est perçue comme un

obstacle à l’attribution et à l’exploitation efficace des terres1149. « Toutes ces analyses

militent en faveur d’une privatisation radicale des droits fonciers en Chine pour des

raisons d’efficacité et d’équité »1150. Le propos de privatisation a été récemment

réactualisé par la publication d’un rapport d’étude intitulé « [L]a réalisation et la

1146 QIN Hui, «Nongmin diquan liulun (Six propos sur les droits des paysans sur le sol) », Shehui kexue luntan (Tribune of social sciences), n° 9, 2007, pp.122 à 146. 1147 V., par exemple, LI Changping, « Shenyan nongcun tudi siyouhua (Propos prudent sur la privatisation des terres rurales) », Dushu (Lecture), n° 6, 2003, pp. 93 à 95. 1148 Pour ceux qui contestent aussi le régime de propriété collective des terres, v., aussi, CHEN Wendi, WU Chuntao, Les paysans chinois aujourd’hui : trois années d’enquête au coeur de la Chine, traduit du chinois par Shenyi LUO, Bourin Éditeur, 2007, pp. 206 et s. 1149 V., par ex.,DONG Xiaoyuan, « Two-tier land tenure system and sustained economic growth in post-1978 rural China », World Development, vol. 24, n° 5, 1996, p. 915 à 928. 1150 Maëlys DE LA RUPELLE, DENG Quheng, LI Shi, Thomas VENDRYES, « Insécurité foncière et flux migratoires intérieurs en Chine », Perspectives chinoises, 2008, n° 2, p. 38 ;

Page 352: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

344

protection de la propriété foncière dans le contexte de l’urbanisation »1151. Dans ce

rapport, l’étude menée par l’économiste chinois MAO Yushi montre que la libre

cession du droit d’usage du sol collectif par la suppression des limitations au

changement de l’utilisation agricole des terrains ruraux peut contribuer non seulement

à mieux protéger les droits et intérêts des paysans, mais aussi à répondre aux besoins

de l’urbanisation en facilitant la transformation des terres rurales à l’usage de

construction. En s’appuyant sur les différentes expériences des localités dans le

transfert du droit d’usage du sol rural permettant la transformation à l’usage industriel

et commercial, l’auteur estime que le contrôle gouvernemental à l’usage agricole des

terrains est contraire aux règles de marché et constitue l’obstacle principal à la mise en

valeur de la propriété foncière des paysans par rapport à la propriété foncière dans les

zones urbaines. Reconnaître la libre cession du droit d’usage du sol collectif d’une part,

et, d’autre part, supprimer le régime d’expropriation des terres collectives –mesure

principale par laquelle l’État et les gouvernements locaux maintiennent leurs pouvoirs

de contrôle sur le changement de l’usage agricole des terres–, sont les réformes qui

peuvent contribuer à l’amélioration de la protection du droit d’usage portant sur le sol

collectif sans pour autant abolir complètement le régime de propriété collective. Il faut

remarquer que le rapport d’étude n’envisage pas la privatisation, au contraire, il

affirme le maintien du régime de propriété collective des terres. Pourtant, les réformes

ainsi envisagées sont vivement critiquées. Par exemple, M. WEN Tiejun, chercheur

chinois connu sur le sujet des réformes rurales, considère que la suppression du

contrôle étatique sur l’usage agricole du sol rural en reconnaissant la libre cession de

ce droit est la privatisation de facto de la propriété collective des terres. La libre

cession du droit d’usage du sol rural peut menacer la sécurité de la production agricole,

l’économie nationale et compromettre les intérêts de la majorité des paysans chinois

dans la mesure où elle creuse l’écart entre revenus comme résultat de la concentration

des terres sur les mains des grands propriétaires1152. Force est de constater que les

1151 Cf., Unirule Institute of Economics, La réalisation et la protection de la propriété foncière dans le contexte de l’urbanisation, disponible sur le site http://www.unirule.org.cn/xiazai/20081/20080115.pdf, consulté le 21 janvier 2009. 1152 V., WEN Tiejun, « Woguo weishenme buneng shixing tudi siyouhua (Pourquoi la Chine ne doit pas privatiser les terres) », Hongqi wengao (Red Flag Manuscript), n° 2, 2008.

Page 353: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

345

débats à propos de la réforme relèvent moins du fondement idéologique de la propriété

publique que de la fonction d’utilité de l’administration du droit d’usage portant sur les

terres rurales. C’est-à-dire que les mesures de réforme seront mises à l’épreuve pour

déterminer si elles peuvent optimiser ou non le bien-être des paysans chinois. Il semble

donc que les considérations de la rationalité économique l’emportent sur la dimension

politique des réformes concernant la propriété publique des terres –souvent considéré

comme fondement du régime socialiste. Les propos de réforme qui s’inscrivent dans la

revendication des droits et se fondent désormais davantage sur les raisons économiques

peuvent produire leur impact sur l’évolution du droit foncier chinois, bien que le

gouvernement central campe avec fermeté sur l’impossibilité de privatiser les

terres1153.

(2). – La revendication de la restitution de certains biens immobiliers expropriés

327. - Dans les zones rurales, les paysans furent dépouillés de leurs droits fonciers

par la collectivisation des terres comme les propriétaires des maisons d’habitations

dans les zones urbaines furent privés de leurs droits dans les années 60, lors de la

Révolution culturelle. Dans ce dernier cas, il s’agit des maisons et des appartements

des grands propriétaires « transférés » à l’État qui les loua à loyer modéré aux

personnes démunies. Certes, le transfert ne s’effectua jamais à travers la procédure

formelle d’expropriation ou de réquisition, il se justifia par la politique de l’État pour

mettre en oeuvre l’égalité entre citoyens. Dans ce mouvement de socialisation ayant

pour l’objectif de supprimer la classe exploiteuse, le gouvernement central transféra

systématiquement la propriété de tous les logements de grands propriétaires à l’État qui,

par voie de conséquence, s’appropria de facto le statut du bailleur. Les anciens

propriétaires n’eurent que le droit de partager avec l’État une part fixe des loyers payés

par les occupants en tant que locataires1154.

1153 V., reportage de AN Bei, DONG Jun, « CHEN Xiwen: Zhongguo buhui shixing tudi siyouhua (CHEN Xiwen: la Chine ne procédera jamais à la privatisation des terres) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/fortune/2007-01/30/content_5674985.htm, consulté le 7 mai 2008. 1154 Ce droit à partager une part des loyers fut de facto supprimé avec l’avènement de la Révolution culturelle.

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346

328. - Mais il faut encore souligner la différence entre la collectivisation du sol rural

et la privation du droit de propriété des maisons d’habitation et des appartements dans

les zones urbaines. Il est vrai que les deux mesures furent prises par l’État sans que ce

dernier se fonda sur une base juridique claire à l’époque. Avec la promulgation de la

Constitution de 1982, la propriété collective du sol rural fut désormais

constitutionnellement affirmée, alors que la propriété privée des maisons d’habitation

et des appartements fut maintenue selon l’article 13 avant d’être amendée en 20041155.

Mais l’adoption de la Constitution de 1982 ne s’accompagna pas du retour des maisons

d’habitations et des appartements déjà nationalisés lors du mouvement de socialisation.

Au lieu d’être restituées à leurs propriétaires à la fin de la Révolution culturelle, le

gouvernement central retint les maisons d’habitations et des appartements ainsi

appropriés par l’État en considérant qu’ils furent la propriété de l’État1156. En pratique,

les maisons d’habitations et des appartements ainsi appropriés par l’État furent gérés et

administrés par les organes gouvernementaux compétents, plus souvent les bureaux

locaux d’administration des immeubles d’habitations. La révision constitutionnelle de

2004 et la promulgation de la loi sur les droits réels en 2007 ont toutefois encouragé les

tentatives de revendication de la restitution des maisons d’habitation et des

appartements de facto nationalisés pendant le mouvement de socialisation qui débuta

dans les années 50. Face à la fermeté du gouvernement central1157, la demande pour la

restitution de ces logements tendit toutefois à s’amplifier. Certains propriétaires et leurs

descendants portèrent les litiges devant les cours et les tribunaux populaires à

l’encontre des organes administratifs locaux compétents en vue de la restitution de

leurs droits spoliés durant cette période où le système juridique fut complètement

1155 L’article 13 de la Constitution avant d’être amendé dispose que « L’État protège le droit des citoyens à la propriété de revenus légitimes, d’épargne, de maisons d’habitation et d’autres biens légalement acquis ». 1156 V., ancien Ministère de la Construction urbaine et rurale et de protection de l’environnement, Opinion sur le problème historique de la socialisation des maisons d’habitations sous location, communiqué n° Chengzhuzi (87) 1985, 1 janvier 1985. 1157 V. l’ancien Ministère de la Construction, Opinion directive sur le traitement des lettres et visites en matière de démolition des bâtiments dans des zones urbaines, communiqué n° Jianzhuzi (2004) 160, 9 septembre 2004.

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347

détruit1158. La revendication sera d’autant plus facilitée que les propriétaires et leurs

héritiers disposent désormais d’un nouvel instrument juridique en leur faveur. Il s’agit

du Règlement sur la publication des informations gouvernementales (zhengfu xinxi

gongkai), adopté par le CAE le 5 avril 2007 et entrée en vigueur le 1er mai 2008. Ayant

pour l’objectif principal de mettre en oeuvre le principe de transparence, ledit

Règlement prévoit le droit des citoyens à consulter les documents officiels détenus par

les autorités gouvernementales1159. Ce droit fut réclamé par les personnes privées pour

consulter et obtenir les documents administratifs relatifs à la privation des maisons

d’habitations et des appartements durant la période de socialisation. L’accès du public

aux documents officiels qui contiennent les décisions de privation fut pendant

longtemps refusé au public par les autorités compétentes au nom du secret d’État. Mais

en réalité il s’agit d’un moyen des gouvernements locaux pour se défendre contre la

revendication de la restitution de ces biens. L’apport du Règlement du CAE sur la

publication des informations gouvernementales consiste à ce qu’il reconnaît non

seulement aux citoyens le droit de consulter les documents officiels, mais aussi prévoit

le recours juridictionnel par lequel les citoyens peuvent solliciter la décision judiciaire

ordonnant les organes gouvernementaux à ouvrir des documents officiels. Dans ce

contexte, un pékinois a intenté un litige contre le refus par l’autorité municipale à

fournir les documents officiels relatifs à la privation des maisons d’habitation de ses

parents1160. Si, en l’état actuel, la possibilité de la restitution des biens immobiliers

expropriés au temps passé semble très minimale, les citoyens disposent toutefois au

moins des armes juridiques pour révéler la vérité comme la première étape de la quête

à la justice. La demande sur la restitution des biens illégitimement dépouillés est

d’autant plus significative qu’elle s’inscrit dans l’augmentation de la conscience du

droit des citoyens chinois. La revendication des droits ainsi renforcée conduit l’État à

1158 V., reportage de FU Xuming, « Jiejue jingzufang wenti sida guanjian (Les quartes clés à résoudre les problèmes entraînés par la socialisation des maisons d’habitation) », Zhongguo jingjishibao (China Economic Times), 2 février 2005. 1159 V., infra, n° 650 et s. 1160 V., reportage CHEN Junjie, HU Liu, « Xinxi gongkai fayuan shouli diyian ( Première affaire juridique relative à l’accessibilité des informations gouvernementales) », Xinjingbao (The Beijing News), 19 juin 2008.

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348

prendre les attentes du peuple au sérieux et à remanier plus raisonnablement ses

politiques en la matière.

§ 2. – La réponse de l’autorité administrative face à la revendication des

droits

329. - L’utilisation des actions par lettres et visites comme moyen d’expression

auprès du gouvernement central est liée à la confiance que les pétitionnaires placent

dans l’autorité du gouvernement central et des lois nationales. Dans les zones rurales,

si l’insurrection n’est pas rare, elle vise toutefois les officiels locaux plutôt que

l’ensemble du régime, puisque la plupart des paysans croient que tous ces maux leur

sont infligés par l’autorité locale et peuvent être corrigés par l’autorité supérieure dès

que celle-ci est tenue au courant1161. Cela illustre la foi des citoyens dans le PCC et

l’État ainsi que leur système de valeurs. Lorsqu’ils font preuve d’une totale foi envers

le gouvernement, ils choisissent la « dialogue » ; quand cette foi n’est pas entièrement

perdue, ils se montrent en faveur de l’action « par la force » ; enfin, lorsqu’ils n’ont

plus confiance en aucun des échelons du PCC ni en aucune organisation

gouvernementale, ils prônent l’action « contestataire »1162. Certes, selon YU Jianrong,

chercheur de l’Académie des sciences sociales qui a dirigé une enquête sur le sujet de

pétition chinoise, pas plus de 2 plaintes sur 1 000 aboutissent. L’ineffectivité du

système de lettres et visites ne peut qu’alourdir le mécontentement des

« pétitionnaires » qui les pousse à se confronter avec le gouvernement en prenant des

mesures radicales1163. Ainsi en est-il des actions par lettres et visites des citoyens qui se

transforment souvent en protestations sous diverses formes contre les gouvernements

1161 Tony SAICH, Governance and politics of China, 2nd ed., Palgrave Macmillan, 2004, p. 205. 1162 XIAO Tangbiao, « Ershinian lai dalu nongcu de zhengzhi wending zhuangkuang (Stabilité des conditions des paysans en Chine pendant les vingt dernières années) », Ershiyi shiji (Twenty-first Century), octobre 2003, pp. 15 à 25. 1163 YU Jianrong, « Xinfang de zhiduxing queshi jiqi zhengzhi houguo (La faillite systématique de la pétition et son implication politique) », disponible sur le site http://www.chinaelections.org/NewsInfo.asp?NewsID=84598, consulté le 3 mai 2008 ; v., aussi, Pierre HASKI, « Bureau des pleurs et des coups à Pékin », Libération, 5 mars 2005, p.12.

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349

locaux1164 et parfois par des mesures radicales dans l’expression de leur douleur et de

leur mécontentement comme des affaires tragiques, mais récurrentes, d’immolation par

le feu, etc1165. De même, la démolition des bâtiments dans des zones urbaines et

l’expulsion forcée des habitants ont aussi provoqué l’escalade des conflits1166. Dans le

contexte où la stabilité sociale est menacée par les « événements de masse », le

gouvernement central a réagi en adoptant une orientation politique en faveur des

citoyens en vue d’un retour à la paix sociale (A). Toutefois, des mesures répressives

furent également prises dès qu’elles furent jugées nécessaires à la pérennité du régime

(B). L’adoption de ces mesures ne suscite pas moins des critiques de la société.

A. – L’orientation politique en faveur des citoyens

330. - Sensibilisé par l’engrenage de la violence dont les victimes étaient les

habitants innocents dans la pratique de démolition et d’expulsion forcée (1) ou par les

actions collectives des paysans dépouillés de leurs terres (shidi nongmin)1167(2), le

1164 V., Howard FRENCH, « Land of 74,000 protests (but little is ever fixed) », N.Y. Times, 24 août 2005, A4; Jim YARDLEY, « Farmers being moved aside by China’s real estate boom », N.Y. Times, 8 décembre 2004, A1; SHI Jiangtao, « Peasants in upstream fight to halt dam », S. China Morn. Post, 4 janvier, 2005, p.10; J. O’BRIEN, LI Lianjiang, « Tactical escalation in rural China », Études rurales, 2007, n°179, pp. 169 à 192. 1165 HU Jie, « Zhu Zhengliang beijing zi fen zhi hou (Après l’immolation par le feu de Zhu Zhengliang à Pékin) », Nanfang dushibao (Quotidien de Nanfang), 23 septembre 2003; Melinda LIU, Anthony KUHN, « Petitioning the Emperor », Newsweek, 29 septembre 2003, p.32; v., aussi, reportage de LI Fu, « Neimenggu chifengshi hongshanqu zhengfu tongbao yin qiangzhi chaiqian yinqi yiqi zifen shijian de diaocha jieguo (Résultat de l’enquête sur l’immolation par le feu lors d’une exécution forcée de la démolition à Chifeng, Région autonome de la Mongolie intérieure », disponible sur site http://news.xinhuanet.com/society/2009-02/25/content_10888729.htm, consulté le 25 février 2009. 1166 V., par ex., Sara Meg DAVIS, « Demolished: forced evictions and the tenants’ rights movement in China », Human Rights Watch, mars 2004, Vol. 16, n° 4. 1167 V., par exemple, Valérie LAURANS, « Shanghai: l’argument du confort pour déplacer les résidents urbains », Perspectives chinoises, n°87, 2005, loc. cit. ; aussi, reportage de XU Shousong, HUANG Tingjun, YANG Jinzhi, « Dongqian gongsi renwei zonghuo shaosi guxi fufu (Un vieux couple âgé de soixante-dix ans est brûlé à mort par l’expropriant) », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/house/2005-10/09/content_3598007.htm, consulté le 7 mai 2008 ; reportage de WANG Mian, GUO Bensheng, CONG Feng, «Shidi nongmin zaici yinfa daibiao weiyuan guanzhu (Les paysans sans terres attirent encore une fois l’attention des députés de l’APN)», disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/focus/2006-03/06/content_4260240.htm, consulté le 4 juin 2008.

Page 358: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

350

gouvernement central prend souvent une série de mesures d’amélioration pour assurer

le retour à la stabilité sociale.

(1). – La prévention des expropriations illégales dans les zones urbaines

331. - Le CAE n’hésita pas à mettre un frein à l’aggravation des mesures illégales de

démolition. Par le communiqué officiel n° 46 (2004) sur le renforcement du contrôle

sur l’envergure des démolitions des habitations urbaines adopté le 6 juin 2004, le CAE

exigea que les gouvernements locaux abandonnent les mesures d’exécution forcée dans

la réalisation de projets de démolition et répriment les comportements brutaux de

l’expropriant. Faisant écho à l’avis du CAE, la Cour populaire suprême modifia son

attitude envers la prise des mesures d’exécution forcée de démolition. Lors de la

réunion annuelle de 2004 des présidents des cours populaires locales, le vice-président

de la Cour populaire suprême souligna que, par principe, les tribunaux locaux durent

s’abstenir d’apporter leur concours aux mesures d’exécution des gouvernements

locaux dans la procédure de démolition 1168 . Quant à la garantie du droit à

l’indemnisation en cas de démolition des bâtiments dans des zones urbaines, l’ancien

Ministère de la Construction 1169 qui fut l’administration principale des affaires

d’urbanisation prévit dans son arrêté ministériel les critères d’évaluation des

immeubles faisant l’objet d’expropriation afin de mieux déterminer le montant des

indemnités. Il s’agit des règles basées sur le prix du marché immobilier. Selon l’arrêté

ministériel, l’évaluation se fait par l’expert foncier désigné par l’expropriant ayant

obtenu le permis de démolir1170. Les gouvernements provinciaux suivirent l’indication

de l’ancien Ministère de la Construction en adoptant des règles d’expertise applicables

dans leurs territoires locaux. Les règles d’évaluation ainsi imposées par l’ancien

Ministère de la Construction demeurent valables jusqu’à aujourd’hui. Alors que 1168 V., reporte du WU Jing, « Fayuan bude yi renhe jiekou canyu chaiqian (Les tribunaux ne peuvent en aucun cas participer à la démolition)», Renmin ribao (Quotidien du Peuple), 18 décembre 2004, p. 2. 1169 Suite à la réorganisation d’avril 2008, l’ancien Ministère de la Construction est remplacé par le Ministère de l’habitation et du développement urbain et rural. 1170 V., l’ancien Ministère de la Construction, Directive sur l’évaluation du prix des habitations urbaines, disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/zhengfu/2003-12/03/content_1211069.htm, 3 décembre 2003.

Page 359: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

351

l’expertise joue un rôle déterminant dans le contentieux administratif en matière

d’indemnisation, le juge peut annuler le résultat d’expertise si un accord est parvenu

entre l’expert foncier et l’expropriant ou en cas d’erreur manifeste de l’expert1171. Mais

l’amélioration la plus significative consiste en l’interdiction de la démolition et

expulsion forcées. En effet, selon ledit arrêté ministériel, si l’exproprié ne donne pas

son accord sur le montant des indemnités, ni l’expropriant ni le gouvernement local ne

peut prendre de mesures forcées, sauf si elles sont justifiées par la nécessité d’intérêt

public. En pratique, le maintien dans leur habitation et donc l’occupation continue de

la parcelle des terres visée par le projet d’expropriation constituent une stratégie des

expropriés dans sa négociation avec l’expropriant sur l’indemnisation, notamment dans

le processus de démolition des bâtiments dans des zones concernées par un projet

d’exploitation commerciale des terrains. D’où le fameux phénomène de « maison de

clous » expression chinoise désignant le refus des futurs expropriés de quitter les lieux

afin d’obtenir éventuellement des indemnités supplémentaires pour arriver à

l’indemnisation qu’ils jugent juste ou raisonnable1172.

(2). – Le renforcement de la protection des intérêts des paysans dépouillés de terres

332. - La même tendance de restriction à l’expropriation se manifeste également

dans les zones rurales. Alerté par le grignotage des terres arables du fait de

l’expropriation illégale, le gouvernement central fut déterminé à déployer des mesures

qui en renforcent la conservation. En 2004, le CAE adopta la décision sur

l’approfondissement des réformes et le renforcement de l’administration des terres,

réaffirmant ainsi la politique de mise en oeuvre d’ « un système le plus rigoureux en

matière de d’administration terres »1173. En vue d’institutionnaliser le contrôle du

1171 WANG Cailiang, Fangwu chaiqian yinan wenti jieda (Réponses aux questions difficiles relatives à l’expropriation des biens immobiliers dans les zones urbaines), op. cit., pp. 67 à 69. 1172 V., Howard W. FRENCH, « Homeowner stares down wreckers, at least for a while », New York Times, 27 mars 2007; aussi, reportage de Xinhua News Agency, « ‘Nail house’ in Chongqing demolished », disponible sur le site http://www.chinadaily.com.cn/china/2007-04/03/content_842221.htm, consulté le 7 mai 2008. 1173 CAE, Communiqué officiel Guofa n°28 (2004), 24 décembre 2004, disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/newscenter/2004-12/24/content_2377684.htm, consulté le 7 mai 2008.

Page 360: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

352

gouvernement central sur l’usage des terres par les gouvernements locaux, le système

d’inspection nationale fut établi en 2006 sous l’égide du Ministère du Territoire et des

Ressources1174. En décembre 2006, fut approuvée la décision sur le recensement

national des terres dont l’objectif fut de recueillir des informations complètes afin de

faciliter le contrôle du gouvernement central sur l’usage du sol rural par les

gouvernements locaux1175. Depuis lors, des inspections furent menées par le Ministère

du Territoire et des Ressources en priorité de ses activités, afin de veiller à ce que les

règles de droit prévues par la législation nationale ait été respectées dans la pratique

des opérations foncières.

333. - Certes, la paupérisation des paysans spoliés de leurs moyens de production à

l’issue des expropriations du sol collectif fut d’autant plus préoccupante que les terres

cultivables diminuent sous la menace de l’urbanisation. La question de savoir comment

protéger les intérêts les paysans sans terres en leur rassurant un certain niveau de vie

devint l’un des sujets d’importance politique1176. À cet égard, l’établissement d’un

régime de protection sociale bénéficiant aux paysans concernés par l’expropriation du

sol collectif fut dans la ligne politique directrice du gouvernement central. Par le

communiqué Guobanfa (2006) 29 de l’Office du CAE, il est exigé que les

gouvernements locaux dotent des paysans privés de terres d’un régime de retraite,

d’assurance maladie et d’assistance sociale, droits auparavant réservés aux habitants

urbains. L’extension des régimes de protection sociale aux paysans correspond en effet

à l’exigence d’indemnisation juste aux expropriés. Par le communiqué Guofa (2006)

31, il est interdit aux gouvernements locaux de procéder à l’expropriation du sol

collectif sans préalablement avoir mené à bien l’installation des paysans concernés en

les intégrant dans les régimes de protection sociale. Le budget pour financer 1174 CAE, Communiqué officiel Guobanfa n°50 (2006), 13 juillet 2006, disponible sur le site http://www.gov.cn/zwhd/2006-07/24/content_393233.htm, consulté le 7 mai 2008. 1175 CAE, Communiqué officiel Guofa n° 38 (2006), 7 décembre 2006, disponible sur le site http://www.gov.cn/zwgk/2006-12/20/content_474183.htm, consulté le 7 mai 2008. 1176 V., reportage de GU Chun, « Chengshihua, xu shandai shidi nongmin (Les paysans sans terre devraient mieux protégés dans le processus d’urbanisation) », Renmin ribao (Quotidien du peuple), 18 septembre 2003, p.3 ; V., aussi, reportage de WANG Mian, LI Jiapeng, GUO Bensheng, «ZHOU Hongyu daibiao jianyi zhiding ‘shidi nongmin shehui baozhangfa (Un projet de loi sur la protection sociale des paysans expropriés est proposé par le député ZHOU Hongyu)», disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/misc/2006-03/04/content_4257484.htm, consulté le 4 juin 2008.

Page 361: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

353

l’intégration des paysans aux régimes de protection sociale et les autres indemnisations

prévues par la loi doivent être assumés par les gouvernements locaux qui ont

compétence pour donner les autorisations sur les projets d’expropriation, à partir des

primes de concession du droit d’usage du sol. Confrontés aux contraintes budgétaires,

les gouvernements locaux peuvent être conduits par lesdits communiqués à exiger des

concessionnaires le versement préalable d’au moins une partie de la prime de

concession avant d’obtenir le droit d’usage du sol étatique concédé. Encore faut-il

souligner que l’effectivité des mesures ainsi adoptées par le gouvernement central

dépend de leur application concrète par les gouvernements locaux. D’où est mise à

l’épreuve la capacité du gouvernement central de veiller à ce que ses politiques soient

fidèlement mises en oeuvre par les gouvernements locaux.

B. – La répression de la revendication des droits

334. - Les mesures de police prises par l’Administration dans l’exécution des règles

de droit ne sont pas toujours en faveur des citoyens, puisqu’il existe bien des cas où la

répression est employée à l’encontre de la revendication des droits susceptibles

d’ébranler le régime1177. La « visite collective » pour désigner le rassemblement des

pétitionnaires, même sous la forme la plus paisible de réunions des citadins concernés

par le projet d’expropriation, peut être jugée illégale si elle se déroule sans autorisation

préalable de la Police. D’ailleurs, il n’est guère possible d’obtenir l’autorisation selon

la loi de 1989 sur les rassemblements et les manifestations, puis que les expropriés sont

souvent livrés aux pouvoirs discrétionnaires de la Police, d’autres organes

administratifs et confrontés à de lourdes règles procédurales1178. La révision du

Règlement sur les actions des lettres et visites en 2005 a alourdi désormais les

contraintes: les pétitionnaires seront punis pour leurs actions démesurées troublant le

bon fonctionnement des autorités nationales ou l’ordre social. Les pétitionnaires sont

exigés d’être responsables de la légitimité de leurs revendications. Afin de prévenir la

transformation des activités des lettres et visites en actions collectives protestataires, la

1177 O’Brien Kevin J., LI Lianjiang, Rightful resistance in China, op. cit., pp. 26, 48, 87. 1178 V., articles 7 à 17 de la loi de 1989 sur le rassemblement et la manifestation.

Page 362: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

354

présentation des pétitionnaires aux bureaux d’accueil est encadrée : les pétitionnaires

doivent désigner leurs représentants, au maximum 5 personnes1179. Dans la pratique, la

privation de la liberté physique des « pétitionnaires » 1180 est la mesure répressive la

plus souvent utilisée qui a toutefois provoqué des émeutes dans certaines localités1181.

En vue de restreindre l’ampleur des activités de lettres et de visites, la municipalité de

Pékin n’a pas hésité à procéder à la démolition du village qui se trouvait à la banlieue

de la capitale et où se réunissaient les « pétitionnaires »1182.

335. - L’arrestation des défenseurs des droits1183 est l’autre moyen par lequel le

gouvernement entend contrôler le mouvement de revendication des droits. En prenant

en compte la politique prioritaire du gouvernement central en matière de maintien de la

stabilité sociale, l’Association chinoise des avocats sous l’égide du Ministère de la

Justice adopta une directive précisant les règles de bonne conduite des avocats quant à

la prestation de service juridique à l’occasion des actions collectives1184. Ladite

1179 V., articles 18, 19 et 20 du Règlement sur les pétitions. 1180 V., reportage du BBC «Chaiqian shangfang renshi sansong jingshenbingyuan (Un pétitionnaire victime de la démolition est placé par trois fois dans l’hôpital psychiatrique) », disponible sur le site http://news.bbc.co.uk/chinese/simp/hi/newsid_4630000/newsid_4636400/4636488.stm, consulté le 8 mai 2008 ; v., aussi reportage de XIAO Xun, «Shanghai chaiqian qixun laofu shangfang bei dangju juliu (Une femme dans les soixante-dix ans est détenue par la police de Shanghai lors d’une pétition)», disponible sur le site http://www.voanews.com/chinese/archive/2007-09/w2007-09-17-voa22.cfm?CFID=293840930&CFTOKEN=65862899, consulté le 8 mai 2008. 1181 V., reportage de Bruno PHILIP, « En Chine du Sud, la police chinoise a réprimé dans le sang une manifestation de paysans», Le monde, 13 décembre 2005. 1182 Human Rights Watch, reportage « China : Beijing petitioners’ village faces demolition », 6 septembre 2007, disponible sur le site http://china.hrw.org/press/news_release/china_beijing_petitioners_village_faces_demolition, consulté le 8 mai 2008. 1183 Brad ADAMS, « ‘A great danger for lawyers’: new regulatory curbs on lawyers representing protestors », Human Rights Watch, décembre 2006, Vol. 18, n° 15, pp. 27 à 38 ; Sophie RICHARDSON, «‘Walking on the ice’: control, intimidation and harassment of lawyers in China », Human Rights Watch, avril 2008, disponible sur le site http://hrw.org/reports/2008/china0408/, consulté le 8 mai 2008. Par exemple, l’avocat chinois M. ZHENG Enchong a été condamné à 3 ans de prison ferme pour avoir fourni un « secret d’État » vers l’étranger dans une affaire de démolition des bâtiments dans des zones urbaines, uniquement pour le motif qu’il a transmis un reportage sur la protestation des expropriés qui s’est tenue à Shanghai à l’organisation China Human Rights de New York. V., WANG Cailiang, Fangwu chaiqian yinan wenti jieda (Réponses aux questions difficiles relatives à l’expropriation des biens immobiliers dans les zones urbaines), op. cit., pp. 320 à 324. 1184 Association des avocats chinois, Directive sur les règles de bonne conduite des avocats dans les

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355

directive exigea que les avocats durent assumer l’obligation d’assurer la stabilité

sociale, de persuader leurs clients d’abandonner l’idée de mener une action collective

et de refuser de fournir le service juridique à leurs clients au cas où ces derniers

s’impliqueraient dans la protestation contre le gouvernement. Il faut souligner que les

avocats eux-mêmes peuvent encourir des peines dans le cadre de leurs activités qui

vont jusqu’à sept ans de réclusion pour délit de destruction et de falsification de

preuves1185. Ce délit figure parmi les condamnations auxquelles les autorités locales

souvent recourent comme prétexte pour réprimer les défenseurs des droits. La révision

de la loi sur les avocats en 2007, entrée en vigueur le 1er juin 2008, n’a pas répondu à

l’attente des défenseurs des droits selon lesquels les responsabilités pénales, véritables

menaces pour l’autonomie des avocats dans leurs activités professionnelles, auraient

dû être supprimées. En effet, l’article 37, l’alinéa 2 de la loi sur les avocats prévoit des

exceptions à l’immunité des avocats dans leurs plaidoiries devant les instances

judiciaires tels que les propos menaçant la sécurité nationale, la diffamation ou le

trouble à l’ordre des cours et des tribunaux. Ce qui est jugé comme étant une nouvelle

entrave à la liberté personnelle des défenseurs des droits1186.

336. - L’affaire du village de Taishi1187 dans la province du Guangdong constitue un

bon exemple de la mobilisation des paysans pour la défense de leurs droits. Quand les

habitants du village se rendirent compte que le directeur du comité villageois détourna

une grande partie des fonds accordés par l’État au titre de la compensation pour des

terres expropriées pour construire une route, quatre cents d’entre eux déposèrent une

plainte demandant sa destitution, conformément à la loi organique sur les élections

villageoises. Certes, deux semaines après le dépôt de la plainte, mille cinq cents

villageois se heurtèrent à la force de la Police armée et des activistes furent arrêtés. Les

actions collectives, 20 mars 2006, disponible sur le site http://www.chineselawyer.com.cn/pages/2006-5-15/s34854.html, consulté le 8 mai 2008. 1185 V., article 306 de la loi pénale. 1186 V., TENG Biao, « Article 37 of the PRC law on lawyers: a new trap set for lawyers », disponible sur le site http://www.chrlcg-hk.org/?p=292, consulté le 3 juin 2006. 1187 V., reportage de Ian MAYES, « Seeing and believing in China », The Guardian, 17 octobre 2007, p. 31 ; Edward CODY, « In Chinese uprisings, peasants find new allies », Washington Post, 26 novembre 2005, p. A01 ; Tim LUARD, « China village democracy skin deep », 10 octobre 2005, disponible sur le site http://news.bbc.co.uk/2/hi/asia-pacific/4319954.stm, consulté le 12 mai 2008.

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356

avocats, juristes, journalistes et professeurs qui furent aux côtés des paysans en leur

apportant leur soutien intellectuel furent soit emprisonnés soit intimidés soit

physiquement menacés ou battus. En même temps, les habitants lancèrent une grève de

la faim pour protester contre les arrestations et obtenir le rappel du chef de village, s’en

tenant à des méthodes non violentes. Bien que l’affaire fut publiquement reconnue

comme un exemple de la démocratie en germe dans le cadre des lois1188, les villageois

de Taishi n’eurent pourtant jamais obtenu satisfaction à cause de la pression du

gouvernement de canton. D’où un nouveau succès des mots d’ordre « la stabilité

l’emporte sur tous » initiés par DENG Xiaoping en 1989 pour justifier les mesures

prises par l’État pour étouffer les événements de Tian’anmen. En adoptant les mesures

répressives caractérisées par «le refus de la démocratie par (et pour) le droit»1189,

l’autorité administrative impose une limite à la revendication des droits afin de

préserver la pérennité du régime.

Sous-section 2. – Le rôle de l’autorité administrative dans la mise en

oeuvre des garanties de la propriété publique

337. - La concession du droit d’usage du sol étatique et la cession des actifs

d’entreprises d’État sont les deux formes concrètes de « la décentralisation des

pouvoirs de contrôle par l’État sur ses biens»1190. Certes, le gaspillage et d’autres

formes de vol des biens étatiques par les agents publics sont depuis longtemps un

problème de la réforme économique, et surtout de la restructuration des entreprises

d’État1191. Les scandales de la corruption des fonctionnaires dans l’administration des

1188 HE Linping, « Youganyu nongmin yifa ba cunguan (Fléchissement sur la destitution du chef villageois sur l’initiative des paysans en vertu de la loi) », Renmin ribao : Huanan xinwen (Quotidien du peuple : Actualités de la Chine sud), 14 septembre 2005, p. 4. 1189 Stéphanie BALME, « La Chine depuis Mao : le refus de la démocratie par (et pour) le droit », in Javier SANTISO (sous la dir. de), À la recherche de le démocratie : mélanges offerts à Guy Hermet, Centre d’études et de recherches internationales, 2002, p.187. 1190 Minxin PEI, China’s trapped transition: the limits of development autocracy, Havard University Press, 2006, p. 139. 1191 X. L. DING, « The illicit asset stripping of Chinese state firms », The China Journal, n° 43, 2000, pp. 1 à 28.

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357

biens étatiques1192 révèlent les faiblesses de la mise en oeuvre des garanties du droit de

propriété publique. C’est la raison pour laquelle les organes administratifs ont pris des

mesures visant à renforcer le contrôle et à faire la pression sur les agents publics en

engageant leur responsabilité juridique. À cet égard, il faut notamment souligner le rôle

du droit pénal qui prévoit d’une manière plus générale la responsabilité des personnes

qui ont commis des délits pour la violation des garanties du droit de propriété publique.

La pénalisation des responsabilités a pour but de contraindre les agents publics à mieux

respecter les normes de garanties de propriété publique dans l’exercice de leurs

pouvoirs attachés l’administration et à la gestion des biens publics. La supervision et

l’administration par l’État de la restructuration des entreprises d’État constituent un cas

typique permettant de mettre en relief le rôle de l’autorité administrative. Renforcer les

mesures administratives de contrôle (§ 1) et engager la responsabilité des agents

publics (§ 2) sont donc les deux approches par lesquelles l’autorité administrative met

en oeuvre des garanties du droit de propriété publique.

§ 1. – La mise en oeuvre des garanties du droit de propriété publique par le

renforcement des mesures administratives

338. - Pour améliorer la mise en oeuvre des garanties du droit de propriété, les

agents de contrôle sont désormais institutionnalisés (A) et il leur est attribué le pouvoir

de prendre diverses mesures de contrôle selon les cas concrets (B).

A. – L’institutionnalisation des acteurs du contrôle

339. - Se préoccupant de multiples cas d’appropriation illégale des biens publics1193,

le gouvernement central tenta de créer à un régime plus efficace et plus rigoureux de 1192 Dans l’affaire de CHEN Liangyu, d’importants problèmes de corruption et des erreurs d’appréciation ont conduit à une perte du National Social Security Fund (NSSF), estimée à 919 millions de yuans (91 millions d’euros en 2004). V., reportages dans les journaux : Les Echos, 22 janvier 2007, p. 1 ; La Tribune, 22 janvier 2007, p. 24. 1193 V., WEN Jiabao, Rapport d’activités du gouvernement de 2006, présenté devant la quatrième session de la Xe Assemblée populaire nationale, en date du 5 mars 2006, disponible sur le site http://service.china.org.cn/link/wcm/Show_Text_f?info_id=226107, consulté le 19 août 2006.

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358

contrôle et de gestion des transactions relatives à la propriété publique. Parallèlement à

la restructuration des entreprises d’État, la gestion des participations d’État dans les

sociétés faisait l’objet d’une réforme de grande ampleur, à travers la création de

holdings publics à l’échelle locale, soit en créant des sociétés de portefeuilles, soit en

encourageant les sociétés mères de grands groupes à détenir des actions de l’État dans

les entreprises d’un secteur particulier1194. En 2003, le CAE adopta le Règlement

provisoire sur la supervision et la gestion des actifs d’État des entreprises, instituant la

Commission du CAE chargée de la supervision et de la gestion des actifs d’État

(SASAC) et ses subordonnés, à savoir les bureaux locaux chargés de la supervision et

de la gestion des actifs d’État institués auprès des gouvernements locaux1195. Les

entreprises d’État qui furent directement contrôlées par les différents ministères –à

l’exception des institutions financières– sont désormais soumises à l’administration

soit de la SASAC soit des bureaux locaux, en fonction de leurs envergures et de leurs

chiffres d’affaires1196. La SASAC et ses bureaux locaux remplissent une double

mission de « mener à bien la réforme et la restructuration des entreprises d’État »1197,

d’une part, et, d’autre part, de « consolider la gestion déjà fragmentée de la propriété

de l’État »1198. Le principe de séparation entre le droit de propriété et la gestion des

entreprises d’État est maintenu par la création de la SASAC et les bureaux locaux

chargés de la supervision et de la gestion des actifs d’État, dans la mesure où la

SASAC et ses bureaux locaux n’ont pas la fonction de gérer directement des

entreprises d’État sous leurs compétences respectives1199. Certes, la direction de la

1194 Hubert BAZIN, Hans-Günther HERRMANN, « Restructuration, dénationalisation ou privatisation des entreprises d’État ? », Gazette du Palais, 1997 n° spécial, la Chine et le droit : évolution récente, p. 1629 ; v., aussi, Becky CHIU, Mervyn keith LEWIS, Reforming China’s State-owned enterprises and banks, Edward Elgar, 2006, pp. 120, 121. 1195 CAE, Règlement provisoire sur la supervision et la gestion des actifs d’État des entreprises, décret n° 378, 27 mai 2003. 1196 V., article 5 du Règlement provisoire sur la supervision et la gestion des actifs d’État des entreprises. 1197 Ross GARNAUT, Ligang SONG, Stoyan TENEV, Yang YAO, China’s ownership transformation: Process, outcomes, prospects, op. cit., p. 7. 1198 Becky CHIU, Mervyn K. LEWIS, Reforming China’s state-owned enterprises and banks, op. cit., p.122. 1199 Stoyan TENEV, Chunlin ZHANG, Loup BREFORT, Corporate governance and enterprise reform in China: Building the institutions of modern markets, World Bank, 2002, p.76.

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359

restructuration des entreprises d’État, le maintien et la valorisation des actifs

d’entreprises d’État sont les formes concrètes de l’exercice du droit de propriété par la

SASAC « en sa qualité du représentant de l’État-propriétaire »1200.

B. – Les mesures de contrôle

340. - Inscrit dans la « diversification des capitaux » 1201 pour désigner la

restructuration qui introduit les capitaux non-étatiques dans les entreprises d’État tout

en maintenant la part majoritaire des actifs de l’État, le transfert des actifs d’entreprises

d’État a été rendu possible par ledit Règlement provisoire du CAE. Ce dernier prévoit

que la cession des actifs d’État est subordonnée à l’autorisation préalable de la SASAC

ou des bureaux locaux. Au cas où l’État ne serait plus majoritaire suite à une

restructuration, celle-ci doit être préalablement autorisée par le CAE ou par des

gouvernements locaux1202. En effet, la procédure d’autorisation préalable est le moyen

par lequel la SASAC et les bureaux locaux, ainsi que les gouvernements locaux

auxquels les bureaux locaux sont soumis, peuvent veiller à ce que la transaction soit

dans l’intérêt de l’État et soit conforme à la politique menée par le gouvernement

central dans les domaines économique et social. Il faut souligner que le pouvoir

d’autorisation est largement discrétionnaire. Ainsi, la mise en oeuvre des garanties de

propriété étatique est assimilée à un contrôle politique par les organes étatiques ou

locaux1203. Ce fut notamment le cas lorsque le projet de restructuration des entreprises

d’État fut envisagé et permit des opérations d’acquisition par des entreprises étrangères.

1200 V., article 12 du Règlement provisoire sur la supervision et la gestion des actifs d’État des entreprises. 1201 Ross GARNAUT, Ligang SONG, Stoyan TENEV, Yang YAO, China’s ownership transformation: Process, outcomes, prospects, op. cit., p. 48; v. aussi, Chenxia SHI, « International corporate governance developments: the path for China », Australian Journal of Asian Law, 2005, Vol. 7, n°1, p.60. 1202 V., article 23 du Règlement provisoire sur la supervision et la gestion des actifs d’État des entreprises. 1203 V., Jonathan G. S. KOPPELL, « Political control for China’s State-owned enterprises: lessons from America’s experience with hybrid organizations », Governance: An International Journal of Policy, Administration, and Institutions, Vol. 20, n° 2, 2007, pp. 255 à 278; Lixin COLIN-XU, Tian ZHU and Yi-min LIN, « Politician control, agency problems and ownership reform: evidence from China », Economics of Transition, Vol. 13, n°1, 2005, pp. 1 à 24.

Page 368: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

360

La réglementation chinoise a évolué vers un renforcement du contrôle en restreignant

la liste des entreprises d’État pouvant faire l’objet de la fusion et en multipliant les

autorisations par les ministères concernés1204. Le régime d’autorisation a également été

établi sur le transfert des biens détenus par les organes étatiques. Selon un arrêté du

Ministère des Finances, les biens des organes étatiques, y compris les organes du PCC,

les organes administratifs et juridictionnels, ainsi que les organes institués auprès des

assemblées populaires de différents échelons et les organes des parties démocratiques,

sont administrés par le Ministère des Finances et ses subordonnés auprès des

gouvernements locaux1205. Après avoir réaffirmé que l’État est le propriétaire unique

des biens détenus par les organes susmentionnés, l’arrêté ministériel dispose que la

cession à tire gratuit, la vente, le prêt et la location des biens aux personnes privées, ne

peuvent s’effectuer qu’avec une autorisation préalable. Le Ministère des Finances et

ses subordonnés auprès des gouvernements locaux procèdent au contrôle de la légalité

de la disposition des biens par les organes étatiques et veillent également à ce que le

prix de transaction des biens étatiques soit raisonnable à l’égard de leur valeur.

341. - Afin de sauvegarder l’intérêt de l’État, la SASAC arrêta conjointement avec le

Ministère des Finances les mesures provisoires sur la cession des actifs d’État le 31

décembre 20031206. Celles-ci réaffirment le principe interdisant la cession des actifs des

entreprises d’État en dessous de leur valeur. La SASAC et ses bureaux locaux peuvent

refuser l’autorisation de la cession des actifs d’État au motif que le prix de transfert

n’est pas raisonnable. Pour assurer le juste prix des transactions, deux modalités

principales sont prévues par les mesures provisoires. D’une part, les transactions

peuvent se faire par la libre négociation privée entre les parties ou par la mise aux

enchères ou par appel d’offre dans les Bourses agréées par la SASAC ou les bureaux

1204 WANG-FOUCHER Haiying, « La réglementation des opérations d’acquisition sur le marché chinois », JCP Entreprise, hebdo n° 45, 8 novembre 2007, commentaire n° 2356, pp. 36 à 41; v. aussi, Fang YAN, Andrew TORCHIA, « China stalls major foreign buyouts », International Herald Tribune, 15 février 2007. 1205 Ministère de Finance, Mesures provisoires de l’administration des biens des organes étatiques, adopté le 30 mai 2006. 1206 Disponible sur le site http://www.sasac.gov.cn/gzjg/cqgl/200408040125.htm, consulté le 9 juin 2006.

Page 369: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

361

locaux1207. Cependant, par un communiqué conjoint récemment arrêté par la SASAC et

le Ministère des Finances, la négociation privée entre les parties des transactions est

pratiquement interdite 1208 . Ce qui traduit l’idée selon laquelle la publicité des

transactions vaut mieux que la négociation privée à l’égard de la détermination du prix.

Et la transparence est aussi la prévention de la corruption. D’autre part, les actifs d’État

faisant l’objet de cession doivent être préalablement évalués par les institutions

indépendantes afin d’assurer l’impartialité de l’évaluation des actifs d’État et d’éviter

la cession selon le prix sous-évalué1209. Les tiers indépendants professionnels, il s’agit

des bureaux d’experts comptables ou d’autres organes professionnels qualifiés par la

SASAC et les bureaux locaux chargés de la supervision et de la gestion des actifs

d’État1210. Outre ce contrôle a priori, la SASAC et ses bureaux locaux chargés de la

supervision et la gestion des actifs d’État peuvent aussi annuler a posteriori les

transactions illicites. L’article 32 des Mesures provisoires confère à la SASAC et à ses

bureaux locaux le pouvoir de décider la suspension des transactions illégales des actifs

d’État, d’adopter les sanctions disciplinaires à l’encontre des personnes qui ont violé

les règles d’administration relatives à la cession des actifs d’État et de demander

l’annulation par les tribunaux populaires locaux des transactions jugées incompatibles

avec le règlement provisoire et les mesures provisoires susmentionnées. De même, des

agents des organes étatiques qui ont méconnu les règles de protection des biens de

l’État détenus par les organes étatiques sont passibles de sanctions disciplinaires

prévues par les Mesures provisoires de l’administration des biens des organes

étatiques.

342. - Les mécanismes de contrôle ainsi établis se heurtent toutefois à diverses

difficultés qui font obstacle à son efficacité. Par exemple, les gouvernements locaux

1207 V., article 10 des Mesures provisoires de l’administration de la cession des actifs d’État des entreprises. 1208 SASAC, Ministère des Finances, Communiqué n° (2006) 306 sur certaines affaires relatives à la cession des actifs d’État, le 31 décembre 2006. 1209 SASAC, Mesures provisoires sur l’évaluation des actifs d’État des entreprises, publié par l’arrêté n° 12 du 25 août 2005. 1210 CAE, Mesures sur l’évaluation des actifs d’État, publié par l’Ordonnance n° 90 du 16 novembre 1991, disponible sur le site http://www.sasac.gov.cn/n1180/n1566/n258222/n259203/1733994.html, consulté le 12 mai 2008.

Page 370: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

362

entendent souvent céder les actifs selon le prix réduit comme une forme de

remboursement aux acheteurs afin que ces derniers prennent davantage les charges

sociales à leur compte ou pour accélérer le processus de la restructuration des

entreprises d’État1211. Du fait du lien étroit entre les Bourses et les gouvernements

locaux, ces derniers peuvent exercer leur influence sur la transaction des actifs

d’entreprise aux Bourses. De même, l’évaluation par l’intermédiaire des institutions

indépendantes des actifs faisant l’objet de la cession est susceptible d’être facilement

manipulée par les deux parties aux transactions et nourrit ainsi la corruption des agents

publics1212. Du coup, la sanction sous forme de responsabilité individuelle semble être

le dernier moyen de faire respecter les garanties du droit de propriété publique.

§ 2. – Les responsabilités pour la violation des garanties du droit de propriété

publique

343. - Les personnes chargées de la gestion ou de l’administration des biens de

propriété publique peuvent encourir les sanctions disciplinaires et la responsabilité

civile (A) pour leurs activités portant atteinte à ce droit. Les peines criminelles seront

infligées en cas de gravité (B).

A. – Les sanctions disciplinaires et la responsabilité civile

344. - L’un des problèmes dans la gouvernance des entreprises d’État le plus souvent

soulevé consiste en ce que les gestionnaires, qui ne sont assujettis ni aux contraintes ni

aux incitations, sont économiquement irresponsables de la performance des entreprises

d’État1213. Après la mise en place du régime de rachat de l’entreprise par les cadres à

1211 Ross GARNAUT, Ligang SONG, Stoyan TENEV, Yang YAO, China’s ownership transformation: Process, outcomes, prospects, op. cit., pp.68, 69. 1212 Robert LEWIS, « Playing the state asset game », International Financial Law Review, Vol. 26, n°11, 2007, pp. 11 à 12; v., aussi reportage David BARBOZA, « Former party boss in China gets 18 years », The New York Times, 12 avril 2008; reportage Jim YARDLEY, « Shanghai tycoon falls from grace », The New York Times, 1 décembre 2007. 1213 Cindy A SCHIPANI, Junhai LIU, « Corporate governance in China: then and now », Columbia Business Law Review, n° 1, 2002, pp. 47, 48; v., aussi, FANG Liufang, « China’s corporatization

Page 371: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

363

titre expérimental, la SASAC s’est tournée vers le durcissement des conditions

d’application afin de freiner des pratiques abusives1214. La tendance actuelle consiste

donc à mettre l’accent sur les responsabilités personnelles des gestionnaires des

entreprises d’État plutôt qu’à appliquer les mesures d’incitation, dans l’objectif de

contraindre les gestionnaires à se comporter de manière diligente dans le maintien et la

gestion des actifs d’entreprises d’État. À cet égard, la SASAC et ses bureaux locaux

exercent le pouvoir de nomination du personnel important des sociétés nationales –les

entreprises d’État qui sont restructurées selon le modèle de société–, à savoir les

membres du conseil d’administration, les membres du conseil de surveillance, les

directeurs, les auditeurs, etc.1215 Tous peuvent, du fait de la SASAC, subir les

sanctions disciplinaires pour leurs fautes dans la gestion des entreprises d’État dont la

plus grave est la destitution pour leurs comportements illicites ou imprudents1216.

Les responsables d’entreprises d’État doivent également assumer la responsabilité

civile de dédommagement au cas où ils porteraient atteinte aux actifs d’entreprises

d’État 1217 . La tendance qui consiste à imposer la responsabilité civile de

dédommagement à la personne responsable de la gestion d’entreprises se confirme par

la révision de la loi sur les sociétés en 2005, dont le nouvel article 150 prévoit la

responsabilité civile de dédommagement des membres du conseil d’administration,

superviseurs et des autres gestionnaires importants pour la violation des lois,

règlements et statuts de la société dans l’accomplissement de leurs fonctions. Le

nouvel article 153 dispose que les actionnaires qui subissent des dommages causés par

les membres du conseil d’administration et d’autres gestionnaires importants de la

société ont le droit de réclamer la compensation par voie de contentieux civil. Certes,

pour les sociétés nationales, la nomination et la révocation directe du personnel ne experiment », Duke Journal of Comparative and International Law, n° 2, 1995, pp. 263 à 265. 1214 V, reportage du People’s Daily, «China to issue detailed regulation on MBO», 5 mars 2005, disponible sur le site http://www.10thnpc.org.cn/english/BAT/121864.htm, consulté le 31 mai 2008. 1215 V., article 17 du Règlement provisoire sur la supervision et la gestion des actifs d’État des entreprises. 1216 V., articles 38, 39 et 40 du Règlement provisoire sur la supervision et la gestion des actifs d’État des entreprises; article 35 des Mesures provisoires de l’administration de la cession des actifs d’État des entreprises. 1217 V., article 40 du Règlement provisoire sur la supervision et la gestion des actifs d’État des entreprises.

Page 372: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

364

peuvent que conduire à la consolidation de la relation interpersonnelle politiquement

hiérarchisée. Cette relation interpersonnelle domine toujours dans la gestion des

affaires de société et risquerait d’empêcher la réalisation de bonne gouvernance1218.

345. - La tendance à resserrer le contrôle sur la violation du droit de propriété

publique par l’engagement des responsabilités disciplinaires est plus remarquable en

matière d’administration du sol. Par exemple, l’arrêté ministériel relatif à la sanction

des activités en violation des règles d’administration du sol, adopté conjointement par

le Ministère de la Supervision, le Ministère des Ressources Humaines et de la Sécurité

Sociale et le Ministère du Territoire et des Ressources1219, énumère avec précision les

situations dans lesquelles les agents publics seront sanctionnés par l’admonestation, la

dégradation, la destitution ou l’expulsion des organes administratifs, pour leurs

activités de manquement, d’abus de pouvoir ou de méconnaissance des règles de droit

dans l’administration du sol.

B. – Les responsabilités pénales pour la violation des garanties du

droit de propriété publique

346. - La violation des garanties du droit de propriété se trouve souvent dans les

« crimes économiques » et notamment la corruption. Les responsabilités pénales des

agents publics pour la violation du droit de propriété publique sont souvent assimilées

à celles relatives à la corruption, d’autant plus que le gouvernement central se montre

toujours intransigeant à l’encontre de ce crime. Comme l’on a observé, « ce qui

différencie la lutte anti-corruption chinoise de son pendant occidental c’est à la fois

son amplitude, sa sévérité, son absolue priorité et la large publicité donnée tant au

délit qu’à la sanction »1220. La loi pénale promulguée en 1979, révisée en 1999,

distingue les biens publics des biens privés. Par l’article 91, les biens publics sont

définis comme les biens de propriété d’État, les biens de propriété collective, les dons

1218 Angus YOUNG, Grace LI, Alex LAU, « Corporate governance in China: the role of state and ideology in shaping reforms », Comp. Law. 2007, 28(7), pp. 208 à 209. 1219 L’arrêté est entré en vigueur le 1er juin 2008. 1220 A. WILMOTS, Gestion politique et centre du pouvoir en République populaire de Chine, L’Harmattan, 2001, p.187.

Page 373: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

365

ou fonds spécialement utilisés pour la réduction de pauvreté et d’autres buts d’intérêt

public, les biens qui sont soumis à la gestion, à la transportation ou à l’utilisation des

organes étatiques, des entreprises ou des sociétés d’État, des entreprises collectives ou

des associations du peuple, sont considérés comme des biens publics pour le but

d’application de cette loi pénale. Il en résulte que la loi pénale retient une notion lato

sensu des biens publics, dont l’objectif est de mieux protéger certains intérêts de nature

publique. Ainsi l’article 304 prévoit l’inculpation du personnel de la Poste pour la

livraison délibérément tardive des courriers qui cause des préjudices aux biens

publics1221 ; l’article 397 condamne l’abus de pouvoir ou la négligence de ses devoirs

par les agents des organes étatiques qui portent préjudice aux biens publics; l’article

403 condamne l’abus de pouvoir portant atteinte aux biens publics par les agents des

organes étatiques compétents pour l’enregistrement des sociétés, l’autorisation de

l’émission des actions et des obligations, ou l’autorisation de l’introduction des

sociétés en Bourse1222 .

347. - Dans biens d’autres cas, les activités condamnées portent plus précisément sur

certaines catégories de biens. Ainsi l’article 342, modifié par l’amendement en date du

31 août 2001 à la loi pénale, définit comme un crime l’occupation illégale et la

modification de l’usage des terres agricoles de grande surface. Par conséquent, la

personne qui procède à l’expropriation illégale des terres agricoles de propriété

collective sera inculpée en fonction de la sévérité des cas. De même, l’article 343, dont

l’objectif est de garantir la propriété de l’État sur les ressources minières, condamne les

extractions illégales des mines. De multiples articles définissent les crimes portant

attente aux biens des entreprises d’État. Ainsi en est-il de l’article 167 qui condamne

les activités irresponsables des gestionnaires des entreprises d’État faisant de l’État une

victime des transactions frauduleuses; de l’article 168 qui condamne l’abus de pouvoir

des gestionnaires conduisant à la faillite des entreprises d’État ou à d’importants

dégâts ; de l’article 169 qui condamne la cession des actifs d’État sous leur valeur ; de

l’article 382 qui sanctionne la dilapidation ; de l’article 383 qui sanctionne le 1221 Cette activité incriminée se situe parmi les crimes de troubler à l’ordre public, v., la section première du sixième chapitre de la loi pénale. 1222 Les activités sanctionnées par les articles 397 et 403 sont qualifiées crimes de forfaiture, v., le neuvième chapitre de la loi pénale.

Page 374: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

366

détournement de biens publics et de l’article 396 qui sanctionne la distribution illégale

des biens étatiques aux individus.

348. - Certes, la pénalisation de certaines activités portant atteinte au droit de

propriété publique est critiquable selon certains juristes chinois, dans la mesure où elle

est en contradiction avec le principe d’égalité de protection des propriétés publique et

privée1223. Le professeur JIAO Hongchang a constaté que les articles 167, 168 et 169

ne sanctionnent que les activités des gestionnaires des entreprises d’État, tout en

excluant celles portant atteinte aux intérêts des entreprises non étatiques et ainsi

donnent la préférence à la protection des biens étatiques1224. Le professeur TONG

Zhiwei a constaté que l’ampleur des peines applicables aux activités incriminées varie

selon la nature publique ou privée des biens endommagés. Dans la plupart des cas, la

violation des biens étatiques est plus lourdement sanctionnée que la violation des biens

privés1225. De plus, la peine capitale peut être appliquée au crime de dilapidation de

biens étatiques1226, tandis que dix ans d’emprisonnement est la peine la plus lourde

applicable au détournement de biens des entreprises non étatiques1227. Il faut remarquer

que l’amendement du 29 juin 2006 à la loi pénale ajoute un nouvel alinéa à l’article

169 qui prévoit la responsabilité pénale des dirigeants des sociétés cotées pour la

violation des obligations de fidélité et par conséquent pour avoir porté atteinte à

l’intérêt des sociétés. Alors que la majorité des sociétés cotées sont issues de la

restructuration des entreprises d’État1228, le nouvel alinéa de l’article 169 prévoit

clairement comme fait constitutif du crime l’existence des atteintes à l’intérêt des

1223 V., ZHENG Xun, ZHANG Renping, ZHANG Weijing, HONG Youyi, « Sichan baohu qidai xingfa yishi tongren (La protection des biens privés appelle l’égalité du traitement de la loi pénale) », disponible sur le site http://legal.people.com.cn/GB/42731/3198755.html, consulté le 12 mai 2008. 1224 JIAO Hongchang, « Woguo gongmin caichanquan xingfa baohu de shizheng fenxi (L’analyse pragmatique de la protection du droit de propriété des citoyens par la loi pénale) », disponible sur le site http://www.bjpopss.gov.cn/BJPOPSS/CGJJ/cgjj20051215.htm.zh, consulté le 12 mai 2008. 1225 TONG Zhiwei, « Wuquanfa caoan gai ruhe tongguo xianfa zhimen (Comment le projet de loi sur les droits réelspeut passer l’examen de constitutionnalité)», Faxue (Droit), 2006, n° 3, p. 9. 1226 V., article 383 (1) de la loi pénale. 1227 V., article 272, alinéa 1er de la loi pénale. 1228 V., Cindy A SCHIPANI, Junhai LIU, « Corporate governance in China: then and now », op. cit., pp. 1 à 69; v., aussi, reportage du Xinhua News Agency, « SASAC encourages whole listing of central SOEs », en date du 13 août 2007, disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/english/2007-08/13/content_6521859.htm, consulté le 12 mai 2008.

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367

sociétés au lieu des intérêts ou des biens de l’État. Il semble donc que tous les

actionnaires de la société –l’État ou les entités privées– peuvent profiter de l’effet

dissuasif d’incrimination pour contraindre les gestionnaires à remplir leurs obligations

envers la société. D’où une tendance souhaitable vers le traitement égal des biens

publics et privés à l’égard de la gouvernance des sociétés.

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368

CONCLUSION DU CHAPITRE

349. - La légalité et la garantie judiciaire sont les deux piliers d’un État de droit. Par

la légalité, on entend la soumission de l’Administration au droit qui se rattache à un

certain type de civilisation et s’oppose à l’État de police. Elle répond à la volonté de

protéger les individus contre l’arbitraire auquel ils seraient exposés si l’autorité

administrative n’était liée par aucune règle préalable1229. L’expérience du droit français

montre que l’existence d’un contrôle efficace est la condition même de la

reconnaissance de prérogative de puissance publique à l’Administration. En l’absence

d’un tel contrôle, tout l’équilibre du droit administratif sera remis en cause1230. Ce

constat est particulièrement vrai au regard de l’état actuel du droit chinois. Certes, la

croissance de la conscience du droit à mesure que se développe le socle des droits

fondamentaux peut contribuer à la réforme vers l’amélioration des garanties judiciaires.

Le recours par les citoyens à la fois au droit et à d’autres stratégies pour défendre leurs

droits et leurs intérêts met l’autorité judiciaire dans un contexte politique plus large et

plus complexe qui se caractérise par l’interaction des forces sociales dans un État « non

plus monolithique mais composé d’un hochepot d’acteurs disparates »1231. Du recours

juridictionnel au recours au rapport de force, la revendication de leurs droits par les

citoyens peut faire évoluer le mécanisme de la mise en oeuvre des garanties du droit de

propriété selon le modèle de gouvernance à laquelle participent les pouvoirs

administratif et judiciaire. L’état actuel de la mise en oeuvre des garanties juridiques du

droit de propriété démontre que des efforts doivent davantage être déployés pour

réduire l’écart entre les règles de droit et son effectivité. Élargir la compétence et

renforcer les pouvoirs des organes juridictionnels sont les mesures prioritaires à

prendre. À cet égard, l’expérience du droit français est inspirante, car « les réformes

récentes et à venir, confirment la tradition qui voit, dans l’indépendance du juge

vis-à-vis du pouvoir, un des postulats du libéralisme. Elles confirment aussi

l’insuffisance des garanties de cette indépendance dans le droit positif par rapport aux 1229 Jean RIVERO, Jean WALINE, Droit administratif, 22e éd., Dalloz, 2008, §285. 1230 Ibid, §519. 1231 Kevin J. O’BRIEN, Lianjiang LI, « Suing the local state: administrative litigation law in rural China », The China Journal, n° 51, 2004, pp. 93, 94.

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369

exigences de la protection des libertés dans un État de droit »1232. L’hypothèse basée

sur l’expérience historique soutient que « dès que la Chine réussit à établir le

consensus politique et à élever le niveau de la performance économique et sociale, les

dirigeants pourraient approfondir leur appréciation sur la vertu de la spécialisation,

la professionnalisation et l’autonomie de l’autorité judiciaire » 1233 . Alors que

l’État-Parti dispose de la marge de manoeuvre lui permettant d’améliorer l’application

du droit pour consolider la légitimité du régime, de nouvelles sources dynamiques dans

la quête à l’effectivité du droit peuvent contribuer à l’accélération de ce processus.

1232 Jean RIVERO, Hugues MOUTHOUH, Libertés publiques, op. cit., p.129. 1233 Jerome Alain COHEN, « The Chinese communist party and “judicial independence”: 1949-1959», Harvard Law Review, Vol. 82, n°5, 1969, p.1006.

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370

CONCLUSION DU TITRE

350. - L’écart entre la multiplication des droits constitutionnellement et

législativement reconnus et le faible aménagement des voies de recours appellent « la

montée en puissance des juges » afin de rééquilibrer les pouvoirs1234. Car en l’état

actuel du droit chinois, dans le triangle des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire,

c’est «le déséquilibre des pouvoirs qui reste préoccupant »1235. Il en est ainsi de la mise

en oeuvre des garanties du droit de propriété. En absence d’un mécanisme de contrôle

constitutionnel des normes juridiques, le pouvoir législatif national est largement

décentralisé au profit des autorités locales. C’est la raison pour laquelle les atteintes au

droit de propriété sont souvent issues des normes locales qui méconnaissent

ouvertement les garanties constitutionnelles. De même, le pouvoir exécutif partage le

pouvoir d’adoption des règles normatives tout en excluant le contrôle judicaire. La

compétence et les pouvoirs des juges sont très réduits de sorte que le recours judiciaire

s’avère ineffectif et inutile face à l’empiètement de l’Administration sur le droit de

propriété privée. Rééquilibrer les pouvoirs est d’autant plus nécessaire que

l’amélioration de l’application du droit doit être pensée comme participant de

l’établissement d’un véritable État de droit en Chine. Pour assurer la mise en oeuvre

des garanties du droit de propriété qui s’inscrit dans « une bataille politico-légale »

d’application du droit en Chine, « il est nécessaire non seulement de renforcer la

coordination entre ces institutions mais aussi de créer des contre-pouvoirs au sein du

système politique (le Parti communiste inclus) »1236. La revendication de leurs droits

par les propriétaires constitue une source dynamique de la transformation du droit

chinois qui ne doit pas être négligée: n’est-il pas plus judicieux de laisser plus de

pouvoir au juge qui est « gardien des valeurs »1237 pour que la justice devienne une

1234 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (III) : la refondation des pouvoirs, Éditions du Seuil, 2007, pp. 41, 61. 1235 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p. 559. 1236 CHEN Jianfu, « L’application du droit en Chine : une bataille politico-légale », Perspectives chinoises, n° 72, 2002, p. 37. 1237 Vincente FORTIER (sous la dir. de), Le juge, gardien des valeurs?, CNRS Edition, 2007, pp. 15, 199.

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371

autorité à qui l’on demande « d’autoriser la vie démocratique, (...) et de fournir un

surplus de puissance au pouvoir »1238, avant que l’État ne soit débordé par les

mouvements de « résistance légale »1239 ? Ainsi, alors qu’en Europe la réflexion

actuelle concerne la conciliation de la responsabilité des juges avec leur indépendance

et leur autorité par le perfectionnement de « la discipline des juges »1240, le problème

majeur en Chine consiste toutefois à reconnaître un statut véritable indépendant aux

organes juridictionnels et à renforcer leur autorité par la réforme juridico-politique.

1238 Antoine GARAPON, Le gardien des promesses, justice et démocratie, Éditions Odile Jacob, 1996, p. 177. 1239 V., Lucien BIANCO, Jacqueries et révolution de la Chine du XXe siècle, Éditions de La Martinière, 2005, p. 487. 1240 V., Guy CANIVET, Julie JOLY-HURARD, La discipline des juges, Litec, 2007, §§ 44 et s ; v., aussi, Guy CANIVET, Julie JOLY-HURARD, « La responsabilité des juges, ici et ailleurs », Revue internationale de droit comparé, 2006, n° 4, pp. 1051 et s.

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372

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

351. - La transformation du droit chinois en matière de propriété privée reflète le

processus de la réforme politique qui se caractérise par son approche progressive et

expérimentale1241. La réalité du droit chinois nous enseigne que la mise en oeuvre des

garanties constitutionnelles et législatives contre les atteintes aux droits de propriété est

plus impérative que la proclamation constitutionnelle et l’adoption des normes de

garantie, pour que les droits réels, dont l’archétype est la propriété, soient réels au sens

propre et figuré. La transformation du droit chinois doit donc se poursuivre vers

l’effectivité du droit. Mais les mesures de réforme peuvent aussi toucher le système

juridique et, par conséquent le système politique. En effet, de l’économie planifiée à

l’économie socialiste de marché, de la construction d’un État de droit socialiste à la

construction d’une société harmonieuse « à travers l’État de droit »1242, l’évolution

constitutionnelle et législative de la propriété privée s’accompagne de la recherche de

légitimité politique. Proclamer le droit sans pour autant assurer son effectivité ne

saurait répondre aux besoins de la légitimation politique, bien au contraire, celle-ci

pourrait être ruinée par le contraste entre la promesse fascinante et la réalité effrayante.

D’ailleurs, pour que la quête de la légitimité politique ne se perde pas ou « ne se

prenne pas au piège »1243 , il faudrait avoir un « droit référence », pour le distinguer

du « droit instrument ». Il s’agit d’une juridicisation d’un type nouveau « qui s’exprime,

non par une inflation législative, mais par l’établissement de limites à la loi et de

bornes à l’État »1244. Car les principes moraux qui déterminent la légitimité politique

sont devenus principes de droit sous le nom de « droits et libertés fondamentaux », qui

sont des bornes indiquant à tous et en tout domaine les limites à ne pas franchir et

1241 V., ZHENG Yongnian, « Political Incrementation: Political lessons from China’s 25 years reform », Third Word Quarterly, vol. 29, n°. 6, 1999, pp. 1157 à 1177. 1242 ZHU Zhe, « Toward harmonious society through rule of law », China Daily, 10 mars 2008, p. 8; Leïla CHOUKROUNE, Antoine GARAPON, « Les normes de l’harmonie chinoise: un droit disciplinaire comme stabilisateur social », Perspectives chinoises, 2007, n° 3, pp. 38 et s. 1243 Minxin PEI, China’s trapped transition: the limits of development autocracy, op. cit., pp. 15, 16. 1244 Mireille DELMAS-MARTY, Vers un droit commun de l’humanité, Les éditions Textuel, 2005, p. 39.

Page 381: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

373

parfois la direction vers laquelle à s’engager. L’ouverture du droit chinois au droit

international pourrait faciliter la recherche du « droit référence » avec l’acceptation de

l’universalisme des droits de l’homme parmi lesquels figure la propriété. Mais c’est le

droit international économique qui semble avoir beaucoup plus influencé la

transformation du droit chinois en matière de protection de la propriété. Force est de

constater que la libéralisation de l’économie sur le plan international trouve son écho

dans la réforme économique « favorable aux capitalistes »1245 sur le plan interne

chinois et renforce cette dernière par les mécanismes de contrainte et d’application du

droit international économique. D’où « les nouvelles tensions entre globalisation

économique et universalisme des valeurs »1246 auxquelles fait face la transformation

du droit chinois qui elle-même s’inscrit dans l’internalisation du droit.

1245 V., Hal BLANCHARD, « Constitutional revisionism in the P. R. C.: ‘Seeking truth from facts’ », 17 Florida Journal of International Law 365, June 2005, pp. 365 et s. 1246 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p. 573.

Page 382: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

374

DEUXIÈME PARTIE – L’INFLUENCE DU DROIT INTERNATIONAL

352. - La politique de la Chine en matière de droit international « qui a trouvé son

apogée sous la dynastie mongole des Yuan, a subi graduellement des modifications

sous la dynastie des Ming, puis sous la dynastie mandchoue des Qing, jusqu’à ce que

la Chine se fût fermée jalousement à la pénétration étrangère »1247. L’influence du

droit international sur le droit chinois qui remonte à l’époque de la colonisation où le

droit international, concrétisé par les fameux « traités inégaux », apporta toutefois un

soutien venu de l’occident aux élites politiques1248. Le XXe siècle débuta avec le

mouvement d’idées illustré par KANG Youwei et LIANG Qichao1249 qui caressèrent

le rêve d’établir une fusion du droit chinois et du droit occidental supposé homogène,

au nom de la « [G]rande [U]nité juridique du monde »1250. Après la chute de l’Empire,

les révolutionnaires ne renoncèrent pas à l’occidentalisation en continuant à copier les

théories étrangères 1251 . Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, malgré

l’instabilité politique de l’époque, la Chine participa à l’élaboration de la Déclaration

universelle des droits de l’homme (ci-après, DUDH) réussissant à y intégrer la

conception confucianiste de « conscience (liangxin) »1252 comme l’un des fondements

des droits de l’homme. Depuis la fin du XXe siècle, la doctrine chinoise s’intéresse à

nouveau aux modèles étrangers et à la mise en compatibilité du droit chinois avec les

normes internationales. Dans le processus d’internationalisation du droit, la Chine

s’investit aussi dan les es efforts d’harmonisation qui s’orientent « plutôt que vers un

1247 Jean ESCARRA, La Chine et le droit international, A. Pedone, 1931, § 40. 1248 Richard S. HOROWITZ, « International law and state transformation in China, Siam, and the Ottoman Empire during the nineteenth century », Journal of World History, Vol. 15, n° 4, 2005, p. 384. 1249 V., Anne CHENG, Histoire de la pensée chinoise, Éditions du Seuil, 1997, pp. 626 et s. 1250 V., Jérôme BOURGON, Shen Jiaben et le droit chinois à la fin des Qing, thèse, EHESS, 1994, pp. 767 et s. 1251 V., TCHENG Chao Yuen, L’évolution de la vie constitutionnelle de la Chine sous l’influence de Sun Yat Sen et de sa doctrine, Librairie générale de droit & de jurisprudence, 1937, p. 58. 1252 V., CUI Guoliang, LI Rong, « Zhang Pengchun adjoigna la pensée orientale du confucianisme à la DUDH (Zhang Pengchun jiang dongfang rujia sixiang rongru shijie renquan xuanyan) », disponible sur le site http://www.humanrights.cn/cn/zt/tbbd/zt004/03/t20080526_346514.htm, consulté le 7 juin 2008 ; v., aussi, LU Jianping, WANG Jian, ZHAO Yi, « Le délégué chinois ZHANG Pengchun et la DUDH (Zhongguo daibiao Zhang Pengchun yu shijie renquan xuanyan) », disponible sur le site http://www.humanrights-china.org/china/magezine/2003.6/p18-p24.htm, consulté le 7 juin 2008.

Page 383: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

375

monde sans souveraineté, vers une dilution de la souveraineté qui resterait à

transformer en une souveraineté partagée »1253. Si L’implication de la Chine dans

l’ordre juridique et économique international peut aider à diminuer l’influence du

régime de l’État-parti dans la gouvernance quotidienne 1254 , l’influence du droit

international concernant la réforme du droit chinois moderne est, en revanche, plus

difficile à mesurer : en raison de sa taille et de son importance géopolitique et du fait

que les dirigeants chinois sont avant tout pragmatiques en matière de réforme, « la

Chine a réussi –dans la plupart des cas– à résister à la pression internationale qui vise

à la mettre en conformité avec certain paradigme de droit particulier »1255. Comme on

l’a observé, les réformes traduisent l’influence du droit international sur le droit

chinois par un « localisme globalisé » au lieu d’un « globalisme localisé »1256. À priori,

la Chine cherche à instrumentaliser le droit international pour son propre objectif de

réforme juridique1257, comme « la majeure partie de l’histoire des réformes légales de

la Chine [avait] trait aux difficultés rencontrées pour adapter les normes

internationales à l’environnement local »1258 qu’il s’agisse du droit de l’OMC ou des

droits de l’homme. Au problème d’instrumentalisation du droit international par le

droit chinois, s’ajoute la question de savoir comment la Chine surmontera les tensions

nées de la mondialisation économique dans son processus de réforme vers l’État de

droit désormais inscrit dans la politique de « construire une société harmonieuse ».

353. - Encore faut-il constater que la vague de réformes entreprises depuis

l’accession de la Chine à l’OMC ne se limite pas au droit des affaires mais concerne

aussi des principes généraux imposés par le protocole d’accession, comme la recherche

1253 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (II) : Le pluralisme ordonné, Éditions du Seuil, 2006, p. 29. 1254 V., Randall PEERENBOOM, China’s long march toward rule of law, Cambridge University Press, 2002, pp. 208, 223. 1255 Randall PEERENBOOM, « What we have learned about law and development? Describing, predicting, and assessing legal reforms in China », 27 Mich. J. Int’l L. 823, p. 871. 1256 David NELKEN, « Signaling conformity: Changing norms in Japan and China », 27 Mich. J. Int’l L. 823, p. 936. 1257 Leïla CHOUKROUNE, « L’État de droit par l’internationalisation, objectif de réformes ? », Perspectives Chinoises, n° 69, janvier-février 2002, n° 69, pp. 7 à 22. 1258 Pitman B. POTTER, The Chinese legal system, Globalization and local legal culture, London, New York, Routledge, 2001, p.261.

Page 384: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

376

d’une plus grande transparence dans le cours des affaires publiques, l’application

uniforme des lois dans tous les territoires chinois et le contrôle effectif des actes

administratifs. L’entrée dans l’OMC peut contribuer à la construction d’un État de droit

et, en ce sens, participer à « une synchronisation indirecte entre droit du commerce et

droits de l’homme »1259. Le droit de propriété sera par nature vecteur de cette évolution

commune: sur le plan international, le droit de propriété relève aussi bien des droits de

l’homme que du droit des biens ou du droit commercial. En tant que droit de l’homme,

la propriété transcende la distinction entre droits civils et politiques d’une part, et droits

économiques, sociaux et culturels de l’autre. « Puisque chaque droit de l’homme

n’étant qu’un aspect de la dignité humaine, son interprétation n’est légitime que si elle

tient compte de l’ensemble, et il est lui-même principe d’interprétation des autres»1260,

la protection du droit de propriété en tant que droit de l’homme doit reposer plus

nettement sur le principe d’indivisibilité.

354. - Dans le domaine du commerce, la propriété est garantie non seulement par les

instruments juridiques ayant vocation à protéger les diverses formes concrètes

d’investissement financier ou intellectuel, mais aussi par l’encadrement des politiques

économiques qui influencent l’exercice de ce droit. Alors que l’internationalisation des

droits de l’homme et du droit du commerce n’évoluant pas au même rythme, le droit de

propriété se trouve à la croisée de ces processus. De multiples sources internationales

garantissent la protection du droit de propriété (TITRE I). Certes, la complexité de

l’influence du droit international se confirme en ce qui concerne la mise en oeuvre des

normes applicables à la protection de la propriété (TITRE II). De nombreux acteurs sont

engagés concernant la défense de ce droit sur le plan international. D’ailleurs, de

différentes évaluations juridiques ou politiques, plus ou moins contraignantes,

s’imposent de différentes manières au droit chinois. Or, sur le plan interne, l’État

chinois reste largement maître de la mise en œuvre des normes internationales relatives

au droit de propriété. L’adaptation du droit chinois aux normes internationales par voie

1259 V., Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (II) : Le pluralisme ordonné, op. cit., p. 224. 1260 Patrice MEYER-BISCH, « Méthodologie pour une présentation systématique des droits humains », in Emmanuelle BRIBOSIA, Ludovic HENNEBEL (sous la dir.), Classer les droits de l’homme, op. cit., pp. 53 à 54.

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377

législative –qui relève aussi de l’évolution de l’ensemble juridique chinois– demeure la

forme principale de la mise en oeuvre du droit international.

Page 386: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

378

TITRE I. – LES SOURCES JURIDIQUES INTERNATIONALES RELATIVES

À LA PROTECTION DE LA PROPRIÉTÉ

355. - Le droit de propriété est un bon révélateur eu égard à la différence de rythme

qui existe entre l’évolution du droit international économique et celle des droits de

l’homme. La propriété est d’abord proclamée par la DUDH de 1948 qui se base sur «

une transnationalité morale »1261 , dont la garantie est consolidée par des autres

instruments internationaux relatifs à la protection des droits humains (CHAPITRE I).

L’histoire de la rédaction de la Déclaration universelle de 1948 montre que le droit à la

propriété qui est fondée sur la dignité humaine, entend établir la légitimité de

l’appropriation de biens individuels, comme le fruit du travail, plutôt que le droit des

propriétaires des entreprises à exploiter le travail d’autrui. « Plus que des concepts

fondateurs, la Déclaration universelle crée des processus transformateurs »1262. Sous

l’angle des droits dont disposent les propriétaires relatifs à leurs investissements, le

principe de la protection du droit de propriété s’étend de manière plus

remarquablement au domaine du droit international économique (CHAPITRE II). Les

sources principales de celui-ci sont le droit international concernant les investissements

financiers et le droit de l’OMC qui comportent des normes à la fois plus précises et

plus contraignantes par rapport aux droits de l’homme. Une telle variation du contenu,

des sources et des valeurs juridiques du droit de propriété peut aussi expliquer la

complexité de l’influence du droit international sur le droit interne chinois.

1261 Christine FAURÉ, Ce que déclarer des droits veut dire : histoires, PUF, 1997, p.189. 1262 Mireille DELMAS-MARTY, La force imaginante du droit (IV) : vers une communauté de valeurs, à paraître.

Page 387: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

379

CHAPITRE I – LA CONSÉCRATION DE LA PROPRIÉTÉ EN TANT QUE

DROIT DE L’HOMME

356. - Au niveau mondial, la protection de la propriété est d’abord proclamée par

l’article 17 de la DUDH, adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU dans sa

résolution 217 A (III) du 10 décembre 1948, selon lequel « [T]oute personne, aussi

bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété ». Cette formulation est reprise par

l’article 5, alinéa d, de la Convention de 1965 sur l’élimination de toutes les formes de

discrimination raciale. La DUDH demeure la principale source juridique internationale

de la protection du droit de propriété, d’autant que le vieux débat sur la valeur

juridique de la Déclaration peut paraître aujourd’hui largement dépassé1263. Car il est

généralement reconnu que la Déclaration reflète les coutumes internationales et par

conséquent doit être respectée par les membres de la communauté internationale1264.

Comme la Chine « s’intéresse à nouveau aux modèles étrangers et à l’harmonisation

du droit chinois avec les normes occidentales, nationales et internationales »1265

depuis la fin du XXe siècle, le gouvernement chinois a affirmé qu’il porte un grand

respect à la DUDH et estime qu’ « en tant que premier document international

concernant les droits de l’homme, elle a jeté le fondement de la pratique des droits de

l’homme dans le domaine international »1266. Néanmoins, la propriété ne figure pas

1263 Emmanuel DECAUX, « Déclarations et conventions en droit international », Cahiers du Conseil Constitutionnel, 2006, n° 21, pp. 88 à 93. 1264 V., Hurst HANNUM, « The status of the Universal Declaration of Human Rights in national and international law », 25 Ga. J. Int’l & Comp. L. 287, p. 292; v., aussi, Oscar SCHACHTER, International Law in Theory and Practice, Dordrecht: Martinus Nijhoff, 1991, p. 336; David F. KLEIN, « A theory for the application of the customary international law of human rights by domestic courts», 13 YALE J. INT’L L. 332, p. 354; Richard BILDER, « The status of international human rights law: An overview », in International Human Rights Law and Practice, James Tuttle ed., 1978, pp. 1 à 8; A. H. ROBERTSON, J. G. MERRILLS, Human rights in the world, Manchester: Manchester University Press, 3rd ed. 1989, p. 96; Philip ALSTON, « The Universal Declaration at 35: western and passé or alive and universal », 1982/31 I.C.J. REV.60, p. 69; John HUMPHREY, « The international bill of rights: scope and implementation », 17 WM. & MARY L. REV. 527, p.529; John HUMPHREY, No Distant Millennium: The International Law of Human Rights, Paris: UNESCO,1989, p. 155. 1265 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., p. 568. 1266 Office d’information du CAE, Les droits de l’homme en Chine, livre blanc publié en novembre

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380

dans la proclamation conventionnelle des droits de l’homme par les deux Pactes

internationaux de 1966 qui portent sur l’application de la Déclaration universelle de

1948. Certes, « si la nature du droit de propriété comme droit de l’homme est sujette à

controverses, il peut être montré qu’il est reçu comme droit de l’homme de la première,

de la deuxième, voire de la troisième génération »1267. Partant de l’indivisibilité et de

l’interdépendance de tous les droits de l’homme, les deux Pactes internationaux

peuvent consolider la protection du droit de propriété en figurant parmi les sources

juridiques complémentaires en la matière.

Même si le droit de propriété n’est pas absolu et peut faire l’objet de limitations, il

doit néanmoins être préservé même dans les cas exceptionnels et on ne doit pas y

déroger sans motifs valables. Le droit international humanitaire réaffirme l’importance

du respect des biens à la sauvegarde de la dignité humaine, et par conséquent, jouent

aussi un rôle complémentaire à la protection de la propriété par rapport aux

instruments juridiques des droits de l’homme. En effet, les droits de l’homme et le

droit humanitaire sont sous-tendus par une préoccupation identique : d’une part,

assurer la protection de la personne humaine en situation « ordinaire » et, d’autre part,

en situation de conflits armés1268. La complémentarité des instruments juridiques

internationaux relatifs à la protection de la propriété est conformée en ce qui concerne

la relation entre les deux niveaux d’internationalisation du droit, universel et régional.

Au niveau européen, la protection du droit de propriété est consacrée par le 1er

Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, qui ne peut

être restreint que pour des motifs d’intérêt général ; cette affirmation a donné lieu à une

abondante jurisprudence qui a accentué la singularité du droit européen concernant les

droits de l’homme en tant qu’« instrument constitutionnel de l’ordre public

européen »1269 au regard de la « branche universelle »1270 . L’analyse des normes

1991, avant-propos ; v., aussi, Progrès de la cause des droits de l’homme, livre blanc publié en décembre 1995. 1267 Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, Hélène GAUDIN, Jean-Pierre MARGUÉNAUD, Stéphane RIALS, Frédéric SUDRE (sous la dir. de), Dictionnaire des Droits de l’Homme, PUF, 2008, p.646. 1268 V., Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., § 16. 1269 V., par ex., CEDH, 30 juin 2005, Bosphorus Hava Yollari Turizm ve Ticaret Anonim Sirketi c/ Irlande, requête n° 45036/98, § 156 ; CEDH, 23 mars 1995, Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), série A no 310, § 75.

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381

juridiques régionales dépasse le cadre de la présente étude qui se concentre sur

l’influence du droit international sur le droit interne chinois. Dans le présent chapitre

relatif aux sources juridiques internationales du droit de propriété, seront

successivement étudiées l’origine principale (SECTION I) et les sources

complémentaires de la protection de la propriété (SECTION II), en tenant compte leur

influence sur le droit chinois.

SECTION I – L’ORIGINE PRINCIPALE DE LA PROTECTION DE LA

PROPRIÉTÉ

357. - Dans un droit international largement fragmenté –en matière de protection du

droit de propriété comme dans bien d’autres domaines– la DUDH fait figure de norme

fondamentale en consacrant la protection de la propriété comme droit de l’homme. Elle

fournit ainsi aux victimes de spoliation un argument sinon juridique, du moins moral.

Le texte de la DUDH, on le sait, ne fut pas établi sans peine, du fait des divergences

entre les États signataires1271. Puisque la propriété est étroitement liée aux régimes

politique et économique des États, l’article 17 fut rédigé de manière à s’adapter tant au

régime capitaliste ou libéral qu’au régime socialiste pour lequel la propriété collective

prime sur la propriété privée souvent considérée comme « sacrée et inviolable »1272.

C’est sur la base d’un compromis que la Déclaration universelle semble consacrer « un

dénominateur commun »1273 de la propriété comme droit fondamental de l’homme

(Sous-section 1). Ce « dénominateur commun » du droit de propriété peut produire les

effets à la fois juridiques et idéologiques sur le droit chinois, d’autant plus forts que sa

valeur universelle fut confirmée par la contribution de la Chine à la rédaction de la

Déclaration universelle 1948. Celle-ci traduit la tentative de combiner les idées

1270 V., Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., §§ 134, 256. 1271 V., Johannes MORSINK, The Universal Declaration of Human Rights : origins, drafting, and intent, op. cit., pp. 139 à 156; Mary Ann GLENDON, A world made new: Eleanor Roosevelt and the Universal Declaration of Human Rights, New York: Random House, 2001, pp. 181 à 183. 1272 V., Ralph NELSON, « Moderating the philosophy of rights », in William SWEET (ed.), Philosophical theory and the Universal Declaration of Human Rights, University of Ottawa Press, 2003, p. 173. 1273 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit : le relatif et l’universel, op. cit., p. 80.

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382

occidentales et la pensée traditionnelle chinoise afin de définir un fondement commun

aux droits de l’homme1274.

358. - L’analyse de la contribution chinoise à la rédaction de la Déclaration

universelle (Sous-section 2) peut aider à mieux comprendre la signification que revêt le

droit de propriété pour la culture juridique traditionnelle chinoise. Cette dernière en

effet ne perd rien de sa pertinence concernant le droit positif contemporain, puisque le

recours à la culture traditionnelle, caractérisé notamment par la réinvention du

confucianisme, ne cesse de prendre de l’ampleur depuis ces dernières années en

s’inscrivant dans la mutation de la société chinoise1275. D’ailleurs, même si la culture

juridique traditionnelle de la propriété n’a pas joué un rôle décisif sur le droit positif,

son influence demeure néanmoins perceptible. Pour le droit chinois, la Déclaration

universelle de 1948 est donc une source juridique importante dans la mesure où elle

inclut les normes relatives à la protection de la propriété, mais surtout elle met en

évidence les valeurs des droits de l’homme qui peut inspirer à l’élaboration du droit

interne oscillant entre les représentations sociales qu’elle fait naître et les valeurs

abstraites qu’elle a pour vocation de faire respecter.

Sous-section 1. – L’apport de la Déclaration universelle des droits de

l’homme

359. - Alors qu’il exista des débats sur le principe de la protection du droit à la

propriété lors de la préparation de la Déclaration universelle de 1948, il n’y eut guère

de divergence concernant son caractère non absolu. À cet égard, les deux alinéas de

l’article 17 de la Déclaration universelle semblent forger le prototype des normes de

garantie de la propriété selon le schéma de « principe-exceptions » : l’alinéa 1er de

l’article 17 proclame le principe du droit à la propriété (§ 1) ; l’alinéa 2 prévoit

1274 V., Pierre-Étienne WILL, « La contribution chinoise à la Déclaration universelle des droits de l’homme », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., pp. 334 à 365. 1275 V., Joël THORAVAL, « La tentation pragmatiste dans la Chine contemporaine », in Anne CHENG (sous la dir. de), La pensée en Chine aujourd’hui, Éditions Gallimard, 2007, pp. 103 et s. Cf., Flora BLANCHON, Rang-ri PARK-BARJOT, Le nouvel âge de Confucius, Paris : PUPS, 2007.

Page 391: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

383

toutefois la possibilité de la privation de ce droit. L’adage « nul ne peut être

arbitrairement privé de sa propriété » impose seulement la condition de respecter des

mesures non arbitraires concernant la privation de propriété. C’est la « clef » du critère

minimum concernant la protection de la propriété (§ 2), confirmée par l’appréciation

juridictionnelle de la légitimité des atteintes au droit de propriété1276.

§1. – Le principe proclamé par l’article 17, alinéa 1er

360. - La perspective universaliste de la Déclaration n’est pas sans affadir, par

certains côtés, la proclamation internationale des droits de l’homme qui, pour concilier

courant libéral et doctrine socialiste, se prête à des accommodements discutables1277 : il

en est ainsi de l’article 17, alinéa 1er, de la Déclaration universelle qui proclame « toute

personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété ». Comme la

rédaction de l’article 17, alinéa 1er résulta d’un compromis, la formulation « droit à la

propriété » au lieu du « droit de propriété » révèle la position particulière de la

Déclaration universelle sur la nature de ce droit (A). Certes, l’opposition classique

entre « droit de propriété » et « droit à la propriété » ne peut qu’être relativisée, si l’on

regarde de près la signification de l’article 17, alinéa 1er. De même pour les

divergences quant aux titulaires et au contenu de ce droit (B). Le fait que l’opposition

et les divergences autour de l’article 17, alinéa 1er, puissent être conciliées sur la base

d’une analyse constructive peut être une source d’inspiration pour le droit chinois qui

lui-même se trouve dans un processus de transformation et par conséquent se met aussi

dans une tension entre les modes libéral et socialiste en ce qui concerne la protection

de la propriété. En ce sens, la DUDH sera un véritable « droit référence » pour la

Chine.

A. – La spécificité de la formulation du « droit à la propriété »

1276 Cf., Stéphanie PAVAGEAU, Le droit de propriété dans les jurisprudences suprêmes françaises, européennes et internationales, thèse, Université de Poitiers, LGDJ, 2006, §§ 412 et s. 1277 V., Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., § 22.

Page 392: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

384

361. - L’expression du droit à la propriété de l’article 17 provoqua une discussion sur

sa nature de « droit-créance » (2), du fait de la distinction classique entre « droits de »

et « droits à » (1).

(1). – Le motif de la distinction entre « droits de » et « droits à »

362. - L’ambiguïté de la nature du droit à la propriété tient à sa propre formulation.

Alors que le droit de propriété est l’expression généralement utilisée, la Déclaration

universelle opte pour « le droit à la propriété ». La distinction traditionnelle entre

« droit de » et « droit à » en matière de droits de l’homme semblait pertinente en ce qui

concerne la propriété. Comme l’a souligné Frédérique SUDRE, « profondément

imprégnées par l’idéologie définie par Locke et Rousseau, les déclarations américaine

et française constatent les droits inhérents à l’être humain et antérieurs à la société :

elles reconnaissent des ‘droits de’ et non des ‘droits à’, des ‘droits-résistances’,

supposant une créance de l’individu contre la société et non des ‘droits-créances’,

supposant une créance de l’individu contre la société et des prestations positives de

l’État »1278. Pour ce dernier, l’article 17 de la Déclaration universelle semble proclamer

un droit-créance par la formulation du « droit à la propriété ». Il faut rappeler que lors

de la rédaction du projet de Déclaration universelle, en représentant la position des

pays de l’Amérique latine, HUMPHREY proposa de reconnaître aux individus un droit

minimum à la propriété, justifié par une existence décente de l’homme. Le standard

minimum du droit à la propriété suppose non seulement l’obligation de l’État de prêter

assistance aux citoyens en leur fournissant les moyens nécessaires pour mener une vie

décente et pour sauvegarder la dignité humaine, mais aussi le droit des citoyens à

partager la propriété industrielle, commerciale et des autres entreprises à but lucratif

comme l’exige la priorité de la propriété collective par rapport au droit individuel à la

propriété1279. Pour trouver un compromis entre le socialisme et le capitalisme, le projet

de Déclaration universelle abandonna aussi bien l’idée d’un standard minimum que le

1278 Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., § 21. 1279 V., Johannes MORSINK, The Universal Declaration of Human Rights: origins, drafting, and intent, op. cit., pp. 140 à 141.

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385

droit à partager la propriété. Pourtant, l’expression de droit à la propriété –qui ne

semble pas entrer en conflit de manière inconciliable avec le concept traditionnel du

droit de propriété– porte la trace du caractère d’un droit-créance et par conséquent

impose certaines obligations à l’État. Le droit à la propriété suppose donc non plus

l’exercice d’une liberté individuelle, mais une intervention de l’État pour faire en sorte

que le droit soit réellement et efficacement protégé. Comme les droits de la deuxième

génération, le droit à la propriété s’inscrit dans une recherche de justice sociale,

« certains pourraient y déceler, dans le domaine du droit à la propriété, la justification

de la pensée communiste »1280. La réalisation effective de ce droit dépend d’un

développement progressif par l’État, non plus d’une mise en oeuvre instantanée par le

sujet de droit. À cet égard, il semble qu’il n’existe pas de conflit entre le droit de

propriété et le droit à la propriété.

(2). – La signification du droit à la propriété au regard de la complémentarité entre

« droits de » et « droits à »

363. - L’ambiguïté de l’expression « droit à la propriété » de l’article 17 de la

Déclaration universelle tient également au contenu de la prestation de l’État qui est

exigée par la nature de droit-créance. Les travaux menés dans le cadre de l’ONU ont

précisé les obligations qui pèsent sur les États pour la réalisation du droit à la propriété

au regard de sa nature « droit-créance ». Par exemple, les engagements des États dans

l’élimination de la pauvreté qui sont encadrés par le Programme des Nations Unis pour

le développement. Dans ce cas, ce droit signifie le droit à disposer d’un minimum de

biens car l’extrême pauvreté « consiste en l’impossibilité pour l’individu, la famille et

le groupe humain de jouir des biens»1281. La volonté et la politique pour éliminer

l’extrême pauvreté ne peuvent que renforcer la valeur du droit de propriété. La

Commission des droits de l’homme a souligné que « l’extrême pauvreté et l’exclusion

1280 Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, Hélène GAUDIN, Jean-Pierre MARGUÉNAUD, Stéphane RIALS, Frédéric SUDRE (sous la dir. de), Dictionnaire des Droits de l’Homme, op. cit., p.648. 1281 Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, Application des normes et critères relatifs aux droits de l’homme dans le contexte de la lutte contre l’extrême pauvreté, UN doc. A/HRC/Sub. 1/58/16, 11 juillet 2006, § 11.

Page 394: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

386

sociale sont des atteintes à la dignité humaine [qui], par conséquent, requièrent des

actions urgentes, nationales et internationales, pour qu’il y soit mis à fin »1282.

D’autres instruments internationaux adoptés dans le cadre de l’ONU ont réitéré

l’obligation pour les États d’agir pour l’élimination de la pauvreté, tout en respectant

leurs engagements pris dans la création d’instruments et d’organismes internationaux à

ce sujet1283. Comme la Commission des droits l’homme l’a souligné, « tous ceux qui

vivent dans l’extrême pauvreté, (...), ont la propriété privée, individuelle, coopérative

ou communautaire sur leurs logements, (...) ils ont le droit à la propriété,

communautaire ou individuelle, de leurs terres, logements, outils, animaux et autres

choses nécessaires à la vie quotidienne »1284. Reconnaître le droit de propriété et aider

à accéder à certains biens figure parmi les obligations de l’État dans le cadre de la lutte

pour l’élimination de l’extrême pauvreté.

364. - Si, comme l’a observé Frédérique SUDRE, l’expression « les droits de... »

suppose une abstention de l’État et celle « les droits à... » réclame des prestations de

l’État, il n’y a pas d’opposition tranchée entre les deux catégories de droits. Et la

distinction droit de/droit à, abstention/prestations, est démentie par la pratique des

droits de l’homme. Car, certains droits sont de nature « mixte » et participent à la fois

des droits économiques, sociaux et culturels, mais aussi des droits « classiques », au

titre desquels ils vont être garantis. La complémentarité est évidente d’autant plus que

la notion d’obligation positive forgée par les organes de contrôle de la CEDH invite à

dépasser ce clivage artificiel1285. L’idée de complémentarité satisfait parfaitement

l’exigence de protection du droit de propriété, en théorie et en pratique. Car si l’État 1282 Commission des droits de l’homme, Les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, résolution 2005/16, 14 avril 2005, UN doc. E/CN.4/2005/L.10/Add.10. 1283 Il s’agit notamment des dispositions pertinentes de la Déclaration et du Programme d’action de Vienne, adoptés par la Conférence mondiale sur les droits de l’homme le 25 juin 1993, ainsi que celles de la Déclaration de Copenhague sur le développement social et du Programme d’action du Sommet mondial pour le développement social, adoptés par le Sommet mondial le 12 mars 1995, la résolution 46/121 adoptée par l’Assemblée générale le 17 décembre 1991 et les résolutions ultérieures de l’Assemblée sur la question, la Déclaration du Millénaire, adoptée par l’Assemblée générale le 8 septembre 2000, et les objectifs de développement énoncés dans la Déclaration, au terme desquels les États se sont solennellement engagés à tout faire pour mettre fin à la misère. 1284 Commission des droits de l’homme, Les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, résolution 2005/16, précité, annexe, § 31. 1285 Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., § 163.

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387

doit faciliter l’appropriation par les citoyens des biens dans le cadre d’une politique de

lutte contre la pauvreté, cela présuppose que la propriété déjà détenue par les citoyens

a un fondement légitime sur le plan moral ou politique. En pratique, la spoliation et la

restriction excessive et sans justification de l’exercice du droit de propriété sont la

principale cause de l’appauvrissement des citoyens. L’article 17, alinéa 2, de la

Déclaration universelle qui prohibe la privation arbitraire de la propriété, impose à

l’État l’obligation de s’abstenir de porter atteinte à la propriété actuelle des citoyens. Il

est aussi important de souligner que la propriété est le seul droit individuel invoqué par

la Cour internationale de justice1286 . Celle-ci a tiré argument de la Déclaration

universelle de 1948 pour établir que la propriété devait être garantie contre la

dépossession sans indemnisations par des mesures nationales1287. L’opposabilité du

droit de propriété aux pouvoirs publics a été ainsi affirmée par la jurisprudence. La

juxtaposition des deux alinéas de l’article 17 amène à relativiser l’opposition entre

« droit à la propriété » et « droit de propriété » et à y voir plutôt une exigence de

complémentarité.

B. – L’énoncé des composantes du droit à la propriété

365. - Les sujets (1) et le contenu (2) du droit à la propriété sont les deux

composantes constitutives de l’article 17, alinéa 1er de la Déclaration universelle de

1948.

(1). – Les sujets

1286 V., Raymond GOY, La Cour internationale de justice et les droits de l’homme, Bruylant, 2002, pp. 105 à 107. 1287 V., notamment opinion dissidente de LEVI CARNEIRO, sous Anglo-Iranian Oil Co., arrêt du 22 juillet 1952, Recueil de la Cour, pp. 159 à 167. Pour d’autres références au droit international dans l’argumentaire des juges relatifs à la protection du droit de propriété, v., aussi, l’opinion personnelle de M. GROS, sous Barcelona Traction, arrêt du 5 février1970, Recueil de la Cour, pp. 273, 274 ; l’opinion individuelle de WEERAMANTRY, sous Délimitation maritime (Danemark c/Norvège), arrêt du 14 juin 1993, Recueil de la Cour, p. 276. Pour la jurisprudence de la Cour internationale de justice dans laquelle le respect du droit de propriété est affirmé en vertu du droit international, v., Différend frontalier terrestre (El Salvador c/ Honduras, Nicaragua (intervenant)), arrêt du 11 septembre 1992, § 66, Recueil de la Cour, pp. 400, 401.

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388

366. - En dépit des efforts des rédacteurs pour concilier les conceptions libérale et

marxiste aussi bien sur la forme que sur le fond de la Déclaration universelle de 1948,

le compromis reste décevant quant aux droits proclamés. En effet, en vue de concilier

les deux conceptions de la propriété qui s’affrontèrent, à savoir la conception

« privée » de la propriété défendue par les pays libéraux et de conception « collective »

pour les pays dits socialistes, l’article 17 de la Déclaration universelle de 1948

proclame que « toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la

propriété »1288. La conciliation demeure largement fictive car, au-delà des mots, les

deux types de propriété renvoient à deux conceptions philosophiques radicalement

opposées et exclusives l’une de l’autre1289. Dans la première version du projet de

Déclaration, le droit à la propriété fut traité à l’article 14 en ces termes : « Article 14. 1.

Tout individu a le droit de posséder des biens conformément aux lois du pays où ces

biens se trouvent. 2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété »1290. En

raison de l’insistance manifestée par le délégué de l’URSS, lors de sa réunion à Lake

Success, du 24 mai au 18 juin 1948, la Commission des droits de l’homme finalement

révisa le texte de l’article 14, qui devint l’article 15 du projet. Dans sa nouvelle version,

l’article 15 fut ainsi conçu : « Article 15. 1. Toute personne, aussi bien seule qu’en

collectivité, a droit à la propriété. 2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa

propriété ». D’autres propositions et amendements n’eurent pas survécu aux débats

ultérieurs1291. L’expression « toute personne aussi bien seule qu’en collectivité » fut

une concession faite à la conception collective de la propriété des pays socialistes. Il en

résulte que le titulaire du droit à la propriété ne se limite pas aux individus. Mais il

n’est guère douteux que les pays occidentaux aussi bien que les pays socialistes

reconnaissent que le droit des individus à s’approprier les biens nécessaires à leur

survie étaient couverts par l’article 17 de la Déclaration universelle. La divergence

1288 Justino Jiménes DE ARECHAGA, « The background to article 17 of the Universal Declaration », Journal of the International Commission of Jurists, vol. III, n° 2, décembre 1967, pp. 34 à 39. 1289 Gilles LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, 6e éd., Armand Colin, 2003, p. 128. 1290 V., UN doc. E/CN.4/21. 1291 V., Johannes MORSINK, The Universal Declaration of Human Rights: origins, drafting, and intent, op. cit., pp. 143, 147.

Page 397: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

389

n’exista qu’à l’égard du régime économique de la propriété.

367. - L’expression « toute personne ‘en collectivité’ a droit à la propriété » est

toutefois ambiguë dans la mesure où elle semble admettre la collectivité comme le

sujet du droit de l’homme. Or, en principe, seuls les droits individuels sont visés par le

texte. Pour les uns, on ne peut parler de façon utile de droit de l’homme uniquement là

où une règle reconnaît à un particulier un droit subjectif qu’il peut opposer à l’État et,

éventuellement, à d’autres particuliers1292, alors que pour les autres, les droits de

l’homme sont les droits de l’individu qui ne sauraient être confondus avec les droits

des collectivités1293. Toutefois, l’idée de la collectivité en tant que sujet du droit à la

propriété fut peu à peu admise. Lors de la rédaction du projet de Déclaration, le

compromis fut obtenu par l’abandon du mot « privé » qui fut très controversé lors de

l’élaboration de la Déclaration universelle1294. Ce qui marque l’abandon de la doctrine

classique portant sur le titulaire individuel des droits de l’homme. La résolution 1803

(XVII) adoptée le 14 décembre 1962 par l’Assemblée générale sur la souveraineté

permanente sur les ressources naturelles, qui porte sur la nationalisation,

l’expropriation et la réquisition, a traité de certains aspects du droit à la propriété dans

le cadre du droit des peuples et des nations à la souveraineté permanente sur leurs

richesses et leurs ressources naturelles. Certains aspects du droit à la propriété de la

collectivité ont été également examinés à diverses reprises par l’Assemblée générale et

par le Conseil économique et social à propos du problème de la réforme agraire. Ils ont

également reconnu que le droit à la propriété des terres est important pour étendre

l’exercice d’autres droits de l’homme et aider à réaliser les objectifs de développement

économique et social, et qu’il existe dans les États membres de nombreuses formes

légales de propriété –propriété privée, collective, étatique– et que chacune d’elles doit

contribuer à la mise en valeur et à l’utilisation efficace des ressources humaines par la

mise en place de bases solides pour assurer la justice politique, économique et

sociale1295.

1292 V., par ex., Jean COMBACAU, Droit international public, 2e éd., Montchrestien, 1995, p. 393. 1293 V., par ex., Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., § 63. 1294 Mary Ann GLENDON, A world made new: Eleanor Roosevelt and the Universal Declaration of Human Rights, op. cit., p. 183. 1295 V., Office of Public Information, Yearbook of the United Nations, 1962, United Nations, pp. 265,

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390

(2). – Le contenu

368. - L’article 17 de la Déclaration universelle 1948 est ambigu dans la mesure où il

se contente de proclamer le principe et l’exception au droit à la propriété, sans pour

autant préciser en quoi elle consiste1296. Toutefois, certains aspects de la propriété des

individus ont été précisés par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels.

Par exemple, en s’appuyant sur l’article 11 du Pacte international relatif aux droits

économiques, sociaux et culturels (PIDESC), le Comité a estimé que le droit de toute

personne à un logement suffisant est d’une importance centrale pour la jouissance de

tous les droits économiques, sociaux et culturels, et que le devoir d’analyser le critère

de « suffisance » –qui est toutefois un concept moins juridique– est susceptible d’être

menée à partir de la sécurité légale du titre d’occupation. Selon le Comité des droits

économiques, sociaux et culturels, « il existe diverses formes d’occupation –la location

(dans le secteur public ou privé), la copropriété, le bail, la propriété, l’hébergement

d’urgence et l’occupation précaire, qu’il s’agisse de terres ou de locaux. Quel que soit

le régime d’occupation, chaque personne a droit à un certain degré de sécurité et donc

d’une protection légale contre l’expulsion, le harcèlement ou autres menaces »1297. Le

Comité a également souligné que l’expulsion forcée menée de façon illégale constitue

l’une des atteintes les plus graves au droit à un logement suffisant. En s’appuyant sur

l’indivisibilité et l’interdépendance des droits de l’homme, le Comité affirme que

l’expulsion forcée menée illégalement porte atteinte non seulement au droit à un

logement suffisant, mais aussi aux droits civils et politiques, parmi lesquels figure le

droit à la jouissance paisible des biens1298. Il en résulte que par l’interdépendance et

l’indivisibilité des droits de l’homme, l’interdiction de l’expulsion forcée menée 266; Progress in Land Reform, 4e report, E/4020/Rev.1-ST/SOA/61, Community Development Approach to Land Settlement, ST/SOA/63 ; Résolution 1213 (XLII) du Conseil économique et social, adoptée le 1er janvier 1967, E/4379, § 4 ; Résolution 1707 (LIII) du Conseil économique et social, adoptée le 28 juillet 1972, E/5192. 1296 V., John O. McGINNIS, « The limit of international in protecting dignity », Harvard Journal of Law and Public Policy, fall, 2003, p. 138. 1297 CESCR, Observation générale 4, Le droit à un logement suffisant (article 11, par. 1, du Pacte), sixième session, 1991, § 8 (a). 1298 CESCR, The right to adequate housing: forced conviction, General Comment 7, Sixteenth session, 1997, § 4.

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391

illégalement découle du droit à un logement suffisant, mais aussi de la jouissance

paisible des biens qui n’est qu’un aspect, bien qu’important, du droit à la propriété.

Dans un autre cas, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a considéré

que le droit fondamental de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels

résultant de toute production scientifique, littéraire ou artistique est proclamé par

l’article 15 du PIDESC, par l’article 27 de la Déclaration universelle, ainsi que par

l’article 1er du Protocole n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de

l’homme et des libertés fondamentales 1299 . Le Comité admet également que la

protection des « intérêts matériels » des auteurs par le paragraphe 1 c) de l’article 15

est un corollaire du lien étroit entre cette disposition et le droit à la propriété, tel qu’il

est reconnu à l’article 17 de la DUDH et dans les instruments régionaux relatifs aux

droits de l’homme, ainsi qu’avec le droit du travailleur à une rémunération

suffisante1300. Il en résulte que la propriété intellectuelle des auteurs est reconnue

comme un aspect du droit à la propriété.

369. - La propriété individuelle de certains biens nécessaires à la subsistance se

fonde sur la dignité humaine qui est le socle des droits de l’homme. L’article 17 semble

plus ambigu sur le point de savoir si le contenu du droit à la propriété s’étend aux biens

comme moyens d’exploitation, notion qui s’éloigne de ce socle des droits de l’homme.

À cet égard, le Comité de l’UNESCO réfléchissant sur les fondements théoriques des

droits de l’homme souligna son intention de ne considérer dans la liste des droits

fondamentaux qu’il a dressée uniquement le droit de propriété individuelle comme

droit fondamental, en insistant sur le fait que « tout homme a droit à la propriété

personnelle dans la mesure où elle lui est nécessaire pour son usage propre et

l’entretien de sa famille ; aucune autre forme de propriété n’est en elle-même un droit

fondamental »1301. Au regard de l’ensemble des droits proclamés par la Déclaration

1299 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Le droit de chacun de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur (par. 1 c) de l’article 15 du Pacte), Observation générale n° 17 (2005), UN doc. E/C. 12/GC/17, 12 janvier 2006, § 3. 1300 Ibid., § 15. 1301 Le Comité de l’UNESCO sur les fondements théoriques des droits de l’homme, « Pour une nouvelle déclaration universelle des droits de l’homme », in Autour de la nouvelle déclaration universelle des droits de l’homme, textes réunis par l’UNESCO, Sagittaire, 1949, p. 218.

Page 400: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

392

universelle qui intègrent les droits des travailleurs « de caractère socialiste», il semble

que les auteurs de la Déclaration considèrent le travail comme la première voie pour

les individus de s’approprier des biens, et les droits des travailleurs ne peuvent qu’aider

à créer davantage de propriété1302. Ce constat a été également réaffirmé par le PIDESC.

D’ailleurs, les travaux du Comité des droits économiques, sociaux et culturels qui

intègrent aussi le droit à la propriété dans le champ des droits des travailleurs1303.

§ 2. – Des exceptions prévues par l’article 17, alinéa 2

370. - Le caractère non absolu du droit à la propriété n’a guère suscité de doute lors

de la rédaction du projet de Déclaration universelle. La divergence porta

principalement sur la limite à fixer à ce droit au regard de sa fonction sociale1304.

D’ailleurs, seule la privation de la propriété est encadrée (A), alors que la simple

réglementation de l’usage des biens qui n’entraîne pas le transfert de la propriété est

absente de l’article 17, alinéa 2, de la Déclaration (B).

A. – La privation de la propriété

371. - Le critère minimum de la protection du droit de propriété exige que la

privation arbitraire de la propriété soit interdite (1) par l’article 17, bien que la

signification de la notion d’ « arbitraire » reste à préciser (2) dans la pratique.

(1). – L’interdiction de la privation arbitraire de la propriété

372. - Des divergences existèrent sur la limitation du droit à la propriété lors de

l’élaboration de la Déclaration universelle. Les États-Unis soutirent vigoureusement

l’insertion des normes de protection du droit de propriété privée contre l’expropriation

1302 V., Johannes MORSINK, The Universal declaration of Human Rights: origins, drafting, and intent, op. cit., pp. 155 à 157. 1303 V., infra, n° 406. 1304 V., Johannes MORSINK, The Universal Declaration of Human Rights: origins, drafting, and intent, op. cit., p. 154.

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393

sans garanties raisonnables, alors que les délégués du gouvernement travailliste du

Royaume-uni contestèrent la nécessité de proclamer le droit de propriété privée en

mettant en avant le fait que la réglementation de la propriété fut devenue un

phénomène universel à l’époque contemporaine 1305 . Le projet d’article que la

Commission des droits de l’homme eut rédigé lors de la première session disposa que

« nul ne peut être privé de sa propriété sinon dans l’intérêt public et moyennant une

juste indemnité »1306. À la deuxième session de la Commission, le délégué de l’URSS

proposa d’ajouter, après les termes « tout individu a le droit de posséder des biens »,

les mots « conformément aux lois du pays où ces biens se trouvent »1307, ouvrant la

voie à la limitation à la propriété en vertu des lois internes. Cette proposition fut

refusée par les auteurs de la Déclaration 1948 en s’appuyant sur la notion de justice

morale qui l’emporte sur le droit positif concernant les mesures de privation1308.

L’interdiction de la privation arbitraire de la propriété selon la Déclaration universelle

fut ainsi reconnue de manière à sortir de l’impasse des controverses concernant la

limitation du droit de propriété1309. Il reste toutefois à préciser l’intention des acteurs

de la Déclaration universelle qui consista à subordonner le droit interne au critère

généralement reconnu quant à la qualification de la privation arbitraire. Ce qui conduit

à restreindre la liberté des États à réglementer la privation de la propriété. Mais

l’effectivité de cette restriction dépend des précisions sur la notion d’arbitraire.

(2). – Précisions sur la notion d’arbitraire

373. - L’article 17, alinéa 2, en proclamant de manière assez simple que « nul ne

peut être arbitrairement privé de sa propriété », ne précise pas les conditions qui

encadrent la privation de la propriété, puisque l’adverbe « arbitrairement » est assez

1305 V., Mary Ann GLENDON, A world made new: Eleanor Roosevelt and the Universal Declaration of Human Rights, op. cit., p. 182. 1306 V., UN doc. E/CN.4/21. 1307 V., UN doc. E/CN.4/57. 1308 Johannes MORSINK, The Universal Declaration of Human Rights: origins, drafting, and intent, op. cit., pp. 149, 150. 1309 V., Catarina KRAUSE, « The right to property », in Asbjørn EIDE, Catarina KRAUSE, Allan ROSAS (ed.), Economic, social and cultural rights: a textbook, M. Nijhoff , 2001, pp. 191, 192.

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394

abstrait et peut faire l’objet de diverses interprétations. Certaines règles applicables aux

pratiques d’expropriation sont cependant utiles dans l’interprétation de l’article 17. Par

exemple, en s’appuyant sur les instruments internationaux en vigueur, l’expert

indépendant désigné par la Commission des droits de l’homme a constaté que « les

formes privées, collectives, étatiques ou sociales de la propriété peuvent être

restreintes ou limitées par les pouvoirs publics dans le respect des dispositions de la

législation nationale et conformément aux normes internationales dans le domaine des

droits de l’homme. À cet égard, il est à noter que les principes généraux du droit

international exigent le versement effectif, sans délai, d’indemnités adéquates en cas

d’expropriation (aliénation) de tous types de propriétés »1310. Selon ce constat, le

versement effectif, sans délai, d’indemnités adéquates en cas de privation de propriété

sont dans les principes généraux du droit international. Ces conditions ont été

également confirmées par les pratiques de l’État et la jurisprudence des tribunaux

internationaux, mais avec des exceptions généralement reconnues telles qu’en cas de

nationalisation, l’indemnisation doit être évaluée selon l’objectif de la nationalisation

ainsi que la viabilité de l’économie de l’État1311.

374. - Certains instruments internationaux adoptés par l’Assemblée générale de

l’ONU sont également utiles dans la mesure où ils ont proclamé les critères pour

évaluer si la privation est arbitraire ou non. Ainsi en est-il de la résolution n° 1803

(XVII) de l’Assemblée générale en date du 14 décembre 1964 intitulée

«[S]ouveraineté permanente sur les ressources naturelles» qui a proclamé que « 4. La

nationalisation, l’expropriation ou la réquisition devront se fonder sur des raisons ou

des motifs d’utilité publique, de sécurité ou d’intérêt national, reconnus comme

primant les simples intérêts particuliers ou privés, tant nationaux qu’étrangers ».

Selon ladite résolution, bien que les États soient souverains concernant leur décision de

procéder aux mesures de privation, ils se voient pourtant imposer des limites à

respecter quand il s’agit d’éviter la privation arbitraire. De même, la Charte des droits

et devoirs économiques des États a proclamé que « 2. Chaque État a le droit : ... c) De 1310 Commission des droits de l’homme, Droit de toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, à la propriété, document précité, § 401. 1311 V., Ian BROWNLIE, Principles of public international law, 6th ed., Oxford New York: Oxford University Press, 2003, pp. 510 à 512.

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395

nationaliser, d’exproprier, ou de transférer la propriété des biens étrangers, auquel cas

il devrait verser une indemnité adéquate, compte tenu de ses lois et règlements et de

toutes les circonstances qu’il juge pertinentes. Dans tous les cas où la question de

l’indemnisation donne lieu à différend, celui-ci sera réglé conformément à la

législation interne de l’État qui prend des mesures de nationalisation et par les

tribunaux de cet État, à moins que tous les États intéressés ne conviennent librement de

rechercher d’autres moyens pacifiques sur la base de l’égalité souveraine des États et

conformément au principe du libre choix des moyens »1312. Il en résulte que si

l’indemnisation est en principe réglementée par le droit interne de l’État qui prend les

mesures de privation, l’indemnité adéquate est en principe exigée par ladite Charte.

Certes, les deux résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU concernent

principalement les cas où un État dépouille les biens d’un citoyen d’un autre État, qui

se passait surtout dans le domaine de l’investissement étranger. Il reste donc à savoir si

ces conditions demeurent applicables aux cas d’expropriation des biens appartenant

aux nationaux de l’État expropriant. À cet égard, il n’existe toutefois pas de consensus

relatif à l’illégalité de l’expropriation sans indemnisation par l’État des biens de leurs

nationaux1313.

Il est intéressant de remarquer l’exemple de la jurisprudence européenne qui

semble traduire la tendance du droit international en matière d’indemnisation en cas de

privation. En effet, « la Cour [européenne des droits de l’homme] a fait preuve d’une

étonnante habileté puisqu’elle a réussi à proclamer le principe de l’indemnisation

pour tous, mais ceci sans désavouer la jurisprudence précédente de la Commission

suivant laquelle la référence au droit international général ferait bénéficier du droit à

l’indemnisation seulement les étrangers et non pas les nationaux »1314. Ce qui peut être

1312 Résolution 3281 (XXIX) de l’Assemblée générale de l’ONU adoptée en date du 12 décembre 1974. 1313 V., par ex., Matias F. TRAVIESO-DIAZ, « Some legal and practical issues in the resolution of Cuban Nationals’ Expropriation Claims against Cuba », 16 U. Pa. J. Int’l Bus. L. 217 (1995); Jeannette M. E. TRAMHEL, « Helms-Burton invites a closer look at counter-measures », 30 Geo. Wash. J. Int’l L. & Econ. 317. 1314 Luigi CONDORELLI, « Premier protocole additionnel, article 1 », in Louis-Edmond PETTITI, Emmanuel DECAUX, Pierre-Henri TEITGEN (sous la dir. de), La Convention européenne des droits de l’homme, Commentaire article par article, 2e éd., Economica, 1999, p. 987. Or, dans l’arrêt James et autres c/ Royaume-Uni (CEDH, 21 fév. 1986, Série A n° 98, § 46), la Cour précise que dans le cas d’une

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396

considéré comme la preuve de l’évolution du droit international à l’égard de la

protection des intérêts économiques de tout homme, quelle que soit sa nationalité.

B. – La réglementation de la propriété

375. - L’une des faiblesses de l’article 17 de la Déclaration universelle de 1948

réside dans la réglementation de la propriété. En effet, le pouvoir de l’État à

réglementer l’exercice du droit de propriété n’est qu’implicitement reconnu (1), et les

conditions qui encadrent la réglementation du droit à la propriété sont peu précises (2).

(1). – La reconnaissance implicite de la limitation au pouvoir de réglementation

376. - La question de savoir si l’État a le pouvoir de réglementer le droit à la

propriété fut abordée lors de la rédaction du projet de Déclaration. En admettant que

l’article 17 consacré à la propriété devrait satisfaire à la fois aux exigences du

capitalisme et du socialisme par la juxtaposition de la propriété individuelle et de la

propriété collective, il se pose toutefois une question cruciale, à savoir qui des

individus ou de l’État pourrait faire le choix entre la propriété individuelle et la

propriété collective comme régime de propriété1315. Le délégué de l’URSS insista en

ajoutant, après la formulation « toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a

droit à la propriété » une phrase : « en vertu des lois de l’État où se situe la

propriété »1316. Mais cette proposition ne fut pas soutenue pas la majorité lors du

scrutin de vote, au motif que la propriété en tant que droit de l’homme fut présumé

l’emporter sur la souveraineté de l’État. Ne départageant pas le socialisme et le

capitalisme concernant la question de la propriété, l’article 17 semble reconnaître de

manière implicite le pouvoir de l’État socialiste à réglementer le droit à la propriété, privation de propriété réalisée au titre d’une réforme sociale, il peut exister de bons motifs de distinguer, en matière d’indemnisation, entre ressortissants et étrangers : Ceux-ci sont plus vulnérables à la législation interne que ceux-là, surtout que contrairement à eux, ils ne jouent d’ordinaire aucun rôle dans l’élection ou la désignation de ses auteurs et ne sont pas consultés avant son adoption. 1315 Johannes MORSINK, The Universal Declaration of Human Rights: origins, drafting, and intent, op. cit., p. 147. 1316 Ibid., p. 149.

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397

notamment la propriété privée concernant les entreprises à but lucratif pour organiser

son économie nationale, sans toutefois aller jusqu’à admettre le pouvoir souverain de

l’État dans la réglementation du droit à la propriété. Ainsi peut-on considérer que l’État

a le pouvoir de réglementer le droit à la propriété, mais il s’agit pour lui de respecter

certaines conditions compatibles avec l’exigence de la protection des droits de

l’homme.

(2). – Les conditions applicables à la réglementation

377. - Sur le plan universel, les normes de droit international relatives aux droits de

l’homme ne sont pas précises en ce qui a trait aux conditions applicables à la

réglementation du droit de propriété n’aboutissant pas à la privation. En effet, les États

ont le droit d’appliquer les lois qu’ils jugent nécessaires pour contrôler l’usage des

biens conformément à l’intérêt général, pour prélever des taxes et autres impôts et

infliger les pénalités. L’étude des affaires examinées par la Cour européenne des droits

de l’homme démontre que les États détiennent de larges pouvoirs pour contrôler

l’usage des biens1317. Mais les conditions à la réglementation du droit de propriété

peuvent également être résumées à partir des législations existantes. Ainsi, l’expert

indépendant désigné par la Commission des droits l’homme pour rédiger le rapport

intitulé « Droit de toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, à la propriété » a

souligné qu’ « il est important que ces pouvoirs de réglementation de l’État n’aient pas

pour le résultat la saisie de biens sans indemnisation et de manière ‘arbitraire’ ou

‘illégale’ »1318; de ce fait, « l’État ne pourra porter atteinte à des droits garantis

‘conformément à la loi’ pour éviter toute action arbitraire...». Mais ce constat se fonde

principalement sur la législation de nombreux États ; l’expert indépendant considère

qu’« il reste à la jurisprudence à donner une interprétation plus précise et plus claire

des ces termes »1319.

1317 V., Jean-François RENUCCI, Traité de droit européen des droits de l’homme, L.G.D.J., 2007, pp. 533 à 537. 1318 Commission des droits de l’homme, Droit de toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, à la propriété, précité, § 457. 1319 Ibid., § 458.

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398

Sous-section 2. – Le principe de la protection du droit à la propriété au

regard de la contribution chinoise à la Déclaration universelle des droits de

l’homme

378. - Comme principal apport de la Chine à la DUDH, la notion de « conscience »

qui est au coeur du confucianisme mais juxtaposée à côté de la notion de raison comme

le fondement des droits de l’homme, reflète l’idéologie prévalente dans la culture

traditionnelle chinoise en ce qui concerne la jouissance des biens (§ 1). L’usage sélectif

des notions confucianistes au service du besoin contemporain révèle l’influence de la

pensée traditionnelle, mais aussi ses limites au regard de la notion moderne du droit de

propriété protégé comme droit fondamental de l’homme (§ 2).

§ 1. – La notion de conscience comme fondement idéologique du droit de

propriété dans la pensée traditionnelle chinoise

379. - Le projet de l’article 1er de la Déclaration universelle mentionna que « tous les

hommes sont doués de raison et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de

fraternité ». Le délégué du gouvernement chinois Peng Chun ZHANG qui ne contesta

pas la raison comme l’attribut essentiel de l’Homme, proposa d’ajouter, à côté du mot

« raison », un concept chinois de « conscience » qui peut être traduit en français par

« compassion » ou « sympathie », soit en anglais par « two-man mindedness »1320. Cet

ajout important est intéressant pour plusieurs raisons, la première étant que la notion à

laquelle M. ZHANG pensa est celle de « ren », qui signifie l’humanité ou le souci de

ses semblables. Le mot chinois « ren » se compose de la combinaison de deux

caractères chinois « homme» et «deux», ce qui évoque la signification de solidarité. La

proposition fut retenue, mais la traduction du mot « ren » par « conscience » fausse la

signification de ce terme mise en avant par M. ZHANG, dans la mesure où la

conscience est plus souvent comprise à travers l’expression « liberté de

1320 Mary Ann GLENDON, A world made new: Eleanor Roosevelt and the Universal Declaration of Human Rights, op. cit., pp. 67, 75, 76, 228.

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399

conscience »1321. La version en langue chinoise de la Déclaration universelle traduit la

conscience par les mots « liang xin ». Ces derniers remontent à Mencius chez qui il

s’agit de l’ « esprit foncièrement bon » qui distingue l’homme de l’animal et fait qu’un

homme est humain 1322 . « Liang xin » est donc quelque chose de plus que la

« conscience morale ». L’expression relève de la notion de « bonté innée » qui

d’ailleurs possède dans la tradition chinoise sa propre dimension métaphysique au sens

où c’est ce qui rattache l’homme, non pas à Dieu mais à la « Voie » (dao),

consubstantielle au fonctionnement de l’Univers1323. Certes, qu’il s’agisse de la notion

de « ren », de la bonté innée ou de la « Voie », le fondement idéologique de la propriété

se caractérise par son caractère dialectique (A). En effet, d’une part, l’existence de la

propriété des individus est par sa nature compatible avec la notion confucianiste de

« ren » ou de « liang xin », dans la mesure où le confucianisme s’oppose à l’arbitraire

des pouvoirs et exige le respect de la propriété tant par le gouvernant que par les

individus envers leurs semblables. D’autre part, dans la pensée confucianiste où

l’individu n’existe que dans un réseau de relations familiales et sociales, la société

s’ordonne à partir de principes inégalitaires qui ne se réfèrent ni à la liberté, ni aux

droits subjectifs, par conséquent, la question des droits de l’homme fut sans objet1324.

Ainsi, le rôle de la notion de « ren » à propos de la protection de la propriété des

individus doit être nuancé. Il faut souligner que le caractère dialectique de la pensée

traditionnelle à propos de la propriété individuelle se révéla lors de l’élaboration du

projet de Déclaration universelle de 1948 (B). Ce qui manifeste la limite de l’utilité de

la pensée traditionnelle chinoise sur la protection de la propriété.

A. – Le caractère dialectique de la pensée confucianiste de la propriété

individuelle

1321 Ibid., p. 68. 1322 V., Anne CHENG, Histoire de la pensée chinoise, op. cit., pp. 163, 164. 1323 V., Pierre-Étienne WILL, « La contribution chinoise à la Déclaration universelle des droits de l’homme », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., p. 343. 1324 V., Mireille DELMAS-MARTY, « La question des droits de l’homme en Chine », op. cit., p. 2182.

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400

380. - Si la propriété individuelle est légitimée par la notion de « ren » au sens où la

jouissance des biens individuels est indispensable à l’épanouissement de la

personnalité humaine (1), la notion traditionnelle de « ren », elle-même étroitement

liée à la notion chinoise de « yi » qui signifie la juste, impose aussi la limitation (2).

(1). – La légitimation de la propriété individuelle

381. - Lors de la discussion sur l’origine des droits de l’homme, le philosophe

chinois Chung Shu LO, considéra que l’absence d’une déclaration formelle des droits

de l’homme dans l’histoire chinoise ne signifie pas que le peuple chinois ne jouit

d’aucun droit de l’homme. En effet, il est vrai que certaines idées de droits de l’homme,

par excellence la rébellion du peuple contre l’oppression, sont perceptibles dans le

discours répandu de Mencius1325. Aujourd’hui, cette opinion est partagée par la

doctrine selon laquelle le concept moderne de droits de l’homme n’est pas étranger à la

culture traditionnelle chinoise en analysant les quatre vertus prônées par le

confucianisme, à savoir la bienveillance « ren», la tolérance « shu», la justice « yi » et

la gouvernance « zheng » comme porteuses des éléments des droits de l’homme1326. La

vertu confucianiste « ren » qui constitue la base morale des relations sociales, impose à

l’individu comme obligation morale de ne pas porter atteinte à ses semblables. Il en

résulte que le respect des obligations mutuelles conformément à la vertu « ren » peut

prévenir la violation des droits, ce qui correspond au discours de P. C. ZHANG à

propos de la conscience1327. L’obligation morale de ne pas porter atteinte à ses

semblables selon la vertu « ren » comporte donc implicitement l’interdiction de porter

atteinte à la propriété d’autrui, si tous sont propriétaires de la même façon. Outre la

signification négative de la vertu « ren » au sens où elle prescrit aux hommes de ne pas

mener une action qui porterait atteinte à autrui, y compris à la propriété d’autrui, il faut 1325 Chung-Shu LO, « Les droits de l’homme dans la tradition chinoise », in Autour de la nouvelle déclaration des droits de l’homme, textes réunis par l’UNESCO, op. cit., pp. 154, 155. 1326 V., DU Gangjian, SONG Gang, « Relating human rights to Chinese culture: the four paths of the Confucian analects and the four principles of a new theory of benevolence », in Michael C. DAVIS (ed.), Human Rights and Chinese Values, Oxford University Press, 1995, pp. 35 et s. 1327 V., Chung Shu LO, « Human rights in the Chinese tradition », in Human Rights: Comments and Interpretations, London: Wingate, 1949, pp. 186, 187.

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401

souligner que Mencius enseigna l’importance de l’appropriation des biens sur la

préservation de l’esprit de l’homme qui elle-même est au fondement du règne du Roi.

Pour Mencius, « ce qui distingue l’homme de l’animal est des plus ténus »1328. En

d’autres termes, ce qui distingue l’humain de l’animal n’est autre que sa nature morale.

Mencius appela ce presque rien « esprit originel » (ben xin) ou « esprit foncièrement

bon » (liang xin). « Le ‘xin’ qui désigne à la fois l’esprit et le coeur, est pour Mencius

une forme exclusivement humaine de sensibilité, la faculté de ressentir, de désirer, de

vouloir, mais aussi de penser ce qui est ressenti, désiré, voulu »1329. Pour Mencius, le

« xin » –l’esprit et le coeur de l’homme– comporte l’esprit de la loyauté du peuple

envers l’État. L’importance de la propriété consiste en ce que la sauvegarde de « xin »,

donc l’esprit et le coeur de loyauté du peuple ne peut être assurée qu’avec la stabilité

des biens indispensables pour la sauvegarde de la vie. Quand on demanda à Mencius

comment il faillit gouverner, il répondit que « tant que la production est stable, les

esprits demeurent dans la constance ; ils s’agitent si elle ne l’est point. Les esprits

agités se portent aux pires extrémités du mal et de la licence. Pousser au crime pour

ensuite châtier en conséquence, c’est tendre un piège aux gens»1330. C’est-à-dire que

l’homme dépouillé des biens va perdre son esprit et s’incliner à transgresser la loi ; et

punir l’homme que l’on a spolié pour les crimes qu’il commet ne peut pas se justifier.

C’est la raison pour laquelle Mencius considéra « jing tian » comme le meilleur régime

foncier. Car, dans le régime de « jing tian », les limites des terres furent bien tracées, le

peuple eut un champ à cultiver, les officiers ne purent pas exiger un impôt exagéré à

leur gré1331.

382. - Si le maintien du « xin » justifie l’appropriation privée des biens par les

hommes, la théorie du gouvernement par la bienfaisance –esquissée par Mencius et

reconnue comme le fondement de la politique officielle1332– est le germe de la notion

moderne du respect des biens par le pouvoir public. Selon le passage de Mencius, le

1328 Mencius, 4, B.19, traduit par André LEVY, Éditions YOU-FENG, 2003, p.121. 1329 Anne CHENG, Histoire de la pensée chinoise, op. cit., p. 174. 1330 Mencius, 3, A. 3, op. cit., pp. 81, 82. 1331 YUAN Chaucer, La philosophie morale et politique de Mencius, Paris : Librairie Orientaliste, 1927, p. 292. 1332 V., Marcel GRANET, La pensée chinoise, Éditions Albin Michel, 1988, p. 451.

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402

Roi dut non seulement s’abstenir d’exploiter les richesses du peuple, mais aussi

déployer, comme le « ren » exige, la politique contribuant à la conservation et

l’augmentation des richesses du peuple afin de maintenir l’ordre de son règne. Par le

fameux passage « deviens riche et renonce à la bonté ou deviens bon et renonce à la

richesse »1333, Mencius indiqua qu’un sage souverain dut se montrer respectueux,

économe, poli envers ses subordonnés et limiter au strict minimum ce qu’il prit au

peuple. À l’époque contemporaine, c’est dans l’idée de réciprocité des relations

politiques entre le gouvernant et les gouvernés que le confucianisme propose de

conférer aux individus des biens suffisants et de les protéger contre l’abus de

pouvoir1334 . Il faut rappeler que P. C. ZHANG souligna l’importance des droits

économiques, sociaux et culturels dès la séance ouverture du Conseil économique et

social en janvier 1946, et comme il se dut, il ajouta une dimension confucianiste à ce

texte en citant Mencius, chez qui l’on trouve la formulation canonique suivant laquelle

les hommes ne peuvent devenir vertueux par l’éducation et rester loyaux envers leurs

gouvernements si on ne leur assure pas le nécessaire. Comme l’a constaté

Pierre-Étienne WILL, l’attachement des défenseurs chinois des droits de l’homme

concernant le fait pour les États de garantir à leurs citoyens les droits qui touchent aux

conditions fondamentales de leur survie économique et de leur aptitude à vivre en

société a de profondes racines historiques. Celles-ci sont à rechercher dans l’histoire

même de l’État en Chine. En effet, depuis la dynastie des Song, l’idée fut

profondément intégrée au discours bureaucratique qu’il fut de la responsabilité des

pouvoirs publics de veiller à ce que même les plus pauvres des paysans ne fussent pas

exposés à perdre leur place en période de crise, à perdre leur terre en tant que base

économique, et par-là même leur place dans la société, et donc leur existence en tant

qu’être humains dignes de ce nom. Il serait assurément trop hâtif d’affirmer que dans

une telle configuration le peuple chinois aurait des « droits » à la survie, au travail, à la

propriété, etc., mais « il existait certainement une attente, voire une exigence,

susceptible d’engendrer la notion de droits le jour où le contexte intellectuel et

1333 Mencius, 3, A. 3, op. cit., . 82. 1334 V., Wejen ZHANG, « Confucian theory of norms and human rights », in Wm. Theodore DE BARY, TU Weiming, Confucianism and Human Rights, Columbia University Press, 1998, pp. 123 à 124.

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403

politique s’y prêterait »1335.

(2). – La limitation imposée à la propriété individuelle

383. - La vertu « ren » qui fait l’éloge de la compassion, de la sympathie ou de la

bienveillance et exige le respect des biens des individus ne doit pas nous faire oublier

de souligner que « bien que Confucius parle constamment du ‘ren’, il se refuse à en

donner une définition explicite et, de ce fait, limitative »1336. L’expression « ren » est

donc susceptible de diverses interprétations, parmi lesquelles il faut toutefois souligner

que le « ren » fut souvent conjointement utilisé par Mencius avec une autre notion « yi

» qui signifie à la fois la justice ou la justesse1337. « Ce qui est juste, il est de notre

devoir de l’accomplir ; en d’autres termes, un acte de justice apparaît comme revêtu

d’un caractère d’obligation que ne possèdent pas certaines autres actes moraux»1338.

Aujourd’hui, la notion de « yi » peut ouvrir la voie à la limitation de la propriété qui est

porteuse des intérêts individuels dans la quête des richesses. À cet égard, l’un des

meilleurs aspects de la pensée confucianiste peut être résumé ainsi : « la conviction que

la nature humaine est perfectible et que l’Homme est un être fait pour vivre en société,

le souci de la discipline personnelle, le respect des autres, le goût de l’étude et le sens

de l’intérêt général »1339. D’où une vision dialectique de l’humanité. De nos jours,

confucianisme signifie ordre, obéissance aux supérieurs, dévouement à l’État, défense

de la famille ; il met les intérêts du groupe au-dessus de ceux de l’individu et permet

ainsi d’assurer l’ordre social. Ce corpus de valeurs est censé favoriser un

développement harmonieux, car il permet de limiter les appétits individuels. La vertu

« ren » constitue en soi un bon antidote à l’individualisme extrême et l’appât du gain.

En insistant sur l’intégration de la notion de conscience morale en vue prioritairement

1335 V., Pierre-Étienne WILL, « La contribution chinoise à la Déclaration universelle des droits de l’homme », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., pp. 354, 355. 1336 Anne CHENG, Histoire de la pensée chinoise, op. cit., p. 69. 1337 V., Wing-tsit CHAN, « The evolution of the Confucian concept Jên », Philosophy East and West, Vol. 4, n° 4, janvier, 1955, p. 302. 1338 YUAN Chaucer, La philosophie morale et politique de Mencius, op. cit., p. 172. 1339 Jacques GERNET, L’intelligence de la Chine, Paris : Gallimard, 1994, p. 87.

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404

« d’affirmer et d’élargir la différence qui existe entre l’homme et l’animal »1340,

l’intention de P. C. ZHANG consista aussi à éviter que les droits proclamés par la

Déclaration fussent jugés trop égoïstes1341. En cas de conflit entre le maintien de la

vertu « ren » et la quête de la richesse, le confucianisme affirme donc la supériorité

axiologique du « ren » sur la deuxième. Car « si le confucianisme, en principe, n’est

pas contre l’individu et les droits de l’homme, il a cependant souligné de manière

excessive la priorité de la perfection morale sur l’individualité brute »1342. La vertu

« ren » qui insiste sur l’idée de compassion envers les autres et sur la capacité d’être

disponible pour les autres pourrait, renforcée par le « yi » qui met l’accent sur la justice

et le devoir, être le remède à l’égoïsme néfaste lié à l’individualisme des propriétaires.

Selon le confucianisme, la prévalence des vertus de « ren » et de « yi » sur les intérêts

individuels est exigée non seulement par le processus de perfectionnement de

l’Homme, mais aussi par la nécessité de maintenir l’ordre de l’État et l’harmonie de la

société. Car « le ‘yi’ est indispensable à la société. Tant que dans une société les

individus, les groupes ou les sectes se traitent avec injustice, il ne peut y régner que le

plus grand désordre »1343. Rappelons que quand le Roi Hui de Liang demanda à

Mencius s’il eut quelque chose à proposer qui servit l’intérêt de son pays, Mencius

répliqua : « [P]ourquoi faut-il que Votre Majesté parle d’intérêt ? Humanité, justice,

un point c’est tout, cela existe tout de même. (...)Quand, de haut en bas de la société,

chacun confisque ce qui lui est profitable aux dépens d’autrui, l’État se trouve

assurément en péril»1344. Selon la pensée de Mencius, la poursuite des intérêts sans

modération est la cause déstabilisatrice de la société. Le maintien de l’ordre

harmonieux n’est possible que par le respect de l’humanité et de la justice, notion liées

dans l’expression de « ren yi ». Celle-ci exige que l’appropriation des biens, et donc

l’intérêt du propriétaire, soit tempérée par celui de l’ordre social. Il en résulte que la

1340 V., document de l’ONU, E/CN.4/SP.7, p. 5, en date du 31 janvier 1946. 1341 V., Johannes MORSINK, The Universal Declaration of Human Rights: origins, drafting, and intent, op. cit., p. 299. 1342 Vincent SHEN, « Harmonie : individu et communauté dans la nature », in Paul SERVAIS (éd.), Individu et Communauté, une confrontation Orient-Occident, Louvain-la-Neuve: Bruylant-Academia, 2000, p. 197. 1343 YUAN Chaucer, La philosophie morale et politique de Mencius, op. cit., p. 180. 1344 Mencius, 1, A. 1, op. cit., p. 22.

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405

conscience morale est non seulement le fondement légitime de la propriété, mais aussi

celui ouvrant la voie à la limitation de l’intérêt qui est l’élément essentiel du « droit de

propriété » au sens moderne.

384. - Les notions contemporaines de la légitimation et de la limitation du droit de

propriété peuvent trouver leur écho dans la pensée traditionnelle chinoise, mais il faut

toutefois souligner la difficulté de fournir une explication culturelle de l’évolution des

droits de l’homme en Chine. Comme Jean-Pierre CABESTAN l’a constaté, «les droits

et liberté sont, en effet, accordés à la société, dans la tradition chinoise, dans un but

moral bien précis»1345. Les notions d’humanisme, de dignité humaine, existèrent en

Chine, mais du fait de leur grande complexité, ces valeurs asiatiques et confucianistes

sont très malléables concernant leur interprétation et offrent donc prise à des

instrumentalisation diverses1346. Le caractère dialectique de la notion de conscience

morale –comprise comme « ren »– eu égard à la propriété est la cause principale de la

difficulté rencontrée lors de l’interprétation des valeurs d’ordre moral et culturel,

comme le montre l’exemple de la participation de la Chine à l’élaboration de la

Déclaration universelle 1948.

B. – La révélation du caractère dialectique au cours de l’élaboration

de la Déclaration universelle de 1948

385. - Il existe peu d’informations disponibles précisant directement la position des

délégués chinois quant à l’élaboration du projet d’article relatif au droit à la propriété.

Mais leurs propos concernant les droits économiques, sociaux et culturels peuvent

donner des indices utiles pour comprendre l’approche « légitimation et limitation » du

droit à la propriété à laquelle ils adhérèrent. Il faut notamment souligner que quant à

l’élaboration du projet de l’article 17, les délégués chinois insistèrent sur l’absence

d’un article consacré au droit à la propriété (1) et à la limitation de ce dernier (2). Ce

1345 Jean-Pierre CABESTAN, « L’impossible avènement d’un État de droit en Chine populaire : est-ce la faute aux valeurs asiatiques, au communisme ou au retard économique ? », in Thierry MARRES, Paul SERVAIS (éd.), Droits humain et valeurs asiatiques, un dialogue possible ?, Louvain-la-Neuve : Bruylant Academia, 2001, p. 86. 1346 V., ibid., p. 87.

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406

qui traduit toutefois une position à rebours par rapport à la légitimation de la jouissance

des biens individuels.

(1). – L’absence d’un article sur le droit de propriété dans le projet chinois lors de

l’élaboration de la Déclaration universelle de 1948

386. - Pendant les débats devant la Commission des droits de l’homme, les délégués

de la Chine soutinrent vigoureusement l’intégration des droits économiques, sociaux et

culturels au texte final. Mais c’est un propos qu’il faut nuancer étant donné que les

interventions des délégués chinois dans les débats de la Commission des droits de

l’homme sur le projet de Déclaration universelle portèrent plutôt sur des questions de

forme ou de cohérence et allèrent dans le sens d’une plus grande concision, en

s’efforçant de limiter les énumérations trop précises ou en proposant de ne pas traiter

sur le même plan les droits abstrait et les mesures d’application. P. C. ZHANG oeuvra

pour que les droits économiques et sociaux et les conditions nécessaires au plein

développement de la personnalité ne fussent pas annoncés dès l’article 3 de la

Déclaration, à la suite du droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de la personne.

ZHANG ne fut d’accord qu’à la condition absolue qu’ils fussent mentionnés dans un

paragraphe séparé « pour mettre en valeur leur importance »1347. En ce qui concerne le

droit à la propriété, une initiative d’amendement fut toutefois proposée par la

délégation chinoise. Cette initiative s’affirma au contraire en faveur de la suppression

de ce droit de la Déclaration1348. Le motif de cette position hostile au droit à la

propriété doit être trouvé dans les considérations techniques de la délégation chinoise

concernant l’élaboration d’une déclaration. Car, politiquement, il semble que les

délégués chinois ne furent pas hostiles au droit à la propriété, du fait de son caractère

économique et social. Mais les délégués chinois mirent davantage l’accent sur le

consensus des États quant au fondement et à la formulation des droits proclamés. C’est

1347 V., Pierre-Étienne WILL, « La contribution chinoise à la Déclaration universelle des droits de l’homme », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., pp. 356 à 357. 1348 V., Johannes MORSINK, The Universal Declaration of Human Rights: origins, drafting, and intent, op. cit., pp. 145, 146.

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407

donc peut être parce qu’il exista une divergence importante entre les pays capitalistes

et socialistes sur les sujets et le contenu du droit à la propriété que les délégués chinois

se penchèrent sur l’omission d’un article précis concernant ce droit en vue d’obtenir un

compromis, tout en laissant la réalisation de ce droit à la discrétion des États qui

s’engageraient à respecter les principes généraux proclamés par la Déclaration

universelle. Cette hypothèse peut être implicitement confirmée par la position de la

délégation chinoise qui soutint la limitation au droit de propriété, après le rejet de leur

proposition sur l’omission d’un article du droit à la propriété.

(2). – Le soutien à la limitation au droit de propriété

387. - La limitation au droit de propriété doit être conçue en rapport avec la relation

entre droits et devoirs. La question portant sur celle-ci suscita des débats complexes au

sein des rédacteurs de la Déclaration universelle. Le délégué chinois P. C. ZHANG fit

partie de la minorité de délégués qui revendiquèrent l’inclusion d’une liste des devoirs

dans la Déclaration, faisant en quelque sorte pendant à la liste des droits au motif que

les droits des individus ne purent exister qu’en corrélation avec leurs devoirs1349. Un

article proclamant les devoirs de l’individu envers la société fut rédigé comme un

compromis sur les différents avis concernant les devoirs des individus, avec le soutien

de P. C. ZHANG1350. Quant à la limitation au droit à la propriété, il exista deux

approches différentes : pour les uns représentés par la délégation de l’URSS, ils

soutirent une clause spécifique consacrée à la limitation du droit à la propriété par la

fonction sociale au sein de l’article 17 ; pour les autres, l’article 29 constitue une

limitation externe –pour se distinguer de la proposition de la délégation de l’URSS

caractérisée par la limitation interne– qui serait suffisante en soi. Le délégué chinois

ZHANG fut dans la ligne des rédacteurs qui se mirent d’accord sur la limitation

externe et s’opposèrent à la position de l’URSS1351. Il faut souligner que la distinction

1349 Ibid., pp. 248, 249. 1350 V., Pierre-Étienne WILL, « La contribution chinoise à la Déclaration universelle des droits de l’homme », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., pp. 360, 361. 1351 V., Johannes MORSINK, The Universal Declaration of Human Rights: origins, drafting, and intent,

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408

entre limitations interne et externe n’est pas purement formelle mais relève plus

substantiellement du fondement du droit à la propriété. Car selon le projet de la

délégation de l’URSS, le droit à la propriété serait subordonné à la limitation imposée

par la loi interne de chaque État. Pour le même motif qui fut expliqué lors de la

discussion sur la condition applicable à la privation de la propriété, la majorité des

rédacteurs de la Déclaration rejetèrent la proposition de l’URSS. Car si la législation

interne peut imposer la limitation au droit à la propriété, elle-même ne peut se justifier

qu’à la condition de respecter le principe proclamé par l’article 29 relatif aux devoirs

des individus envers la société.

388. - Quand on combine l’insistance de la délégation chinoise, notamment celle du

délégué P. C. ZHANG sur l’omission d’un article proclamant le droit à la propriété, et

son soutien à la limitation au droit à la propriété par l’article 29, la position de la Chine

peut se résumer par la recherche d’un compromis qui se contente de définir le standard

minimum de la protection de la propriété en tant que droit de l’homme. Tant

qu’existaient des divergences entre le sujet et le contenu du droit à la propriété, il valait

mieux de ne proclamer que le principe impératif pour sauvegarder le fondement du

droit, c’est-à-dire la condition relative à la limitation au droit de propriété1352. Voici une

proposition qui reflète dans un cas bien précis l’une des facettes de l’apport chinois à la

Déclaration universelle 1948 : « gommer les spécificités culturelles et se concentrer sur

des principes acceptables pour tous afin de se montrer le plus universel possible en

évitant de heurter quiconque »1353.

§ 2. – Les influences de la pensée traditionnelle sur le droit de propriété à

l’époque contemporaine

op. cit., p. 154. 1352 Certains auteurs considèrent que le rôle de l’article 17 de la Déclaration universelle ne consiste pas à proclamer le droit à la propriété, mais simplement à imposer une limitation à celui-ci. V., par ex., Martin A. GEER, « Foreigners in their own land: cultural land and transnational corporations: emergent international rights and wrongs », Virginia Journal of International Law, spring 1998, p. 374. 1353 Pierre-Étienne WILL, « La contribution chinoise à la Déclaration universelle des droits de l’homme », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., p. 365.

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409

389. - Ayant évolué dans un contexte impérial pendant plus de deux mille ans, la

pensée traditionnelle dominée par le confucianisme se trouve aujourd’hui confrontée

au problème de son décalage avec la modernité. Ce décalage l’oblige à s’adapter à la

question actuelle du développement de la Chine1354. Sur le plan politique, à sa

naissance en 1949, le régime communiste ne supportait plus la pensée confucianiste

pace qu’elle était un « humanisme », en contradiction directe avec le principe de base

de la révolution, la lutte des classes. Le processus idéologique de suppression de la

pensée confucianiste atteignait son apogée pendant les années 60 et 70 de la révolution

culturelle1355. Mais depuis les années 1980 a lieu un renouveau du confucianisme tant

sur le plan intellectuel que sur le plan politique. Il semble donc qu’aujourd’hui, les

dirigeants de la Chine populaire, confrontés aux problèmes sociaux non négligeables

surgis avec le développement de l’économie de marché, paraissent être tombés

d’accord sur le fait d’adapter la civilisation chinoise à leur projet global

d’hypermodernisation, étant donné que le régime a fortement besoin d’une morale1356.

C’est par « la tentation pragmatiste » 1357 que le régime chinois redécouvre les

bienfaits qu’il peut tirer de la mise en valeur de la pensée confucianiste. Il faut

remarquer la reconnaissance constitutionnelle et législative du droit de propriété qui

s’inscrivaient dans le processus de réforme économique s’accompagnaient du

renouveau du confucianisme. L’influence de ce courant de pensée se traduit d’abord

par la référence à certaines notions de moralité qui a contribué à la formation du

contexte politique favorable à la reconnaissance constitutionnelle de la propriété privée

et la législation en la matière (A). Or, il faut souligner que l’instrumentalisation de la

notion confucianiste au service des besoins de la modernité se heurte à certaines

limites. Par exemple, plusieurs idées du confucianisme sont en soi incompatibles avec

la notion moderne de propriété comprise comme droit fondamental de l’homme (B).

1354 V., Anna GHIGLIONE, Shenwen LI, « Le confucianisme et la modernisation socioculturelle de la Chine », in Frédéric LASSERRE (sous la dir. de), L’éveil du dragon : les défis du développement de la Chine au XXIe siècle, Presse de l’Université du Québec, 2006, p. 328. 1355 V., A. James GREGOR, Maris Hsia ZHANG, « Anti-confucianism: Mao’s last campaign », Asian Survey, Vol. 19, n° 11, novembre 1979, pp. 1073 à 1092. 1356 Pierre GENTELLE, « L’instrumentalisation du nom de Confucius par la Chine populaire », Monde Chinois, n°8, 2006, pp. 50, 53 et 54. 1357 Joël THORAVAL, « La tentation pragmatiste dans la Chine contemporaine », op. cit., pp. 125, 134.

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410

A. – La référence aux notions confucianistes au service des besoins

modernes

390. - Les dirigeants chinois ne se dispensait pas de faire des références aux notions

confucianistes afin de créer un contexte politique humaniste dans un souci de

légitimation du régime (1), alors même que la doctrine s’efforçait de justifier la

propriété privée par la même référence aux notions confucianistes (2). Ainsi peut-on

dire que le pouvoir politique et les intellectuels s’accordent à instrumentaliser la pensée

traditionnelle au service des besoins modernes.

(1). – La construction d’un contexte politique humaniste

391. - Le développement de l’économie améliore considérablement les conditions de

vie du peuple chinois, mais il entraîne en même temps des problèmes sociaux tels que

un accès inégal à l’éducation, le creusement des inégalités sociales, l’indifférence

répandue envers les personnes défavorisées. Dans ces circonstances, la redécouverte de

l’ancienne vertu s’avère utile afin d’exhorter à la sollicitude réciproque, aux activités

d’entraide et au respect mutuel. Elle contribuerait aussi à renforcer l’attachement à

l’unité familiale et sociale. En outre, depuis l’ouverture du pays à l’économie de

marché, la corruption prend progressivement de l’ampleur malgré les mesures

répressives. Une crise morale défie sérieusement le système idéologique socialiste dont

les normes de comportement s’imposent avec difficulté à l’ensemble de la société.

Devant cette situation, les dirigeants chinois ont su exploiter de manière ad hoc

l’éthique confucianiste1358. Parmi les éléments de celle-ci, l’idée de « ren » représente

la vertu suprême1359. Mencius la développa dans le cadre politique, préconisant un

modèle de gouvernement dicté par une politique humaine (ren zheng). C’est dire traiter

le peuple avec bienveillance, le gouverner à l’aide de principes moraux et exercer le 1358 V., Anna GHIGLIONE, Shenwen LI, « Le confucianisme et la modernisation socioculturelle de la Chine », op. cit., p. 330. 1359 V., TU Weiming, « Jen as living metaphor in the Confucian Analects », Philosophy East and West, Vol. 31, n° 1, janvier 1981, pp. 45 à 54.

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411

pouvoir avec modération1360. Cet idéal a été largement accepté par les dirigeants

politiques chinois dans le souci d’adaptation du mode politique de gouvernance.

L’ancien président JIANG Zemin insistait sur la nécessité de conjuguer le

gouvernement de l’État selon la loi et selon la vertu, exigeant les cadres à travailler à

leur perfectionnement moral personnel1361. Ce rappel à des valeurs oubliées depuis

longtemps pourrait limiter la corruption, l’abus de pouvoir et la criminalité, et par

conséquent contribuer à l’humanisation de la politique gouvernementale. Dès leur

arrivé au pouvoir, le président HU Jintao et le Premier ministre WEN Jiabao ont

vigoureusement prôné le mot d’ordre « mettre l’homme au centre des pensées » (yiren

wenben) et au coeur du « concept de développement scientifique» (kexue

fazhanguan)1362. Toutes ces manoeuvres du PCC traduisent nettement la volonté des

dirigeants chinois de prendre au sérieux les intérêts du peuple et manifestent leur souci

de légitimer le régime politique en mettant l’accent sur l’humanisation de tous les

aspects de l’activité gouvernementale. Les amendements constitutionnels proclamant

le respect des droits de l’homme, ainsi que la protection de la propriété privée,

s’inscrivent bien évidemment dans l’ « humanisation » du contexte politique qui se

caractérise par un emprunt à la pensée traditionnelle chinoise de la conscience morale,

ici transposée au domaine politique. Il est vrai que la Déclaration universelle de 1948

n’a pas joué un rôle visible concernant ce changement vers l’ « humanisation » de la

vie politique chinoise, mais le retour volontaire et substantiel à la notion morale de

conscience ne peut que conforter le caractère d’universalité de la Déclaration

universelle, et par conséquent son autorité, sinon juridique, du moins morale sur le

droit chinois.

(2). – La justification de la propriété privée

1360 V., Kwang-yop HONG, Conception de la politique et de l’histoire chez Confucius et ses prolongements en Chine moderne, thèse l’Université de Paris II, 1979, pp. 32, 35. 1361 Sur la genèse de l’idée de ‘gouverner l’État par la vertu’, v., YANG Deshan, «‘Yifa zhiguo’, ‘yide zhiguo’ (‘Gouverner l’État selon la loi’, ‘gouverner l’État par la vertu’) », disponible sur le site http://cpc.people.com.cn/GB/64162/64171/4527669.html, consulté le 18 juillet 2008. 1362 V., HU Jintao, Rapport d’activités présenté devant le XVIIe congrès du PCC, le15 octobre 2007.

Page 420: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

412

392. - Profitant de l’influence de ce contexte politique favorable, les juristes ont

mené une réflexion qui a pour but de mettre en oeuvre l’ « humanisation » du droit

chinois1363. Il est également intéressant de noter que des juristes civilistes chinois se

référaient aussi au propos de Mencius pour soutenir la nécessité de la législation de

droits réels par l’APN. À titre d’exemple qui illustre bien l’aspect moral de la notion de

« xin » selon Mencius1364 , le professeur SUN Xianzhong, qui a vigoureusement

soutenu la nécessité d’accorder le même statut juridique à la propriété publique et

privée, a soulevé que la loi sur les biens devrait mettre davantage l’accent sur la

garantie de la propriété privée, car assurer la jouissance stable des biens serait

nécessaire au maintien de l’esprit et du coeur du peuple. Le professeur YIN Tian a

même loué l’importance de la propriété privée en la plaçant au fondement matériel de

l’épanouissement de la personnalité humaine1365. Il s’agissait également de justifier la

propriété privée en s’appuyant sur la notion d’humanité. L’influence de la pensée

traditionnelle chinoise à l’égard du processus de légitimation de la propriété privée ne

doit pas être sous-estimée, d’autant plus que la doctrine marxiste prônant la

suppression de la propriété privée n’était acceptée comme le dogme politique du

gouvernement chinois qu’après la fondation de la Chine populaire en 1949, peu de

temps après l’adoption de la Déclaration universelle. Contrastant avec la longue

existence de la notion de propriété privée dans l’histoire chinoise1366, la suppression de

la propriété privée au profit de l’établissement exclusif de la propriété publique selon

le dogme marxiste n’apparaît que comme un événement de courte durée. L’époque où

la légitimité de la propriété privée était totalement niée s’est terminée avec

l’amendement constitutionnel de 2004 et la promulgation de la loi sur les droits réels

en 2007, si bien que l’on pourrait considérer cette période comme une phase de rupture, 1363 V., par exemple, le recueil des essais d’une soixantaine de juristes chinois sur les différents sujets autour du thème de l’humanisation du droit chinois, XU Xianming (sous la dir. de), Yiren weiben yu falü fazhan (Mettre l’homme au centre des pensées et le développement du droit), Shandong Renmin Chubanshe, 2008. 1364 V., SUN Xianzhong, Zhongguo wuquanfa zonglun : yuanli yiji lifazhongde xikao (Droits réels chinois : principes et réflexions sur la législation), China Law Press, 2005, introduction. 1365 V., YIN Tian, « Zailun ‘wucaichan wurenge’ (Réécriture sur ‘pas de personnalité humaine sans propriété’) », Faxue (Law Science Monthly), 2005, n° 2, p. 38 à 41. 1366 V., Patrick A. RANDOLPH, Jianbo LOU, Chinese real estate law, Kluwer Law International, 1999, pp.1 à 13.

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413

non significative, dans la longue histoire du droit chinois. À cet égard, la

reconnaissance constitutionnelle et législative de la propriété privée correspond

parfaitement au phénomène caractérisé par le « retour au droit »1367 : à la perte

d’influence de la doctrine marxiste –perceptible moins au niveau du discours politique

que dans les pratiques de réformes juridique et économique– s’ajoute la référence à la

pensée traditionnelle chinoise, déjà intégrée dans la Déclaration universelle de 1948

comme se situant au fondement des droits de l’homme. Ces faits montrent que la

référence aux notions confucianistes peut consolider le retour du droit chinois à la

valeur humaine qui sous-tend la propriété tel qu’il est proclamé dans la Déclaration

universelle de 1948.

B. – La limite de l’influence de la pensée traditionnelle sur le droit de

propriété

393. - S’il est vrai que l’humanité telle qu’elle est définie dans le confucianisme

constitue la source de la pensée traditionnelle chinoise à laquelle le droit contemporain

chinois peut puiser pour intégrer la notion moderne des droits de l’homme, y compris

le droit de propriété, il ne faut pas pour autant sous-estimer une seconde source qui ne

se prête pas à cette intégration. La forte inégalité concernant la jouissance des biens

inhérente à l’inégalité de statut des personnes (1) et à l’absence du droit formel de

propriété (2) met en évidence les incompatibilités de la pensée traditionnelle chinoise

avec la notion moderne du droit de propriété. À cet égard, la constitution d’un

fondement du droit de propriété à l’époque contemporaine ne peut être menée à bien

qu’en dépassant ces écueils historiques.

(1). – Les fortes inégalités concernant la propriété

394. - Les fortes inégalités concernant la propriété se révèlent d’abord à travers les

rapports de production. M. VANDERMEERSCH a bien analysé l’apparition de la

1367 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p. 553.

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414

propriété privée dans l’histoire chinoise qui résulta d’un changement survenu dans les

rapports de production. Selon lui, les conditions dans lesquelles le régime de la

prébende vacilla avant de dégénérer peu à peu complètement entraînèrent l’apparition

de nouvelles modalités dans les rapports de production par lesquelles le régime de la

propriété privée prit corps. Dans cette perspective, l’apparition de la propriété privée

résulta de ces trois processus : le passage d’un pouvoir exercé sur les hommes à un

pouvoir exercé sur les terres, la substitution d’une économie commerciale à l’économie

féodale, et enfin l’évolution des idées concernant le travail des paysans qui, ayant cessé

d’être considéré comme une fonction sociale semblable aux autres, se révèle comme

un facteur de production à part entière. Lorsque les champs firent l’objet d’échanges

non plus entre prébendiers mais entre laboureurs, cessa aussi l’empiètement du pouvoir

politique au profit d’un droit d’utilisation de la terre pour la cultiver. Ainsi apparut le

droit de propriété duquel fut tiré un pouvoir économique qui différa par essence du

pouvoir politique. Or les laboureurs ne restèrent pas longtemps seuls possesseurs de la

terre. Elle passa rapidement aux mains de ceux qui disposèrent de moyens bien plus

considérables pour l’acquérir. Une nouvelle aristocratie de propriétaires fonciers

commença dès lors à se substituer à l’ancienne aristocratie féodale. Une bonne partie

du peuple se retrouva dans la condition de fermier ou d’ouvrier agricole1368.

395. - L’inégalité substantielle concernant l’accès à la propriété s’enracine plus

profondément dans l’ancien droit chinois qui se fondait sur l’idée de répartition qui

était en soi inégalitaire. Le terme que les penseurs utilisèrent le plus souvent pour

approuver l’idée de répartition et sa mise en oeuvre fut le mot « yi » qui signifie la

justice. Certes, dans la formule chinoise de la justice, le sens essentiel résida dans le

fait consistant à attribuer à chacun sa fonction propre selon son statut (le mot

chinois ming ou « nom ») dans les relations hiérarchisées. Du point de vue juridique, le

« nom » signifie le statut des individus dans les rapports sociaux et définit par

conséquent la fonction et la conduite de chacun. Avoir un nom, pour les hommes, c’est

se distinguer les uns des autres, c’est avoir des règles de conduite, un modèle de vie et

une sphère d’action. Le «nom » rend possible l’établissement des différenciations, des

1368 V., Léon VANDERMEERSCH, Wangdao ou la voie royale: Recherches sur l’esprit des institutions de la Chine archaïque, op. cit., p. 258.

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415

lots, des propriétés, des répartitions entre les individus1369. Selon Jean ESCARRA, le

« fen », « c’est la différenciation, la hiérarchie résultant des propriétés spécificités des

choses, de la condition propre des êtres »1370. Dans un langage juridique, le mot « fen »

désigne, d’une part, l’ensemble des droits et devoirs dont un individu est dépositaire

selon son statut et, d’autre part, le champ délimité dans lequel tel individu a une liberté

d’action tant vis-à-vis des autres personnes que vis-à-vis des choses. Cette conception

du « fen » est celle qui le rapproche le plus du mot « droit », marquant par-là la

délimitation des droits individuels en vue d’éviter tout conflit entre les hommes1371.

Mais il faut souligner que la répartition ou la différenciation, en fonction des statuts des

personnes suivant les hiérarchies de la société chinoise traditionnelle, est hétérogène à

la notion moderne d’égalité qui est au coeur des droits de l’homme1372.

396. - En ce qui concerne la propriété, l’inégalité de « droit » fut confortée par la

relation filiale du fait de l’importance de la famille dans une société agraire. En effet, «

depuis quatre à cinq mille ans la pierre angulaire de la civilisation chinoise a été la

[F]amille. Le dogme rationnel de la piété filiale a été le pivot de la machine sociale.

Dans l’ordre politique, il a donné à la Chine son mode de gouvernement »1373. Comme

la pensée confucianiste attache de l’importance à la piété filiale, elle donne aux pères

un plus grand pouvoir sur la propriété familiale qu’aux mères et aux fils mais aussi aux

générations suivantes. Les codes de la Chine impériale furent largement inspirés de

cette pensée en réservant aux pères la prérogative concernant la disposition des biens

familiaux. En ce sens aussi, les tentatives des descendants pour s’approprier les biens

familiaux, par exemple en demandant la division des biens familiaux contre la volonté

du père, furent pénalement punies1374. Les fortes inégalités concernant l’accès à la

1369 V., Xiaoping LI, « L’esprit du droit chinois : perspectives comparatives », Revue de droit international comparé, 1997, Vol. 49, n°1, pp. 33, 34. 1370 Jean ESCARRA, Le droit chinois, conception et évolution. Institutions législatives et judiciaires. Science et enseignement, Paris : Sirey, 1936, p. 23. 1371 V., HU Yan Mung, « Étude philosophique et juridique de la conception de ‘Ming’ et de ‘Fen’ dans le droit chinois », Études de sociologie et d’éthologie juridiques, VII, Paris : Les Éditions Domat-Montchrestien, 1932, p. 81. 1372 V., Xiaoping LI, « L’esprit du droit chinois: perspectives comparatives », op. cit., p. 35. 1373 KOU Hong Ming, Francis BORREY, Le catéchisme de Confucius : contribution à l’étude de la Sociologie chinoise, Paris : Librairie des sciences politiques et sociales, 1927, p. 19. 1374 V., CHEN Huan-Chang, The economic principles of Confucius and his school, op. cit., pp. 163 à

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416

propriété fondées sur la différence de statut au sein de la famille s’étendirent ensuite

plus largement dans l’ensemble de ce type de vie sociale –défini par Max WEBER

comme patrimonialisme– qui repose sur la piété comme vertu cardinale exigeant la

subordination du serviteur et du fonctionnaire au maître 1375 . « La théorie

partrimonialiste selon laquelle l’empereur ne peut être l’hôte de personne, ni le

fonctionnaire l’hôte de ses subordonnés, parce que, en droit, toute propriété de

l’inférieur appartient au supérieur, n’avait certes plus qu’une signification

cérémonielle »1376. La subordination dans la société de type patrimonial détermina non

seulement l’inégalité d’accès à la propriété entendue au sens substantielle, mais aussi

l’absence du droit formel de propriété dans la Chine ancienne.

(2). – L’absence du droit formel de propriété

397. - Le type « patrimonial » de la vie sociale, selon la thèse wébérienne, consiste

en ce que le maître dispose, pour exercer le pouvoir, d’un appareil administratif et

militaire purement personnel qu’il commande en vertu d’un droit personnel plénier1377.

WEBER a bien souligné que la propriété privée était la seule institution qui était

entourée de barrières relativement sûres, « et même cette ‘propriété privée’ des biens

matériels n’était assurée que relativement, dans les faits, et elle ne jouissait pas d’une

aura de sacralité (...), l’idéal du patrimonialisme était la justice matérielle et non le

droit formel » 1378 . Parallèlement à l’absence en Chine d’un mouvement de

rationalisation du droit du type de celui qu’a vécu l’Occident dans la modernité, le

développement d’une « logique » juridique manquait dans l’histoire chinoise. En effet,

l’idée de droits se dissipait face à la primauté de la notion de devoirs qui était plus

étroitement liée à la justice matérielle. En témoignent les réactions du peuple sur les

comportements des fonctionnaires : la dénonciation des abus des représentants locaux

de l’État (et non de l’État en tant que tel) était d’abord et avant tout d’ordre moral, et

167. 1375 V., Max WEBER, Confucianisme et taoïsme, Éditions Gallimard, 2000, p. 225. 1376 Ibid., p. 214. 1377 Ibid., p. xiv. 1378 Ibid., pp. 213, 214.

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417

accessoirement politique. Ce qu’on dénonçait, c’était la turpitude des fonctionnaires,

les souffrances qu’ils infligeaient au peuple, leurs manquements aux missions que leur

avait confiées la dynastie, voire leur appartenance à une faction détestée, bien plus

qu’une atteinte à des « droits » qui n’avaient aucune existence formelle et étaient le

plus souvent étrangers à l’univers mental des personnes concernées. La seule

dimension juridique concevable, dans de tels cas, était purement négative, chaque fois

qu’il s’agissait de mettre en évidence les infractions des gouvernements au regard des

prescriptions du droit pénal qui les concernaient dans leurs fonctions : corruption, abus

de pouvoir, pratiques fiscales extorsionnistes, etc.1379 Ce constat nous invite à affirmer

que « dans les préoccupations du monde féodal chinois les faits d’ordre strictement

juridique ou économique ne semblent tenir qu’une place secondaire »1380. En ce qui

concerne la propriété, cette tradition selon laquelle l’accent était mis sur l’aspect

négatif des « droits » correspond dans une certaine mesure à la préoccupation de

Confucius sur l’effet pervers de l’activité économique découlant de la jouissance des

biens : l’appât du gain était source de désordres sociaux. Pour éviter les risques

inhérents à l’activité lucrative, troublant l’équilibre et l’harmonie de l’âme, le

confucianisme émet une réserve sérieuse au sujet du désir d’acquérir des richesses1381.

La notion de justice matérielle dans la pensée traditionnelle chinoise conduit aussi à

émettre une réserve à l’égard de la logique juridique de la propriété caractérisé par le

fait pour les propriétaires de disposer librement de leurs biens. Il en résulte que la

notion occidentale de propriété au sens du droit formel n’a jamais pu émerger dans la

Chine ancienne alors que de facto l’appropriation privative des biens matériels existait

depuis longtemps. En d’autres termes, sous l’impact de la pensée traditionnelle, les

prérogatives composant le droit de propriété étaient relativement reconnues dans la

Chine ancienne, mais le droit fondamental et individuel de propriété ne l’était pas.

1379 Pierre-Étienne WILL, « La contribution chinoise à la Déclaration universelle des droits de l’homme », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., p. 348. 1380 Marcel GRANET, La féodalité chinoise, Paris : Société d’Édition Les Belles Lettres, 1952, p. 32. 1381 V., Max WEBER, Confucianisme et taoïsme, op. cit., pp. 227 à 229.

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418

SECTION II – LES NORMES COMPLÉMENTAIRES DE LA PROTECTION

DU DROIT DE PROPRIÉTÉ

398. - Les deux Pactes internationaux (Sous-section 1) et des instruments juridiques

de droit international humanitaire (Sous-section 2) sont complémentaires au principe

de la protection du droit à la propriété proclamé par la Déclaration universelle 1948.

Certes, par leur nature juridique contraignante assurée par différents mécanismes de

contrôle politique ou juridique, les normes complémentaires peuvent produire un effet

juridique relativement plus direct et plus visible sur la Chine puisque celle-ci s’engage

à respecter dans son droit interne ou mettre en oeuvre des dispositions comprises dans

les instruments juridiques internationaux qu’elle a signés, auxquels elle a adhérés ou

qu’elle a ratifiés. Toutefois, la prudence de la Chine concernant la ratification du Pacte

international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) fait ressortir par contraste le

rôle important des normes complémentaires. C’est la raison pour laquelle la Chine se

sent appelée à faire un pas significatif vers la ratification du PIDCP.

Sous-section 1. – Les normes consacrées par les deux Pactes internationaux

des droits de l’homme

399. - Lors de l’examen par la Commission des droits de l’homme des projets de

pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, la question de l’insertion d’un

article sur le droit à la propriété fut longuement débattue, notamment au cours des

septième, huitième et dixième sessions de la Commission. Les travaux préparatoires à

l’insertion d’un article sur le droit à la propriété dans les pactes suivants ont montré la

diversité des opinions et les difficultés qu’il y avait à rédiger un texte pouvant être

accepté par tous. Si nul n’a contesté le droit de l’individu à la propriété, la notion de

propriété a donné lieu à des divergences d’opinions considérables de même que son

rôle, ses fonctions et les limitations auxquelles il devrait être soumis1382. L’accord ne

1382 V., documents officiels de l’Assemblée générale, dixième session, Annexes, point 28 de l’ordre du jour, deuxième partie, chap. VIII, §§ 195 à 212 ; v., aussi, documents officiels du Conseil économique et social, dix-huitième session, supplément n° 7, E/2573, §§ 40 à 71.

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419

s’est fait ni sur un texte ni sur le point de savoir s’il y avait lieu d’insérer un article sur

le droit à la propriété dans le PIDCP ou dans le PIDESC ou dans les deux instruments à

la fois. Une sous-commission fut constituée pour tenter de concilier les divers points de

vue, mais le texte qu’elle proposa fut rejeté et la Commission, à sa dixième session,

décida d’ajourner sine die l’examen de la question de savoir s’il y avait lieu d’insérer

un article sur le droit à la propriété dans le projet de pacte relatif aux droits

économiques, sociaux et culturels. La formulation du droit à la propriété a soulevé

maintes difficultés à la Commission des droits de l’homme. Trois courants d’opinions

se sont dessinés. Pour les uns, ce droit devait être rédigé en termes larges et généraux,

puisque, eu égard aux différents systèmes sociaux et politiques existant dans le monde,

toute tentative de définition élaborée ou précise risquerait d’accentuer les divergences

d’opinions. Les tenants du deuxième courant de pensée étaient partisans d’un projet

énoncé en termes juridiques précis spécifiant les limites ou les conditions auxquelles

serait soumis le droit à la propriété pour trouver sa place dans les deux Pactes. Le

troisième courant de pensée accordait à l’individu un minimum de biens, sans chercher

à spécifier les limites dans lesquelles ce droit devait bénéficier d’une protection

internationale.

400. - De façon générale, les délégués des États admettaient que le droit à la

propriété devait être soumis à un certain contrôle de l’État, mais qu’il serait souhaitable

de prévoir des garanties contre les abus. À cet égard, il fut suggéré que l’individu ne

puisse être privé de ses biens « arbitrairement », « en l’absence de toute procédure

judiciaire », « illégalement » ou « sans indemnisation »1383. Les opinions divergèrent

sur la question de savoir si cet article devait prévoir expressément une indemnisation

en cas d’expropriation et, si oui, quels sraient les termes à utiliser pour spécifier le

montant de l’indemnisation à verser. Lorsque l’Assemblée générale examina les projets

de pactes, des suggestions furent formulées en vue d’insérer, dans l’un ou l’autre des

deux pactes, un article sur le droit à la propriété, mais aucune ne fut mise aux voix.

Ainsi, les deux Pactes qui ont été adoptés le 16 décembre 1966 ne contiennent pas de 1383 Cf., Subbash C. JAIN, Dunita T. CHHABRA, « Human rights instruments and states of right to property », Indian Journal of International Law, Notes and Comments, pp. 250 à 253, cité dans le rapport de M. Luis Valencia RODRIGUEZ, Droit de toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, à la propriété, précité.

Page 428: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

420

disposition concernant ce droit. Par conséquent, saisi sur le fondement d’une violation

du droit de propriété, le Comité des droits de l’homme « rappelle que le droit de

propriété n’est pas garanti par le Pacte [International relatif aux droits civils et

politiques]. Les allégations concernant la violation de leur droit à la propriété sont

donc irrecevables rationae materiae»1384. Toutefois, selon la doctrine prédominante,

l’absence de normes relatives à la protection de la propriété dans les deux Pactes

internationaux ne revient pas à nier l’existence de principe du droit dont l’homme

dispose sur ses biens et de l’interdiction de la privation arbitraire de la propriété1385. En

estimant que le droit à la propriété est l’une des conditions de la pleine jouissance des

droits économiques, sociaux et culturels, il a été également admis que le droit à la

propriété est implicitement inclus dans le PIDESC1386 (§ 1). En se fondant sur le

principe de l’indivisibilité des droits de l’homme, les deux Pactes internationaux sont

désormais les normes complémentaires à la protection de la propriété. De manière plus

concrète, l’application du principe de non-discrimination, la mise en oeuvre du droit à

un procès équitable tel qu’il est affirmé par le PIDCP (§ 2) contribuent également à la

consolidation de la protection de la propriété comme droit fondamental de l’homme.

§ 1. – La contribution des droits économiques, sociaux et culturels à la

protection du droit de propriété

401. - Comme tous les droits de l’homme sont plus ou moins transversaux selon le

principe de l’indivisibilité, le droit de propriété ou le droit de jouir en propre des biens

nécessaires à l’exercice de ses libertés et obligations, « est à la fois condition du travail

(possession du capital, propriété des biens de productions, y compris le droit au crédit),

et fruit du travail, (salaire, propriété des biens de consommations) »1387. Ainsi en est-il,

1384 Comité des droits de l’homme, communication n° 520/192, E et AR c/ Hongrie, 5 mai 1994, CCPR/C/50/D/520/1992, § 6.2 1385 V., Louis HENKIN (ed.), The international Bill of Rights: the Covenant on Civil and Political Rights, New York: Columbia University Press, 1981, p. 21. 1386 Berta Esperanza HERNANDEZ-TRUYOL, Shelbi D. DAY, « Property, wealth, inequality and human rights: a formula for reform », Indiana Law Review, 2001, p. 1224. 1387 Patrice MEYER-BISCH, « Méthodologie pour une présentation systématique des droits humains », in Emmanuelle BRIBOSIA, Ludovic HENNEBEL (sous la dir.), Classer les droits de l’homme, op. cit.,

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421

parmi les droits économiques, sociaux et culturels figure le droit des producteurs à

s’approprier les biens issus de leur production manuelle ou intellectuelle. Il ne s’agit

pas de la réaffirmation du droit à la propriété au sens général. Le droit à la propriété est

relatif ici au cas concret où le droit des producteurs sur les fruits de leur travail est

respecté. Les droits des travailleurs (A) ou les droits des auteurs de la création

intellectuelle (B), ordonnent non seulement le respect des biens déjà détenus, mais

aussi la mise en oeuvre du droit à la propriété par la nécessité de protéger des droits

économiques, sociaux et culturels déjà reconnus par les instruments juridiques de droit

international.

A. – L’extension des droits des travailleurs au droit de propriété

402. - La protection du droit de propriété peut se déduire des droits des travailleurs

portant sur certains biens. Ces droits sont reconnus aussi bien par les conventions

établies sous l’égide de l’Organisation Internationale du Travail (1) que par la

convention relative à la protection des travailleurs conclue dans le cadre de l’ONU (2).

(1). – Les droits des travailleurs sur des biens reconnus par les conventions de

l’Organisation Internationale du Travail

403. - Outre le PIDESC, la Chine a ratifié certaines conventions importantes

consacrées à la protection des droits des travailleurs qui sont établies dans le cadre

l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Il est vrai que la Chine reste

« fermement opposée à l’adoption de ‘clauses sociales’ que certains pays développés

préconisent de faire adopter par l’OMC, elle a commencé, cependant, au cours du

processus d’adhésion à cette organisation, à étudier les normes internationales et en a

ratifié certaines »1388. Parmi les 8 conventions fondamentales de l’OIT, la Chine en a

ratifié 4 : Convention n° 100 (en 1990), Convention n° 138 (en 1999), Convention n°

p. 84. 1388 Aiqing ZHENG, Libertés et droits fondamentaux des travailleurs en Chine, L’Harmattan, 2007, pp. 35, 36.

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422

182 (en 2002) et Convention n° 111 (en 2006). S’agissant des droits fondamentaux

consacrés par les conventions de l’OIT dont la Chine est État membre, « la doctrine

chinoise estime qu’ils sont déjà inclus dans les textes chinois à l’exception de la liberté

syndicale et de l’élimination du travail forcé ». Néanmoins, il est regrettable que la

Chine n’ait pas ratifié jusqu’à présent certaines conventions qui contribuent à étendre

les droits des travailleurs au droit de propriété. À titre d’exemple, la Convention n° 95

et la Recommandation n° 85 sur la protection des salaires (1949) définissent des

normes concernant un aspect essentiel du droit des travailleurs à la propriété, en

l’occurrence la rémunération du travail effectué ou des services rendus; cette protection

inclut le droit de percevoir le salaire en monnaie ayant cours légal et directement, le

droit de disposer de son salaire et de ne pas faire l’objet de retenue, de saisie ou de

cession, enfin le droit d’être protégé en cas de faillite ou de liquidation judiciaire d’une

entreprise. La Convention n°117 concernant les objectifs et les normes de base de la

politique sociale (1962) prévoit entre autres que les autorités compétentes doivent

contrôler, par l’application d’une législation appropriée, la propriété et l’usage de la

terre et d’autres ressources naturelles, afin d’assurer qu’elles sont employées au mieux

des intérêts de la population du pays en tenant dûment compte des droits traditionnels.

La recommandation n° 115 (1969) sur le logement des travailleurs et la

recommandation n° 132 (1968) sur les fermiers et les métayers, traitent respectivement

du droit de propriété des travailleurs sur leur logement et de l’accès des fermiers et des

métayers à la terre. Le droit de propriété, collectif ou individuel, sur les terres occupées

par les populations intéressées et la question des richesses du sous-sol sont traitées

dans la partie II de la Convention n° 107 et de la Recommandation n° 104 sur les

populations aborigènes ou tribales (1957), ainsi que dans la Convention n° 169

concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants (1989).

(2). – Les droits des travailleurs sur des biens reconnus par la convention de l’ONU

404. - La protection des droits des travailleurs sur leurs biens est plus expressément

proclamée par la Convention internationale sur la protection des droits de tous les

Page 431: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

423

travailleurs migrants et des membres de leurs familles1389, adoptée dans le cadre des

Nations Unies. La Convention dispose dans son article 15 que « nul travailleur

migrant ou membre de sa famille ne peut être privé arbitrairement de ses biens, qu’il

en soit propriétaire à titre individuel ou en association avec d’autres personnes ». De

plus, « quand, en vertu de la législation en vigueur dans l’État d’emploi, les biens d’un

travailleur migrant ou d’un membre de sa famille font l’objet d’une expropriation

totale ou partielle, l’intéressé a droit à une indemnité équitable et adéquate ». Comme

les droits des travailleurs migrants sur leurs biens doivent être respectés au regard du

principe de non-discrimination, les droits sur les biens de tous les travailleurs peuvent

a fortiori en être déduits.

B. – La protection du droit de propriété au regard du droit de

bénéficier des intérêts découlant de toute production intellectuelle

405. - Le respect du droit de bénéficier des intérêts résultant de toute production

intellectuelle entretient une relation indivisible avec la protection du droit de propriété,

surtout des droits de propriété intellectuelle (1). Mais la distinction entre ces deux

droits a été affirmée (2). Dans un contexte où le renforcement de la protection des

propriétés intellectuelles constitue une priorité juridico-politique en chine, la

distinction reconnue en droit international s’avère particulièrement utile pour guider la

Chine à mener à bien une réflexion sur la question de savoir comment concilier la

protection des propriétés intellectuelles et le respect des droits de l’homme.

(1). – L’indivisibilité

406. - L’indivisibilité entre le droit de bénéficier des intérêts découlant de toute

production intellectuelle et le droit de propriété peut s’expliquer par l’existence des

apports réciproques qu’ils nourrissent entre eux. Ainsi, la protection du droit à la

protection de ses intérêts moraux et matériels découlant de toute production

1389 Adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 45/158 du 18 décembre 1990.

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424

scientifique, littéraire ou artistique peut s’appuyer sur les instruments juridiques

internationaux protégeant le droit de propriété. À cet égard, le Comité des droits

économiques, sociaux et culturels a admis qu’est reconnu le droit fondamental de

bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels de l’auteur dans un certain

nombre d’instruments internationaux, y compris, « quoique de façon non explicite, le

Protocole n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des

libertés fondamentales de 1952, en son article premier »1390. Le Comité a d’ailleurs

souligné que la réalisation du droit proclamé par l’article 15, paragraphe 1 c), dépend

de l’exercice des autres droits de l’homme garantis par la Charte internationale des

droits de l’homme et d’autres instruments internationaux et régionaux, y compris,

notamment le droit à la propriété dont dispose toute personne, aussi bien seule qu’en

collectivité1391. Il est également intéressant de noter que la jurisprudence du Conseil

constitutionnel français, partant de l’affirmation selon laquelle la propriété

intellectuelle est bien une propriété, affirme le statut de droit fondamental de la

propriété intellectuelle1392.

407. - D’autre part, la réalisation du droit de bénéficier de la protection des intérêts

matériels, plus que des intérêts moraux, exige le respect du droit à la propriété. Le

Comité considère que la protection des intérêts matériels des auteurs est un corollaire

du lien étroit entre cette disposition et le droit à la propriété, tel qu’il est reconnu à

l’article 17 de la DUDH et dans les instruments régionaux relatifs aux droits de

l’homme, ainsi qu’avec le droit du travailleur à une rémunération suffisante (art. 7

a))1393. L’observation du Comité réaffirme donc l’indivisibilité et l’interdépendance

entre le droit de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels de l’auteur

et le droit à la propriété. D’ailleurs, la propriété intellectuelle et le droit des biens ont

une même fonction : c’est « organiser le pouvoir qu’une personne peut exercer sur une

1390 Ibid., § 3. 1391 Ibid., § 4. 1392 CC, décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, considérant n° 15; CC, décision n° 2004-498 du 29 juillet 2004, considérant n° 15. V., aussi, Michel VIVANT, « Et donc la propriété littéraire et artistique est une propriété...», Propriété Intellectuelle, 2007, n° 23, pp. 193 à 201. 1393 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale n° 17 (2005), précité, § 15.

Page 433: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

425

chose, corporelle ou non »1394. L’obtention et la disposition des intérêts matériels de

production intellectuelle par son auteur constituent la forme concrète de l’exercice du

droit du propriétaire. Il en résulte que le PIDESC affirme implicitement, par la

reconnaissance du droit de chacun de bénéficier de la protection des intérêts matériels

de toute production intellectuelle, la protection de la propriété intellectuelle.

(2). – La distinction

408. - L’article 27 de la Déclaration universelle de 1948 proclame que chacun a droit

à la protection de ses intérêts moraux et matériels découlant de toute production

scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur. Le PIDESC réaffirme la

protection de ce droit dans son article 15, paragraphe 1 c). Dans son observation

générale n° 17, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a affirmé que le

droit dont dispose chacun de bénéficier de la protection des intérêts moraux et

matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est

l’auteur, tient à la dignité et à la valeur inhérente de tous les êtres humains et par

conséquent fait partie des droits de l’homme. Toutefois, le Comité distingue les droits

de propriété intellectuelle et les droits de l’homme dans la mesure où les droits

fondamentaux sont inhérents à la personne en tant que telle, alors que les droits de

propriété intellectuelle sont instrumentaux, en ce qu’ils sont des moyens −les moyens

dont les États peuvent se servir pour promouvoir l’esprit d’innovation et de créativité,

encourager la diffusion de productions créatives et innovantes, ainsi que le

développement d’identités culturelles, et préserver l’intégrité des productions

scientifiques, littéraires et artistiques, dans l’intérêt de la société dans son ensemble1395.

D’ailleurs, contrairement aux droits de l’homme qui sont intemporels et manifestent

l’expression des prérogatives fondamentales de la personne humaine, les droits de

1394 Christophe CARON, « Du droit des biens en tant que droit commun de la propriété intellectuelle », JCP G, n° 39, 22 septembre 2004, I 162. 1395 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale n° 17 (2005), Le droit de chacun de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur (par. 1 c) de l’article 15 du Pacte), E/C.12/GC/17, 12 janvier 2006, § 1.

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426

propriété intellectuelle ont généralement un caractère provisoire. Ces droits peuvent

être révoqués, concédés sous licence ou attribués à un tiers. Le droit de chacun de

bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute

production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur préserve le lien

personnel qui l’unit à sa création et qui unit les peuples, communautés ou autres

groupes à leur patrimoine culturel collectif, ainsi que leurs intérêts matériels

fondamentaux qui leur sont nécessaires pour leur permettre d’avoir un niveau de vie

suffisant, alors que les régimes de propriété intellectuelle protègent principalement les

intérêts et les investissements des milieux d’affaires et des entreprises. Il en résulte que

l’étendue de la protection des intérêts moraux et matériels des auteurs prévue par le

paragraphe 1 c) de l’article 15 ne coïncide pas nécessairement avec les droits de

propriété intellectuelle au sens de la législation nationale ou des accords

internationaux1396.

§ 2. – La contribution des droits politiques et civils à la garantie du droit

de propriété.

409. - Alors que le droit de propriété ne figure pas parmi les droits proclamés par le

PIDCP, celui-ci reste toutefois un instrument juridique important qui peut consolider la

garantie de la propriété par l’application des principes d’ordre général tels que

l’interdiction de la discrimination (A) et le procès équitable dans les cas où l’exercice

du droit de propriété est en cause (B). La préparation de la ratification du PIDCP par la

Chine, en recensant les éventuelles incompatibilités du droit interne avec le PIDCP,

conduit à tenir compte de l’influence de ces principes ayant vocation à s’appliquer à

tous les droits de l’homme.

A. – L’interdiction de la discrimination dans la jouissance du droit de

propriété

410. - L’importance du principe de non-discrimination pour la protection de tous les 1396 Ibid., § 2.

Page 435: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

427

droits de l’homme se perçoit tant au niveau mondial qu’au niveau régional. La DUDH

de 1948 proclame dans son article 2 le principe de non-discrimination. Le Comité des

droits de l’homme, par le biais du principe de non-discrimination, assure en effet la

jouissance égale de la propriété. Au niveau européen, le droit à la non-discrimination

est reconnu par la Convention européenne des droits de l’homme et son protocole

additionnel n° 12, ainsi que par la Charte des droits fondamentaux de l’Union

européenne dans son article 21. Alors que le droit à la non-discrimination est formulé

de façon autonome par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, il

s’applique, conformément aux dispositions des articles 51 et 52 de la Charte, dans le

cadre des traités. L’entrée en vigueur du Protocole n° 12 à la Convention européenne

des droits de l’homme consacre l’interdiction générale de la discrimination. Le but

recherché est de sanctionner toutes les formes de discrimination1397. C’est sur la base

de l’égalité qu’est censurée la discrimination dans la jouissance du droit de propriété,

qu’il s’agisse de l’application autonome du principe de non-discrimination (1) ou de la

mise en oeuvre des dispositions comprises dans divers instruments juridiques

proclamant plus directement l’interdiction de discrimination en matière de droit de

propriété (2).

(1). – L’application autonome du principe de non-discrimination au droit de propriété

411. - Le principe de non-discrimination est consacré par les deux Pactes

internationaux. Cependant, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels et le

Comité des droits de l’homme adoptent différentes attitudes concernant l’application

autonome de ce principe. Le PIDESC prévoit dans l’article 2 le principe de

non-discrimination. Cet article indique la nature des obligations juridiques qui

incombent aux États parties et définit la façon de la mise en oeuvre des droits

fondamentaux énoncés dans les autres articles. Conformément au paragraphe 2 de

l’article 2, les États parties doivent prévoir une procédure d’examen judiciaire et

1397 V., G. COHEN-JONATHAN, La protection internationale des droits de l’homme. I- Europe, La Documentation française, 1999, p. 3. V., aussi, Conseil de l’Europe, Rapport explicatif sur le Protocole n° 12 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.

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428

d’autres procédures de recours en cas de discrimination. Il importe de relever que la

liste des motifs de discrimination cités dans ce paragraphe n’est pas exhaustive et, par

conséquent, les États parties doivent prévenir certaines autres formes de discrimination

qui portent atteinte à l’exercice des droits énoncés dans le PIDESC. L’article 2 oblige

les États parties à renoncer à tout comportement discriminatoire et à modifier les lois et

les pratiques qui permettent la discrimination. Il s’applique aussi aux États parties qui

ont l’obligation d’interdire aux particuliers et aux organismes privés de pratiquer la

discrimination dans tout secteur de la vie publique. Toutefois, dans son Observation

générale n° 16 relative au droit égal de l’homme et de la femme au bénéfice de tous les

droits économiques, sociaux et culturels, le Comité des droits économiques, sociaux et

culturels a considéré que « contrairement à l’article 26 du Pacte international relatif

aux droits civils et politiques, les articles 3 et l’article 2, paragraphe 2 du Pacte

international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ne sont pas des

dispositions autonomes, mais devraient être lus parallèlement à chacun des droits

énoncés dans la troisième partie du Pacte »1398. Le droit de propriété n’étant pas

directement énoncé dans le PIDESC, il semble donc qu’il n’y ait pas lieu d’étendre

l’application du principe de non-discrimination à la jouissance des biens selon le point

de vue du Comité des droits économiques, sociaux et culturels.

412. - Certes, le Comité des droits de l’homme, par l’« approche critique sur les

violations » fondée sur les communications individuelles, rend les droits énoncés dans

le PIDCP plus concrets et tangibles en permettant davantage de répercussions

politiques sur les États Parties du PIDCP1399. Mais c’est peut être également l’une des

raisons pour lesquelles la Chine se révèle plus prudente quant à la ratification du

PIDCP et son protocole facultatif, bien que le Comité ne dispose pas au fond d’une

compétence de décision, ni d’un pouvoir de contrainte, et que les constatations du

Comité soient en principe dépourvues de valeur juridique contraignante. Certes, par

l’interprétation audacieuse de l’article 26 du PIDCP consistant à consacrer un « droit

1398 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Droit égal de l’homme et de la femme au bénéfice de tous les droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale n° 16 (2005), E/C.12/2005/4, 11 août 2005, § 2. 1399 V., Audrey R. CHAPMAN, « A ‘Violations Approach’ for monitoring the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights », 18 Hum. Rts. Q. 23, (1996), pp. 39, 40.

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429

autonome »1400 à la non-discrimination, le Comité devient susceptible d’élargir sa

compétence rationae materiae à des faits se rapportant à des droits protégés dans le

PIDCP et par conséquent de consolider indirectement les garanties de ces droits en

recevant les communications individuelles1401. Le traitement discriminatoire en matière

d’exercice du droit de propriété, qu’il s’agit de la législation formelle ou des pratiques,

peut tomber sous la compétence du Comité des droits de l’homme. Le Comité des

droits de l’homme a estimé que le droit garanti par l’article 26 s’applique à tous les

droits, qu’ils soient énoncés par le PIDCP ou par tout autre instrument international tel

le PIDESC1402, ou encore, en l’absence de consécration internationale, simplement par

une législation interne1403. Il faut souligner que le Comité des droits de l’homme a bien

affirmé qu’il peut s’appuyer sur l’article 26 du PIDCP pour censurer le traitement

discriminatoire quant à l’exercice du droit de propriété, alors que ce droit n’est pas

reconnue par le PIDCP1404. Par exemple, dans la communication n° 328/1988, relevant

d’une allégation de confiscation des biens, après avoir rappelé que le PIDCP ne

garantit pas le droit de propriété en tant que tel, le Comité considère qu’ « il peut se

poser une question au regard du Pacte lorsqu’une confiscation ou une expropriation

est déterminée sur des bases discriminatoires en contradiction avec l’article 26 du

Pacte »1405. Dans la communication n°516/1992, s’agissant d’une plainte contre un fait

de discrimination en matière de restitution de biens confisqués, le Comité a rappelé sa

jurisprudence et réaffirmé qu’« une différence de traitement compatible avec les

1400 Alex CONTE, Scott DAVIDSON, Richard BURCHILL, Defining civil and political rights: the jurisprudence of the United Nations human rights committee, Ashgate, 2004, p. 162. 1401 F. SUDRE, Droits européen et international des droits de l’homme, op. cit., § 288. V., aussi Sarah JOSEPH (et al.), The International Covenant on Civil and Political Rights: cases, materials, and commentary, 2e éd., 2004, §1.75 ; Craig SCOTT, « The interdependence and permeability of human rights norms: towards a partial fusion of the international covenants on human rights », 27 Osgoode Hall L.J. 769 (1989). 1402 Comité des droits de l’homme, Non discrimination, Observation générale n° 18, 10 novembre 1989, § 12. 1403 Comité des droits de l’homme, décision du 4 avril 1985, communication n° 191/1985 : Suède, § 10.2. 1404 Comité des droits de l’homme, décision du 5 mai 1994, communication n° 520/1992 : Hongrie, CCPR/C/50/D/520/1992, § 6.3. 1405 Comité des droits de l’homme, décision du 18 avril 1994, communication n° 328/1988 : Nicaragua, CCPR/C/51/D328/1988, § 10.1.

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430

dispositions du Pacte et fondée sur des motifs raisonnables ne représente pas une

discrimination prohibée au sens de l’article 26 ». Dans l’affaire en question, après

avoir pris en considération tous les facteurs, notamment l’origine des biens possédés

par les plaignants et la nature des mesures de confiscation, le Comité se prononce sur

l’incompatibilité des conditions imposées pour obtenir la restitution des biens ou une

indemnisation avec le Pacte1406.

413. - Il est aussi intéressant de remarquer que l’application autonome du principe

de non-discrimination en matière du droit de propriété est surtout présente dans les

affaires relatives à la restitution des biens par les ex-États communistes1407. L’examen

mené par le Comité des droits de l’homme de l’existence ou non des traitements

discriminatoires n’est pas abstrait et superficiel. Au contraire, il s’agit d’une évaluation

concrète de tous les éléments pertinents, y compris, les mesures législatives,

administratives et judiciaires. À cet égard, le Comité des droits de l’homme a bien pris

en compte les éléments historiques en vue d’assurer la justice substantielle, alors que

les évènements qui ont eu lieu avant l’entrée en vigueur du PIDCP et de son Protocole

facultatif doivent normalement être jugés irrecevables rationae temporis1408. À titre

d’exemple, dans la communication n°586/1994, s’agissant d’une plainte contre la

condition discriminatoire de restitution des biens, le Comité des droits de l’homme a

considété que les auteurs de la plainte avaient cherché à échapper aux persécutions

politiques en allant dans d’autres pays où ils avaient fini par s’installer définitivement

ou desquels ils avaient obtenu la nationalité ; comme l’État est responsable du départ

forcé des auteurs de la plainte parce qu’ils avaient des opinions politiques divergentes,

il serait incompatible avec le PIDCP d’exiger des auteurs de la plainte qu’ils obtiennent

la résidence ou la nationalité de l’État membre pour ensuite demander la restitution de

1406 Comité des droits de l’homme, décision du 19 juillet 1995, communication n°516/1992: République tchèque, CCPR/C/54/D/516/1992, §§ 11.5, 11.6. Contra, Comité des droits de l’homme, décision du 15 août 1997, communication n° 643/1995 : Slovaquie, CCPR/C/60/D/643/1995 ; décision du 3 novembre 1998, communication n° 669/1995 : République tchèque, CCPR/C/64/D/669/1995. 1407 V., Sarah JOSEPH, Jenny SCHULTZ, Melissa CASTAN, The international covenant on civil and political rights, cases, materials, and commentary, Second Édition, Oxford University Press, 2004, pp. 700 à 705. 1408 V., Patrick MACKLEM, « Rybna 9, Praha 1: restitution and memory in international human rights law », 16 Eur. J. Int’l L. 1, p. 4.

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431

leurs biens ou, à défaut, le versement d’une indemnité appropriée1409. En revanche, en

ce qui concerne la restitution des biens d’origine allemande qui furent confisqués peu

temps après la Seconde Guerre mondiale, le Comité des droits de l’homme s’est révélé

réticent à admettre l’existence des discriminations dans la législation des pays qui

furent envahis par l’Allemagne et qui avaient refusé la restitution des biens confisqués

après la Guerre en raison de la nationalité allemande des auteurs des plaintes1410. Ce

qui traduit donc la volonté du Comité des droits de l’homme de ne pas oublier les

exactions commises dans les pays envahis lors de la Seconde Guerre mondiale1411.

414. - La jurisprudence du Comité des droits de l’homme relative à la restitution des

biens confisqués reflétant les vicissitudes de l’histoire ne serait pas sans incidence sur

le droit chinois où le destin de la propriété privée a subi également des mutations avec

le changement de politique mené par un État dirigé par le parti communiste chinois. Il

serait possible que la ratification du PIDCP et l’acceptation par le gouvernement

chinois du mécanisme de contrôle du Comité des droits de l’homme par le biais de la

communication individuelle puissent encourager les revendications quant à la

restitution des biens privés confisqués ou nationalisés lors de mouvement de

socialisation des moyens de production mené par le PCC pour la fondation du régime

économique socialiste. Alors que le droit interne demeure ferme sur la question de la

restitution des biens ainsi expropriés au cours de l’histoire, et la future ratification du

PIDCP pourrait ouvrir une nouvelle voie de recours pour les personnes dépossédées et

leurs successeurs qui tentent de faire reconnaître leur droit de propriété.

1409 V., par ex., Comité des droits de l’homme, décision du 29 juillet 1996, communication n° 566/1993 : Hongrie, CCPR/C/57/D/566/1993; décision du 25 juillet 1996, communication n° 586/1994 : République tchèque, CCPR/C/57/D/586/1994, §12.6 ; décision du 9 août 2001, communication 857/1999 : République tchèque, CCPR/C/72/D/857/1999, §5.8 ; décision du 2 novembre 2001, communication n° 747/1997 : République tchèque, CCPR/C/73/D/747/1997, § 8.3. 1410 V., par ex., Comité des droits de l’homme, décision du 21 octobre 1998, communication n° 669/1995 :République tchèque, CCPR/C/D 669/1995 ; décision du 14 juillet 1997, communication n° 643/1995 : République tchèque, CCPR/C/D 643/1995 ; décision du 15 août 1997, communication n° 643/1995 : Slovaquie, précitée; décision du 21 octobre 1998, communication n° 670/1995 : République tchèque CCPR/C/D 670/1995 ; décision du 20 mars 2000, communication n° 670/1995 : République tchèque, CCPR/D/C 807/1998. 1411 V., Patrick MACKLEM, « Rybna 9, Praha 1: restitution and memory in international human rights law », op. cit., p. 20.

Page 440: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

432

(2). – La proclamation du principe de non-discrimination en matière de droit de

propriété par les instruments internationaux des droits de l’homme

415. - Outre le principe de non-discrimination proclamé par le PIDCP, d’autres

instruments internationaux des droits de l’homme prévoient également l’obligation

positive faite aux États parties d’éliminer les discriminations dans leurs législations

internes et dans leur application concrète 1412 , y compris en ce qui concerne

l’interdiction de la discrimination dans la jouissance du droit de propriété. Parmi les

instruments juridiques internationaux sur lesquels s’engage la Chine, il faut citer

d’abord la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de

discrimination raciale1413 qui impose aux États parties les obligations de garantir le

droit de chacun à l’égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d’origine

nationale ou ethnique, concernant la jouissance des droits, notamment celui « de toute

personne, aussi bien seule qu’en association, à la propriété » et le « droit d’hériter ».

Par ses articles 15 et 16, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de

discrimination à l’égard des femmes1414 reconnaît « les mêmes droits à chacun des

époux en matière de propriété, d’acquisition, de gestion, d’administration, de

jouissance et de disposition des biens, tant à titre gratuit qu’à titre onéreux ». Dans un

projet de résolution, l’ancienne Commission des droits de l’homme a bien affirmé que

« la discrimination à laquelle se heurtent les femmes en droit et en fait, pour ce qui est

de l’accès aux terres, aux biens et au logement, ainsi que de l’acquisition et de la

conservation de terres, de biens et de logements et du financement de leur achat,

constitue une violation du droit des femmes d’être protégées contre la discrimination et

est susceptible d’influer sur l’exercice d’autres droits fondamentaux » 1415 , et a

demandé les États à élaborer des lois ou remanier la législation existante pour veiller à

ce que les femmes bénéficient pleinement et en toute égalité du droit à la propriété de

1412 Aileen McCOLGAN, « Principles of equality and protection from discrimination in international human rights law », European Human Rights Law Review, 2003, n° 2, pp. 158, 159. 1413 La Chine a adhéré à la Convention le 29 décembre 1981. 1414 La Chine a ratifié la Convention le 4 novembre 1980. 1415 Commission des droits de l’homme, Droits économiques, sociaux et culturels, E/CN.4/2005/L.34, 12 avril 2005.

Page 441: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

433

la terre et d’autres biens1416. De même, le Comité des droits de l’homme, dans son

Observation générale n° 28 sur l’égalité des droits entre homme et femme, a souligné

que l’article 16 du PIDCP proclamant que « chacun a [le] droit à la reconnaissance en

tous lieux de sa personnalité juridique », implique la capacité des femmes à disposer

de leurs biens ; que l’article 23 du Pacte concernant l’égalité de droits et de

responsabilités des époux impose l’obligation aux États Parties au Pacte d’assurer par

mesures de législation le droit égal des femmes à la propriété et la gestion des biens

familiaux1417. Le principe de non-discrimination s’étend à la protection du droit des

handicapés avec l’adoption par l’Assemblée générale de l’ONU de la Convention

relative aux droits des personnes handicapées1418. La Chine avait été l’un des premiers

pays à en avoir promu l’élaboration de cette Convention1419. En vertu de l’article 12 de

la Convention, les États parties ont l’obligation de reconnaître aux personnes

handicapées la personnalité juridique sur la base de l’égalité, et notamment de prendre

« toutes [les] mesures appropriées et effectives pour garantir le droit qu’ont les

personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, de posséder des biens

ou d’en hériter, de contrôler leurs finances et d’avoir accès aux mêmes conditions que

les autres personnes aux prêts bancaires, hypothèques et autres formes de crédit

financier » et de veiller « à ce que les personnes handicapées ne soient pas

arbitrairement privées de leurs biens ».

416. - Il reste à souligner que sans avoir ratifié le PIDCP, le droit chinois n’est pas

soumis à l’observation du Comité des droits de l’homme sur le respect du principe

général de non-discrimination. En l’état actuel, l’interdiction de la discrimination en

matière de l’exercice du droit de propriété ne peut que s’appuyer sur les dispositions

des conventions internationales dans des domaines bien précis. L’inapplicabilité du

1416 V., Commission des droits de l’homme, Résolution portant sur l’égalité des femmes en matière de propriété, d’accès et de contrôle foncier et sur l’égalité du droit à la propriété et à un logement convenable, E/CN.4/2003/L.24, 22 avril 2003. 1417 Comité des droits de l’homme, Equality of Rights between men and women (article 3), General Comments n° 28, CCPR/C/21/Rev.1/Add.10, §§ 19, 25. 1418 La Convention est entrée en vigueur le 3 mai 2008. 1419 LIU Zhenmin, Discours lors de la délibération du projet de Convention en tant que représentant de l’État chinois, disponible sur le site www.un.org/News/fr-press/docs/2006/AG10554.doc.htm, consulté le 16 janvier 2007.

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434

principe de non-discrimination tel que proclamé par le PIDCP à la Chine fait donc

obstacle à un éventuel examen sur le droit interne chinois dans lequel demeurent des

dispositions discriminatoires en matière de droit de propriété. Mais dans le contexte où

la Chine prépare sa ratification du PIDCP, les discriminations en matière de droit de

propriété en droit interne doivent être prises compte1420, de sorte que les améliorations

soient volontairement effectuées afin d’éviter d’éventuelles contradictions entre droit

interne et droit international.

B. – La contribution du droit à un procès équitable à la garantie du

droit de propriété

417. - Alors que le droit de propriété n’est pas proclamé par le PIDCP, les normes

consacrant le droit à un procès équitable peuvent trouver à s’appliquer dans les affaires

relevant de l’exercice du droit de propriété (1). La jurisprudence du Comité des droits

de l’homme démontre d’ailleurs que la bonne administration de la justice à laquelle

s’inscrit la protection du droit à un procès équitable est aussi l’apport principal au

renforcement de la garantie du droit de propriété (2).

(1). – L’applicabilité du droit à un procès équitable à la protection du droit de propriété

418. - La protection du droit et de la liberté est vide de sens si elle n’était pas confiée

à une justice indépendante et impartiale, garantie d’un procès équitable. « Le droit à un

procès équitable », selon la terminologie de la Cour européenne des droits de

l’homme1421, est proclamé par l’article 14, paragraphe 1 du PIDCP, et par l’article 6,

paragraphe 1er de la Convention européenne des droits de l’homme. L’histoire de la

rédaction a révélé que l’article 14 du PIDCP s’applique, non seulement au procès pénal,

mais aussi à tous les contentieux judiciaires relevant des droits et obligations de

caractère civil1422et par conséquent aussi au droit de propriété. Le Comité des droits de

1420 V., infra, n° 674. 1421 CEDH, 21 février 1975, Golder c/ Royaume-Uni, Série A-18, § 25. 1422 V., David WEISSBRODT, The right to a fair trail under the Universal Declaration of Human

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435

l’homme a précisé la signification du droit à un procès équitable dans ses constatations

à l’occasion de cas concrets présentant un intérêt concernant l’exercice du droit de

propriété. Par exemple, dans la communication n° 823/1988, les auteurs ont invoqué la

violation du droit à une procédure régulière du fait que le droit interne n’offre pas de

recours contre l’inaction des autorités administratives. Il s’agit d’une action engagée

aux fins d’obtenir la restitution des biens confisqués par la République tchèque après le

changement de régime survenu à la fin de l’année 1989. Dans l’affaire en question, la

principale condition nécessaire pour obtenir la restitution des biens étant la citoyenneté

tchécoslovaque, les auteurs de la communication ont engagé des procédures en vue de

conserver la citoyenneté tchécoslovaque. Or, les auteurs n’ont cessé de se heurter à la

frustration découlant du refus des autorités chargées des affaires de nationalité

d’exécuter les décisions judiciaires en faveur de la conservation de la citoyenneté des

auteurs de la plainte. Le Comité des droits de l’homme a conclu que l’inaction des

autorités administratives et le retard excessif dans l’exécution des décisions judiciaires

applicables constituent une violation du paragraphe 1er de l’article 14, lu conjointement

avec le paragraphe 3 de l’article 2, qui garantit le droit à un recours utile1423. Il en

résulte qu’alors que le droit de propriété n’est pas énoncé par le PIDCP, la mise en

oeuvre des garanties de ce droit peut cependant en tirer profit par l’application du droit

à un procès équitable.

(2). – L’influence du droit à un procès équitable sur la protection du droit de propriété

en Chine

419. - Le droit à un procès équitable contribue à conforter la mise en oeuvre des

garanties du droit de propriété, dans la mesure où il consacre le principe fondamental

de la prééminence du droit dans une société démocratique et vise à assurer le droit à

une bonne administration de la justice. Le Comité des droits de l’homme a souligné

que l’article 14 du PIDCP vise à assurer la bonne administration de la justice et, à cette Rights and the International Covenant on Civil and Political Rights, Martinus Nijhoff Publishers, 2001, pp. 50, 51. 1423 Comité des droits de l’homme, décision du 25 mai 2005, communication n° 823/1998, République tchèque, CCPR/C/83/D/823/1998, § 7.

Page 444: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

436

fin, protège une série de droits individuels, tels que l’égalité devant les tribunaux,

c’est-à-dire le droit de chacun à ce que sa cause soit équitablement et publiquement

entendue par un tribunal indépendant et impartial 1424 . La deuxième phrase du

paragraphe 1er de l’article 14 dispose que chacun « a droit à ce que sa cause soit

entendue équitablement et publiquement ». Dans son projet d’Observation générale n°

32 consacrée à l’article 14 du PIDCP, le Comité des droits de l’homme constate

qu’ «en termes généraux, le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice

garantit, outre les principes de compétence, d’impartialité et d’indépendance et le

principe d’équité mentionnés dans la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14,

les principes de l’égalité d’accès et de l’égalité de moyens (‘égalité des armes’), et vise

à ce que les parties à une procédure judiciaire ne fassent pas l’objet d’une

discrimination »1425.

420. - Quant au droit chinois, l’analyse portant sur la compétence et les pouvoirs du

juge dans la mise en oeuvre des garanties législatives du droit de propriété révèle un

des aspects les plus importants de l’incompatibilité du droit chinois avec le PIDCP. Le

fait que le juge chinois ne soit pas indépendant par rapport au pouvoir politique se

heurte de front à la proposition du Comité des droits de l’homme selon laquelle le droit

à un procès équitable inclut celui de pouvoir être jugé par un tribunal indépendant1426.

De même, le caractère limité de la compétence juridictionnelle et la faiblesse des

pouvoirs judiciaires par rapport au pouvoir administratif concernant le traitement des

contentieux mettant en cause le droit de propriété –par excellence, les affaires

d’expropriation pour l’intérêt public– constituent le maillon faible du droit chinois à

l’égard de la mise en oeuvre des garanties du droit de propriété, et par conséquent

mettent en relief l’écart entre le droit chinois et les normes de droit international. Il est

1424 Comité des droits de l’homme, L’égalité devant les tribunaux et le droit d’être entendu équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et établi par la loi, Observation générale n° 13, 13 avril 1984, § 1. 1425 Comité des droits de l’homme, Projet d’observation générale n° 32, 28 novembre 2006, CCPR/C/GC/32/CRP.1/Rev.3, § 7. 1426 V., par exemple, Comité des droits de l’homme, décision du 10 novembre 1993, Oló Bahamonde v. Equatorial Guinea, Communication n° 468/1991, UN Doc. CCPR/C/49/D/468/1991, § 9.4; v., aussi, David WEISSBRODT, The right to a fair trail under the Universal Declaration of Human Rights and the International Covenant on Civil and Political Rights, op. cit., pp. 141 à 143.

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437

vrai que l’amélioration de la garantie judiciaire des droits de l’homme en Chine

s’inscrit dans un mouvement de réforme plus profond de l’ensemble système juridique

chinois, alors que le droit international peut donner des indications utiles concernant le

droit à un procès équitable. Des améliorations relatives à l’administration de la justice

peuvent s’amorcer en prenant volontairement en considération les normes

internationales, et ce, avant même que le Chine ne ratifie le PIDCP. Mais

l’incompatibilité flagrante du droit chinois en ce qui concerne la garantie

juridictionnelle des droits de l’homme avec le PIDCP reste l’un des obstacles majeurs

que la Chine devra surmonter.

Sous-section 2. – Le rôle complémentaire du droit international

humanitaire sur la protection de la propriété

421. - En tant que droit de l’homme, le droit de propriété doit être respecté aussi

bien en temps de paix que dans les situations d’exception. Les instruments

internationaux de droit humanitaire prévoient des règles qui protègent les biens contre

les atteintes illégales lors de conflits armés. Il s’agit d’une part, des règles consacrant le

traitement égal des personnes protégées concernant la jouissance de leurs biens (§ 1) et,

d’autre part, celles destinées à protéger les biens de certaines catégories spécifiques (§

2). Le caractère complémentaire de la relation entre les droits de l’homme et le droit

international humanitaire est susceptible de se révéler à partir du constat que les

premiers sont composés de droits relevant du « droit commun », alors que le second est

un « droit d’exception »1427. La pertinence de ce « droit d’exception » concernant la

protection de la propriété est d’autant plus solide que la diffusion du droit international

humanitaire promue par l’adhésion de la Chine aux instruments juridiques et par sa

collaboration avec des acteurs internationaux, tels que le Comité International de la

Croix-Rouge, s’inscrit désormais dans le processus de construction du système

juridique chinois1428. Il est intéressant d’observer que contrairement au discours sur les

1427 Michel BELANGER, Droit international humanitaire général, 2e éd., Gualino Éditeur, 2007, p. 35. 1428 V., Roderick O’BRIEN, « Dissemination of international humanitarian law in the People’s Republic of China », China: An International Journal, 3, 1 (mar. 2005), pp. 106 à 118; v., aussi, ZHANG

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438

valeurs asiatiques qui prône le refus de l’universalité des normes internationales des

droits de l’homme, la doctrine semble avoir généralement accepté que le droit

international humanitaire ait toujours trouvé des principes équivalents dans les

traditions et les coutumes ancestrales des différentes nations asiatiques1429. Puisque les

règles essentielles du droit international humanitaire représentent le plus petit

dénominateur commun des règles de droit à respecter dans les conflits pour que

l’homme soit protégé contre la violence et l’abus de pouvoir, elles sont à ce titre

également en harmonie avec les valeurs reconnues en Asie et donc ont été plus

facilement acceptées par la Chine.

§ 1. – Le traitement égal des personnes protégées dans l’exercice du droit de

propriété

422. - L’égalité de traitement en matière de droit de propriété est prévue dans les

instruments juridiques internationaux consacrés à la protection des réfugiés, des

apatrides nationaux et étrangers (A) et ceux relatives à la protection des personnes qui

ne possèdent pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent (B).

A. – Le traitement des réfugiés et des apatrides en matière de droit de

propriété

423. - Le traitement des réfugiés (1) et des apatrides (2) en matière de droit de

propriété est respectivement prévu dans deux conventions internationales, dont le

contenu obéit au même principe d’égalité.

Gongxian, « Chinese PLA’s dissemination and promotion of LoAC », in The law of armed conflict: Realities, perspectives and training, Symposium of Xi’an regional seminar on the law of armed conflict, Pékin: L’Office representative du CICR et la Direction générale de politique de l’ALP, 2006, pp. 233 et s. 1429 V., Alfred M. BOLL, « The Asian values debate and its relevance to international humanitarian law », Revue Internationale de la Croix-Rouge, 2001, n° 841, pp. 45 à 58; HE Xiaodong, « The Chinese humanitarian heritage and the dissemination of and education in international humanitarian law in the Chinese People’s Liberation Army », Revue Internationale de la Croix-Rouge, 2001, n° 841, pp. 141 à 153.

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439

(1). – Le traitement des réfugiés en matière de droit de propriété

424. - La Convention relative au statut des réfugiés1430 spécifie dans son article 13

que « les États contractants accorderont à tout réfugié un traitement aussi favorable

que possible et de toute façon un traitement qui ne soit pas moins favorable que celui

qui est accordé, dans les mêmes circonstances, aux étrangers en général en ce qui

concerne l’acquisition de la propriété mobilière et immobilière et autres droits s’y

rapportant, le louage et les autres contrats relatifs à la propriété mobilière et

immobilière ». En ce qui concerne la propriété industrielle des réfugiés, la Convention

dispose dans son article 14 qu’«en matière de protection de la propriété industrielle,

notamment d’inventions, dessins, modèles, marques de fabrique, nom commercial, et

en matière de protection de la propriété littéraire, artistique et scientifique, tout réfugié

bénéficiera dans le pays où il a sa résidence habituelle de la protection qui est

accordée aux nationaux dudit pays ». Il en résulte que les réfugiés bénéficient du

traitement national en matière de protection de la propriété industrielle. Il faut

souligner d’ailleurs que l’ancienne Commission des droits de l’homme a eu l’occasion

d’affirmer l’importance de la restitution des logements et des biens des réfugiés et des

autres personnes déplacées dans des circonstances variables 1431 . En réalité, la

restitution des logements et des biens est de plus en plus considérée comme un droit

des personnes déplacées et des réfugiés en vertu des normes internationales relatives

aux droits de l’homme1432. Le terme « restitution » signifie une réparation équitable ou

relève d’une forme de justice réparatrice rétablissant pour les personnes lésées, dans

toute la mesure du possible, la situation antérieure au préjudice qu’elles ont subi. La

1430 Adoptée le 28 juillet 1951 par une conférence de plénipotentiaires sur le statut des réfugiés et des apatrides convoquées par l’Organisation des Nations Unies en application de la résolution 429 (V) de l’Assemblée générale en date du 14 décembre 1950, entrée en vigueur le 22 avril 1954 conformément aux dispositions de l’article 43. L’adhésion de la Chine à la Convention et son protocole en date du 24 septembre 1982 ; la ratification de la Convention par la France en date du 23 juin 1954. 1431 V., Décision de la Commission des droits de l’homme 2003/109, Restitution des logements et des biens des réfugiés et autres personnes déplacées, 24 avril 2003, 1432 V., Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, Restitution des biens des réfugiés ou des personnes déplacées, E/CN.4/Sub.2/2002/17, 12 juin 2002, § 11.

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440

réparation consiste par exemple à rendre à ces personnes des logements ou des biens

arbitrairement ou illégalement confisqués. Lorsqu’il s’avère impossible de restituer à

l’intéressé ses biens ou son logement, il doit pouvoir bénéficier d’une indemnisation

résultant d’une réparation juridique prenant la forme d’une compensation monétaire

pour le préjudice subi1433.

(2). – Le traitement des apatrides en matière de droit de propriété

425. - La Convention relative au statut des apatrides1434 dispose dans son article 13

que les États contractants accorderont à tout apatride un traitement aussi favorable que

possible et, de toute façon, un traitement qui ne soit pas moins favorable que celui qui

est accordé, dans les mêmes circonstances, aux étrangers en général en ce qui concerne

l’acquisition de la propriété mobilière et immobilière et autres droits s’y rapportant, le

louage et les autres contrats relatifs à la propriété mobilière et immobilière. La

Convention exige en outre la protection égale de la propriété intellectuelle des

apatrides en prévoyant dans son article 15 que « tout apatride bénéficiera dans le pays

où il a sa résidence habituelle de la protection qui est accordée aux nationaux dudit

pays. Dans le territoire de l’un quelconque des autres États contractants, il bénéficiera

de la protection qui est accordée dans ledit territoire aux nationaux du pays dans

lequel il a sa résidence habituelle ».

B. – Le droit de propriété des personnes qui ne possèdent pas la

nationalité du pays dans lequel elles vivent

426. - La Déclaration de 1985 sur les droits de l’homme des personnes qui ne

possèdent pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent, a réaffirmé dans une large

mesure le droit à la propriété proclamé par l’article 17 de la Déclaration universelle de

1948 (1). Certes, si on l’examine de près, la réserve faite par la Déclaration de 1985

constitue un changement important dans la mesure où elle permet au droit interne

1433 Ibid., § 12. 1434 La Chine n’a pas adhéré à la Convention relative au statut des apatrides.

Page 449: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

441

d’imposer des limites à l’exercice du droit de propriété sous les conditions prévues à

cet effet (2).

(1). – La réaffirmation du droit à la propriété proclamé par la Déclaration universelle

de 1948

427. - La Déclaration sur les droits de l’homme des personnes qui ne possèdent pas

la nationalité du pays dans lequel elles vivent, adoptée par l’Assemblée générale de

l’ONU1435, précise les droits dont les étrangers peuvent jouir. En ce qui concerne la

jouissance du droit de propriété, l’article 5, paragraphe 2 de la Déclaration précise que

« sous réserve des restrictions qui sont prévues par la loi, et qui sont nécessaires, dans

une société démocratique, pour protéger la sécurité nationale, la sûreté publique,

l’ordre public, la santé publique ou la morale, ou les droits et les libertés d’autrui, et

qui sont compatibles avec les autres droits reconnus dans les instruments

internationaux pertinents et ceux énoncés dans la présente Déclaration, les étrangers

bénéficient des droits suivants : (...) d) Le droit à la propriété, aussi bien seul qu’en

collectivité, sous réserve du droit interne ». Mis à part la phrase « sous réserve du droit

interne », l’article 5, paragraphe 2 de la Déclaration de 1985 a réaffirmé presque mot à

mot l’article 17 de la Déclaration universelle de 1948.

(2). – Le changement apporté au droit à la propriété proclamé par la Déclaration

universelle de 1948

428. - L’expression « sous réserve du droit interne » traduit bien l’intention de

l’Assemblée générale de laisser une marge de manoeuvre importante aux États

membres en ce qui concerne la législation sur le régime de propriété. Par cette réserve,

la Déclaration de 1985 a réaffirmé la nature non absolue du droit de propriété, en

prévoyant les conditions dans lesquelles ce droit peut faire l’objet de limitations qui

elles-mêmes doivent être pourtant prévues par la loi et répondent à « la nécessité dans

une société démocratique », dans le but de protéger la sécurité nationale, de préserver 1435 Adoptée par l’Assemblée générale dans sa résolution 47/144 du 13 décembre 1985.

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442

la sécurité publique, l’ordre public, la santé publique ou la morale, les droits et les

libertés d’autrui, et sa compatibilité avec les autres droits de l’homme reconnus. Il faut

rappeler que lors de l’élaboration du projet de la Déclaration de 1948, fut rejetée la

proposition de la délégation de l’ancienne URSS selon laquelle le droit à la propriété

ferait l’objet des limitations prévues en droit interne. Ceci, parce que les auteurs de la

Déclaration universelle de 1948 se préoccupèrent du risque que le droit positif interne

rend illusoire le respect du standard minimum relatif au droit de propriété. Alors que la

Déclaration universelle de 1948 se contente de proclamer le principe de l’interdiction

de la privation arbitraire, la Déclaration de 1985 a modifié la formulation du principe,

tout en préconisant les conditions dans lesquelles le droit interne peut limiter l’exercice

du droit de propriété. En ce sens, la Déclaration de 1985 est plus précise et par

conséquent plus opérationnelle que la Déclaration universelle de 1948 ne l’était à

l’égard du droit à la propriété. Ce changement qui énumère les raisons pour lesquelles

le droit de propriété peut faire l’objet de limitations semble refléter la tendance actuelle

des législations internes et peut fournir une référence utile pour l’amélioration des

principes et règles juridiques concerant la protection de la propriété en droit chinois.

§ 2. – Les normes relatives à la protection des biens en temps de conflit armé

429. - Il est vrai que le droit de propriété est un droit au caractère relatif qui peut

faire l’objet de limitations justifiées, mais pour autant il ne peut être réduit à néant, y

compris dans des cas exceptionnels survenant par exemple avec les conflits armés. En

droit international humanitaire, la protection du droit des biens en temps de guerre est

exigée en vertu des règles relatives aux méthodes et aux moyens de combat, ainsi

qu’en vertu de celles relatives à la protection des victimes de conflits armés (A). La

défense des biens culturels en cas de conflits armés qui est une branche importante du

droit humanitaire contribue également à la protection de la propriété en cas d’exception

(B).

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443

A. – L’apport des règles relatives aux méthodes et aux moyens de

combat

430. - La protection de la propriété peut tirer parti des règles de l’interdiction de

destruction massive des biens non justifiée par la nécessité militaire (1) mais aussi de

la protection particulière des biens civils (2). La protection des biens exigée par le droit

international humanitaire est désormais consolidée par la pénalisation du crime de

guerre selon la jurisprudence de la justice pénale internationale1436.

(1). – L’interdiction de la destruction abusive des biens

431. - La destruction massive des biens non justifiée par la nécessité militaire est

prohibée en droit international humanitaire. Le Règlement concernant les lois et les

coutumes de la guerre sur terre, annexé à la Convention (IV) concernant les lois et

coutumes de la guerre sur terre du 19071437, interdit par son article 23, alinéa g), les

destructions ou les saisies des propriétés ennemies, sauf dans les cas où ces

destructions ou ces saisies seraient impérieusement commandées par les nécessités de

la guerre. La valeur juridique de cette règle d’interdiction n’est guère contestable dans

la mesure où l’on considère que ce Règlement constitue la preuve de l’existence de

coutumes de droit international relatives aux conduites humaines en temps de conflits

armés1438. La Convention de Genève de 1949 pour l’amélioration du sort des blessés et

des malades dans les forces armées en campagne1439 prévoit, dans son article 50, que

la destruction et l’appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires et

exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire constituent des abus et

1436 V., United Nations War Crimes Commission, Law reports of trials of war criminals, vol. III, London: HMSO, 1949, pp. 126, 130. 1437 La Chine a adhéré à la Convention en date du 10 mai 1917. 1438 Rapport du Secrétaire général sur la constitution d’un tribunal pour l’ex-Yougoslavie, UN doc., S/25704, 3 mai 1993, § 41. 1439 Adoptée le 12 août 1949 par la Conférence diplomatique pour l’élaboration de Conventions internationales destinées à protéger les victimes de la guerre, réunie à Genève du 21 avril au 12 août 1949, entrée en vigueur le 21 octobre 1950. La Convention est ratifiée par la Chine le 28 décembre 1956.

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444

des infractions qui doivent être sanctionnées en vertu de la Convention. À cet égard, la

Convention de Genève de 1949 franchit un pas important dans la mesure où elle

impose aux États parties l’obligation de prendre les mesures législatives pénales

nécessaires pour sanctionner les personnes qui ont commis les infractions graves

susmentionnées, afin d’établir l’universalité de la répression1440. Il faut souligner que

les biens protégés par la Convention sont définis dans différents articles, notamment

dans les articles 33 à 36, qui recouvrent en particulier les bâtiments ou le matériel

appartenant à des formations sanitaires ennemies, le matériel et des moyens de

transport sanitaires. La même disposition relative à l’interdiction de la destruction

injustifiée des biens est reprise dans l’article 51 de la Convention de Genève

concernant l’amélioration du sort des blessés, des malades et de naufragés des forces

armées sur mer de 1949, ainsi que dans l’article 147 de la Convention de Genève de

1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre. La Convention

de Genève de 1949 relative au traitement des prisonniers de guerre distingue entre les

objets qui sont exonérés de saisine et ceux qui ne le sont pas1441. Les effets personnels

des prisonniers sont donc protégés contre les infractions graves prohibées par la

Convention1442. Les infractions graves concernant les biens protégés sont désormais

pénalisées en tant que crimes de guerre selon le Statut de Rome, à l’origine de la

création de la Cour pénale internationale1443, renforçant par conséquent l’interdiction

1440 Y. SANDOZ, C. SWINARSKI, B. ZIMMERMANN (éd.), Commentary on the Additional Protocols of 8 June 1977 to the Geneva Conventions of 12 August 1949, International Committee of the Red Cross/Martinus Nijhoff, 1987, p. 417. 1441 L’article 119 de la Convention prévoit que « (...) Lors du rapatriement, les objets de valeur retirés aux prisonniers de guerre, conformément aux dispositions de l’article 18, et les sommes en monnaie étrangère qui n’auraient pas été converties dans la monnaie de la Puissance détentrice leur seront restitués. Les objets de valeur et les sommes en monnaie étrangère qui, pour quelque raison que ce soit, n’auraient pas été restitués aux prisonniers de guerre lors de leur rapatriement, seront remis au Bureau de renseignements prévu par l’article 122. Les prisonniers de guerre seront autorisés à emporter leurs effets personnels, leur correspondances et les colis arrivés à leur adresse (...). Les autres effets personnels du prisonnier rapatrié seront gardés par la Puissance détentrice ; celle-ci les lui fera parvenir dès qu’elle aura conclu avec la Puissance dont dépend le prisonnier un accord (...) ». 1442 V., Bingbing JIA, « Protected property and its protection in international humanitarian law », 15 Leiden Journal of International Law (2002), p.134. 1443 En vertu de l’article 8, paragraphe 2, du Statut de Rome, sont considérés crimes de guerre, parmi d’autres, la destruction et l’appropriation de biens, non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire ; le fait de détruire ou de saisir les biens de

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445

de la destruction abusive des biens.

(2). – La protection des biens civils

432. - La règle selon laquelle les biens civils sont protégés contre les attaques, sauf

s’ils constituent des objectifs militaires et aussi longtemps qu’ils le demeurent,

« constitue une norme de droit international coutumier applicable dans les conflits

armés tant internationaux que non internationaux »1444. La protection particulière des

objets de caractère civil est notamment prévue par le Protocole additionnel aux

Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits

armés internationaux1445. Aux termes de l’article 85, paragraphe 3 b), est considérée

comme infraction grave le fait de « lancer une attaque sans discrimination atteignant

la population civile ou des biens de caractère civil, en sachant que cette l’attaque

causera des pertes en vies humaines, des blessures aux personnes civiles ou des

dommages aux biens de caractère civil qui sont excessifs au sens de l’article 57,

paragraphe 2 a iii ». Conçue comme l’une des exigences de la règle fondamentale de

la distinction sur laquelle est fondée la protection générale de la population civile et

des biens civils en vertu de l’article 48, la protection particulière des biens de caractère

civil est également prévue par l’article 52 du Protocole qui dispose que : « 1. Les biens

de caractère civil ne doivent être l’objet ni d’attaques ni de représailles. Sont biens de

caractère civil tous les biens qui ne sont pas des objectifs militaires au sens du

paragraphe 2. » Le paragraphe 3 de l’article 52 prévoit en outre qu’ « en cas de doute,

un bien qui est normalement affecté à un usage civil, tel qu’un lieu de culte, une

maison, un autre type d’habitation ou une école, est présumé comme ne pouvant pas

l’ennemi, sauf dans les cas où ces destructions ou saisies seraient impérieusement commandées par les nécessités de la guerre est une violation grave des lois et des coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans le cadre établi du droit international; le fait de détruire ou de saisir les biens d’un adversaire, sauf si ces destructions ou saisies sont impérieusement commandées par les nécessités du conflit est une violation grave des lois et des coutumes applicables aux conflits armés qui ne présentent pas un caractère international. 1444 Jean-Marie HENCKAERTS, Louise DOSWALD-BECK, Droit international humanitaire coutumier, Volume I : Règles, Bruylant, 2006, p. 47. 1445 L’adhésion de la Chine en date du 14 septembre 1983.

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446

être utilisé en vue d’apporter une contribution effective à l’action militaire ». Il s’agit

pour commencer de proclamer l’immunité des biens civils, pour en donner ensuite une

définition a contrario en définissant les objectifs militaires. Cependant, la disposition

de l’article 52 a été critiquée au motif que la définition des biens civils n’est pas étayée,

en raison de l’absence d’énumération des biens sur lesquels porte l’objectif

militaire1446.

433. - L’immunité des biens de caractère civil est réaffirmée par le Statut de Rome.

L’article 8 (2) (b) pénalise en tant que crimes de guerre les infractions graves aux lois

et coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans le cadre établi du droit

international, parmi lesquelles figure « le fait de diriger intentionnellement des

attaques contre des biens de caractère civil, c’est-à-dire des biens qui ne sont pas des

objectifs militaires ». Le sens de l’expression « biens qui ne sont pas des objectifs

militaires » semble être précisé par les (iii), (iv) et (v) de l’article 8 (2) (b) dans la

mesure où sont désormais interdites les attaques intentionnelles contre le personnel, les

installations, le matériel, les unités ou les véhicules employés dans le cadre d’une

mission d’aide humanitaire ou de maintien de la paix, « pour autant qu’ils aient droit à

la protection que le droit international des conflits armés garantit aux civils et aux

biens de caractère civils » ; sont aussi interdites les attaques comportant la

connaissance qu’elles causeront incidemment des dommages aux biens civils, ainsi que

le fait d’attaquer ou de bombarder, par quelque moyen que ce soit, des villes, villages,

habitations ou bâtiments qui ne sont pas défendus et qui ne sont pas des objectifs

militaires.

434. - La protection particulière des biens de caractère civil s’étend aux cas

d’occupation militaire. L’article 46 de la Convention (II) concernant les lois et les

coutumes de la guerre sur terre et son annexe (le Règlement de la Haye de 1899)1447

impose de manière précise à l’autorité militaire présente sur le territoire de l’État

ennemie l’obligation de respecter la propriété privée et de ne pas la confisquer. Quant à

la réquisition, l’article 52 dispose que des réquisitions en nature pourront être

réclamées des communes ou des habitants uniquement pour les besoins de l’armée

1446 V., I. DETTER, The law of war, 2nd ed., Cambridge University Press, 2000, p. 283. 1447 La Convention est adhérée par la Chine le 12 juin 1907.

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447

d’occupation ; les prestations en nature seront payées au comptant ou seront constatées

par des reçus, et le paiement des sommes dues sera effectué le plus tôt que possible. À

cet égard, le Règlement de la Haye de 1899 distingue la confiscation et la réquisition

des biens privés par l’armée d’occupation: la confiscation ne s’accompagne pas

nécessairement d’une indemnisation, alors que celle-ci est exigée en cas de

réquisition1448. Quant à l’étendue des biens privés, l’article 56 dispose que les biens des

communes, ceux des établissements consacrés aux cultes, à la charité et à l’instruction,

aux arts et aux sciences, même s’ils appartiennent à l’État, seront traités de la même

façon que s’ils relevaient du régime de la propriété privée ; toute saisie, destruction ou

dégradation intentionnelle de semblables établissements, de monuments historiques,

d’oeuvres d’art ou d’objets et de bâtiments relevant des sciences, est interdite et doit

être poursuivie. Il est intéressant d’observer qu’en cas d’occupation militaire, le

Règlement de la Haye de 1899 proclame l’inviolabilité de la propriété privée dans la

mesure où la confiscation est interdite1449. Seule est admise la réquisition temporaire

qui doit être justifiée par la nécessité militaire. La restitution des biens et

l’indemnisation effectuées à la fin de la période d’occupation devront également être

respectées par l’autorité militaire d’occupation1450.

B. – La défense des biens culturels en temps de conflits armés

435. - La défense des biens culturels aussi bien privés que publics en temps de paix

et en temps de conflits armés fait partie intégrante de l’action humanitaire. Les

fondements de leur protection résident dans le fait que « les biens culturels sont

protégés, d’une part en raison de leur caractère civil, et d’autre part en tant que 1448 V., S. PETREN, « La confiscation des biens étrangers et les réclamations internationales auxquelles elle peut donner lieu », in Recueil des cours 493, Académie de droit international, 1963. 109 (II); v., aussi, H. LAUTERPACHT, L. OPPENHEIM, International Law, 7th Ed., Vol. II, Longmans Green and Co., 1952, Sec. 147. 1449 V., T. BARCLAY, « La propriété privée », in Albert Geouffre de LAPRADELLE, Le séquestre de la propriété privée en temps de guerre : enquête de droit international, vol. II, Paris: Marcel Giard, 1930, pp. 40 à 44. 1450 Cf., A. McNAIR, Legal Effects of War, 3rd ed., Cambridge Universtiy Press, 1948, Chapter 19; G. SCHWARZENBERGER, International Law as Applied by International Courts and Tribunals, vol. II, Stevens and Sons Ltd., 1968, p. 259.

Page 456: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

448

faisant partie du patrimoine culturel ou spirituel des peuples »1451. Il s’agit de garantir

le respect des biens culturels par la limitation des attaques (1) et par l’interdiction de

l’exportation des biens culturels d’un territoire occupé et leur restitution (2).

(1). – La limitation des attaques touchant aux biens culturels

436. - En temps de conflits armés, les biens culturels sont placés sous le régime de

protection caractérisé par la limitation des attaques touchant aux biens culturels. En

substance, l’article 56 du Règlement de la Haye de 1907 exige que des mesures

spéciales soient prises pour éviter les dommages aux édifices consacrés aux cultes, aux

arts, aux sciences et à la bienfaisance, ainsi qu’aux monuments historiques. Aux termes

de l’article 1er de la Convention de 19541452 pour la protection des biens culturels en

cas de conflit armé, les biens culturels recouvrent les biens meubles ou immeubles qui

présente un grand intérêt pour le patrimoine culturel de tous les peuples, quels que

soient l’origine et les propriétaires de ces biens1453. Le principe de la protection des

biens culturels consiste en la sauvegarde et le respect de ces biens1454. La sauvegarde

des biens culturels se définit par l’obligation faite aux Parties contractantes de préparer,

même en temps de paix, la sauvegarde des biens culturels situés sur leur propre

1451 François BUGNION, « La genèse de la protection juridique des biens culturels en cas de conflit armé », Revue internationale de la Croix-Rouge, juin 2004, Vol. 86, n° 854, p. 321. 1452 La Convention est ratifiée par la Chine le 5 janvier 2000. 1453 L’article 1er de la Convention dispose qu’ « Aux fins de la présente Convention, sont considérés comme biens culturels, quelques soient leur origine ou leur propriétaire : a) les biens, meubles ou immeubles, qui présentent une grande importance pour le patrimoine culturel des peuples, tels que les monuments d’architecture, d’art ou d’histoire, religieux ou laïques, les sites archéologiques, les ensembles de constructions qui, en tant que tels, présentent un intérêt historique ou artistique, les oeuvres d’art, les manuscrits, livres et autres objets d’intérêt artistique, historique ou archéologique, ainsi que les collections scientifiques et les collections importantes de livres, d’archives ou de reproduction des biens définis ci-dessus ; b) les édifices dont la destination principale et effective est de conserver ou d’exposer les biens culturels meubles définis à l’aliéna a), tels que les musées, les grandes bibliothèques, les dépôts d’archives, ainsi que les refuges destinés à abriter, en cas de conflit armé, les biens culturels meubles définis à l’alinéa a) ; c) les centres comprenant un nombre considérable de biens culturels qui sont définis aux alinéa a) et b), dits ‘centres monumentaux’ ». Cf., D. FLECK (et al. ed.), The handbook of humanitarian law in armed conflicts, Oxford University Press, 1995, p. 382. 1454 V., article 2 de la Convention.

Page 457: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

449

territoire contre les effets prévisibles d’un conflit armé1455. Le respect des biens

culturels consiste en l’obligation faite aux Parties contractantes de s’interdire

l’utilisation de ces biens à des fins qui pourraient les exposer à une destruction ou à

une détérioration en cas de conflit armé, et en s’abstenant de tout acte d’hostilité à leur

égard. La destruction des biens culturels qui n’est pas justifiée par la nécessité militaire

impérieuse est interdite. Les Parties contractantes sont obligées d’interdire, de prévenir

et de faire cesser tout acte de vol, de pillage ou de détournement de biens culturels,

ainsi que tout acte de vandalisme ; d’interdire la réquisition des biens culturels meubles

situés sur le territoire d’une autre Partie contractante, ainsi que toute mesure de

représailles à l’encontre des biens culturels1456. L’article 3 de la convention pour la

protection des biens culturels de mai 1954 dispose que « [L]es Hautes Parties

contractantes s’engagent à préparer, dès le temps de paix, la sauvegarde des biens

culturels situés sur leur propre territoire contre les effets prévisibles d’un conflit armé,

en prenant les mesures qu’elles estiment appropriées ». Il en résulte que les normes

consacrées à la protection des biens culturels devraient être intégrées dans

l’ordonnancement juridique interne des pays membres pour qu’elles s’appliquent

efficacement1457. Le premier Protocole de la Convention de la Haye de 1954 établit un

régime de protection des biens culturels en cas de guerre de libération nationale. À cet

effet, le premier Protocole interdit l’exportation des propriétés culturelles d’un

territoire occupé et prévoit des mesures de sauvegarde et de retour de telles propriétés.

Ce premier corpus de règles s’applique en temps de conflits armés internationaux,

c’est-à-dire des conflits qui opposent au moins deux États. Le deuxième Protocole

additionnel de 1999 améliore la protection des propriétés culturelles et renforce la

répression des violations. Il s’applique également aux conflits armés non

internationaux. Ce Protocole vient combler les lacunes des précédents textes en

instituant un régime de protection renforcée. La protection des biens culturels est

également consacrée par le Statut de Rome. Ce dernier, dans son article 8 (2) (b) (ix),

1455 V., article 3 de la Convention. 1456 V., article 4 de la Convention. 1457 V., J. TOMAN, La protection des biens culturels en cas de conflit armé, UNESCO, 1994, p. 48 ; Stanislaw Edward NAHLIK, « La protection internationale des biens culturels en cas de conflit armé », 120 Recueil des cours, Académie de droit international, 1967, pp. 61 à 164.

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450

caractérise, de la même manière qu’il le fait concernant les autres violations graves des

lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans le cadre établi du

droit international, le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des

bâtiments consacrés à la religion, à l’enseignement, à l’art, à la science ou à l’action

caritative, et contre des monuments historiques.

(2). – L’interdiction de l’exportation des biens culturels et leur restitution

437. - L’obligation d’empêcher l’exportation des biens culturels d’un territoire

occupé est inscrite au paragraphe 1er du premier protocole de la Convention de 1954

pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé. Cette règle figure aussi à

l’article 2, paragraphe 2, de la Convention concernant les mesures à prendre pour

interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert illicites des biens

culturels (1970)1458, au terme duquel les États s’engagent à combattre l’importation,

l’exportation et le transfert illicites des biens culturels « par les moyens dont ils

disposent, notamment en supprimant leurs causes, en arrêtant leur cours et en aidant à

effectuer les réparations qui s’imposent ». En outre, l’article 9, paragraphe 1er, du

deuxième Protocole de la Convention de 1954 pour la protection des biens culturels en

cas de conflit armé prévoit qu’une force d’occupation doit interdire et empêcher

« toute exportation, autre déplacement ou transfert illicites de biens culturels », alors

que l’article 21 exige des États qu’ils fassent cesser ces violations. Étant donné que

l’inclusion de ces règles dans le deuxième Protocole au cours de négociations qui ont

conduit à son adoption n’a suscité aucune controverse et puisque l’interdiction de

l’exportation des biens culturels est une norme coutumière basée sur les pratiques des

États1459, il est regrettable que la Chine ne l’ait pas encore ratifié jusqu’à présent.

438. - Quant à l’obligation de restituer les biens culturels exportés d’un territoire

occupé, elle est inhérente à l’obligation de respecter les biens culturels, et en particulier

à l’interdiction de saisir et de piller ces biens telle que prévue par l’article 56 de la

1458 La Convention est acceptée par la Chine le 29 novembre 1989. 1459 Jean-Marie HENCKAERTS, Louise DOSWALD-BECK, Droit international humanitaire coutumier, Volume I : Règles, op. cit., p. 181.

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451

Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre du 1907. Car si

les biens culturels ne peuvent être ni saisis, ni pillés, ils ne sauraient, a fortiori, être

retenus s’ils ont été exportés de manière illégale. La restitution des biens exportés de

manière illégale constituerait aussi une forme appropriée de réparation. Le fait qu’un

État qui viole le droit international humanitaire est tenu de procéder à une

indemnisation est une règle coutumière qui figure dans l’article 3 de la Convention (IV)

concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre du 1907 et qui est réitéré par

l’article 91 du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949

relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I, 1977).

Cette obligation a été mise en pratique à travers de nombreux accords passés après des

conflits divers1460. Mais le communiqué conjoint sino-japonais signé en date du 29

septembre 1972 prend acte du fait que le gouvernement chinois a abandonné sa

demande de réparation au Japon pour les dommages causés par la guerre1461.

L’obligation de restituer les biens culturels figure aussi dans le Projet d’articles

sur la responsabilité de l’État, qui fait l’obligation à l’État « d’indemniser le dommage

causé (...) dans la mesure où ce dommage n’est pas réparé par la restitution »1462. Le

commentaire du Projet d’articles explique que « la restitution, malgré sa primauté sur

le plan des principes juridiques, est souvent indisponible ou inadaptée. (...)

L’indemnisation a pour rôle de combler les lacunes éventuelles, de manière à assurer

une réparation complète des préjudices subis »1463.

Dans un contexte plus large et qui ne se limite pas au temps de conflit armé, la

restitution des biens culturels est renforcée par l’adoption de la Convention

d’UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés, ratifiée par la

1460 V., par example, Treaty of Peace signed between the Allied Powers and Japan, San Francisco, 8 septembre 1951, paragraphes 113, 114 ; Convention sur le règlement de questions issues de la guerre et de l’occupation (avec Annexe), Bonn, 26 mai 1952, amendée conformément à l’annexe IV du Protocole sur la cessation du régime d’occupation dans la République fédérale d’Allemagne, Paris, 23 octobre 1954 ; Accord sur les réfugiés et les personnes déplacées, annexe 7 de l’accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine (1995), paragraphes 130 à 132 ; US-Chinese Agreement on the Settlement of Chinese Claims resulting from the Bombardment of Chinese Embassy in Belgrade, 2000. 1461 V., 5e point du communiqué conjoint. 1462 L’article 36 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État (2001). 1463 Commission du droit international, Commentaire de l’article 36 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État (2001).

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452

Chine le 7 mai 19971464. La Convention constitue une avancée très significative et

effective dans la mesure où elle organise la mise en oeuvre des principes de la

restitution des biens culturels volés et le retour des biens culturels illicitement exportés

en prévoyant les délais pour agir, l’indemnisation du possesseur de bonne foi, les

diligences du possesseur sur la protection des biens culturels, ainsi que les exceptions

possibles concernant le retour du bien dans son pays d’origine. Elle a d’ailleurs prévoit

la possibilité pour le juge d’appliquer les règles relatives au patrimoine culturel de

l’État requérant la restitution1465, ce qui peut renforcer la protection des biens culturels

par voie juridictionnelle.

1464 La Convention est ratifiée par la Chine le 7 mai 1997. La Chine a fait ses déclarations sur l’article 3 (5) et l’article 16 de la Convention, en ce qui concerne la prescription d’action de restitution et les procédures de la demande de retour ou de restitution des biens culturels. 1465 V., Gérard SOUSI, « Droit du patrimoine, introduction », Petites Affiches, 18 janvier 2001, n° 13, p. 3.

Page 461: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

453

CONCLUSION DU CHAPITRE

439. - Dans le cadre du droit international des droits de l’homme, et notamment sur

le plan universel, les normes juridiques consacrées à la protection de la propriété

demeurent peu développées. L’article 17 de la Déclaration universelle, en dépit de ses

influences politiques, morales ou idéologiques sur le droit chinois, ne proclame que le

critère minimum de la protection de la propriété en en interdisant la privation arbitraire.

Ainsi, le titulaire et le contenu de la propriété peuvent faire l’objet de diverses

interprétations témoignant de l’incertitude de ce droit. Il en résulte que la norme

principale relative à la protection du droit de propriété est peu contraignante au sens

juridique formel et substantiel. Quant aux normes complémentaires, la limite de leur

rôle réside en ce que leur application s’effectue tantôt par l’intermédiaire des principes

dont l’interprétation uniforme n’est pas assurée, tantôt se heurte aux limites rationae

materiae ou rationae personae. L’effectivité du principe de l’indivisibilité et de

l’interdépendance de tous les droits de l’homme sur la base duquel les deux Pactes

internationaux peuvent fonctionner comme les sources complémentaires de la

protection du droit de propriété, dépend toutefois de la force contraignante des

mécanismes d’application du droit international. Quant au droit international

humanitaire, son apport à la protection du droit de propriété est limité aux cas

exceptionnels, en raison de sa nature spécifique par rapport au droit international des

droits de l’homme. Il reste donc à systématiser les normes contribuant à la protection

de la propriété dans le cadre du droit international garantissant les droits humains, par

les voies soit jurisprudentielle soit normative. Mais la systématisation ne peut être

complète qu’avec la mise en cohérence des normes des droits humains et des normes

plus développées du droit du commerce. Car la protection de la propriété sortirait

renforcée d’une synergie entre les normes qui se développaient auparavant de manière

autonome dans leurs propres domaines, et qui de ce fait ont conduit au déséquilibre du

droit international.

Page 462: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

454

CHAPITRE II – L’EXTENSION DU PRINCIPE DE LA PROTECTION DE LA

PROPRIÉTÉ EN DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

440. - Les instruments juridiques de droit international économique constituent une

source juridique importante concernant la garantie du droit de propriété, du fait de son

affinité avec les libertés dans les domaines des activités économiques que l’on consent

généralement à respecter1466. Parmi les formes concrètes que prend la jouissance du

droit de propriété dans les domaines d’activités économiques, les investissements

étrangers sont celle la plus importante et la plus typique dans un contexte de

globalisation économique conduite par « les flux financiers » 1467 . Les normes

internationales vouées à la protection des investissements étrangers forment donc une

branche du droit international susceptible de consolider la garantie du droit de

propriété. Ces normes lex specialis sont d’autant plus importantes que le commerce et

les investissements étrangers directs jouent un rôle majeur dans la croissance

économique de la Chine. Car « l’important afflux d’investissement étranger direct, y

compris l’esprit d’entreprise, les compétences en matière de gestion et les technologies

qui y sont associées, a aussi contribué à l’émergence du secteur privé en Chine »1468.

Plus significatif encore, « alors qu’aujourd’hui le secteur privé intervient pour plus de

50 pour cent dans le PIB de la Chine et réalise les trois-quarts des exportations du

pays, celles-ci sont, pour l’essentiel, produites par des sociétés à capitaux

étrangers » 1469 . Sur le plan juridique, le droit interne chinois s’aligne plus

volontairement et avec peu hésitation sur les normes internationales relatives à la

protection des investissements étrangers qu’il ne le fait à propos de ses engagements

sous les instruments juridiques internationaux des droits de l’homme. Or, s’il est vrai

que les instruments juridiques internationaux relatifs aux investissements étrangers

jouent un rôle stimulant sur la protection de la propriété, celle-ci était considérée plutôt 1466 John O. McGINNIS, « A new agenda for international human rights: economic freedom », 48 Cath. U. L. Rev. 1029, p. 1033. 1467 V., Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit : le relatif et l’universel, op. cit., pp. 312, 313. 1468 OMC, Examen des politiques commerciales : rapport du secrétariat, République Populaire de Chine, WT/TPR/S/161/Rev.1, 26 juin 2006, p. 5. 1469 OCDE, Étude économique de la Chine, Paris, 2005, p.18.

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455

comme un atout pour la production industrielle que comme une réalité indispensable à

la protection des droits humains. À cet égard, le caractère « sacré » de la propriété ne

peut qu’être largement relativisé avec l’avènement de la doctrine positiviste selon

laquelle l’État peut régir l’exercice du droit de propriété pour le bien public1470. La

limite du principe de la protection du droit de propriété tel qu’il se concrétise dans les

traités internationaux relatifs à la promotion et à la protection des investissements

étrangers, consiste aussi en ce que, du fait de la rationae materiae, les garanties des

investissements étrangers ne bénéficient qu’aux investisseurs étrangers, tandis qu’en

vertu des instruments internationaux issus des droits de l’homme, la protection devrait

être étendue à la propriété de tous sans distinction 1471 . Il en résulte que la

concrétisation de la protection du droit de propriété dans le domaine des

investissements étrangers (SECTION I) doit être nuancée dès lors que l’on se réfère au

principe de la protection de la propriété conçue en tant que droit de l’homme.

441. - De même, il faudrait aussi nuancer le principe de la protection du droit de

propriété à partir de son extension à la protection des propriétés intellectuelles. En effet,

à l’évolution du droit de propriété caractérisée par l’extension de son objet aux biens

immatériels en droit interne, s’ajoute l’apparition de l’Accord sur les ADPIC qui ouvre

la voie à la construction d’un régime de droit international en matière de propriété qui

s’applique sans distinction aux étrangers et aux nationaux sur la base du traitement

national1472, en dépit de sa limitation. Bien avant l’accession de la Chine à l’OMC, la

protection de la propriété intellectuelle a été depuis longtemps à l’ordre du jour

concernant l’internationalisation du droit chinois, dans la mesure où non seulement la

législation chinoise a largement accepté les normes internationales, notamment celles

contenues dans l’Accord sur les ADPIC, mais aussi du fait que le régime se plie de

plus en plus aux recommandations des institutions internationales en faisant respecter

les droits de propriété intellectuelle qu’il intègre à son droit interne. Il n’est donc pas

exagéré de dire que le droit de propriété intellectuelle est la branche du droit chinois

1470 L. Benjamin EDERINGTON, « Property as a natural institution: the separation of property from sovereignty in international law », 13 Am. U. Int'l L. Rev. 263, p. 330. 1471 Edwin D. WILLIAMSON, « U.S.-EU understanding on Helms-Burton: a missed opportunity to fix international law on property rights », 48 Cath. U. L. Rev. 293, p. 306. 1472 V., article 3 de l’Accord sur les ADPIC.

Page 464: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

456

qui subit le plus l’influence du droit international1473. En effet, la volonté et la capacité

que manifeste le gouvernement chinois en acceptant certaines normes internationales

sont illustrées par la législation pour laquelle il a optée en matière de propriété

intellectuelle et par sa mise en oeuvre. Le développement du droit chinois en matière

de propriété intellectuelle se manifeste d’abord par l’adaptation de la législation interne

aux normes internationales. Cette adaptation du droit chinois s’étend ensuite dans des

domaines plus ou moins relatifs à la mise en oeuvre des garanties du droit de propriété

intellectuelle. Ces deux aspects forment un cas typique de la construction de ses

institutions internes dans le processus d’internationalisation du droit chinois en matière

de propriété intellectuelle (SECTION II).

SECTION I – LA CONCRÉTISATION DE LA PROTECTION DE LA

PROPRIÉTÉ DANS LE DOMAINE DES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS

442. - Le transfert forcé de propriété du secteur privé vers le secteur public intéresse

le droit international économique dans la mesure où les principes et les règles de

protection des investissements sont en en cause. Il s’agit de définir les mesures par

lesquelles un État peut porter atteinte à l’existence ou à la consistance d’un

investissement réalisé sur son territoire par le ressortissant d’un autre État. L’apport du

droit international relatif à la protection des investissements étrangers à la protection

du droit de propriété consiste notamment à définir ce qu’est une mesure de

dépossession et les conditions de sa mise en oeuvre. Sur le plan européen, l’approche

de la Cour européenne des droits de l’homme dans le traitement des affaires relatives à

l’expropriation des investissements étrangers par l’application de la CEDH ne diffère

pas de celle prise en vertu des règles générales de droit international1474. Il est

également intéressant d’observer que l’expropriation directe –principalement liée aux

1473 Cf., ZHENG Chengsi, Zhishi chanquan lun (On intellectual property), 3e éd., Law Press China, 2005. 1474 V., Jean-François FLAUSS, « Nationalisation et indemnisation préférentielle de la propriété étrangère dans le cadre de la convention européenne des droits de l’homme », Gazette du Palais, n° 2, 1986; Brigitte STERN, « Le droit de propriété, l’expropriation et la nationalisation dans la Convention européenne des droits de l’homme », Droit et Pratique du Commerce International, n° 17, 1991, p. 394.

Page 465: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

457

nationalisations qui ont marqué les années 1970 et 1980– n’est plus le principal foyer

de questionnement sur la protection des investissements étrangers : la question porte

désormais davantage sur la réglementation de l’investissement étranger et sur

l’expropriation indirecte, « question dominante en droit international de

l’investissement »1475.

443. - Les règles internationales de protection des investissements étrangers ne

différencient pas en substance de celles qui caractérisent le droit interne et qui sont

relatives à la protection du droit de propriété. Car, avec la reconnaissance générale du

traitement national des investisseurs étrangers comme principe fondamental du droit

d’investissement international, il n’est guère légitime de différencier les règles

juridiques de la protection des biens d’investisseurs étrangers de celles qui s’appliquent

aux nationaux. Il est d’ailleurs intéressant de noter que si le traitement national prohibe

la discrimination des étrangers, il faut admettre que la protection plus favorable aux

étrangers n’est pourtant pas incompatible avec le principe du traitement national, alors

même qu’elle n’est pas usuelle en droit interne. Néanmoins, le droit interne chinois fait

figure d’exception en la matière. En effet, les règles juridiques relatives à

l’expropriation et à la nationalisation des investissements étrangers sont acceptées par

la Chine tant dans les accords bilatéraux auxquels elle participe que dans ses textes

législatifs, et ce, avant même que les règles générales de la protection du droit de

propriété ne soient pleinement reconnues en droit interne. Il en résulte que les normes

concernant la protection des investissements étrangers constituaient pendant longtemps

la source unique de la protection du droit de propriété pour le droit chinois. Il faut

souligner en outre que les accords bilatéraux conclus par la Chine et relatifs à la

promotion et à la protection des investissements étrangers n’ont pas perdu leur utilité,

en dépit de l’article 13, alinéa 3, de la Constitution telle qu’elle a été révisée en 2004,

proclamant les principes encadrant les mesures d’expropriation et de réquisition. Ceci,

parce que c’est la propriété privée des citoyens qui peuvent faire l’objet d’une

expropriation ou d’une réquisition par l’État au regard de l’intérêt général, selon la

procédure définie par la loi et moyennant une indemnisation. La qualification limitant

la définition de la propriété privée par l’expression « des citoyens » semble exclure les 1475 Rudolf DOLZER, « Indirect expropriations: new developments? », 11 N.Y.U. Envtl. L. J. 64. p.65.

Page 466: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

458

investisseurs étrangers de la garantie constitutionnelle en matière de jouissance des

biens. Dans ce contexte, les accords bilatéraux demeurent l’instrument juridique auquel

les investisseurs étrangers peuvent directement recourir pour défendre leurs propres

droits. Outre les garanties substantielles (Sous-section 1), les investisseurs bénéficient

des garanties procédurales en cas d’expropriation (Sous-section 2), puisque les accords

bilatéraux récemment conclus par la Chine ouvrent la voie à l’arbitrage international.

Par conséquent, le recours interne n’est plus l’unique choix des investisseurs étrangers.

Sous-section 1. – Les garanties substantielles en cas d’expropriation des

investissements

444. - Depuis son premier accord bilatéral concernant les investissements avec la

Suède conclu en 1982, la Chine a conclu plus d’une centaine d’accords bilatéraux1476.

Ces accords bilatéraux portant sur des investissements éclaircit non seulement la

notion d’expropriation dans le domaine des investissements étrangers (§ 1), mais

impose aussi des conditions applicables à la prise de mesures privatives (§ 2) en vue de

garantir les investisseurs contre les atteintes illégales à la propriété de leurs

investissements.

§ 1. – La notion d’expropriation dans les accords bilatéraux conclus par la

Chine

445. - Contrastant avec le droit interne, les accords bilatéraux relatifs à la protection

des investissements étrangers définissent la notion d’expropriation au sens large1477.

1476 Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, statistique jusqu’au 1er juin 2006. Selon le Ministère de commerce, la Chine a signé 106 accords bilatéraux relatifs à la protection des investissements étrangers dont plus de la moitié sont entrée en vigueur avant la fin de l’année 2003, v., www.news.xinhuanet.com/zhengfu/2003-12/17/content_1234827.htm, 17 décembre 2003. Selon la statistique de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, 119 accords bilatéraux ont été conclus par la Chine avant le 1er juin 2007. 1477 V., CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement), Bilateral Investment Treaties 1995-2006: Trends in Investment Rulemaking, 2007, UNCTAD/ITE/IIT/2006/5, pp. 44 et s.

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459

Les accords bilatéraux conclus par la Chine ne font pas exception. Non seulement les

investissements qui recouvrent diverses catégories de biens (A), mais aussi

l’expropriation indirecte ou toute autre mesure équivalente à l’expropriation sont

prévues par les accords bilatéraux conclus par la Chine (B).

A. – La notion d’investissements

446. - Suivant la définition de la notion d’investissement dans les accords bilatéraux,

la signification du bien protégé se trouve élargie au-delà de la propriété matérielle

conçue en droit civil (1). Les accords bilatéraux constituent également une avancée

importante par rapport au droit interne dans la mesure où ils ont reconnu la protection

de la propriété intellectuelle bien avant le droit interne (2).

(1). – L’élargissement de la notion d’investissements

447. - De manière générale, les accords énumèrent de manière non exhaustive tous

les biens ayant valeur patrimoniale qui peuvent bénéficier de la protection en tant

qu’investissements. Par exemple, dans son article premier, l’Accord entre le

gouvernement de la République française et le gouvernement de la République

populaire de Chine sur l’encouragement et la protection réciproques des

investissements (l’Accord franco-chinois) 1478 , révèle que la notion

d’ « investissements » renvoie aux avoirs de toute nature investis conformément à la

législation de chacune des Parties contractantes. Le même article énumère à titre non

exhaustif comme investissements, a).- les biens meubles et immeubles ainsi que tous

autres droits réels tels que les hypothèques, usufruits, cautionnement et droits

analogues ; b).- les actions et autres formes de participations directes ou indirectes aux

sociétés ; c).- les obligations, créances et droits à toutes prestations de valeur

économique ; d).- les droits d’auteurs, les droits de propriété industrielle ( tels que

brevets d’invention, licences, marques déposées, etc. ), le savoir-faire, les procédés

techniques, les noms déposés et la clientèle ; e).- les concessions accordées 1478 L’accord est entré en vigueur le 19 mars 1985, v., J. O. du 31 mai 1985, p. 6030

Page 468: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

460

conformément à la loi, notamment dans l’exploitation des richesses naturelles. Il en

résulte que les biens corporels, incorporels, même les droits et intérêts ayant une valeur

patrimoniale sont couverts par la notion d’investissements dont la dépossession doit

s’effectuer en conformité avec les conditions prévues dans l’article 4, paragraphe 2 de

l’Accord. D’ailleurs, la concession elle-même est protégée par l’Accord franco-chinois

en tant qu’elle est un bien, tandis qu’en droit chinois le statut juridique de la

concession gouvernementale reste ambigu.

(2). – L’avancement des accords bilatéraux sur le droit interne dans la reconnaissance

de la propriété intellectuelle

448. - Il est intéressant de souligner que la notion de propriété intellectuelle figure

dans les accords bilatéraux avant que le droit interne ne la reconnaisse formellement

par l’adoption de textes normatifs. Il s’agit, par exemple, des droits d’auteurs, admis

par la Chine en concluant l’Accord franco-chinois, alors que la loi sur les droits

d’auteur a été adoptée en 1990, c’est-à-dire 5 ans après l’entrée en vigueur de l’Accord

franco-chinois. Le professeur chinois Chengsi ZHENG a bien relevé qu’au début des

années 80 la négociation des accords bilatéraux dans le domaine commercial était aussi

l’occasion pour la délégation chinoise d’apprendre des notions « étrangères » relatives

à la propriété intellectuelle, par exemple, le traitement de la nation la plus favorisée. Ce

qui témoignait du retard du droit chinois par rapport au développement du droit

international et des droits étrangers dans le domaine des propriétés intellectuelles1479.

La conclusion des accords bilatéraux comportant les clauses consacrées à la protection

de la propriété intellectuelle déclenche par conséquent le processus de l’évolution du

droit chinois qui se caractérise par l’acceptation des notions juridiques de propriété

intellectuelle auparavant inexistantes en droit interne.

1479 V., ZHENG Chengsi, Zhishi chanquan fa (Droit de la propriété intellectuelle ), Law Press China, 1997, p. 14.

Page 469: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

461

B. – La notion d’expropriation

449. - La distinction étanche entre l’expropriation directe et la réglementation des

investissements (1) est difficile à établir dans les pratiques. Les accords bilatéraux

conclus par la Chine semblent servir les intérêts des investisseurs, d’où la raison de

donner une définition large de l’expropriation qui peut englober l’expropriation

indirecte (2).

(1). – La distinction entre l’expropriation directe et la réglementation des

investissements

450. - L’expropriation ou la privation de la propriété d’un bien peut aussi résulter de

l’ingérence d’un État dans l’utilisation de ce bien ou des avantages que celui-ci est

susceptible de lui procurer sans même qu’il fasse l’objet d’une saisie ou que le titre

légal de propriété soit formellement affecté. En l’état actuel, les différends relatifs à la

protection des investissements étrangers portent déjà moins sur l’expropriation directe

que sur la réglementation de l’investissement étranger et l’expropriation indirecte1480.

La question qui se pose est celle de savoir dans quelle mesure un gouvernement peut

affecter la valeur d’un bien par une réglementation de nature générale ou en vertu de

dispositions spécifiques prévues dans le contexte de réglementations générales, pour

atteindre un objectif public légitime, sans effectuer une prise de possession de ce bien

et devoir dédommager le propriétaire pour le tort que lui a causé cette réglementation.

Certes, la ligne de démarcation entre le concept d’« expropriation indirecte » et les

mesures réglementaires gouvernementales qui ne s’accompagnent pas d’indemnisation

n’a pas été clairement établie et elle varie selon les faits et les circonstances propres à

chaque cas1481.

1480 V., Charles LEBEN, « La liberté normative de l’État et la question de l’expropriation indirecte », in Charles LEBEN (éd.), Le contentieux arbitral transnational relatif à l’investissement international: nouveaux développements, Anthemis, LDGJ, 2006, p.163; Jan PAULSSON, Zachary DOUGLAS, « Indirect expropriation in investment treaty arbitrations », in Norbert HORN, Stefan KRÖLL (éd.), Arbitrating foreign investment disputes, Kluwer Law International, 2004, p.145. 1481 V., G. CHRISTIE, « What constitutes a taking of property under international law ? », Bristish

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462

(2). – Les pratiques des accords bilatéraux conclus par la Chine

451. - Les accords bilatéraux conclus par la Chine définissent l’expropriation de

manière extensive. Par exemple, en vertu de l’article 4 de l’Accord franco-chinois,

aucune des deux Parties contractantes ne peut soumettre les investissements à des

mesures d’expropriation, de nationalisation ou à toutes autres mesures aboutissant au

même résultat, si ce n’est en conformité avec les conditions prévues par l’Accord. La

formulation « toutes autres mesures aboutissant au même résultat » semble recouvrir

les mesures qui peuvent entrer sous la dénomination « expropriation indirecte ». Dans

les récents accords conclus par la Chine, l’expropriation indirecte y a été intégrée sans

équivoque. Par exemple, en vertu de l’article 4, paragraphe 2 de l’Accord entre le

gouvernement chinois et le gouvernement allemand sur l’encouragement et la

protection réciproque des investissements1482, les investissements de chacune des

Parties contractantes ne peuvent pas être directement ou indirectement expropriés,

nationalisés, ni faire l’objet d’autres mesures ayant un effet équivalent à

l’expropriation ou à la nationalisation, sauf si ces mesures relèvent de conditions

prévues par l’Accord. Pour ce dernier, l’expropriation désigne non seulement

l’expropriation indirecte mais également toute autre mesure dont les effets équivalent à

l’expropriation1483. L’Accord entre le gouvernement marocain et le gouvernement

chinois range l’expropriation indirecte sous la catégorie « tout autre mesure ayant le

même effet ou le même caractère » que l’expropriation ou la nationalisation1484. Il faut

toutefois souligner que la catégorie « autres mesures d’effet équivalent » à

l’expropriation peut prêter à la discussion quant à sa teneur1485. Pour l’État hôte, la

Yearbook of International Law, 1962, pp. 307 à 338 ; M. SORNARAJAH, The international law on foreign investment, 2nd ed., Cambridge University Press, 2004, p. 350 ; Rudolf DOLZER, « Indirect expropriation of alien property », ICSID Review: Foreign Investment Law Journal, 1986, pp. 41 à 56. 1482 L’Accord sino-allemand est signé le 1er décembre 2003 et entré en vigueur le 11 novembre 2005. 1483 La même position est maintenue par l’article 5 de l’Accord entre le gouvernement chinois et le gouvernement jordanien, signé le 15 novembre 2001. 1484 V., article 4, paragraphe 1 de l’Accord entre le Gouvernement du Royaume du Maroc et le Gouvernement de la République de Chine, concernant l’encouragement et la protection réciproques des investissements, signé le 27 mars 1995. 1485 V., Tribunal de l’ALENA, Pope & Talbot, Inc. c/ Canada, décision provisoire du 26 juin 2006; S. D. Myers, Inc. c/ Canada, décision partielle du 13 novembre 2000.

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463

définition de l’expropriation indirecte détermine l’étendue de son pouvoir d’adopter ou

non des mesures normatives pour réglementer les droits et les obligations des

propriétaires dans les cas où une indemnisation peut être due1486.

452. - Selon la doctrine chinoise, il demeure peu probable dans la Chine

d’aujourd’hui que les investisseurs étrangers puissent encourir l’expropriation indirecte.

Mais celle-ci pourrait se produire à cause des mesures réglementaires prises par les

gouvernements de différents échelons1487. Dans la pratique, il arrive que les autorités

chinoises modifient les contrats qu’elles ont établis avec les investisseurs étrangers

sans pour autant avoir préalablement obtenu leur consentement, ce qui pourrait

constituer un cas d’expropriation indirecte au sens large1488. De même, quand un

gouvernement manque à ses engagements contractuels, le principe universel de Pacta

Sunt Servanda exige que la résiliation unilatérale du contrat résultant des mesures

réglementaires soit traitée comme des mesures d’expropriation1489. Il est vraisemblable

qu’en intégrant la notion de l’expropriation indirecte dans les accords bilatéraux, le

gouvernement chinois doive respecter les conditions d’expropriation au cas où des

mesures qu’il a prises constituent une expropriation indirecte ou les mesures d’effet

équivalent à l’expropriation.

§ 2. – Les conditions de l’expropriation imposées par les accords bilatéraux

453. - Sur la question de savoir si l’État est libre d’exproprier ou de nationaliser les

investissements internationaux qui sont constitués dans les limites de sa juridiction

territoriale, la pratique étatique s’est depuis longtemps fixée répudiant

1486 Rudolf DOLZER, Margrete STEVENS, « Bilateral investment treaties », CIRDI 1985, p. 99; R. HIGGINS, « The taking of property by the State: recent developments in international law », Recueil des Cours –Académie de droit international, 1982, vol. 176, pp. 276 et 277. 1487 CHEN An (sous la dir. de), Guoji touzi de xinfazhan yu zhongguo shuangbian touzi tiaoyue de xinshsijian (Le développement contemporain du droit international d’investissement et les nouvelles pratiques des accords bilatéraux d’investissements conclus par la Chine), Fudan University Press, 2007, p. 160. 1488 Pour le détail des affaires où les mesures des autorités locales chinoises pourraient constituer un cas d’expropriation indirecte, v., infra, n° 483. 1489 V., Banque mondiale, The legal frame for the treatment of foreign investment: progress report and background studies, 1992, p. 149.

Page 472: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

464

l’internationalisme des sociétés marchandes au profit du nationalisme d’État en quête

de puissance économique et politique1490. À défaut d’une convention multilatérale, les

conditions de légalité de l’expropriation et de la nationalisation sont presque

universellement prévues par les accords bilatéraux (A), avec toutefois des nuances

concernant le critère de l’indemnisation (B).

A. – Les conditions relatives à la légalité des mesures d’expropriation

454. - La plupart des accords bilatéraux conclus par la Chine se conforment aux

conditions relatives à la légalité des mesures d’expropriation qui sont généralement

acceptées dans les pratiques internationales (1), à l’exception toutefois des variations

comprises dans certains accords bilatéraux (2).

(1). – La conformité des accords bilatéraux conclus par la Chine avec les pratiques

internationales

455. - Il est généralement admis qu’en droit international les mesures

d’expropriation des investissements doivent répondre à l’exigence d’utilité publique et

s’effectuer de manière non discriminatoire en suivant la procédure équitable1491. Les

accords bilatéraux conclus par la Chine s’y conforment. Par exemple, l’article 4,

paragraphe 2, de l’Accord franco-chinois dispose qu’ « aucune des deux Parties

contractantes ne peut soumettre les investissements effectués sur son territoire ou dans

ses zones maritimes par des investisseurs de l’autre Partie à des mesures

d’expropriation, de nationalisation ou à toute autre mesure aboutissant au même

résultat, si ce n’est à des fins d’utilité publique, de manière non discriminatoire,

suivant une procédure légale et contre une indemnisation ». Quatre conditions à la 1490 Dominique CARREAU, Patrick JUILLARD, Droit international économique, op. cit., § 1383. Pour les auteurs chinois qui soutiennent la même thèse que celle des auteurs français, v., notamment CHEN An (sous la dir. de), Guoji jingjifa (International Economic Law), 2e éd., Law Press China, 2007, p. 303 ; YU Jingsong, WU Zhipan, Guoji jingjifa (International Economic Law), 2e éd., Beijing University Press, 2005, p. 230. 1491 Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), Taking of property, UNCTAD/ITE/IIT/15, 2000, pp. 12 à16.

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465

dépossession des investissements ont été imposées par l’Accord franco-chinois. Elles

sont les fins d’utilité publique, le respect du principe de non-discrimination, la

procédure prévue par la loi et l’indemnisation par l’État. D’autres accords bilatéraux

conclus par la Chine optent pour pareille formulation quant aux conditions de la

dépossession des investissements. Par exemple, l’expression « utilité publique » peut

être remplacée soit par « intérêt public »1492, soit par « impératifs de sécurité » ou

« intérêt public » 1493 . L’Accord entre le gouvernement fédéral allemand et le

gouvernement chinois dispose dans son article 4, paragraphe 2, qu’aucune des deux

Parties contractantes ne peut soumettre les investissements effectués sur son territoire

par des investisseurs de l’autre Partie à des mesures « directe ou indirecte »

d’expropriation, de nationalisation ou à « toute autre mesure ayant le même effet contre

l’investissement », sauf pour motif de bien-être public et contre indemnisation1494.

(2). – Les variations dans certains accords bilatéraux

456. - En revanche, dans d’autres accords bilatéraux, les conditions de légalité

concernant l’expropriation des investissements ont été prévues de manière moins

précise par rapport à l’Accord franco-chinois. Par exemple, selon l’article 5 de

l’Accord entre le gouvernement chinois et le gouvernement du

Royaume-Uni, « aucune des deux Parties contractantes ne peut soumettre les

investissements effectués sur son territoire par des investisseurs de l’autre Partie à des

mesures d’expropriation, de nationalisation ou à toutes autres mesures équivalant à

une expropriation, si ce n’est à des fins publiques liées au besoin interne de l’autre

Partie contractante et contre indemnisation ». De manière exceptionnelle, les

1492 V., article 5, paragraphe 1 de l’Accord entre le Gouvernement de la République du Cameroun et le Gouvernement de la République Populaire de Chine pour la promotion et la protection réciproques des investissements, signé le 10 mai 1997. 1493 V., article 4, paragraphe 1 de l’Accord entre l’Union économique Belgo Luxembourgeoise et le Gouvernement de la République Populaire de Chine en matière de la promotion et la protection réciproques des investissements, signé le 4 juin 1984. 1494 V., article 4, paragraphe 2 de l’Accord entre la République Fédérale d’Allemagne et la République Populaire de Chine en matière de l’encouragement et la protection réciproques des investissements, signé le 1er décembre 2003.

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466

exigences sur la procédure légale et le principe de non-discrimination sont absentes

dans cet accord. Il est intéressant d’observer que dans l’Accord bilatéral entre le

gouvernement chinois et le gouvernement néo-zélandais conclu en 1988, l’article 6

concernant l’expropriation dispose de manière flexible, quant à la justification des

mesures de dépossession, que celles-ci doivent être adoptées uniquement si leur but est

autorisé par la loi. Or, la signification du but autorisé par la loi, qui peut faire l’objet de

l’interprétation lato sensu, ne correspond par nécessairement à l’intérêt général ou à

des fins d’intérêt public sur lesquelles insistent d’autres accords bilatéraux. Ces deux

exemples montrent que les variations des accords bilatéraux conclus par la Chine

pourraient être la cause de l’incohérence des pratiques d’exécution des accords

bilatéraux.

B. – Les règles d’indemnisation

457. - Alors qu’en droit interne chinois, les règles d’indemnisation demeurent

ambiguës (1), les clauses des accords en la matière ont prévu de manière plus précise le

critère sur la détermination du montant de l’indemnité et la modalité du paiement de

celle-ci (2). À cet égard, les accords bilatéraux concernant les investissements jouent

un rôle complémentaire par rapport au droit interne en consolidant la protection des

investisseurs étrangers en cas de dépossession.

(1). – Les règles d’indemnisation en droit interne

458. - Les règles d’indemnisation en droit interne sont apparues pour la première

fois dans la loi sur les entreprises à capitaux étrangers1495. L’article 5 de ladite loi

dispose que l’État ne procède pas à la nationalisation ou à l’expropriation des

entreprises à capitaux étrangers. Toutefois, dans les circonstances spéciales et pour

servir l’intérêt public, les entreprises à capitaux étrangers peuvent faire l’objet d’une

expropriation selon la procédure établie par la loi et par le versement d’une indemnité

appropriée. Lorsque la loi sur les entreprises à capitaux chinois et étranger (Equity 1495 Adoptée le 12 avril 1986 et modifiée le 31 octobre 2000.

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467

Joint Ventures)1496 a été modifiée le 4 avril 1990, un alinéa 3 a été inséré à l’article 2

réitérant les mêmes dispositions que l’article 5 de la loi sur les entreprises à capitaux

étrangers. L’indemnisation appropriée a été également maintenue par l’article 4 de la

loi sur la protection des investissements des compatriotes de Taiwan1497, ainsi que par

certains règlements adoptés par le CAE. Par exemple, le Règlement sur l’exploitation

coopérative du pétrole terrestre avec les investisseurs étrangers1498 et le Règlement sur

l’exploitation coopérative du pétrole à la mer avec les investisseurs étrangers1499

prévoient même l’indemnisation appropriée au cas où les coopérateurs étrangers

feraient l’objet de mesures d’expropriation. Pourtant, la signification de l’expression

« appropriée » demeure incertaine. Tandis que celle-ci peut s’entendre comme « le

principe de non-expropriation sauf indemnité prompte, adéquate et effectivement

réalisable n’est plus discuté »1500, la doctrine chinoise ne s’aligne toutefois pas sur la

« formule de Hull » qui exige au nom du droit international l’indemnisation « prompte,

adéquate et effective » en cas de dépossession des investissements étrangers1501.

(2). – Les clauses des accords bilatéraux conclus par la Chine concernant les mesures

d’indemnisation

459. - L’indemnisation de l’investisseur a été présentée comme une condition parmi

d’autres dans la plupart des accordés conclus par la Chine. Par exemple, l’Accord

franco-chinois dispose que « les mesures de dépossession qui pourraient être prises

doivent donner lieu au paiement d’une indemnité appropriée ; les principes et les

1496 Adoptée le 1er juillet 1979. 1497 Adoptée le 5 mars 1994. 1498 Adopté le 7 octobre 1993 et modifié le 23 septembre 2001, par le décret n° 317 du CAE, article 5. 1499 Adopté le 30 janvier 1982 et modifié le 23 septembre 2001, par le décret n° 318 du CAE, article 4. 1500 Philippe KAHN, Thomas W. WÄLDE (sous la dir. de), Les aspects nouveaux du droit des investissements internationaux, op. cit., p. 37. 1501 V., CHEN An (sous la dir. de), Guoji touzi de xinfazhan yu zhongguo shuangbian touzi tiaoyue de xinshsijian (Le développement contemporain du droit international d’investissement et les nouvelles pratiques des accords bilatéraux d’investissements conclus par la Chine),op. cit., p. 94 ; YU Jingsong, « Lun guoji touzifa zhong guoyouhua buchang de genju (Sur le fondement de l’indemnisation en cas de nationalisation dans le domaine du droit international d’investissement) », in Zhongguo Shehui Kexue (Chinese Social Science), n° 2, 1986, p. 63.

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468

règles de calcul du montant de l’indemnité et les modalités de son versement sont fixés

au plus tard à la date de dépossession. Cette indemnité est versée sans retard ni délai

injustifié ; elle est effectivement réalisable et librement transférable »1502. Le protocole

annexé à l’Accord franco-chinois précise que le montant des indemnités correspond à

la valeur réelle des investissements concernés1503. L’Accord franco-chinois pose le

critère de l’indemnité appropriée, calculée à partir de la valeur réelle des

investissements. L’Accord franco-chinois prévoit d’ailleurs que les principes et les

règles de calcul, ainsi que les modalités de versement, doivent être fixés avant la date

de dépossession, et le versement doit être réalisé sans retard ni délai injustifié ; la

monnaie du paiement doit être effectivement réalisable et librement transférable.

460. - Des règles plus précises en matière d’indemnisation ont été acceptées par

d’autres accords bilatéraux conclus par la Chine. La formulation « la valeur réelle des

investissements » a étté remplacée par celle de «valeur du marché »1504 des biens,

évaluée à la date précédant immédiatement l’expropriation ou à la date à laquelle cette

expropriation est rendue publique 1505 . Si chacune des deux dates –celle où

l’expropriation est rendue publique et celle de sa mise en oeuvre– existe, c’est la date

la moins avancée qui est prise en compte dans le calcul du montant. D’autre part, les

indemnités doivent comporter les intérêts dus jusqu’au jour de leur versement1506. De

manière exceptionnelle, l’Accord entre le gouvernement chinois et le gouvernement

suédois prévoit que le but de l’indemnisation consiste à « placer l’investisseur dans

une position financière similaire à celle qui aurait été la sienne si la dépossession

n’avait pas eu lieu »1507. En imposant des règles plus précises concernant le calcul du

1502 Article 4, paragraphe 2 de l’Accord franco-chinois. 1503 V., paragraphe 2 du protocole annexé à l’Accord franco-chinois. 1504 V., par ex., article 4, paragraphe 2 de l’accord entre le Chine et le Maroc, précité ; article 4, paragraphe 2 de l’accord entre la Chine et le Guyane, signé le 27 mars 2003 ; article 4, paragraphe 3 de l’accord entre la Chine et le Liban, signé le 13 juin 1996 ; article 4, paragraphe 2 de l’accord entre la Chine et la Zimbabwe, signé le 21 mai 1996 ; article 4, paragraphe 2 de l’accord entre la Chine et la Croatie, entré en vigueur le 1er juillet 1994 ; article 5, paragraphe 3 de l’accord entre la Chine et la République de Corée, entré en vigueur le 30 septembre 1992 ; article 8, paragraphe 3 de l’accord entre la Chine et l’Australie, entré en vigueur le 11 juillet 1988, etc. 1505 V., par ex., article 2 du Protocole annexé à l’Accord entre la Chine et le Benelux. 1506 V., par ex., article 4, paragraphe 2 de l’Accord entre la Chine et l’Allemagne. 1507 V., article 3, paragraphe 1 de l’Accord entre la Chine et la Suède.

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469

montant d’indemnité, la marge d’appréciation laissée à la discrétion des Parties

contractantes est réduite. Certains auteurs chinois ont considéré que la création du

principe d’indemnisation appropriée, fondée sur la mise en place de règles plus

précises en vertu desquelles le montant des indemnités est calculé selon la valeur du

marché des investissements, traduit une évolution de la politique du gouvernement

chinois qui peut s’expliquer par l’abandon de l’idée d’indemnisation appropriée pour

se diriger vers celle de l’indemnisation suffisante. Cette évolution a pour effet d’élever

le critère d’indemnisation de manière générale1508. Toutefois, le critère de « la valeur

du marché » a été critiqué dans la mesure où la valeur vénale est définie comme le prix

qu’un vendeur peut obtenir dans des conditions de vente normale. Or, lorsque des

nationalisations sont en vue, on se trouve en dehors d’une situation de vente

normale1509. D’ailleurs, « lorsque la valeur d’une entreprise nationalisée doit être fixée

sur base de la valeur boursière, la situation est encore plus délicate. La clause qui

retient comme valeur boursière celle de la date qui précède la nationalisation ou celle

de la date où la mesure de nationalisation a été rendue publique, ne donne aucune

garantie. La valeur boursière est très fragile et est elle même influencée par les

rumeurs de nationalisation, alors même qu’aucune allusion officielle n’y [ait] encore

été faite »1510. Comme on l’a déjà constaté, « ce qui reste le plus sujet à divergence

concerne la méthode de calcul de la valeur de l’investissement. On rencontre, au gré

des sentences, l’utilisation de la notion de juste valeur du marché. Mais cette juste

valeur ne peut être calculée approximativement que si l’on peut apprécier les

paramètres qui entrent dans l’établissement de la valeur de l’investissement en

cause »1511. Ainsi peut-on considérer que la position de la Chine en matière de critère

1508 XU Chongli, « Guoji touzifa de zhongda zhengyi wenti yu zhongguo de cuice (Les divergences en droit international relatives aux investissements et la position de la Chine)», Zhongguo shehui kexue (China Social Science), n° 1, 1994, p.15. V., aussi, LU Jiongxing, Zhongguo waishang touzifa wenti yanjiu (Etudes sur les problèmes juridiques concernant les investissements étrangers en Chine), Law Press China, 2001, p. 240. 1509 V., S. K. ASANTE, « Le droit au développement », R. C. A. D. I., 1980, p. 360. 1510 Jan SCHOKKAERT, Pratique conventionnelle en matière de protection juridique des investissements étrangers : droit comparé, droit interne, conventions européennes, Bruxelle, Bruylant, 2006, pp. 122, 123. 1511 Philippe KAHN, Thomas W. WÄLDE (sous la dir. de), Les aspects nouveaux du droit des investissements internationaux, op. cit., p. 38.

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470

d’indemnisation reste à être précisée dans la pratique.

461. - Quant à la date du paiement des indemnités, l’Accord franco-chinois pose le

principe selon lequel les indemnités doivent être versées sans retard ni délai injustifié.

Les accords récemment conclus ont prévu toutefois le versement d’intérêts aux

investisseurs. Par exemple, l’Accord sino-allemand dispose que les indemnités doivent

comporter les intérêts dus jusqu’au jour de leur versement1512. Il faut souligner en outre

que certains accords bilatéraux d’investissement, à l’exception de l’Accord

franco-chinois, ont prévu le contrôle judiciaire sur l’application des règles

d’indemnisation. Par exemple, l’Accord sino-allemand dispose que, «sur l’initiative de

l’investisseur étranger, la légalité des mesures de dépossession et le montant

d’indemnité doivent faire l’objet du contrôle par les tribunaux nationaux »1513 ,

nonobstant les autres clauses de l’Accord concernant le règlement des différends. Le

respect des règles relatives à la dépossession, notamment celles portant sur les mesures

d’indemnisation, peut être mieux garanti en conférant aux investisseurs le droit d’agir

en justice contre les pratiques illégales en matière de dépossession d’investissements.

462. - Concernant la question de savoir si « l’indemnisation est une condition de

licéité de la mesure étatique »1514, la doctrine chinoise se révélait très critique sur

l’acceptation du principe de l’indemnisation conçu comme une condition de licéité de

l’intervention étatique, et considérait l’indemnisation comme la conséquence de la

mesure étatique. C’était aussi la raison pour laquelle, selon certains auteurs, la Chine

devrait éviter de conclure un accord avec les États-Unis ou le Canada selon le modèle

américain de l’accord bilatéral d’investissement, puisque ce modèle insiste fermement

sur la « formule de Hull » fondant la licéité de l’expropriation sur l’indemnisation

prompte, adéquate et effective1515. Cependant, la Chine a récemment donné son accord

sur l’ouverture de la négociation d’un accord bilatéral d’investissement avec les

1512 Article 4, paragraphe 2 de l’Accord entre la Chine et l’Allemagne ; v., aussi article 4, paragraphe 2 de l’Accord entre la Chine et le Bostwana. 1513 V., article 4, paragraphe 2 de l’Accord entre la Chine et l’Allemagne, précité ; v., aussi, article 5, paragraphe 1 de l’Accord entre la Chine et le Royaume-Uni, précité, etc. 1514 V., Sébastien MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage entre États et ressortissants d’autres États, Trente années d’activité du CIRDI, Litec, 2004, pp. 524, 528. 1515 V., CHEN An, Guoji Jingjifa Gailun (Introduction au Droit International Economique), édition 2001, Pekin University Press, 2002, p. 343.

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471

États-Unis, alors même que les États-Unis vont « poursuivre un traité complet sur la

base du modèle d’accord d’investissement bilatéral des États-Unis » 1516 . Il est

vraisemblable que la conclusion du futur accord sino-américain aurait pour

conséquence d’élever encore davantage le niveau de protection des investissements

étrangers, non seulement à l’égard des garanties substantielles, mais aussi des garanties

procédurales en cas d’atteintes portées à la propriété des investisseurs.

Sous-section 2. – Les garanties procédurales en cas d’expropriation des

investissements

463. - L’analyse précédente montre que les normes comprises dans les accords

conclus par la Chine sur la protection des investissements étrangers en cas de

dépossession sont pour l’essentiel conformes à la pratique générale du droit

international. L’enjeu ne consiste pas à proclamer des normes substantielles par la

conclusion des accords, mais plutôt à les mettre en oeuvre notamment dans le

règlement des conflits entre l’État hôte et les investisseurs étrangers. À cet égard, le

gouvernement chinois attache de l’importance à défendre sa réputation –qu’il juge

cruciale concernant sa position sur le marché international– en matière de règlement

des différends liés à l’investissement étranger direct1517. C’est la raison pour laquelle

les accords conclus par la Chine ont admis le règlement des conflits entre l’État hôte et

les investisseurs étrangers par les voies de recours interne et les mécanismes de droit

international. Pour encourager davantage des investissements étrangers1518, la Chine a

ratifié, le 7 janvier 1993, la Convention du Washington portant sur la création du

Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements

(CIRDI). Car la neutralité de l’arbitrage fourni par le CIRDI correspond à la politique

1516 V., discours de clôture du Secrétaire d’État PAULSON lors du 4e Forum Sino-américain du dialogue stratégique sur les affaires économiques, le 18 juin 2008, disponible sur le site http://www.treas.gov/press/releases/hp1037.htm, consulté le 8 août 2008. 1517 Jerome A. COHEN, « The role of arbitration in economic co-operation with China », in Michael J. MOSER (ed.), Foreign Trade, Investment, and the Law in the People’s Republic of China, 2nd ed., 1987, p. 508. 1518 James A.R. NAFZIGER, RUAN Jiafang, « Chinese methods of resolving international trade, investment and maritime disputes », 23 WILLAMETTE L.REV. 619 (1987), p. 640.

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472

constante du gouvernement chinois en vertu de laquelle les différends internationaux

de caractère économique doivent se résoudre de manière équitable et en rassurant les

bénéfices réciproques1519. Alors que l’arbitrage international est un droit auquel les

investisseurs étrangers peuvent recourir en tant que garantie procédurale importante de

leurs droits et de leurs intérêts (§ 1), le gouvernement chinois, avec les accords

bilatéraux qu’il a conclus, insiste constamment sur le fait que le règlement à l’amiable

des différends entre l’État hôte et l’investisseur étranger constitue la première étape de

la négociation. Nous voyons donc que la conciliation et la médiation jouent un rôle

supplémentaire par rapport à l’arbitrage international1520, du fait de leur efficacité

quand il s’agit de parvenir à un règlement à l’amiable des différends. Avec

l’intervention des organes internationaux, notamment le CIRDI et l’Agence

Multilatérale de Garantie des Investissements (AMGI), le règlement à l’amiable des

différends a été institutionnalisé1521 et a commencé à prendre de l’ampleur dans le

traitement des affaires dont lesquelles les autorités chinoises sont parties (§ 2).

§ 1. – Les garanties procédurales d’arbitrage international

464. - Alors que les accords bilatéraux relatifs aux investissements étrangers directs

conclus par la Chine ont systématiquement reconnu la compétence du CIRDI dans le

traitement des différends1522, pendant longtemps le gouvernement chinois demeurait

1519 Christopher M. KOA, « The International Bank for Reconstruction and Development and dispute resolution: conciliating and arbitrating with China through the International Centre for Settlement of Investment Dispute », 24 N.Y.U. J. Int’l L. & Pol. 439, p. 483. 1520 Jack J. COE, « Towards a complementary use of conciliation in investor-State disputes – a preliminary sketch », 12 U.C. Davis J. Int’l L. & Pol’y 7. 1521 V., Ibrahim F.I. SHIHATA, « The settlement of disputes regarding foreign investment: the role of the World Bank, with particular reference to ICSID and MIGA », 1 Am. U. J. Int’l L. & Pol’y 97. 1522 V., LI Shishi, « Bilateral investment promotion and protection agreements: practice of the People’s Republic of China », in Paul DE WAART, Paul PETERS, Erik DENTERS (eds.), International Law and Development, 1988, p. 163; Qingjiang KONG, « Bilateral investment treaties: the Chinese approach and practice », 8 Asian Y.B. Int’l L. (1998-1999), p. 105; John S. MO, « Some aspects of the Australia-China investment protection treaty », 25 J. World Trade L. 43 (1991); Wenhua SHAN, « The international law of EU investment in China », 2 Chinese J. Int'l L. 555; CAI Congyan, « Outward foreign direct investment protection and the effectiveness of Chinese BIT practice », 7 J. World Investment & Trade 621 (2006).

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473

très prudent dans la pratique concernant l’usage de l’arbitrage du CIRDI en imposant

des limites dans ces accords sur l’application de cet arbitrage (A). Ces restrictions

n’ont été levées que très récemment lors de la conclusion des accords bilatéraux

d’investissements étrangers dits de « nouvelle génération »1523 (B).

A. – La prudence envers l’arbitrage international dans les anciens

accords

465. - La prudence que le gouvernement chinois a manifestée à l’encontre de

l’arbitrage international s’est révélée non seulement par sa réserve sur les sujets soumis

à l’arbitrage international dans les accords bilatéraux qu’il a conclus (1), mais aussi par

celle qu’il a émise à propos de la compétence du CIRDI concernant les différends entre

la Chine et les investisseurs étrangers (2).

(1). – La réserve sur les matières soumises à l’arbitrage international

466. - Au début du lancement de sa politique d’ouverture, le gouvernement chinois

hésitait à intégrer une disposition prévoyant que l’arbitrage serait un moyen de

règlement des différends entre l’État hôte et l’investisseur étranger. Par exemple, dans

l’Accord bilatéral d’investissement entre le gouvernement chinois et le gouvernement

suédois, il n’existe aucune prévision sur le règlement des différends État-investisseur,

alors que les deux Parties contractantes se sont mises d’accord que, dès lors que la

Chine adhèrerait à la Convention du CIRDI, l’Accord sino-suédois serait révisé afin de

reconnaître la compétence du CIRDI en matière de règlement des différends1524.

Depuis la ratification de la Convention du CIRDI, de nombreux accords bilatéraux

d’investissements conclus par la Chine n’ont accepté l’arbitrage du CIRDI qu’en 1523 Stephan W. SCHILL, « Tearing down the Great Wall: the new generation investment treaties of the People’s Republic of China », 15 Cardozo J. Int’l & Comp. L. 73, pp. 92 à 94; v., aussi, Kim M. ROONEY, « ICSID and BIT arbitrations and China », Journal of International Arbitration, 24 (6), 2007, pp. 705 à 708. 1524 V., lettre de Sten SUNDELT, Ambassadeur suédois, adressée à WEI Yuming, vice-ministre des affaires économiques, en date du 29 mars 1982, disponible sur le site www.unctad.org/sections/dite/iia/docs/bits/china_sweden.pdf, consulté le 11 août 2007.

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474

matière d’indemnisation dans les cas d’expropriation des investissements par l’État

hôte. De manière générale, les dispositions des accords qui prévoient l’arbitrage du

CIRDI comme moyen de règlement des différends prévoient aussi que dans les cas

d’expropriation où les disputes porteraient sur le montant de l’indemnité et les

différends qu’ils susciteraient ne pourraient pas être résolus par la négociation entre

l’État hôte et l’investisseur avant que six mois se soient écoulés, ces disputes peuvent

être soumises à l’arbitrage international devant un tribunal établi par les deux parties à

cet effet1525.

467. - Il en résulte que le recours à l’arbitrage international a été assujetti à deux

conditions. D’abord, le champ d’application de l’arbitrage international a été limité aux

différends portant sur le montant de l’indemnité en cas de dépossession ; ensuite,

l’arbitrage international devait être précédé par le règlement à l’amiable, par exemple

en procédant à une négociation pour régler les différends portant sur le montant de

l’indemnité. Le recours à l’arbitrage international a été davantage restreint par l’accord

franco-chinois. Ce dernier prévoit de multiples voies de recours. En vertu de l’article 8

de l’Accord franco-chinois, tout différend relatif aux investissements est réglé à

l’amiable, dans toute la mesure du possible, entre l’une des Parties contractantes et

l’investisseur de l’autre partie contractante. Si un différend n’a pas pu être réglé dans

un délai de six mois, il peut être réglé par l’une des procédures suivantes, choisie par

l’investisseur : une requête auprès des autorités administratives compétentes de la

Partie contractante ou une action en justice auprès des tribunaux compétents de la

Partie contractante. Ces voies de recours s’appliquent également aux différends portant

sur le montant de l’indemnité à verser en cas de dépossession. Si les différends portant

sur le montant de l’indemnité n’ont pas été réglés en satisfaisant les deux parties dans

un délai d’un an à partir du moment où ils ont été soulevés, ils peuvent être soumis à la

procédure d’arbitrage. Toutefois, si l’investisseur a recouru, soit à la requête auprès des

autorités administratives compétentes, soit à l’action en justice, et que les autorités

judiciaires ont définitivement statué dans le délai d’un an prévu à partir du moment où

1525 V., par exemple, article 13 (3) de l’Accord sur l’encouragement et la protection des investissements réciproques entre le gouvernement chinois et le gouvernement singapourien, 21 novembre 1985.

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475

le différend a été soulevé, l’arbitrage international ne peut plus être appliqué1526. Ainsi,

L’Accord franco-chinois a ajouté une troisième restriction concernant le recours à

l’arbitrage international, à savoir que, si les recours internes ont été utilisés par

l’investisseur et qu’il n’existait pas de refus de justice, le recours à l’arbitrage

international sera considéré comme abandonné par l’investisseur. Jusqu’à présent, la

Chine n’a perdu aucune affaire devant des tribunaux d’arbitrage internationaux. Ce fait

peut s’expliquer comme étant l’effet des restrictions sur l’arbitrage international

imposées par ses accords bilatéraux. Ces restrictions faisaient obstacle à un recours

effectif international auquel les investisseurs étrangers seraient susceptibles de

recourir1527.

(2). – La « réserve » émise à propos de la compétence du CIRDI

468. - La position de la Chine consistant à limiter l’arbitrage international aux

différends relatifs au montant de l’indemnité en cas de dépossession, a été d’autant

plus solide qu’en vertu de l’article 25 (4) de la Convention du CIRDI, le gouvernement

chinois a notifié au CIRDI que seuls les différends portant sur le montant de

l’indemnité en cas de dépossession seraient susceptibles soumis à la compétence du

CIRDI1528 . Alors que l’adhésion à la Convention laisse entendre que les États

contractants considèrent favorablement les demandes émanant des investisseurs visant

à soumettre un différend au CIRDI, il peut cependant exister des catégories de

différends relatifs aux investissements que les gouvernements ne jugent pas

susceptibles d’être soumis au CIRDI. C’est pour éviter tout risque de malentendu que

1526 V., article 8, paragraphe 3 de l’Accord sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements entre la Chine et la France, entré en vigueur le 19 mars 1985. 1527 V., Kim M. ROONEY, « ICSID and BIT arbitrations and China », op. cit., p. 711. En même temps que les investissements étrangers en Chine rencontrent des obstacles à l’arbitrage international en vertu des anciens accords bilatéraux, les investisseurs chinois dans d’autres pays que la Chine ont tenté d’utiliser l’arbitrage international fourni par le CIRDI pour régler leurs différends avec l’État hôte. V., reportage Fernando CABRERA DIAZ, « Chinese investor launches BIT claims against peru and ICSID », Investment Treaty News, 2 mars 2007. 1528 V., Notifications concerning classes of disputes considered suitable or unsuitable for submission to the Centre, disponible sur le site http://www.worldbank.org/icsid/pubs/icsid-8/icsid-8-d.htm, consulté le 11 août 2007.

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476

l’article 25 (4) autorise expressément les États contractants à émettre une notification

en la matière qui ne constitue pourtant pas une réserve apportée à la Convention du

CIRDI1529. Mais il n’empêche pas que la notification fonctionne en substance comme

une réserve émise à l’égard de la compétence du CIRDI quant au traitement des

différends issus des investissements étrangers. Les restrictions qui portaient sur le

recours à l’arbitrage international par les anciens accords ont traduit la volonté du

gouvernement chinois de cantonner au plan interne les différends entre l’État hôte et

les ressortissants étrangers, tout en contournant la menace qui pourrait peser sur son

intérêt d’État hôte en cas de procédure d’arbitrage international. Jugée insuffisante

pour la protection des investisseurs étrangers, la position conservatrice du

gouvernement chinois sur la question de l’arbitrage international s’est déjà assouplie

avec la conclusion par la Chine des accords bilatéraux dits de « nouvelle génération ».

B. – L’extension du champ d’application de l’arbitrage international

par les accords bilatéraux de « nouvelle génération »

469. - Par les accords dits de « nouvelle génération » que la Chine a conclus ces

dernières années, l’arbitrage international a été accepté concernant le traitement de tous

les différends issus des investissements dans lesquels la Chine est partie (1). Toutefois,

la Chine impose encore des limites à son acceptation de l’arbitrage international (2).

Ces limites devraient cependant être dépassées pour mieux assurer l’équilibre de la

relation entre l’État hôte et les investisseurs étrangers.

(1). – L’acceptation de l’arbitrage international portant sur tous les différends entre

l’État hôte et l’investisseur étranger

470. - À la fin des années 1990, les accords conclus par la Chine ont mené à

l’extension des catégories de différends susceptibles d’être traités par l’arbitrage

1529 Rapport des Administrateurs de la Banque Internationale pour la reconstruction et le développement sur la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États, in CIRDI, Convention et règlements du CIRDI, p. 45.

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477

international1530. Par exemple, l’Accord sino-bostwanais entré en vigueur en 2000,

prévoit que tous les différends entre l’une des Parties contractantes et le ressortissant

de l’autre Partie contractante peuvent être soumis à l’arbitrage international fourni par

le CIRDI ou par d’autres tribunaux internationaux d’arbitrage ad hoc, à condition que

toutes les voies de recours internes doivent être préalablement épuisées par

l’investisseur1531. L’Accord sino-suédois tel qu’il a été amendé en 2004, a inséré un

nouvel article 6 admettant que toutes les catégories de différends peuvent être soumises

à l’arbitrage international, et les Parties contractantes s’engagent par conséquent à

exécuter les décisions d’arbitrage selon les règles du droit interne1532. En dépit des

critiques doctrinales selon lesquelles l’acception systématique de l’arbitrage

international et l’abandon de l’exigence d’épuisement des voies de recours internes

sont inappropriés pour la Chine en tant qu’État hôte pour la raison qu’il fait partie des

pays en voie de développement1533, le nombre des accords bilatéraux d’investissements

de « nouvelle génération » ne cesse de s’accroître. Les mêmes dispositions qui

traduisent l’acceptation universelle de l’arbitrage international figurent aussi dans les

autres accords bilatéraux récents dont la Chine fait partie1534.

471. - L’extension de la sphère de l’arbitrage international contribue à rendre

possible le règlement par l’arbitrage international de tous les différends relevant des

1530 L’accord entre la Chine et le Barbados conclu en 1998 est le premier qui prévoit l’arbitrage international s’appliquant à tous les différends entre l’État hôte et l’investisseur étranger. 1531 V., article 9, paragraphe 3 de l’Accord sur l’encouragement et la protection des investissements entre le gouvernement de la République Populaire de Chine et le gouvernement de la République du Bostwana. 1532 V., article 1er du Protocole sur l’amendement de l’Accord sur la protection réciproque des investissements entre le gouvernement chinois et le gouvernment du Royaume de Suède, entrée en vigueur le 27 septembre 2004. 1533 V., CHEN An (sous la dir. de), Guoji touzi de xinfazhan yu zhongguo shuangbian touzi tiaoyue de xinshsijian (Le développement contemporain du droit international concernant les investissements et les nouvelles pratiques des accords bilatéraux d’investissements conclus par la Chine), op. cit., pp. 371 à 380 ; v., ausssi, « Should the four great safeguards in Sino-foreign BITs be hastily dismantled? », 7 J. World Investment & Trade 899 (2006). 1534 V., par example, article 9 de l’Accord sur l’encouragement et la protection réciproque des investissements entre le gouvernement de la République Populaire de Chine et le gouvernement de la République Fédérale d’Allemagne, entré en vigueur le 11 novembre 2005 ; article 9 de l’Accord entre le gouvernement chinois et le gouvernement russe, signé le 9 novembre 2006 ; article 9 de l’Accord entre le gouvernement chinois et le gouvernement d’Inde, signé le 21 novembre 2006.

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478

droits des investisseurs. En effet, la réserve de la Chine sur la compétence du CIRDI en

matière d’indemnisation en cas de dépossession n’est plus valable en vertu de la

Convention de Vienne sur le droit des traités qui prévoit les règles relatives à

l’application des traités successifs portant sur la même matière1535. Selon ces règles,

lors que toutes les parties au traité antérieur sont également parties au traité postérieur,

le traité antérieur ne s’applique que dans la mesure où ses dispositions sont

compatibles avec celles du traité postérieur1536. Il en résulte que les accords bilatéraux

de « nouvelle génération » rend caduc la réserve de la Chine sur la compétence du

CIRDI. D’ailleurs, l’apparition des accords bilatéraux de « nouvelle génération » aurait

pour effet de combler, par le biais de la clause de la nation la plus favorisée1537, la

lacune des anciens accords bilatéraux qui n’a pas prévu l’applicabilité de l’arbitrage

international sur tous les différends entre l’État hôte et l’investisseur étranger.

C’est-à-dire que la conclusion par la Chine des accords bilatéraux de « nouvelle

génération » peut élargir le champ d’application de l’arbitration international

auparavant limité par les anciens accords bilatéraux d’investissements étrangers.

L’extension de la compétence du tribunal d’arbitrage international est un avancement

significatif dans la mesure où les pratiques souveraines de l’État hôte peuvent ainsi être

encadrées par un mécanisme extérieur grâce à un arbitrage dont l’indépendance et la

neutralité sont mieux assurées. Quant aux mesures d’expropriation ou de

nationalisation prises par l’État hôte, elles peuvent faire l’objet d’un « contrôle »

extérieur, lorsque les investisseurs contestent leur légalité ou leur conventionnalité et

par conséquent les soumettent à l’arbitrage international sur la base des dispositions de

l’accord applicable.

472. - Il faut également souligner que l’extension de la compétence de l’arbitrage

international est encore renforcée par l’ « umbrella clause » qui figure presque

systématiquement dans les accords bilatéraux de « nouvelle génération ». Il s’agit 1535 V., Peter J. TURNER, « Investor-State arbitration », in Michael J. MOSER (éd.), Managing business disputes in today’s China, Duelling with dragons, Aspen Publishers, 2007, p. 234. 1536 V., article 30 (3), (4) (a) de la Convention de Vienne sur le droit des traités. La Chine a adhéré à la Convention le 5 mai 1997. 1537 V., Peter J. TURNER, « Investor-State arbitration », op. cit., p. 245; v., aussi, CIRDI, Gas Natural SDG SA c/ Argentine, n° ARB/03/10, décision sur des questions préliminaires relatives à la compétence, disponible sur le site http://www.asil.org/pdfs/GasNat.v.Argentina.pdf, consulté le 18 novembre 2008.

Page 487: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

479

d’une disposition par laquelle l’État hôte des investissements s’oblige à respecter les

engagements qu’il a souscrits à l’égard des investisseurs de l’autre État contractant. En

d’autres termes, les obligations de l’État en droit interne sont assimilées à des

obligations résultant de l’accord international1538 . Par la conclusion des accords

bilatéraux de « nouvelle génération », la Chine a désormais accepté cette

disposition1539. On en déduit que cette disposition influe sur la compétence rationae

materiae du tribunal d’arbitrage saisi en vertu de l’accord bilatéral, car le tribunal

d’arbitrage pourra, le cas échéant, être appelé à trancher les demandes relatives aux

engagements internes de l’État. Il s’agit en effet des contrats de l’État auxquels s’étend

l’arbitrage international1540. Avec l’expansion des investissements de la Chine comme

État exportateur, surtout vers les pays en voie de développement, la Chine sera plus

que jamais motivée à modifier son ancienne position, en admettant la portée juridique

de l’ « umbrella clause » qui a vocation d’élargir la compétence de l’arbitrage

international aux engagements contractuels1541. Car en ce faisant, la Chine peut mieux

rassurer les investisseurs chinois leurs intérêts dans les États hôtes par le biais de

l’accord international d’investissement1542.

(2). – Les limites à l’acceptation de l’arbitrage international sur tous les différends

entre l’État hôte et l’investisseur étranger

473. - L’une de ces limites consiste en ce que le recours en droit interne est exigé

comme constituant la procédure précédant l’arbitrage international. Par exemple, le

1538 V., Éric TEYNIER, « Umbrella clause : le temps se couvre », Gazette du Palais, n° 348, 14 décembre 2006, p. 30. 1539 V., par ex., article 9 (2) de l’Accord entre la Chine et la Jordanie, signé le 5 novembre 2001; article 13 (2) de l’Accord entre la Chine et la Trinité et Tobago, signé le 22 juillet 2002 ; article 3 (4) de l’Accord entre la Chine et les Pays-Bas, signé le 26 novembre 2001. 1540 V., Sophie LEMAIRE, notes sous la Décision du 25 septembre 2007, Comité ad hoc, CMS Gas Transmission Company c/ République d’Argentine, affaire CIRDI n° ARB/01/8, Revue de l’arbitrage, 2007, n° 4, pp. 905 à 910. 1541 V., Ko-Yung TUNG, Rafael COX-ALOMAR, « The new generation of China BITS in light of Tza Yap SHUM v. Republic of Peru », 17 Am. Rev. Int’l Arb. 461, pp. 465 à 467. 1542 V., ZHANG Lu, « Take care, Chinese enterprises going abroad will be well served by taking advantage of investment treaties », Chinese Business Weekly, 25-31 juillet 2005, p. 6.

Page 488: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

480

Protocole à l’Accord sino-allemand précise les conditions dans lesquelles peut être

invoqué l’arbitrage international. Primo, avant de pouvoir invoquer l’arbitrage

international pour régler les différends dans lesquels l’État chinois est défendant, les

ressortissants allemands doivent avoir préalablement sollicité la révision administrative

selon le droit chinois, alors que les différends demeurent non résolus après trois mois à

partir du moment où est déclenchée la procédure de révision administrative. Secundo,

au cas où les ressortissants allemands auraient porté plainte en justice, ils doivent

retirer leurs actions en justice avant d’invoquer l’arbitrage international. La spécificité

de l’Accord sino-allemand réside dans la disposition qui prévoit le recours à la révision

administrative comme condition préalable à l’arbitrage international. Toutefois, cette

condition ne s’applique qu’aux ressortissants allemands, par conséquent, semble être

incompatible avec le principe de traitement national des investisseurs en matière de

règlement des différends. L’Accord sino-espagnole1543, l’Accord sino-finlandais1544,

ainsi que l’Accord sino-suédois tel qu’il a été amendé en 2004, insistent également sur

cette exigence procédurale apparemment inégale. En revanche, selon certains autres

accords récemment conclus par la Chine avec les pays européens, la révision

administrative comme condition préalable à l’arbitrage international s’applique sans

distinction aux ressortissants des deux Parties contractantes1545. Quant à la raison de

l’insistance du gouvernement chinois pour insérer la procédure de la révision

administrative préalable à l’arbitrage international, il faut évoquer l’adoption en 1999

de la loi sur la révision administrative en Chine qui coïncide avec l’avènement des

accords bilatéraux de « nouvelle génération ». En effet, la loi sur la révision

administrative prévoit les procédures par lesquels les administrés peuvent demander la

révision par l’organe administratif supérieur des décisions administratives de l’organe

administratif inférieur qu’ils contestent. L’objectif est d’assurer la légalité des actes

1543 V., Protocole sur l’article 9 de l’Accord entre le gouvernement chinois et le gouvernement espagnole, signé le 14 novembre 2005. 1544 V., Protocole sur l’article 9 de l’Accord entre le gouvernement chinois et le gouvernement finlandais, signé le 15 novembre 2004. 1545 V., par exemple, article 3 du Protocole à l’Accord entre le gouvernement chinois et le gouvernement russe, signé le 9 novembre 2006 ; article 5 du Protocole à l’Accord entre le gouvernement chinois et le gouvernement portugais, signé le 9 décembre 2005 ; article 9 de l’Accord entre le gouvernement chinois et le gouvernent tchèque, signé le 9 décembre 2005.

Page 489: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

481

administratifs non pas par la voie de contentieux judiciaire mais par le mécanisme de

contrôle établi à l’intérieur du système administratif, ce qui pourrait par conséquent

soulager la charge des requêtes admises par les juridictions1546. La loi sur la révision

administrative prévoit, comme principe, que les administrés peuvent faire le choix

entre le contentieux juridictionnel et la révision administrative concernant les actes

administratifs qu’ils contestent, à l’exception de ceux pour lesquels la révision

administrative constitue la procédure obligatoire et préalable au contentieux

juridictionnel1547. Les accords susmentionnés qui exige la révision administrative

comme étant la procédure préalable et obligatoire à l’arbitrage international correspond

donc à la disposition de la loi dans la mesure où les différends entre l’investisseur

étranger et la Chine comme État hôte sont assimilés à ceux nés entre l’administré et

l’organe administratif en droit interne. Cependant, les accords bilatéraux

susmentionnés ont bien supprimé la possibilité pour l’investisseur étranger de faire le

choix entre la révision administrative et le contentieux juridictionnel. Selon certains

auteurs, la pratique ne traduit pas la méfiance du gouvernement chinois vis-à-vis de

l’arbitrage international, mais sa volonté de renforcer l’effectivité de la nouvelle loi sur

la révision administrative à travers l’application des accords bilatéraux

d’investissements1548.

474. - Outre la limite établie à l’égard de la relation entre la révision administrative

et l’arbitrage international, il y a d’autres problèmes qui doivent être relevés

concernant la mise en oeuvre des accords de « nouvelle génération ». Premièrement,

reste incertaine la question de savoir si les investisseurs –ressortissants des États qui

ont conclu les accords bilatéraux avec la Chine sans toutefois avoir élargi l’arbitrage

international à tous les différends– peuvent bénéficier des accords de « nouvelle

génération » en invoquant le traitement de la nation la plus favorisée1549. La réponse à

1546 V., Albert Hung-yee CHEN, An introduction to the legal system of the People’s Republic of China, 2004, pp. 228 et s. 1547 V., articles 14 et 16 de la loi sur la révision administrative. 1548 Stephan W. SCHILL, « Tearing down the Great Wall: the new generation investment treaties of the People’s Republic of China », op. cit., pp. 93 à 94. V., aussi, Susan D. FRANCK, « Foreign direct investment, investment treaty arbitration and the rule of law », 19 Pac. McGeorge Global Bus. & Dev. L.J. 337, p. 359. 1549 V., Kim M. ROONEY, « ICSID and BIT arbitrations and China », op. cit., pp. 707, 708.

Page 490: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

482

la question dépend de l’interprétation que l’on donne sur l’étendue de l’application du

traitement de la nation la plus favorisée. La jurisprudence récente du CIRDI a refusé

toutefois d’étendre l’applicabilité du traitement de la nation la plus favorisée aux droits

procéduraux des investisseurs1550. Ainsi peut-on en déduire que l’élargissement de

l’arbitrage international par les accords de « nouvelle génération » ne peut pas

bénéficier aux investisseurs couverts par les anciens accords dont la Chine est Partie

contractante. Cependant, il est possible que l’élargissement de la compétence de

l’arbitrage international soit reconnu par le revirement de la jurisprudence du CIRDI

ou par les tribunaux d’arbitrage internationaux ad hoc. D’où l’incertitude sur l’étendu

de la compétence de l’arbitrage international en vertu des anciens accords conclus par

la Chine.

Deuxièmement, alors que les accords de « nouvelle génération » ont élargi

l’arbitrage international à tous les différends concernant les investissements, le

gouvernement chinois n’a pas retiré sa notification au CIRDI sur la base de l’article 25

(4) de la Convention de Washington. Pour mettre les accords de « nouvelle

génération » en cohérence avec les engagements de la Chine sous la Convention de

Washington, il est donc souhaitable d’abandonner officiellement ladite notification, en

reconnaissant la compétence du CIRDI sur tous les différends d’investissement dans

lesquels la Chine est partie en tant qu’État hôte.

Enfin, l’élargissement de l’arbitrage international sur tous les différends

d’investissement doit être complété par les mécanismes d’exécution des décisions des

tribunaux d’arbitrage en droit interne, alors que l’immunité souveraine reste l’obstacle

majeur en la matière. Pour rassurer les investisseurs étrangers, le gouvernement chinois

ne doit l’invoquer qu’en des circonstances bien délimitées. Certes, la législation et les

pratiques sur l’immunité souveraine en Chine demeurent peu développées et

imprévisibles. D’où l’incertitude sur l’effectivité de l’élargissement de l’arbitrage

international par les accords d’investissement de « nouvelle génération ».

1550 V., CIRDI, Telenor Mobile Communications AS c/ République de Hongrie, n° ARB/04/15, §§ 90 à 95 ; Plama Consortium Limited c/ République de Bulgarie, n° ARB/03/24, § 223.

Page 491: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

483

§ 2. – Les garanties procédurales de règlement des différends à l’amiable

475. - De manière constante, les accords bilatéraux conclus par la Chine ont insisté

sur le règlement des différends à l’amiable. L’adhésion de la Chine à la Convention du

CIRDI et à la Convention de Séoul –à l’origine de la création de l’Agence

Multilatérale de Garantie des Investissements (AMGI)– a renforcé sa position sur la

question du règlement des différends à l’amiable. En accordant son consentement à la

compétence du CIRDI en matière de conciliation et sur d’autres moyens

supplémentaires (A), ainsi qu’au mandat de l’AMGI en matière de médiation (B), la

Chine s’est engagée à admettre l’intervention des organes internationaux pour aider à

régler les différends. Il semble que le règlement à l’amiable s’accommode mieux de la

tendance dans laquelle s’inscrivent de plus en plus d’affaires « dans lesquelles

l’investisseur ne prétend pas que l’État s’est approprié son investissement, mais lui fait

grief d’avoir adopté une mesure ou un comportement préjudiciable à son

investissement »1551. Outre les bénéfices apportés par l’impartialité et l’indépendance

des organes internationaux, les investisseurs étrangers peuvent tirer les conséquences

positives des conciliations et médiations ainsi institutionnalisées, qui sont moins

coûteuses1552, plus flexibles et souvent plus efficaces pour arriver à une solution ou

tout au moins prévenir l’aggravation des conflits entre l’État hôte et l’investisseur1553.

C’est la raison pour laquelle les accords bilatéraux conclus par la Chine ont mis

l’accent sur le règlement des différends à l’amiable dont l’utilisation constitue la

composante des garanties procédurales des droits et intérêts des investisseurs étrangers.

1551 Sébastien MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage entre États et ressortissants d’autres États : Trente années d’activité du CIRDI, op. cit., p. 440. 1552 Linda C. REIF, « Conciliation as a mechanism for the resolution of international economic and business disputes », 14 Fordham International Law Journal 580, (1990-1991), p. 628. 1553 V., Ibrahim F. I. SHIHATA, « The settlement of disputes regarding foreign investment: the role of the World Bank, with particular reference to ICSID and MIGA », op. cit., p. 115; Christopher M. KOA, « The international Bank for Reconstruction and Development and dispute resolution: Conciliating and arbitrating with China through the International Centre for Settlement of Investment Dispute », op. cit., pp. 441 et 442; Erik LANGELAND, « The viability of conciliation in international dispute resolution », 50-SEP Disp. Resol. J. 34, p. 35.

Page 492: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

484

A. – Le règlement à l’amiable des différends dans le cadre du CIRDI

476. - Par son caractère flexible et non contraignant, le mécanisme de règlement à

l’amiable des différends qui est établi par la Convention du CIRDI (1) correspond à la

préférence des accords bilatéraux sur la mode de règlement des différends (2), d’autant

plus que la Chine considère le règlement à l’amiable comme le choix prioritaire quant

à la résolution des différends.

(1). – Le mécanisme de règlement à l’amiable établi par la Convention du CIRDI

477. - Le Chapitre III de la Convention du CIRDI dispose de la conciliation entre un

État contractant et les ressortissants d’un autre État contractant. L’article 28 de la

Convention du CIRDI prévoit qu’un État contractant ou le ressortissant d’un autre État

contractant qui désire entamer une procédure de conciliation doit adresser une requête

écrite au Secrétaire général. La procédure de conciliation est déclenchée dès que la

requête est enregistrée par le Secrétaire général et dès que l’enregistrement de la

requête est notifié aux parties1554. La demande en conciliation est d’autant plus facilitée

que la Convention du CIRDI n’exige pas le consensus préalable des deux parties

comme condition préalable à la procédure de conciliation. Alors que la Convention

laisse aux parties une grande marge de discrétion quant à la construction de la

Commission de conciliation, elle s’attache à empêcher que la procédure de conciliation

n’échoue par suite du défaut d’accord des parties ou du manque de coopération de

l’une d’entre elles1555. En effet, étant donné le caractère consensuel des procédures

prévues par la Convention, lors d’une procédure de conciliation, les parties peuvent se

mettre d’accord sur les règles de procédure à appliquer ; toutefois, le Règlement de

conciliation adopté par le Conseil administratif s’applique dans la mesure où les parties

n’ont pas convenu autrement1556. D’ailleurs, à la différence de la procédure d’arbitrage,

la procédure de conciliation se caractérise par le but de la Commission consistant à 1554 V., article 1er du Règlement de procédure relatif aux instances de conciliation, adopté par le Conseil administratif du CIRDI en vertu de l’article 6 (1) (c) de la Convention du CIRDI. 1555 V., CIRDI, Rapport des Administrateurs sur la Convention du CIRDI, § 35. 1556 V., article 33 de la Convention du CIRDI.

Page 493: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

485

rapprocher les parties, en leur proposant des solutions non contraignantes.

478. - Par le Règlement du Mécanisme supplémentaire adopté par le Conseil

administratif du CIRDI, le Secrétariat du CIRDI est autorisé à administrer certaines

procédures entre États et ressortissants d’autres États qui ne sont pas dans le champ

d’application de la Convention du CIRDI. Il s’agit de procédures de constatation des

faits, de procédures de conciliation ou d’arbitrage pour le règlement de différends

relatifs aux investissements surgissant entre des parties dont l’une n’est ni un État

contractant ni le ressortissant d’un État contractant, et en fin, de procédures de

conciliation ou d’arbitrage entre des parties dont l’une au moins est un État contractant

ou le ressortissant d’un État contractant pour le règlement de différends ne résultant

pas directement d’un investissement, à condition que la transaction sous-jacente ne soit

pas une transaction commerciale ordinaire1557.

(2). – La préférence des accords bilatéraux sur le règlement à l’amiable des différends

479. - Dans les accords bilatéraux d’investissements conclus par la Chine, le

règlement à l’amiable des différends est placé en amont parmi les choix qui sont

ouverts à l’État hôte et à l’investisseur étranger. Par exemple, l’article 8, alinéa 1er, de

l’Accord franco-chinois dispose que « tout différend relatif aux investissements entre

l’une des Parties contractantes et l’investisseur d’une autre Partie contractante est

autant que possible réglé à l’amiable entre les parties du litige ». L’expression «

autant que possible » traduit donc la préférence du règlement à l’amiable sur d’autres

formes de recours. Et en vertu de l’aliéna 2 du même article, ce n’est qu’après

l’écoulement d’un délai de six mois à partir du moment où le règlement du différend à

l’amiable est soulevé que d’autres formes de recours peuvent être utilisées. La

préférence en matière de règlement des différends à l’amiable figure également dans

d’autres accords bilatéraux, par la pareille formulation des dispositions relative au

règlement des différends. Il en est ainsi, par exemple, de l’article 10 de l’Accord entre

l’Union économique Belgo-luxembourgeoise et le gouvernement chinois, conclu le 4

juin 1984 ; de l’article 8, alinéa 1er de l’Accord entre le gouvernement du 1557 CIRDI, Règlement du mécanisme supplémentaire, avril 2006, p. 5.

Page 494: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

486

Royaume-Uni et le gouvernement chinois. La préférence au règlement à l’amiable est

maintenue même dans les accords de « nouvelle génération ». Il s’agit, par exemple, de

l’article 9, alinéas 1er et 2, de l’Accord entre le gouvernement allemand et le

gouvernement chinois conclu le 1er décembre 2003 ; de l’article 10, alinéa 1er de

l’Accord entre le gouvernement néerlandais et le gouvernement chinois conclu en 1985

et modifié en 2001 ; de l’article 9, alinéa 1er du deuxième accord bilatéral

d’investissement entre le gouvernement finlandais et le gouvernement chinois conclu

le 15 novembre 2004.

480. - Il faut toutefois souligner que la conciliation et le mécanisme supplémentaire

de règlement des différends ont été relativement peu utilisés dans la pratique du

CIRDI1558, et ce, en dépit des accords conclus par la Chine sur le règlement amiable

des différends. Mais la préférence portant sur le règlement des différends

d’investissement qui s’enracine dans la tradition chinoise en matière de traitement des

conflits commerciaux peut conduire, à l’avenir, à accepter plus aisément la conciliation

du CIRDI1559. Cette hypothèse a été d’autant plus fondée qu’il existait un cas concret

dans lequel ont été évités d’éventuels contentieux entre des investisseurs étrangers et

l’autorité gouvernementale chinoise grâce à la médiation de l’AMGI.

B. – La médiation de l’AMGI

481. - En intégrant la médiation dans l’exécution du contrat de garantie des

investissements, le mécanisme de médiation établi par la Convention de Séoul (1)

facilite l’intervention de l’AMGI dans la prévention des différends d’investissements.

En témoigne l’expérience de médiation de l’AMGI en Chine (2).

1558 CIRDI, Rapport annuel 2004, p. 3; Ucheora, ONWUAMAEGBU, « The role of ADR in investor-State dispute settlement: the ICSID experience”, in News from ICSID, vol. 22, n° 2, 2005, p. 14. 1559 Christopher M. KOA, « The International Bank for Reconstruction and Development and dispute resolution: conciliating and arbitrating with China through the International Centre for Settlement of Investment Dispute », op. cit., p. 488; v., aussi, Thomas PEELE, Marsha A. COHAN, « Dispute resolution in China », CHINA BUS.REV., Sept.-Oct. 1988, p. 46; William B. GRENNER, « The evolution of foreign trade arbitration in the People’s Republic of China », 21 N.Y.U.J.INT'L L. & POL. 293 (1989).

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487

(1). – Le mécanisme de médiation établi par la Convention de Séoul

482. - Encourager le règlement à l’amiable des différends entre investisseurs et pays

d’accueil est l’un des mandats de l’AMGI, selon l’article 23 b) (i) de la Convention de

Séoul1560. La Chine a ratifié la Convention le 30 avril 1988 et depuis lors, l’AMGI a

joué un rôle actif pour la promotion des investissements directs en Chine1561. Dans le

cadre du contrat de garantie établi avec l’AMGI, la médiation intervient notamment sur

l’initiative des investisseurs dans leur volonté d’être rassurés concernant leurs

investissements dans l’État hôte. En effet, au cas où certains problèmes qui pourraient

être qualifiés de risques garantis surgiraient dans l’État hôte, les investisseurs peuvent

les signaler à l’attention de l’AMGI afin de les résoudre sous l’égide de celle-ci. Si les

problèmes ne sont pas réglés dans un temps adéquat, des indemnités doivent être

versées par l’AMGI à l’investisseur. L’intervention préalable au versement des

indemnités par l’AMGI s’est avérée efficace pour parvenir au règlement à l’amiable

des différends1562. En effet, selon la règle de subrogation, dès lors qu’elle verse ou

accepte de verser une indemnité à un investisseur garanti, l’AMGI est subrogée dans

les droits ou créances dont peut disposer l’investisseur garanti. Les droits ainsi

conférés à l’AMGI sont reconnus par les États membres de la Convention1563 .

L’acceptation de la médiation de l’AMGI est d’autant plus facilitée que les pays

d’accueils se révèlent enclins à éviter l’exercice ultérieur des droits de subrogation par

l’AMGI qui a lieu après le versement des indemnités.

1560 Conclue à seoul le 11 octobre 1985 et entrée en vigueur le 12 avril 1988. V., aussi Commentaire sur la Convention portant création de la MIGA, paragraphe 43, disponible sur le site http://www.miga.org/sitelevel2/level2.cfm?id=1108. 1561 V., Lorin WEISENFELD, « MIGA in China », Transnational Dispute Management, Vol. 3, n° 2, avril 2006; Angela GENTILE, Philippe VALAHU, « MIGA in China », China Business Review, disponible sur le site http://www.chinabusinessreview.com/public/0403/miga.html, consulté le 12 août 2007. 1562 V., Lorin WEISENFELD, « MIGA after fifteen years », in CHEN An (éd.), Guoji jingjifa niankan (Journal of International Economic Law), Vol. 9, 2004, p. 185; MIGA, Setting disputes through mediation, disponible sur le site http://www.miga.org/sitelevel2/level2.cfm?id=1061, consulté le 13 août 2007. 1563 V., article 18 a), b) de la Convention portant création de la MIGA.

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488

(2). – L’expérience de médiation de l’AMGI en Chine

483. - L’utilité de la médiation dans la prévention des différends d’investissement a

eu l’occasion de se manifester à travers un cas concret en Chine1564. C’était une affaire

relevant de la société américaine El Paso Corporation. À la fin des années 90, des

gouvernements locaux de la province du Jiangsu décidèrent de réduire le prix d’achat

de l’électricité auparavant fixé par les contrats qu’ils eurent établis avec les usines

génératrices sous forme d’entreprises à capitaux étrangers dont les actions majoritaires

furent détenues par la société américaine El Paso Corporation. En tant qu’investisseur

étranger, celle-ci prétendit avoir subi de lourdes pertes découlant de la modification

unilatérale des clauses du contrat décidée par les gouvernements locaux. Après de

vaines négociations avec les gouvernements locaux, l’investisseur signala l’affaire à

l’AMGI afin d’obtenir une assistance pour régler ce problème. En effet, à la demande

de l’investisseur et sous l’approbation de l’autorité gouvernementale compétente de la

Chine, l’AMGI avait garanti les investissements contre les risques politiques –y

compris l’expropriation– concernant la violation du contrat. Selon l’investisseur

américain, la réduction unilatérale du prix d’achat par les gouvernements locaux

chinois constituait par sa nature et ses conséquences un risque d’expropriation au sens

large qui était couvert par le contrat de garantie. Cette thèse était partagée par l’AMGI,

qui entrait par la suite dans des discussions avec les autorités locales chinoises. Alors

que ces dernières exprimait toujours leur volonté de régler la dispute à l’amiable afin

de se dispenser du versement de l’indemnité, elles refusaient à admettre que la

modification unilatérale du contrat constituait une expropriation. Pour justifier leur

position, les autorités locales soulignaient qu’elles avaient agi de bonne foi en

exécutant la politique du gouvernement central destinée à la protection des

consommateurs d’électricité : en résumé, selon les autorités locales chinoises, l’intérêt

légitime de l’État hôte dans la réglementation des investissements l’emportait dans

cette affaire sur les droits des investisseurs. La médiation de l’AMGI s’établissait à

1564 V., MIGA, Agency averts claim for power project in China, 13 janvier 2005, le reportage est disponible sur le site http://www.miga.org/sitelevel2/level2.cfm?id=1173#highlights, consulté le 11 août 2007.

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489

travers de longues négociations. En s’appuyant sur le principe pacta sunt servanda,

l’AMGI insistait sur la violation du contrat par les autorités chinoises qui constituait

une mesure d’expropriation. Finalement, les gouvernements locaux chinois et

l’investisseur américain furent parvenus à un compromis. L’affaire fut résolue puisque

les gouvernements locaux émirent leur accord en s’engageant à compenser les pertes

de la société américaine par le réaménagement du contrat d’investissement avec

celle-ci, tout en évitant le versement des indemnités imposé par l’AMGI en vertu du

contrat de garantie. Les gouvernements locaux chinois déclarèrent satisfaits du résultat

de la médiation et apprécièrent l’assistance de l’AMGI dans l’affaire1565. Cet exemple

d’intervention de l’AMGI a montré l’importance de la méthode coopérative dans le

règlement des différends. Pour la Chine, cette expérience de participation à la

médiation fournie par l’AMGI peut nourrir sa confiance concernant l’intervention des

organes internationaux qui se comportent comme des « courtiers honnêtes» quand il

s’agit de parvenir à un règlement à l’amiable des différends.

SECTION II. – L’INTERNATIONALISATION DU DROIT CHINOIS EN

MATIÈRE DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

484. - La protection de la propriété intellectuelle s’internationalise dans les deux

domaines de la protection des droits fondamentaux et du droit international

économique. En premier lieu, la propriété intellectuelle bénéficie de la protection des

droits fondamentaux : en droit français, l’article L. 111-1 du Code de la propriété

intellectuelle fait naître, pour la personne qui est l’auteur d’une oeuvre de l’esprit, et

relativement à ce bien, « un droit de propriété incorporelle, exclusif et opposable à

tous ». Alors qu’aucun des modes d’acquisition des biens énumérés par le Code civil

n’était apte à permettre l’établissement d’un rapport de propriété entre les créations

immatérielles et leurs auteurs ou leurs possessions, le pouvoir d’exclusivité reconnu

par l’article 544 du Code civil « fait que les créations immatérielles entrent dans la

sphère de cette disposition », et par conséquent, « les propriétés incorporelles sont des

propriétés », sous les aménagements qui donnent à l’article 544 du Code civil des 1565 Lorin WEISENFELD, « MIGA after fifteen years », op. cit., p. 175.

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490

corps particuliers de règles1566. Sur le plan européen, la propriété intellectuelle fait

désormais l’objet d’une mention explicite à l’article 17, paragraphe 2, de la Charte des

droits fondamentaux de l’Union européenne, en raison de son importance croissante et

en l’absence d’harmonisation complète des droits de propriété intellectuelle dans le

cadre communautaire1567. Alors que la Charte ne retient qu’une formulation assez

générale –« la propriété intellectuelle est protégée »– en raison des divergences des

droits internes des États membres1568, la protection de la propriété intellectuelle entre

dans le champ du droit communautaire notamment dans le cadre du marché unique où

la législation communautaire intervient pour harmoniser des règles nationales1569. En

vertu de la Charte, les garanties prévues au paragraphe 1er de l’article 17 s’appliquent

de façon appropriée à la propriété intellectuelle1570. L’essentiel de la rédaction du

paragraphe 2 de l’article 17 tient au fait que la propriété intellectuelle y est

mentionnée1571. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme affirme

1566 Thierry REVET, « Le Code civil et le régime des biens : questions pour un bicentenaire », Droit et Patrimoine, n° 124, mars 2004 ; Christophe CARON, « Du droit des biens en tant que droit commun de la propriété intellectuelle », loc. cit. Contra, Christian ATIAS, Droit civil les biens, 8e éd., Litec, 2005, n° 651. 1567 Jaqueline DUTHEIL DE LA ROCHERE, « La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », Juris-Classeur, fasc. 160, 2001, n° 67. 1568 On rappelle que le paragraphe 2 de l’article 17 est dû à une proposition formulée par M. Braibant vers la fin des travaux de la Convention et qu’il a eu beaucoup de mal à faire accepter. Les objections faites tenaient à la difficulté et à la complexité du sujet et peut-être aussi aux différentes conceptions qui s’opposent sur ces questions, notamment entre l’Europe continentale et les pays anglo-saxons. Certains membres de la Convention ont soutenu que l’amendement proposé par M. BRAIBANT serait inutile parce que la propriété intellectuelle était couverte par des dispositions générales sur le droit de propriété. Certes, la raison d’insérer la propriété intellectuelle selon M. BRAIBANT tient à ce que l’un des éléments essentiels de la propriété littéraire et artistique est constitué par le droit moral de l’auteur, qui est étranger à la définition générale de la propriété ; de même les œuvres protégées tombent dans le domaine public après un certain délai et peuvent, dès lors, être reproduites librement. V., Guy BRAIBANT, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Paris, Édition du Seuil, 2001, p. 144. 1569 Par excellence, le règlement du Conseil (CE) no 40/94 du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire reconnaît dans son article 24 « la demande de marque communautaire comme objet de propriété ». 1570 V., Texte des explications relatives au texte complet de la Charte, Bruxelles, le 19 octobre 2000, CHARTE 4473/1/00 REV 1. 1571 Guy BRAIBANT, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Paris, Édition du Seuil, 2001, p. 144. Il existait des divergences sur la qualification de la propriété intellectuelle comme droit de l’homme fondamental : pour les uns, la propriété intellectuelle doit être garantie en tant que

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491

sans équivoque l’applicabilité de l’article 1er du Protocole n° 1 à la propriété

intellectuelle 1572 . Sur le plan mondial, l’Organisation mondiale de la propriété

intellectuelle affirme également que les droits de propriété intellectuelle sont des droits

de propriété comme les autres1573; ces droits protègent les intérêts des créateurs en leur

reconnaissant le droit de propriété sur leur création1574.

485. - Avec l’apparition de l’Accord sur les Aspects des Droits de Propriété

Intellectuelle qui Touchent au Commerce (ADPIC), l’internationalisation du droit de

propriété intellectuelle se voit renforcée dans le domaine du droit international

économique. Le renforcement de la protection des droits de propriété intellectuelle au

niveau mondial ne suscite pas moins de problèmes quant au règlement des conflits

entre le régime relatif aux droits de propriété intellectuelle contenu dans l’Accord sur

les ADPIC et le droit international relatif aux droits de l’homme, dans la mesure où

l’application de l’Accord sur les ADPIC fait l’obstacle au transfert de technologies vers

les pays en développement1575. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels

a bien souligné que les droits de propriété intellectuelle sont instrumentaux, en ce

qu’ils sont des moyens dont les États peuvent se servir pour promouvoir l’esprit

d’innovation et de créativité, pour encourager la diffusion de productions créatives et

droit fondamental, comme la propriété tout court, v., par ex., Giuseppe SENA, « Propriété intellectuelle en tant que droit fondamental », in Les nouveaux droits de l’homme en Europe, Bruylant, Bruxelles, 1999, p. 231. Toutefois, pour certains auteurs, tous les droits de propriété intellectuelle ne sont pas des droits de l’homme en tant que droits de propriété : le droit d’auteur ressemble sans doute beaucoup au droit de propriété, mais, cela peut difficilement fonder sa qualification en tant que droit de l’homme. V., par ex., Michel VIVANT, « Le droit d’auteur, un droit de l’homme ? », Revue Internationale du droit d’auteur, 1997, p. 85. 1572 La jurisprudence européenne en la matière est abondante, par ex., Commission Européenne des droits de l’homme, Smith Kline et French Laboratories Ltd c. Pays Bas, no 12633/87, décision du 4 octobre 1990, Décisions et rapports (DR) 66, p. 70 ; Lenzing AG c. Royaume-Uni, no 38817/97, décision du 9 septembre 1998, décision non publiée; British-American Tobacco Company Ltd c. Pays-Bas, 20 novembre 1995, série A no 331,avis de la Commission, p. 37, §§ 71-72 ; Hiro Balani c. Espagne, 9 décembre 1994, série A no 303-B, p. 30, § 28 ; Melnitchouk c. Ukraine (déc.), no 28743/03, CEDH 2005-IX ; Breierova et autres c. République tchèque (déc.), no 57321/00, 8 octobre 2002. 1573 L’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, Qu’est-ce que la propriété intellectuelle ?, publication de l’OMPI, n° 450 (F), p. 3. 1574 L’Organisation Mondiale de Propriété Intellectuelle, Understanding Industrial Property, publication de l’OMPI, n° 895 (E), p. 3. 1575 Sous-Commission des droits de l’homme, Droits de propriété intellectuelle et droits de l’homme, Résolution 2000/7, 25e séance, 17 août 2001; Résolution 2001/21, 26e séance, 16 août 2001.

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492

innovantes, ainsi que le développement d’identités culturelles, et pour préserver

l’intégrité des productions scientifiques, littéraires et artistiques, dans l’intérêt de la

société dans son ensemble1576. S’inscrivant dans la recherche d’une conciliation entre

droits de l’homme et marché, l’adoption successive de la Déclaration sur l’Accord sur

les ADPIC et la santé publique1577, la Décision sur la mise en œuvre du paragraphe 6

de la Déclaration de Doha sur l’accord sur les ADPIC et la santé publique1578 et la

Décision sur l’amendement de l’Accord sur les ADPIC1579 ouvre la voie à « un ‘bien

public mondial’ confronté au droit des brevets »1580.

486. - Le droit chinois participe aussi à cette internationalisation du droit de

propriété intellectuelle qui se situe dans le processus de l’émergence d’une

communauté de valeurs que le droit a pour rôle d’ordonner. Les normes internationales

sont intégrées dans l’ordre juridique chinois du fait de la conclusion des accords

bilatéraux relatifs à la protection des droits de propriété intellectuelle, de l’adhésion à

l’Accord sur les ADPIC et de la ratification de la Décision sur l’amendement de

l’Accord sur les ADPIC1581 (Sous-section 1). En plus des travaux législatifs de

transposition en vue de se rapprocher du critère international de la protection des

propriétés intellectuelles, la mise en oeuvre effective des droits demeure un pas à

franchir. Sur le plan international, notamment dans le cadre de l’OMC, l’exécution par

le gouvernement chinois de ses engagements en matière de protection des droits de

propriété intellectuelle demeure la première préoccupation des partenaires

commerciaux de la Chine1582 . La mise en oeuvre des garanties de la propriété

1576 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, trente-cinquième session (2005), Le droit de chacun de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur (par. 1 c) de l’article 15 du Pacte), Observation générale n° 17, 12 janvier 2006, E/C.12/GC/17, paragraphe 1. 1577 Adoptée le 14 novembre 2001 par la 4e Conférence ministérielle de l’OMC tenue à Doha. 1578 Adoptée par le Conseil général le 30 août 2003. 1579 Adoptée par le Conseil général le 6 décembre 2005. 1580 V., Mirelle DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (IV) : vers une communauté de valeurs, à paraître. 1581 La Chine a publié le Décret du 29 novembre 2005 pour transposer dans son droit interne les règles de l’OMC concernant la modification de l’Accord sur les ADPIC relatives à la santé publique. V., Junmin REN, « La transposition et la mise en oeuvre des dispositions de l’OMC en faveur de la santé publique : le cas du droit chinois », Revue internationale de droit comparé, 2008, pp. 168 et s. 1582 V., OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, République Populaire de

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493

intellectuelle en Chine demeure soumise à l’insistance répétée de la communauté

internationale. Avec l’entrée de la Chine à l’OMC, la transposition et l’application

concrète des normes internationales contenues dans l’Accord sur les ADPIC sont

désormais les deux principaux aspects de l’internationalisation du droit chinois en

matière de propriété intellectuelle. Encore faut-il souligner que dans un long terme

l’importance de l’Accord sur les ADPIC peut s’étendre à d’autres domaines du droit

chinois, y compris en ce qui concerne la protection de la propriété (Sous-section 2).

Sous-section 1. – L’intégration des normes internationales de propriété

intellectuelle dans l’ordre juridique interne chinois

487. - Depuis le lancement de la politique d’ouverture, le gouvernement attache

l’importance particulière à la construction du droit de propriété intellectuelle. Pendant

vingt ans, la Chine fit partie de la majorité des conventions internationales en matière

de propriété intellectuelle1583. L’accession de la Chine à l’OMC a pour fonction de

consolider les engagements internationaux pris par la Chine en matière de protection

des droits de propriété intellectuelle, non seulement sur le plan législatif, mais surtout

au regard de l’effectivité des normes transposées. L’intégration des normes

internationales de propriété intellectuelle dans l’ordre juridique interne chinois passe

Chine (révision), WT/TPR/S/161/Rev.1, 26 juin 2006, Observations récapitulatives, p. xiii. 1583 Depuis son adhésion à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (WIPO) en 1980, la Chine a adhéré successivement à une dizaine de conventions et d’accords internationaux multilatéraux. Il s’agit de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, du Traité de coopération en matière de brevets, du Traité de Budapest sur la reconnaissance internationale du dépôt des micro-organismes aux fins de la procédure en matière de brevets, de l’Arrangement de Locarno instituant une classification internationale pour les dessins et modèles industriels, de l’Arrangement de Madrid concernant l’enregistrement international des marques, de l’Arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du Protocole relatif à l’Arrangement de Madrid concernant l’enregistrement international des marques, de la Convention internationale pour la protection des obtentions végétale, de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, de la Convention universelle sur le droit d’auteur, de la Convention pour la protection des producteurs de phonogrammes contre la reproduction non autorisée de leurs phonogrammes. En date du 9 mars 2007, la Chine a ratifié le Traité sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, le Traité sur le droit d’auteur. La préparation de l’adhésion à la Convention internationale sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion (Convention de Rome 1961) est en cours.

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494

par la transposition des normes et des moyens de protection des droits de propriété

intellectuelle (§ 1), mais aussi par la mise en oeuvre des garanties de la propriété

intellectuelle sous l’effet incitatif du droit international (§ 2).

§ 1. – La transposition des normes et moyens de protection des droits de

propriété intellectuelle

488. - Les démarches effectuées en vue de l’accession de la Chine à l’OMC, qui

concernent tous les domaines de la propriété intellectuelle, traduisent bien la volonté

des instances dirigeantes de renforcer encore leur système légal, tant au niveau de la

protection des droits qu’à celui de leur défense. Ceci concerne d’abord la prise des

engagements lors des négociations pour enter dans l’OMC (A), ensuite la transposition

des dispositions de l’ADPIC en droit interne (B).

A. – Les engagements pris lors des négociations pour l’accession à

l’OMC

489. - Les engagements pris par le gouvernement chinois en matière de propriété

intellectuelle pour l’accession à l’OMC relèvent non seulement des normes sur les

droits substantiels de propriété intellectuelle (1), mais aussi les moyens de faire

respecter ce droit (2) dont l’objectif est d’assurer une véritable intégration de l’Accord

sur les ADPIC en droit interne chinois.

(1). – Les normes des droits de propriété intellectuelle

490. - L’acceptation de l’accord sur les ADPIC par la Chine s’est intégrée dans le

processus de négociation concernant son accession à l’OMC. Les Parties contractantes,

par le biais du Groupe de travail de l’accession de la Chine à l’OMC, avaient prévu des

engagements concrets en matière de propriété intellectuelle, condition sine qua non à

l’accession de la Chine à cette organisation. Pendant le processus de négociation,

notamment au moment de l’examen de la demande d’accession par le Groupe de

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495

travail, le gouvernement chinois accepta volontairement les normes relatives aux

propriétés intellectuelles protégées par l’accord sur les ADPIC, afin de recueillir les

accords des Parties contractantes. Ainsi, le gouvernement chinois déclara : « bien qu’il

en soit aux premiers stades de son développement, le système chinois de protection des

droits de propriété intellectuelle avait pour but d’acquérir une dimension mondiale et

de s’aligner sur les normes internationales »1584. Il faut rappeler que le gouvernement

chinois prit une part active à des négociations commerciales multilatérales du GATT

lors du cycle d’Uruguay et parapha l’Acte final comportant le projet final de

l’ADPIC 1585 . À partir de 1993, les juristes ainsi que les officiers chinois se

préoccupèrent plus que jamais de la situation de la propriété intellectuelle en Chine et

proposèrent le renforcement de la protection des droits de propriété intellectuelle par la

mesure législative en rapprochant le droit chinois de l’Accord sur les ADPIC pour le

but d’accession à l’OMC1586.

491. - À la suite de l’institution de l’OMC en 1995, le gouvernement chinois

présenta une demande d’accession. Durant l’examen mené par le Groupe de travail

concernant cette accession, le représentant du gouvernement chinois évoqua bien des

modifications supplémentaires apportées à la loi sur les brevets, pour manifester la

détermination de la Chine à adhérer à l’Accord sur l’OMC et à l’Accord sur les ADPIC.

La Chine promit d’ailleurs que dès que l’accession de la Chine serait effective, des

modifications seraient également apportées à la loi sur les droits d’auteur et à la loi sur

les marques de fabrique ou de commerce, ainsi qu’aux règlements d’application

couvrant différents domaines de l’Accord sur les ADPIC1587. L’examen par le Groupe

de travail des incompatibilités du droit chinois avec le critère de la protection de

propriété intellectuelle fut conçu comme étant une sorte de guide pour la législation

1584 OMC, Rapport du Groupe de travail de l’accession de la Chine, 1er octobre 2001, WT/ACC/CHN/49, p. 56. 1585 Office d’information du CAE, La protection de la propriété intellectuelle en Chine, livre blanc publié en juin 1994, disponible sur le site http://french.china.org.cn/fa-book/menu18.htm, consulté le 9 août 2008. 1586 V., ZHENG Chengsi, Zhishi chanquan fa (Droit des propriétés intellectuelles), Pékin, Law Press China, 1997, p. 113. 1587 Organisation Mondiale du Commerce, Rapport du Groupe de travail de l’accession de la Chine, 1er octobre 2001, WT/ACC/CHN/49, p. 58.

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496

chinoise en la matière, puisque cet examen consista à indiquer les mesures concrètes

que le gouvernement chinois devrait prendre pour adapter sa politique et ses mesures

législatives aux exigences de l’Accord sur les ADPIC. La délégation chinoise rassura

d’ailleurs le Groupe de travail en insistant sur le fait que le gouvernement chinois

s’engagea à rendre compatible son droit interne avec l’Accord sur les ADPIC, tout en

précisant les mesures concrètes que ce gouvernement adopterait dès qu’il accèderait à

l’OMC. Il s’agit, entre autres, de la modification des lois, des règlements et des autres

mesures pertinentes servant à garantir l’application du traitement national et du

traitement en vigueur dans le pays le plus favorisé aux détenteurs de droits étrangers

pour tous les droits de propriété intellectuelle conformément à l’Accord sur les

ADPIC1588. À ces mesures s’ajoutèrent l’accélération du processus de modification de

la loi sur les droits d’auteur1589, la modification de la loi sur les marques de fabrique ou

de commerce pour la rendre pleinement conforme à l’Accord sur les ADPIC1590 et

l’amélioration de la loi sur les brevets par la prise en compte des dispositions

pertinentes de l’Accord sur les ADPIC1591.

(2). – Les moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle

492. - En plus des normes concernant les droits substantiels de propriété

intellectuelle, le deuxième grand ensemble de dispositions concernent les procédures et

les mesures correctives internes destinées à faire respecter les droits de propriété

intellectuelle. L’Accord sur les ADPIC énonce certains principes généraux auxquels

toutes les procédures destinées à faire respecter les droits de propriété intellectuelle

doivent être conformes afin que leur efficacité soit garantie et que certains principes

fondamentaux nécessaires à une procédure régulière soient respectés. Il contient en

outre des dispositions relatives aux procédures et mesures correctives civiles et

administratives, aux mesures provisoires, aux prescriptions spéciales concernant les

mesures à la frontière et aux procédures pénales, qui indiquent, de façon assez détaillée, 1588 V., OMC, Rapport du Groupe de travail de l’accession de la Chine, op. cit., § 256. 1589 Ibid., § 259. 1590 Ibid., § 263. 1591 Ibid., §§ 274, 275.

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497

les procédures et mesures correctives devant être prévues pour permettre à ceux qui

détiennent des droits de les faire respecter avec efficacité. L’objectif de l’Accord sur

les ADPIC est double: d’une part, faire en sorte que des moyens efficaces de faire

respecter les droits de propriété intellectuelle soient mis à la disposition des détenteurs

de droits et, d’autre part, veiller à ce que ces procédures soient appliquées de manière à

éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre

leur usage abusif. Les règles procédurales entendent établir la balance entre la

protection effective des droits de propriété intellectuelle et la prévention de l’abus de

droit.

493. - Pendant le processus de négociations, la délégation chinoise affirma les

engagements du gouvernement chinois concernant les moyens de faire respecter les

droits de propriété intellectuelle. Ces moyens relèvent des mesures provisoires des

autorités judiciaires1592, des procédures et mesures correctives administratives1593, de la

prescription spéciale concernant les mesures à la frontière1594, ainsi que des procédures

pénales contre le piratage et la contrefaçon1595. Le Groupe de travail concernant

l’accession de la Chine ne se contenta pas de simplement indiquer les écarts entre la

législation chinoise en matière de propriétés intellectuelles et l’Accord sur les ADPIC,

il s’intéressa davantage aux moyens de faire respecter les droits de propriété

intellectuelle. Le Groupe de travail bien indiqua au gouvernement chinois des mesures

concrètes relatives à l’exécution des lois et règlements en matière de propriété

intellectuelle. La délégation s’avéra assez coopérative avec le Groupe de travail. Il en

fut ainsi que, face aux préoccupations des membres du Groupe de travail sur

l’insuffisance des dommages-intérêts concernant la réparation de la perte subie par le

détenteur du droit, la délégation chinoise réaffirma l’engagement du gouvernement à

modifier les règles en cause pour les mettre en pleine conformité avec les dispositions

de l’Accord sur les ADPIC1596.

1592 Ibid., § 296. 1593 Ibid., § 299. 1594 Ibid., § 302. 1595 Ibid., § 304. 1596 Ibid., § 292.

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B. – La transposition des dispositions de l’ADPIC en droit interne

494. - Comme conséquence des engagements pris lors des négociations pour

l’accession à l’OMC, le gouvernement chinois commença à remplir ses obligations de

transposer les dispositions de l’ADPIC en droit interne par des travaux législatifs

d’envergure (1) bien avant son accession à l’OMC. Cette transposition n’a pas encore

touché à sa fin jusqu’à présent et la prospective du droit chinois en matière de propriété

intellectuelle peut se caractériser par une amélioration progressive avec l’implication

plus approfondie de la Chine dans l’économie mondiale (2).

(1). – Les travaux législatifs entrepris pour assumer les engagements

495. - Pour se préparer à son accession à l’OMC, la Chine entreprit des travaux

législatifs par lesquels les principales lois de propriété intellectuelle révisées pour les

mettre en conformité aux standards imposés par l’Accord sur les ADPIC. La loi sur les

brevets adoptée en 1984, déjà révisée en 1992, le fut une seconde fois en 2000. Par

cette seconde révision, la révision judiciaire des décisions administratives fut introduite.

Les déposants de brevet furent reconnus le droit de demander un recours devant les

tribunaux contre toutes les décisions de l’Office National de la Propriété Intellectuelle

en matière d’examen des demandes de brevets. D’autres modifications non

négligeables consistent à ce que les droits du titulaire du brevet furent affermis, à ce

que le statut de l’inventeur salarié fut amélioré et que la procédure d’enregistrement fut

allégée, etc.1597 En 2008, la loi sur les brevets fut pour la troisième fois révisée afin de

répondre aux besoins actuels de renforcer la protection des brevets et de remplir les

engagements de la Chine pris dans le cadre de l’OMC1598. La révision de la loi sur les

brevets en 2008 apporta les changements importants tels que l’insertion d’une nouvelle

disposition relative à la mise en oeuvre des licences obligatoires dans le secteur

1597 V., Cabinet Thieffry et Associés Shanghai, « L’amendement du 25 août 2000 relatif à la loi chinoise sur les brevets », Gazette du Palais, n° 196, 2004, pp. 49 à 51. 1598 La loi sur les brevets telle qu’elle est révisée en 27 décembre 2007, entre en vigueur le 1er octobre 2009.

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pharmaceutique1599, l’alourdissement des amendes à l’encontre des contrefaçons, la

modification des règles concernant les dommages-intérêts en cas d’atteintes aux droits

de brevets1600, etc.

496. - La loi sur les marques adoptée en 1982, révisée en 1993, fut pour la troisième

fois révisée en 2001. Par la révision de 2001, la liste des personnes habilitées à déposer

une marque fut élargie en comportant désormais les personnes physiques. Le champ de

protection des marques fut étendu surtout à la marque collective et à la marque de

certification. Le droit de priorité fut institué. La révision judiciaire des décisions

administratives sur l’examen de dépôt de la marque fut introduite. Les droits du

titulaire de la marque furent renforcés, notamment en ce qui concerne la marque

notoire, etc.1601

497. - La loi sur les droits d’auteur qui est adoptée en 1990 fut modifiée en 2001, ce

qui eut pour effet d’étendre le champ de protection à de nouvelles créations comportant

les droits d’auteur en matière d’Internet. D’ailleurs, les prérogatives de l’auteur furent

également renforcées et étendues1602.

(2). – La perspective du plan stratégique national de propriété intellectuelle

498. - L’année 2008 s’est annoncée riche en événements pour le secteur de la

propriété intellectuelle en Chine. La période de transition définie dans le cadre des

accords de l’OMC a pris sa fin avec l’emprise complète des normes de l’Accord sur les

ADPIC sur le droit chinois. Pour répondre à ce changement de situation, le

1599 Article 50 de la loi sur les brevets révisée en 2008. 1600 V., infra, n° 509. 1601 V., Paul RANJARD, « La protection et la reconnaissance des marques notoires en Chine », La Gazette du Palais, n° 196, 2004, pp. 52, 53. 1602 La liste des droits d’auteur dont la mise en oeuvre est soumise à une autorisation préalable de leur titulaire, en contrepartie d’une rémunération en leur faveur, a été considérablement enrichie, avec notamment, le droit de location, le droit de représentation, le droit d’enregistrement audio et vidéo, le droit de communication au public. Par la révision 2001 du règlement sur la protection des logiciels adopté par le CAE en 1991, la protection des logiciels par le droit d’auteur est consolidée. V., Catherine DRUEZ-MARIE, « La propriété intellectuelle en Chine : les conséquences de l’entrée dans l’OMC », disponible sur le site http://www.irpi.ccip.fr/pages/index.asp?ID_ARBO=36&ref_page=244, consulté le 7 juin 2008.

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gouvernement chinois a annoncé un « Plan stratégique national de la propriété

intellectuelle». C’est un document gouvernemental qui définit les principes et les

orientations en matière de réforme, tout en intégrant la protection de la propriété

intellectuelle dans les stratégies générales de l’économie nationale1603. C’est dans ce

contexte que le gouvernement chinois va accélérer son travail de réorganisation,

d’amélioration et d’adaptation de son système juridique relatif à la propriété

intellectuelle1604.

499. - Le Plan stratégique national a mis l’accent sur le renforcement de l’effectivité

de la protection juridictionnelle de la propriété intellectuelle, en prévoyant une série de

réformes telles que la création de tribunaux spéciaux et de cours d’appel spéciales pour

les affaires dans lesquelles la propriété intellectuelle est en jeu, le renforcement de la

coopération entre différentes institutions afin de réduire le coût auquel s’expose le

titulaire de la propriété intellectuelle quand il emprunte les voies de recours en cas

d’atteintes à ses droits, l’introduction des expertises dans les contentieux relatifs à la

propriété intellectuelle, le renforcement des mesures de douanes, etc. Il faut encore

souligner que l’un des objectifs des stratégies nationales est de promouvoir

systématiquement l’investissement à la recherche et au développement des sciences et

des technologies afin d’élever le degré d’indépendance de la Chine en matière de

propriété intellectuelle. Ont été également prévus le déploiement des mesures

d’encouragement financier et fiscal, l’institutionnalisation de la formation universitaire

au sujet de la propriété intellectuelle, la création des organes gouvernementaux chargés

de la dissémination des savoirs et de la promotion de la conscience du public sur

l’utilité et la protection de la propriété intellectuelle, etc. À cet égard, la publication du

Plan stratégique national 2008 par la Chine n’a pas seulement pour motif de démontrer

à ses partenaires commerciaux la capacité d’action et l’efficacité de son système de

protection de la propriété intellectuelle en tant qu’État hôte de l’investissement

1603 CAE, « Stratégies nationales de propriété intellectuelle (Guojia zhishi chanquan zhanlue gangyao) », 5 juin 2008, Renmin ribao (Quotidien du peuple), 11 juin 2008, p. 15. 1604 V., Cabinet d’avocat Gide Loyrette Nouel, « Supplément spécial : La propriété intellectuelle en Chine », La lettre : actualité du droit chinois, janvier 2008, disponible sur le site http://www.gide.com/front/FR/actualites/PDF/Chine_Propriété_Intellectuelle_FR.pdf, consulté le 7 juin 2008.

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étranger, mais aussi d’établir une synergie entre l’exécution des engagements

internationaux et le développement technologique de la Chine par la construction d’un

« État d’innovation (chuangxinxing guojia) ». Il est intéressant de souligner qu’en plus

du développement des sciences et des technologies modernes, le plan stratégique a

aussi envisagé des études sur de « nouveaux » éléments tels que les savoirs

traditionnels, la littérature et les arts populaires, le patrimoine d’héritage, etc., qui

seraient menés afin de parvenir à la constitution d’un code unique ou d’une loi

fondamentale de la propriété intellectuelle jusqu’à 20201605 . L’adoption du Plan

stratégique semble marquer un tournant du gouvernement chinois vers une politique

plus active en matière de propriété intellectuelle. La transposition passive des normes

internationales par le droit interne dans les années précédentes a été ainsi remplacée

par l’exploitation plus volontaire et réfléchie du droit de propriété intellectuelle. Le

respect de ce droit a été consenti dans le cadre de la stratégie nationale concernant le

développement économique et social. Par conséquent, un contexte plus que jamais

favorable pour la protection des propriétés intellectuelles est en train de voir le jour en

Chine.

§ 2. – La mise en oeuvre des garanties de la propriété intellectuelle sous

l’effet incitatif du droit international

500. - La mise en oeuvre des garanties de la propriété intellectuelle demeure l’enjeu

de l’internationalisation du droit chinois en la matière, à la suite de l’intégration en

droit interne des normes internationales consacrant les droits substantiels de propriété

intellectuelle. Par « des pratiques d’expansion hégémonique de certains systèmes »1606

ou bien par le fonctionnement du mécanisme de contrôle multilatéral dans le cadre de

l’OMC, le droit international a pu produire son effet incitatif sur le droit interne chinois

à l’égard de l’application des normes internationales déjà intégrées au droit positif

1605 L’Office d’information du CAE, Conférence de presse sur le Plan stratégique de la propriété intellectuelle en date du 13 juin 2008, disponible sur le site http://www.scio.gov.cn/syyw/ejtt/200806/t187481.htm, consulté le 16 juin 2008. 1606 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (II) : le pluralisme ordonné, Éditions du Seuil, 2006, p. 22.

Page 510: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

502

interne. Dans la relation interétatique bilatérale, les pays les plus forts, comme les

États-Unis, ont poussé, par leurs mesures politiques parfois « coercitives », la Chine à

faire des efforts dans l’accomplissement de ses engagements pris relatifs aux droits de

propriété intellectuelle (A). Depuis l’accession de la Chine à l’OMC, la mise en oeuvre

des droits de propriété intellectuelle en Chine fait l’objet d’un contrôle extérieur fondé

sur des règles de droit qui se substituent aux mesures de rétorsion1607. Le mécanisme

de règlement des différends est l’instrument juridique qui pourrait contraindre la Chine

à se conformer encore davantage aux règles de l’Accord sur les ADPIC. L’effet

incitatif que produit le droit international sur la Chine concernant le respect de ses

engagements internationaux est ainsi renforcé dans le cadre de l’OMC (B).

A. – La production de l’effet incitatif du droit international dans le

cadre de la relation bilatérale

501. - Dans la relation bilatérale sino-américaine, la violation des droits de la

propriété intellectuelle en Chine sensibilise toujours les États-Unis comme partenaires

commerciaux les plus importants. En s’appuyant sur son droit interne qui attache de

l’importance à la protection des propriétés intellectuelles dans le cadre du commerce

international (1), le gouvernement des États-Unis a réussi à conduire son homologue

chinois à (mieux) garantir les droits de propriété intellectuelle dans le cadre des

relations commerciales à travers la conclusion et l’exécution des mémorandums

bilatéraux (2). Cette pression unilatérale venant des États-Unis qui a poussé

l’avancement du droit chinoise en matière de propriétés intellectuelles a été l’un des

phénomènes remarquables du processus d’internationalisation du droit chinois.

(1). – L’importance attachée à la protection des propriétés intellectuelles en droit

interne américain

502. - L’émergence du problème de la protection des propriétés intellectuelles en

1607 V., John H. JACKSON, The World Trading System: Law and Policy of International Economic Relations, 2e éd., 1997, p. 111.

Page 511: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

503

Chine remonte au lancement de la politique d’ouverture à la fin des années 70. À

l’occasion de la négociation de l’accord bilatéral sur la relation commerciale entre la

Chine et les États-Unis, ces derniers insistaient pour y intégrer une disposition

prévoyant les obligations réciproques relatives à la protection des droits de propriété

intellectuelle dans les territoires de chaque Partie contractante1608. En concédant son

accord, la Chine a pris pour la première fois l’engagement international de protéger la

propriété intellectuelle avant même que ne soit mis en place son propre régime

juridique de propriété intellectuelle. L’importance que les États-Unis attachent à la

protection des droits de propriété intellectuelle se manifeste plus nettement par la

législation intitulée Omnibus Trade and Competitiveness Act de 1988 (ci-après l’Acte

de 1988), dont l’objectif est de sauvegarder les intérêts des États-Unis contre les

atteintes des pratiques commerciales injustes des pays étrangers 1609 . Avec

l’accroissement des volumes d’échange entre la Chine et les États-Unis, la

méconnaissance chinoise des droits de propriété intellectuelle inquiéta le

gouvernement américain. La prolifération de la reproduction et de la distribution

illégales des produits américains tels que les logiciels, les produits médicaux et ceux de

l’audiovisuel, etc., l’absence de loi sur les droits d’auteur, la protection insuffisante des

brevets et des marques commerciales par la législation chinoise, suscitèrent de vives

critiques aux États-Unis 1610 . Ce fut la raison pour laquelle le Représentant du

commerce des États-Unis eut l’occasion de signaler au gouvernement chinois son

1608 V. l’article 6 de l’Accord sur la relation commerciale sino-américaine, conclu le 7 juillet 1979. V., aussi l’Accord sino-américain sur la coopération dans le domaine de la physique de haute énergie, adopté le 31 janvier 1979. Par l’article 6 de cet Accord, la Chine et les États Unis s’engagent à coopérer dans la protection de la propriété intellectuelle, toutefois aucune obligation substantielle n’a été prévue pour mettre en oeuvre ledit principe. 1609 Selon la fameuse Section spéciale 301, les sanctions peuvent être unilatéralement imposées par les États Unis, y compris les taxes d’importation et d’autres contraintes commerciales, aux pays qui entretiennent une relation commerciale avec les États-Unis et qui n’ont pas respecté les propriétés intellectuelles des produits américains. V., Kenneth J. ASHMAN, « The Omnibus Trade and Competitiveness Act of 1988 –the Section 301 Amendments: Insignificant Changes from the Prior Law? », 7 B.U. Int’l L.J. 115. 1610 V., Amy E. SIMPSON, « Copyright law and software regulations in the People’s Republic of China: Have the Chinese pirates affected world trade? », 20 N.C. J. of Int’l L. & Com. Reg. 575, p. 616; v., aussi, Angela Mia BEAM, « Piracy of American intellectual property in China », 4 J. Int’l L. & Prac. 335 (1995).

Page 512: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

504

intention d’intégrer la Chine dans la liste noire des États étrangers prioritaires1611. En

plus des assistances techniques fournies par les États-Unis, ces derniers optèrent

finalement pour la menace de sanctions –en s’appuyant sur les fameuses dispositions

internes dites « Special 301 » ou « Super 301 »– en vue d’inciter la Chine à légiférer

ou à modifier ses textes législatifs pour les rendre compatibles avec les normes

acceptables pour les États-Unis en ce qui concerne la protection des droits de propriété

intellectuelle. Il s’agit donc d’une forme concrète d’exportation du droit des États-Unis

dont la réussite ou l’échec serait évalué à l’aune de la capacité de répondre au besoin

de réforme politique ou économique de l’État d’importation1612.

(2). – Les mémorandums sino-américains concernant la protection des propriétés

intellectuelles

503. - Pendant les années 1990, les États-Unis menacèrent fréquemment d’imposer

des sanctions commerciales à la Chine pour la violation des droits de propriété

intellectuelle nuisant à leur intérêt dans le cadre des relations commerciales bilatérales

avec la Chine. Pour sortir de la crise suscitée par les atteintes à la propriété

intellectuelle, furent successivement conclus trois mémorandums d’accord par lesquels

la Chine s’engagea à accepter et à mettre en oeuvre les normes du droit de propriété

intellectuelle reconnues par les principales conventions internationales1613. À la suite

de négociations difficiles, un premier mémorandum d’accord fut conclu en 1989, par

1611 Le Représentant commercial des États-Unis doit désigner les pays qui ont gravement porté atteinte aux produits des États-Unis au regard de la protection des droits de propriété intellectuelle des États-Unis comme pays étrangers prioritaires, afin de déclencher les procédures de sanction. Toutefois, le Représentant commercial peut décider de ne pas désigner ses partenaires commerciaux comme pays étrangers prioritaires dès que le progrès en matière de protection des droits de propriété intellectuelle est effectué à l’issue des négociations bilatérales, en évitant par conséquent les sanctions unilatérales du gouvernement américain. V., USTR, Background on Special 301, disponible sur le site http://www.ustr.gov/assets/Document_Library/Reports_Publications/2007/2007_Special_301_Review/asset_upload_file694_11120.pdf, consulté le 16 août 2007. 1612 V., Jacques DELISLE, « Lex americana? United States’ legal assistance, American legal models, and legal change in the post-communist world and beyond », 20 U. Pa. J. Int’l Econ. L. 179, pp. 211 et 222, sp. 226. 1613 V., Patrick H. HU, « ‘Mickey Mouse’ in China: legal and cultural implications in protecting U.S. copyrights », 14 B.U. Int’l L.J. 81, pp. 100 à 102.

Page 513: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

505

lequel le gouvernement chinois s’engagea à prendre les mesures nécessaires pour

aboutir à la protection effective des droits de propriété intellectuelle, notamment en ce

qui concerne l’amélioration de la protection des droits d’auteurs de logiciels. Toutefois,

le représentant du commerce des États-Unis demeura critique sur le sujet chinois

notamment du fait que la Chine n’eut pas pu protéger par la loi sur les brevets les

produits pharmaceutiques importés depuis les États-Unis, et ainsi menaça-il d’imposer

des sanctions aux produits chinois exportés en direction des États-Unis. Le

gouvernement chinois s’attacha donc à négocier et un deuxième mémorandum

d’accord relatif aux droits de propriété intellectuelle fut de ce fait conclu en 1992.

Dans ce mémorandum de 1992, les engagements pris par la Chine comportent, entre

autres, la modification de la loi sur les brevets avant le 1er janvier 1993, étendant la

protection des brevets aux produits pharmaceutiques et chimiques1614, l’adhésion à la

Convention de Berne avant le 30 juin 1992, la participation à l’Organisation mondiale

de la propriété intellectuelle avant le 15 octobre 1992 et l’adhésion à la Convention

pour la protection des producteurs de phonogrammes contre la reproduction non

autorisée de leurs phonogrammes, la modification de la loi sur les droits d’auteur selon

les exigences des traités internationaux relatifs aux droits d’auteur, notamment en ce

qui concerne la protection des logiciels1615, enfin, l’interdiction de la concurrence

déloyale et la protection du secret commercial conformément à la Convention de

Paris1616. En contrepartie, les États-Unis promirent de mettre fin à l’enquête sur la

Chine aux termes de la section spéciale 301 et d’abandonner les tentatives de sanctions

dès la signature du Mémorandum d’accord1617. Une éventuelle « guerre » commerciale

sino-américaine fut ainsi contournée. Il faut remarquer que le gouvernement chinois,

qui toujours se soucie de défendre sa souveraineté nationale dans le traitement des

relations internationales, s’engagea exceptionnellement dans un accord international

bilatéral à adhérer à l’organisation internationale et aux traités internationaux, à

modifier des lois et des règlements en vigueur ainsi qu’à adopter de nouvelles lois. En

effet, toutes ces mesures furent traditionnellement considérées comme relevant des 1614 V., article 1er, alinéa 2 et article 2 du Mémorandum de 1992. 1615 V., article 3 du Mémorandum de 1992. 1616 V., article 4 du Mémorandum de 1992. 1617 V., article 7 du Mémorandum de 1992.

Page 514: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

506

affaires internes et ne pouvant ainsi faire l’objet ni de négociations internationales ni

d’une intervention des pays étrangers. Il est encore intéressant d’observer que le

gouvernement chinois n’eut jamais accepté des obligations de ce genre dans un

instrument international juridique. À cet égard, la conclusion du mémorandum de 1992

semblait marquer le succès du droit américain, notamment en ce qui concerne l’Acte

de 1988. La flexibilité du gouvernement chinois manifestée à l’occasion de la

négociation du mémorandum de 1992 a traduit d’une certaine manière son changement

de position sur la relation entre droit interne et droit international en ce qui concerne la

protection des droits de propriété intellectuelle. Il semble que la Chine a commencé à

admettre que les droits de propriété intellectuelle ne révèlent plus d’une affaire

purement interne et à l’abri des ingérences étrangères au nom de la souveraineté

nationale. Ce changement d’attitude de la part du gouvernement chinois fut « propice »

à l’internationalisation du droit chinois en ce qui concerne la protection de la propriété

intellectuelle.

504. - À la suite du mémorandum de 1992, deux autres mémorandums

sino-américains furent successivement conclus en 1995 et 1996. Le centre de gravité se

déplaça vers la question de la garantie effective des droits de propriété intellectuelle

protégés par les instruments internationaux liant la Chine et reconnus en droit interne

chinois1618. Par le mémorandum conclu en 1995, le gouvernement des États-Unis

promit d’apporter au gouvernement chinois l’assistance technique nécessaire pour

mettre en place des mécanismes efficaces dans la suppression des faits de violation de

la propriété intellectuelle concernant les produits américains. Le gouvernement chinois,

quant à lui, promit de mener des campagnes de lutte contre les infractions sur

l’ensemble de son territoire1619. Un plan d’action fut annexé au mémorandum de 1995

précisant des projets de longue durée concernant la mise en oeuvre des droits de

propriété intellectuelle, ainsi qu’une période de 3 à 5 ans dans laquelle les organes

administratifs et judiciaires chinois procéderaient à l’exécution intensive des lois et des

règlements des droits de propriété intellectuelle. Le gouvernement chinois prit 1618 V., Jeffery W. BERKMAN, « Intellectual property rights in the P. R. C.: Impediments to protection and the need for rule of law », 15 UCLA Pac. Basin L.J. 1, pp. 26 à 34. 1619 V., Reportage « China declares 6-month piracy crackdown », Los Angeles Times, 3 mars 1995, Business Section, p. 2.

Page 515: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

507

d’ailleurs des engagements spécifiques en vertu des dispositions du mémorandum de

1995. Il s’agit notamment d’instituer auprès du CAE un Bureau National de la

Protection des Droits de Propriété Intellectuelle spécialement chargé d’assurer la mise

en oeuvre uniforme, dans tous les territoires chinois, des textes concernant la propriété

intellectuelle et la suppression effective des contrefaçons. Sur ce point, le

mémorandum de 1995 indiqua les mesures administratives et douanières qui devraient

être prises par le gouvernement chinois pour lutter efficacement contre les atteintes aux

droits de propriété intellectuelle dont bénéficient les produits américains 1620 .

Pareillement, par le mémorandum de 1996, les États-Unis abandonnèrent les sanctions

unilatérales contre la Chine, alors que cette dernière s’engagea à prendre des mesures

pour lutter efficacement contre le piratage des CD-Roms importés des États-Unis.

505. - Les négociations et la conclusion des accords bilatéraux sino-américains

eurent lieu durant la période où les États-Unis menacèrent d’adopter unilatéralement

des mesures de sanction commerciale à l’encontre de la Chine. Celle-ci fit des

concessions nécessaires dans le cadre des accords bilatéraux afin d’éviter de subir des

pertes résultant des sanctions unilatérales des États-Unis, mais aussi pour obtenir le

soutien des États-Unis dans le processus des négociations concernant l’accession de la

Chine à l’OMC1621. D’autres partenaires commerciaux de la Chine se fut inspirés de la

stratégie des États-Unis et réussirent à mettre en place avec la Chine des mécanismes

bilatéraux concernant la protection des droits de propriété intellectuelle dans le cadre

de leurs relations de commerce international 1622 . Il faut souligner que, depuis

1620 V., China-United States: Agreement Regarding Intellectual Property Rights (1995), 34 ILM 881. 1621 V., Robert B. FROST, « Intellectual property rights disputes in the 1990s between the People’s Republic of China and the United States », 4 Tul. J. Int’l & Comp. L. 119, pp. 134, 135; Frank PROHASKA, « The 1995 Agreement regarding intellectual property rights between China and the United States: promise for international law or continuing problems with Chinese piracy? », Tulsa J. Comp. & Int’l L. 169, p. 183. 1622 Un mémorandum de coopération administrative entre la Chine et la Communauté européenne économique en matière de protection des droits de propriété intellectuelle est signé le 30 juin 1992, v., « China’s exchanges and cooperation with relevant international organizations, other countries and regions regarding IPR », reportage disponible sur le site http://tfs.mofcom.gov.cn/aarticle/cj/200504/20050400033382.html, consulté le 16 août 2007 ; V., aussi, Programme de coopération dans le domaine des droits de propriété intellectuelle entre l’Union européenne et la Chine (1996-1998), Journal officiel n° C 076 du 16/03/1996 p. 0017 – 0017 ; l’accord de coopération dans le domaine de propriété intellectuelle entre la Chine et la France est conclu le 24

Page 516: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

508

l’accession de la Chine à l’OMC, la méthode bilatérale en matière de propriété

intellectuelle a fait place au mécanisme multilatéral institué par le Mémorandum

d’accord relatif aux règles et procédures régissant le règlement des différends. D’où le

renforcement de l’effet incitatif du droit international par le droit de l’OMC.

B. – Le renforcement de l’effet incitatif du droit international dans le

cadre de l’OMC

506. - Il s’agit notamment de l’utilisation du mécanisme de règlement des différends

de l’OMC (1), en vue d’avoir la réaction positive du gouvernement chinois concernant

la protection de la propriété intellectuelle (2).

(1). – L’utilisation du mécanisme de règlement des différends par les États-Unis

507. - En dépit des progrès effectués par la Chine, le problème de la mise en oeuvre

des droits de propriété intellectuelle, notamment sur le sujet de leur garantie contre les

contrefaçons, demeure la première préoccupation des États-Unis1623. Depuis 2005, le

gouvernement américain adopta des mesures plus agressives afin de conduire la Chine

à respecter davantage ses engagements relatifs à la protection des droits de propriété

intellectuelle1624 . Cependant, au lieu de procéder à des menaces unilatérales, le

gouvernement des États-Unis commença à utiliser le mécanisme de règlement des

différends de l’OMC qui se fonde sur les règles de droit1625, en vue de renforcer la mise

en oeuvre des droits de propriété intellectuelle en Chine. Par la communication en date

du 10 avril 2007, les États-Unis demandèrent l’ouverture des consultations avec la septembre 1998, disponible sur le site http://www.sipo.gov.cn/sipo/gjhz/hzxy/200109/t20010917_66863.htm, consulté le 16 août 2007. 1623 United States Trade Representative, 2006 Report to Congress on China’s WTO Compliance, 11 décembre 2006, p. 76. V., aussi, Peter K. YU, « Still dissatisfied after all these years: intellectual property, post-WTO China, and the avoidable cycle of futility », 34 Ga. J. Int’l & Comp. L. 143. 1624 United States Trade Representative, U. S.-China Trade Relations: entering a New Phase of Greater Accountability and Enforcement, février 2006, p. 14. 1625 V., Rochelle COOPER DREYFUSS, Andreas F. LOWENFELD, « Two achievements of the Uruguay round: putting TRIPS and dispute settlement together », 37 Va. J. Int’l L. 275 (1997), pp. 276, 277.

Page 517: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

509

Chine au sujet de certaines mesures du gouvernement chinois en matière de protection

de la propriété intellectuelle. Le gouvernement des États-Unis mit en avant plusieurs

points dans ses plaintes. Il s’agit d’abord des seuils devant être atteints pour que

certains actes de contrefaçon de marques et de piratage du droit d’auteur fassent l’objet

de procédures pénales et de peines ; de la mise hors du circuit des marchandises

confisquées par les autorités douanières portant atteinte aux droits de propriété

intellectuelle ; du refus du gouvernement chinois d’assurer la protection et le respect

du droit d’auteur et des droits connexes pour les œuvres n’ayant été autorisées en vue

de la publication ou de la distribution en Chine ; et enfin, de l’impossibilité de recourir

à des procédures pénales et à la mise en place de peines dans les cas où les

contrevenants se livreraient, soit à la reproduction non autorisée d’une oeuvre, soit à la

distribution non autorisée d’œuvres protégées par le droit d’auteur1626. Face à la

demande des États-Unis, le gouvernement chinois accepta d’ouvrir des discussions sur

ces sujets. Les pourparlers furent organisés avant expiration du terme prévu par le

Mémorandum d’accord sur le règlement des différends1627. Certes, les négociations ne

débouchèrent pas sur une solution satisfaisante pour les États-Unis. Ces derniers

demandèren, par la suite, l’établissement d’un Groupe spécial chargé d’adopter des

décisions ou des recommandations à propos du différend sino-américain1628.

508. - Le 26 janvier 2009, l’OMC a publié le rapport du Groupe spécial qui avait

examiné la plainte des États-Unis dans l’affaire1629. Quant à la question concernant le

refus d’assurer la protection et le respect du droit d’auteur et des droits connexes sur

des œuvres dont la publication et la distribution en Chine n’avaient pas été autorisées,

1626 OMC, Chine-Mesures affectant la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle, Demande de consultation présentée par les États-Unis, WT/DS362/1, 16 avril 2007. 1627 Agence de presse de Xinhua, La Chine et les États-Unis discutent de la protection des droits de propriété intellectuelle et de l’accès au marché des publications, 16 mai 2007, disponible sur le site http://french.china.org.cn/china/archives/pti/2007-05/16/content_8263404.htm, consulté le 31 mai 2007. 1628 United States Trade Representative, United States requests WTO panel in case challenging deficiencies in China’s intellectual property rights laws, 13 août 2007, disponible sur le site http://www.ustr.gov/Document_Library/Press_Releases/2007/August/United_States_Requests_WTO_Panel_in_Case_Challenging_Deficiencies_in_Chinas_Intellectual_Property_Rights_Laws.html, consulté le 15 août 2007. 1629 OMC, Chine –Mesure affectant la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle, Rapport du Groupe spécial, WT/DS362/R, 26 janvier 2009.

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510

le Groupe spécial souligne que « le droit d’auteur et la censure publique concernent

des droits et des intérêts différents. Le droit d’auteur protège des droits privés ainsi

qu’il est dit au quatrième alinéa du préambule de l’Accord sur les ADPIC, alors que la

censure sert des intérêts publics »1630. Bien que l’article 17 de la Convention de Berne

(1971) confirme que les gouvernements ont certains droits de surveillance sur

l’exploitation des œuvres, « il n’y a pas de raison de supposer que la censure

éliminera complètement [les droits d’auteur] à l’égard d’une œuvre donnée »1631. Par

conséquent, la loi sur les droits d’auteur, et précisément son article 4 (1) qui prévoit «

les œuvres dont la publication et/ou la diffusion sont illégales ne sont pas protégées

par la présente loi », est incompatible avec l’article 5 (1) de la Convention de Berne

(1971), telle qu’incorporée par l’article 9:1 de l’Accord sur les ADPIC1632.

Quant aux mesures douanières, le rapport du Groupe spécial a constaté que la

quatrième phase de l’article 46 de l’Accord sur les ADPIC énonce le principe selon

lequel « pour ce qui concerne les marchandises de marques contrefaites, le simple fait

de retirer la marque de fabrique ou de commerce apposée de manière illicite ne sera

pas suffisant, si ce n’est dans des circonstances exceptionnelles, pour permettre

l’introduction des marchandises dans les circuits commerciaux », que ce principe

s’applique aussi aux mesures correctives prévues par l’article 59 de l’Accord sur les

ADPIC1633. S’agissant des marchandises de marque contrefaites, le Groupe spécial a

estimé que les mesures douanières de la Chine prévoyant le simple retrait de la marque

de fabrique ou de commerce illicitement apposée sont insuffisantes pour permettre

l’introduction des marchandises dans les circuits commerciaux. Il en résulte que les

mesures douanières de la Chine sont incompatibles à l’article 59 de l’Accord sur les

ADPIC au regard de l’objectif de « créer un moyen de dissuasion efficace contre les

atteintes aux droits »1634.

Les plaintes des États-Unis portent aussi sur les dispositions de l’interprétation

que donnent la Cour populaire suprême et le Parquet suprême sur les seuils de

1630 Ibid., § 7.135. 1631 Ibid., § 7.132. 1632 Ibid., § 7.139. 1633 Ibid., § 7.268, § 7. 270. 1634 Ibid., § 7.373, §7.394.

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511

condamnation des atteintes aux droits de propriété intellectuelle1635. La divergence

consiste en l’interprétation de la notion d’ « échelle commerciale ». Celle-ci est définie

en droit chinois en fonction du « volume des activités commerciales illicites » qui est

lui-même calculé d’après le prix de vente des marchandises portant atteinte aux droits

des marchandises légitimes correspondantes. Les États-Unis ont critiqué le fait que les

seuils de condamnation ainsi définis sont susceptibles d’être éludés et que ces mesures

de droit perdent tout leur pouvoir de dissuasion1636. Le fait qu’il n’y a pas de

procédures pénales ni de peines concernant la contrefaçon de marques et le piratage du

droit d’auteur à l’échelle commerciale en Chine à la suite des seuils apparaît

incompatible avec les obligations de la Chine au titre des articles 41 : 1 et 61 de

l’Accord sur les ADPIC1637. Certes, dans le rapport du Groupe spécial, ces plaintes

n’ont pas été retenues dans la mesure où les États-Unis « n’ont pas fait suffisamment le

lien entre ces facteurs et les mesures en cause ni entre ces facteurs et leur allégation

pour s’acquitter de la charge de la preuve qui leur incombe »1638. Il en résulte que « les

États-Unis n’ont pas établi que les seuils d’infraction pénale sont incompatibles avec

les obligations de la Chine au titre de la première phrase de l’article 61 de l’Accord

sur les ADPIC »1639. Puisque chacune des deux parties peut faire appel à la décision du

Groupe spécial, les points de droit restent à être tranchés, le cas échéant, par l’Organe

d’appel.

(2). – La réponse du gouvernement chinois

509. - L’application du mécanisme de règlement des différends dans le cadre de

l’OMC marque une nouvelle étape du processus d’internationalisation du droit chinois 1635 Adoptée à la 1331ème session du Comité judiciaire de la Cour populaire suprême le 2 novembre 2004 et à la 28ème session de la dixième chambre d’accusation du Parquet populaire suprême le 11 novembre 2004 et prenant effet le 22 décembre 2004. 1636 United States Trade Representative, United States requests WTO panel in case challenging deficiencies in China’s intellectual property rights laws, loc. cit. 1637 OMC, Chine-Mesures affectant la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle, Demande de consultation présentée par les États-Unis, op. cit., p. 3. 1638 OMC, Chine –Mesure affectant la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle, Rapport du Groupe spécial, précité, § 7.667. 1639 Ibid., § 7. 669.

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512

en matière de propriété intellectuelle. Depuis son accession à l’OMC, le gouvernement

chinois insiste toujours pour régler ses conflits avec ses partenaires commerciaux aux

négociations bilatérales1640. Par exemple, sur la proposition des États-Unis, les parties

chinoise et américaine ont organisé chaque année depuis 2003 la table ronde, à laquelle

participent de hauts fonctionnaires des deux gouvernements, ayant pour sujet la

coopération sino-américaine en matière de renforcement de la protection de la

propriété intellectuelle. En 2004, le premier dialogue entre la Chine et l’Union

européenne ayant pour thème la propriété intellectuelle s’est tenu à Beijing. Sur ce

point, les départements gouvernementaux concernés en Chine ont entretenu une bonne

relation de coopération avec les organismes correspondants de plusieurs pays et les

organisations internationales, comme l’Organisation mondiale de la propriété

intellectuelle et l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales1641.

Alors que l’avancement des coopérations dépend d’une certaine manière de la

politique de coopération volontaire du gouvernement chinois, ce dernier est désormais

obligé de se soumettre à l’évaluation indépendante du Groupe spécial ou de l’Organe

d’appel concernant la situation des droits de propriété intellectuelle. Il s’agit d’une

tendance de « juridictionnalisation du droit international »1642 –tout au moins dans le

domaine du commerce– à laquelle la Chine devra s’habituer. Cette juridictionnalisation

est d’autant plus solide que l’exécution des décisions à l’issue des procédures de

règlement des différends est assurée par le contrôle multilatéral des membres de

l’OMC. Le gouvernement chinois a donc plusieurs motifs le poussant à respecter le

résultat de la décision en modifiant ou en ajustant son droit interne. C’est dans ce cadre

que le droit international peut le plus facilement produire son effet incitatif –véhiculant

en cela les contraintes du mécanisme multilatéral– sur le droit chinois en matière de

1640 Par exemple, le 26 mars 2002, la Chine a demandé l’ouverture de consultations avec les États-Unis au sujet de mesures de sauvegarde définitive imposées par les États-Unis à l’importation de certains produits en acier et a allégué la violation des articles de l’Accord sur les sauvegardes et des articles du GATT de 1994. V., Document de l’OMC, WT/DS252. 1641 V., Office d’information du CAE, Nouveaux progrès dans la protection de la propriété intellectuelle en Chine, livre blanc publié en avril 2005. 1642 Cf., Syméon KARAGIANNIS, « La multiplication des juridictions internationales : un système anarchique ?», in Société française pour le droit international, La juridictionnalisation du droit international, Colloque de Lille, A. Pedone, 2003, pp. 7 et s.

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513

propriété intellectuelle. La révision de la loi sur les brevets en 2008 semble confirmer

cette hypothèse. En effet, parmi les changements apportés par la révision figure les

nouvelles règles qui visent à alourdir la pénalité des malfaiteurs, en vue d’accentuer

l’effet dissuasif de la loi sur les atteintes aux droits de brevets. Ainsi en est-il, en cas de

contrefaçon, le montant d’une amende peut s’élever à quatre fois des revenus illégaux

ou à 200 000 yuans1643, alors qu’auparavant, il s’agissait de trois fois des revenus

illégaux ou 50 000 yuans. Selon la loi sur les brevets révisée, les dommages-intérêts

sont définis en principes selon les pertes des titulaires des droits, et le critère de gains

illicites n’est que d’ordre secondaire. Dans les cas exceptionnels où les dispositions

légales concernant la détermination des dommages-intérêts ne seraient pas applicables,

les tribunaux peuvent en décider le montant de 10 000 yuans à 1 000 000 yuans, en

tenant compte la situation spécifique de chaque affaire individuelle1644.

Sous-section 2. – L’extension de l’influence de l’Accord sur les ADPIC sur

la protection du droit de propriété

510. - La contribution de l’Accord sur les ADPIC, vecteur de l’internationalisation

des droits de propriété intellectuelle, ne se limite pas à la promotion d’une protection

efficace et suffisante des droits de la propriété intellectuelle en tant que droits privés1645.

Les moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle tels que prévus par

l’Accord sur les ADPIC sont révélateurs des principes applicables à la protection des

autres droits privés patrimoniaux. L’extension de l’influence de l’Accord sur les

ADPIC sur la protection du droit de propriété est non seulement possible mais aussi

souhaitable. À cet égard, l’Accord sur les ADPIC peut être considéré comme une

source d’inspiration quant à la protection du droit de propriété par l’amélioration des

règles de procédure (§ 1). L’intégration en droit interne des règles procédurales de

l’Accord sur les ADPIC peut contribuer à renforcer les garanties juridiques du droit de

propriété, d’autant plus qu’il est impossible d’établir un régime autonome de garanties 1643 Article 63 de la loi sur les brevets révisée en 2008. 1644 Article 65 de la loi sur les brevets révisée en 2008. 1645 V., préambule de l’Accord sur les ADPIC, «Reconnaissant que les droits de propriété intellectuelle sont des droits privés».

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514

des droits de propriété intellectuelle conformément à l’Accord sur les ADPIC. La

réforme de portée générale relative aux garanties juridiques du droit peut donc

s’amorcer grâce à l’effet-ricochet des réformes dans le domaine de propriété

intellectuelle. Dans un contexte plus large, l’Accord sur les ADPIC va jouer un rôle de

catalyseur pour la consolidation du mécanisme d’application du droit en Chine (§ 2).

§ 1. – L’Accord sur les ADPIC comme source d’inspiration de la protection

du droit de propriété

511. - L’Accord sur les ADPIC reconnaît en amont la nature de droit privé de la

propriété intellectuelle. Il contient aussi les principes pour faire respecter les droits de

propriété intellectuelle. Ces principes substantiel (A) et procédural (B) constituent une

source d’inspiration au-delà de leur propre domaine en donnant un modèle à la

protection juridique du droit de propriété corporelle.

A. – Le principe substantiel de la propriété intellectuelle comme droit

privé

512. - Étant donné que le droit chinois était sous l’emprise de l’idéologie socialiste,

la notion de droit privé était mise à l’écart par la doctrine civiliste. C’est à partir de

l’intégration en droit interne des normes internationales que la nature de droit privé de

la propriété intellectuelle a été reconnue (1). L’idée de protéger la propriété

intellectuelle comme un droit privé a non seulement contribué au changement

théorique, mais aussi influencé la pratique de la législation, surtout concernant

l’élaboration de la loi sur les droits réels (2).

(1). – La reconnaissance de nature de droit privé de la propriété intellectuelle en droit

chinois

513. - L’idée selon laquelle les créations intellectuelles sont les richesses appartenant

à l’État prévalait pendant longtemps en Chine. Selon cette idée, il revenait à l’État d’en

Page 523: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

515

gérer l’application et l’exploitation au nom du bien-être de la société. Les inventeurs ne

disposaient d’aucun droit privatif, sauf à bénéficier des prix accordés par l’État sous

forme d’encouragement sur les travaux d’innovations. L’adhésion à l’Accord sur les

ADPIC comme l’une des conditions de l’entrée à l’OMC par la Chine a contribué à

l’évolution de l’idée traditionnelle sur la nature des créations intellectuelles1646. Des

juristes chinois ont vivement soutenu que l’Accord sur les ADPIC réaffirme sans

équivoque dans son préambule que les droits de propriété intellectuelle sont des droits

privés. Cela signifie non seulement que la « propriété intellectuelle » –comme

l’expression le montre– fait l’objet de l’appropriation privative, mais aussi appelle des

garanties effectives contre l’empiétement des personnes privées et de la puissance

publique. La nature de droit privé de la propriété intellectuelle a été également

défendue par la thèse selon laquelle le résultat du travail intellectuel créatif est celui de

l’investissement intellectuel ainsi que celui de l’investissement du capital humain, et

étant donné que la propriété trouve son origine dans un investissement, la propriété

intellectuelle doit appartenir à celui qui a fait l’apport du travail intellectuel1647. En

s’appuyant sur les amendements constitutionnels adoptés en 2004 selon lesquels l’État

respecte les droits de l’homme et protège la propriété privée des individus, la doctrine

a même proposé la proclamation en Chine de l’inviolabilité de la propriété

intellectuelle1648. Il faut souligner que la doctrine chinoise admet sans difficulté des

limites aux droits de propriété intellectuelle, tout comme le fait que la propriété n’est

pas un droit absolu et peut faire l’objet de restrictions au nom de l’intérêt général. Le

professeur WU Handong, participant à la réflexion portant sur la relation entre la

1646 V., ZHENG Chengsi, Droit de propriétés intellectuelles (Zhishi chanquan lun), Law Press China, 1998, p.35. V., aussi WU Handong, « Zhishi chanquan de siquan he renquan shuxing, yi zhishi chanquan xieyi he shijie renquan xuanyan wei duixiang (La nature de droit privé et de droits de l’homme des propriétés intellectuelles : études sur l’accord de l’ADPIC et la Déclaration universelle des droits de l’homme) », Faxue Yanjiu (Chinese Journal of Law), n° 3, 2003, pp. 66 à 78 ; WU Handong, « Zhishi chanquan de duoweiduo jiedu (Analyses sur les différentes dimensions des droits de propriétés intellectuelles) », Zhongguo Faxue (China Legal Science), n°5, 2006, pp.97 et s. 1647 Cf., HE Min, Les systèmes d’attribution de la propriété de l'invention du salarié en droit comparé et proposition, thèse doctorat de l’Université Paris 1, soutenue en 2005. 1648 V., par ex., WEI Zhi, « Zhishi chanquan shensheng buke qinfan (À propos de l’inviolabilité des propriétés intellectuelles) », Dianzi zhishi chanquan (Electronics Intellectual Property), n° 3, 2004, pp. 52 à 55.

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516

propriété intellectuelle et les droits de l’homme au regard des instruments

internationaux des droits de l’homme, notamment la Déclaration universelle des droits

de l’homme, a conclu que la limitation du droit de la propriété intellectuelle se justifiait

par la réalisation d’un équilibre entre l’intérêt privé du titulaire des droits de propriété

intellectuelle et le bien-être social1649.

Il est intéressant d’observer que le changement de l’idée sur la nature de droit

privé de la propriété intellectuelle s’accompagne en même temps de l’émergence de la

notion de propriété privée en droit chinois. En effet, l’intégration des normes

internationales consacrées à la protection de la propriété intellectuelle s’inscrit dans le

processus de légitimation de l’appropriation privative des biens, qu’il s’agisse des

fruits du travail intellectuel ou physique. La reconnaissance de la nature de droit privé

de la propriété intellectuelle suppose, dans un contexte plus large, l’acceptation de la

notion de droit privé qui elle-même repose sur la distinction entre le domaine public et

le domaine privé. Cette distinction est fondamentale sur le plan aussi bien doctrinal que

législatif. Ayant concouru au changement idéologique concernant l’appropriation

privative des biens, la législation en matière de propriété intellectuelle a également

exercé son influence sur les travaux législatifs concernant la loi sur les droits réels.

(2). – L’influence de la législation de propriété intellectuelle sur l’élaboration de la loi

sur les droits réels

514. - La législation relative à la propriété intellectuelle a précédé l’élaboration de la

loi sur les droits réels en Chine, et par conséquent, l’acceptation par le législateur du

fait que la propriété intellectuelle relève du droit privé n’est pas sans incidence sur la

formation de la notion de propriété privée. Le fait de souscrire aux engagements

internationaux a facilité l’acceptation de la notion de droit privé et favorisé par

conséquent le processus d’évolution du droit chinois qui se caractérise par la

reconnaissance de certains droits. Avant d’être révisée en 2001, la loi sur les brevets 1649 WU Handong, « Zhishi chanquan de siquan he renquan shuxing, yi zhishi chanquan xieyi he shijie renquan xuanyan wei duixiang (La nature de droit privé et de droits de l’homme des propriétés intellectuelles : étude sur l’accord de l’ADPIC et la Déclaration universelle des droits de l’homme) », loc. cit.

Page 525: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

517

disposait que les entreprises d’État n’avaient que le droit d’utiliser des brevets sans

pour autant pouvoir en disposer, car l’État demeurait le titulaire des brevets. Toutefois,

par la révision de la loi en 2000, les entreprises d’État peuvent être titulaires de ses

brevets. Dès lors que les entreprises d’État sont reconnues par la loi comme titulaires

des droits de propriété intellectuelle, il n’est plus raisonnable de refuser d’admettre que

les entreprises publiques soient propriétaires de leurs biens corporels. La

reconnaissance des entreprises d’État comme titulaires des droits de propriété

intellectuelle a été un progrès important, dans la mesure où elle a pavé le chemin

conduisant à la reconnaissance des entreprises d’État comme propriétaires des biens

qu’elles détiennent, en abandonnant l’idée classique selon laquelle l’État était le

propriétaire des actifs des entreprises d’État.

515. - Lors de l’élaboration de la loi sur les droits réels, certains auteurs ont insisté

pour intégrer les normes relatives à la propriété intellectuelle dans le projet de loi. Leur

raisonnement s’est appuyé sur une méthode comparative réfléchissant sur le droit civil

français pour lequel la notion de biens englobe non seulement des propriétés

corporelles mais aussi les propriétés incorporelles. En outre, selon certains auteurs, il

serait plus opportun de codifier les droits relatifs aux biens tout en intégrant les règles

de la propriété intellectuelle en parallèle avec celles applicables aux biens corporels,

car à l’époque contemporaine où l’économie des savoirs prévaut, la propriété

incorporelle occupe une place plus importante que les droits réels au sens classique1650.

Le plaidoyer pour une loi des droits des biens au lieu d’une loi sur les droits réels a

aussi provoqué des débats sur la question de savoir s’il existe un régime juridique

commun applicable tant aux droits réels corporels qu’aux droits de propriété

intellectuelle1651. Parmi les thèses favorables à l’intégration des droits de la propriété

1650 V., ZHENG Chengsi, HUANG Hui, « Faguo minfadian zhong de caichanquan gainian he woguo lifa de xuanze (La nation du droit des biens dans le Code civil français et le choix de la législation chinoise) », Zhishi Chanquan (Propriété intellectuelle), n° 3, 2002, p. 9 et s; v., aussi, ZHENG Chengsi, XUE Hong, « Zaitan woguo yingli caichanfa erfei wuquanfa (Plaidoyer pour un Code des droits des biens au lieu d’un Code des droits réels) », Renda Falü Pinglun (Ren Min University Law Review), vol. 2, 2001. 1651 V., MA Junju, MEI Xiaying, « Wuxing caichan de lilun he lifa wenti (On the theoretic and legislative issue of intangible property) », Zhonguo faxue (China Legal Science), n° 2, 2001, pp. 102 et s.

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518

intellectuelle figure celle selon laquelle la limitation des droits de la propriété

intellectuelle constitue un modèle de technique juridique destinée à établir l’équilibre

entre les droits privés et l’intérêt public, et par conséquent transposable dans le

domaine des droits réels. Ainsi, l’absence d’un principe général de limitation des droits

réels dans le projet de la loi sur les biens était critiquable1652. Quoique la loi sur les

droits réels adoptée en 2007 ne comporte pas systématiquement les droits de propriété

intellectuelle, la législation de propriété intellectuelle demeure autonome d’un point de

vue systématique. Mais il ne faut pas négliger la réalité que le développement du droit

de la propriété intellectuelle en Chine a pu avoir un impact important sur l’élaboration

de la loi sur les droits réels, du fait de la parenté entre les deux types de propriétés,

corporelle et incorporelle.

B. – Le principe procédural de la protection des droits de propriété

intellectuelle

516. - L’Accord sur les ADPIC énonce le principe général applicable à toutes les

procédures destinées à faire respecter les droits de propriété intellectuelle, parmi

lesquels figure celui relatif aux procédures et mesures correctives pour permettre aux

titulaires des droits de les faire respecter efficacement. Il s’agit notamment du principe

des procédures loyales et équitables qui dirige l’application des règles de garantie des

droits de propriété intellectuelle (1). Au regard de sa portée et de sa fonction, le

principe procédural est transposable à la garantie du droit de propriété, par conséquent,

peut aider à réformer le droit chinois en la matière (2).

(1). – Le principe de procédures loyales et équitables applicable aux moyens de faire

respecter les droits de propriété intellectuelle

517. - Les articles 41 et 42 de l’Accord sur les ADPIC disposent des procédures

1652 V., ZHENG Chengsi, « Siquan, Zhishichanquan he wuquan de quanli xianzhi (Droits privés, propriétés intellectuelles et la limitation des droits réels) », Faxue (Law Science Monthly), n° 9, 2004, p. 84.

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519

loyales et équitables comme principe directeur des moyens de faire respecter les droits

de propriété intellectuelle. Dans un contexte plus large, le principe de procédures

loyales et équitables peut recouvrir de nombreux aspects d’une bonne administration

de la justice, de l’effectivité et de la bonne gouvernance1653. En ce qui concerne la

protection des droits de propriété intellectuelle, l’Accord sur les ADPIC prévoit que les

procédures ne seront pas inutilement complexes et coûteuses et ne comporteront pas de

délais déraisonnables ni n’entraîneront de retards injustifiés. L’exigence de célérité des

procédures vise donc à garantir que, dans un délai raisonnable et au moyen d’une

décision des autorités compétentes, est mise à fin l’incertitude dans laquelle se trouve

plongée une personne quant à sa position de droit. Cette exigence inhérente au droit à

un procès équitable sert donc à la fois l’intérêt de la personne en question et la sécurité

juridique1654. Il faut souligner que le principe des procédures loyales et équitables ne

s’applique pas seulement aux procédures judiciaires, mais aussi aux procédures

administratives. L’extension du caractère équitable aux procédures administratives est

d’autant plus nécessaire que la protection effective des droits de propriété intellectuelle

dépend de l’intervention en temps utile des autorités administratives.

518. - Le principe des procédures loyales et équitables exige aussi l’intelligibilité des

décisions aux termes de l’article 41, paragraphe 3. Selon ce dernier, les décisions au

fond seront écrites et motivées ; elles seront au moins mises à la disposition des parties

à la procédure sans retard indu ; l’adoption des décisions au fond s’appuiera

exclusivement sur des éléments de preuve sur lesquels les parties ont eu la possibilité

de se faire entendre.

519. - L’article 41, paragraphe 4, prévoit l’exigence de révision judiciaire en vertu de

laquelle les parties à une procédure auront la possibilité de demander la révision des

décisions administratives finales par une autorité judiciaire. Sous certaines conditions,

la révision judiciaire s’applique au moins aux aspects juridiques des décisions

judiciaires initiales sur le fond.

520. - Le principe des procédures loyales et équitables est plus affiné par l’article 42 1653 V., Sharif BHUIYAN, National law in WTO law: effectiveness and good governance in the world trading system, Cambridge University Press, 2007, pp. 16 à 18. 1654 V., Nuala MOLE, Catharina HARBY, Le droit à un procès équitable, précis sur les droits de l’homme n° 6, Conseil de l’Europe, 2003, p. 25.

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520

en ce qui concerne les procédures et mesures correctives. L’Accord prévoit que les

détenteurs de droits doivent avoir accès aux procédures judiciaires civiles et disposent

de règles pour assurer l’égalité des armes quant au déroulement des procédures. Les

défendeurs devront être informés en temps opportun par un avis écrit suffisamment

précis indiquant les fondements des allégations. Les parties seront autorisées à se faire

représenter par un conseil juridique indépendant et les procédures n’imposeront pas de

prescriptions excessives en matière de comparution personnelle obligatoire. Toutes les

parties à de telles procédures seront dûment habilitées à justifier leurs allégations et à

présenter tous les éléments de preuve pertinents. D’ailleurs, la procédure doit

comporter un moyen d’identifier et de protéger les renseignements confidentiels, à

moins que cela ne soit contraire aux prescriptions constitutionnelles existantes.

(2). – La transposabilité du principe procédural à la garantie du droit de propriété

521. - La transposabilité du principe procédural relatif aux moyens de faire respecter

les droits de propriété intellectuelle à la garantie du droit de propriété tient à ce qu’il

contribue, comme un modèle de droit, à rationaliser les procédures de protection de

tous les droits privés. L’article 41 de l’Accord sur les ADPIC pose les obligations

générales des Membres de l’OMC quant à faire respecter les droits de propriété

intellectuelle, dont l’objectif consiste à permettre une action efficace contre tout acte

portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle, mais aussi à prévenir toutes les

atteintes par l’effet dissuasif des mesures correctives1655. Pour réaliser cet objectif, il

n’est pas exigé des Membres qu’ils établissent un système juridique distinct de celui

qui vise à faire respecter la loi en général. D’autant plus qu’aucune disposition de

l’Accord sur les ADPIC « ne crée d’obligation en ce qui concerne la répartition des

ressources entre les moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle et

les moyens de faire respecter la loi en général »1656. Bien entendu, il n’empêche pas

qu’un membre de l’OMC puisse abandonner cette exonération et instituer un

mécanisme spécial pour faire respecter les droits de propriété intellectuelle en dehors

1655 V., article 41, paragraphe 1 de l’Accord sur les ADPIC. 1656 V., article 41, paragraphe 5 de l’Accord sur les ADPIC.

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521

des principes et moyens d’exécution de la loi en général. Mais isoler complètement les

principes et les moyens de faire respecter les droits de la propriété intellectuelle du

cadre général consacré à l’exécution des lois s’avère aussi impossible que

déraisonnable. Car les principes et les moyens de faire respecter les droits de propriété

intellectuelle ne sont que la concrétisation des principes d’un système juridique à

l’égard de la mise en oeuvre du droit1657. Ce constat est d’autant plus évident que le

principe de transparence, proclamé par l’article 63 de l’Accord sur les ADPIC, exige

des membres de l’OMC qu’ils notifient les lois et les réglementations rendues

exécutoires visant les questions faisant l’objet de l’Accord. Dans la pratique de la

notification 1658 , une distinction est établie entre les « principales lois et

réglementations consacrées à la propriété intellectuelle » et les « autres lois et

réglementations ». Cela signifie que la mise en oeuvre des droits de propriété

intellectuelle ne s’effectue pas seulement à travers des lois et des réglementations

consacrées à la propriété intellectuelle mais également par des autres lois et

réglementations pertinentes. À cet égard, la législation en matière de procédure civile,

considérée dans sa portée générale, constitue une composante essentielle de la

catégorie « autres lois et réglementations »1659. Il en résulte que le principe des

procédures loyales et équitables contenu dans l’Accord sur les ADPIC relève donc

d’un caractère d’ordre général, et par conséquent doit être respecté par l’ensemble des

lois et réglementations dont l’applicabilité ne se limite pas à la propriété intellectuelle.

522. - L’application du principe des procédures loyales et équitables à la garantie du

droit de propriété est d’autant plus souhaitable si l’on envisage sa fonction à limiter

l’abus de pouvoir administratif. À cet égard, l’expropriation pour le but d’intérêt public

est un exemple assez pertinent. Dans les pratiques d’expropriation, notamment sous

l’angle de la démolition des bâtiments dans des zones urbaines, les expropriées

1657 Mike WILLIS, « A survey of enforcement measures for international intellectual property rights under the WTO: Complying issues for developing countries », Int. T.L.R. 2000, 6(6), 180-188, p. 187. 1658 OMC, Procédure de notification des lois et règlementations nationales et établissements possible d’un registre commun de ces lois et réglementations au titre de l’article 63 :2, décision du Conseil des ADPIC du 21 novembre 1995, IP/C/2. 1659 Par exemple, la Chine a notifié au Conseil des ADPIC son Code de procédure civile dans la catégorie des autres lois et réglementations, v., OMC, Notification des lois et réglementations au titre de l’article 63.2 de l’Accord, Chine, 18 juillet 2002, IP/N/1/CHN/1.

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522

peuvent, en exerçant leur droit d’accès au tribunal, intenter des litiges pour contester la

légalité des décisions d’expropriation. La transposition de l’exigence de révision

judiciaire des décisions administratives aux procédures d’expropriation conduira à

élargir la compétence des tribunaux concernant l’examen de toutes les décisions

administratives, y compris celles portant sur les indemnisations qui échappent

jusqu’alors à un véritable contrôle judiciaire. Le principe de l’égalité des armes, s’il est

strictement respecté lors des procédures judiciaires dans les cas d’expropriation, peut

entraîner la suppression de l’exécution forcée de la décision de démolition par le

tribunal sur la demande des autorités publiques locales, et par conséquent élever la

position des expropriées par rapport à celle des expropriants. L’exigence de célérité

concernant la procédure, si elle est observée par les tribunaux dans le règlement des

contentieux concernant la démolition des bâtiments dans des zones urbaines, peut

réduire le phénomène « maison de clous (dingzihu) » qui est pourtant très présent lors

des négociations entre les propriétaires des bâtiments d’habitation et l’expropriant

tombent dans l’impasse.

§ 2. – Le rôle de l’Accord sur les ADPIC comme catalyseur de la

consolidation du mécanisme d’application du droit

523. - La prévention et le règlement des différends en matière de protection des

droits de propriété intellectuelle sont spécifiquement prévus par l’Accord sur les

ADPIC. L’examen des législations d’application des Membres de l’OMC par le

Conseil des ADPIC a été l’occasion pour que le mécanisme d’exécution des droits du

membre soit soumis à l’évaluation multilatérale. L’examen des législations

d’application peut inciter la Chine à améliorer son mécanisme d’exécution du droit qui

est considéré comme l’un des recours prioritaires pour assurer la protection constante

de la propriété intellectuelle 1660 . Depuis son accession à l’OMC, la Chine a

régulièrement notifié ses lois et règlements en ce qui concerne l’application de

l’Accord sur les ADPIC dans l’ordre juridique interne et par conséquent a aussi facilité

1660 V., Peter K. YU, « Still dissatisfied after all these years: intellectual property, post-WTO China, and the avoidable cycle of futility », op. cit., p. 16.

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523

l’examen du Conseil des ADPIC 1661 . Les procédures d’examen prévoient la

communication des questions et des réponses par écrit ainsi que des discussions entre

membres de l’OMC au cours de la réunion. C’est dans ce contexte que les faiblesses du

mécanisme d’exécution du droit chinois peuvent être systématiquement soulignées.

Alors que ces faiblesses sont considérées à l’aune des exigences de la protection des

droits de propriété intellectuelle, elles demeurent cependant présentes dans d’autres

domaines du droit et traduisent par conséquent des problèmes existant dans l’ensemble

d’un système juridique. La soumission des problèmes à l’examen multilatéral pourrait

conduire le gouvernement chinois à adopter des mesures concrètes visant à améliorer

ou à résoudre ces problèmes. Il s’agit notamment de la suppression du protectionnisme

local (A) et du renforcement de la coopération interinstitutionnelle (B), à la base de la

consolidation du mécanisme d’application du droit.

A. – L’exigence de suppression du protectionnisme local

524. - Soumis à l’examen des membres de l’OMC (1), la suppression du

protectionnisme local est aussi l’un des objets de la reforme du droit interne. Les

mesures de recentralisation, qui sont plus visibles dans le domaine du droit de propriété,

ne sont qu’une tentative de réponse à ce problème (2).

(1). – L’examen sur le problème du protectionnisme local dans le cadre de l’OMC

525. - Le protectionnisme local et la corruption font partie des phénomènes néfastes

qui encombrent la réforme juridique en Chine 1662. Le projet de suppression du

protectionnisme local comme obstacle à l’exécution effective de la législation interne

concernant les droits de propriété intellectuelle fut prévu par le mémorandum d’accord 1661 V., OMC, Examen de la législation, Chine, IP/Q/CHN/1, IP/Q2/CHN/1, IP/Q3/CHN/1, IP.Q4/CHN/1, 10 décembre 2002. 1662 V., REN Jianxin, « Zuigao renmin fayuan gongzhuo baogao (Rapport annuel de la Cours Suprême Populaire) », in Zuigao renmin fayuan gongbao (Gazette Officielle de la Cours Populaire Suprême), n° 2, 1993, p. 55. V., aussi, V., Randall PEERENBOOM, « What have we learned about law and development? Describing, predicting, and assessing legal reform in China », op. cit., p. 861; Stanley LUBMAN, « Bird in a cage: Chinese law reform after twenty years », 20 Nw. J. Int’l L. & Bus. 383, p. 396.

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524

sino-américain du 19951663. Alors que le gouvernement chinois a souligné ses progrès

en matière de suppression du protectionnisme local dont certains individus ont tiré

profit et qu’il a insisté sur sa décision de sanctionner systématiquement les pratiques

illégales telles que la contrefaçon et le piratage, le protectionnisme local en Chine fait

toujours l’objet des critiques de la part des membres de l’OMC. Ainsi, selon le

gouvernement japonais, le gouvernement chinois doit faire preuve d’autorité pour

empêcher les administrations et les gouvernements régionaux de favoriser les branches

locales de production1664. De manière régulière, les États-Unis se plaignent du fait que

la mise en oeuvre efficace des droits de propriété intellectuelle en Chine est gênée,

entres autres, par le protectionnisme local et la corruption1665. Selon les membres de

l’OMC, en plus de l’insuffisance du pouvoir dissuasif des sanctions prévues, le

protectionnisme local est une des causes majeures des atteintes aux droits de la

propriété intellectuelle. Les gouvernements locaux ou les agents d’administrations

locales qui tirent directement ou indirectement des profits issus de la contrefaçon et de

la piraterie –du fait de leur double rôle en tant que régulateurs et agents économiques–

tendent à couvrir les violations des droits de propriété intellectuelle, en se méfiant des

dispositions de la loi1666. Le protectionnisme local prend plusieurs formes concrètes. Il

est susceptible de résulter essentiellement de mesures arbitraires favorisant les

commerçants et les producteurs locaux, ou de la corruption locale permettant aux

fabricants ou aux marchands locaux de produits contrefaits d’être avertis à l’avance des

perquisitions prévues 1667 . Il semble en outre que les administrations locales

compétentes n’ont pas toutes les capacités requises pour faire respecter les droits de

1663 V., Memorandum of Understandings between the Government of the United States of America and the Government of the People’s Republic of China on the Protection of Intellectual Property, Annexe I Action Plan for Effective Protection and Enforcement of Intellectual Property Rights, I, 5 a), in Journal of International Law and Practice, summer 1995, p. 420. 1664 OMC, Compte rendu de la réunion, tenue au Centre William Rappard du 17 au 19 septembre 2002, IP/C/M/37/Add.1, 8 novembre 2002, § 38. 1665 V., United State Trade Representative, 2006 Report to Congress on China’s WTO Compliance, p. 76. 1666 V., Daniel C. K. CHOW, « Counterfeiting in the People’s Republic of China », 78 Wash.U. L.Q. 1(2000), p. 27; même auteur, The legal system of the People’s Republic of China, West Group Publishing, 2003, p. 440; Frederik BALFOUR, « Counterfeiting’s rise », Bus. Wk., Feb. 7, 2005, p. 62. 1667 V., OMC, Examen des politiques commerciales : rapport du Secrétariat, République Populaire de Chine, révision, WT/TPR/S/161/Rev.1, 26 juin 2006, p. 185.

Page 533: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

525

propriété intellectuelle.

(2). – La tentative de recentralisation comme résolution au problème du

protectionnisme local

526. - Le protectionnisme local est le corollaire de la décentralisation, mais les

raisons plus profondes du problème tiennent dans les écarts du droit chinois par rapport

au principe de l’État de droit. La suppression complète du protectionnisme local

suppose d’une certaine manière que l’ensemble du système politico-juridique chinois

soit refondé selon les exigences de l’État de droit1668. La première étape consiste à

établir un marché national en réunissant des compartiments territoriaux, ainsi qu’à

renforcer l’indépendance des juges locaux pour assurer l’application uniforme des

règles de droit contre l’intervention des gouvernements locaux1669. La suppression du

protectionnisme local s’accompagne de la reconquête des autorités locales au profit de

l’autorité centrale. C’est dans ce contexte que l’autorité du gouvernement central devra

être renforcée, alors que la marge de manoeuvre des localités devra être réduite. Il

s’agit-là d’un inverse de la décentralisation. Cette tendance de recentralisation s’est

déjà manifestée en matière de droit de propriété : le gouvernement central intervient à

l’occasion de démolitions des bâtiments afin de contrôler les pratiques des

gouvernements locaux susceptibles de conduire à des protestations sociales. Le

pouvoir d’exproprier les terres agricoles de propriété collective a été redéfini par la loi

sur l’administration du sol révisée en 2004. La supervision et la gestion des actifs

d’État des entreprises ont été largement concentrés dans les mains de la Commission

d’État chargée de la supervision et de la gestion des actifs de l’État (SASAC), etc. Sous

l’influence de l’internationalisation du droit de la propriété intellectuelle, le besoin

d’en finir avec le protectionnisme local ne peut qu’encourager la tendance de 1668 V., LI Yiqiang, « Evaluation of sino-american intellectuel property agreements: a judicial approach to solving the local protectionism problem », 10 Colum. J. Asian L. 391, p. 422; Jeffrey W. BERKMAN, « Intellectual property rights in the P.R.C.: Impediment to protection and the need for the rule of Law », op. cit., pp. 34 et 35; CAO Jianming, « WTO and the rule of law in China », 16 Temp. Int’l & Comp. L.J. 379, p. 390. 1669 Randal S. ALEXANDER, « China’s struggle to maintain economic viability while enforcing international and domestic intellectual property rights », 4 J. Marshall Rev. Intell. Prop. L. 608, p. 622.

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526

recentralisation des pouvoirs publics concernant l’exercice du droit de propriété. En ce

sens, le droit international impose plusieurs exigences au droit chinois, à savoir

l’application uniforme des règles de droit et la garantie effective des droits consacrés

par la loi. Ces mesures correspondent parfaitement au but de la réforme vers la

recentralisation sur le plan interne. Il faut souligner toutefois que la recentralisation

n’étant qu’une tentative pour résoudre le problème du protectionnisme local, son

effectivité est conditionnée par le succès de l’ensemble des efforts visant à construire

un État de droit en Chine.

B. – L’exigence de renforcement de la coopération interinstitutionnelle

527. - Plusieurs administrations s’impliquent dans la mise en oeuvre des droits de

propriété intellectuelle. L’organisation des affaires de la protection des droits de

propriété intellectuelle dans l’ensemble du territoire national est désormais assumée

par un organe interinstitutionnel institué au niveau du gouvernement central (1).

Contrastant avec l’avancée de la coopération entre les organes administratifs, la

coopération entre l’autorité judicaire et les administrations demeure toutefois

insuffisante (2). Le renforcement de la coopération interinstitutionnelle, exigé par la

mise en oeuvre effective du droit de la propriété intellectuelle en Chine, peut

contribuer à l’amélioration de la protection de la propriété dans un contexte plus large.

(1). – L’avancée de la coopération des organes administratifs dans la protection des

droits de propriété intellectuelle

528. - L’importance du mécanisme de liaison interinstitutionnelle concernant la

protection effective du droit de propriété intellectuelle a déjà été soulignée par les

membres de l’OMC lors de l’examen des législations1670. Comme dans beaucoup de

pays, un grand nombre d’institutions différentes doivent coopérer les unes avec les

autres pour coordonner leur action en vue notamment de lutter contre la piraterie et la

contrefaçon. La coopération interinstitutionnelle est d’autant plus importante en Chine 1670 V., OMC, Compte rendu de la réunion, précité, § 29.

Page 535: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

527

que la protection des droits de propriété intellectuelle emprunte plusieurs voies

parallèles. En cas d’atteinte à ces droits, leurs titulaires peuvent soit engager une

procédure judiciaire devant les tribunaux, soit déposer une plainte auprès des

administrations compétentes. En vertu des lois et des règlements en vigueur, les

administrations peuvent ordonner, parmi diverses mesures administratives, l’arrêt des

atteintes ou infliger des amendes1671. Sur le plan organique, plusieurs départements

assument respectivement les fonctions de protection de la propriété intellectuelle. Ce

sont l’Office Nationale de la Propriété Intellectuelle, l’Administration d’État pour

l’Industrie et le Commerce, l’Administration Générale de la Presse et de la Publication,

l’Administration Nationale des Droits d’Auteur, le Ministère de la Culture, le Ministère

de l’Agriculture, le Bureau National d’Administration Forestière, le Ministère de la

Sécurité Publique, l’Administration Générale des Douanes, etc. En 2004, a été institué

un Groupe national de travail pour la protection de la propriété intellectuelle ayant à sa

tête un vice-premier ministre du CAE dont les membres sont désignés par différents

ministères, commissions d’État, bureaux nationaux qui investissent leur compétence en

matière de propriété intellectuelle, ainsi que la Cour populaire suprême et le Parquet

suprême1672. L’objectif de ce Groupe national de travail consiste à orienter, planifier et

coordonner des travaux de protection de la propriété intellectuelle dans tout le pays. Ce

qui témoigne du fait que « la protection de la propriété intellectuelle est devenue une

priorité pour le Gouvernement chinois »1673. Dès lors, des campagnes ont été menées

par le biais d’actions entreprises en parallèle et adoptées par des ministères compétents

pour la protection des droits de propriété intellectuelle autour des thèmes arrêtés par le

Groupe national de travail1674. Alors que la collaboration des organes administratifs est

1671 V., articles 57 et 58 de la loi sur les brevets ; article 53 de la loi sur les marques ; article 47 de la loi sur les droits d’auteurs ; article 24 du Règlement sur la protection des programmes informatiques. 1672 V., Office d’information du CAE, Nouveaux progrès de la protection de la propriété intellectuelle en Chine 2005, précité. 1673 Paul RANJARD, « La Chine : une prise en conscience ? », Revue de la propriété industrielle et artistique, 2005, n° 220, p. 19. 1674 Depuis 2005, les campagnes de protection des droits de propriété intellectuelle menées sous l’orientation du Groupe de travail comportent les actions ciblées de contrôle sur les matières de la mise en oeuvre des droits de propriété intellectuelle, l’évaluation et la sélection des marques traditionnelles chinoises (Zhonghua laozihao), l’action « de cent jours » anti-piratage des droits d’auteurs, et l’établissement du mécanisme de communication avec les investisseurs étrangers dans le domaine de la

Page 536: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

528

institutionnalisée, la coordination entre les organes administratifs et l’autorité judicaire

–qui est pourtant plus essentiel pour la protection effective des droits de propriété

intellectuelle– demeure insatisfaisante. Ce qui reflète l’une des faiblesses

systématiques du droit chinois.

(2). – La coordination insatisfaisante entre l’autorité judiciaire et les organes

administratifs

529. - Selon les membres de l’OMC, la coordination entre les différentes autorités

administratives, et surtout entre les autorités judiciaires et les administrations, ne sont

pas satisfaisantes1675. Ce fait se traduit notamment dans l’enquête sur les violations des

droits de propriété intellectuelle. En effet, alors que les dispositions législatives

prévoient les peines à infliger pour les graves contrefaçons et les actes de piratage,

l’enquête du parquet n’est normalement déclenchée qu’à la suite de l’envoi des affaires

par les organes administratifs compétents afin de sanctionner les violations des droits

de propriété intellectuelle par les peines criminelles. Dans bon nombre de cas, l’affaire

a été clôturée dès lors que les sanctions administratives avaient été prises par les

organes administratifs, sans pour autant être transmise au parquet pour que des

poursuites soient finalement engagées à l’encontre des malfaiteurs1676. Il était assez

fréquent que le traitement des affaires par les organes administratifs soit discrétionnaire,

empêchant de mettre en oeuvre la loi pénale à propos de la violation des droits de

propriété intellectuelle. Il est donc souhaitable d’élargir le pouvoir d’intervention du

parquet dans les affaires de contrefaçon ou de piratage pour que le recours au droit

pénal soit davantage effectif.

Mais il faut souligner que la coordination insatisfaisante des institutions dans la

protection des droits de propriété intellectuelle témoigne d’une faiblesse de l’ensemble propriété intellectuelle, etc. V., HAN Tiecheng, « La Chine: une prise de conscience ? », Revue de la propriété industrielle et artistique, 2005, n° 220, pp. 16 à 18. 1675 V., OMC, Compte rendu de la réunion, précité, § 38. 1676 V., Sabra CHARTRAND, « Stepping up the pressure against piracy in China », N.Y. Times, 6 décembre 2004, C7; Anthony LAWRANCE, « Pirates of the PRD », South China Morning Post, 16 septembre 2005, 18; Kate Colpitts HUNTER, « Here there be pirates: how China is meeting its IP enforcement obligations under TRIPS », 8 San Diego Int’l L.J. 523, p. 547.

Page 537: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

529

du système juridique chinois. Rappelons l’existence d’un problème similaire en ce qui

concerne la démolition des bâtiments dans des zones urbaines où le droit de propriété

est mis en cause. Dans le régime juridique de la démolition des bâtiments dans des

zones urbaines établi par le règlement du CAE, le pouvoir administratif l’emporte sur

l’autorité judiciaire dans chaque phase de l’exécution du projet de démolition. En vertu

du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones

urbaines, les gouvernements locaux compétents peuvent déterminer la légalité des

mesures d’expropriation en délivrant aux expropriants le permis de démolir, alors que

le contrôle judiciaire sur les décisions des gouvernements locaux reste très marginalisé

en raison de la distinction entre actes administratifs concrets et abstraits. D’ailleurs, le

désaccord entre les expropriés et l’expropriant sur l’indemnisation doit être réglé par

voie administrative, à savoir l’arbitrage par des gouvernements locaux, avant qu’il ne

soit porté devant les tribunaux. Les gouvernements locaux ont le droit de procéder à

l’exécution forcée de la démolition des bâtiments dans des zones urbaines, alors que

les différends sur le montant de l’indemnisation restent pendants devant les tribunaux

locaux1677. En résumé, le pouvoir administratif est plus « puissant » que le pouvoir

judiciaire en matière de garantie du droit de propriété en cas d’expropriation. Cette

réalité correspond en sa substance à la situation susmentionnée dans la mise en oeuvre

des garanties des droits de propriété intellectuelle. À cet égard, le renforcement de la

coopération interinstitutionnelle exigé par l’Accord sur les ADPIC ne peut se réaliser

qu’à travers la réforme systématique de la relation entre pouvoir administratif et

pouvoir judiciaire. Ceci est dans la ligne pour améliorer l’efficacité du mécanisme

d’exécution du droit. 1677 V., supra, n° 309.

Page 538: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

530

CONCLUSION DU CHAPITRE

530. - Par la conclusion des accords bilatéraux de protection des investissements et

l’adhésion à l’Accord sur les ADPIC, le droit international économique constitue une

source juridique importante de la protection de le propriété, dont la spécificité, mais

aussi la limite, tiennent dans le fait que ce n’est pas le droit de propriété qui est visé de

façon générale. C’est la propriété sous sa forme concrète d’investissement ou les biens

incorporels résultant de la création intellectuelle qui sont protégés en tant que droits

privés. Le droit international économique enrichit le droit interne, dans la mesure où

non seulement il comporte les normes substantielles comblant la lacune du droit

interne sur la protection des investissements ou des droits de propriété intellectuelle,

mais aussi les mécanismes assurant la mise en oeuvres effective des garanties des

droits ainsi établis. Il faut remarquer que l’utilité du droit international économique

comme source juridique du droit chinois dépasse le domaine du droit de propriété, et

influence l’ensemble du système juridique de la Chine. Ainsi en est-il de l’Accord sur

les ADPIC étant donné que les principes relatifs à la mise en oeuvre des garanties des

droits de propriété intellectuelle traduisent également des principes juridiques

fondamentaux de l’État de droit. À cet égard, le droit international économique joue un

double rôle de révélateur et d’indicateur : il met en relief les problèmes existants, et

propose des lignes d’orientation pour résoudre les problèmes constatés. Il faut toutefois

remarquer que l’acceptation des normes de droit international économique en droit

interne chinois est dans une large mesure conduit par la considération pragmatique

selon laquelle le bon usage du droit international économique est un gage de

développement économique pour une Chine qui s’implique désormais profondément

dans l’économie mondiale. Cette idée courante qui admet l’utilité du droit international

économique traduit la volonté du gouvernement chinois de tirer profit du droit

international pour son propre intérêt économique ou politique. Il reste néanmoins à

savoir si l’apport du droit international économique peut dépasser la limite du

pragmatisme du droit interne et contribuer à l’amélioration de la protection du droit de

propriété au sens général.

Page 539: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

531

CONCLUSION DU TITRE

531. - S’il est vrai que les sources juridiques de la protection de la propriété existent

aussi bien en droit international des droits de l’homme qu’en droit international

économique, le développement de ces deux aspects du droit international est pourtant

inégal. Au regard de son contenu, de la force contraignante des normes relatives à la

propriété, ainsi que de l’effectivité des mécanismes pour sa mise en oeuvre, le droit

international des droits de l’homme est relativement moins « puissant » que le droit

international économique qui manifeste plus directement et de manière plus visible son

influence sur l’ordre juridique interne chinois. Le caractère contrasté de la position du

gouvernement chinois, à savoir sa prudence envers le droit international des droits de

l’homme d’un côté, et, de l’autre côté, son acceptation pragmatique du droit

international économique, fait aussi qu’il se révèle un facteur de déséquilibre pour le

développement du droit international. Néanmoins, du fait même que la protection de la

propriété est visée aussi bien par le droit international des droits de l’homme et par le

droit international économique, le déséquilibre des deux aspects du droit international

pourrait générer un rapport conflictuel. Pour éviter ce conflit, il faudrait établir la

complémentarité entre droits de l’homme et droit du commerce pour déboucher sur une

collaboration des différentes branches du droit international. Cette collaboration sera

nécessaire pour véritablement améliorer la protection de la propriété. La tâche de

collaboration incombe de prime abord à chaque État dès lors qu’il met en oeuvre du

droit international dans l’ordre juridique interne. Que ce soit par la transposition ou par

l’application directe des normes internationales ou par l’adaptation du droit interne, la

mise en oeuvre du droit international en faisant la collaboration du droit international

économique et des droits de l’homme exige l’abandon de l’approche sélective du droit

interne vis-à-vis les normes internationales. Pour le droit chinois, le fait d’améliorer la

protection de la propriété par la prise en compte des normes internationales, tout en

évitant « de nouveaux risques de déséquilibre »1678 entre droits de l’homme et droit du

commerce, est une étape importante à franchir.

1678 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p. 569.

Page 540: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

532

TITRE II. – LA MISE EN OEUVRE DES NORMES INTERNATIONALES

532. - Le droit international constitue une source juridique importante pour la

protection de la propriété à cause non seulement de l’existence des normes pertinentes

mais aussi de son application tant sur le plan international que dans l’ordre juridique

interne. Certes, faute de contrôle juridictionnel formel, la mise en oeuvre des normes

internationales relatives à la propriété sur le plan international s’élabore souvent dans

le fonctionnement des mécanismes d’observation plus politiques que juridiques

(CHAPITRE I). Il ne faut pourtant pas négliger l’influence des critiques qui découlent

des observations internationales et qui soulignent les problèmes du droit chinois en

matière de propriété. Car la prise en compte de ces critiques peut inciter à améliorer les

garanties de ce droit. L’application des normes internationales concernant la protection

de la propriété prend de l’ampleur sur le plan international, avec la montée en

puissance du droit international économique et notamment du droit de l’OMC qui

impose désormais plus de contraintes sur le droit interne chinois.

533. - Sur le plan interne, l’application directe des règles de droit conventionnel

n’est pas une pratique généralement acceptée pour exécuter les engagements

internationaux pris par l’État. La législation demeure le moyen le plus important de la

transposition des normes internationales en droit interne chinois. L’amélioration de la

garantie du droit de propriété au sens général peut donc tirer profit de l’adaptation du

droit chinois aux normes internationales (CHAPITRE II). Qu’il s’agisse de la référence

volontaire au droit international ou de la mise en oeuvre des normes de droit

international sous certaines formes de contraintes juridiques, l’adaptation du droit

chinois demeure largement autonome. Et c’est la raison pour laquelle coexistent des

obstacles à dépasser et des risques à éviter pour améliorer la protection de la propriété

en droit chinois en tenant compte l’influence du droit international, alors même que les

avancées sont si encourageantes.

Page 541: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

533

CHAPITRE I – LA PROTECTION DE LA PROPRIÉTÉ EN CHINE SOUMISE

AUX OBSERVATIONS INTERNATIONALES

534. - La multiplication des engagements internationaux pris par la Chine

s’accompagne de l’acceptation par celle-ci des mécanismes d’examen de droit

international portant sur le droit interne. Dans ce contexte, le respect sourcilleux de la

souveraineté nationale visant à éviter le plus possible que toute organisation

internationale ou tout État puisse faire preuve d’ingérence dans les affaires intérieures

chinoises est devenu archaïque1679. Certes, si l’acceptation des mécanismes d’examen

de droit international peut aider à faire évoluer l’idée de l’infaillibilité des lois, et par

conséquent contribuer à l’instauration du contrôle de constitutionnalité des lois en droit

interne, il faut néanmoins admettre que la plupart des mécanismes déjà acceptés par la

Chine ne connaissent pas la même rigueur que le contrôle juridictionnel qui a pour

mission de rendre publiques les incompatibilités du droit interne avec les normes

internationales reconnues, et de condamner l’État pour sa violation des normes de droit

international. La principale fonction des mécanismes d’examen auxquels la Chine se

soumet volontairement consiste à promouvoir l’amélioration de la situation interne par

l’élaboration de guides utiles, et en cas de besoin, en suscitant des pressions politiques

à l’égard du gouvernement chinois auprès de la communauté internationale. L’examen

des droits de l’homme dans le domaine du droit international pour ainsi produire ses

impacts sur la situation du droit de propriété en Chine (SECTION I).

535. - Certes, depuis le lancement de la politique d’ouverture, la Chine s’implique

sans relâche dans le processus de la mondialisation de l’économie qui sous-tend « la

dynamique de la mondialisation du droit »1680. La mise en place de la politique

d’ouverture s’accompagne aussi de l’acceptation par la Chine de normes

internationales qui peuvent contribuer à la jouissance des biens privés. Comme la mise

en place progressive de l’économie de marché en Chine a fait sauter le verrou politique

condamnant l’existence de la propriété privée, l’on peut affirmer que « les années de la

1679 V., Jiangyu WANG, « China and universal human rights », 29 Syracuse J. Int’l. L. & Com. 135. 1680 Cf., Eric LOQUIN, Catherine KESSEDJIAN (sous la dir. de), La mondialisation du droit, Litec, 2000.

Page 542: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

534

réforme économique étaient [aussi] favorables au développement des droits de

l’homme »1681. Certains mécanismes d’examen de droit international économique

peuvent jouer un rôle plus important du fait des contraintes qu’ils peuvent imposer à la

Chine pour la consolidation du droit de propriété privée en droit interne (SECTION II).

De manière remarquable, l’examen des politiques commerciales dans le cadre de

l’OMC1682 à permis d’aborder la question de propriété dans le système juridique

chinois. Car il n’est guère contestable d’affirmer que le droit de propriété fait partie de

l’ensemble des éléments de politique commerciale. La protection du droit de propriété

relève aussi du droit international relatif aux investissements étrangers. Les

mécanismes de règlement des différends inscrits dans les traités bilatéraux relatifs aux

investissements ouvrent la voie aux observations internationales sur la protection du

droit de propriété dans les cas concrets de règlement des différends d’investissement.

L’acceptation par la Chine, par la conclusion des traités bilatéraux relatifs aux

investissements, de la compétence du Centre International de Règlement des

Différends d’Investissements (CIRDI) pour traiter les différends entre l’État hôte d’une

part et les investisseurs étrangers d’autre part, est révélatrice de l’assouplissement de

l’attitude de la Chine envers les mesures de contrôle international 1683 . Le

fonctionnement de l’Organe de règlement des différends (ORD) dans le cadre de

l’OMC peut davantage impliquer la Chine dans « la juridictionnalisation du droit

international »1684. Alors que le mécanisme de règlement des différends de l’OMC

n’ait cessé de soulever des interrogations quant à son appartenance au domaine

1681 CHEN Xuanling, « L’émergence de la notion de droits de l’homme sous l’influence de la réforme économique depuis 1978 », in Lydie KOCH-MIRAMOND, Jean-Pierre CABESTAN, Françoise AUBIN, Yves CHEVRIER (sous la dir. de), La Chine et les droits de l’homme, L’Harmattan, 1991, p. 99. 1682 L’Organe d’examen des politiques commerciales de l’OMC a procédé au premier examen des politiques commerciales en date des 19 et 21 avril 2006, et au deuxième examen en date des 21 et 23 mai 2008. 1683 V., Stephan W. SCHILL, « Tearing down the Great Wall: the new generation investment treaties of the People’s Republic of China », op. cit., pp. 91 à 93; SHAN Wenhua, « The international law of EU investment in China », op. cit., p. 590; CHEN Qiang, « Chinese practice in public international law: 2003(II) », 3 Chinese J. Int’l L. 591, pp. 606 à 610. 1684 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (III) : la refondation des pouvoirs, op. cit., p. 42.

Page 543: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

535

juridique1685 ou politique1686, la nature obligatoire de la compétence des groupes

spéciaux et celle de l’Organe d’appel restreint significativement le choix des membres

de l’OMC quant aux moyens de résolution des conflits commerciaux. Il est vrai que ce

mécanisme interétatique ne vise pas directement, rationae materiae, la question de

droit de propriété au sens général, les droits de propriété intellectuelle font toutefois

l’objet des affaires traitées par l’ORD. La participation de la Chine au règlement des

différends, surtout en tant que défendeur en matière de propriété intellectuelle1687, ne

peut qu’étayer sa prise de conscience de l’influence de la dynamique

d’internationalisation du droit qui travaille son droit interne.

SECTION I. – L’EXAMEN DE LA SITUATION DU DROIT DE PROPRIÉTÉ

EN CHINE DANS LE CADRE DU DROIT INTERNATIONAL DES DROITS

DE L’HOMME

536. - Par la ratification du PIDESC, la Chine s’engage à présenter ses rapports sur

les progrès accomplis et les mesures qu’elle aura adoptées afin d’assurer le respect des

droits reconnus. Tandis que le droit de propriété ne figure pas dans le PIDESC,

l’interdépendance entre le droit de propriété et les droits économiques, sociaux et

culturels conduit à ce que la mise en oeuvre de ces derniers par les États contribue à la

promotion du droit de propriété. L’examen du rapport entrepris par le Comité des

droits économiques, sociaux et culturels peut inciter en quelque sorte l’État chinois à

mieux respecter le droit de propriété (Sous-section 1). Quant au contrôle portant sur les

affaires de plaintes individuelles par le Comité des droits de l’homme dans le cadre du

PIDCP, son incidence sur la Chine est relativement plus faible, sinon négligeable. La

Chine a promis de ratifier le PIDCP dans un avenir proche1688 mais elle n’a pourtant

1685 V., Hélène RUIZ-FABRI, « La juridictionnalisation du règlement des litiges économique entre États », Revue de l’arbitrage, 2003, n° 3, pp. 881 à 947. 1686 V., Dominique CARREAU, Patrick JUILLARD, Droit international économique, op. cit., §§ 204 et s. 1687 OMC, Chine-Mesures affectant la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle, DS 362, demande de consultation en date du 10 avril 2007. 1688 V., CHEN Qiang, « Chinese Practice in Public International Law: 2004 (II) », 4 Chinese J. Int’l L. 607.

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536

jamais exprimé l’intention d’accepter le Protocole facultatif au PIDCP instaurant le

mécanisme de contrôle sur les affaires de plaintes individuelles. Dans ce contexte, les

mécanismes de contrôle portant sur la protection des droits de l’homme au plan

international sont moins juridiques que politiques, témoignant donc de la limite

de l’impact du droit international des droits de l’homme sur le droit interne1689. Ainsi,

les observations de nature non juridique peuvent avoir une influence sur un État

subissant des pressions politiques. Depuis l’évènement de la place de Tian’an men qui

a eu lieu en 1989, la Chine est devenue une cible privilégiée des critiques de la

communauté internationale en matière de droits de l’homme. Depuis 1990, il y a eu

plus de 11 initiatives de résolution concernant la violation des droits de l’homme en

Chine portées devant la Commission des droits de l’homme à Genève et toutes ont

échoué à cause de la résistance du gouvernement chinois1690. L’approche sélective de la

Chine dans son acceptation des engagements internationaux prête le flanc à des

critiques alors même que le gouvernement chinois a fait des progrès sur les droits

économiques, sociaux et culturels 1691 . D’ailleurs, certains États peuvent exercer

certaine pression diplomatique sur la Chine en ce qui concerne la situation des droits

de l’homme. Ainsi en est-il, les États-Unis ont eu l’occasion d’imposer le respect des

droits de l’homme à la Chine comme condition préalable à l’attribution et au

renouvellement du traitement du pays le plus favorable dans la relation commerciale

sino-américaine1692. Pour faire face à la pression politique internationale venante de la

communauté internationale ou de certains États étrangers, la politique des affaires

étrangères du gouvernement chinois se doit d’intégrer la mise en oeuvre des

obligations relatives à la protection des droits de l’homme conformément aux

1689 V., Margaret E. MCGUINNESS, « Exploring the limits of international human rights law », 34 Ga. J. Int’l & Comp. L. 393. 1690 V., Xinhua News Agency, Chronology of defeats of anti-China human rights attempts, disponible sur le site www.china.org.cn/english/international/93203.htm, consulté le 16 avril 2004. 1691 V., Ron WHEELER, « The United Nations Commission on Human Rights, 1982-1997: A study of ‘targeted’ resolutions », 32 Can. J. Pol. Sci. 75, 81 (1999). 1692 V., Randall GREEN, « Human rights and most-favored-nation tariff rates for products from the People’s Republic of China », 17 U. Puget Sound L. Rev. 611; v., aussi, Lawrence FRIEDMAN, « On human rights, the United States and the People’s Republic of China at century’s end », 4 J. Int’l Legal Stud. 241; Robbyn REICHMAN-COAD, « Human rights violations in China: A United States response”, 15 N.Y.L. Sch. J. Int’l & Comp. L. 163.

Page 545: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

537

instruments internationaux1693. La protection de la propriété peut tirer profit de cette

réponse de la Chine sur la pression internationale.

537. - En ce qui concerne la situation du droit de propriété, elle fait aussi l’objet des

observations moins politisées et donc plus crédibles de la part des acteurs civils que

sont majoritairement les organisations non gouvernementales les plus importantes et

influentes. Les critiques d’Amnesty International ainsi que celles de Human Rights

Watch jouent un rôle complémentaire du fait de leur indépendance et de leur

impartialité par rapport aux organes des droits de l’homme de l’ONU. Aux

observations des autres acteurs de la communauté internationale, au premier plan

desquelles figurent celles des organisations non gouvernementales, s’ajoutent les

critiques de certains États qui ont permis d’exercer une pression non négligeable sur la

Chine. Ces observations constituent une alternative à la condamnation de la Chine par

les institutions judiciaires ou quasi-judiciaires internationales (Sous-section 2). Ainsi, à

long terme et dans un contexte plus large, la pression politique extérieure résultant des

critiques de la communauté internationale pourrait également influer sur la réforme du

droit chinois vers l’amélioration de la garantie des droits de l’homme qui font l’objet

d’une reconnaissance universelle.

Sous-section 1. – L’intervention du Comité des droits économiques,

culturels et sociaux dans l’examen des rapports de l’État

538. - Dépourvus de toute force juridique contraignante, les avis du Comité des

droits économiques, sociaux et culturels, tels que les observations, les constats, etc.,

véhiculent une politique d’ « activation normative » dynamique1694 à l’égard du droit

interne des États membres du PIDESC. Par son observation générale n° 3, le Comité

précise que le PIDESC, contrairement aux apparences, impose bel et bien des

1693 V., Sophia WOODMAN, « Human rights as ‘foreign affairs’: China’s reporting under human rights treaties », 35 HKLJ 179, pp. 179 et s. 1694 V., Jean-François FLAUSS, « La protection des droits de l’homme et les sources du droit international, rapport général », in Société française pour le droit international, La protection des droits de l’homme et l’évolution du droit international, colloque de Strasbourg, A. Pedone, 1998 p. 30.

Page 546: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

538

obligations de « hard law » dont certaines sont même pourvues d’un « effet direct »1695.

Le Comité est davantage constructif concernant la mise en oeuvre des droits énoncés

dans le PIDESC lorsqu’il interprète de manière extensive le droit à un niveau de vie

suffisant –aux termes de l’article 11– en y intégrant le droit au logement, le droit à

l’alimentation, le droit à l’eau potable, etc. C’est notamment par le biais du droit au

logement que la question du droit de propriété a été abordée dans l’examen sur le

rapport présenté par la Chine (§ 1). Selon l’observation du Comité, la Chine comme

tous les autres États parties s’engagent désormais à respecter les « obligations

internationales »1696 concernant la protection du droit de propriété, sinon au sens

général, du moins par son indivisibilité avec les droits économiques, sociaux et

culturels, par excellence, le droit au logement, dont le respect est exigé par le PIDESC

(§ 2).

§ 1. – La question du droit de propriété abordée dans le rapport chinois

539. - En 2003, la Chine a présenté son rapport initial sur l’application du

PIDESC1697. Après avoir obtenu les réponses de la Chine sur les questions posées1698,

le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a adopté son observation finale

sur l’examen du rapport de la Chine1699. En s’appuyant sur l’article 11 intitulé « droit à

un niveau de vie suffisant », la question du droit de propriété fut abordée sous l’angle

des pratiques d’expropriation (A) et du droit foncier (B) dans le rapport initial présenté

1695 CESCR, General comments 3: The nature of State parties obligations, 14/12/90, UN document E/1991/23, § 5. 1696 V., Commission des droits de l’homme, Rapport du Groupe de travail à composition non limitée chargée d’examiner les options en ce qui concerne l’élaboration d’un protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 15 mars 2004, E/CN.4/2004/44. 1697 Conseil économique et social, session de fond 2004, Rapports initiaux présentés par les États parties en vertu des articles 16 et 17 du Pacte, Additif République Populaire de Chine, E/1990/5/Add.9, 4 mars 2004. 1698 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, 34e session, Replies by the governement of the People’s Republic of China, CESCR/NONE/2004/10. 1699 Conseil économique et social, 34e session, Examen des rapports présentés par les États parties conformément aux articles 16 et 17 du Pacte, République populaire de Chine (y compris Hongkong et Macao), E/C.12/1/Add.107, 13 mai 2005.

Page 547: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

539

par le gouvernement chinois.

A. – Les pratiques d’expropriation à l’épreuve du droit au logement

540. - Par une approche défensive, le rapport initial du gouvernement chinois a mis

l’accent sur les mesures progressistes qu’il a entreprises en régulant les pratiques

d’expropriation (1). Il est cependant regrettable d’observer que les maux que subissent

les citoyens relatifs au non respect de leur droit au logement ont été pourtant largement

camouflés par le rapport chinois (2).

(1). – Le progrès démontré

541. - Comme le droit au logement est considéré comme l’un des éléments du droit à

un niveau de vie suffisant, le rapport initial de la Chine a mentionné qu’« en 2001, le

Gouvernement a promulgué des règlements sur l’expropriation des logements,

précisant les dispositions en matière d’indemnisation et de réinstallation des citadins

expropriés et protégeant de façon générale les droits légaux des personnes frappées

d’expropriation ». Cela a été une preuve d’après lui de la position et des intentions de

l’État relatives à l’amélioration des conditions de vie de la population1700. Selon le

rapport chinois, la législation demeure la principale forme que prennent les efforts du

gouvernement concernant l’amélioration du droit au logement, sans toutefois que soit

précisée l’application des règles de droit dans les cas concrets. Pour convaincre le

Comité sur ses progrès, le rapport chinois a évoqué la statistique selon laquelle 80%

des ménages urbains étaient jusqu’alors propriétaires occupants tandis que plus de 70%

de toutes les familles résidant en permanence dans les villes étaient propriétaires de

leurs logements. De plus, le logement représente désormais une partie importante du

patrimoine des ménages urbains1701. Selon le raisonnement qui sous-tend le rapport du

gouvernement chinois, l’extension de la propriété privée en ce qui concerne les

logements est la preuve d’un plus grand respect du droit au logement, permis par les

1700 V., § 111 du Rapport initial de la Chine. 1701 V., § 114 du Rapport initial de la Chine.

Page 548: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

540

efforts de réforme menés par le gouvernement. Il est vrai que le logement est l’objet le

plus important du droit de propriété des individus, mais le rapport a mis uniquement

l’accent sur la dimension sociale de ce droit, tout en contournant le fait que les atteintes

au droit de propriété privée et l’ineffectivité du recours judiciaire étaient aussi les

causes principales qui faisaient obstacle à la pleine réalisation du droit au logement. À

cet égard, le rapport du gouvernement chinois confirme la « dissymétrie entre les droits

civils et politiques et les droits économiques et sociaux »1702, en omettant délibérément

l’aspect civil et politique du droit au logement, à savoir la garantie effective de la

propriété privée du logement des citoyens.

(2). – Les maux camouflés

542. - Si les conditions de logement des citoyens ont été améliorées avec la

croissance économique, la protection du droit au logement en cas d’expropriation n’est

pas à la hauteur des espérances des propriétaires. Comme on l’a déjà souligné1703,

l’expropriation des habitations, qui a pris de l’ampleur avec l’accélération du processus

d’urbanisation en Chine, est l’un des sujets qui provoque le plus de mécontentement

auprès du peuple. En effet, le Règlement d’administration sur la démolition des

bâtiments dans des zones urbaines adopté par le CAE en 2001 ne comporte pas de

garanties en faveur des propriétaires en cas de démolition des logements et d’expulsion

forcée. Surtout, ledit Règlement n’exige pas que la démolition des habitations urbaines

doive obéir à un motif d’intérêt général, ni que les indemnités doivent être

préalablement versées aux expropriés avant le transfert du droit de propriété des

habitations. Ces faits ont facilité les pratiques de « démolition barbare » –adjectif que

l’on emploie pour décrire les illégalités flagrantes des mesures d’expropriation– qui

ont gravement mis en cause le droit de propriété des habitants. Il faut d’ailleurs

souligner que le Règlement du CAE prévoit même la possibilité de démolir les

habitations par le concours de la force publique en vertu d’une ordonnance judiciaire

1702 Steve CHAN, « Human rights in China and the United States: competing visions and discrepant performances », Human Rights Quarterly, n° 24, 2002, pp. 1035 à 1053. 1703 V, supra, n° 316 et s.

Page 549: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

541

issue des tribunaux populaires locaux, en cas où l’expropriant et l’exproprié

n’arriveraient pas à se mettre d’accord sur le montant des indemnités. De plus, le litige

intenté par l’exproprié portant sur la légalité de l’indemnisation ne suspend pas

l’exécution des décisions de démolition, ce qui constitue encore une plus lourde

menace pour le droit de propriété dont disposent les habitants sur leurs logements.

Tous ces maux provenant du régime juridique actuel s’appliquant aux pratiques

d’expropriation des habitations urbaines n’ont point été mentionnés dans le rapport

initial de la Chine. La présentation dans le rapport initial chinois des règles relatives à

l’expropriation et de ses effets sur la protection du droit de propriété des logements

n’est qu’une trompe l’oeil : la réalité concernant la démolition des habitations urbaines

et l’expulsion par l’usage de la force offre un cruel désaveu au prétendu rôle protecteur

du Règlement adopté par le CAE. C’était uniquement dans sa réponse aux questions

posées par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels que le gouvernement

chinois a admis l’existence de pétitions signées par des habitants évacués contestant les

atteintes à leurs droits et à leurs intérêts légaux sur le logement. Il convient d’insister

sur le fait que l’irrégularité des opérations de démolition forcée, l’indemnisation

tardive et insuffisante demeurent les principales causes de mécontentement du

peuple1704. Ainsi, à la lumière du droit au logement sous menace des pratiques de

démolition forcée, on peut dire que la Chine n’a pleinement assumé ni son obligation

négative, à savoir celle de ne pas porter atteinte au droit de propriété des citoyens sur

leurs logements, ni son obligation positive, à savoir celle d’apporter ses aides à faciliter

la réalisation du droit au logement.

B. – Le droit foncier comme élément de la réalisation du droit à un

niveau de vie suffisant

543. - Conçu sous l’angle du droit à un niveau de vie suffisant, le droit de propriété a

été également abordé dans le rapport initial du gouvernement chinois. Mais il s’agit

d’une simple réaffirmation du régime juridique actuel en matière de droit foncier (1),

1704 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, 34e session, 25 avril – 13 mai 2005, Replies by the government of the People’s Republic of China, CESCR/NONE/2004/10, p. 58.

Page 550: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

542

alors que le vrai problème réside dans la mise en oeuvre du droit où l’écart entre les

règles et les pratiques demeure préoccupant (2).

(1). – La réaffirmation du régime juridique foncier dans les zones rurales pour assurer

la production agricole

544. - Quant à la protection du droit d’usage du sol collectif, à savoir le droit

d’exploitation forfaitaire du sol collectif et le droit d’usage du sol collectif pour la

construction d’habitations dont les titulaires sont les paysans, le rapport chinois se

contentait de réaffirmer les principes de ses lois et règlements en vigueur en la matière,

sans pour autant révéler tous les problèmes qui menacent la stabilité de la jouissance

qu’ont les paysans de leurs droits fonciers. Le rapport a rappelé que la Constitution de

la Chine dispose qu’à l’exception du sol déterminé par la loi comme propriété d’État,

toutes les terres rurales sont propriété collective, de même que les terrains dont les

foyers ruraux ont besoin pour construire des habitations. Par conséquent, les

propriétaires des habitations rurales ne disposent pas d’un droit de propriété sur le

fonds. En ce qui concerne le fondement du droit d’exploitation forfaitaire du sol

collectif, le rapport chinois a indiqué que la Chine a toujours fait de l’agriculture la

base de l’économie nationale, c’est la raison pour laquelle la protection des terres

agricoles est défendue comme constituant l’une des priorités du gouvernement central.

À cet égard, des zones de protection des terres agricoles de base ont été crées et elles

représentent 80% de l’ensemble des terres arables dans chaque province, région

autonome et municipalité subordonnée directement à l’autorité centrale et région

administrative. Selon le rapport, des contrôles rigoureux ont été mis en place depuis la

création de ces zones. Sauf exception approuvée par le CAE pour des motifs précisés

par la loi, aucun particulier ni entité ne peut modifier l’usage auquel elles sont

destinées ni les occuper à un autre titre1705. Ce contrôle rigide répond en réalité au

besoin –qui s’inscrit dans la réalisation du projet d’exploitation foncière– de limiter

l’expropriation illégale du sol collectif ou la libre cession des terres arables. Car ces

deux phénomènes entraînent la transformation des terres arables vers un usage non 1705 V., § 127 du Rapport initial de la Chine.

Page 551: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

543

agricole, ce qui revient à menacer la production agricole du pays. À cet égard, le

rapport du gouvernement chinois a mis en exergue sa ligne directrice concernant la

politique foncière dans les zones rurales, c’est-à-dire que la cessibilité des droits

fonciers doit nécessairement prendre en compte la sauvegarde impérative de la

production agricole qui est à la base de l’économie nationale. D’où le maintien de la

limitation à la libre cession du droit d’usage du sol rural comme l’un des principes du

droit foncier chinois.

(2). – L’écart entre la législation officielle et les pratiques menaçant les droits fonciers

des paysans

545. - La législation officielle telle qu’a été réitérée dans le rapport du gouvernement

chinois a une apparence parfaite. Pourtant, il est une réalité que les titulaires du droit

d’usage du sol collectif –qui sont souvent les membres des collectivités rurales–

subissent de graves atteintes causées par l’expropriation illégale. L’effet direct de

l’expropriation réside en ce que les paysans concernés perdent leur moyen de

production agricole sans pour autant obtenir une juste indemnisation. Le rapport de la

Chine a bien révélé que les règles législatives et réglementaires ont été établies pour

contrôler le changement d’utilisation des terres collectives en cas d’expropriation

illégale, mais il a bien contourné la question cruciale portant sur l’effectivité de ces

règles. En réalité, l’abus de pouvoir auquel se livrent les gouvernements locaux dans la

mise en oeuvre des procédures d’expropriation a entraîné un recul si remarquable des

terres agricoles que la production céréalière du pays a été menacée1706. De plus,

l’indemnisation insuffisante est la cause principale du mécontentement des paysans

privés de leur droit d’exploitation du sol collectif. En réalité, le destin du droit d’usage

du sol collectif dépend dans une large mesure du mécanisme de contrôle de

l’expropriation illégale. Or, l’efficacité de ce mécanisme sur l’expropriation des terres

rurales reste néanmoins peu probante dans le système juridique actuel. Il est vrai que

1706 V., reportage de l’Agence de presse Xinhua, « La Chine augmentera la superficie de ses terres arables », disponible sur le site http://www.french.xinhuanet.com/french/2006-08/30/content_306748.htm, consulté le 7 juin 2007.

Page 552: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

544

pour les paysans qui occupent la part majoritaire de la population chinoise, le droit

d’usage du sol apparaît sans doute comme la garantie du droit à un niveau de vie

suffisant. C’est aussi la raison pour laquelle est critiquable le rapport chinois qui a

intentionnellement dénaturé la situation pour justifier les performances du

gouvernement dans la protection du droit à un niveau de vie suffisant.

546. - Outre l’expropriation illégale des terres rurales, le droit d’usage du sol

collectif est menacé dans la pratique par la modification inattendue du contrat

d’exploitation forfaitaire. Considérées comme étant les éléments d’un contrat de droit

civil, les deux parties du contrat d’exploitation forfaitaire du sol ne sont pourtant pas

réellement égales tant sur le point de l’établissement du contrat que sur celui de

l’exécution de ce dernier. En effet, les collectivités locales ou des entités économiques

collectives –le plus souvent les villages, les cantons ou les communes– disposent,

comme partie du contrat d’exploitation forfaitaire du sol collectif, de plus de

prérogatives par rapport à l’autre partie du contrat, à savoir les foyers paysans. La loi

sur l’administration du sol et la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural confèrent à

la fois les pouvoirs de gestion et d’administration du sol collectif aux collectivités

locales ou aux entités économiques collectives rurales. Dans la pratique, ces dernières

peuvent unilatéralement résilier ou modifier le contrat d’exploitation forfaitaire au nom

de la gestion ou de l’administration des parcelles du sol rural faisant l’objet du contrat

d’exploitation forfaitaire. La résiliation ou la modification unilatérale sans

consentement des foyers des paysans ne peut que rendre précaires la jouissance du

droit d’usage et par conséquent la production agricole sur le sol rural. Le rapport de la

Chine a laissé entendre que le problème concernant la précarité du droit d’usage et de

l’exploitation agricole est lié à l’instabilité du contrat d’exploitation forfaitaire à titre

familial tout en affirmant que l’État chinois continuerait à consolider et à affiner le

programme de mise en place de contrats d’exploitation forfaitaire des terres avec les

communautés rurales de manière à assurer la stabilité à long terme du système1707. Il

faudrait cependant nuancer la raison sous-jacente de la promesse du gouvernement

chinois. En effet, la protection des terres agricoles et l’amélioration de la gestion des

terres arables par l’application renforcée des lois et des règlements s’inscrivent dans 1707 V., § 141 du Rapport de la Chine.

Page 553: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

545

l’ensemble des mesures gouvernementales afin d’assurer l’approvisionnement du pays

en produits agricoles indispensables. La stabilisation des droits d’usage du sol rural des

paysans n’est qu’un instrument pour réaliser cet objectif économique. À cet égard, le

rapport chinois a bien relevé la cause principale des atteintes au droit d’usage du sol

rural des paysans. En effet, ce droit d’usage du sol, étant subordonné à la politique

économique de l’État, a été largement privé de son caractère d’opposabiltié à l’État.

§ 2. – L’observation du Comité des droits économiques, sociaux et culturels

547. - Le droit de propriété n’a pas été totalement exclu du rapport de la Chine

puisqu’il constitue l’un des éléments indispensables à la pleine réalisation des droits

protégés par le PIDESC. Ainsi en est-il de la réalisation du droit au logement qui exige

la protection du droit de propriété dont disposent les habitants sur les constructions

d’habitations, du droit à un niveau de vie suffisant qui exige la stabilisation du droit

foncier des paysans pour lesquels le sol est le principal moyen de production et de

survivance. L’effet « par ricochet » que produit la réalisation des droits économiques,

sociaux et culturels sur le droit de propriété a été confirmé par l’examen du rapport par

le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (A). L’autre aspect de l’apport

de l’observation du Comité consiste en ce qu’il a indiqué aussi au gouvernement

chinois l’orientation des travaux à réaliser pour l’amélioration des droits proclamés par

la PIDESC qui eux-mêmes seront examinés dans les prochains rapports périodiques

(B).

A. – L’apport de l’examen concernant le rapport initial de la Chine

548. - L’examen du Comité des droits économiques, sociaux et culturels a bien

conclu de l’existence des vices du droit chinois en matière d’expropriation pour

l’intérêt public (1), mais a aussi fourni les propositions sur l’amélioration de la

situation pour la réalisation du droit au logement (2).

(1). – Le constat sur les vices du droit chinois en matière d’expropriation

Page 554: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

546

549. - Dans ses observations finales sur le rapport initial de la Chine, le Comité des

droits économiques, sociaux et culturels a fait part de ses préoccupations au sujet

« [des] informations faisant état d’expulsion forcée et de mesures insuffisantes

d’indemnisation ou de relogement des personnes délogées dans le cadre des projets de

développement urbain mais aussi rural, comme l’objet des Trois Gorges. Il est

préoccupé par le nombre d’expulsions forcées et de démolitions enregistrées à

l’approche des Jeux Olympiques de 2008»1708. La préoccupation du Comité a porté non

seulement sur l’ampleur des mesures d’expulsion forcée, mais surtout sur la régularité

de la procédure de mise en oeuvre des mesures d’expulsion et de démolition. Le

Comité a bien qualifié vices de procédure l’absence de consultations et de recours

efficaces pour les victimes des expulsions forcées et de démolitions1709. Par conséquent,

la thèse du gouvernement chinois selon laquelle les atteintes au droit de propriété

portant sur les logements sont liées au développement urbain n’est pas convaincante.

Car même si l’expulsion forcée et la démolition sont inévitables dans le processus de

développement urbain, le gouvernement n’est pas exonéré des obligations de fournir

les garanties juridiques suffisantes aux personnes victimes des expulsions et des

démolitions, et de leur reconnaître par exemple le droit de participer à la procédure de

décision concernant l’expropriation de leurs logements et le critère d’indemnisation.

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a souligné et regretté par

ailleurs le fait qu’il ne disposait pas d’informations suffisantes sur l’ampleur et les

causes du problème des sans-abri en Chine1710. Ce fait relève du contrôle exercé par le

gouvernement chinois –notamment par la censure de la presse– sur les informations

concernant les pétitions et les protestations émises par les expropriés urbains et ruraux,

ainsi que de la répression des activités des contestataires de cette politique et des

défenseurs des droits1711. Ainsi, l’observation du Comité des droits économiques,

sociaux et culturels a touché aussi les problèmes de la protection des droits civils et

1708 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observations finales, République Populaire de Chine (y compris Hongkong et Macao), 13 mai 2005, E/C.12/1/Add.107, para. 31. 1709 Ibid. 1710 Ibid. 1711 V., supra, n° 334 et s.

Page 555: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

547

politiques, manifestant à nouveau l’indivisibilité de tous les droits de l’homme.

(2). – La proposition sur l’amélioration de la situation

550. - Dans la partie des propositions, le Comité des droits économiques, sociaux et

culturels a recommandé au gouvernement chinois « de prendre immédiatement des

mesures pour garantir l’application des dispositions législatives et réglementaires

interdisant les expulsions forcées et pour faire en sorte que les personnes expulsées de

leur logement soient dûment indemnisées ou relogées, conformément aux directives

adoptées par le Comité dans son observation générale n° 7 sur les expulsions forcées

»1712 . Selon l’observation générale n° 7, l’expulsion forcée est une mesure a priori

incompatible avec le Pacte dans la mesure où toute personne doit pouvoir jouir d’un

titre sécurisé sur le logement contre l’expulsion, et constitue de ce fait la violation des

autres droits de l’homme, y compris le droit de propriété, en raison de

l’interdépendance et de l’interrelation de tous les droits de l’homme1713. À cet égard,

les conditions prévues par l’observation générale n° 7 s’imposent aux mesures

d’expulsion pour que celles-ci soient compatibles avec le PIDESC. Elles comportent,

premièrement, l’exigence avançant que, si le droit au logement doit faire l’objet de

limitations, celles-ci doivent se conformer à l’article 4 du PIDESC en vertu duquel

« l’État ne peut soumettre les droits proclamés par le Pacte qu’aux limitations établies

par la loi, dans la seule mesure compatible avec la nature de ces droits et

exclusivement en vue de favoriser le bien-être général d’une société démocratique »1714.

Deuxièmement, les États parties ont l’obligation de prendre les mesures législatives

nécessaires afin d’assurer une protection effective contre l’expulsion forcée. En

d’autres termes, la législation doit garantir la sécurité du droit portant sur les terrains et

les logements, être conforme au PIDESC et prescrire de manière stricte les

circonstances dans lesquelles l’expulsion peut être exécutée. Les États parties ont

1712 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observations finales, République Populaire de Chine (y compris Hongkong et Macao), précitées, para. 61. 1713 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, The right to adequate housing (art. 11.1) : forced eviction, General Comments n° 7, paras. 1, 4. 1714 Ibid., para.5.

Page 556: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

548

l’obligation de prévenir et de punir les expulsions illégales effectuées aussi bien par les

agents publics que par les personnes privées1715. Troisièmement, toute personne dont la

propriété est affectée par des mesures d’expulsion a le droit à une indemnisation

adéquate qui correspond au principe de recours utile en vertu de l’article 2, paragraphe

3, du PIDCP 1716 . Quatrièmement, l’observation générale n° 7 indique que si

l’expulsion est justifiée, elle doit également être exécutée de manière raisonnable et

conformément au principe de proportionnalité 1717 . Cinquièmement, les garanties

procédurales et le procès équitable sont essentiels à la protection contre l’expulsion

illégale. Les garanties procédurales comportent, entre autres, la participation des

personnes affectées à la consultation préalable à l’exécution de l’expulsion afin de

trouver des mesures alternatives ; la notification adéquate et raisonnable aux personnes

affectées avant l’exécution de l’expulsion ; l’assistance au relogement des personnes

expulsées et le versement en temps opportun des indemnités1718. En faisant référence à

son observation générale n° 7, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a

indiqué en effet au gouvernement chinois les mesures à adopter pour rendre

compatibles ses mesures juridiques avec les obligations découlant du PIDESC. Ainsi,

c’est à partir du droit au logement que l’application des garanties prévues par les deux

Pactes internationaux des droits de l’homme s’étend à la protection du droit de

propriété.

B. – L’indication sur l’orientation de l’examen des prochains rapports

périodiques

551. - En indiquant l’orientation de l’examen portant sur les prochains rapports

périodiques, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a proposé les

mesures législatives à adopter pour l’amélioration des droits proclamés par le PIDESC

(1). Mais l’accent a été mis sur l’application concrète des droits par la reconnaissance

de leur justiciabilité (2). 1715 Ibid., para. 9. 1716 Ibid., para. 13. 1717 Ibid., para. 14. 1718 Ibid., para. 15.

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549

(1). – La proposition concernant les mesures législatives

552. - Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a demandé au

gouvernement chinois de fournir dans son prochain rapport périodique des

renseignements sur les progrès réalisés concernant le droit au logement en fournissant

des informations détaillées avec classement par sexe, âge et lieu de résidence, sur le

nombre d’expulsions forcées et sur leur motif, ainsi que sur l’ampleur du problème des

sans-abri. On notera que les exigences formulées par le Comité à l’égard de la Chine

vont au-delà des travaux législatifs: le gouvernement chinois a non seulement

l’obligation de mettre en oeuvre le droit au logement par des mesures législatives mais

aussi de fournir des informations sur la progression de cette mise en oeuvre, enfin de

reconnaître la justiciabilité des droits proclamés par le PIDESC. En ce qui concerne les

mesures législatives, l’amélioration des règles juridiques afin de renforcer la garantie

du droit de propriété est certainement l’une des priorités qui bénéficie aussi le droit au

logement.

(2). – L’accent mis sur la justiciabilité des droits

553. - Dans son observation portant sur le rapport initial du gouvernement chinois, le

Comité des droits économiques, sociaux et culturels a souligné que le gouvernement

chinois doit veiller à ce que la formation juridique et judiciaire prenne pleinement en

considération la justiciabilité des droits énoncés dans le PIDESC et a encouragé

l’utilisation du PIDESC en tant que source de droit par les tribunaux internes. À cet

égard, le Comité a rappelé son observation n° 9 concernant l’application du PIDESC

au niveau national et a invité le gouvernement chinois à fournir, dans son prochain

rapport périodique, des informations sur la jurisprudence relative à l’application du

PIDESC1719. C’est-à-dire que pour donner effet au PIDESC dans l’ordre juridique

interne, la Chine doit accepter l’application directe du Pacte dans les litiges traités par

les tribunaux et les cours. Si tel est le cas, en dépit des oppositions à la justiciabilité des

1719 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observations finales, République Populaire de Chine (y compris Hongkong et Macao), précitées, para. 42.

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550

droits économiques, sociaux et culturels dans le cadre des débats sur l’institution d’un

mécanisme de contrôle des plaintes dans ce domaine1720, le droit au logement peut être

invoqué par les citoyens pour contester la légalité de l’expulsion forcée et de la

démolition de leur logement. Par conséquent, bien que le droit de propriété ne soit pas

proclamé par les deux Pactes internationaux des droits de l’homme, le droit au

logement devenu justiciable en droit interne peut être invoqué pour consolider la

protection juridictionnelle du droit de propriété. La proposition du Comité des droits

économiques, sociaux et culturels est assez significative pour le droit chinois. En effet,

selon le rapport du gouvernement chinois, ce dernier a principalement pris des mesures

législatives ou administratives pour atteindre l’objectif de la réalisation des droits

économiques, sociaux et culturels, alors qu’en ce qui concerne le droit au logement, les

atteintes à ce dernier découlent moins des normes législatives et réglementaires

injustes que des pratiques abusives de la puissance publique qui méconnaissent les

règles de droit en vigueur. La justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels

exige par conséquent l’effectivité et l’efficacité des recours juridictionnels qui

s’inscrivent au principe de l’État de droit. Il en résulte que l’utilité de la reconnaissance

de la justiciabilité des droits ne se limite pas à la mise en oeuvre du PIDESC en droit

interne, mais peut s’étendre à la réforme de l’ensemble du système juridique

chinois1721. En ce qui concerne le respect du droit au logement dont la signification

s’étend au droit de propriété en raison de l’indivisibilité des droits de l’homme, la

justiciabilité exige que l’autorité judiciaire joue un rôle plus actif dans le règlement des

conflits issus des pratiques d’expropriation des habitations urbaines. En l’état actuel du

droit chinois, la limitation imposée à la compétence et aux pouvoirs des juges fait

obstacle au recours utile des expropriés1722, il se révèle donc incompatible avec

l’exigence de protection des droits par la reconnaissance de leur justiciabilité. En

1720 V., par ex., Michael J. DENNIS, David P. STEWARD, « Justifiability of economic, social and cultural rights: Should there be an international complaints mechanism to adjudicate the rights to food, water, housing and health? », 98 A.J.I.L. 462. 1721 V., Leïla CHOUKROUNE, « Justiciability of economic, social and cultural rights: The UN Committee on economic, social and cultural rights review of China’s first period report on the implementation of the international covenant on economic, social and cultural rights », 19 Colum. J. Asian L. 30, pp. 31 à 49. 1722 V., supra, n° 318 et s.

Page 559: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

551

d’autres termes, reconnaître la justiciabilité des droits économiques, sociaux et

culturels parmi lesquels figure le droit au logement, selon l’indication du Comités des

droits économiques, sociaux et culturels, peut utilement conforter la protection de la

propriété en Chine.

Sous-section 2. – Les observations des autres acteurs dans la communauté

internationale

554. - En plus du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, la question

des droits de l’homme intéresse aussi d’autres acteurs de la communauté internationale.

C’est même la raison pour laquelle les droits de l’homme sont devenus un élément

important de la politique étrangère du gouvernement chinois. Il est vrai que la Chine

est parvenue à mettre en échec les initiatives qui lui étaient défavorables à l’issue des

combats politiques dans le cadre de l’ONU (§ 1), mais c’est une réalité que la situation

des droits de l’homme en Chine n’est plus à l’abri des critiques émanant des acteurs

non gouvernementaux dotés généralement du statut consultatif auprès des organes

internationaux. Les critiques, y compris les propositions émanant des réseaux

internationaux de plaidoyer et de lobby sont utiles pour sensibiliser des États qui ne

respectent pas les normes internationales des droits de l’homme. Car « c’est grâce aux

acteurs collectifs que l’on peut réussir à ‘arracher’ aux gouvernements des États le

monopole des fonctions législatives et juridictionnelles, au nom de principes à

vocation universelle » 1723 . Les observations des acteurs non gouvernementaux

contribuent utilement à l’exercice du contrôle politique par voie de rapports et par les

informations qu’ils fournissent sur les violations constatées dans divers pays1724. Par

exemple, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels profite de

l’interventionnisme croissant des organisations non gouvernementales qui présentent

de véritables « contre-rapports ». Les organisations non gouvernementales, en

« condamnant » les atteintes aux droits de l’homme jettent le discrédit sur les États

1723 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (III) : la refondation des pouvoirs, op. cit., pp. 164, 165. 1724 Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., § 305.

Page 560: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

552

violateurs qui pourtant tentent de se défendre en se fondant sur le principe de la

souveraineté étatique1725. Il s’agit donc d’une forme de pression extérieure susceptible

de conduire progressivement des États à accepter et à mettre en oeuvre les normes

internationales des droits de l’homme. À titre d’exemple, les démolitions par les

mesures forcées qu’a imposées le gouvernement chinois en vue de réaliser le projet de

renouvellement urbain, et surtout la démolition des habitations pour la construction des

édifices des Jeux Olympiques 2008, ont prêté le flanc aux critiques de certaines

organisations non gouvernementales. La violation du droit de propriété dont disposent

certains habitants sur les bâtiments d’habitation, ainsi que le non-respect par le

gouvernement chinois de ses engagements sur la protection du droit au logement,

constituent l’objet principal des observations critiques des acteurs non

gouvernementaux sur le plan international (§ 2). Des réactions de la société civile

pourraient conduire le gouvernement chinois, soucieux de soigner sa réputation auprès

de la communauté internationale, à opter pour la stratégie coopérative en améliorant

les garanties juridiques de la propriété. Alors que la pression extérieure déboucherait

sur un résultat positif en droit interne, l’État qui a fait l’objet des critiques de la

communauté internationale n’assume que sa responsabilité morale quand il s’agit

d’améliorer la situation du droit de propriété et demeure donc souverain dès lors qu’il

entreprend des mesures concrètes. D’où aussi l’écho limité que reçoivent les

observations des acteurs non gouvernementaux dans la communauté internationale.

§ 1. – L’influence des observations dans le cadre de l’ONU

555. - Dans le cadre de l’ONU, l’observation politique portant sur le respect des

droits de l’homme fut principalement exercée par la Commission des droits de

l’homme désormais remplacée par le Conseil des droits de l’homme1726. Il est vrai que

le droit de propriété n’est pas directement visé par les mandats et les mécanismes

assumés par la Commission des droits de l’homme et repris par le Conseil des droits de

1725 V., Thomas RISSE, Stephen C. ROPP, Kathryn SIKKIAK, (ed.), The power of human rights: international norms and domestic changes, Cambridge University Press, 1999, pp. 251 à 252. 1726 V., Assemblée générale des Nations Unies, Résolution du 15 mars 2006, A/RES/60/251.

Page 561: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

553

l’homme, mais la protection de ce droit a été déjà dûment prise en considération. Dans

le cadre des procédures spéciales prises en charge par le Conseil des droits de l’homme,

a été constitué et défini un mandat thématique concernant le logement convenable en

tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant1727. L’observation du Rapporteur

spécial désigné comme titulaire de ce mandat a réaffirmé le rôle du droit de propriété à

la protection du droit au logement et a prêté attention à la situation des atteintes au

droit au logement en Chine (A). Le mécanisme d’examen périodique universel institué

dans le cadre du Conseil des droits de l’homme1728 ne peut que renforcer le rôle des

observations internationales auxquelles le Chine s’est soumise dans la 4e session en

2009 (B), selon l’agenda du cycle d’examen 2008-2011.

A. – L’observation du Rapporteur spécial sur le droit au logement

convenable

556. - Le rapporteur spécial a confirmé, par son observation thématique,

l’indivisibilité du droit au logement et du droit de propriété, et particulièrement le droit

foncier (1). Les atteintes au droit au logement par les pratiques d’expropriation ont

attiré l’attention du Rapporteur spécial qui a tenté de sensibiliser le gouvernement

chinois pour améliorer la situation en cause (2).

(1). – La réaffirmation de l’indivisibilité des droits

557. - Analyser la question thématique, assister le ou les gouvernements concernés,

alerter les organes et les organismes des Nations Unies et la communauté

internationale en général, ainsi qu’agir et appeler à agir pour la défense des victimes

tout en prenant pleinement en compte l’ensemble des droits humains, constituent les

principales fonctions du Rapporteur spécial 1729 . Par une démarche fondée sur

1727 Mandat établi par la résolution de la Commission des droits de l’homme 2000/9, renouvelé par la résolution de la Commission des droits de l’homme 2003/7. En mai 2008, tous les mandats thématiques qui ont été revus jusque là ont été prolongés, y compris le mandat sur le logement convenable. 1728 Assemblée générale des Nations Unis, Résolution du 15 mars 2006, A/RES/60/251. 1729 V., Conseil des droits de l’homme, Projet du manuel des procédures spéciales des droits de

Page 562: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

554

l’indivisibilité des droits de l’homme, le Rapporteur spécial a analysé les différentes

composantes du droit à un logement convenable ainsi que les éléments qui en facilitent

ou en entravent la réalisation, après mettre en lumière les lacunes existantes dans le

droit international des droits de l’homme ainsi que dans les lois et les politiques

nationales en matière de droit au logement. Dans son dernier rapport au Conseil des

droits de l’homme, le Rapporteur a souligné que le droit à la terre est souvent un

élément capital, indispensable pour déterminer le degré de violation ou de réalisation

du droit à un logement convenable. En effet, la situation dans laquelle un logement est

inadéquat est souvent due à l’impossibilité d’accéder aux ressources foncières,

communes ou non. Les régimes de propriété inéquitables et le phénomène de la

privation de terre engendrent des problèmes interdépendants, qui vont du logement

inadéquat au manque de moyens de subsistance, à la mauvaise santé, à la faim, à

l’insécurité alimentaire et à l’extrême pauvreté1730. Le Rapporteur spécial a donc invité

le Conseil des droits de l’homme et les États à reconnaître le droit à la terre comme un

droit de l’homme et à en renforcer la protection par le droit international des droits de

l’homme. Selon le Rapporteur spécial, une telle reconnaissance permet de promouvoir

le droit à un logement convenable, en offrant notamment une garantie contre les

expulsions forcées1731.

(2). – L’attention prêtée à la situation du droit au logement en Chine

558. - Pour étendre son influence, le Rapporteur spécial sur le droit au logement

convenable a bien reçu et émis des communications dans l’exercice de son mandat afin

de suivre les situations dans divers pays. En date du 5 mai 2005, le Rapporteur spécial

a émis avec le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté

l’homme de l’ONU, juin 2006, points 4 et 5. 1730 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant, Miloon Kothari, A/HRC/4/18, 5 février 2007, point 26. V., aussi, Commission des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination à cet égard, M. Miloon Kothari, E/CN.4/2006/41, point 29. 1731 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant, op. cit., point 33.

Page 563: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

555

d’opinion et d’expression un appel urgent en direction du gouvernement chinois, en

invitant ce dernier à libérer un défenseur du droit au logement qui fut condamné à une

peine de prison ferme pour avoir organisé une manifestation contre les expulsions

forcées. Le Rapporteur spécial a d’ailleurs exprimé des regrets au sujet du

comportement du gouvernement chinois qui continue à réprimer des manifestations et

les pétitions des défenseurs du droit au logement contre les expulsions forcées et

illégales1732. Lors d’un entretien récent, le Rapporteur spécial a révélé son inquiétude

quant au nombre de rapports faisant état de détention et de torture à l’encontre des gens

qui manifestaient contre la politique d’expulsion forcée. Il faut remarquer en outre que

le Rapporteur spécial a aussi mené des études avec le Comité International Olympique

sur les lignes directrices à l’adresse des pays qui organisent de grands évènements ou

de ceux qui poursuivent des mesures d’expulsion forcée en s’abritant derrière la raison

du développement économique1733. Toutes ces activités du Rapporteur spécial sont

révélatrices du rôle des observations sur la question des droits de l’homme en Chine

dans le cadre du Conseil des droits de l’homme, mais elles sont susceptibles de

produire plus d’effets lors de l’examen périodique universel de la situation des droits

de l’homme.

B. – L’influence potentielle de l’examen périodique universel du

Conseil des droits de l’homme

559. - Organe politique par nature, le Conseil des droits de l’homme qui remplace la

Commission des droits de l’homme n’en demeure pas moins aussi un organe technique

par vocation. La clé de l’efficacité du système semble en effet résider dans une division

du travail entre éléments gouvernementaux et éléments indépendants afin que les

aspects politiques inhérents aux relations internationales ne prévalent pas sur les 1732 Commission des droits de l’homme, Report of the special Rapporteur on adequate housing as a component of the right to an adequate standard of living, Miloon Kothari, Addendum, Summary on the communications sent and replies received from Government and others, E/CN.4/2006/41/Add.1, 23 décembre 2005, points 21 et 22. 1733 V., reportage de l’infosud, « Le logement n’est pas une marchandise », Tribune des droits de l’homme, disponible sur le site http://www.humanrights-geneva.info/article.php3?id_article=1844, consulté le 17 juin 2007.

Page 564: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

556

missions techniques fondamentales de protection et de promotion des droits de

l’homme 1734 . Comme aspect technique du travail caractérisé par les éléments

indépendants, le sujet du droit au logement qui est étroitement liée à la protection du

droit de propriété a déjà été présenté devant le Conseil des droits de l’homme.

Considérant les écarts entre le droit chinois et les principes et pratiques soutenus par le

Rapporteur spécial qui lui-même a été confirmé par le Conseil des droits de l’homme

(1), la situation du droit de propriété en Chine peut être abordée au regard de la

protection du droit au logement dans l’examen périodique universel dont l’utilité reste

à être éprouvée dans la pratique (2).

(1). – La confirmation du travail du Rapporteur spécial par le Conseil des droits de

l’homme

560. - Par sa décision 1/102, le Conseil des droits de l’homme a invité le Rapporteur

spécial à lui soumettre un rapport sur le logement convenable en tant qu’élément du

droit à un niveau de vie suffisant. Par la suite, ce rapport a été publié en 20071735.

L’objectif principal du rapport consiste à fournir des outils pratiques et opérationnels

pour la promotion, le suivi et l’application du droit de l’homme à un logement

convenable. Il est remarquable que le rapport ait mis également en lumière une lacune

du droit, c’est-à-dire que la méconnaissance du droit de l’homme à la terre qui

lui-même a été jugé par le Rapporteur spécial comme un élément essentiel pour

l’application du droit à un logement convenable. Comme le Rapporteur spécial l’a

souligné, « les régimes de propriété inéquitables et le phénomène de la privation de

terre engendrent des problèmes interdépendants, qui vont du logement inadéquat au

manque de moyens de subsistance, à la mauvaise santé, à la faim, à l’insécurité

1734 Cf., Claire CALLEJON, La réforme de la Commission des droits de l’homme des Nations Unis, thèse doctorale de l’Université Paris I, soutenue en 2008. 1735 Conseil des droits de l’homme, Application de la résolution 60/251 de l’Assemblée Générale du 15 mars 2006 intitulée « Conseil des droits de l’homme », Rapport du Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant, Miloon Kothari, A/HRC/4/18, 5 février 2007.

Page 565: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

557

alimentaire et à l’extrême pauvreté »1736. Il est donc essentiel « de reconnaître le droit

à la terre comme un droit de l’homme et d’en renforcer la protection par le droit

international des droits de l’homme. Étant donné l’ampleur du phénomène de la

privation de terre et de logement partout dans le monde, une telle reconnaissance

permettrait de promouvoir le droit à un logement convenable, en offrant notamment

une protection contre les expulsions forcées »1737.

561. - Le Conseil des droits de l’homme a confirmé que tout au long de son mandat

le Rapporteur spécial a réitéré sa mise en garde contre la pratique des expulsions

forcées. Des principes de base et des directives concernant les expulsions et les

déplacements liés au développement ont été élaborés par le Rapporteur spécial pour

aider les États et la communauté internationale à réduire sensiblement cette pratique.

Ces principes de base et ces directives ont été aussi annexés au rapport du Rapporteur

spécial publié par le Conseil des droits de l’homme. Au terme de l’énumération des

principes de base et des directives, la définition de l’expulsion forcée comprend « les

actes ou omissions qui ont pour effet le déplacement contraint ou involontaire de

personnes, de groupes ou de communautés des logements, des terres ou des ressources

foncières collectives qu’ils occupaient ou dont ils étaient tributaires, éliminant ou

limitant ainsi leur aptitude à vivre ou à travailler dans un logement, une résidence ou

un lieu donné, sans leur fournir une forme appropriée de protection juridique ou autre

ni leur permettre d’avoir accès à une telle protection »1738. La définition de l’expulsion

forcée peut recouvrir les pratiques de démolition des habitations urbaines et

l’expropriation du sol collectif dans les zones rurales en droit chinois. Selon la

considération du Rapporteur spécial, les expulsions forcées peuvent avoir lieu dans une

grande diversité de contexte, y compris dans les déplacements liés au développement,

elles « constituent des violations fragrantes de droits de l’homme » et ne doivent être

pratiquées que « conformément à la loi et dans le plein respect des dispositions

pertinentes du droit international des droits de l’homme et du droit international

1736 Ibid., paras. 26, 29. 1737 Ibid., para. 32 e). 1738 Principes de base et directives concernant les expulsions et les déplacements liés au développement, Annexe I au Rapport du Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant, A/HRC/4/18, précité, para. 4.

Page 566: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

558

humanitaire »1739. Le Rapporteur spécial énumère les principes fondamentaux de droits

de l’homme qui doivent être respectés par tous les acteurs impliqués dans les pratiques

de démolition, alors que l’État est le premier titulaire des obligations à respecter ces

droits. Il s’agit notamment des obligations de respecter le droit contre toute intrusion

arbitraire et illégale dans la vie privée des personnes, dans celle de leur famille, dans

leur domicile, ainsi que du droit à la sécurité d’occupation sur le plan juridique1740, du

droit d’être réinstallé1741, du droit de disposer d’un recours juridictionnel adéquat et

utile ou de tout autre recours utile1742. En ce qui concerne l’exécution des obligations

incombant aux États, certaines considérations du Rapporteur spécial sont

particulièrement importantes dans la mesure où elles correspondent à une lacune du

droit chinois concernant les mesures d’expropriation pour l’intérêt public. Ce sont les

exigences selon lesquelles les États doivent « veiller à ce que les expulsions forcées ne

soient pratiquées que dans des circonstances exceptionnelles »1743 et ainsi « s’abstenir,

dans toute la mesure du possible, de réclamer ou de confisquer des logements ou des

terrains, en particulier si cela ne contribue pas à l’exercice des droits de l’homme »,

« infliger des sanctions civiles ou pénales appropriées à toute personne ou entité

publique ou privée relevant de sa juridiction qui pratique des expulsions d’une

manière qui n’est pas pleinement conforme à la législation applicable et aux normes

internationales relatives aux droits de l’homme »1744, ainsi que « prendre des mesures

préventives spéciales pour éviter ou éliminer les causes sous-jacentes des expulsions

forcées, telles que la spéculation foncière et immobilière »1745. Les principes de base et

les directives ainsi élaborés par le Rapporteur spécial comportent les indications d’une

bonne conduite concernant la mise en oeuvre de projets de démolition. C’est la raison

pour laquelle ces principes sont susceptibles d’être considérés comme une source

d’inspiration utile pour la modification des règles juridiques relatives à la démolition

des bâtiments d’habitations en Chine. Ces principes comprennent la notification, le 1739 Ibid., para. 6. 1740 Ibid., para. 13. 1741 Ibid., para. 16. 1742 Ibid., para. 17. 1743 Ibid., para. 21. 1744 Ibid., para. 22. 1745 Ibid., para. 30.

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559

dialogue, la consultation et l’audience publique avant les expulsions1746, l’exigence

selon laquelle les expulsions ne doivent pas être exécutées d’une manière qui porte

atteinte à la dignité ou aux droits fondamentaux à la vie et à la sécurité des personnes

touchées, l’obligation que tout usage légal de la force doive respecter les principes de

nécessité et de proportionnalité1747, ainsi que l’obligation de l’assistance et de la

réinstallation immédiate après l’expulsion1748. Les règles d’indemnisation conçues par

le Rapporteur spécial dans le cadre des voies de recours peuvent aussi mettre en relief

l’écart du droit chinois au regard de ce qui définit une bonne conduite. Selon le

Rapporteur spécial, « l’État doit fournir ou assurer une indemnisation juste et

équitable pour la perte de tout bien personnel, immobilier ou autre, y compris de droits

ou intérêts fonciers », et « l’indemnisation en espèces ne doit en aucune circonstance

remplacer l’indemnisation réelle sous forme de terres ou de ressources foncières

communes »1749. Cette indication concerne particulièrement la situation en Chine, car

l’indemnisation en espèces est souvent critiquée par les habitants expropriés comme

insuffisante dans un contexte où la spéculation foncière dans les métropolitaines

entraîne la flambée des prix du secteur de l’immobilier.

562. - Si l’on en suit la démarche du Conseil des droits de l’homme, le rôle du

Rapporteur spécial sur le droit au logement convenable sera renforcé au cours des

travaux du Conseil à l’avenir. Le mandat du Rapporteur spécial a été prolongé pour lui

permettre de mettre l’accent en particulier sur des solutions concrètes pour assurer la

mise en oeuvre de ce droit1750 . Les travaux du Rapporteur spécial ont déjà été inscrits

au programme du Conseil des droits de l’homme concernant la promotion et la

protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et

culturels, y compris le droit au développement1751. Toutes ces mesures peuvent ouvrir

1746 V., ibid., paras. 37 à 44. 1747 V., Ibid., paras. 47, 48. 1748 V., Ibid., paras. 52 à 58. 1749 Ibid., para. 60. 1750 Conseil des droits de l’homme, Résolution 6/27, Le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant, 14 décembre 2007, para. 5. 1751 V., Conseil des droits de l’homme, Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement, Rapport du Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant

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560

la voie à l’intégration du travail du Rapporteur spécial à l’examen périodique universel

qui peut produire plus d’impact direct sur la situation du droit au logement, donc celle

du droit de propriété en Chine.

(2). – L’utilité de l’examen périodique universel pour la protection de la propriété en

Chine

563. - Dans le cadre de l’examen périodique universel, tous les États membres sont

examinés sur la base de normes et de paramètres universels et égaux, dont la plus

importante est la Déclaration universelle des droits de l’homme1752. L’étendue de

l’examen périodique universel ne se limite donc pas à deux Pactes internationaux

portant sur l’application de la Déclaration universelle de 1948. Il en résulte que non

seulement le droit au logement convenable, mais aussi le droit à la propriété proclamé

par l’article 17 de la Déclaration universelle, peuvent faire l’objet de mesures de

surveillance à l’occasion d’un examen dans le cadre du Conseil des droits de l’homme.

L’indivisibilité du droit au logement convenable et de la garantie du droit de propriété

peut constituer a fortiori une raison d’examiner la situation en Chine. En outre,

l’examen périodique universel ne se cantonne plus au cadre politique des relations

interétatiques car les acteurs non gouvernementaux peuvent y participer d’une manière

significative. En effet, l’examen des pays est fondé sur trois rapports. L’un est préparé

par le gouvernement1753 tandis que les deux autres le sont par le Haut-commissariat

aux droits de l’homme. Entre les deux autres rapports, le premier consiste en une

compilation des informations provenant des Nations Unies, alors que le second est un

résumé des contributions émanant de diverses parties prenantes, notamment des

organisations de la société civile et des défenseurs des droits de l’homme1754. Les pays

ainsi que sur le droit à non-discrimination dans ce domaine, M. Miloon Kothari, A/HRC/7/16, 13 février 2008. 1752 Conseil des droits de l’homme, Mise en place des institutions du Conseil des droits de l’homme, Résolution 5/1, 18 juin 2007, Annexe I Mécanisme d’examen périodique universel, para. 1. 1753 La Chine a présenté son premier rapport au Conseil des droits de l’homme pour l’examen périodique universel de 2009, le 5 décembre 2008. V., document des Nations Unies, A/HRC/WG.6/4/CHN/1. 1754 Ibid., para. 15.

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561

examinés ne détiennent donc pas le monopole sur toutes les informations relatives à la

situation des droits de l’homme. La participation conjointe de la société civile et des

défenseurs des droits de l’homme permet de mieux s’assurer du fait que le mécanisme

d’examen repose sur des informations objectives et dignes de foi ainsi que sur le

dialogue1755. D’ailleurs, les méthodes de travail du Conseil des droits de l’homme

doivent être transparentes, équitables, impartiales et favoriser un véritable dialogue1756.

Ces méthodes déterminent la nature non juridique de l’examen du Conseil des droits de

l’homme. Mais l’utilité majeure de l’examen tient surtout dans la lumière jetée sur la

situation en question et dans l’assistance technique fournie à l’État examiné par la

communauté internationale. Pour les défenseurs des droits qui ont subi diverses

restrictions concernant leurs activités1757, l’examen périodique universel est l’occasion

de sensibiliser davantage la communauté internationale en apportant au

Haut-commissariat les informations relatives à la violation des droits de l’homme dans

le pays concerné. Cette possibilité est d’autant plus utile pour les défenseurs des droits

en Chine que la liberté d’expression fait constamment l’objet du contrôle ferme par

l’autorité publique1758. Ainsi, dans le cadre de l’examen périodique universel, le

Conseil des droits de l’homme aurait plus de moyens d’accéder aux informations utiles,

alors que l’examen du rapport initial de la Chine par le Comité des droits économiques,

sociaux et culturel a buté sur la difficulté à obtenir des informations relatives au droit

au logement. Étant donné que la transparence des informations revient à faciliter

l’examen du Conseil des droits de l’homme sur la situation de tous les droits de

1755 À cet effet, le Conseil des droits de l’homme a publié une note d’information à l’attention des parties prenantes intéressées concernant l’examen périodique universel pour guider la participation de la société civile et des défenseurs des droits de l’homme. En septembre 2008, le Centre pour le droit au logement et contre les expulsions a présenté ses observations au Haut-commissariat aux droits de l’homme sur la situation du droit au logement en Chine pour la fin de l’examen périodique universel. V., infra, n° 569. 1756 Assemblée générale des Nations Unis, Conseil des droits de l’homme, A/RES/60/251, 15 mars 2006, para. 12. 1757 Conseil des droits de l’homme, Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement, Rapport présenté par la Représentante spéciale du Secrétaire général concernant la situation des défenseurs des droits de l’homme, Hina Jilani, A/HRC/7/28, 31 janvier 2008, para. 31. 1758 V., reportage de Joseph KAHN, « Asia, China: lawyer sentenced », The New York Times, 29 octobre 2003.

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562

l’homme en Chine, y compris le droit au logement et le droit de propriété, les critiques

des acteurs civiles peuvent avoir une importance particulière sur les observations

internationales.

§ 2. – Les critiques des acteurs civils sur les atteintes au droit de propriété en

Chine

564. - Les atteintes au droit de propriété des citoyens par les travaux de construction

approuvés par le gouvernement ont déjà soumis la Chine aux jugements critiques de la

communauté internationale. En témoignent par excellence l’adoption et l’exécution des

décisions controversées sur les travaux de Trois Gorges1759. Alors que le peuple se

félicita pour l’élection de Pékin en tant que ville hôte des Jeux Olympiques, le

gouvernement chinois déclencha des travaux de construction sans précédent1760 .

Comme pour catalyser la modernisation de la ville de Pékin, le gouvernement

municipal « nettoie » des terrains résidentiels de grande surface pour laisser le fonds

vacant à la construction de nouveaux complexes et de nouvelles infrastructures servant

ses projets. Ces opérations de grande envergure n’en suscitèrent pas moins des

critiques, puisque des habitants par milliers furent expulsés au nom du développement

économique1761. Les critiques de la communauté internationale prirent de l’ampleur

avec l’approche des Jeux Olympiques de 2008. Certaines des critiques se focalisèrent

sur le droit au logement (A), alors que d’autres partirent de la considération que les

jeux seraient l’occasion d’exercer une pression internationale à ce moment là afin

d’accélérer la réforme du droit de propriété en Chine 1762 , voire même la

1759 V., par ex, Jen Lin LIU, « Out with the old and in with the new around China’s Three Gorges dam, but at what cost? », 192 Architectural Rec. 57 (2004). 1760 V., Alan ABRAHANSON, « Built in commitment: Beijing has become a huge construction site in order to stage the 2008 Olympics », L. A. Times, 14 juillet 2005, D 5; reportage, « Beijing 2008: les préparatifs passent la vitesse supérieure », 16 janvier 2004, disponible sur le site http://www.olympic.org/fr/games/beijing/full_story_fr.asp?id=281, consulté le 21 juin 2007. 1761 V., par ex., Patrick A. RANDOLPH, « Property seizeurs in China: political, law and protest », discours devant la table ronde du Congressional-Executive Commission on China Issues, 3 février 2003, disponible sur le site http://cecc.gov/pages/roundtables/062104/Randolph.php, consulté le 21 juin 2007. 1762 Theresa H. WANG, « Trading the people’s homes for the people’s Olympics: the property regime in China », 15 Pac. Rim L. & Pol’y J. 599, p. 624.

Page 571: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

563

démocratisation du pays. D’autant que les atteintes au droit au logement, et donc au

droit de propriété, ne sont qu’un indicateur parmi d’autres de la situation des droits de

l’homme en Chine (B).

A. – Les critiques portant sur les atteintes au droit au logement

565. - Sur le plan international, le Centre pour le droit au logement et contre les

expulsions (COHRE, ci-après Centre) –organisation non gouvernementale dotée d’un

statut consultatif auprès des Nations Unies– a fait des efforts remarquables en matière

de promotion du droit au logement. Les pratiques de démolition des habitations

urbaines en Chine –surtout celles ayant eu lieu à Pékin qui s’inscrivaient dans la

logique de préparation des Jeux Olympiques– ont attiré l’attention du Centre. Ce

dernier a successivement publié deux rapports en la matière. Le premier a pour objectif

de sensibiliser le gouvernement chinois et la communauté internationale sur la

situation des atteintes au droit au logement en Chine (1), alors que le deuxième

approfondit l’analyse sur les causes des atteintes en faisant un recensement

systématique du droit chinois en matière de protection du droit au logement, et surtout

celle du droit de propriété (2). Les travaux menés par le Centre s’accordent dans une

large mesure avec les observations du Rapporteur spécial sur le droit au logement

convenable dans le cadre du Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

(1). – La révélation des atteintes au droit au logement

566. - Le Centre a appuyé la réflexion du Rapporteur spécial des Nations Unis sur le

droit au logement et a participé aux travaux de ce dernier dans sa quête de solutions

aux problèmes des expulsions forcées et de la répression des protestataires1763. Par son

rapport intitulé « [Ê]tre fair-play avec le droit au logement : méga-événements, Jeux

Olympiques et droit au logement», le Centre vise à révéler les répercussions de

l’organisation de « méga-événements » tels que les Jeux Olympiques sur la jouissance

1763 Centre pour le droit au logement et contre les expulsions, Housing rights abuses challenged, présentation à la cinquième session du Conseil des droits de l’homme, 11 à 18 juin, 2007.

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564

du droit au logement des populations locales dans les villes hôtes, ainsi qu’à s’assurer

que les intérêts des populations locales en matière de logement ont été pris en

considération de manière adéquate lors de la planification d’un méga-événement.

Selon le rapport publié par le Centre, quelque 1,25 millions de résidents furent déjà

déplacés et 250 000 déplacements supplémentaires auraient lieu avant le

commencement des jeux de Pékin en 2008. D’autre part, il n’y eut aucune transparence

dans le processus décisionnel des déplacements, ni de participation suffisante de la

société civile. Le principe de procès équitable ne fut pas respecté. Les indemnisations

furent généralement inadéquates et des milliers d’immigrés furent déplacés sans aucun

projet pour les reloger. Les résidents protestataires furent violemment réprimés1764. De

même, pour la ville de Shanghaï, ville hôte de l’exposition universelle de 2010, 18 000

foyers furent déplacés du site de l’exposition. 400 000 personnes furent déplacées à la

suite des aménagements urbains accompagnés de nombreuses démolitions de

logements à loyer modéré. Le Centre a aussi constaté que, jusqu’à aujourd’hui, le

gouvernement chinois refuse d’ouvrir le dialogue avec les résidents pendant les

processus de déplacement. Les actions de protestation des résidents sont réprimées et

des pressions sont encore exercées sur les avocats représentant les expulsés1765.

(2). – L’analyse des causes des atteintes au droit au logement

567. - Le deuxième rapport du Centre intitulé « [O]ne world, whose dream ?» est

plus spectaculaire non pas en raison de sa date de publication, à savoir le 18 juillet

2008, soit moins d’un mois avant l’ouverture des Jeux Olympiques, mais de son

analyse sur les causes des atteintes au droit au logement par un recensement

systématique du droit chinois. Le rapport a souligné que ni le gouvernement chinois ni

le public ne traite le sujet du logement en faisant référence aux droits de l’homme

1764 COHRE, Fact Sheet –Forced evictions and displacements in future Olympic cities, Beijing, China (2008), 5 juin 2007, disponible sur le site http://www.cohre.org/mega-events, consulté le 21 juin 2007. 1765 COHRE, Directives aux parties prenantes de méga-événements pour la protection et la promotion du droit au logement, p. 30, disponible sur le site http://www.cohre.org/mega-events, consulté le 21 juin 2007; v., aussi, Geoff DYER, « Shanghai property boom brings eviction protests », Financial Times, 13 août 2005, 4.

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565

même si par ailleurs les préoccupations du peuple chinois à l’égard de la situation des

atteintes au droit au logement s’expriment par d’autres voies1766. C’est peut-être là la

cause sous-jacente de l’écart entre les règles de droit et les pratiques de violation.

Après l’énumération des articles de la Constitution révisée en 2004, de ceux de la loi

sur les droits réels promulguée en 2007 ainsi que d’autres dispositions législatives

applicables aux mesures de démolition des habitations urbaines qui semblent a priori

complets et parfaits, le Centre a analysé les causes de la violation des normes de droit.

Il s’agit d’abord de l’inexistence d’une autorité judiciaire indépendante et impartiale

qui explique pourquoi les expropriés ne disposent pas de recours utiles contre les

expropriations illégales1767. C’est la raison pour laquelle les seules techniques qu’ils

restent aux expropriés pour faire entendre leurs voix et faire respecter leurs intérêts

consistent à protester en jetant le discrédit sur la réputation et l’image (mianzi) des

chefs politiques appartenant à différents échelons du gouvernement afin qu’ils cèdent

sur la question. Il faut d’autre part souligner que la corruption des fonctionnaires des

gouvernements locaux a apporté aussi son tribut à la violation des droits des expropriés.

Aussi bonnes que semblent être les mesures politiques du gouvernement central, leur

mise en oeuvre dépend largement du pouvoir discrétionnaire des fonctionnaires locaux.

La répartition des pouvoirs caractérisée par la décentralisation, ainsi que le très faible,

sinon inexistant contrôle judiciaire sur les actes administratifs au niveau local ne

peuvent qu’assurer un contexte favorable à la corruption des fonctionnaires locaux

dans l’exécution des projets d’expropriation. Les garanties prévues par la loi et les

politiques du gouvernement central dont les expropriés peuvent bénéficier ne

permettent d’exercer aucune contrainte sur les fonctionnaires corrompus1768. Mais les

problèmes n’existent pas uniquement au niveau local, l’ineffectivité du système de

pétition et plainte –« lettres et visites » (xinfang)– et le harcèlement des défenseurs des

droits avec l’accord du gouvernement central au nom de la raison d’État et de l’intérêt

1766 COHRE, One world, whose dream? Housing rights violations and the Beijing Olympic games, rapport du juillet 2007, p.16, disponsible sur le site http://www.cohre.org/store/attachments/One_World_Whose_Dream_July08.pdf, consulté le 2 janvier 2009. 1767 Ibid., p. 25. 1768 Ibid., pp. 26, 27.

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566

pour la pérennité du régime politique, sont aussi des causes de la méconnaissance des

règles de droit dont les expropriés sont victimes1769.

568. - Il est intéressant de souligner que le Centre s’est indigné aussi contre le

Comité International Olympique au motif que celui-ci n’a pas pris en compte la

violation des droits de l’homme en Chine dans sa décision d’attribuer à Pékin le statut

de ville hôte des Jeux Olympiques1770. Il est vrai que les Jeux peuvent conduire la

Chine à une plus grande ouverture, car la question des droits de l’homme en Chine

peut gagner davantage de visibilité aux yeux de la communauté internationale, et avec

la marche du temps il est permis d’espérer que la situation des droits de l’homme

s’améliorera en Chine1771. Cependant, le Comité International Olympique n’a pas prêté

une attention sérieuse aux pratiques de démolition et de déplacement qui étaient

directement liées à la préparation des Jeux à Pékin. La tolérance du Comité

International Olympique à l’égard du gouvernement chinois est regrettable d’autant

plus que la violation du droit au logement a été critiquée par d’autres acteurs non

gouvernementaux qui ont affirmé que c’est bien là un indice de la situation réelle des

droits de l’homme en Chine.

569. - Au cours de la préparation de l’examen périodique universel par le Conseil

des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme en Chine, le Centre a

soumis au Haut-commissariat aux droits de l’homme ses observations concernant la

violation du droit au logement et les mesures répressives prises à l’encontre des

défenseurs du droit au logement par l’autorité chinoise1772. Parmi ses critiques sur les

atteintes au droit au logement, le Centre a réitéré entre autres la consultation

inadéquate des opinions publiques, l’insuffisance de l’indemnisation et de

l’arrangement sur le relogement des expropriés, la prise des mesures abusives par

l’autorité locale dans l’expulsion des résidents, la corruption des agents publics

participant à l’exécution du projet de démolition et de déplacement des habitants, ainsi 1769 Ibid., pp. 28, 29. 1770 Ibid., pp. 30, 31. 1771 V., Roger BLITZ, « IOC’s Rogge asks for more time for China », Financial Times, 26 avril 2008. 1772 Centre on housing rights and eviction, Submission to the Office of High Commissioner for Human Rights, China, September 2008, disponible sur le site http://lib.ohchr.org/HRBodies/UPR/Documents/Session4/CN/CHORE_CHN_UPR_S4_2009_CentreonHousingRightsandEvictions.pdf, consulté le 28 janvier 2009.

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567

que le manquement de l’aide judiciaire dont les habitants concernés auraient dû

bénéficier. Le Centre a aussi critiqué la répression des défenseurs du droit au logement

par l’autorité chinoise en indiquant une liste de noms des défenseurs des droits qui

étaient victimes de l’abus de mesures répressives. Selon le Centre, cette répression a

constitué la violation des droits proclamés par le PIDESC, y compris notamment la

liberté d’expression. Les observations du Centre ont été prises en compte par le

Haut-commissariat aux droits de l’homme dans la préparation de l’examen périodique

universelle sur la situation des droits de l’homme en Chine1773. En dépit du caractère

non juridique et peu contraignant de l’examen périodique universel, l’intervention des

acteurs non gouvernementaux –par excellence, le Centre– peut produire certain effet

incitatif sur l’autorité chinoise quant au respect du droit au logement qui lui-même

s’inscrit au droit à un niveau de vie suffisant.

B. – Les critiques portant sur les atteintes au droit au logement

comme indicateur de la situation des droits de l’homme en Chine

570. - Parmi les organisations non gouvernementales de droits de l’homme ayant

une influence internationale, Human Rights Watch (1), Amnesty International (2), et la

Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (3) ont prêté beaucoup

d’attention aux atteintes au droit au logement et au droit de propriété du fait des

mesures de la puissance publique. L’influence des critiques portant sur la situation

générale des droits de l’homme en Chine est susceptible de s’étendre si les acteurs

civils participent au travail du Conseil des droits de l’homme. D’autant que le mode

opérationnel des organisations non gouvernementales se caractérise par l’importance

de la stratégie de relation, l’action directe et parfois indirecte sur l’opinion publique

pour en conquérir le soutien. En effet, « indépendamment du problème de leur

personnalité juridique internationale, leur pratique de l’information, de l’éduction et

de la communication a permis l’évolution des idées en faveur de la nature

1773 V., Human Right Council, Summary prepared by the Office of the High Commissioner for Human Rights, in accordance with paragraph 15 (C) of the Annex to Human Right Council Resolution 5/1, A/HRC/WG.6/4/CHN/3, 5 janvier 2009, § 46.

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568

contraignante des règles de droit de l’homme »1774. Il faut d’ailleurs souligner que les

organisations non gouvernementales peuvent davantage renforcer leur influence, à

travers leur participation au fonctionnement des mécanismes de contrôle international,

et par conséquent, sur la détermination des standards universels de droits de

l’homme1775.

(1). – Les critiques du Human Rights Watch

571. - Le Human Rights Watch est la première organisation sensibilisée aux atteintes

au droit de propriété s’appliquant au logement du fait des démolitions et des expulsions

forcées en Chine. En 2004, l’organisation publia son rapport spécial intitulé

« [D]emolished : Forced evictions and the tenant’s rights movement in China »1776.

Elle qualifia les protestations survenues en 2003 en réaction aux plus grandes vagues

de démolitions et d’expulsions forcées motivées par l’augmentation du prix immobilier

comme « mouvement pour les droits des habitants ». Selon le Human Rights Watch, les

sources de ce conflit furent l’absence de consultation des personnes concernées par les

démolitions et les expulsions, l’insuffisance de l’indemnisation, l’inutilité des garanties

judiciaires et la méconnaissance par le gouvernement chinois de ses engagements

internationaux, notamment ceux découlant du PIDESC.

Après l’analyse des sources de ce conflit, le Human Rights Watch a conclu dans

son rapport sur les propositions respectivement adressées au gouvernement chinois,

aux acteurs internationaux ainsi qu’à l’ONU. Quant au gouvernement chinois, le

Human Rights Watch a indiqué que les droits et les libertés des habitants doivent être

mieux respectés et garantis, à savoir notamment leur droit à la consultation sur le projet

de démolition et de déplacement, la liberté d’expression et d’association, le droit au

1774 Raymond RANJEVA, « Les organizations non gouvernementales et le droit international des droits de l’homme », in G. COHEN-JONATHAN, J. F. FLAUSS (éd.), Les organisations non gouvernementales et le droit international des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 7, 8. 1775 V., Lyal S. SUNGA, « NGO involvement in international human rights monitoring », in G. COHEN-JONATHAN, J. F. FLAUSS (éd.), Les organisations non gouvernementales et le droit international des droits de l’homme, op. cit., pp. 51 à 58. 1776 Human Rights Watch, Demolished: forced evictions and the tenant’s rights movement in China,

mars 2004, Vol. 16, n° 4.

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569

procès équitable, et que les défenseurs des droits des habitants incarcérés devraient être

libérés1777. Quant aux acteurs internationaux qui désirent exécuter des projets de

construction en Chine, le Human Rights Watch les ont invités à s’assurer que les droits

des personnes expulsées sont dûment respectés1778. Il faut souligner qu’à la fin de son

rapport, le Human Rights Watch a proposé que le Rapporteur spécial de l’ONU prenne

à sa charge le soin d’examiner la situation des personnes dont le droit au logement a

été bafoué en Chine et que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels

s’attelle à poser des questions concernant les expulsions forcées au gouvernement

chinois qui doit fournir ses réponses dans son premier rapport présenté au Comité des

droits économiques, sociaux et culturels1779.

(2). – Les critiques de l’Amnesty International

572. - Parmi les organisations non gouvernementales en matière de droits de

l’homme, l’Amnesty International est considéré comme la plus reconnue, la plus

puissante et la plus respectée. Elle occupe donc la place la plus importante parmi ces

organisations1780. Alors que les droits civils et politiques sont traditionnellement les

domaines prioritaires sur lesquels portent ses activités1781, l’Amnesty International a

bien exprimé son souhait de dépasser cette limite inhérente à sa racine occidentale et

de se développer comme une authentique organisation internationale et multiculturelle

des droits de l’homme1782. Lorsque le gouvernement chinois présenta la candidature de

Pékin à l’élection de la ville hôte des Jeux de 2008, il promit d’améliorer la situation

des droits de l’homme en Chine tout en se rapprochant du critère universellement

reconnu en la matière. Mais selon l’Amnesty International, le gouvernement chinois 1777 Ibid., pp. 37 à 39. 1778 Ibid., p. 40. 1779 Ibid., p. 41. 1780 V., Philip ALSTON, « The fortieth anniversary of the Universal Declaration of Human Rights: a time more for reflection than for celebration », in Jan BERTING (et al. eds.), Human rights in a pluralist world: Individuals and collectivities, 1990, p. 12; David MATAS, Laurie S. WISEBERG, « At 30 something, Amnesty comes of age », 1 HUM. RTS. TRIB., 29, 30 (1992). 1781 V., Katherine E. COX, « Should Amnesty International expands its mandate to cover economic, social, and cultural rights? », 6 Ariz. J. Int’l & Comp. L. 261. 1782 Amnesty International, Amnesty International Report 1994, p. 4.

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570

continue à commettre de graves violations des droits de l’homme en dépit de ladite

promesse. C’est la raison pour laquelle l’Amnesty International assume les fonctions

de rapporter à la communauté internationale la réalité de la situation des droits en

Chine, ainsi que de stimuler le gouvernement chinois à honorer ses engagements à

respecter et protéger les droits de l’homme, alors que ses engagements sont non

seulement reconnus par les instruments juridiques internationaux, mais surtout exigés

par la Charte Olympique dans laquelle figure le principe de la promotion d’une société

pacifique et soucieuse de préserver la dignité humaine1783. Dans son rapport ultérieur,

l’Amnesty International a fait connaître à la communauté internationale les

protestations des personnes qui étaient victimes des expulsions forcées liées aux Jeux

Olympiques de 2008 à Pékin1784. Il a condamné d’ailleurs le gouvernement chinois

pour ses répressions des protestations des citoyens, car de lourdes peines furent

infligées aux défenseurs des droits de l’homme, parfois même accompagnées d’actes

de torture. Le gouvernement chinois a été également critiqué pour avoir permis à

l’Association chinoise des avocats –qui est sous la tutelle du Ministère de la Justice–

d’émettre un avis disciplinaire afin de restreindre les activités et le rôle des avocats en

tant que représentants des victimes dans les litiges de grande ampleur concernant les

expulsions forcées et les expropriations des terres1785.

(3). – Les critiques de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme

573. - En mai 2007, la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme

(FIDH) a soumis ses observations écrites au Conseil des droits de l’homme sur la

situation du droit au logement en Chine. Dans ses observations, la FIDH a exprimé ses

1783 Amnesty International, People’s Republic of China: the Olympics countdown –Three years’ human rights reform?, AI Index ASA 17/021/2005, août 2005. 1784 Amnesty International, Droits humains en Chine: le revers de la médaille, Paris : Autrement, 2008, pp. 17 à 22. 1785 Amnesty International, People’s Republic of China: the Olympic countdown –failing to keep human rights promise, AI Index ASA 17/046/2006, 21 septembre 2006; v., aussi, Human Rights Watch, A great danger for lawyers: new regulatory curbs on lawyers representing protestors, New York, 2006; Guiding opinions of the All-China Lawyers Association on lawyers handling mass cases, document publié le 20 mars 2006.

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571

préoccupations au Conseil des droits de l’homme concernant les atteintes au droit au

logement des citoyens chinois découlant des démolitions et des déplacements

occasionnés par celles-ci dans un but de développement économique et de

renouvellement urbain, notamment de préparation pour les Jeux Olympiques de

20081786. La FIDH a mené en outre une campagne intitulée « [H]uit revendications

pour Pékin » dont l’un des objectifs était de mettre fin aux expulsions forcées des

citoyens de leur logement ou de leurs terres. Selon la FIDH, « à Pékin la plupart des

expulsions forcées est liée à l’organisation des J.O. Ces expulsions ont lieu manu

militari et l’insuffisance des dédommagements est à l’origine de conflits violents,

durement réprimés. Les expulsions ont lieu également à la campagne pour faire place

non seulement à des projets immobiliers mais aussi à la construction d’industries

souvent polluantes. Ceux qui demandent justice pour les victimes d’expulsion font

l’objet de poursuites, de harcèlement et d’incarcération »1787. La FIDH a critiqué

l’inefficacité de la révision constitutionnelle consacrant la protection du droit de

propriété privée et de la loi sur les droits réels, dans la mesure où les règles de garantie

en cas d’expropriation pour l’intérêt général ne sont pas clairement prévues. En

soulignant que la Chine n’a pas respecté fidèlement ses engagements internationaux,

surtout ceux découlant du PIDESC, la FIDH a invité le Conseil des droits de l’homme

à faire pression sur le gouvernement chinois pour que ce dernier rende ses lois et

règlements en conformité avec le PIDESC, tout en abandonnant les mesures de

démolition forcée et qu’il adopte d’autre part des mesures concrètes afin de

promouvoir la réalisation du droit au logement, qu’il fasse cesser les répressions contre

les protestations des personnes victimes des expulsions forcées et enfin qu’il invite et

accueille le Rapporteur spécial sur le droit au logement1788. Les critiques de la FIDH

sont assez significatives dans la mesure où l’influence des acteurs non

gouvernementaux sur la violation des droits de l’homme s’étend depuis lors au sein du 1786 Conseil des droits de l’homme, Written statement submitted by the International Federation of Human Rights Leagues: a non-governmental organization in special consultative status, A/HRC/5/NGO/14(English Only), 7 June 2007. 1787 V., Collectif Chine JO 2008, Huit revendications pour Pékin, disponible sur le site http://www.fidh.org/article.php3?id_article=4344#un, consulté le 27 juin 2007. 1788 Conseil des droits de l’homme, Written statement submitted by the International Federation of Human Rights Leagues: a non-governmental organization in special consultative status, op. cit., p. 4.

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572

Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

574. - Une collaboration entre les acteurs non gouvernementaux et les organes

gouvernementaux est donc envisageable par la participation des acteurs non

gouvernementaux à l’examen périodique universel. Cette collaboration est encouragée

et institutionnalisée selon les méthodes de travail du Conseil des droits de l’homme1789.

Il est par conséquent prévisible que la pression de la communauté internationale

concernant la violation des droits de l’homme se révèlera plus forte qu’auparavant. Ce

renforcement de la pression venant de la communauté internationale peut utilement

contrebalancer l’efficacité de la riposte politique de la Chine confrontée à la

« condamnation » sur ses violations des droits de l’homme parmi lesquels figurent le

droit au logement et le droit de propriété.

SECTION II. – DES OBSERVATIONS INTERNATIONALES DANS LE CADRE

DU DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE

575. - Dans le cadre de l’OMC, l’examen des politiques commerciales, comme le

mécanisme d’examen transitoire auquel s’est soumise la Chine lors de son

accession1790, est « l’instrument pour superviser la mise en oeuvre par la Chine de ses

obligations assumées sous l’OMC »1791. Par le mécanisme non contraignant d’examen

des politiques commerciales, le droit de propriété est soumis –comme composante de

l’ensemble des politiques commerciales de la Chine– aux observations internationales

des autres membres de l’OMC (Sous-section 1). Le rapport du gouvernement chinois

présenté à l’Organe d’examen des politiques commerciales, ainsi que ses réponses aux

questions posées par les autres Membres de l’OMC ont pour objectif de permettre

qu’une transparence accrue et qu’une meilleure compréhension des politiques et

pratiques commerciales des Membres se mettent en place1792. Pour le gouvernement

1789 V., supra, n° 560. 1790 V., Annexe 1 A du Protocole d’accession de la République populaire de Chine, WT/L/432, 23 novembre 2003. 1791 WANG Guiguo, The law of the WTO, China and the future of free trade, Sweet & Maxwell Asia, 2005, p. 61. 1792 V., Annexe 3 de l’Accord de Marrakech,

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573

chinois, la participation au processus d’examen des politiques commerciales est

l’occasion de présenter à tous les membres de l’OMC une image fidèle de la Chine1793,

en permettant que sa législation et sa politique soient clarifiées, y compris en ce qui

concerne le droit de propriété. Cependant, ces observations effectuées dans le cadre de

l’OMC connaissent une limite, dans la mesure où ces observations sont de nature non

juridique et donc ne sont pas contraignantes à l’issue de l’examen. D’autre part,

l’examen des politiques commerciales relève d’un mécanisme interétatique, ainsi, les

personnes privées en tant que principaux opérateurs du commerce international n’ont

pas le droit d’y participer et donc ne peuvent en tirer les conséquences que de manière

indirecte. Néanmoins, les bénéfices qu’apporte le mécanisme ne doivent pas être

négligés dans la mesure où sa fonction de forum peut promouvoir le dialogue et la

négociation entre les membres de l’OMC, et par conséquent, une plus grande

transparence des politiques commerciales de la Chine1794. L’application du mécanisme

peut également exercer une pression sur le gouvernement chinois soumis à l’examen,

exigeant de ce dernier qu’il modifie ses politiques incompatibles avec le droit de

l’OMC1795. Comme les mécanismes de « examen par les pairs » ou de « pression des

pairs », l’examen des politiques commerciales tient son efficacité à l’influence et à la

persuasion des partenaires commerciaux au cours de l’exercice1796. À cet égard,

l’examen des politiques commerciales est un instrument de l’exécution du droit de

l’OMC, qui joue un rôle complémentaire par rapport au mécanisme plus contraignant

de règlement des différends.

En ce qui concerne les droits de propriété intellectuelle, la Chine s’implique

désormais davantage dans le mécanisme de règlement des différends de l’OMC, alors

qu’elle avait la réputation de toujours se méfier des procédures de recours

1793 V., OMC, Examen des politiques commerciales, République Populaire de Chine, Compte rendu de la réunion, WT/TPR/M/161, 6 juin 2006, point 5. 1794 William STEINBERG, « Monitor with no teeth: an analysis of the WTO China trade review mechanism », 6 U.C. Davis Bus. L.J. 2. 1795 Julien CHAISSE, Debashis CHAKRABORTY, « Implementing WTO rules through negotiations and sanctions: the role of trade policy review mechanism and dispute settlement system », 28 U. Pa. J. Int’l Econ. L. 153, p. 180. 1796 V., OCDE, L’examen par les pairs: un instrument de coopération et de changement, SG/LEG(2002)1, 11 septembre 2001, p. 6.

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574

contraignantes des instances juridiques internationales pour résoudre des différends

interétatiques 1797 . En avril 2007, le gouvernement des États-Unis a demandé

l’ouverture d’une consultation avec le gouvernement chinois au sujet de certaines

mesures relatives à la protection et au respect des droits de propriété intellectuelle en

Chine1798, ce qui a déclenché la mise en oeuvre des procédures de l’Organe de

règlements des différends contre la volonté du gouvernement chinois qui avait le rôle

de la défense1799.

576. - En plus de l’OMC, des institutions internationales appartenant au monde

économique ont également joué un rôle non négligeable concernant l’évolution du

droit interne chinois en matière de droit de propriété (Sous-section 2). Au nom de

l’expertise de bonne gouvernance, la Banque mondiale et l’Organisation de

Coopération et de Développement Économiques ont exprimé leurs considérations et

propositions au sujet de diverses réformes économiques et juridiques en Chine. C’est

dans ce contexte de « la mondialisation des experts »1800 que la question du droit de

propriété a été directement ou indirectement étudiée par les observations de nature

scientifique. L’importance de ces observations tient au fait qu’elles ont enrichi les

connaissances et précédé la décision politique du gouvernement chinois ou encore sont

à l’origine de certaines initiatives normatives en matière de politiques économiques

dont l’une des composantes importantes concerne la propriété.

Sous-section 1. – Le droit de propriété soumis à l’examen des politiques

commerciales

577. - Dans le cadre de l’OMC, Le mécanisme d’examen des politiques

1797 V., Samuel S. KIM, « The development of international law in post-Mao China: change and continuity », Journal of Chinese Law, fall, 1987, p. 140. 1798 V., OMC, Chine - Mesures affectant la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle - Demande de consultations présentée par les États-Unis, WT/DS362/1, 16 avril 2007. 1799 V., reportage de l’Agence de Presse Xinhua, Les États Unis doivent retirer leurs plaintes contre la Chine sur le droit de propriété intellectuelle, selon un officiel chinois, disponibles sur le site http://french.china.org.cn/foreign/txt/2007-07/04/content_8480200.htm, consulté le 7 août 2007. 1800 V., Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (III) : la refondation des pouvoirs, op. cit., pp. 201 et s.

Page 583: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

575

commerciales constitue un forum où les Membres peuvent discuter ouvertement des

politiques commerciales et en faire une analyse objective. Les rapports élaborés par le

Secrétariat permettent un examen factuel et indépendant sur les politiques et les

pratiques commerciales des Membres concernés. Ces rapports sont, d’une manière

générale, bien accueillis, tant par les Membres soumis à l’examen que par le reste des

participants. Les rapports contribuent également, dans certains cas, à l’élaboration de

politiques commerciales de certains Membres 1801 . L’apport de l’examen à

l’amélioration de la protection du droit de propriété est significatif, d’autant plus que

les principes directeurs acceptés par la Chine lors de son accession à l’OMC ont été

largement examinés par cette organisation. Il s’agit des principes d’application

uniforme des engagements consentis, de transparence, de contrôle judiciaire impartial

et d’indépendance des actes administratifs, dont la mise en oeuvre exige des

changements sans précédent dans quasiment tous les domaines du droit chinois. Il en

résulte donc que l’accession à l’OMC n’a pas uniquement des conséquences positives

sur le plan économique et politique mais sert également à consolider la construction

d’un État de droit en Chine1802. L’examen des politiques commerciales est l’occasion,

non seulement d’évaluer la mise en oeuvre des principes par la Chine, mais aussi

d’indiquer à celle-ci des propositions de réformes, y compris celles relatives au droit de

propriété (§ 1). Sous la forme d’un éclaircissement de ses mesures politiques, le

gouvernement chinois a présenté son rapport à l’Organe d’examen des politiques

commerciales, en abordant directement la question de la propriété et en indiquant les

orientations de réforme qui elles-mêmes s’inscrivent dans l’évolution et le 1801 V., OMC, Rapport de l’organe d’examen des politiques commerciales pour 2006, 31 octobre 2006, WT/TPR/192, para. 10. 1802 V., Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p. 566 ; Leïla CHOUKROUNE, « L’accession de la Chine à l’OMC et la réforme juridique : vers un État de droit par l’internationalisation sans démocratie ? », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Etienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., pp. 617 et s ; Stanley LUBMAN, « Bird in a cage : Chinese law reform after twenty years », op. cit., pp. 416 à 419 ; Jan HOOGMARTENS, « Can China’s socialist market survive WTO’s accession ? Political, market economy and rule of law », 7-SPG L. & Bus. Rev. Am. 37, pp. 76 à 83; Karen HALVERSON, « China’s WTO accession: Economic, legal and political implications », 27 B.C. In’'l & Comp. L. Rev. 319, pp. 346 et s; Jiangyu WANG, « The rule of law in China: a realistic view of the jurisprudence, the impact of WTO, and the prospects for future development », 2004 Sing. J. Legal Stud. 347, pp. 360 et s; CAO Jianming, « WTO and the rule of law in China », 16 Temp. Int’l & Comp. L.J. 379, pp. 379 et s.

Page 584: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

576

développement récent de ses politiques commerciales1803 (§ 2).

§ 1. – Les observations du Rapport du Secrétariat

578. - Le Rapport du Secrétariat qui porte sur l’ensemble des politiques

commerciales de la Chine contient Les observations concernant le droit de propriété

tant dans la partie relative au cadre et aux objectifs du régime des politiques

commerciales (A), que dans la partie des analyses sur les mesures ou les secteurs

concrets de politique commerciale (B).

A. – Les observations dans l’examen portant sur le régime des

politiques commerciales

579. - Dans le cadre de l’examen portant sur le régime des politiques commerciales,

après avoir récapitulé les réformes législatives entreprises par la Chine afin de

transformer son cadre institutionnel et juridique, le Rapport du Secrétariat a souligné

les problèmes existants dans le processus de réforme juridique (2) mais aussi des

progrès remarquables en matière de droit de propriété (1).

(1). – L’appréciation des progrès

580. - Concernant le régime des politiques commerciales, le Rapport du Secrétariat a

constaté des progrès à l’oeuvre au sein du processus de réforme juridique en Chine. Il

s’agit d’abord d’instaurer une révision judiciaire des actes administratifs. Selon le

Rapport, les lois et les règlements actuels de la Chine satisfont aux exigences de

l’engagement en vertu duquel les mesures administratives liées à l’exécution des lois,

règlements, décisions judiciaires ou autres concernant le commerce des marchandises

et des services ainsi que les droits de propriété intellectuelle doivent faire l’objet d’une

révision judiciaire. Le processus de révision doit par ailleurs inclure des possibilités

1803 V., OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport de la République Populaire de Chine, WT/TPR/S/161/Rev.1, 26 juin 2006.

Page 585: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

577

d’appel. Le Rapport du Secrétariat a constaté que la Cour populaire suprême a publié

en 2002, dans un effort visant à clarifier davantage sa compétence dans les contentieux

administratifs liés au commerce international, les Règles relatives à certaines questions

concernant le traitement des affaires administratives liées au commerce

international1804. Lors du deuxième examen des politiques commerciales en 2008, le

Rapport du Secrétariat a intégré parmi les principales lois commerciales la loi sur les

droits réels dont l’adoption est considérée comme le signe de l’amélioration du régime

de la politique commerciale1805.

581. - Le Rapport du Secrétariat a considéré que le progrès du gouvernement chinois

en matière de transparence est rapide. Alors que la Chine a été classée au

quarante-quatrième rang parmi les 48 pays les plus opaques selon l’indice d’opacité de

20041806, le Rapport a évoqué la loi sur l’autorisation administrative entrée en vigueur

le 1er juillet 20041807 comme exemple du progrès de la Chine en la matière. Cette loi

définit de manière stricte le fondement juridique de l’autorisation administrative,

désigne les institutions compétentes en la matière et décrit la procédure d’octroi de

l’autorisation, afin de garantir une application plus uniforme de ces mesures et d’en

améliorer ainsi la transparence. Le Rapport a constaté qu’une évaluation menée à

l’échelle du pays a permis de faire le point sur les autorisations administratives

existantes, dans le but d’uniformiser le comportement des instances administratives et

d’en améliorer davantage la transparence1808. En évoquant la loi sur l’élaboration des

normes juridiques, le Rapport du Secrétariat a observé que depuis l’accession de la

Chine à l’OMC, la participation du public au processus législatif et la transparence de

ce processus s’est améliorées. Le Rapport du Secrétariat a fait d’ailleurs l’éloge des

1804 Ibid., p. 45. 1805 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, Chine, 12 août 2008, WT/TPR/S199/Rev.1, p. 31. 1806 V., Joel KURTZMAN, Glenn YAGO, Triphon PHUMIWASANA, The Global Costs of Opacity, Measuring Business and Investment Risk Worldwide, disponible sur le site http://www.opacityindex.com/opacity_index.pdf, consulté le 9 août 2007. 1807 On entend par « autorisation administrative » l’approbation qu’une instance administrative donne à un citoyen, une personne morale ou une autre entité pour la conduite d’activités spéciales, au terme d’un examen de sa demande effectué en vertu de la loi. 1808 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport de la République Populaire de Chine, WT/TPR/S/161/Rev.1, précité, p. 46.

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578

mesures telles que les audits effectués par le Bureau National d’Audit et le recours à

Internet, prises par les gouvernements de différents échelons visant à promouvoir la

transparence et contrer la corruption1809. Dans le deuxième Rapport du Secrétariat sur

l’examen des politiques commerciales, le Règlement sur la publication des

informations gouvernementales est considéré comme l’instrument destiné « à réduire

la corruption en maintenant le gouvernement ouvert et transparent dans l’exercice de

ses pouvoirs »1810. Le respect du principe de transparence s’est étendu dans le domaine

législatif. Selon le deuxième Rapport du Secrétariat, « aucun renseignement n’était

disponible sur le nombre de projets de loi et de règlement sur lesquels aucun avis n’a

été sollicité »1811. Tel est notamment le cas de l’élaboration du projet de loi sur les

droits réels par lequel l’appel des avis consultatifs sur le plan national a été organisé

par le Comité permanent de l’APN.

(2). – Les critiques sur les problèmes existants

582. - Le Rapport du Secrétariat a émis un regret au sujet de la complexité de la

législation chinoise. Il constate que de nouvelles règles et de nouveaux règlements sont

régulièrement édictés pour répondre à l’évolution des besoins économiques et des

engagements internationaux du pays. Le résultat est un réseau complexe de lois, de

règlements, de règles et de dispositions provisoires ; dans bien des cas, le processus de

formulation et d’application des politiques demeure lui aussi complexe, faisant

intervenir plusieurs organismes à différents niveaux, ce qui entraîne des répercussions

sur le plan de la cohérence. La complexité du cadre institutionnel peut s’expliquer, en

partie, par la nature du processus de réforme. En effet, pendant que de nouvelles

politiques et de nouvelles institutions sont mises en place, les anciennes ne sont

modifiées que de façon partielle, de sorte que les nouvelles institutions viennent

s’ajouter ou se greffer aux anciennes ; d’ailleurs, il arrive, de temps à autre, que des

politiques gouvernementales soient mises en œuvre à titre expérimental sous forme de 1809 Ibid., p. 47. 1810 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, Chine, 12 août 2008, WT/TPR/S199/Rev.1, pp. 28, 29. 1811 Ibid., p. 30.

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579

« règlements ou décrets provisoires », ou au niveau d’une région avant d’être

appliquées à l’échelle du pays1812 . Cette critique est pertinente à propos de la

législation en matière de propriété. Car, en dehors de la loi sur les droits réels, le

Comité permanent de l’APN est en train d’élaborer une loi sur l’administration des

biens étatiques1813. N’ayant pas réussi à intégrer toutes les règles aussi complexes que

diverses dans un corps unique, le Comité permanent de l’APN a adopté en 2008 la loi

sur les actifs d’État des entreprises. D’ailleurs, différentes autorités gouvernementales

sont chargées d’élaborer des textes normatifs relatifs à l’enregistrement des biens

immobiliers, à l’expropriation, et au transfert du droit d’usage du sol rural. Une série

de lois et de règlements est en cours d’élaboration afin de compléter les règles plus

générales ou lacunaires de la loi sur les droits réels. Qu’il s’agisse de nouvelles lois ou

de nouveaux règlements à paraître, la mise en cohérence entre la loi sur les droits réels

et les nouveaux textes normatifs est une étape importante pour réduire la complexité du

système juridique du droit des biens en Chine. Outre les textes normatifs, les avis

d’interprétation issus de la Cour populaire suprême sont aussi importants concernant la

mise en oeuvre de la loi sur les droits réels, notamment pour compléter les dispositions

peu précises de celle-ci. Il s’agit des règles relatives à la copropriété auxquelles la Cour

populaire suprême attache de l’importance comme le montre l’élaboration de deux avis

d’interprétation qui verront le jour après la sollicitation des opinions publiques1814.

583. - L’exécution de la loi est la question la plus critiquée dans le Rapport du

Secrétariat. Ce dernier, en citant le rapport du Président de la Cour populaire suprême

présenté à l’APN en mars 20041815, a souligné que les difficultés d’exécution des

jugements civils et commerciaux deviennent un « mal chronique »1816. Parmi les

1812 V., OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, République Populaire de Chine, révision, WT/TPR/S/161/Rev.1, 26 juin 2006, p. 35. 1813 Comité permanent de l’APN, Programme des travaux législatifs de l’an 2008, adopté par la deuxième réunion des présidents du Comité permanent du Xe l’APN, 15 avril 2008. 1814 V., reportage de QIU Wei, « Analyse sur les projets d’avis d’interprétation relative à la loi sur les droits réels préparés par la Cour suprême (Zuigaofa wuquanfa sifa jieshi zhengqiu yijiangao jiedu) », Beijing wanbao (Beijing Evening News), 19 juin 2008. 1815 XIAO Yang, Rapport d’activités de la Cour populaire suprême devant la deuxième session plénière du Xe APN, le 10 mars 2004, disponible sur le site http://www.court.gov.cn/work/200403220012.htm, consulté le 25 juin 2008. 1816 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, République Populaire de

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580

difficultés d’exécution des lois en Chine qui tiennent à différents facteurs, le Rapport

du Secrétariat a mis l’accent sur la protection des intérêts locaux et l’interférence des

pouvoirs publics1817. Le problème du protectionnisme local a été encore souligné par le

deuxième Rapport du Secrétariat sur l’examen des politiques commerciales, selon

lequel « dans l’ensemble, la coordination entre le gouvernement central et les

administrations locales s’améliore, mais reste faible »1818. Les problèmes entraînés par

la coordination ineffective qui règne entre le gouvernement central et les

administrations locales apparaissent plus nettement dans les pratiques d’expropriation

pour l’intérêt public. En effet, les conditions relatives à l’expropriation pour l’intérêt

public imposées par la législation nationale et les politiques du gouvernement central

sont souvent délibérément méconnues par les administrations locales qui détiennent un

pouvoir largement discrétionnaire concernant la prise des décisions et l’exécution du

projet d’expropriation.

B. – Le droit de propriété soumis à l’examen sur les mesures concrètes

de politiques commerciales

584. - La question du droit de propriété a été abordée par le Rapport du Secrétariat

sur plusieurs aspects concernant les mesures concrètes de politique commerciale. Il

s’agit d’abord d’offrir un traitement égal des opérateurs économiques du secteur public

et à ceux du secteur privé (1), ensuite, de reformer les entreprises d’État à l’égard du

régime de propriété (2). Ces examens visent plus essentiellement à réguler l’économie

au regard des règles du marché. Elles doivent conduire au réajustement du régime

économique et juridique en favorisant le renforcement de la garantie de la propriété

Chine, WT/TPR/S/161/Rev.1, précité, pp. 44, 45. 1817 GE Xingjun, ancien directeur de la Division d’exécution des jugements de la Cour Populaire Suprême, a expliqué que les difficultés d’exécution des jugements en Chine découlaient principalement du protectionnisme local, voir la discussion en ligne qui a eu lieu le 11 mars 2004 sous les auspices de China Courts Net et People’s Net, http://www2.qglt.com.cn/wsrmlt/jbft/2004/03/031102.html, consulté le 8 juin 2005. 1818 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, Chine, 16 avril 2008, WT/TPR/S199, p. 31.

Page 589: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

581

privée et du traitement égal des propriétés publique et privée1819. La protection de la

propriété intellectuelle fait également l’objet de l’examen (3) dont l’observation peut

sensibiliser le gouvernement sur des problèmes existants et indiquer par conséquent le

degré d’avancement du droit chinois en la matière.

(1). – Le traitement égal des secteurs public et privé

585. - Le Rapport du Secrétariat a caractérisé la réforme structurelle des entreprises

en Chine par la réorientation vers le secteur privé, et a apprécié la révision

constitutionnelle en 2004 qui reconnaît désormais le statut légitime de la propriété

privée, ainsi que la protection des secteurs non publics de l’économie, dont le secteur

individuel et le secteur privé. Le Rapport a mis l’accent sur l’intégration de la théorie

de « Trois Représentativités » dans la Constitution, en considérant celle-ci comme une

innovation théorique qui indique que les entrepreneurs privés sont encouragés à

adhérer au PCC, et qui accroîtra l’influence du secteur privé sur la formulation des

politiques1820. Le Rapport a également souligné que, bien que la productivité totale des

facteurs est plus élevée dans le secteur privé et que sa productivité augmente plus vite

que celle du secteur public, les entreprises privées se heurtent toujours à des obstacles,

notamment pour obtenir des crédits bancaires ou pour lever des fonds sur le marché

des capitaux1821. D’ailleurs, jusqu’à récemment, il semble que les entreprises privées

n’étaient pas autorisées à investir dans certains secteurs considérés comme capitaux

dans la stratégie économique du gouvernement central, notamment ceux de l’électricité,

du pétrole, de la chimie, des transports ferroviaire et aérien. Cependant, le Rapport du

Secrétariat a bien accueilli la réforme initiée par les Directives visant à favoriser et à

soutenir le développement du secteur non étatique, y compris l’entreprise individuelle

et l’entreprise privée, adoptées par le CAE le 25 février 2005. Il a considéré que les 1819 V., Ligang SONG, « The state of Chinese economy –structural changes, impacts and implications », in Deborah Z. CASS, Brett G. WILLIAMS, George BARKER, China and the world trading system, Cambridge University Press, 2003, p. 89 à 92. 1820 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, République Populaire de Chine, WT/TPR/S/161/Rev.1, précité, p. 37. 1821 V., par exemple, Kuijs LOUIS, Tao WANG, « China’s pattern of growth: moving to sustainability and reducing inequality », World Bank Policy Research Working Paper No. 3767, novembre 2005.

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582

directives ont pour but d’améliorer l’accès de l’entreprise privée aux marchés de

nombreux secteurs dont l’accessibilité était auparavant restreinte, y compris les

secteurs dominés par des monopoles d’État et les secteurs fortement réglementés, tels

que les services publics, les services financiers, les services sociaux et celui de la

fourniture du matériel de la défense nationale. Le Rapport du Secrétariat a observé

aussi qu’en ce qui concerne les progrès en matière de mettre en place le traitement égal

des propriétés publique et privée, les autorités chinoises s’emploient à abaisser d’autres

barrières qui entravaient l’accès au marché, en réduisant par exemple le niveau élevé

des fonds propres qui était requis jusqu’à présent, par la modification de la loi sur les

sociétés entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2006.

586. - Selon le Rapport du Secrétariat, le traitement égal des secteurs public et privé relève

également du droit de concurrence. En effet, la nouvelle loi anti-monopole –adoptée le 30 août

2007 et entrée en vigueur le 1er août 2008– vient combler une lacune importante dans le cadre

législatif à l’égard des exigences d’une économie de marché. Le Rapport a considéré que pour que

la loi anti-monopole soit efficace, elle doit être appliquée sérieusement, dans la transparence et sans

discrimination1822 . Cette nouvelle loi doit notamment garantir un traitement non discriminatoire

des entreprises privées par rapport aux entreprises d’État dans tout le pays, et régler les problèmes

liés à l’existence de monopoles d’État ou de monopoles administratifs1823. Selon le Rapport du

Secrétariat, le défi essentiel auquel devra faire face le gouvernement chinois sera celui mettre en

œuvre des changements structurels afin d’instaurer une plus grande concurrence, et de réformer en

particulier le secteur public, y compris les entreprises1824, ceci afin de résoudre les problèmes liés à

la structure de l’économie chinoise parmi lesquels figure le caractère ambigu des droits de

propriété1825. Ainsi, le Rapport du Secrétariat a confirmé le rôle du droit de propriété dans la

restructuration des entreprises publiques, et dans un contexte plus large, dans la réforme de

l’ensemble du secteur public.

1822 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, République Populaire de Chine, WT/TPR/S/161/Rev.1, précité, p. 75. 1823 Ibid., p. 165. 1824 Ibid., p. 74 1825 Ibid., p. 165.

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583

(2). – Le rôle du droit de propriété dans la réforme des entreprises d’État

587. - Le Rapport du Secrétariat a constaté que la politique actuelle de réforme des

entreprises d’État consiste à donner la priorité d’une part à la séparation entre le droit

de propriété et la gestion de la société et, d’autre part, à l’amélioration de

l’administration des actifs d’État 1826 . C’est dans ce contexte qu’a été créée la

Commission du CAE chargée de la supervision et de la gestion des actifs d’État

(SASAC) par le Règlement provisoire sur la supervision et la gestion des actifs d’État

des entreprises1827, qui en tant qu’institution centrale dépositaire des titres, règle les

problèmes rencontrés par les entreprises non financières appartenant au gouvernement

central. Selon le Rapport du Secrétariat, la création de la SASAC offre la possibilité

d’améliorer la transparence en matière de gestion et de cession des actifs détenus par

l’État. Néanmoins, en tenant compte des autres fonctions de la SASAC, le Rapport du

Secrétariat a redouté que la question demeure de savoir dans quelle mesure la SASAC

joue un rôle de fiduciaire pour le compte du gouvernement central, afin de maximiser

le rendement des actifs publics ou, si elle n’est pas plutôt un instrument de la mise en

œuvre de la politique industrielle du gouvernement central1828.

588. - Lors du deuxième examen, le Rapport du Secrétaire a constaté les progrès

effectués concernant la réforme des entreprises d’État au sujet du droit de propriété. Il

s’agit de leur réorganisation et de leur transformation en sociétés privées qui ont

permis d’améliorer les résultats. D’autre part, en réduisant la participation du pouvoir

public et en libérant des ressources détenues auparavant par l’État, la réforme a aussi

contribué au développement du secteur privé1829. La privatisation a été jugée dans le

Rapport du Secrétariat comme étant la mesure de réforme la plus importante. Il s’agit

1826 V., OECD, Governance in China, 2005; S. TENEV, Chunlin Zhang, Loup BREFORT, Corporate governance and enterprise reform in China: building the institutions of modern markets, World Bank, 2002. 1827 La loi sur les actifs d’État des entreprises promulguée en 2008 réaffirme le statut et les fonctions de la Commission d’État chargée de la supervision et de la gestion des actifs d’État. V., supra, n° 151. 1828 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, République Populaire de Chine, WT/TPR/S/161/Rev.1, précité, p. 22. 1829 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, Chine, 16 avril 2008, WT/TPR/S199/Rev.1, précité, p. 92.

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584

non seulement de la réduction prévue des entreprises publiques relevant de la gestion

du SASAC selon les Orientations visant à promouvoir la restructuration des actifs

publics et des entreprises publiques, émises par le CAE en décembre 20061830, mais

surtout de la réforme visant à convertir des actions d’État ou de personnes morales non

négociables en actions négociables1831. L’ensemble des mesures s’inscrit dans un

processus de réforme dont le but principal est de diminuer la part de la propriété

publique dans les secteurs économiques et s’explique par le mot d’ordre du PCC,

c’est-à-dire «la réalisation du régime de propriété publique par de multiples voies

effectives»1832. L’usage de cette phraséologie lui permet de contourner des expressions

politiquement plus sensibles telles que la privatisation ou la récession de la propriété

publique dans l’économie nationale.

(3). – La protection de la propriété intellectuelle

589. - Après avoir abordé la législation et le fonctionnement des organismes

compétents pour la mise en oeuvre des droits de propriété intellectuelle, le Rapport du

Secrétariat a mis l’accent sur l’aspect des critiques concernant les moyens de faire

respecter les droits. Parmi les principales causes de l’ineffectivité du droit chinois de la

propriété intellectuelle, le Rapport du Secrétariat a souligné le manque de coordination

entre les principaux organismes chargés de faire respecter la loi, le protectionnisme

local, la corruption, l’insuffisance du pouvoir de dissuasion des sanctions

1830 Selon les Orientations, le gouvernement entend conserver sa participation dans les « industries intéressant la sécurité nationale, les grandes infrastructures et les ressources minérales importantes, les industries fournissant des biens et services publics importants, enfin les industries névralgiques appartenant à des secteurs pivots ou à des secteurs de pointe ». Plus précisément, sept secteurs « stratégiquement importants », y compris la production et la distribution d’électricité, le pétrole et la pétrochimie, les télécommunications, le charbon, l’aéronautique et la navigation, demeureraient sous le contrôle de l’État. V., reportage de ZHAO Huanxin « Control over key industries ‘crucial’», China Daily, 19 décembre 2006. 1831 La Commission de réglementation des valeurs mobilières (CSRC) a émis le 29 avril 2005 la Circulaire sur le programme pilote de réforme des actions non négociables des sociétés inscrites à la cote officielle. 1832 V., Décision sur l’amélioration du régime de l’économie de marché socialiste, adoptée par la troisième session plénière du XVIe Congrès du PCC.

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585

administratives, civiles et pénales, ainsi que le manque de formation du personnel1833.

Pour montrer la gravité de la situation, le Rapport du Secrétariat s’est référé à la

statistique sur la croissance des infractions et des contentieux indiquée dans le livre

blanc de 2005 portant sur la protection de la propriété intellectuelle en Chine. Il est à

noter que le Rapport du Secrétariat a été révélateur du mécontentement que nourrissent

certains membres de l’OMC à l’égard de la performance du gouvernement chinois

concernant la mise en oeuvre de l’Accord sur les ADPIC. En témoigne le différend

ultérieurement présenté devant l’ORD. Dans l’affaire DS 362, l’une des questions

posées par le gouvernement des États-Unis porte sur les seuils qui doivent être atteints

pour que certains actes de contrefaçon de marques et de piratage des droits d’auteur

fassent l’objet de procédures pénales et de peines1834. Ces faits correspondent en effet à

la préoccupation déjà avérée lors de l’examen des politiques commerciales concernant

l’insuffisance du pouvoir de dissuasion des sanctions prévues. Lors du deuxième

examen des politiques commerciales, le Rapport du Secrétariat a réitéré la critique

portant sur l’existence des seuils minimums devant être atteints avant que des

poursuites pénales ne puissent être engagées contre les infractions commises à

l’encontre des droits de propriété intellectuelle. « Il peut s’agir notamment de la valeur

des biens, des profits illégaux ou de la quantité de copies illégales. Ces seuils sont

abaissés dans certains cas, mais les autorités disent qu’il n’est pas question de les

supprimer »1835. L’observation du deuxième examen des politiques commerciales est

d’autant plus significative que celui-ci s’est déroulé en parallèle avec le traitement de

l’affaire DS 362 par le Groupe spécial établi à la demande des États-Unis1836. Il semble

que le Rapport du Secrétariat a produit certaine influence sur la conclusion du Groupe

spécial dans le règlement du différend sino-américain. 1833 V., OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, République Populaire de Chine, WT/TPR/S/161/Rev.1, précité, p. 161. 1834 OMC, Chine - Mesures affectant la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle - Demande de consultations présentée par les États-Unis, G/L/819, IP/D/26, WT/DS362/1, 16 avril 2007. 1835 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, Chine, WT/TPR/S199/Rev.1, précité, p. 106. 1836 Le 13 décembre 2007, le Directeur général a arrêté la composition du Groupe spécial. Ce dernier publierait son rapport à la fin 2008. V., Intellecutual Property Watch, WTO inquiry launched into US complaints against China’s IP record, 27 septembre 2007, disponible sur le site http://www.ip-watch.org/weblog/index.php?p=758, consulté le 28 juin 2008.

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590. - Si l’on met l’accent sur les liens entre l’examen des politiques commerciales

et le différend entre les partenaires commerciaux et la Chine, celle-ci doit prêter son

attention sur les critiques soulevés lors de l’examen des politiques commerciales. Le

protectionnisme local dans la mise en oeuvre de la législation de propriété

intellectuelle a été l’un des objets de ces critiques. Le Rapport du Secrétariat l’a

considéré bien comme l’une des causes majeures des atteintes aux droits de propriété

intellectuelle. Selon le Rapport du premier examen, « le protectionnisme local peut

résulter de mesures arbitraires qui favorisent les commerçants et producteurs locaux,

et de la corruption locale qui permet aux fabricants ou marchands locaux de produits

contrefaits d’être avertis à l’avance des perquisitions; il semble aussi que les

administrations régionales compétentes n’ont pas toutes les capacités requises pour

faire respecter les DPI »1837. Lors du deuxième examen des politiques commerciales,

le Rapport du Secrétariat a insisté sur la difficulté concernant l’exécution des décisions

judiciaires et administratives, en raison du manque d’infrastructures et d’une

insuffisance d’effectifs1838. Il est donc vraisemblable que la question de l’effectivité de

la mise en oeuvre des garanties judiciaire et administrative devienne l’objet de futurs

différends mettant en cause la performance du gouvernement chinois concernant les

engagements qu’il a pris avec l’Accord sur les ADPIC, si les améliorations escomptées

ne sont pas réalisées.

§ 2. – La propriété au regard de la clarification des politiques commerciales

par le gouvernement chinois 1837 V., OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, République Populaire de Chine, WT/TPR/S/161/Rev.1, précité, p.185. Il faut rappeler également que lors de l’examen transitoire sur la mise en oeuvre de l’Accord sur l’ADPIC, les État-Unis ont déjà signalé que de nombreuses autorités locales chinoises manifestaient de la réticence à fournir un exemplaire de leurs règles ou règlements locaux relatifs aux DPI, ou des décisions rendues au niveau local visant à assurer le respect de ces droits, v., OMC, Mécanisme d’examen transitoire de la Chine –Communication des États-Unis, 12 novembre 2003, IP/C/W/414; de même, le gouvernement japonais a signalé que des instances locales chinoises avaient refusé de saisir des marchandises contrefaites, à la demande d’entreprises japonaises, sous prétexte que ces marchandises étaient fabriquées par une grande entreprise de la région, v., OMC, Examen transitoire au titre de la section 18 du Protocole d’accession de la République Populaire de Chine –Rapport du président au Conseil général, 10 décembre 2003, IP/C/31. 1838 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, Chine, WT/TPR/S199/Rev.1, précité, p. 106.

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587

591. - Le rapport de la Chine présenté à l’Organe d’examen des politiques

commerciales a mis en exergue l’impact des politiques gouvernementales sur le droit

de propriété. La présentation des politiques commerciales de la Chine a été complétée

par les réponses de la délégation chinoise aux questions posées par les autres membres

de l’OMC. Du fait de l’interaction entre la délégation chinoise et celles des autres

membres au cours de l’examen, les politiques commerciales relevant de la propriété en

Chine ont été spécifiquement abordées sous l’angle de l’environnement économique et

dans le cadre législatif et institutionnel. La clarification ainsi faite des politiques

commerciales est révélatrice de l’impact des normes internationales sur le droit interne

dans la mesure où l’examen des politiques commerciales constitue à la fois l’inventaire

mais aussi les orientations des efforts de réforme pour le gouvernement chinois dans le

but de se mettre en conformité avec les engagements qu’il a pris sur le plan

international. Le sujet du droit de propriété est abordé sous l’angle de l’environnement

juridique des entreprises en Chine qui comporte trois thèmes liés entre eux, à savoir la

politique de la concurrence, la gouvernance des entreprises et la législation en matière

de droit de propriété1839. Le rapport de la Chine a divisé les politiques de la Chine

relevant de la propriété en deux volets : celles relatives au développement des acteurs

économiques non publics (A) d’une part, et, d’autre part, celles relatives à

l’administration des biens publics et à la réforme du secteur public (B).

A. – Les politiques relatives au développement des acteurs

économiques non publics

592. - En présentant ses politiques commerciales, la délégation chinoise a apporté

une clarification à la notion d’acteurs économiques non publics, utilisée de manière

très répandue à l’extérieur des textes normatifs (1). La délégation chinoise a aussi

réaffirmé l’existence d’un statut non public des acteurs économiques dans les

politiques commerciales du gouvernement chinois (2).

1839 V., OMC, Examen des politiques commerciales, République Populaire de Chine, Compte rendu de la réunion, WT/TPR/M/161, précité, point 29.

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(1). – Clarification de la notion d’acteurs économiques non publics

593. - En ce qui concerne la notion générale d’acteurs économiques non publics –qui

s’assimile souvent à l’expression « économie non publique » dans la pratique, le

rapport chinois a avancé la précision selon laquelle le gouvernement chinois distingue

plusieurs catégories d’acteurs économiques non publics : entreprises à capitaux

étrangers, entreprises familiales ou individuelles à caractère industriel ou commercial,

et entreprises privées. Jusqu’à la présentation du rapport, l’ « économie non publique »

–expression plus courante sur le plan politique que sur le plan juridique– n’a pas été

officiellement définie. D’ailleurs, les documents gouvernementaux n’ont pas présenté

un type d’écriture strictement uniforme quant à l’utilisation des expressions désignant

les acteurs économiques non publics : il existe des cas où les entreprises non publiques

se confondaient avec l’entreprise privée, alors que les premières relèvent d’une notion

plus large qui englobe la seconde selon ce qu’a été affirmé le rapport chinois. Cette

confusion a été constatée par certains membres de l’OMC lors de l’examen des

politiques commerciales1840. Lors de sa réponse à la question ainsi posée, la délégation

chinoise a avoué que l’expression « entreprises privées » empruntée au vocabulaire des

statistiques officiels correspond en effet aux secteurs non publics, y compris ceux qui

concernent les entreprises privées au sens propre et les entreprises à capitaux étrangers.

Il faut observer d’ailleurs qu’en vertu du rapport du gouvernement chinois et de sa

réponse, la position officielle a évolué puisque les entreprises à capitaux étrangers

appartiennent désormais aux secteurs non publics. Cette réponse a complété donc la

définition lacunaire des acteurs non publics prévus par l’article 11, alinéa 2 de la

Constitution 1982, révisé en 2004. Cet article prévoit que l’État protège les droits et les

intérêts légitimes de l’économie individuelle, de l’économie privée et des autres

acteurs économiques non publics. La révision constitutionnelle en 1999 a créé

l’expression nouvelle « acteurs économiques non publics» mais sans pour autant

préciser sa signification de manière exhaustive. L’incertitude relative au statut des

entreprises à capitaux étrangers –sont-elles considérées comme des acteurs

1840 V., OMC, Examen des politiques commerciales, République Populaire de Chine, Compte rendu de la réunion, addendum, WT/TPR/M/161/Add.3, 16 janvier 2007, p. 7.

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économiques non publics?– a été ainsi supprimée grâce au rapport du gouvernement

chinois lors de l’examen de ses politiques commerciales dans le cadre de l’OMC.

(2). – Réaffirmation du statut des acteurs économiques non publics

594. - Quant au statut juridique des acteurs économiques non publics, le rapport de

la Chine a réitéré comme étant le principe directeur de ses politiques l’article 11 de la

Constitution. En tant qu’instrument de la mise en oeuvre des politiques relatives aux

secteurs non publics, le rapport a également évoqué les Directives visant à favoriser et

à soutenir le développement du secteur non étatique qui comprend l’entreprise

individuelle et l’entreprise privée, adoptées par le CAE en février 2005. Selon ces

Directives, toutes les barrières entravant l’accès au marché et les activités des secteurs

non publics doivent être éliminées. Ce faisant, les acteurs économiques non publics

sont encouragés à participer à la réorganisation, à la restructuration et à la

transformation des entreprises d’État par le biais de fusions et acquisitions des actions.

Toutefois, et selon certains membres de l’OMC, les formulations des politiques du

gouvernement chinois ne sont pas satisfaisantes car trop ambiguës. Par exemple, le

gouvernement japonais a posé la question concernant l’existence d’une liste énumérant

les mesures faisant obstacle à l’accès des acteurs économiques non publics au marché.

Le gouvernement chinois a répondu qu’il n’existe pas une telle liste, sans pour autant

faire la promesse d’élaborer à l’avenir une quelconque nomenclature en la matière1841.

En répondant à cette même question posée une nouvelle fois par le gouvernement

argentin, le gouvernement chinois a souligné que les dispositions desdites Directives

sont de portée générale et que leur mise en oeuvre doit s’effectuer par des mesures

concrètes adoptées par les départements gouvernementaux de différents échelons1842.

Quant au traitement égal entre les agents économiques interne et les entreprises à

capitaux étrangers, le gouvernement chinois a réaffirmé le droit égal d’accès des

investisseurs étrangers au marché dans la limite des engagements pris par la Chine lors

1841 Ibid., pp. 13 et 14. 1842 Ibid., pp. 41 et 42.

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de son accession à l’OMC1843. Il faut souligner par ailleurs que la délégation chinoise a

révélé, en ayant répondu aux questions posées par certains membres de l’OMC, que

des mesures seraient prises par le gouvernement pour encourager le développement des

secteurs non publics. Il s’agit notamment d’élargir l’accès des secteurs non publics au

marché, d’apporter davantage de soutiens financiers, de fournir de meilleurs services

publics, d’assurer une protection suffisante des droits des entreprises non publiques et

des droits de leurs employés, enfin de donner des guides au développement et

d’améliorer la gouvernance des acteurs économiques non publics1844.

595. - L’examen des politiques commerciales ne concerne pas seulement la propriété

sous l’angle du régime économique. À partir d’un point de vue plus large, il aborde

également la propriété faisant l’objet du droit privé des personnes. En témoigne la

question posée par la délégation des États-Unis porte sur le droit d’usage du sol dont

dispose les paysans, à savoir, à qui ce droit d’usage du sol peut être transféré ou loué et

quelles sont les restrictions légales à ces transactions juridiques ? Sachant que la

législation en la matière n’est pas mûre et que les réformes ne peuvent voir le jour

qu’après une période encore indéterminée, la délégation chinoise a répondu à la

question en renvoyant simplement à la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural1845.

B. – Les politiques relatives au secteur public

596. - Dans le cadre de l’examen des politiques commerciales, la délégation chinoise

a expliqué aux autres membres de l’OMC le contenu de ses politiques relatives au

secteur public comportant l’administration des biens publics (1) et l’orientation de la

réforme du secteur public (2). Tous ces deux sujets concernent le régime juridique de la

propriété publique.

(1). – L’administration des biens publics

1843 Ibid., pp. 66 et 67. 1844 V., OMC, Examen des politiques commerciales, République Populaire de Chine, Compte rendu de la réunion, addendum, WT/TPR/M/161/Add.2, 11 septembre 2006, p. 13. 1845 Ibid., p. 3.

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597. - En ce qui concerne l’administration des biens publics, le rapport de la Chine a

fait état des organismes de supervision et de gestion créés en 2003 dont la mission

principale est de gérer les actifs d’État. Certains membres de l’OMC ont posé toutefois

une question portant sur le pouvoir des organismes de supervision et de gestion. La

délégation canadienne par exemple a invité la délégation chinoise à préciser le sens des

règles selon lesquelles la Commission d’État chargée de la supervision et de la gestion

des actifs d’État détient le pouvoir décisionnaire concernant les affaires importantes

des entreprises d’État1846 . La question porte notamment sur la signification de

l’expression « les affaires importantes ». La délégation chinoise a affirmé que des

organismes de supervision et de gestion des différents échelons assument la fonction

d’actionnaire unique des entreprises d’État en représentant les gouvernements auprès

desquels ils sont institués. À cet égard, les organismes de supervision et de gestion

peuvent autoriser le conseil d’administration des entreprises d’État à exercer certains

droits de l’actionnaire, mais à l’exclusion de ceux portant sur les affaires importantes

de gestion, à savoir de la fusion, de la division, de la dissolution ou de la demande de

faillite des entreprises d’État. Les décisions sur ces affaires de gestion dites

importantes doivent être prises par les organismes compétents de supervision et de

gestion et approuvées par les gouvernements du même échelon1847.

(2). – L’orientation de la réforme du secteur public

598. - Quant aux politiques du gouvernement chinois relatives à la réforme du

secteur public, l’orientation consiste à transformer les entreprises d’État, y compris les

banques commerciales d’État, en sociétés anonymes d’une part, et, d’autre part, de

diversifier leur actionnariat. Selon le rapport présenté par le gouvernement chinois, la

société anonyme est la forme principale des entreprises d’État ainsi restructurées1848.

1846 V., OMC, Examen des politiques commerciales, République Populaire de Chine, Compte rendu de la réunion, addendum, WT/TPR/M/161/Add.1, 15 juin 2006, p. 76. 1847 V., OMC, Examen des politiques commerciales, République Populaire de Chine, Compte rendu de la réunion, addendum, WT/TPR/M/161/Add.2, précité, p. 87. 1848 V., OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport de la République Populaire de Chine, WT/TPR/G/161, 17 mars 2006, paras.11, 15.

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592

Certains membres ont demandé si des projets de privatisation prenant la forme de

transformation d’entreprises publiques en sociétés anonymes existent1849. La réponse

de la Chine se révèle cependant négative, affirmant qu’il s’agit d’une redéfinition et

d’une restructuration des biens étatiques permises par les nouvelles règles de

régulation en conformité avec les règles de marché1850. À cet égard, le fait d’éviter

d’utiliser le mot « privatisation » comme s’il était un véritable tabou politique traduit

la prudence du gouvernement chinois et l’obstination de son idée selon laquelle la

propriété publique est le symbole du régime socialiste.

Sous-section II. – Le droit de propriété soumis aux observations des autres

organisations internationales économiques

599. - Conçu comme une composante importante des politiques économiques, le

droit de propriété est l’un des thèmes d’observation privilégiés de certaines

organisations internationales d’ordre économique qui peuvent aussi influencer la

législation et la politique de la Chine en la matière. En dépit de leur nature non

juridique et peu contraignante, les observations ne doivent cependant pas être négligées.

En tant que partie membre ou observateur, la Chine est politiquement peu ou prou

contrainte –bien qu’elle le fasse parfois volontairement– de prendre en considération

certaines observations émises à propos du thème du droit de propriété. Le dialogue

politique, ainsi que le renforcement de la transparence des politiques économiques

dans le cadre des organisations internationales économiques, incitent la Chine à

s’impliquer de manière adéquate dans le fonctionnement des mécanismes des

organisations internationales économiques, et contribuent à l’adhésion de la Chine aux

standards généralement acceptés de bonne gouvernance. À cet égard, il faut

notamment remarquer le rôle du groupe de la Banque mondiale (§ 1) et celui de

l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (§ 2) pour leur

influence respective sur divers aspects du droit de propriété en Chine. 1849 V., OMC, Examen des politiques commerciales, République Populaire de Chine, Compte rendu de la réunion, addendum, WT/TPR/M/161/Add.1, précité, p. 107. 1850 V., OMC, Examen des politiques commerciales, République Populaire de Chine, Compte rendu de la réunion, addendum, WT/TPR/M/161/Add.3, précité, p. 34.

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§ 1. – Les observations du groupe de la Banque mondiale

600. - En 1981, la Chine a rétabli sa relation partenaire avec le groupe de la Banque

mondiale. Depuis lors, le groupe de la Banque mondiale (désormais abrégé la Banque)

a joué un rôle dans le processus de réforme en Chine en tant qu’il apparaît comme une

source essentielle d’appui financier et technique. Outre l’apport direct des prêts et des

crédits à l’appui des politiques de développement1851, l’assistance de la Banque a

également stimulé la rénovation des institutions et des politiques internes dans divers

domaines. Le partage des expériences, la transposition des standards internationaux par

le gouvernement chinois, ainsi que l’introduction de nouvelles méthodes de gestion ou

de réformes stratégiques proposées par la Banque sont les moyens par lesquels la

Banque a influencé la réforme menée par le gouvernement chinois1852. En effet, depuis

les années 80, le gouvernement chinois et la Banque ont mis en place des programmes

d’étude dont les résultats prennent la forme de rapports et constituent un élément

important des fonctions d’analyse et de consultation de la Banque. Celle-ci n’a pas

tenté d’atteindre ses objectifs en essayant d’influencer de manière directe le

gouvernement chinois en lui concédant des prêts ou en lui posant des conditions. Elle

s’appuie plutôt sur des moyens de persuasion par l’exemple1853. En appuyant sa

démonstration sur des exemples d’expériences qui ont réussi dans d’autres pays, la

Banque est parvenue à mettre la Chine sur la voie de l’institutionnalisation des

coopérations partenaires dont l’objectif est d’accroître la création des savoirs et la

dissémination de bonnes conduites en matière de développement1854 . La stratégie de

1851 La Chine est le plus gros emprunteur de la Banque mondiale depuis 1998, v., Banque mondiale, « La Chine demeure le premier emprunteur de la banque», actualité du 2 juillet 1998, disponible sur le site http://go.worldbank.org/HSA9TGIIW1, consulté le 2 juillet 2008. 1852 V., Banque mondiale, China and the World Bank: a partnership for innovation, 2007, p. xiii. 1853 V., Banque mondiale, China: An evaluation of World Bank assistance, 2005, p. x. 1854 En 2003, le premier projet de trois ans reconductible intitulé Country Assitance Strategy est établi entre la Chine et la Banque mondiale. En 2006, est initié le projet Country Partnership Strategy (2006-2010). V., Banque mondiale, Memorandum of the president of the IBRD and the IFC to the executive directors on a country assistance strategy of the World Bank Group for the People’s Republic of China, 22 janvier 2003, n° de rapport 25141; IBRD and IFC and MIGA country partnership strategy for the People’s Republic of China for the period 2006-2010, 23 mai 2006, n° de rapport 35435.

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594

la Banque consiste donc à faire « intégrer [à la Chine des] savoirs et [des]

opérations »1855. L’influence que détient la Banque sur les politiques de réforme s’est

également intensifiée à travers des programmes de coopération stratégique1856. En ce

qui concerne le droit de propriété, des dialogues réciproques ont pu stimuler le

changement des politiques macroéconomiques, ce qui revient à influencer l’évolution

du système juridique chinois (A). En plus de ces dialogues, la diffusion des bonnes

pratiques à travers les projets d’assistance par la Banque constitue une source

d’inspiration pour la Chine qui peut en tirer des leçons utiles quant à la mise en oeuvre

de la législation concernant la propriété (B).

A. – La stimulation du changement des politiques économiques

relatives au droit de propriété

601. - Dans le cadre de ses fonctions d’analyse et de consultation, certaines

orientations concernant la politique de réforme furent systématiquement étudiées et

recommandées par la Banque depuis le rétablissement du dialogue avec la Chine1857.

La priorité fut donnée à la réforme des entreprises d’État, en raison de son importance

et à la réforme du système économique vers l’économie de marché (1). L’accent fut

également mis sur l’amélioration du régime du droit d’usage du sol rural et du

développement des secteurs privés sous l’angle de la réduction de la pauvreté1858 (2).

Ces deux aspects de l’assistance technique peuvent produire un impact important sur la

protection de la propriété en Chine. D’autant plus que les effets de l’assistance de la

Banque aux réformes économique et sociale sont officiellement appréciés par le

gouvernement chinois1859.

1855 François LACASSE, « Intégrer savoirs et opérations : la stratégie de la Banque mondiale », Revue française d’administration publique, n° 103, 2002/3, p. 431. 1856 Banque mondiale, IBRD and IFC and MIGA country partnership strategy for the People’s Republic of China for the period 2006-2010, op. cit., p. 13. 1857 V., Banque mondiale, China: long-term development issues and options, octobre 1985, n° de rapport 13364. 1858 V., Banque mondiale, Private sector development strategy: issues and options (A discussion document), 1er juin 2001, n° du rapport 26481. 1859 V., Ministère de la Finance, « Comments on draft China country assistance evaluation », in World

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(1). – La réforme des entreprises d’État au centre de la réforme du système

économique

602. - L’étude concernant la réforme des entreprises d’État en Chine a été l’un des

sujets prioritaires soutenus par la Banque. Celle-ci a organisé de multiples recherches

et séminaires collaboratifs afin de présenter des propositions politiques sous forme de

rapports de travail ou de recherche au gouvernement chinois1860. Dans ce domaine, la

Banque a apprécié l’approche progressive de la réforme des entreprises d’État en

Chine car la diminution graduelle du nombre des entreprises d’État résultant de la

restructuration et de la privatisation partielle a pu maintenir la stabilité

macroéconomique et réduire la répercussion sociale à l’égard de l’emploi et du régime

de la sécurité sociale1861. Il semble donc que les critiques selon lesquelles la politique

de privatisation des entreprises publiques de la Banque a produit des effets négatifs sur

les droits économiques, sociaux et culturels des individus dans certains pays1862 ne

correspondent pas à la situation chinoise. D’ailleurs, le gouvernement chinois a été très

autonome et indépendant en matière de réforme des entreprises d’État, puisque les

propositions de la Banque ont produit peu de contrainte, surtout au niveau local1863.

Cependant, le rôle de la Banque n’était pas négligeable concernant certains aspects.

Ainsi en est-il de l’établissement du régime de retraite, de l’élaboration des projets

relatifs à l’indemnité de cession d’emploi, etc., autant de mesures qui ont facilité la

Bank, China: an evaluation of World Bank assistance, op. cit., p. 116. 1860 V., à titre d’exemple, G. TIDRICH, J.CHEN (ed.), China’s industrial reform, World Bank, 1987; W. BYRD (ed.), Chinese industrial firms under reform, World Bank, 1992; World Bank, China’s management of enterprise assets: the State as shareholder, 1997, economic report n°16265; Gary JEFFERSON, Inderjit SINGH (ed.), Enterprise reform in China, World Bank, 1999; World Bank, Bankruptcy of state enterprises in China: A case and agenda for reforming the insolvency system, 2000, n° de rapport 33267; S. TENEV, C. ZHANG, Loup BREFORT, Corporate governance and enterprise reform in China: Building the Institutions of Modern Markets, op. cit., 2002. 1861 V., World Bank, China: An evaluation of World Bank assistance, op. cit., p. 14. 1862 V., Manisuli SSENYONJO, « Non-State actors and economic, social, and cultural rights », in Mashood A. BADERIN, Robert MCCORQUODALE (ed.), Economic, social and cultural rights in action, Oxford University Press, 2007, p.129. 1863 V., Peter NOLAN, Evaluation of the World Bank’s contribution to Chinese enterprise reform, World Bank, 2002, p. 5.

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réforme du secteur public en les déchargeant des « fardeaux sociaux»1864. La Banque a

joué récemment un rôle plus actif dans la participation à la réforme des secteurs

publics ayant un statut de monopole, tels que les secteurs de l’électricité et de la

pétrochimie, en publiant des rapports de recherche et en proposant des mesures de mise

en oeuvre comme si elle constituait une sorte de « banque de savoir »1865. Par une série

de communications sélectives adressées aux décideurs gouvernementaux et par le

financement du projet d’élaboration de la loi sur les faillites des entreprises, la Banque

a réussi à diffuser de bonnes pratiques en la matière1866. Plus important encore, la

Banque a bien souligné les défis et les risques auxquels est confrontée la réforme

inachevée des entreprises d’État et il reste à la charge du gouvernement chinois d’en

tirer des leçons utiles. En premier lieu, les entreprises d’État se révèlent moins

rentables que les entreprises privées, étant donné qu’elles assument encore de lourdes

charges en matière de sécurité sociale. Ensuite, la gestion des entreprises d’État qui ont

déjà été transformées en sociétés de droit privé grâce à la loi sur les sociétés demeure

très faible, du fait de l’intervention des administrations compétentes. L’assistance

technique de la Banque cible notamment le secteur financier dont l’État détient la

majorité des actifs. Cette dernière situation a été pourtant considérée comme un risque

menaçant la réforme, du fait de l’organisation et des opérations problématiques des

banques chinoises1867.

603. - Parallèlement à l’assistance qu’elle a apportée à la réforme des entreprises

d’État, la Banque s’est efforcée d’aider à créer un contexte favorable au

développement du secteur privé qui contribue au traitement égal des propriétés

publique et privée. Ses stratégies consistent principalement à aider le gouvernement

chinois à recenser le système juridique de régulation économique en supprimant les

traitements discriminatoires et à élargir l’accès du secteur privé au marché par la

1864 Banque mondiale, IBRD and IFC and MIGA country partnership strategy for the People’s Republic of China for the period 2006-2010, op. cit., p. 86. 1865 V., Mai LU, Evaluation of the World Bank’s analytical and advisory services in China since 1990, World Bank, 2005, p.13; v., aussi, Banque mondiale, China pension system reform, n° de rapport 15121-CHA, août 1996. 1866 Banque mondiale, IBRD and IFC and MIGA country partnership strategy for the People’s Republic of China for the period 2006-2010, op. cit., p. 85. 1867 V., Banque mondiale, China: an evaluation of World Bank assistance, op. cit., pp. 16, 17.

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suppression des barrières qui l’entravent. En plus, grâce à l’assistance technique de la

Banque internationale pour la reconstruction et le développement, et au financement

aux investissements fourni par la Société financière internationale, les opérateurs du

secteur privé ont été encouragés à s’implanter dans divers domaines d’infrastructure

auparavant monopolisés par le secteur public tels que l’énergie, la télécommunication,

le chemin de fer, l’industrie pétrolière et minière, etc.1868 La Société financière

internationale a également favorisé le développement des opérateurs privés dans le

secteur financier, en apportant un financement et une assistance technique1869.

(2). – L’impact des stratégies de réduction de la pauvreté sur le droit foncier

604. - En vertu de son statut, la Banque accorde des prêts « sans laisser intervenir

des influences ou des considérations politiques ou extra-économiques »1870. Cependant,

depuis la fin des années 90, la Banque comme le Fonds monétaire international non

seulement « acceptent de reconnaître la nature intrinsèquement politique de leurs

interventions, mais elles la revendiquent au nom de la recherche d’une plus grande

efficacité, gage d’une légitimité à reconquérir »1871. Ainsi en est-il des investissements

de la Banque relatifs aux projets d’infrastructure qui ont produit de la « valeur

ajoutée » en termes de promotion de la transparence, de l’État de droit et concernant

d’autres aspects de la gouvernance dans beaucoup de pays1872. En ce qui concerne la

Chine, les fonctions d’analyse et de consultation de la Banque s’est avérées plus

efficaces dans le cadre de la réduction de la pauvreté, par l’approche de double voie,

c’est-à-dire en combinant des projets de prêt et une stratégie de persuasion dans ses

tentatives d’infléchissement de certaines politiques du gouvernement chinois. Il s’agit

d’une part de la stabilisation du droit d’usage du sol rural et, d’autre part de la

valorisation de ce droit en aidant la Chine à créer un marché foncier dans les zones 1868 Ibid., p. 62. 1869 Banque mondiale, IBRD and IFC and MIGA country partnership strategy for the People’s Republic of China for the period 2006-2010, op. cit., pp. 116 à 118. 1870 V., Statut de la BIRD, Articles III, Section 5 (b). 1871 Christian CHAVAGNEUX, « FMI, Banque mondiale : le tournant politique », Revue d’économie financière, n° 70, 2003, p. 209. 1872 Banque mondiale, China: an evaluation of World Bank assistance, op. cit., p. 44.

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rurales. Ces deux aspects ont été considérés comme des moyens importants pour

atteindre l’objectif de réduction de la pauvreté. Dans les opérations de prêts au secteur

agricole, l’accent est mis sur le maintien et le perfectionnement du régime

d’exploitation forfaitaire du sol rural qui est aussi l’un des sujets importants des

assistances techniques1873. Dans le programme intitulé Country Assistance Strategy, la

Banque a fortement soutenu, par ses analyses et ses consultations, la création d’un

marché foncier qui elle-même s’inscrit aussi dans un programme plus large de réforme

foncière, afin de promouvoir la productivité du secteur agricole. La loi sur

l’exploitation forfaitaire du sol rural, dont l’élaboration fut financée par l’Association

Internationale de Développement, a introduit la cessibilité limitative du droit d’usage

du sol, alors que selon la Banque, le droit d’usage du sol rural devra être librement

cessible ou tout au moins hypothécable afin que les paysans puissent en disposer pour

obtenir un crédit. Cela suppose la suppression de toutes les limitations prévues par la

loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural1874. Il en résulte que la libre disposition du

droit d’usage du sol est un objectif au long terme poursuivi par les stratégies

d’assistance de la Banque1875. Lors de l’élaboration de la loi sur les droits réels, la

Société financière internationale a conseillé au gouvernement chinois d’ouvrir

davantage la voie au financement des paysans et des petits commerces, et ce, en

élargissant l’étendue des biens susceptibles de faire l’objet d’une sûreté réelle en

incluant le droit d’usage du sol rural1876.

1873 Ibid., p. 45. 1874 Le droit d’exploitation forfaitaire du sol qui s’établi par le contrat d’exploitation forfaitaire entre d’une part la collectivité et d’autres par ses membres au nom du foyer ne peut pas faire l’objet de l’hypothèque. Par l’article 49 de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural, le droit d’exploitation forfaitaire du sol rural qui s’établi par l’appel d’offre, la mise aux enchères ou la négociation publique, peut être mis en hypothèque. Il s’agit là du cas où ceux qui disposent du droit d’exploitation forfaitaire du sol ne sont pas les membres d’une collectivité. L’article 133 de la loi sur les droits réels confirme cette distinction. Il faut souligner que l’obstacle majeur à la libre cessibilité, y compris l’hypothèque, demeure l’interdiction de l’exploitation non agricole du sol rural, sans autorisation préalable en vertu de la loi. V., aussi, l’article 128 de la loi sur les droits réels. 1875 IBRD and IFC and MIGA country partnership strategy for the People’s Republic of China for the period 2006-2010, op. cit., p. 63. 1876 V., Société financière internationale, Rapport annuel 2007, p. 39; aussi, « IFC advises on new chapter of Chinese property law: new legislation improves access to finance for small and medium enterprises and farmers », communiqué de presse, 19 mars 2007, disponible sur le site

Page 607: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

599

605. - L’étude menée sous l’égide de la Banque a bien indiqué qu’en dehors de

l’aide financière, un système juridique assurant la stabilité du droit de propriété

constitue la condition indispensable à l’optimalisation des investissements, et contribue

par conséquent à la croissance économique1877 . De même, la stabilité, la libre

disposition du droit foncier, ainsi que le marché foncier sont les éléments qui

entretiennent un lien direct avec la réduction de la pauvreté et le développement

économique1878. Plus récemment, le Centre de recherches sur le développement sous la

direction du CAE et la Banque ont mené des études en coopération dont l’objectif

consiste à aider le gouvernement chinois dans ses efforts pour aboutir à des politiques

raisonnables en matière d’administration foncière dans le contexte de l’urbanisme

accéléré1879. Les phénomènes d’atteintes au droit d’exploitation forfaitaire du sol des

paysans par l’expropriation illégale et l’indemnisation injuste par la sous évaluation de

la valeur des terres rurales ont été montrés du doigt comme étant les points les plus

critiquables1880. Cependant, l’enquête de terrain a bien montré que dans les villages où

l’élection locale des responsables est mieux assurée, le risque d’expropriation illégale

est relativement réduit, démontrant donc la complémentarité entre la disposition légale

et l’institution d’une bonne gouvernance1881. L’amélioration de l’administration du sol

a été intégrée dans le programme Country Partnership Strategy établi entre la Banque

et le gouvernement chinois en 2006, comme étant un élément essentiel de la gestion de

la rareté des ressources et de l’environnement1882. Selon la Banque, la réforme doit se

http://www.ifc.org/ifcext/eastasia.nsf/Content/SelectedPRChina?OpenDocument&UNID=CDD3A07849FFD704852572A3005EC36E, consulté le 6 juillet 2008. 1877 Stijn CLAESSENS, Luc LAEVEN, Financial development, property rights and growth, policy research working paper n° 2924, World Bank, 2002, p. 3. 1878 International Development Association, Regional study on land administration, land market and collateralized lending, 15 juin 2004, p. ii. 1879 V., LI Guo, Jonathan LINDSAY, Paul MUNRO-FAURE, « China: integrated land policy reform in a context a rapid urbanization », World Bank, Agricultural and development note, n° 36, février 2008. 1880 V., Klaus DEININGER, Songqing JIN, Securing property rights in transition: lessons from implementation of China’s rural land contracting law, policy research working paper n° 4447, World Bank, 2007, pp. 2, 10, 11. 1881 Klaus DEININGER, Songqing JIN, Securing property rights in transition: lessons from implementation of China’s rural land contracting law, op. cit., p. 21. 1882 IBRD and IFC and MIGA country partnership strategy for the People’s Republic of China for the period 2006-2010, op. cit., p. 25.

Page 608: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

600

diriger vers la suppression de la dichotomie des zones urbaines et rurales en matière de

droit d’usage du sol, puisque cette dichotomie défavorise les paysans s’agissant de la

disposition et de la valorisation de leurs droits. Dans le cadre de l’assistance à

l’amélioration de l’administration du sol par les gouvernements locaux, la Banque a

proposé trois mesures, à savoir, premièrement, clarifier les droits fonciers des usagers,

développer de bonnes pratiques d’expropriation et d’indemnisation, ainsi qu’élaborer

des approches alternatives à l’expropriation qui peuvent servir l’intérêt des titulaires

des droits du d’usage du sol. Deuxièmement, aider à promouvoir le rôle du sol rural en

tant que ressource de rentabilité stable afin de diminuer les incitations à la conversion

du sol à l’usage non agricole. Et troisièmement, imposer à l’autorité publique

l’obligation de rendre compte au public de l’établissement des procédures de

supervision, ainsi que celle d’améliorer encore les pratiques relatives à la publication

des informations gouvernementales.

B. – La diffusion des bonnes pratiques concernant la mise en oeuvre

de la législation de propriété

606. - Le renforcement de la garantie du droit de propriété en cas d’expropriation (1)

et l’établissement du régime d’enregistrement des droits immobiliers (2) sont deux

aspects importants de la mise en oeuvre de la législation de propriété, et constituent

désormais des objectifs relatifs aux bonnes pratiques diffusées par la Banque.

(1). – De bonnes pratiques relatives à la garantie du droit de propriété en cas

d’expropriation

607. - Considérant que le déplacement forcé des paysans pour la réalisation des

projets d’infrastructure, comme les travaux hydrauliques, est l’une des causes

importantes de la pauvreté dans les zones rurales1883, les politiques de la Banque

exigent que, dans le plan de réinstallation des personnes touchées par les travaux

1883 V., Banque mondiale, China: strategies for reducing poverty in the 1990s, rapport n° 11245, octobre 1992, p. 45.

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601

d’infrastructure, de bonnes pratiques soient respectées en Chine comme dans les autres

pays bénéficiant de ses prêts financiers1884. Selon le document officiel de la Banque

« Operational policy on involuntary settlement », adopté en décembre 2001 et mis à

jour en mars 2007, la compatibilité du plan de réinstallation préparé par les

emprunteurs avec les politiques de la Banque fait l’objet de l’examen de celle-ci. Le

résultat de l’examen constitue aussi l’une des conditions pour l’approbation du projet

d’aide financière. La mise en oeuvre du plan de réinstallation est aussi encadrée par

l’accord mutuel conclu avec la Banque qui exerce le pouvoir de supervision1885.

L’Operational policy on involontary settlement précise la structure et les contenus du

plan de réinstallation qui lui-même doit être conformément élaboré par

l’emprunteur1886. L’objectif des politiques de réinstallation ne se limite pas à exiger une

indemnisation suffisante pour les dommages causés aux personnes touchées par les

travaux d’infrastructure : l’approche de la Banque consiste à intégrer l’indemnisation

monétaire au plan de développement social durable visant non seulement à garantir le

niveau de vie des personnes concernées, mais aussi à accroître leur bien-être et à

réduire la pauvreté en tirant profit des projets d’infrastructure1887. Parmi les politiques

élaborées par la Banque concernant le traitement de la question des réinstallations

contraintes, il faut notamment souligner celles qui sont utiles pour améliorer le régime

juridique d’expropriation en Chine. Il s’agit d’abord de reconnaître aux personnes

déplacées un droit foncier qui porte sur les terrains destinés à leur réinstallation. Ce

point est considéré comme constituant l’une des obligations de l’autorité publique

responsable des projets d’infrastructure1888. De même, le coût de la réalisation du plan

1884 V., World Bank, Operational policy on involuntary settlement, OP 4.12, décembre 2001, mis à jour en mars 2007; Bank procedure on involuntary settlement, BP 4.12, décembre 2001; The World Bank’s environmental and social safeguard policies, mai 2002; Involuntary settlement sourcebook: planning and implementation in development project, August 2004; International Financial Corporation, Handbook for preparing a resettlement action plan, April 2002. 1885 World Bank, Operational policy on involuntary settlement, OP 4.12, décembre 2001, mis à jour en mars 2007, op. cit., § 2. 1886 V., World Bank, Involontary resettlement instruments, annex A to Operational policy on involuntary settlement, OP 4.12, décembre 2001, mis à jour en mars 2007. 1887 World Bank, Operational policy on involuntary settlement, OP 4.12, décembre 2001, mis à jour en mars 2007, op. cit., §§ 23, 24. 1888 Ibid., § 11.

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602

de réinstallation doit être intégré au coût total du projet d’infrastructure, puisque la

solvabilité de l’autorité responsable du projet d’infrastructure est la condition

essentielle pour remplir ses obligations d’indemnisation1889. D’ailleurs, la participation

du public –y compris des personnes concernées par les travaux d’infrastructure et les

organisations non gouvernementales– à l’élaboration et au processus de la mise en

oeuvre du plan d’infrastructure doit être assurée par l’emprunteur, comme le principe

de transparence l’exige. Les procédures de plainte ou de recours juridiques dont

disposent les personnes concernées par les travaux d’infrastructure doivent également

être précisées dans le plan de réinstallation1890.

608. - Dans les projets d’infrastructures financés en Chine, une pratique constante

consiste à établir les plans de réinstallation des personnes touchées avant la mise en

oeuvre des projets d’infrastructure financés. Les travaux périodiques de supervision

ont été poursuivis par la Banque afin de contrôler l’exécution des plans et de résoudre

en temps utile les problèmes apparus au cours de la réinstallation1891. Ce qui constitue

le gage du succès des projets d’infrastructures financés par la Banque. Ainsi, la

création d’emplois et le maintien des revenus et du niveau de vie des paysans

concernés ont été considérés comme étant des bénéfices résultant des projets

hydrauliques en Chine1892. À cet égard, les bonnes pratiques diffusées par la Banque

1889 Ibid., § 20. 1890 World Bank, Involontary resettlement instruments, op. cit., §§ 15, 17. 1891 V., à titre exemple, Shijiazhang Urbain Transport Projet Office, Resettlement action plan of Shijiazhang urbain transport projet, 6e éd., document du groupe Banque mondiale RP 53, 2001 ; Inner Mongolia Project Management Office, China western poverty reduction projet: implementation plan for land acquisition and compensation, document du groupe Banque mondiale RP-0015, vol.3, 1998 ; Jiangsu Rudong New Energy Project Office, Jiangsu Rudong Straw-fired power project: resettlement action plan, document du groupe Banque mondiale RP 274, vol. 3, 2004; Foreign Capital Project Management Center of Yunnan Poverty Alleviation Office, Land occupation and resettlement action plan, document du groupe Banque mondiale RP 302, vols. 1 à 4, 2005; Sichuan World Bank/DFID/RWSSH PMO, Western provinces rural water supply, sanitation and hygiene promotion project: resettlement action framework, document du groupe Banque mondiale RP 481, vol. 3, 2006; The World Band Financed Guiyan Transport Project Office, Resettlement action plan, document du groupe Banque mondiale RP 554, 2007. 1892 V., par exemple, Youxuan ZHU, Martin Ter WOORT, Barry TREMBATH, Successful reservoir resettlement in China: Shuikou hydroelectric project, World Bank EASES discussion series paper, n° 21248, April 2000; v., aussi, World Bank, Recent experience with involuntary resettlement: China-Shuikou (and Yantan), n° de rapport 17539, 2 juin 1998, pp. 24 à 26.

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603

peuvent être considérées comme un modèle pour le gouvernement chinois concernant

l’amélioration des pratiques d’expropriation du sol collectif.

(2). – De bonnes pratiques relatives à l’enregistrement des droits immobiliers

609. - La mise en place d’un régime d’enregistrement des droits immobiliers en

vertu de la loi sur les droits réels a été considérée par la Banque comme l’un des

éléments du contexte de régulation qui influence le choix des pays étrangers à investir

en Chine. En s’appuyant sur le résultat de l’enquête de terrain, la Banque a publié le

premier d’une série de rapports Doing business in China 2008, en fournissant certains

indicateurs utiles du contexte de régulation locale qui touche l’investissement étranger.

La procédure, la durée et le coût du régime d’enregistrement des droits immobiliers ont

été analysés dans ledit rapport. Quatre recommandations ont été initiées pour améliorer

le régime actuel d’enregistrement des droits immobiliers. Premièrement, il s’agit

d’unifier l’enregistrement du droit portant sur le sol et celui au droit portant sur les

constructions dans une seule procédure, alors qu’en état actuel cette procédure se

subdivise en deux étapes indépendantes pour la majorité des gouvernements locaux. La

recommandation de la Banque vise à simplifier les modalités et à économiser le coût

induit par de nombreux enregistrements. Ensuite et corrélativement, les autorités

compétentes devront être unifiées en un seul organe responsable de l’inscription des

biens immobiliers dans le registre. Certes, en l’état actuel, il y a seulement quelques

grandes métropoles telles que Shanghaï, Tianjin, Guangzhou, etc., qui ont désigné un

tel organe unique pour l’inscription des biens immobiliers. Troisièmement, doit être

améliorée la transparence des informations relatives à la modalité de l’enregistrement

pour faciliter la démarche des investisseurs. Quatrièmement, les différentes autorités

relevant de l’enregistrement des biens immobiliers doivent renforcer leur collaboration

pour simplifier la perception des impôts concernant la transaction immobilière et la

collecte des frais d’enregistrement des droits immobiliers, afin de faciliter le paiement

des différentes charges imposées aux investisseurs et ainsi d’économiser le coût des

Page 612: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

604

opérations administratives1893.

§ 2. – L’observation de l’Organisation de Coopération et de Développement

Économiques

610. - Par ses recommandations, juridiquement non contraignantes, qui sont en

quelque sorte le mode commun d’expression de la production intellectuelle,

l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (abrégé désormais

OCDE) est considéré comme un acteur public majeur du droit mou1894. Outre son

action normative visant à la libéralisation des mouvements de capitaux et à la garantie

du droit d’établissement1895, l’OCDE a bien étendu son influence à de nombreuses

économies non-membres avec lesquelles elle entretient des relations de travail sous

forme de programmes de dialogue ou de coopération. Pour la Chine, cette relation de

coopération a été établie depuis 19951896. Par la résolution du 16 mai 2007 adoptée par

le Conseil de l’OCDE au niveau des ministres, la Chine a offert de renforcer ses

engagements en vue d’une éventuelle adhésion1897. Les avantages mutuels que retirent

la Chine et l’OCDE de leur coopération tiennent au fait que la Chine se voit donner

l’opportunité de débattre dans un contexte multilatéral des grandes questions et des

principaux enjeux intéressant l’action publique de son gouvernement. Elle peut ainsi

tirer des enseignements de l’expérience des pays de l’OCDE confrontés à des défis

analogues. Réciproquement, les pays de l’OCDE et les autres économies non-membres,

qui sont de plus en plus associés à la Chine par le biais des échanges et de

l’investissement, ont désormais une meilleure connaissance de ce pays qui est devenu

un acteur incontournable dans l’économie mondiale. Parmi les points forts des travaux

récents que l’OCDE a mené avec la Chine, il faut citer en particulier la publication

1893 World Bank, Doing business in China 2008, Social Science Academic Press (China), 2008, p. 17. 1894 V., Annie MARTIN, « Sources informelles du droit du commerce international », Revue de droit des affaires internationales, n° 1, 2008, p. 94. 1895 V., Mahmoud SALEM, « Du rôle de l’OCDE dans la mondialisation de l’économie – Aspects juridiques », in Eric LOQUIN, Catherine KESSEDJIAN (sous la dir. de), La mondialisation du droit, Litec, 2000, pp. 329 à 345. 1896 V., OCDE, Coopération OCDE-Chine : dix ans déjà, novembre 2005, p. 3. 1897 V., Conseil de l’OCDE, Résolution sur l’élargissement et l’engagement forcé, 16 mai 2007.

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605

d’un rapport de l’OCDE sur la gouvernance en Chine1898, l’examen et la publication de

la première étude économique de la Chine1899 ainsi que la publication d’une étude des

politiques agricoles de la Chine1900. Sont également à l’ordre du jour des travaux

d’examen intéressant biens d’autres domaines macro-économiques. Le programme sur

la Chine implique également les autres pays membres de l’OCDE, ce qui permet à la

Chine d’établir un comparatif plus aisé avec les références et les standards

internationaux. C’est dans le cadre institutionnel concernant la force du marché que le

droit de propriété publique (A) et le droit de propriété intellectuelle (B) ont fait l’objet

d’études approfondies de la part de l’OCDE.

A. – Le droit de propriété publique au regard de la gouvernance des

actifs d’État

611. - Comment assurer l’exercice du droit de propriété publique dans le contexte de

réforme qui se dirige vers la diversification de l’actionnariat et la privatisation partielle

des entreprises d’États est l’un des sujets étudiés par l’OCDE. La question centrale

réside dans le fait de trouver une solution aux interférences multiples des

administrations à différents niveaux dans la gestion des entreprises d’État transformées

en société de droit privé, alors que selon la loi sur les droits réels, l’État est représenté

par le CAE et les gouvernements locaux à différents niveaux concernant l’exercice des

droits de l’actionnaire1901. La création de la SASAC a marqué un pas en avant dans le

renforcement du rôle de l’État en tant qu’actionnaire. Mais selon l’étude de l’OCDE,

pour que la gouvernance des actifs d’État soit rationnelle au point de vue économique,

il faut encore mieux définir le rôle et les missions prioritaires de la SASAC (1), ainsi

qu’améliorer le cadre juridique et réglementaire régissant la supervision des actifs

d’État (2).

(1). – Définir le rôle et les missions prioritaires de la SASAC 1898 Cf., OCDE, La Chine dans l’économie mondiale : la gouvernance en Chine, 2005. 1899 Cf., OCDE, Étude économique de la Chine 2005, 16 septembre 2005. 1900 Cf., OCDE, OECD review of agricultural policies – China, octobre 2005. 1901 V., article 55 de la loi sur les droits réels.

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606

612. - Partant d’un point de vue économique, l’OCDE a constaté de nouveaux

déséquilibres dans le régime juridique de propriété publique. Selon elle, la création de

la SASAC a rendu encore plus floue la définition des responsabilités des

administrations centrale et locales qui représentent l’État concernant l’exercice du droit

de propriété. Or, « il importe que la puissance publique assume les responsabilités

incombant aux propriétaires effectifs, si l’on veut que le programme de réforme

conserve sa cohérence interne »1902. Les multiples interventions administratives ayant

lieu à différents échelons concernant la gestion des entreprises d’État déjà transformées

en société de droit privé ne sont pas économiquement rationnelles. L’étude de l’OCDE

a souligné que l’État se heurte à une double difficulté : d’une part, l’État doit tout faire

pour éviter d’être un actionnaire passif, soucieux de faire valoir son point de vue sur le

fonctionnement et les finalités de l’entreprise d’État et, d’autre part, il doit se garder

d’utiliser le pouvoir dont il dispose pour s’immiscer indûment dans la gestion

quotidienne des affaires des entreprises d’État. À cet égard, l’OCDE a considéré que la

création de la SASAC et de ses subordonnés locaux consiste –conformément à la

tendance relative à la fonction d’actionnariat de l’État dans les économies de marché

développées– à centraliser et unifier l’exercice des droits conférés à l’État en qualité

d’actionnaire dans le respect du droit des sociétés. Il est vrai que la supervision par la

SASAC ne prend plus la forme d’une intervention directe dans la gestion des

entreprises d’État. Mais la SASAC et ses subordonnés locaux détiennent les pouvoirs

de nommer, révoquer et évaluer les principaux dirigeants, ce qui peut donner lieu à des

interventions tout à fait inopportunes et contreproductives 1903 . L’observation de

l’OCDE a amené à définir une stratégie claire pour remplir les missions prioritaires de

la SASAC dans son exercice des droits d’actionnaire en tant que représentant de l’État.

613. - Selon l’étude de l’OCDE, parmi les missions qui doivent être prioritairement

remplies par la SASAC figure d’abord celle d’assurer l’autonomie de la gestion des

entreprises d’État par l’établissement et le bon fonctionnement du conseil

d’administration. Car, si l’on se fie aux enseignements de l’expérience acquise tant

1902 OCDE, La Chine dans l’économie mondiale : la gouvernance en Chine, op. cit., p. 351. 1903 Ibid., p. 352.

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607

dans les pays membres que dans les pays non-membres1904, il faut donner au conseil

d’administration le pouvoir de définir les orientations stratégiques et l’entière

responsabilité du suivi de la gestion de l’entreprise. La proposition de l’OCDE est

pertinente d’autant plus que tant au niveau central qu’au niveau local, le PCC conserve

dans une large mesure la mainmise sur la promotion et la rémunération des dirigeants

des grandes entreprises détenues ou contrôlées par l’État, en dépit de la loi sur les

sociétés qui confère officiellement au conseil d’administration le pouvoir de la

nomination du personnel. Par conséquent, ce pouvoir exercé sur le personnel des

entreprises d’État a permis aux comités locaux du PCC de participer à la gestion et

d’intervenir dans la conduite des affaires1905. Il en résulte que la « dépolitisation »1906

du conseil d’administration par le fait de lui offrir davantage de pouvoirs est l’une des

garanties de la bonne gouvernance des entreprises d’État. L’étude de l’OCDE propose

aussi que la SASAC doive s’aligner sur les pratiques qui ont valeur d’exemple au

niveau international, et en vertu desquelles le choix des administrateurs répond à des

critères de compétence et d’expérience en même temps qu’à un souci d’assurer

l’indépendance nécessaire du conseil d’administration1907. Rationaliser les procédures

de recrutement et l’évaluation des performances des administrateurs des entreprises

d’État est donc la mesure de réforme prioritaire de la SASAC.

(2). – Améliorer le cadre juridique et réglementaire de la supervision des actifs d’État

614. - En inscrivant la supervision des actifs d’État dans la gouvernance des

entreprises, l’OCDE a beaucoup critiqué l’incohérence et l’insuffisance du cadre

juridique et réglementaire en la matière, puisqu’en l’état actuel, les règles relatives à la

1904 V., OCDE, Gouvernement d’entreprise des entreprises publiques : panorama des pays de l’OCDE, 2005. 1905 V., Sonja OPPER, Sonia M. L. WONG, HU Ruyin, « Party power, market and private power: Chinese communist party persistence in china’s listed companies », The future of market transition, vol. 19, 2002, pp. 105 à 138. 1906 V., Sonia WONG, Sonja OPPER, HU Ruyin, « Shareholding structure, depoliticizing and firm performance: lessons from China’s listed firms», Economics of transition, vol. 12, n° 1, 2004, pp. 29 à 66. 1907 OCDE, La Chine dans l’économie mondiale : la gouvernance en Chine, op. cit., p. 354.

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608

gouvernance des entreprises d’État sont peu développées. D’une part, le Règlement

provisoire sur la supervision et la gestion des actifs des entreprises d’État adopté par le

CAE en 2003 comporte des dispositions contradictoires qui confèrent à la SASAC des

pouvoirs de décision assez étendus et par conséquent la capacité d’influer sur un grand

nombre d’aspects essentiels de la gestion des entreprises d’État1908, ce qui peut

conduire à confondre la fonction de la SASAC et celles des dirigeants des entreprises.

D’autre part, les règles spéciales en matière de gouvernance des entreprises d’État sont

peu cohérentes. En effet, en janvier 2002, la Commission chinoise de réglementation

des valeurs mobilières (CCRVM) et l’ancienne Commission Nationale chargée de

l’Économie et du Commerce1909 a publié le code de gouvernance des entreprises

cotées, en s’inspirant des Principes de gouvernance d’entreprise de l’OCDE. Certes, le

code de gouvernance des entreprises n’a pas abordé un certain nombre de points

fondamentaux sur la gouvernance des entreprises d’État, notamment en ce qui

concerne les responsabilités respectives du conseil d’administration et de la SASAC.

L’étude de l’OCDE a proposé donc, soit de refonder le code de gouvernance en

profondeur afin d’affiner les dispositions relatives aux responsabilités de la supervision

des actifs d’État, soit de rédiger un nouveau code pour les entreprises non cotées, sans

perdre de vue la nécessité de veiller à ce que son contenu concorde dans l’ensemble

avec celui du code de gouvernance des entreprises cotées1910. La promulgation de la loi

sur les actifs d’État des entreprises en 2007 ne semble pas avoir apporté des progrès

significatifs au regard des propositions de l’OCDE, ce qui montre la difficulté de la

réforme du système juridique de la propriété publique pour ses répercussions sociale et

politique.

1908 Outre le choix des dirigeants mentionnés ci-dessus, la SASAC se donne le pouvoir de décision sur le projet d’investissement des entreprises d’État, v., Mesures provisoires d’administration sur l’investissement des entreprises centrales, l’arrêté n° 16 de la SASAC, 1er juillet 2006 ; le pouvoir d’intervention sur le règlement des différends d’importance des entreprises d’État, v., Mesures provisoires d’administration sur le règlement des grands différends des entreprises centrales, l’arrêté n° 11 de la SASAC, 12 janvier 2005. 1909 La Commission nationale chargée de l’économie et du commerce a été supprimée en 2003 selon le projet de réforme institutionnelle adopté par la 1ère session de la Xe APN. 1910 V., OCDE, La Chine dans l’économie mondiale : la gouvernance en Chine, op. cit., p. 355.

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B. – La protection des droits de propriété intellectuelle au regard de la

bonne gouvernance

615. - Après avoir constaté le progrès du droit chinois en matière de propriété

intellectuelle, l’étude de l’OCDE a souligné le principal défi à relever pour le

gouvernement chinois. Il s’agit de l’amélioration des systèmes législatif et

administratif afin de donner à la législation les moyens de stimuler l’innovation et de

protéger plus efficacement les droits de propriété intellectuelle. L’étude de l’OCDE

indique non seulement les lacunes de la gouvernance qui sont à l’origine de la

multiplication des violations (1), mais comporte aussi des propositions sur

l’amélioration de l’efficacité du système des droits de propriété intellectuelle (2).

(1). – L’observation sur les lacunes de la gouvernance et de l’application de la loi

616. - L’étude de l’OCDE met en lumière plusieurs carences relatives à la

gouvernance comme étant les causes principales des infractions des droits de propriété

intellectuelle. Il s’agit de l’insuffisance des consultations dans le processus

d’élaboration de la réglementation, de l’incohérence entre la loi contre la concurrence

déloyale et les droits de propriété intellectuelle, du protectionnisme local lié au manque

de transparence du cadre réglementaire local, de la difficulté des poursuites et de

l’inefficacité des sanctions, de la complexité des appareils administratifs chargés de

faire appliquer la loi et de l’absence de mécanismes de coordination, ainsi que de

l’insuffisance des ressources financières et humaines dont disposent les autorités

judiciaires et les autorités administratives compétentes. Abstraction faite des problèmes

qui sont déjà critiqués sur le plan international, il est intéressant de mettre en relief les

deux analyses faites par l’OCDE sur la violation des droits de propriété intellectuelle

en Chine. Tout d’abord, l’OCDE a considéré que le très haut niveau de protection des

droits de propriété intellectuelle est inadapté à la situation actuelle de la Chine étant

donné que plupart des infractions sont commises « par naïveté », c’est-à-dire que les

contrevenants ont ignoré les droits des titulaires de la propriété intellectuelle et ont en

tiré profit, sans avoir eu la moindre conscience d’enfreindre une quelconque loi. À titre

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d’exemple, l’OCDE a invoqué la modification de la réglementation chinoise en matière

de protection des logiciels informatiques selon laquelle l’utilisateur final des logiciels

piratés doit assumer les responsabilités concernant la violation des droits d’auteur,

alors que l’Accord sur les ADPIC laisse aux Membres de l’OMC le soin de prendre

leurs propres dispositions en fonction de leur de stade de développement économique.

Selon l’OCDE, le processus de modification de la réglementation en cause s’est

accompagné de la faible participation du public, qui a pourtant débouché sur un niveau

plus élevé de protection par rapport aux pays développés1911. D’autre part, en ce qui

concerne le phénomène de protectionnisme local, l’étude de l’OCDE a relevé que le

manque d’empressement à appliquer la loi manifesté par les dirigeants locaux est dans

certains cas –en plus des motifs tels que la corruption et ceux déjà mentionnés– motivé

par l’intérêt collectif. C’est-à-dire que les responsables locaux ont parfois estimé que

les coûts entraînés par l’application stricte des droits de propriété intellectuelle à

l’échelle locale excèdent les bénéfices à court terme. Développer l’économie locale,

protéger l’emploi face à des concurrents étrangers provenant d’autres provinces,

conserver la compétitivité locale, satisfaire les consommateurs locaux, refuser de

considérer comme une priorité la protection des produits culturels étrangers 1912

constituent autant de motifs pour lesquels les infractions aux droits de propriété

intellectuelle sont tolérées au plan local.

(2). – Les propositions pour l’amélioration de l’efficacité du système des droits de

propriété intellectuelle

617. - Pour combler les lacunes déjà constatées et améliorer l’efficacité du système

des droits de propriété intellectuelle en Chine, l’étude de l’OCDE propose « une

stratégie pluridimensionnelle »1913. Partant du constat selon lequel la pression relative

au fait d’appliquer la loi se relâchera avec l’élévation du degré de développement

économique, l’OCDE a proposé en premier lieu des mesures visant à réduire les coûts

1911 OCDE, La Chine dans l’économie mondiale : la gouvernance en Chine, op. cit.,, p. 475. 1912 Ibid., p. 481. 1913 V., Ibid., pp. 484 à 487.

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611

immédiats de la protection des droits de propriété intellectuelle pour les entreprises, y

compris celles facilitant l’octroi de licences technologiques et le renforcement du

système de crédit. Mais il s’agit encore de cibler les efforts sur la protection de certains

droits de propriété intellectuelle et de mettre progressivement en place une véritable

culture de la propriété intellectuelle. D’ailleurs, l’État doit s’allier avec les groupes

d’intérêts, à savoir les titulaires des droits, les associations professionnelles et les

consommateurs afin d’obtenir des soutiens dans l’exécution des lois et des règlements

relevant du droit de la propriété intellectuelle. Pour résoudre le problème de

protectionnisme local, l’OCDE a proposé une réorganisation de la filière administrative.

Selon cette proposition, doit être créée une agence unique ayant compétence à traiter

toutes les catégories relevant de la propriété intellectuelle dans les divers échelons

locaux. Le budget de cette agence unique doit être assuré par l’autorité locale

d’échelon le plus élevé, afin de lui garantir une relative indépendance et contourner les

difficultés de coordination entre les différents départements locaux dans l’application

de la législation de propriété intellectuelle.

Page 620: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

612

CONCLUSION DU CHAPITRE

618. - Comme les normes relatives au droit de propriété se fragmentent dans

différents instruments juridiques internationaux, de multiples acteurs s’impliquent dans

la mise en oeuvre des normes sur le plan international. L’autonomie des acteurs, ainsi

que leurs actes de nature différente, juridiques ou politiques, contraignants ou

simplement indicatifs, constituent les caractères principaux des mesures d’exécution

des normes en matière de droit de propriété, mais aussi la cause de la disparité. Entre le

domaine du droit international des droits de l’homme et le domaine du droit

international économique, le droit de propriété est considéré tantôt comme le

dépositaire de la valeur des droits humains fondamentaux, s’intégrant par excellence

dans la protection du droit au logement, tantôt comme un moyen de production faisant

l’objet d’examens ou d’observations relatives aux politiques économiques. Il est vrai

que les différents acteurs dans chaque domaine ont pu arriver à des conclusions qui

concordent de manière substantielle au cours de leurs considérations portant sur

certains aspects du droit de propriété, mais leur coordination reste encore à être

institutionnalisée. Le fait le plus important consiste à ce que les acteurs transcendent

les limites de leurs compétences, comme l’exige l’indivisibilité des droits civils,

politiques et celle des droits économiques, sociaux et culturels reliant les différents

aspects du droit de propriété –droit de l’homme pour les uns et droit du commerce pour

les autres– sur le plan international comme sur le plan interne. Source du droit

importante, la mise en oeuvre des normes relatives au droit de propriété sur le plan

international peut produire une influence non négligeable dans l’ordre juridique interne,

que ce soit par l’effet incitatif ou par la contrainte juridique des mécanismes de droit

international. La mise en oeuvre des normes internationales relevant du droit de

propriété dans l’ordre juridique interne ouvre une voie nouvelle à la synergie qui

conjugue les influences des différents acteurs sur le plan international, mais aussi celles

des acteurs internes, qu’ils s’agissent d’acteurs publics ou privés.

Page 621: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

613

CHAPITRE II – LA PROTECTION DE LA PROPRIÉTÉ COMME RÉSULTAT

DE L’ADAPTATION DU DROIT CHINOIS AUX NORMES

INTERNATIONALES

619. - La référence aux normes et aux pratiques internationales peut dynamiser la

transformation du droit chinois concernant la protection de la propriété. Pragmatique et

utilitariste, le droit chinois s’est avant tout attelé à la définition d’un cadre juridique

pour les affaires et notamment pour l’investissement direct étranger, moteur présumé

de la croissance1914. Ainsi, comme Pitman B. POTTER l’a constaté, « la majeure partie

de l’histoire des réformes légales de la République Populaire de Chine a trait aux

difficultés rencontrées pour adapter les normes internationales à l’environnement

local »1915. Par l’approche sélective, la législation est la voie principale qu’emprunte le

droit chinois pour s’adapter aux normes internationales, l’État chinois étant soucieux

de sauvegarder sa souveraineté nationale (SECTION I). Dans le domaine commercial, le

droit interne est presque entièrement déterminé par des impératifs internationaux tout

en laissant place à une certaine concurrence, d’où « une assez grande porosité entre les

ordres »1916. Néanmoins, l’adaptation du droit interne aux normes internationales ne

peut se cantonner au domaine commercial, tant la distinction de ce qui est commercial

et de ce qui ne l’est pas est parfois artificielle, mais surtout parce que les autorités

chinoises ont réformé de manière plus vaste leur système juridique et politique en

prenant en considération des normes internationales de bonne gouvernance –notion

reprise dans des expressions politiques conjoncturelles comme « mettre l’homme au

centre de pensée (yiren weiben)», « la construction d’une société d’harmonie » ou bien

« le concept de développement scientifique (kexue fazhanguan)». Ces normes issues de

1914 CHEN Jianfu, Chinese Law, towards an understanding of Chinese law, its nature and development, La Haye, Londres, Boston: Kluwer Law International, 1999, p. 415; Stanley B. LUBMAN, Bird in a Cage: legal Reform in China after Mao, Standford University Press, 1999, p. 447. 1915 Pitman B. POTTER, The Chinese legal system, globalization and local legal culture, London and New York, Routledge, 2001, p. 261. 1916 Leïla CHOUKROUNE, « L’accession de la Chine à l’OMC et la réforme juridique: vers un État de droit par l’internationalisation sans démocratie? », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne Will, La Chine et la démocratie, op. cit., p. 627 ; Marie GORÉ, « Aspect de droit privé », in L’actualité du droit chinois des affaires, op. cit., p. 24.

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614

références historiques ou politiques ne se limitent pas au droit international

économique, mais s’étendent aux droits de l’homme, comme la bonne gouvernance

l’exige. Dans le domaine du droit international relatif aux droits de l’homme, la Chine

n’opte pour ni le dualisme ni pour le monisme mais prend des précautions destinées à

prévenir tout risque d’applicabilité directe en droit interne. Une telle prise en

considération, qui ne va pas jusqu’à l’intégration normative, produit des risques

d’incertitude et d’abus dans l’interprétation des normes internationales qu’est

susceptible de proposer l’ordre juridique interne. Il faut donc regarder de près

l’adaptation du droit interne chinois pour mesurer les bénéfices mais aussi les

difficultés de l’influence du droit international sur la protection de la propriété

(SECTION II).

SECTION I. – L’IMPACT DE LA RÉFORME LÉGISLATIVE DANS LE

DOMAINE ÉCONOMIQUE

620. - Il n’est pas exagéré de dire que l’accession de la Chine à l’OMC a été

l’évènement historique qui a déclenché une troisième onde de réformes juridiques

conduisant le pays « vers un État de droit par l’internationalisation »1917. Certes, le

pragmatisme de la réforme juridique1918 en Chine appelle à distinguer les avancées des

phénomènes de résistance1919 , et ce, afin de mieux mesurer les perspectives de

mutation. En ce qui concerne le droit de propriété, les engagements pris par la Chine

lors de son accession à l’OMC exige une rationalisation de la législation (Sous-section

1), mais aussi l’amélioration de l’effectivité de ce droit par la consolidation des règles

de garantie (Sous-section 2). En adoptant de nouvelles règles de droit ou en modifiant

celles existantes, le gouvernement chinois manifeste sa volonté de tenir compte de

l’influence du droit international sur la réforme du droit interne. 1917 V., par exemple, Leïla CHOUKROUNE, « L’accession de la Chine à l’OMC et la réforme juridique: vers un État de droit par l’internationalisation sans démocratie? », op. cit., pp. 617 à 655 ; CAO Jianming, « WTO and rule of law in China », op. cit., p. 379. 1918 V., Randall PEERENBOOM, « What we have learned about law and development? Describing, predicting, and assessing legal reforms in China », 27 Mich. J. Int’l L. 823, p. 871. 1919 V., Lindsay WILSON, « Investors beware: the WTO will not cure all ills with China », 2003 Colum. Bus. L. Rev. 1007, p. 1009.

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615

Sous-section 1. – La rationalisation de la législation en matière de droit de

propriété

621. - Dans le cadre de l’OMC, c’est à partir des obstacles au commerce que les

problèmes existants concernant la protection du droit de propriété ont été analysés.

Selon le rapport du secrétariat, « même si les obstacles au commerce ont été fortement

réduits, la Chine doit relever un défi essentiel : mettre en œuvre des changements

structurels afin d’instaurer une plus grande concurrence, et réformer en particulier le

secteur public, y compris les entreprises publiques »1920. Ces changements structurels

appellent à mettre en place le traitement égal des propriétés publique et privée dans le

domaine économique (§ 1), ainsi qu’à reconnaître l’égalité de droits entre les

propriétaires nationaux et étrangers (§ 2).

§ 1. – Mettre en place le traitement égal des propriétés publique et privée

622. - Le souci de « mettre la propriété publique et la propriété privée sur un pied

d’égalité » ne se limite pas à l’élaboration et à la mise en œuvre d’une loi sur les droits

réels, elle s’étend bien au-delà puisqu’elle concerne tout le droit civil et le droit

économique1921, étant donné que de nombreuses contraintes juridique, financière,

fiscale, etc., faisaient obstacle au développement des entreprises privées1922. Depuis la

révision constitutionnelle de 2004, une série de mesures fut adoptée afin de réaliser le

traitement égal des propriétés publique et privée, en encourageant le développement

des acteurs économiques non publics ou en supprimant certaines prérogatives des

acteurs économiques publics, et ce, afin de favoriser la libre concurrence. Selon le

professeur WANG Liming, le principe d’égalité de protection des propriétés publique

et privée découle du principe constitutionnel selon lequel « l’État maintient le régime 1920 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, République Populaire de Chine, WT/TPR/S/161/Rev.1, p. 74 ; 1921 V., GAO Fuping, « Pingdeng baohu yuanze he siren wuquan zhidu jiantao (Critique sur le principe de protection égale et la propriété privée) », Faxue (Law Science Monthly), 2007, n° 5, p. 29. 1922 V. Ross GARNAUT, Ligang SONG, « Correcting constraints to private enterprises development: lessons from a private sector survey », in Ross GARNAUT, Ligang SONG (ed.), China’s third economic transformation: the rise of private economy, RoutledgeCurzon, 2004, pp. 227 à 233.

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616

économique fondamental dans lequel la propriété publique occupe une place

prépondérante, tandis que diverses autres formes de propriété se développent

simultanément »1923 en observant que « la condition préalable doit être l’égalité de

protection de toutes les propriétés »1924. Le soutien à l’égalité de protection s’appuie

sur l’économie de marché qui relève d’un principe constitutionnel1925 et constitue en

fait la réplique à l’hypothèse selon laquelle la loi sur les droits réels est

anticonstitutionnelle pour sa méconnaissance de la place prépondérante de la propriété

publique1926. La mise en place d’un cadre juridique assurant le traitement égal des

propriétés publique et privée est intervenue peu de temps après la révision

constitutionnelle de 2004 par l’adoption de mesures d’encouragement aux acteurs

économiques non publics (A). D’autre part, elle est renforcée par l’adoption de

nouvelles lois visant à améliorer la libre concurrence (B), ce qui permet d’affirmer que

le principe d’égalité de protection des propriétés n’est pas un simple mot d’ordre

dépourvu de valeur juridique, mais prend corps dans des règles précises de droit.

Encore faut-il souligner que la réforme vers le traitement égal des propriétés publique

et privée revêt une signification plus large que celle du principe d’égalité de protection

désormais reconnu par la loi sur les droits réels, dans la mesure où elle touche de

divers domaines économiques et commerciaux et par conséquent peut réduire dans un

long terme la caractéristique du droit chinois des biens consistant à la catégorisation

des propriétés.

A. – Les politiques d’encouragement favorisant le développement des

acteurs économiques non publics

1923 V., l’article 6, alinéa 2 de la Constitution 2004 telle que révisée en 1999. 1924 WANG Liming, « Le principe d’égalité de protection : le caractère marquant de la loi sur les droits réels chinoise (Pingdeng baohu yuanze : zhongguo wuquanfa de xianming tese) », Faxuejia (Juriste), 2007, n° 1, p.129. 1925 V., article 15 de la Constitution telle que révisée en 1993 : « L’État met en oeuvre l’économie socialiste de marché ». 1926 V., reportage de l’agence de presse Xinhua, «Zhongguo wuquan lifa chongfen tixian xianfa yuanze (La législation des droits réels se conforme aux principes constitutionnels) », 25 décembre 2005, disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/legal/2006-12/25/content_5530957.htm, consulté le 19 mai 2008.

Page 625: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

617

623. - Les grandes orientations de la politique d’encouragement aux acteurs non

publics ont été données par le CAE dans un Communiqué officiel publié à ce sujet en

20051927. L’objectif est de supprimer les obstacles structurels au développement des

entités économiques non publiques, de traiter de manière égale des acteurs du marché

et d’établir une réelle concurrence. L’ouverture aux opérateurs privés d’un marché

auparavant réservé aux entités économiques publiques (1) et le renforcement des

soutiens fiscaux et financiers sont (2) les deux mesures principales prises par le

gouvernement central pour réaliser le traitement égal. Bien que ledit Communiqué

officiel ne soit qu’un document politique qui n’ait aucune valeur juridique en tant que

telle, il n’en revêt pas moins une importance dans la mesure où il indique l’orientation

de la réforme du droit économique engagée par le CAE.

(1). – L’élargissement de l’accès au marché des acteurs non publics

624. - En ce qui concerne l’ouverture du marché, on a critiqué le fait que la présence

des acteurs privés, y compris les investisseurs étrangers, était pendant longtemps

exclue ou très restreinte dans certaines industries qui étaient sous le joug du monopole

d’État1928. Il s’agit des secteurs de l’électricité, des communications, du chemin de fer,

de l’aviation civile et du pétrole. À cet égard, le Communiqué du CAE prévoit

d’autoriser l’acquisition par les acteurs privés des droits d’exploration, d’extraction et

d’exploitation des ressources naturelles. Dans un second temps, le Communiqué

annonce que l’investissement de capitaux privés dans les infrastructures publiques

telles que l’approvisionnement en eau ou en gaz, le chauffage, les transports communs

et l’assainissement, sera permis. Troisièmement, les acteurs privés pourront investir

dans les services publics dits d’utilité sociale, y compris l’éducation, la recherche, la

santé publique, la culture et le sport. Quatrièmement, les secteurs les plus sensibles de

1927 CAE, Avis sur l’encouragement, le soutien et le guide du développement des économies individuelles, privées et d’autres secteurs économiques non publics (Guanyu guli zhichi he yindao geti siying deng feigongyouzhi jingji fazhan de ruogan yijian), Communiqué Guofa 2005 (3) du 19 février 2005. 1928 V., ZHANG Shouwen, « Fazhan feigong jingji de jingjifa jiedu (L’analyse sur le développement des économies non publiques au regard du droit économique) », Faxuejia (Juriste), 2005, n° 3, pp. 32 à 36.

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618

la banque et de la finance, de l’industrie de la défense nationale pourront s’ouvrir aux

capitaux privés sous respect des conditions prévues par la loi. Finalement, le

Communiqué encourage les acteurs privés à participer à la capitalisation des

entreprises d’État, en ouvrant davantage la voie à la cession des actifs d’État aux

entreprises privées. Cette dernière mesure peut réduire la part du marché auparavant

occupée par les entités économiques publiques, ce qui revient à démanteler le

monopole que l’État avait sur le marché.

(2). – Le renforcement des aides fiscales et financières aux acteurs non publics

625. - La constitution de fonds spéciaux pour aider aux investissements privés,

l’accroissement des prêts bancaires au secteur privé et l’assouplissement des

contraintes en matière de financement des entreprises privées constituent l’orientation

politique du gouvernement central en faveur des acteurs économiques privés. Au

moment de la publication dudit Communiqué, la difficulté de financement rencontrée

par des acteurs privés était aussi l’un des obstacles majeurs à leur développement.

Comme le remarque Thierry PAIRAULT, « il existe une discordance très évidente

entre le dynamisme dont peuvent faire preuve les PME chinoises et leur accès au crédit

bancaire et plus particulièrement celui que distribue les banques d’État»1929. Puisque

les acteurs économiques non publics sont souvent plus rentables que les acteurs publics,

les mesures financières visées par le Communiqué du CAE favorisant les acteurs

économiques non publics sont pertinentes d’un point de vue économique. Le

Communiqué du CAE peut ainsi conduire les banques d’État à modifier leurs

politiques de crédit aux acteurs économiques non publics.

626. - Un tel changement dans la politique gouvernementale qui favorise la propriété

privée peut être considéré à juste titre comme une révolution, dans la mesure où tout

préjugé envers la propriété privée est levé et où il met un terme au culte aveugle de la

propriété publique et réduit l’expansion des pouvoirs publics1930. Certes, selon le

1929 Thierry PAIRAULT, Wei WANG, « À propos du financement des PME chinoises », Techniques financières et développement, 2005, n° 79, p. 47. 1930 YE Chuanxing, « Feigongyouzhi jingji de shenfen geming (La révolution du statut des économies

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619

professeur chinois HAN Dayuan, le Communiqué du CAE n’a pas de force juridique

contraignante en dépit du rappel du principe constitutionnel d’égalité entre les

propriétés publique et privée. Nous sommes donc encore dans un climat d’attente

concernant la mise en place de règles juridiques pour assurer la réalisation des

orientations politiques favorables à la propriété privée1931.

B. – De nouvelles règles de droit visant à améliorer la libre

concurrence

627. - Comme l’OCDE l’a souligné, « le fait pour l’État de posséder des entreprises

tend à fausser les marchés, puisque cette situation crée des occasions et des incitations

à leur accorder un traitement préférentiel et à les soumettre à des contraintes

budgétaires moins strictes »1932. Il faudrait donc adopter une politique favorisant la

concurrence, soit par un désengagement de l’État, soit par d’autres mesures

intermédiaires pour supprimer les distorsions entraînées par les entreprises d’État.

Dans le contexte de la « restructuration qui s’accompagne de la diversification du

droit de propriété »1933, une série de mesures législatives a été prise pour améliorer la

libre concurrence en supprimant les prérogatives des entreprises d’État qui la

faussaient. Il s’agit notamment de la modification de la loi sur les sociétés (1) et de

l’adoption d’une nouvelle loi sur les faillites des entreprises (2).

(1). – La modification de la loi sur les sociétés

628. - La loi sur les sociétés promulguée en 1993 et le plus récemment modifiée en

2005 reconnaît sans équivoque le droit autonome des sociétés sur leurs actifs en le

non publiques) », Faxuejia (Juriste), 2005, n°3, pp. 36 à 39. 1931 HAN Dayuan, « Feigongyouzhi jingji de xianfa diwei (Le statut constitutionnel des économies non publiques) », Faxuejia (Juriste), 2005, n°3, p. 13. 1932 OCDE, La gouvernance en Chine, 2005, p. 407. 1933 Ross GARNAUT, Ligang SONG, Stoyan TENEV, Yang YAO, China’s ownership transformation, Process, outcomes, prospects, op. cit., pp. 48, 49.

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620

qualifiant de droit patrimonial de la personne morale (faren caichan quan)1934. Certes,

avant sa modification en 2005, la loi sur les sociétés affirmait que « les actifs des

sociétés issus de l’apport de l’État demeur[aient] la propriété de celui-ci»1935, ce qui,

pour des juristes, brouillait la distinction entre les droits de l’actionnaire et le droit de

propriété de l’État1936. La modification de la loi sur les sociétés en 2005 contribue par

conséquent à renforcer l’indépendance des sociétés dont la majorité étaient d’anciennes

entreprises d’État1937. La clarification de la propriété des actifs des sociétés a permis

les restructurations d’entreprises publiques qui « ont permis d’améliorer les résultats.

En réduisant la participation de l’État et en libérant des ressources qu’il détenait

auparavant, la réforme a aussi contribué au développement du secteur privé (non

public) »1938.

629. - En outre, une série de dispositions de la loi sur les sociétés de 2005 semblent

favoriser le développement des entités économiques non publiques. D’une part, la loi

sur les sociétés modifiée en 2005 permet dorénavant l’établissement d’une société

unipersonnelle à responsabilité limitée dont l’unique actionnaire peut être une personne

physique ou morale. D’autre part, les dispositions relatives au capital social ont été

assouplies1939. Ainsi en est-il, ont été supprimées les dispositions relatives au capital

social minimal en fonction des activités de la société. Le montant du capital social

1934 V., l’article 3, alinéa 1er de la loi sur les sociétés. 1935 V., l’ancien article 4, alinéa 3 de la loi sur les sociétés promulguée en 1993. 1936 V., JIANG Ping, KONG Xiangjun, « Lun guquan (À propos des droits des actionnaires) », Zhongguo faxue (China Legal Science), n°1, 1994, p. 91; LEI Xinghu, FENG Guo, « Lun gudong de guquan yu gongsi de faren caichanquan (Sur les droits des actionnaires et le droit de propriété des personnes morales d’entreprises) », op. cit., p. 80 ; QIAN Mingxing, «Lun gongsi caichan, gongsi caichan suoyouquan, gudong guquan (Sur les actifs des sociétés, le droit de propriété des sociétés et les droits des actionnaires) », Journal de l’Université de Peuple (Zhongguo renmin daxue xuebao), 1998, n°2, p. 57 ; A. VOINNESSON, « L’entreprise et la concurrence – Les droits réels, 7es Journées juridiques franco-chinoises », Revue Internationale de droit comparé, n°1, 2003, pp. 232, 234 ; ZHOU Qingfeng, « Xi gongsifa disitiao (Analyse sur l’article 4 de la loi sur les sociétés) », Sheke zongheng (Social Science Review), 2004, n° 6, pp. 73, 74. 1937 ZHANG Yanli, « Qiye faren caichanquan zaiyi (Reconsidération sur le droit des biens des personnes morales d’entreprises) », op. cit., pp. 39 à 41. 1938 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, Chine, WT/TPR/S/199, 16 avril 2008, p. 47. 1939 V., Haiying WANG, « Réforme du droit des sociétés chinoises », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires, n° 19, 11 mai 2006, 1776.

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621

minimum d’une SARL est désormais fixé à 30 000 yuans1940. De même, alors qu’en

vertu de la loi de 1993 les apports de biens incorporels ne pouvaient pas représenter

plus de 20% de la totalité du capital social souscrit, la modification de la loi en 2005

prévoit que les apports en numéraire doivent être supérieurs à 30% du capital d’une

SARL1941.

630. - La restructuration des entreprises d’État en sociétés commerciales peut aussi

contribuer à consolider le traitement égal des propriétés publique et privée à travers le

marché des valeurs. La volonté de maintenir une participation majoritaire de l’État

conditionnait depuis longtemps le degré d’ouverture du capital aux autres associés. La

classification des actions en fonction de leur degré de négociabilité est la

caractéristique spécifique des sociétés chinoises cotées en Bourse comme la

catégorisation des droits de propriété aux termes de la législation dans le domaine du

droit des biens en Chine. Contrairement aux normes internationales, les facteurs

idéologiques, reflétés par les réglementations étatiques et administratives, ont eu des

effets considérables sur la classification des actions en actions détenues par les

personnes privées et les actions des entreprises d’État d’importance nationale ou

régionale transformées en sociétés anonymes et dont le capital est détenu par des

personnes morales publiques habilitées à représenter l’État ou celles dont la gestion des

avoirs leur est confiée par l’État.1942 Par conséquent, une entreprise d’État transformée

en société par actions émit généralement trois types d’actions: les actions d’État

(guojia gu), les actions détenues par les personnes morales (faren gu) et les actions du

public (geren gu). Seules les actions du public sont négociables en Bourse, alors que la

transaction des deux autres types d’actions fait l’objet de limitations imposées par les

lois et règlements. Par exemple, le Règlement provisoire sur l’émission et la

transaction des actions adopté par le CAE en 19931943 prévoit l’agrément préalable de

l’autorité nationale compétente comme l’une des conditions essentielle à la transaction

1940 V., article 26, alinéa 2 de la loi sur les sociétés. 1941 V., article 27, alinéa 3 de la loi sur les sociétés 1942 V., Lim SUN, Jean Francis Cheung Ah SEUNG, « La distinction des actions en République populaire de Chine », Revue de droit des affaires de l’Université Panthéon Assas, n°1, 2003, pp. 177 à 185. 1943 V., article 36 du Règlement provisoire sur l’émission et la négociation des actions.

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622

des actions d’État. En réalité, la transaction des actions d’État a été longtemps figée par

le gouvernement central, et c’est la raison pour laquelle ces actions sont généralement

qualifiées de « non négociables ». Cependant, avec la réforme visant à donner la

flexibilité à la libre transaction des actions « non négociables » menée par le CAE en

20041944, la Commission nationale de réglementation des valeurs mobilières a émis son

programme pilote de réforme des actions non négociables des sociétés inscrites à la

cote officielle, dans le but de convertir par les mesures progressives de réforme les

actions non négociables en actions négociables1945. La tendance se dirige vers la libre

négociation des actions d’État ou des actions de personnes morales, et vers

l’accélération de la cotation en Bourse de la majorité des entreprises d’État1946. En

dépit des dénégations des autorités pour lesquelles la diversification des formes de

propriétés ne signifie pas nécessairement une privatisation, on peut raisonnablement

penser qu’au fur et à mesure de la participation du secteur privé, le transfert de contrôle

peut conduire à la multiplication des privatisations partielles ou totales dans les années

qui viennent, d’autant plus que ce transfert de contrôle est revendiqué par la

considération d’efficacité économique de la gestion des biens1947.

(2). – La loi sur les faillites des entreprises

631. - À l’issue de longues années de réflexion, la Chine s’est dotée en 2006 d’une

nouvelle loi réformant le droit sur les faillites des entreprises dont l’entrée en vigueur a

lieu le 1er juin 2007. La loi sur les faillites des entreprises est désormais le droit

commun et unifié en la matière qui a remplacé l’ancienne loi de 1986 sur les faillites

des entreprises d’État adoptée à titre expérimental, dans la mesure où elle s’applique à 1944 CAE, Avis sur le renforcement de la réforme, de l’ouverture et du développement stable du marché des valeurs, Communiqué Guofa n° (2004) 3, 31 janvier 2004. 1945 Commission de réglementation des valeurs mobilières, Mesures d’administration sur la séparation des actions des sociétés cotées en Bourse, Communiqué Zhengjianfa n° 2005 (86), 4 septembre 2005. 1946 V., reportage de l’Agence de presse Xinhua, « China to accelerate listing of state-owned enterprises », disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/english/2007-11/03/content_7002277.htm, consulté le 23 mai 2008. 1947 V., Gongmeng CHEN, Michael FIRTH, Yu XIN, Liping XU, « Control transfers, privatization, and corporate performance: efficiency gains in China’s listed company », Journal of financial and quantitative analysis, Vol. 43, n°1, 2008, pp.161 à 190.

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623

toutes les entreprises d’État ou privées, qu’elles comportent ou non des capitaux

étrangers. La loi de 2007 sur les faillites des entreprises s’applique également aux

banques et aux autres établissements financiers1948. L’un de ses apports remarquables

tient dans le fait de supprimer la protection spéciale prévue par l’ancienne loi de 1986

qui concernait uniquement les entreprises d’État connaissant des difficultés. L’ancienne

loi de 1986 sur les faillites des entreprises d’État disposait, dans l’intérêt des

travailleurs, que les charges salariales devaient s’acquitter avec priorité par rapport aux

créances même garanties par la sûreté dans les procédures collectives de

surendettement1949. Dans la pratique et de manière générale, la majorité du fonds était

réservée –au nom du paiement des charges salariales– à l’entreprise en faillite pour lui

permettre d’assumer sa fonction de couverture sociale1950. D’ailleurs, les tribunaux

locaux compétents dans les affaires de faillite détenaient un pouvoir discrétionnaire

quand ils jugeaient de l’admissibilité des requêtes des créanciers demandant la mise en

faillite des entreprises surendettées. Les juges prenaient en considération des éléments

moins juridiques que politiques, tels que par exemple l’impact que seraient

susceptibles d’avoir de telles demandes sur la couverture sociale assumée par

l’entreprise en difficulté. En d’autres termes, les juges prenaient d’abord en

considération la nécessité du maintien de la stabilité sociale menacée par les

licenciements des travailleurs résultant des éventuelles faillites, ainsi que le soutien des

gouvernements locaux quant aux payements des salaires et des cotisations sociales

arriérés par l’entreprise en cause1951. L’objectif de ce mécanisme dit de « faillites par la

politique (zhengcexing pochan)»1952 consistait à mieux protéger les entreprises en

1948 La nouvelle loi contient trois procédures visant les entreprises insolvables: réorganisation, conciliation et liquidation. la réorganisation ne figurait pas dans la loi expérimentale de 1986. 1949 V., article 37, alinéa 2 de la loi expérimentale sur les faillites des entreprises (1986) ; article 132 de la loi 2007 sur les faillites des entreprises. 1950 V., Carsten A. HOLZ, « Economic reforms and State sector bankruptcy in China », The China Quarterly, 2001, pp. 351 à 358. 1951 V., YU Junfu, CHEN Dong, « Issues in the acceptance of bankruptcy cases by Chinese courts », rapport présenté au 5e Forum for Asian Insolvency Reform, 27-28 juin 2006, disponible sur le site www.oecd.org/dataoecd/21/52/38181654.pdf, consulté le 25 mai 2008. 1952 LI Shuguang, « Xinpochanfa de yiyi, tupo yu yingxiang (La signification, l’apport et l’impact de la nouvelle loi sur les faillites des entreprises) », Journal de l’Université de politique et de droit de la Chine Est (Huadong zhengfa xueyuan xuebao), 2006, n°6, pp. 110 à 113.

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624

difficulté et leurs salariés que les créanciers, que ces entreprises soient de nature

publique ou privée. Au moyen de ces faillites par la politique, qui débuta en 1994, le

gouvernement obligea les entreprises publiques connaissant un déficit chronique et

n’ayant aucun espoir de redressement ou affichant un passif supérieur à leur actif, à

déposer leur bilan en respectant un certain délai. Contrairement à la pratique courante,

les actifs restants de telles entreprises furent utilisés pour faciliter la réaffectation des

employés, plutôt que pour liquider le passif de l’entreprise concernée par la faillite.

D’où l’atteinte aux droits et intérêts des créanciers.

632. - La nouvelle loi sur les faillites a supprimé ce mécanisme particulier de

« faillites par la politique», afin d’établir une égalité de traitement entre les entreprises

d’État et les autres acteurs économiques. Pour aboutir à la réforme de la loi sur les

faillites des entreprises, le gouvernement central a pris le relais des entreprises d’État

pour assumer la charge budgétaire de la couverture sociale1953. Il en résulte que

désormais les entreprises d’État n’ont plus de privilèges dans l’application de la

procédure de surendettement.

La nouvelle loi sur les faillites des entreprises préconise également la doctrine de

l’universalité affirmant que l’ouverture de la procédure collective en Chine produit des

effets sur les biens du débiteur même à l’extérieur du territoire chinois. Ces effets

peuvent bénéficier aux créanciers étrangers qui sont susceptibles de saisir les biens des

débiteurs à l’extérieur du territoire chinois et de faire exécuter des jugements étrangers

par les tribunaux chinois via l’exequatur de ceux-ci1954 . Cette tendance vers le

1953 V., reportage de l’Agence de presse Xinhua, « China’s top legislature adopts corporate bankruptcy law» en date du 27 août 2006, disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/english/2006-08/27/content_5013953.htm, consulté le 25 mai 2008. À la fin de 2006, des faillites par décision politique ont concerné plus de quatre mille entreprises publiques; environ 8 millions d’employés ont été réaffectés. Information en ligne de Caijing (Finance), disponible sur le site http://www.caijing.com.cn/home/todayspec/ 2007-12-21/42581.shtml, consulté le 25 mai 2008. 1954 V., Yasong LIN, « L’exécution du jugement étranger de faillite en Chine », Revue internationale de droit comparé, 2008, n°1, p. 184. Plus précisément, les tribunaux populaires ne reconnaissent pas les procédures étrangères en matière de faillite dans les cas suivants: s’il n’y a pas de traité ou de relations entre la Chine et la juridiction concernée en ce qui a trait à la reconnaissance des procédures de faillite; si les procédures étrangères en matière de faillite sont contraires aux principes fondamentaux du droit chinois ou menacent la souveraineté, la sécurité ou l’intérêt public de la Chine; ou si les procédures étrangères en matière de faillite nuisent aux intérêts légitimes de créanciers en Chine.

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625

traitement égal entre chinois et étrangers dans l’exercice de leurs droits relatifs à leurs

biens est davantage renforcée dans d’autres domaines commerciaux plus importants,

par l’application stricte du principe de traitement national.

§ 2. – Renforcer le traitement national concernant les investissements

étrangers

633. - Hormis les engagements pris par le gouvernement chinois lors de son

accession à l’OMC, et surtout en dehors de l’Accord portant sur les mesures liées au

commerce concernant les investissements, les lois et les règlements internes confèrent

des droits aux investisseurs étrangers en matière d’accession à la propriété.

Considérées par le secrétariat de l’OMC comme des « mesures agissant sur la

production et le commerce » lors de l’examen des politiques commerciales de la

Chine1955, ces législations n’ont pas été adoptées sous la contrainte directe des règles

de l’OMC 1956 , mais traduisent plutôt la volonté gouvernementale de libéraliser

davantage le marché intérieur tout en maintenant l’intérêt de l’État hôte dans le

domaine des investissements étrangers. Il s’agit d’abord d’opérations d’acquisition qui

s’inscrivent dans le programme pilote de réforme des actions non négociables des

sociétés, et par lesquelles les investisseurs étrangers peuvent acquérir des actions des

sociétés chinoises (A). D’autre part, l’ouverture du marché immobilier aux

investisseurs étrangers afin que ceux-ci puissent acquérir des biens immobiliers, ce qui

est indispensable à la jouissance égale des droits réels entre citoyens chinois et

étrangers (B). Ces deux mesures pour renforcer le traitement national sont encore

renforcées par la mise en oeuvre d’« un régime fiscal avantageux pour les

investissements étrangers » 1957 avec l’adoption de la nouvelle loi sur l’impôt des

1955 OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, Chine, WT/TPR/S/199, précité, pp. 109 à 113, 1956 Pour l’opinion contraire, v., Haiying WANG-FOUCHER, « La réglementation des opérations d’acquisition sur le marché chinois », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires, n° 45, 8 novembre 2007, 2356, § 4. 1957 Emmanuel MERIL, « La fin prochaine d’un régime fiscal avantageux pour les investissements étrangers en Chine? », Cahiers de droit de l’entreprise, n°4, 2005, pp. 44, 45 ; v., aussi, Haiying WANG, « Le régime fiscal chinois des investissements étrangers, les charmes de l’Orient... », Bulletin Joly

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626

sociétés qui unifie le taux d’impôt applicable, sans distinction entre les sociétés

domestiques et celles avec des capitaux étrangers1958. D’où une tendance qui aboutira

au renforcement du traitement national, principe du droit de l’OMC.

A. – L’acquisition d’entreprises domestiques par des investisseurs

étrangers

634. - Avec l’ampleur que prennent les pratiques d’acquisition des entreprises

domestiques par des investisseurs étrangers, les règles applicables en la matière sont

désormais prévues dans le cadre du contrôle de la concentration et appartiennent au

droit de la concurrence. La loi anti-monopole réaffirme le traitement égal en unifiant

les règles de contrôle sur la concentration (1), mais elle prévoit également la limitation

à l’acquisition par des investisseurs étrangers (2).

(1). – L’unification des règles de contrôle sur la concentration par l’adoption de la loi

anti-monopole

635. - L’élaboration de la loi anti-monopole fut l’une des mesures préparatoires à

l’accession de la Chine à l’OMC aux termes de la libéralisation de son économie1959. À

la suite de son accession à l’OMC, la Chine a travaillé sur la loi sur l’acquisition des

valeurs par les investisseurs étrangers sous l’angle du contrôle des concentrations.

Ainsi, en 2003, a été adopté le Règlement provisoire sur les fusions et les acquisitions

Sociétés, 1 novembre 2004, n° 11, p. 1337. 1958 La loi sur l’impôt des sociétés est adoptée le 16 mars 2007 et consiste à mettre un terme aux avantages fiscaux dont bénéficient les sociétés étrangères en imposant un taux unique d’imposition de 25 %, qu’il s’agisse d’entreprises chinoises ou étrangères. Dans la loi, les incitations destinées aux entreprises à participation étrangère sont pour l’essentiel éliminées, mais il subsiste une période transitoire allant jusqu’à cinq ans pour les trêves fiscales existantes. 1959 V., WANG Xiaoye, « Rushi cuisheng zhongguo fanlongduan fa (L’accession à l’OMC conduit à la naissance de la loi anti-monopole) », disponible sur le site http://www.cass.net.cn/file/200304166140.html, consulté le 30 mai 2008 ; v., aussi, H. Stephen HARRIS, « The making of an anti-trust law: the pending anti-monopoly law of the People’s Republic of China », 7 Chi. J. Int'l L. 169, p. 177.

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627

entre les investisseurs étrangers et les entreprises domestiques chinoises1960. C’était la

première fois que le droit chinois tentait de traiter de manière détaillée les effets

anticoncurrentiels liés au rapprochement d’entreprises. À ce texte a été substitué, en

2006, le Règlement sur les fusions et les acquisitions d’entreprises domestiques

chinoises par des investisseurs étrangers1961 qui reprend de façon substantielle les

dispositions dudit Règlement provisoire de 2003. Certes, le Règlement de 2003 et celui

de 2006 relatifs au contrôle sur l’acquisition sont critiquables dans la mesure où ils ne

s’appliquaient qu’aux investisseurs étrangers, établissant donc un régime

discriminatoire concernant le contrôle de la concentration 1962 . La nouvelle loi

anti-monopole promulguée le 30 août 2007 et entrée en vigueur le 1er août 2008

marque une nouvelle étape vers la systématisation du droit concurrentiel dans lequel

figurent les règles applicables à l’acquisition énonçant des exigences de neutralité

concernant le traitement des entreprises privées et publiques. Ces règles concernant

l’acquisition sont plutôt favorables aux investisseurs étrangers souvent confrontés au

manque d’impartialité des juridictions1963. Car l’une des grandes nouveautés de la loi

de 2007 est de prévoir l’application de la même procédure de dépôt de notification

auprès des autorités compétentes1964 à toutes les concentrations, qu’elles soient initiées

par des entreprises chinoises ou étrangères. Ce fait correspond à l’un des objectifs

prioritaires de la loi anti-monopole : donner « un soutien à la libéralisation du

commerce et de l’investissement étranger »1965.

1960 Règlement promulgué le 7 mars 2003 par le Ministère du commerce extérieur et de la coopération économique, l’Administration fiscale nationale, l’Administration nationale de l’industrie et du commerce, et l’Administration nationale des changes, et entré en vigueur le 12 avril 2003. 1961 Règlement promulgué le 8 août 2006 par le Ministère du commerce, la Commission d’État chargée de la supervision et de la gestion des actifs de l’État, l’Administration fiscale nationale, l’Administration de l’industrie et du commerce, la Commission de réglementation des valeurs mobilières et l’Administration du contrôle des changes, et entré en vigueur le 8 septembre 2006. 1962 Guillaume ROUGIER-BRIERRE, Arnaud LUNEL, « La nouvelle loi anti-monopole chinoise : vers un nouveau droit de la concurrence », Revue de droit des affaires internationales, n°2, 2008, p. 188. 1963 Alexandre JAUNATRE, « Nouvelle étape dans le processus de modernisation de l’économie chinoise : la loi sur la concurrence du 30 août 2007 », Contrats Concurrence Consommation, n° 1, janvier 2008, alerte 1. 1964 V., articles 21 à 23 de la loi anti-monopole. 1965 François SOUTY, « Chine : la loi anti-monopole du 30 août 2007 et l’émergence d’un droit chinois moderne de la concurrence », Revue des droits de la concurrence, n°4, 2007, p. 159. V., aussi, reportage

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628

(2). – La limitation imposée à l’acquisition par les investisseurs étrangers

636. - L’article 31 de la loi anti-monopole dispose que lorsqu’une fusion ou une

acquisition d’une entreprise domestique par un investisseur étranger met en jeu la

sécurité nationale, la concentration fera l’objet d’un contrôle de sécurité nationale en

plus de l’éventuel contrôle par l’autorité exécutive anti-monopole en vertu de la loi de

20071966 . Jugée comme étant le signe d’un protectionnisme inquiétant pour les

investisseurs étrangers1967, cette limite à la concentration fut toutefois prévue depuis

2003. En effet, le Règlement provisoire de 2003 offrait la possibilité aux concurrents

domestiques de mettre en cause une acquisition par la participation directe des capitaux

étrangers dans l’entreprise domestique ciblée, lorsque l’opération était susceptible

d’avoir un impact significatif sur l’économie nationale ou la sécurité économique

nationale. Cette possibilité fut maintenue par le Règlement de 2006 qui prévoyait une

notification au Ministère du Commerce concernant toute opération au terme de

laquelle un investisseur étranger obtiendrait le contrôle d’une entreprise d’un secteur

clé, ou si l’acquisition était susceptible d’affecter la sécurité économique nationale, ou

encore si la cible détenait une marque renommée ou une appellation chinoise

traditionnelle1968. En cas de manquement à l’obligation de notifier, le Règlement de

2006 conférait au Ministère du Commerce le pouvoir, après concertation avec les

autres autorités compétentes, d’enjoindre la cessation de l’opération et le retour à l’état

originel d’avant la concentration.

Certes, la loi anti-monopole adoptée en 2007 ne contient aucune définition sur la

notion de sécurité nationale, ni de disposition quant au déroulement de la procédure de

contrôle, ce qui permet aux autorités compétentes d’exercer un certain pouvoir

discrétionnaire concernant la question des acquisitions étrangères. Comme l’a constaté

l’OCDE, la Chine doit davantage préciser les critères du contrôle de sécurité nationale de DU Haitao, « Quatre points importants de la loi anti-monopole (Fanlongduanfa de sida kandian) », Quotidien du peuple (Renmin ribao), 31 août 2007, p.5. 1966 V., articles 27, 28 de la loi anti-monopole. 1967 V., par ex., Brice PEDROLETTI, « Chine : la nouvelle loi contre les monopoles inquiète les investisseurs étrangers: des entreprises occidentales éprouvent de sérieuses difficultés lors du rachat de sociétés chinoises ou dans des partenariats établis », Le monde, 1er septembre 2007, p.12. 1968 V., article 12 du Règlement promulgué le 8 août 2006.

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et réduire le nombre d’étapes que comportent les procédures d’examen et

d’autorisation pour les sociétés étrangères participant à une opération de fusion ou

d’acquisition, et ce, afin de répondre à l’exigence de transparence1969. À cet égard, la

loi anti-monopole a confirmé « l’existence [de motifs] d’inquiétude au sein de

l’administration chinoise en matière de sécurité nationale et de souveraineté

économique, motifs qui préoccupent tout autant l’Europe et les États-Unis »1970. Mais

cette approche faite à la fois d’ouverture et de prudence se révèle également dans

d’autres domaines, par exemple, celui qui relève plus directement du droit de propriété

immobilière.

B. – L’investissement étranger dans le secteur immobilier

637. - Les investisseurs étrangers peuvent acquérir le droit d’usage du sol, soit

directement auprès de l’administration par l’établissement du contrat de concession,

soit auprès de personnes privées titulaires de ce droit. Dans ce dernier cas, il est

fréquent que le droit d’usage concédé fassent l’objet d’un apport de la part d’un

partenaire chinois au capital d’une entreprise bénéficiant d’investissements

étrangers1971. Les règles relatives concernant l’accès des investisseurs au secteur

immobilier sont davantage précisées dans un document réglementaire adopté

conjointement en 2006 par six ministères du CAE1972 et qui remplace les Mesures

provisoires adoptées par le même CAE1973. Ce document réglementaire de 2006 qui

s’intitule « Opinion relative au contrôle et à la gestion de l’investissement étranger

1969 OCDE, Recent developments in China’s policies towards cross-border mergers and acquisitions, Supplement to the 2006 Investment Policy Review of China, décembre 2006, p. 5. 1970 Guillaume ROUGIER-BRIERRE, Arnaud LUNEL, « La nouvelle loi anti-monopole chinoise : vers un nouveau droit de la concurrence », op. cit., p. 201. 1971 V., Olivier DUBUIS, « Vers une clarification des conditions d’acquisition d’un terrain en Chine par les investisseurs étrangers », Cahiers de droit de l’entreprise, n° 4, 2005, pp. 49 à 52. 1972 Ministère de la Construction (devenue Ministère du Logement et du Développement Urbain et Rural), le Ministère du Commerce, la Commission des Réformes et du Développement, la Banque Populaire de Chine, l’Administration d’État pour l’Industrie et le Commerce (SAIC), et l’Administration du Contrôle des Changes, Opinion relative au contrôle et à la gestion de l’investissement étranger dans le domaine de l’immobilier, 11 juillet 2006. 1973 Ces mesures provisoires furent adoptées en 1990 et annulées par le décret n°516 du CAE en 2008.

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dans le domaine de l’immobilier » précise les mesures relatives à l’administration sur

l’exploitation du sol par les investisseurs étrangers. Ces mesures permettent à

l’investissement étranger d’accéder uniquement à l’exploitation foncière localisée sur

les territoires côtiers. Le document réglementaire de 2006 demeure contraignant après

la promulgation de la loi sur les droits réels, et par conséquent pourrait être considéré

comme une lex specialis par rapport à la loi sur les droits réels dans la mesure où il

prévoit l’ouverture du marché immobilier aux investisseurs étrangers (1), tout en leur

imposant les contraintes relatives à l’acquisition des biens immobiliers (2).

(1). – L’ouverture du marché immobilier

638. - L’ouverture du marché immobilier en réduisant des barrières aux

investissements étrangers résulte principalement des engagements pris par le

gouvernement chinois lors de son entrée à l’OMC1974. Le document réglementaire de

2006 prévoit deux modalités d’ouverture du marché immobilier par lesquelles les

investisseurs étrangers peuvent acquérir le droit d’usage du sol et la propriété des

bâtiments qui y sont construits. Premièrement, les entreprises à l’investissement

étranger ayant personnalité morale peuvent acquérir les biens immobiliers dans la

sphère de leurs activités spécifiquement définie pour cette fin. L’acquisition des biens

immobiliers se fait donc par l’établissement d’entreprises à capitaux étrangers et à

vocation immobilière avec l’autorisation de l’État1975 et, par l’acquisition du droit

d’usage du sol étatique à travers le contrat de cession selon les règles législatives et

réglementaires qui s’y appliquent. La cession des titres d’une société de droit chinois

porteuse d’un projet immobilier doit être elle-même soumise à l’autorisation

concernant le régime d’acquisition. D’autre part, les succursales et les bureaux de

représentation des entreprises étrangères établis en Chine ainsi que les personnes 1974 V., Investment in greater China, opportunities and challenges for investors, first ed., Kluwer Law International, 2003, p.108. 1975 Tout investissement immobilier supérieur à 10 millions de dollars requiert désormais un capital d’au moins 50 % du montant investi contre 25% auparavant. Le recours à l’endettement n’est possible qu’à hauteur de la différence (soit 50% du montant à investir) et seulement à partir du moment où le capital social est libéré, s’il représente déjà au moins 35 % de l’investissement prévu et sous réserve d’avoir obtenu effectivement un droit d’usage du sol étatique.

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physiques étrangères sont autorisés à acheter un bien immobilier en Chine pour leur

usage personnel. C’est dans ce deuxième cas de figure que les contraintes ont été

imposées aux investisseurs étrangers par le document réglementaire de 2006.

(2). – Les contraintes imposées à l’acquisition des immeubles par les investisseurs

étrangers

639. - Soucieux de lutter contre la spéculation et de restreindre l’augmentation du

prix immobilier, un document réglementaire adopté par le Ministère du Commerce a

établi des règles restrictives à l’acquisition des biens immobiliers par les étrangers1976.

Premièrement, les personnes morales de nationalité étrangère qui n’ont pas de présence

commerciale au sein du territoire chinois ne sont pas admises à acheter des biens

immobiliers via un contrat de vente. De même, les personnes physiques étrangères

souhaitant acheter un bien immobilier pour leur usage personnel doivent être résidents

en Chine depuis plus d’un an. Toutefois, cette limitation concernant la résidence n’est

pas applicable aux résidents de Hongkong, Macao et Taiwan, ainsi qu’aux chinois

d’outre-mer qui sont autorisés à acheter pour leur usage personnel un bien immobilier

d’une « certaine surface ». Toutefois, aucune précision n’a été apportée sur la

définition de cette surface1977. Deuxièmement, les biens immobiliers tels que les

succursales ou les bureaux de représentation des entreprises étrangères ou des

personnes physiques étrangères sont assujettis à l’usage personnel. Il en résulte que les

succursales ou les bureaux de représentation des entreprises étrangères ne peuvent 1976 V., reportage de XUE Li, « Le Ministère du Commerce resserre le contrôle sur les investissements étrangers au marché immobilier (Shangwubu yankong waishang touzi fangdichan) », le 3 mars 2007, disponible sur le site http://news.xinhuanet.com/house/2007-03/23/content_5885790.htm, consulté le 26 mai 2008. 1977 La municipalité de Pékin a suspendu cette règlementation de 2007 qui imposait notamment aux étrangers de vivre à Pékin depuis plus d’un an pour pouvoir acheter un bien immobilier, à condition d’en être les occupants principaux et de n’acquérir qu’un seul bien. Ainsi, quinze mesures publiées conjointement par neuf départements locaux, dont le comité municipal de construction, la commission du développement et de la réforme, et le département des finances de Beijing, prévoient que ces restrictions concernant la résidence et les types de logement pour les acheteurs expatriés sont supprimées à Beijing pendant toute l’année 2009. V., reportage de l’Agence de presse Xinhua, « Beijing lève les restrictions sur l'achat de biens immobiliers par les étrangers », 24 janvier 2009, disponible sur le site http://www.french.xinhuanet.com/french/2009-01/24/content_804922.htm, consulté le 2 mars 2009.

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acheter qu’un seul et unique bien immobilier pour faire office de bureau et ce bien

immobilier doit obligatoirement se situer dans le lieu d’enregistrement de la personne

morale ; de même, une personne physique ne peut acheter qu’un seul et unique bien

immobilier pour son propre usage et à son propre nom. L’achat d’un bien immobilier

pour le louer à un tiers est interdit. Malgré ces contraintes à l’acquisition des biens

immobiliers par les étrangers, une comparaison menée par des praticiens est révélatrice

du degré de libéralisation du régime chinois –par rapport à beaucoup d’autres pays

connaissant une transition économique– qui favorise une égalité nouvelle entre acteurs

locaux et internationaux au bénéfice de ces derniers1978.

Sous-section II. – La consolidation de la mise en oeuvre des garanties du

droit de propriété

640. - L’application uniforme du droit, le principe de transparence et le contrôle

judicaire des actes administratifs sont les engagements les plus fondamentaux que la

Chine a pris lors de son accession à l’OMC. Alors que ces principes sont envisagés

sous l’angle de l’administration du régime commercial, des réformes entreprises par le

gouvernement central semblent s’étendre bien au-delà du domaine commercial et

toucher l’ensemble du système juridique. Les garanties du droit de propriété peuvent

être améliorées à travers l’adoption de certaines mesures de réforme. Parmi les

mesures qui ont été récemment adoptées, il faut notamment retenir les travaux

normatifs menés par le CAE visant à assurer l’application uniforme des règles de droit

(§ 1) et qui peuvent renverser la tendance à l’atténuation des compétences législatives

en matière de droit de propriété, et ce, en réduisant la puissance du pouvoir législatif

local. De même que cette restriction apportée au pouvoir normatif local, le pouvoir

administratif se voit également encadrer par le principe de transparence (§ 2). Ce

dernier a été également accepté comme l’un des principes directeurs des organes

judiciaires qui doivent mieux remplir leur fonction consistant à apporter des recours 1978 À titre d’exemple, la Pologne maintient un régime d’autorisation pour les acquisitions de terrains par les ressortissants non communautaires et la Turquie interdit quant à elle les acquisitions par des étrangers de surfaces supérieures à 2,5 hectares. V., cabinet d’avocat Gide Loyrette Nouel, Le lettre : actualité du droit chinois, n° 21, 2007, p. 3.

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efficaces en cas d’atteintes aux droits légalement protégés. Toutes ces mesures

traduisant différents aspects du principe de légalité sont susceptibles de constituer une

source dynamique s’agissant de la consolidation de la mise en oeuvre des garanties du

droit de propriété.

§ 1. – L’application uniforme des règles de droit

641. - Avant même qu’elle n’accède à l’OMC, la Chine fut saisie du problème de

l’application uniforme du droit. De multiples mesures furent déployées par le

gouvernement central pour répondre aux inquiétudes des membres du Groupe de

travail qui considérèrent que la multiplication des niveaux administratifs fit obstacle à

la sécurité et à la prédictibilité du marché1979. En plus du mécanisme de contrôle établi

par la loi de 2000 sur l’élaboration des normes juridiques pour assurer la

hiérarchisation du système juridique1980, le recensement des textes normatifs dirigé par

le gouvernement central semble être une solution relativement plus efficace concernant

l’application uniforme des règles de droit en privant les textes normatifs illégaux

émanant des autorités inférieures de tout effet juridique1981. Les travaux menés pour la

mise en ordre des textes normatifs (A) –qui s’inscrivent dans le contexte plus large de

la rationalisation du droit chinois– peuvent avoir une influence positive sur la

protection de la propriété (B). 1979 V., Leïla CHOUKROUNE, « L’internationalisation du droit chinois des affaires : une première évaluation des conséquences juridiques de l’accession de la Chine à l’OMC », Revue de droit des affaires internationales, n°5, 2003, pp. 510 à 512. 1980 Selon certains auteurs, la loi de 2000 sur l’élaboration des normes juridiques prévoit d’importantes modifications dans la répartition des compétences législatives entre l’autorité centrale et les autorités locales telles qu’elles sont définies par la Constitution 1982. Il en résulte que, si aucune révision constitutionnelle n’est venue institutionnaliser ces nouvelles compétences, la loi de 2000 devrait être inapplicable, parce qu’anticonstitutionnelle. V., Stéphanie BALME, « Juridicisation du politique et politisation du juridique dans la Chine des réformes (1978-2004) », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL, La Chine et la démocratie, op. cit., p. 607. 1981 Selon le gouvernement chinois, avant et après son accession, la Chine a systématiquement remanié ses lois, règlements et décrets ministériels pour les rendre conformes aux règles de l’OMC et à ses engagements d’accession. Entre la fin de l’année 1999 et la fin de l’année 2005, le gouvernement central a adopté, révisé ou abrogé plus de 2000 lois, règlements administratifs et décrets ministériels. V., OMC, Examen des politiques commerciales, Rapport de la République Populaire de Chine, document précité, point 45.

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634

A. – Les travaux de mise en ordre des textes normatifs

642. - Depuis 2007, la mise en ordre des règlements et des arrêtés dirigée par le

CAE (1) et celle des lois menées par l’APN (2) sont deux phénomènes relatifs aux

efforts de normalisation des textes normatifs. En effet, la prolifération des lois, des

règlements et d’autres textes normatifs n’a suscité pas moins des contradictions entre

certains textes normatifs. Le décalage entre la réforme et la législation formelle fait

aussi tomber en désuétude certains textes normatifs. Les travaux de mise en ordre, qui

font partie des efforts pour compléter la construction du système juridique chinois,

peuvent renforcer le principe de légalité selon les exigences de l’État de droit.

(1). – La mise en ordre des règlements et des arrêtés

643. - En 2007, la mise en ordre des règlements et des arrêtés (fagui guizhang qingli)

a été relancée comme constituant l’un des travaux prioritaires du gouvernement

central1982. La mission principale du CAE dans ces travaux consiste à modifier ou à

abroger les règlements qui sont en conflit avec les règles législatives d’une part, et,

d’autre part, à surveiller la mise en ordre des arrêtés par les ministères, les

commissions nationales du CAE et les autorités locales d’échelon provincial. Les

travaux de mise en ordre comportent premièrement, l’annulation des arrêtés qui sont en

conflit avec des lois ou des règlements administratifs, l’abrogation des règlements dont

les dispositions ont déjà été « remplacés » par des lois –il s’agit des cas dans lesquels

les dispositions d’un règlement adopté à titre expérimental fut assimilées à une loi

nationale ultérieurement adoptée qui traite les mêmes matières dudit règlement, et

l’abrogation des règlements et des arrêtés qui ne sont plus compatibles avec les

règlements ou les arrêtés ultérieurs. Deuxièmement, l’abrogation des arrêtés

« archaïques » désignant ceux qui deviennent sans objet ou caducs rationae temporis.

Troisièmement, la modification des articles des arrêtés qui sont en conflit avec les

normes de hiérarchie supérieure. Quatrièmement, la notification des conflits éventuels

1982 CAE, Avis sur la mise en ordre des règlements et des arrêtés, Communiqué Guobanfa (2007) 12, 25 février 2007.

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635

entre les arrêtés locaux et les arrêtés ministériels au CAE pour que ce dernier tranche

les conflits en question. Selon l’indication du CAE faite en 2007, la mise en ordre des

règlements locaux et des arrêtés devrait être achevée à la fin de l’année 2007 ; les

règlements locaux, les arrêtés ministériels et locaux abrogés, annulés ou modifiés

devraient être soumis à la collection du CAE qui la publierait au cours de l’année 2008.

Par le décret n° 516 en date du 15 janvier 2008, le CAE a publié la liste des règlements

annulés ou abrogés. La publication de cette liste marque aussi la fin des travaux de

mise en ordre des règlements administratifs1983. Les travaux de mise en ordre ont

touché 13 000 règlements et arrêtés concernant l’ensemble des règlements

administratifs du CAE, les arrêtés ministériels adoptés par les ministères ou les

commissions nationales sous la direction du CAE, les règlements locaux adoptés par

les assemblées populaires locales d’échelon provincial et les arrêtés adoptés par les

gouvernements municipaux d’échelon provincial et les municipalités de grandes villes.

Selon CAO Kangtai, directeur de l’Office des affaires juridiques du CAE (guowuyuan

fazhi bangongshi), l’objectif des travaux de mise en ordre a été d’améliorer la

cohérence et la transparence des normes administratives afin de répondre à l’exigence

de soumettre les pouvoirs administratifs aux règles de droit (yifa xingzheng), ainsi que

de promouvoir la qualité des travaux réglementaires menés par le gouvernement, en

invitant les citoyens à participer à l’élaboration des règles de droit administratif1984

comme le veut la mesure de « portes ouvertes ».

(2). – La mise en ordre des lois

644. - Selon le plan de travail de la Commission des travaux législatifs du Comité

permanent de l’APN et du Comité des lois de l’APN, les mesures de mise en ordre des

lois en vigueur ont été lancées en 2008 et dureront jusqu’en 20101985. La vice-directrice

1983 CAE, Décision sur la suppression de certains règlements administratifs, décret n° 516, 15 janvier 2008. 1984 V., reportage de ZI Xiuchun, « Fagui guizhang qingli (La mise en ordre des règlements et arrêtés) », disponible sur le site http://npc.people.com.cn/GB/5528603.html, consulté le 3 juin 2008. 1985 V., reportage de YANG Weihan, « Falüwei fagongwei kaizhan dui xianxing falü qingli gongzuo (La Commission des lois et le Comité législatif de l’APN lance les travaux de mise en ordre des lois en

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636

de la Commission des travaux législatifs, XIN Chunying, a bien relevé que les travaux

législatifs entrepris depuis des années par le Comité permanent de l’APN sont

parvenus à établir le cadre fondamental du système juridique chinois. Dans ce contexte,

la priorité doit se déplacer vers des travaux législatifs concernant la mise à jour des lois

déjà adoptées, que ce soit en les modifiant, en les améliorant ou en les abrogeant selon

les cas. L’objectif de mise en ordre des lois en vigueur est d’assurer la cohérence et

l’uniformité du droit chinois. En cas de besoin, la compilation des lois qui sont jugées

complètes et matures sous une forme codifiée constitue l’une des méthodes préférées

pour mette en ordre des dispositions législatives1986. Les bénéfices escomptés de la

mise en ordre des lois sont la résolution de nombreux problèmes actuels. Il s’agit de

recenser et de modifier les dispositions législatives qui sont devenues désuètes par

rapport aux circonstances actuelles, ainsi que de supprimer les conflits entre les lois qui

font obstacle à l’application des règles de droit. Il faut souligner que la mise en ordre

des lois doit s’effectuer par l’application de la loi sur l’élaboration des normes

juridiques. Cela sera peut-être de nouvelles occasions pour que les citoyens puissent

participer au contrôle des lois prévu par la loi de 2000 sur l’élaboration des normes

juridiques1987. Le recours à la loi de 2000 sera réactivé dans la pratique, ce qui

contribuera par conséquent à l’amélioration de la qualité des lois en Chine.

B. – L’influence de la mise en ordre des textes normatifs sur la

protection de la propriété

645. - La mise en ordre des textes normatifs est utile pour assurer l’application

uniforme des règles de droit relevant de la protection de la propriété, notamment par la

recentralisation des pouvoirs normatifs, étant donné que les textes normatifs issus des

autorités locales constituent souvent la cause principale des disparités concernant la vigueur) », Fazhi ribao (Legal Daily), 1er août 2008. 1986 XIN Chunying, « Lifafa he quanguorenda de lifa gongzuo (La loi sur l’élaboration des normes et les travaux législatifs du Comité permanent de l’APN) », présentation au sein du Comité permanent de l’APN et des commissions spéciales du Comité permanent de l’APN, le 30 avril 2008, disponible sur le site http://npc.people.com.cn/GB/7185505.html, consulté le 20 août 2008. 1987 ZHAI Feng, «Falü qiangli yingyu minyi tongxing (La mise en ordre des lois doit tenir compte des opinions publiques)», Jiancha ribao (Procuratorial Daily), 4 juillet 2008.

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637

mise en oeuvre de la législation nationale au niveau local (1). La mise en ordre des lois

sous l’égide de l’APN pourrait initier des travaux de codification afin de mettre en

cohérence de nombreuses lois en vigueur concernant le droit de propriété (2).

(1). – La recentralisation des pouvoirs normatifs en matière de droit de propriété

646. - La mise en ordre des textes normatifs traduit la volonté du gouvernement

central de rétablir la hiérarchie du système juridique. En matière de droit de propriété,

la mise en ordre des textes normatifs peut renverser la tendance à la dilatation de la

compétence normative des autorités locales, déjà constatée en ce qui concerne la mise

en oeuvre des garanties législatives1988. Par exemple, dans la concession du droit

d’usage du sol appartenant à l’État, des arrêtés locaux avaient la capacité de faire

adopter des règles manifestement incompatibles avec les lois et les règlements

nationaux. C’était bien là la source de l’insécurité juridique pour les concessionnaires

domestiques mais aussi étrangers. Dans un cas typique de cette insécurité juridique, M.

Peter Howard CORNE a indiqué que l’arrêté municipal de Shanghaï avait bien permis

aux entreprises d’État chinoises d’apporter leurs droits d’usage du sol qu’elles avaient

obtenus à titre gratuit par une attribution de l’État, au capital d’un joint-venture, alors

que le Règlement provisoire sur la concession et l’attribution du droit d’usage du sol

appartenant à l’État adopté par le CAE exclut en principe du commerce le droit

d’usage du sol appartenant à l’État et établi par une attribution dispensée à titre

gratuit1989. La constatation des praticiens de droit a aussi illustré l’insécurité juridique

résultant de l’incompatibilité des règles locales avec les règles nationales : « il est

indispensable pour les investisseurs étrangers désirant sécuriser une exploitation

industrielle du terrain, de déterminer avec exactitude l’autorité compétente susceptible

de leur octroyer un droit d’usage concernant le terrain convoité. Or, les

gouvernements locaux, dans leur recherche permanente de fonds destiné à financer des

projets de développement et à asseoir leur politique d’attraction des investissements

1988 V., supra, n° 221 et s. 1989 Peter Howard CORNE, « Creation and application of law in China », 50 Am. J. Comp. L. 369, p. 400.

Page 646: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

638

étrangers, ont souvent concédé à des investisseurs étrangers ou à des développeurs

chinois des droits d’usage en contradiction avec les procédures de planification

nationales, grâce à des arrangements avec les bureaux locaux d’administration des

terrains »1990. Ainsi, les travaux de mise en ordre des règlements et des arrêtés

entrepris sous l’égide du gouvernement central peuvent mettre fin à la situation dans

laquelle les investisseurs étrangers ont acquis le droit d’usage du sol grâce aux

gouvernements locaux qui eux-mêmes n’en disposaient pourtant pas à titre légal1991.

647. - Certes, il faut souligner que la mise en ordre des règlements administratifs

locaux et des arrêtés locaux a été confiée aux assemblées populaires locales et aux

municipalités compétentes. Il est donc très vraisemblable que les règlements

administratifs locaux ou les arrêtés locaux –en vertu desquels se fait la concession du

droit d’usage du sol appartenant à l’État– qui ne sont pas conformes aux normes

juridiques nationales ne soient pas volontairement écartés par les autorités locales. De

surcroît, alors que le gouvernement central encourage la participation des citoyens à la

mise en ordre des textes normatifs nationaux et locaux, les concédants et les

concessionnaires –les personnes les plus directement concernées par ces travaux– ne

veulent pas voir que le bien fondé de la base juridique de leur droit d’usage du sol est

mis en cause afin de préserver leurs propres intérêts, faute de disposer d’une garantie

avec le principe de non-rétroactivité. Il en résulte que l’incompatibilité des règles

locales avec les règles nationales peut rester toujours d’actualité, même après les

travaux de la mise en ordre des textes normatifs. Cependant, la possibilité d’annulation

des textes locaux par l’autorité centrale est bien réelle à cause de la loi de 2000 sur

l’élaboration des normes juridiques. Il est donc judicieux pour les autorités locales de

s’aligner sur les règles nationales pour obtenir le bénéfice de la sécurité juridique

concernant les transactions relatives à la concession du droit d’usage du sol et qui

entrent désormais dans le domaine de surveillance prioritaire de l’autorité centrale.

1990 Olivier DUBUIS, « Vers une clarification des conditions d’acquisition d’un terrain en Chine par les investisseurs étrangers », op. cit., p. 51. 1991 OCDE, « The OECD welcomes policy advances at China’s 2007 National People’s Congress session », disponible sur le site http://www.oecd.org/dataoecd/20/12/38309228.pdf, consulté le 3 juin 2008.

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639

(2). – La prospective de codification en matière de droit de propriété

648. - En plus de la loi sur les droits réels promulguée en 2007, de nombreuses

autres lois comportent des règles de droit des biens. Par exemple, dans les principes

généraux du droit civil adoptés en 1986, le chapitre V, dans sa première section,

comporte les dispositions relatives au droit de propriété et aux droits patrimoniaux

relevant du droit de propriété. La loi sur les sûretés adoptée en 1995 comporte des

dispositions relatives aux sûretés réelles. Pour résoudre la question de savoir comment

considérer la relation entre les principes généraux du droit civil, la loi sur les sûretés et

la loi sur les droits réels, la Cour populaire suprême est en train d’élaborer un avis

d’interprétation judiciaire afin de donner les guides concernant l’application des lois du

droit des biens. Mais il ne s’agit que d’une mesure de pis-aller. Car, en plus des lois de

nature civile, le droit de propriété est aussi influencé par les dispositions législatives de

nature administrative. C’est notamment le cas du droit foncier : la loi sur

l’administration du sol, la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural, ainsi que la loi

sur l’administration des biens immobiliers dans les zones urbaines, toutes contiennent

les dispositions relatives à la concession du droit d’usage du sol et celles relatives à

l’expropriation. Les règles législatives applicables à la propriété publique prévues par

lesdites lois et une série de textes réglementaires, à laquelle s’ajoute l’élaboration du

projet de loi sur les actifs d’État1992 ne peuvent que brouiller davantage le diaporama

des sources juridiques du droit de propriété. La multiplicité et la complexité des

sources législatives exigent un travail de systématisation conséquent qui ne peut que se

réaliser dans le cadre de la mise en ordre des lois. La codification conçue comme une

compilation des normes législatives déjà existantes concernant les sujets déterminés

semble être une solution susceptible d’apporter un renfort à l’application uniforme du

droit des biens sur le plan interne.

1992 V., Comité permanent de l’APN, Le plan des travaux législatifs 2008, adopté par la 2e réunion des présidents du Comité permanent du XIe APN, le 15 avril 2008. La loi sur les actifs d’État des entreprises est promulguée le 28 octobre 2008.

Page 648: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

640

§ 2. – L’application du principe de transparence

649. - Permettre aux informations du gouvernement d’être accessibles aux citoyens

(A) et rendre publiques les activités judiciaires des cours et des tribunaux populaires (B)

sont des mesures politiques témoignant de l’application concrète d’un principe de

transparence qui ne se cantonne plus au domaine commercial et devient favorable à

l’amélioration de la mise en oeuvre des garanties du droit de propriété.

A. – L’accessibilité des informations gouvernementales

650. - Considérant que l’instrument juridique pour la protection du droit à

l’information des citoyens est un pas vers la démocratie1993, le Règlement sur la

publication des informations gouvernementales (zhengfu xinxi gongkai) a été adopté

par le CAE le 5 avril 2007, entrée en vigueur le 1er mai 2008. Son principe est le

suivant : les gouvernements des différents échelons doivent obligatoirement rendre

accessibles, d’après les mesures adoptées par le Règlement de 2007, toutes les

informations concernant les intérêts des citoyens, des entités et des organisations

sociales, celles relevant de la participation du public et celles concernant l’organisation,

la mission et les modalités du fonctionnement des organes administratifs, ainsi que

d’autres informations dont la publication est prévue par les lois et règlements1994. Des

exceptions existent cependant, puisque les informations que détiennent les autorités

gouvernementales sont susceptibles d’échapper au principe de transparence, ainsi

celles relevant du secret d’État, du secret commercial ou de la vie privée des citoyens.

Néanmoins, les autorités gouvernementales peuvent rompre la nature confidentielle de

telles informations si l’intérêt public en exige la publication1995. Les individus, les

personnes morales et les organisations sociales ont le droit d’accéder aux informations

sur demande écrite. Il s’agit en effet d’un droit à l’information gouvernementale plus

large que la simple consultation des documents administratifs. En cas d’atteinte des 1993 BAI Jianfeng, « Transparence comme principe, confidentiel comme exception (Gongkai shi yuanze, bu gongkai shi liwai) », Quotidien du peuple (Renmin ribao), 30 avril 2008. 1994 V., article 9 du règlement sur la publication des informations gouvernementales. 1995 V., article 14, alinéa 4 du règlement sur la publication des informations gouvernementales.

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641

autorités administratives au droit d’accès à l’information, les individus, les personnes

morales et les organisations sociales concernées peuvent demander une révision

administrative ou intenter un litige administratif devant les tribunaux populaires1996.

Ledit Règlement précise également les formes, les modalités et le respect de

calendriers relatifs à la publication des informations gouvernementales. Selon le

Règlement de 2007, les informations gouvernementales concernant la mise en oeuvre

des garanties du droit de propriété sont donc accessibles aux citoyens (1). Avec

l’adoption en 2007 de la loi sur la planification urbaine et rurale, l’application du

principe de transparence s’étend désormais à l’élaboration des plans urbain et rural en

introduisant la phase d’enquête menée auprès de l’opinion publique (2).

(1). – Les informations gouvernementales concernant la mise en oeuvre des garanties

du droit de propriété

651. - L’utilité du principe de transparence à la protection du droit de propriété a été

soulignée par certains auteurs. Ainsi, Pitman B. POTTER a constaté que l’application

du principe de transparence exige la clarification de l’administration du droit d’usage

du sol, notamment en ce qui concerne les règles d’enregistrement des droits

immobiliers, et celles relatives à l’exercice et la disposition du droit d’usage du sol ; en

matière de propriété intellectuelle, le principe de transparence exige que les titulaires

des droits de propriété intellectuelle se voient davantage conférer un droit d’accès aux

voies de recours afin de faire respecter leurs droits1997. Cependant, il faut constater que

le Règlement de 2007 énumère de manière plus précise, outre les règles générales

définissant l’étendue des informations auxquelles s’applique le principe de

transparence, les informations « clés » qui doivent être publiées d’office en temps utile

par les autorités gouvernementales de différents échelons ou sur la demande des

citoyens. L’énumération des informations clés traduit bien l’intention qu’a le

gouvernement central de mieux répondre aux attentes actuelles des citoyens dans de

1996 V., articles 20, 33 du règlement sur la publication des informations gouvernementales. 1997 Pitman B. POTTER, « The legal implications of China’s accession to the WTO », The China Quarterly, 2001, p. 605.

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642

nombreux domaines où leurs droits et leurs intérêts sont en jeu. Parmi les informations

clés figurent celles qui ont plus ou moins trait à l’exercice du droit de propriété,

notamment à propos des travaux publics, des mesures d’expropriation et de

planification urbaine, etc. Selon le Règlement de 2007, les gouvernements locaux

appartenant aux échelons du district ou supérieurs doivent rendre public dans le délai

déterminé les autorisations et les exécutions des projets relatifs aux travaux de

construction. Les municipalités qui se divisent en arrondissement et les gouvernements

de district doivent rendre public les informations en matière d’expropriation ou de

réquisition, de démolition des bâtiments dans des zones urbaines, ainsi qu’en ce qui

concerne la distribution et l’utilisation des indemnités et des subventions. Les cantons

et communes doivent rendre publics les mesures de planification générale de

l’utilisation du sol et d’utilisation du sol collectif pour la construction d’habitations des

paysans, ainsi que le montant des ressources, des dépenses budgétaires et les fonds

spéciaux qui comportent, entre autres, les primes concernant la concession du droit

d’usage du sol public1998. La transparence des mesures gouvernementales peut être

appréciée car elle apparaît comme une limite imposée à l’autorité compétente quant à

l’administration et la gestion du sol public, notamment en ce qui concerne la gestion

des primes de la concession du droit d’usage du sol qui constituent autant de sources

financières permettant d’indemniser les personnes concernées par des mesures

d’expropriation1999. À cet égard, l’adoption dudit Règlement de 2007 traduit la volonté

du gouvernement central de fournir aux citoyens un instrument par lequel ils peuvent

désormais exercer plus efficacement leur droit à l’information, ce qui permet par

conséquent la mise en place d’une surveillance par le peuple des mesures prises par les

membres du gouvernement local en matière d’expropriation2000. L’application du

principe de transparence est utile pour prévenir les détournements des fonds spéciaux

destinés aux indemnisations en cas d’expropriation, d’autant plus que l’illégalité de la 1998 Articles 10, 11 et 12 du Règlement sur la publication des informations gouvernementales. 1999 Wu Ruidong, « Les mille milliards de primes pour la concession du droit d’usage du sol étatique devraient être rendues public (Wanyi tudi shiyongquan churangjin tongtu yingyang gongzhong gongkai)», China Youth Daily (Zhongguo qingninabao), 23 avril 2008, p. 7. 2000 V., reportage sur l’interview du responsable de l’Office des travaux législatifs du CAE concernant certaines questions relatives au règlement de la publication des informations gouvernementales, disponible sur le site http://www.gov.cn/zwhd/2007-04/24/content_593213.htm, consulté le 4 juin 2008.

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643

gestion des ressources financières provenant de la concession du droit d’usage du sol

étatique et de l’utilisation des primes de la concession du droit d’usage du sol à

l’indemnisation a été une situation préoccupante d’après les conclusions de l’enquête

menée par le Bureau National d’Audit2001.

(2). – L’extension du principe de transparence à la planification urbaine et rurale

652. - La planification urbaine et rurale entretient une relation importante avec le

droit foncier dans la mesure où l’attribution à titre gratuit du droit d’usage du sol, la

concession du droit d’usage du sol étatique, l’expropriation du sol collectif,

l’aménagement territorial ainsi que les travaux publics qui peuvent directement

concerner l’exercice des droits immobiliers par les citoyens –le cas par excellence étant

la démolition des bâtiments dans le cadre du renouvellement urbain–, sont encadrés

dans les plans urbain et rural. La loi de 2007 sur la planification urbaine et rurale

distingue le plan systématique2002, le plan urbain, le plan de la commune, le plan du

canton rural, et le plan du village en fonction des divisions territoriales administratives,

tout en établissant le régime d’approbation du plan local d’une autorité inférieure par

une autorité supérieure. Le plan urbain et le plan de la commune se subdivisent en plan

général et en plan détaillé en fonction de leurs objets d’orientation ou de la nature des

opérations en question. La participation publique à l’élaboration des plans urbain et

rural a été affirmée comme un principe selon lequel l’avis public doit être sollicité

avant que le plan ne soit approuvé par l’autorité supérieure. L’enquête publique peut

prendre diverses formes telles que la conférence d’expertise, l’audience publique ou

d’autres moyens de communication pour faire entendre les opinions des experts ou des

personnes concernées. Un préavis doit être publié au moins trente jours avant la tenue

de l’enquête publique ; les autorités qui dirigent l’élaboration du plan doivent indiquer,

dans le dossier présenté à l’autorité supérieure pour l’approbation, les informations

2001 Office national d’audit, Résultat de l’audit sur les primes de la concession du droit d’usage du sol étatique, Communiqué n° 4, 4 juin 2008. 2002 Le plan systématique concernant l’ensemble du territoire national est rédigé par le CAE, le plan systématique sur le territoire provincial est rédigé par le gouvernement provincial qui est soumis à l’approbation du CAE. V., articles 12 et 13 de la loi 2007 sur la planification urbaine et sociale.

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644

concernant la réception des avis du public et les explications de motifs2003. Il faut

cependant insister sur un point. Alors qu’en vertu de la loi de 2007 sur la planification

urbaine et rurale, le résultat de l’enquête publique n’est pas décisif à l’adoption du plan,

une exception importante est cependant prévue à l’égard du plan du village : l’article

22 de la loi de 2007 dispose sans équivoque que le plan du village doit être

préalablement soumis au consentement du comité des villageois ou des représentants

des villageois, avant d’être soumis à l’approbation de l’autorité supérieure.

653. - La participation du public à l’élaboration des plans urbain et rural est un

progrès concernant le respect du principe de transparence, étant donné qu’auparavant

la rédaction du plan était pratiquement considérée comme relevant du secret et ne

donnait une opportunité de participation qu’aux promoteurs immobiliers. Ce fait a été

l’origine de nombreuses opérations inéquitables 2004 . Certes, la participation des

citoyens dans le cadre des enquêtes publiques n’a pas abouti à soumettre totalement les

mesures de planification des autorités locales à l’approbation de l’opinion publique,

puisque l’adoption du plan dépend au final de l’approbation de l’autorité supérieure.

Mais cela ne revient pas pour autant à dire que la participation publique joue un rôle

négligeable dans la pratique. En témoigne le projet de construction dans la ville de

Xiamen d’installations industrielles fabricant des produits chimiques. Ce projet fut gelé

au motif de la nuisance à l’environnement et à la santé des habitants locaux. Dans cette

affaire, les habitants locaux estimaient que le projet de construction présenterait une

menace pour leur santé et leur sécurité en raison de la nature dangereuse des produits

chimiques, et ainsi ont manifesté leur objection en mobilisant les députés de la

conférence consultative politique locale du peuple chinois. La municipalité de Xiamen

fut sensibilisée par la manifestation du mécontentement des habitants locaux et

suspendit la poursuite de la réalisation du projet2005. On observe que l’affaire relève

non seulement d’un mouvement du peuple au niveau local pour la protection de

2003 V., article 26 de la loi sur la planification urbaine et rurale. 2004 V., Gregory M. STEIN, « Acquiring land use rights in today’s China: a snapshot from on the ground », 24 UCLA Pac. Basin L.J. 1, p. 47. 2005 V., reportage de GUO Hongpeng, « Le gouvernement est contraint d’adopter la décision démocratique par le projet PX (PX xiangmu ‘bi’ zhengfu zou minzhu juece lu) », disponible sur le site http://env.people.com.cn/GB/6682468.html, consulté le 10 juin 2008.

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645

l’environnement mais aussi de la planification urbaine, car le projet de construction des

installations industrielles chimiques s’inscrit dans le cadre du plan urbain de la

municipalité de Xiamen, puisque ce projet fut conçu comme un élément essentiel des

stratégies locales de développement économique. Il est intéressant d’observer que les

habitants de cette localité furent informés des détails du projet de construction par un

SMS dont l’auteur est toujours inconnu. Avec l’entrée en vigueur de la loi de 2007 sur

la planification urbaine et rurale, les citoyens auront d’avantage accès aux informations

et par conséquent auront plus de facilité pour mener des actions dans le but de protéger

leurs droits et leurs intérêts propres. À cet égard, la participation publique à

l’élaboration des plans urbains et ruraux offre un nouvel instrument dans le cadre de la

lutte pour la reconnaissance de droits politiques et sociaux, y compris bien entendu le

droit de propriété.

B. – Le renforcement de la transparence des activités judiciaires

654. - Pour répondre à la politique du PCC relative à la construction d’une société

harmonieuse2006, la Cour populaire suprême a adopté des avis directeurs concernant la

transparence des activités judiciaires en 20072007. L’objectif est de rendre perceptible

l’efficacité de la justice et de recueillir la confiance populaire en l’autorité judiciaire.

Une série de mesures visant à concrétiser davantage la transparence du traitement des

contentieux par les cours et les tribunaux de différents échelons est en cours

d’élaboration (1). Mais il reste à nuancer l’utilité de ces mesures concernant la mise en

oeuvre des garanties du droit de propriété (2).

(1). – Les mesures pour renforcer la transparence du traitement des contentieux

2006 Cf., Comité central du PCC, Résolution sur la construction d’une société d’harmonie socialiste (Zhonggong zhongyang guanyu goujian shehui zhuyi hexie shehui ruogan zhongda wenti de jueding), 11 octobre 2006, 6 session plénière du XVIe du PCC. 2007 Cf., Cour populaire suprême, Avis de ligne directrice sur le renforcement de la transparence des activités judiciaires des tribunaux (Guanyu jiaqiang renmin fayuan shenpan kongkai gongzuo de ruogan yijian), 4 juin 2007.

Page 654: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

646

655. - La transparence des activités judiciaires est une notion plus large que celle

contenue dans le principe de publicité. Mais cette transparence exige que le principe de

publicité soit plus strictement respecté dans le traitement des affaires judiciaires par les

tribunaux et les cours populaires. Selon l’avis directeur de la Cour populaire suprême,

les procédures judiciaires doivent être ouvertes au public en vertu de la loi, en temps

utile et sans réservation, pour répondre au besoin de la protection du droit à

l’information des parties au contentieux2008. L’avis directeur a précisé davantage les

règles relatives aux sessions publiques. Les juges sont obligés de mieux expliquer leurs

motifs concernant les décisions qu’ils ont prises dans des affaires concrètes ; la

couverture médiatique du déroulement des affaires est possible avec l’autorisation des

cours supérieures de niveau provincial ; les cours et tribunaux doivent organiser

l’audience publique afin de résoudre les problèmes où les procédures applicables ne

sont pas clairement prévues par la loi, afin de mieux respecter les droits et les intérêts

des parties. L’avis directeur a proposé que les procédures devant les cours et tribunaux

locaux soient enregistrées par des outils audiovisuels afin de permettre leur

consultation par les parties aux affaires. Selon l’avis directeur, les juges doivent

prendre soin de l’ « image » –expression utilisée par l’autorité chinoise pour décrire la

réputation de la justice– en respectant la déontologie exigée par leur fonction. Comme

la canalisation des griefs et des mécontentements des citoyens est l’une des fonctions

imparties aux organes judiciaires chinois2009, le principe de transparence des activités

judiciaires est un moyen permettant aux citoyens de mieux exercer leur droit à un

procès judiciaire équitable et de réduire le caractère discrétionnaire du fonctionnement

des organes judiciaires. Toutefois, dans un contexte où les bornes imposées à la

compétence et aux pouvoirs de l’autorité judiciaire ne sont pas encore

significativement levées, l’effectivité du principe de transparence ne peut qu’être

compromise dans la pratique. D’autant plus que l’avis directeur s’agit simplement d’un

document d’orientations dont la mise en oeuvre incombe aux cours et tribunaux locaux

en fonction de leurs capacités concrètes.

2008 V., XIAO Yang, Rapport d’activités de 2007 de la Cour populaire suprême, présenté devant la première session plénière de la XIe APN, 10 mars 2008. 2009 V., Benjamin L. LIEBMAN, « China’s courts: restricted reform », 21 Colum. J. Asian L. 1, p. 34.

Page 655: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

647

(2). – L’utilité de la transparence judiciaire et sa limite concernant la mise en oeuvre du

droit de propriété

656. - L’utilité de la transparence des activités judiciaires est relativement plus

pertinente quant à la protection des droits de propriété intellectuelle au regard des

exigences de l’Accord sur les ADPIC. En effet, le principe de transparence est prévu

par l’article 63 de l’Accord sur les ADPIC selon lequel non seulement les lois et

règlements, mais aussi les décisions judiciaires doivent être publiés ou mis à la

disposition du public2010. Cette exigence de publication des décisions judiciaires est

considérée comme inhérente aux obligations générales de faire respecter les droits de

la propriété intellectuelle. Ainsi, « les Membres feront en sorte que leur législation

comporte des procédures destinées à faire respecter les droits de propriété

intellectuelle (...), de manière à permettre une action efficace contre tout acte qui

porterait atteinte aux droits de propriété intellectuelle couverts par le présent accord

(...) »2011. C’est ce but –« permettre une action efficace »– qui exige la publication en

temps utile des décisions judiciaires2012. Or, en réalité, le traitement des affaires

relatives aux atteintes aux droits de propriété intellectuelle est largement critiqué pour

son manque de transparence, au motif qu’en état actuel, les décisions judiciaires en

Chine ne sont pas systématiquement publiées et qu’ainsi les titulaires des droits de

propriété intellectuelle se heurtent souvent à des difficultés concernant l’accès aux

informations utiles sur le recours judiciaire2013. La publication des décisions judiciaires

est particulièrement importante pour les titulaires des droits de propriété intellectuelle

des pays de common law où les décisions judiciaires peuvent être considérées comme

une source de droit. Mais la publication des décisions judiciaires en Chine –selon le

principe de transparence de l’Accord sur les ADPIC, mais aussi en tant qu’elle est

exigée par l’avis directeur de la Cour populaire suprême– se révèle même utile pour les

2010 V., article 63, para. 1er de l’Accord sur les ADPIC. 2011 V., article 41, para. 1er de l’Accord sur les ADPIC. 2012 V., Thomas E. VOLPER, « TRIPS enforcement in China: a case for judicial transparency », 33 Brook. J. Int’l L. 309, pp. 332, 333. 2013 V., Daniel C. K. CHOW, A primer on foreign investment enterprises and protection of intellectual property in China, Kluwer Law International, 2002, pp. 212, 213.

Page 656: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

648

titulaires des droits de propriété intellectuelle qui entendent faire respecter leurs droits

par le recours juridictionnel. Car la transparence des activités judiciaires est favorable à

la prévisibilité des actions juridiques pour la protection des droits de propriété

intellectuelle, comme du droit de propriété au sens large.

657. - L’un des objectifs de l’avis directeur de la Cour populaire suprême est de

rétablir la réputation ou la « bonne image de la justice », tout en exigeant des juges

qu’ils respectent mieux la déontologie de la justice en ce qui concerne leur

comportement et le prestige de leur fonction. En se penchant sur la performance des

juges, l’avis directeur de la Cour populaire suprême a révélé d’une certaine manière le

problème de la crise de confiance que traverse le peuple concernant la fiabilité de

l’autorité judicaire. L’intention de la Cour populaire suprême est de combattre la

corruption des juges par le renforcement des sanctions disciplinaires. Il est vrai que la

lutte contre la corruption peut aider à supprimer les obstacles aux droits des citoyens à

l’accès à la justice2014 et d’ailleurs, les mesures disciplinaires ont prouvé leur efficacité

dans la pratique. Il ne faut toutefois pas négliger le fait que l’intervention de l’autorité

administrative dans le traitement des affaires et le manque d’indépendance des juges

sont aussi les deux causes de la corruption judiciaire2015. L’instrumentalisation de

l’autorité judiciaire par les gouvernements locaux, qui s’illustre par excellence avec le

soutien qu’apportent les tribunaux locaux à l’exécution forcée des projets de

démolition des bâtiments dans des zones urbaines, ne peut qu’entraîner le

mécontentement des citoyens à l’endroit de l’autorité judiciaire. Il en résulte que le

manque d’indépendance de l’autorité judiciaire –qui se traduit concrètement par la

limitation de la compétence et du pouvoir des juges dans le traitement des contentieux

relatifs au droit de propriété– constitue l’obstacle principal à la bonne marche des

mesures visant à renforcer la transparence des activités judiciaires. Il est donc

souhaitable que le renforcement de la transparence des activités judiciaires se tourne

2014 V., C. Raj KUMAR, « Corruption, development and good governance: challenges for promoting access to justice in China », 16 Mich. St. J. Int’l L 475, p. 490. 2015 V., Mei Ying GECHLIK, « Judicial reform in China: Lessons from Shanghai », 19 Colum. J. Asian L. 97, p. 133; aussi, Randall PEERENBOOM, « What we have learned about law and development? Describing, predicting and assessing legal reforms in China », 27 Mich. J. Int’l L. 823, p. 859.

Page 657: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

649

vers l’élargissement de la compétence et la consolidation des pouvoirs du juge en

Chine.

SECTION II. – LES PRATIQUES PROBLÉMATIQUES DANS LA PRISE EN

COMPTE DES NORMES INTERNATIONALES DES DROITS DE L’HOMME

658. - La mise en oeuvre des normes internationales des droits de l’homme en Chine

se caractérise par un certain pragmatisme. Par son approche sélective concernant

l’adhésion à deux Pactes internationaux de droits de l’homme (Sous-section 1), la

Chine s’est contentée d’apporter des améliorations sur la garantie des droits

économiques, sociaux et culturels, au détriment des droits civils et politiques. En plus

de la méconnaissance de l’indivisibilité des droits, le fait que la Chine maintienne

l’application complètement autonome des droits proclamés par les instruments

internationaux de droits de l’homme dans l’ordre juridique interne constitue aussi la

cause principale des problèmes que rencontre dans la pratique la protection de la

propriété (Sous-section 2).

Sous-section 1. – L’approche sélective dans l’adhésion aux Pactes

internationaux portant sur la Déclaration universelle des droits de l’homme

659. - Sans avoir ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la

Chine demeure sélective dans la mise en oeuvre sur le plan interne des droits

proclamés par la Déclaration universelle de 1948. Il est vrai que la Chine a fait bien

des progrès dans le domaine des droits économiques et sociaux2016. Elle a surtout réussi

à réduire la pauvreté de manière plus remarquable que ne l’ont fait d’autres pays en

voie de développement. Ce constat semble favorable à la réalisation du droit à la

propriété. Pourtant, il reste à analyser l’effet pervers de l’approche sélective concernant

la protection de la propriété qui se situe au confluant des droits civils et politiques 2016 V., PNUD, Beyond scarcity: power, poverty and water crisis, Human development report 2006, les statistiques concernant la Chine sont disponibles sur le site http://hdr.undp.org/hdr2006/statistics/countries/data_sheets/cty_ds_CHN.html, consulté le 14 décembre 2006.

Page 658: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

650

d’une part et d’autre part des droits économiques, sociaux et culturels. Car si les droits

civils et politiques ne sont pas garantis dans une société démocratique, la jouissance

des droits économiques, sociaux et culturels ne peut pas non plus être rassurée2017. Il en

est ainsi du droit au logement, qui est typiquement considéré comme étant « le noyau

intangible d’un droit social »2018 et qui continue à pâtir de l’insuffisance des garanties

juridiques, alors même que les pratiques gouvernementales se sont améliorées (§ 1).

Sur un plan plus général, la distinction artificielle des droits de l’homme est renforcée

par la non ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et met

les incompatibilités du droit chinois avec le PIDCP à l’abri d’un éventuel contrôle

extérieur (§ 2). D’où la précarité de la propriété comme droit de l’homme à l’égard de

ses garanties juridiques.

§ 1. – Le changement des pratiques dans la prise en compte du droit au

logement proclamé par le PIDESC

660. - Face aux critiques venant de la communauté internationale et qui reprochent

aux pratiques gouvernementales de méconnaître le droit au logement dans le processus

de renouvellement urbain s’accompagnant de travaux préparatifs à de grands

événements2019, la réponse du gouvernement chinois consistait dans un premier temps

à nier le bien-fondé de ces « accusations » sur la violation des droits proclamés par la

PIDESC. Lors d’une conférence de presse, la porte-parole du Ministère des Affaires

Étrangères indiqua que depuis 2002, la construction pour les jeux de Pékin de neuf des

principaux stades impliquant la destruction de 6 037 foyers ne souleva aucune

objection de la part des habitants concernés étant donné leur soutien au projet des Jeux

Olympiques et qu’aucun d’entre eux ne fut forcé de quitter la capitale chinoise2020. Si

2017 V., Amartya SEN, Development as freedom, Oxford University Press, 1999, p.178. L’auteur observe que la famine n’a jamais eu lieu dans la société démocratique libérale, confirmant ainsi l’indivisibilité entre les droits civils, politiques d’une part et d’autre part les droits économiques, sociaux et culturels. 2018 V., Marco BORGHI, « La détermination juridique du noyau intangible d’un droit social : le droit au logement », in Patrice MEYER-BISCH (éd.), Le noyau intangible des droits de l’homme, Éditions Universitaires Fribourg Suisse, 1991, pp. 125 à 138. 2019 V., supra, n° 565 et s. 2020 Agence de presse Xinhua, « Pas d’expulsion forcée pour les Jeux Olympiques, selon une

Page 659: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

651

cette réponse diplomatique était peu crédible, il faut souligner que le gouvernement

municipal de Pékin a bien ajusté ses mesures concernant la démolition des bâtiments

d’habitation pour le renouvellement urbain, ce qui reflète l’intention du gouvernement

chinois de prendre en considération des normes internationales, quoique de manière

limitative et conjoncturelle, et ce, afin d’apaiser les mécontentements et les critiques.

L’introduction de la phase de concertation publique semble être une avancée dans les

pratiques d’expropriation pour l’intérêt public (A). Encore faut-il souligner la limite

que rencontre cette avancée et qui doit être dépassée par des mesures de réforme (B).

A. – L’introduction de la phase de concertation publique dans la

procédure de démolition

661. - En l’absence des règles de droit définissant les formes de la concertation

publique, le scrutin de vote fut utilisé dans la pratique comme le moyen pour solliciter

les opinions des habitants concernés par la démolition des bâtiments dans des zones

urbaines (1). La valeur juridique de cette forme de concertation publique demeure

toutefois incertaine (2).

(1). – La concertation publique sous forme de scrutin effectué auprès des habitants

662. - En même temps que se poursuivit la construction des stades pour les Jeux

Olympiques de 2008, des programmes de renouvellement urbain se réalisèrent à Pékin.

Parmi les programmes de renouvellement urbain, le projet de la démolition des

bâtiments d’habitations anciennes dans le quartier du Jiuxianqiao fut le plus médiatisé,

non seulement à cause de l’envergure du programme –plus de 5 400 foyers seraient

déplacés– mais surtout du fait que le gouvernement du district du Chaoyang dans la

juridiction de laquelle se trouve le quartier s’attacha à introduire la phase de

concertation publique dans la procédure de démolition sous diverses formes de

participation en vue de permettre aux habitants du quartier d’exprimer leurs opinions,

porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères », 6 juin 2007, disponible sur le site http://french.china.org.cn/news/txt/2007-06/06/content_8349676.htm, consulté le 21 juin 2007.

Page 660: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

652

notamment en ce qui concerne le critère de l’indemnisation. Dans cette affaire, un an

après l’annonce du projet de démolition en 2006, des « négociations » entre le

promoteur immobilier et les habitants du quartier débouchèrent sur l’augmentation

significative du montant des indemnités. Mais les habitants n’arrivèrent pas à l’accord

en ce qui concerne l’indemnisation et par conséquent sur l’exécution du projet de

démolition. Pour sortir de l’impasse, le gouvernement du district du Chaoyang organisa

pour la première fois un scrutin pour déterminer si le projet de démolition seraut ou

non exécuté d’après l’opinion majoritaire des foyers. Le scrutin eut lieu en juin 2007 et

le résultat révéla que plus de 60% des foyers soutinrent le projet de démolition2021.

Néanmoins, deux mois après le scrutin, le gouvernement du district du Chaoyang

adopta une décision selon laquelle le projet de démolition serait reporté pour un an

jusqu’au mois d’août 2008, et ce, sans fournir la moindre explication2022. Cela amène à

la discussion sur la valeur juridique du scrutin comme forme concrète de la

concertation publique dans les procédures des travaux publics.

(2). – La valeur juridique du scrutin comme forme concrète de la concertation publique

663. - Alors même que pour le gouvernement du district du Chaoyang l’opinion

majoritaire des habitants du quartier doit être prise en compte, le critère de la majorité

n’a pas été préalablement indiqué. Dans l’hypothèse où la majorité des habitants serait

contre le projet de démolition, la réponse à la question de savoir si le projet est

définitivement abandonné n’est pas claire non plus. Dans cette dernière hypothèse, le

refus du projet de démolition en tant que résultat du scrutin des habitants mettrait en

cause le pouvoir décisionnaire du gouvernement local en matière de démolition et de

déplacement des foyers. Il faut rappeler qu’en vertu du Règlement d’administration sur

2021 V., reportage de ZUO Ying, « Jiuxianqiao weigai jumin toubiao jieguo gongbu : 60% zancheng weigai chaiqian (Selon le résultat du scrutin des foyers dans le quartier de Jiuxianqiao, 60% des foyers sont pour le projet de démolition) », Beijing wanbao (Beijing Evening News), disponible sur le site http://www.chinanews.com.cn/sh/news/2007/06-12/955858.shtmlle 22 juin 2007. 2022 V., reportage BAI Jiege, ZUO Lin, « Beijing jiuxianqiao chaiqian zaidu yanhou yinian (La démolition du quartier de Jiuxianqiao à Pékin a été encore retardée pour un an) », Xinjingbao (The Beijing News), 29 août 2007.

Page 661: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

653

la démolition des bâtiments dans des zones urbaines, les promoteurs immobiliers

doivent, avant de pouvoir procéder à l’exploitation foncière qui exige la démolition des

bâtiments d’habitations existants, constituer leur dossier devant les départements

gouvernementaux compétents afin d’obtenir les autorisations gouvernementales, y

compris l’autorisation sur la démolition des bâtiments construits sur les terrains

concernés, délivrée sous forme de permis de démolir par le département de

construction auprès du gouvernement local. Toutefois, ledit Règlement n’exige pas,

comme condition préalable à la délivrance des autorisations, que l’accord soit établi

entre les habitants et les promoteurs immobiliers. Il est possible que le gouvernement

local admette, par la délivrance du permis de démolir et des autorisations

administratives, le projet de démolition entrepris par les promoteurs immobiliers, alors

que les habitants concernés refusent a posteriori le projet dans la phase de concertation

publique concrètement par la voie du scrutin de vote. L’introduction de la phase de

concertation publique dans la procédure fait naître la question de savoir comment

concilier l’autorisation gouvernementale et l’opinion publique s’exprimant dans la

concertation. Dans l’affaire de Jiuxianqiao, la valeur juridique du scrutin fut ainsi mise

en cause. Un officier gouvernemental affirma que la démolition des bâtiments pauvres

du quartier du Jiuxianqiao s’inscrit dans le renouvellement urbain dirigé par la

municipalité de Pékin afin d’assurer le confort des habitants concernés, et qu’il ne

s’agit donc pas d’un projet d’exploitation foncière pour but commercial initié par des

promoteurs immobiliers2023. Cela veut dire qu’il n’aurait pas de possibilité pour

qu’avorte le projet de démolition dont la mise en oeuvre n’est plus qu’une question de

temps. Il semble par conséquent que le scrutin fut purement consultatif pour

l’amélioration du programme de renouvellement urbain. Mais le caractère consultatif

du scrutin n’empêche pas que le critère de l’indemnisation fixé par l’initiateur de

l’expropriation soit soumis à l’épreuve de la concertation publique par laquelle les

habitants peuvent exprimer leur mécontentement et faire augmenter les indemnités en

faisant pression sur la personne à l’origine de l’expropriation ainsi que sur le

2023 V., reportage de ZUO Ying, « Jiuxianqiao weigai jumin toubiao jieguo gongbu : 60% zancheng weigai chaiqian (Selon le résultat du scrutin des foyers du quartier de Jiuxianqiao, 60% des foyers sont pour le projet de démolition) », précité.

Page 662: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

654

gouvernement local.

B. – Les limites du changement des pratiques

664. - En l’état actuel, l’introduction de la phase de concertation publique dans

l’exécution du projet de démolition des bâtiments dans des zones urbaines n’est qu’une

avancée dans la pratique. L’utilité de la concertation publique sous forme de scrutin

tient en ce que la question reste ouverte de savoir comment concilier l’opinion

publique et le projet d’expropriation arrêté par le gouvernement local (1). Comme le

résultat de scrutin est de nature purement consultative, il s’ensuit que l’utilité de la

concertation publique reste largement assujettie aux décisions changeantes de l’autorité

publique, liées à la conjoncture. C’est aussi une manière pour lui de gagner du temps

face à la pression que font peser sur lui les critiques tant intérieures qu’extérieures (2).

(1). – La limite de l’utilité de la concertation publique par le scrutin

665. - L’affaire de Jiuxianqiao démontre que les critiques de la communauté

internationale ne sont pas sans incidence sur les mesures prises par le gouvernement

chinois en matière de démolition de logements et de déplacement des habitants.

L’expérience du gouvernement du district du Chaoyang peut être une indication sur le

sens que prendront ultérieurement les pratiques gouvernementales, incluant enfin la

participation des citoyens dans la procédure de décision. L’affaire de Jiuxianqiao a été

considérée comme un progrès de la démocratisation des décisions gouvernementales,

et a par conséquent suscité des débats à propos des limites de la concertation publique

sous forme de scrutin2024. À cet égard, il faut d’abord souligner que si l’opinion des

habitants doit être respectée dans la mesure où le droit fondamental de l’homme à un

logement est mis en cause par des mesures de démolition, le changement de pratique

du gouvernement n’est pas allé jusqu’à reconnaître la valeur décisive du scrutin dont le

2024 V., reportage « Qiufeng, Yangyongheng tan beijing jiuxianqiao ‘toupiao chaiqian’ (Propos de QIU feng et YANG Yongheng sur ‘la démolition par scrutin’ dans l’affaire de Jiuxianqiao pékin) », disponible sur le site http://www.people.com.cn/GB/32306/54155/57487/5874618.html, consulté le 10 juin 2008.

Page 663: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

655

résultat est susceptible de déterminer l’exécution ou l’abandon d’un projet de

démolition. En l’état actuel, le scrutin peut s’assimiler à un processus de négociation

entre les expropriés et l’initiateur des mesures d’expropriation, qui n’a qu’une

influence limitée à la fixation du montant des indemnités. D’autre part, le scrutin n’est

pas à l’abri des reproches de type « tyrannie de la majorité » dans la mesure où il n’est

pas convaincant que l’opinion majoritaire l’emporte sur le droit à l’indemnisation des

individus minoritaires qui réclament des indemnités d’un montant plus élevé que celles

acceptées par la majorité, si par principe tous les habitants sont égaux dans l’exercice

du droit de propriété concernant leur logement. Enfin, il existe une question

incontournable sur le rôle du scrutin dans la démolition des habitations non justifiée

par l’intérêt public. Dans l’affaire de Jiuxianqiao, le scrutin était de nature consultative

étant donné que la démolition des habitations a été inscrite dans le projet de

renouvellement urbain mené par la municipalité de Pékin au nom de l’intérêt général,

alors qu’il existe bien d’autres cas où la démolition des habitations est visée par le

projet d’exploitation foncière entrepris par les promoteurs immobiliers pour but

commercial. Dans cette situation, la démolition des habitations ne se justifie pas par

l’intérêt public. Le principe de libre consentement doit gouverner la procédure de

démolition, et par conséquent, si le scrutin est mis en oeuvre, il doit être décisif. Certes,

la distinction entre les deux caractères distincts du scrutin suppose d’établir une

distinction préalable entre la démolition des bâtiments pour l’intérêt public et celle qui

ne l’est pas. Faute d’intervention effective des autorités judiciaires, la détermination

concernant la justification d’intérêt public demeure soumise à la compétence des

gouvernements locaux. L’utilité du scrutin ne peut donc qu’être réduite, d’autant plus

que des gouvernements locaux ont une attitude complaisante vis-à-vis des promoteurs

immobiliers en leur prêtant des visas d’intérêt public.

(2). – La limite du motif de l’intérêt public mis en avant par le gouvernement dans le

changement de pratique

666. - S’il est vrai que la Chine ne peut plus raisonnablement résister aux pressions extérieures

qui sont fondées –d’autant plus qu’elle veut s’intégrer à la communauté internationale qui reconnaît

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656

la valeur universelle de certaines règles de droit– il est important d’observer que le changement de

pratique dans les procédures de démolition sur fond de renouvellement urbain constitue une

réponse conjoncturelle. Il est intéressant de noter que le Centre pour le droit au logement se déclare

contre les expulsions et lance un appel selon lequel les instances qui dirigent l’organisation des

« méga-événements » doivent être tenues de respecter le droit au logement comme condition

préalable dans le processus de sélection des villes candidates pour l’accueil des Jeux Olympiques,

et qu’ainsi il faudrait garantir que les conditions requises sont satisfaites en imposant au besoin des

sanctions ou en rejetant la candidature de la ville qui méconnaît le droit au logement ou commet

des abus le concernant. D’autre part, « les partenaires officiels et les autres entités impliquées dans

un “méga-événement” peuvent respecter et promouvoir le droit au logement, dans les limites de

leur sphère d’activité et d’influence, et par principe ne doivent pas parrainer ou s’impliquer dans

un projet qui viole les règles du droit au logement ou en abuse »2025. On a constaté que le Comité

International Olympique qui s’est efforcé d’éviter une discussion sur les droits de l’homme avec la

Chine, a pourtant débattu de la question avec le Centre pour le droit au logement et contre les

expulsions ainsi qu’avec le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit au logement afin de

mieux comprendre l’influence des Jeux et fournir au gouvernement chinois des ébauches de

solution2026. Dans ces circonstances, le gouvernement chinois devrait agir avec prudence, afin de

ne pas s’exposer à une situation épineuse. Cependant, les constatations internationales concernant

les pratiques mettant en cause le droit de propriété se distinguent du contrôle supranational qui

détient un pouvoir contraignant dans la mesure où le gouvernement chinois manifeste toujours sa

bonne volonté pour déboucher sur une amélioration de la situation, même si elle est partielle et

mise en oeuvre à titre expérimental afin d’apaiser les critiques extérieures. Dans l’affaire de

Jiuxianqiao, la participation des habitants dans la procédure de démolition n’était qu’un premier

pas dans le cheminement des réformes qui reste à être institutionnalisé par la législation. En l’état

actuel, le droit chinois n’a pas formellement reconnu le principe de participation des habitants, ni le

scrutin de vote dans la procédure de démolition et de déplacement des foyers. La phase de

consultation des habitants n’étant pas obligatoire, les gouvernements locaux peuvent se dispenser

2025 COHRE, Directives aux parties prenantes de méga-événements pour la protection et la promotion du droit au logement, précitées, pp. 9 à 10. 2026 Isolda AGAZZI, « Jeux olympiques : le revers de la médaille », Tribune des droits humaines, 7 juin 2007, disponible sur le site http://www.humanrights-geneva.info/article.php3?id_article=1772, consulté le 10 juin 2008.

Page 665: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

657

d’y procéder dès qu’il leur semble opportun de le faire2027. La réponse n’est pas certaine à la

question de savoir si la réforme concernant la participation des habitants doit se cristalliser en une

règle de droit ou se généraliser dans les pratiques. Insister sur la nature consultative de la phase de

concertation publique traduit bien l’intention des gouvernements locaux d’éviter l’émergence d’un

possible contrepoids à leur pouvoir de décision concernant les mesures de démolition, largement

« souverain » jusqu’à présent. Il est regrettable que la législation chinoise reste lacunaire même en

ce qui concerne l’introduction de la phase consultative de concertation publique dans la procédure

de l’expropriation pour but d’intérêt public. Dans ce contexte, les autorités locales font preuve de

beaucoup de souplesse concernant l’aménagement de leurs pratiques, en agissant au gré des

circonstances, alors que les droits des habitants concernés par le projet de démolition demeurent

précaires. Dans l’affaire de Jiuxianqiao, l’ajournement de la procédure de démolition jusqu’à la fin

du mois d’août 2008 a été assez significatif, d’autant plus que la reprise du projet correspond peu

ou prou à la fin des Jeux Olympiques de Pékin.

§ 2. – Le problème de la non ratification du PIDCP par la Chine

667. - L’absence d’une disposition relative à la propriété dans le PIDCP n’empêche

pas que le Comité des droits de l’homme puisse adopter ses constatations sur la

situation du droit de propriété dans les affaires pour lesquelles le PIDCP manifeste son

intérêt. Ainsi en est-il pour les cas de démolition forcée des logements urbains étant

donné que l’État a l’obligation de respecter les droits civils et politiques des personnes

délogées en vertu du Pacte (A). Certes, dès lors que le PIDCP et le protocole facultatif

n° 1 permettant les communications individuelles demeurent non ratifiés par la Chine,

celle-ci peut se mettre à l’abri du « contrôle » par le Comité des droits de l’homme sur

la situation du droit de propriété en cas de démolition des bâtiments dans des zones

urbaines. Il est vrai que la Chine est en cours de préparatifs puisqu’elle modifie son

2027 L’article 12, paragraphe 2 du règlement sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines prévoit que la période de suspension de la procédure de démolition ne peut être supérieure à deux ans. La limitation peut conduire l’initiateur de l’expropriation à réduire la longueur de la phase de concertation publique.

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658

droit interne pour ouvrir le chemin à la ratification du Pacte2028, mais il faudrait

cependant encore mesurer l’effet que produisent ces travaux de préparation sur la

protection du droit de propriété en montrant les incompatibilités du droit interne

chinois avec les exigences du PIDCP (B).

A. – L’application élargie du PIDCP au droit de propriété

668. - En se référant au PIDCP, le Comité des droits économiques, sociaux et

culturels a élargi l’applicabilité du PIDCP à la protection du droit au logement dans la

mesure où les conditions prévues par le PIDCP s’appliquent aux atteintes à ce droit (1).

Les préparatifs menés par le gouvernement chinois pourraient également contribuer à

améliorer la protection du droit de propriété, tant que les dispositions du PIDCP et

leurs effets sont dûment pris en compte (2).

(1). – La référence faite au PIDCP par le Comité des droits économiques, sociaux et

culturels

669. - Les garanties des droits civils et politiques proclamées par le PIDCP peuvent

s’appliquer aux cas où le Comité des droits économiques, sociaux et culturels s’y

réfère pour imposer aux États parties les obligations de respecter et d’assurer les droits

économiques, sociaux et culturels. Ainsi en est-il en ce qui a trait à la protection du

droit au logement qui est étroitement liée au droit de propriété dont dispose les

personnes sur leurs logements. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels

a considéré que l’État partie doit s’abstenir de procéder à l’expulsion forcée et assurer

que la loi est dûment exécutée par les organes publics qui effectuent l’expulsion forcée

2028 Pour une analyse des compatibilités du droit chinois avec le Pacte international des droits civils et politiques, v., XIANG Jun, « Guoji renquan gongyue yu zhongguo renquan lifa wanshan (Les Pactes internationaux des droits de l’homme et l’amélioration de la législation chinoise) », Journal of University of International Relations, n° 6, 2005, pp. 19 à 22 ; DU Chengming, « Renquan de xianzheng yuanyuan (Constitutionalism source of human rights) », Wuhan University Journal (Philosophy and Social Sicences), Vol. 58, N° 5, 2005, pp. 617 à 621 ; Shiyan SUN, « The understanding and interpretation of ICCPR in the context of China’s possible ratification », Chinese Journal of International Law, Vol. 6, n° 1, 2007, p. 35 et s.

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659

des personnes privées, puisque l’expulsion forcée est a priori une mesure illégale,

d’autant plus que l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques

dispose que « nul ne sera l’objet d’intrusions arbitraires ou illégales dans sa vie privée,

sa famille, son domicile... ; Toute personne a droit à la protection de la loi contre de

telles intrusions ou de telles atteintes». D’autre part, le droit au recours utile énoncé

par l’article 2, paragraphe 3 du PIDCP exige que les États parties indemnisent les

personnes faisant l’objet de mesures d’expulsion forcée 2029 . Il est évident que

l’expulsion forcée qui ne respecte pas les garanties législatives ou qui se fait sans

l’octroi d’une indemnisation juste en retour, doit être condamnée comme relevant

d’une intrusion arbitraire ou illégale, et constitue par conséquent une violation du

PIDCP. Selon l’observation du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, le

droit au logement se caractérise par sa nature de droit civil et politique concernant

l’interdiction des mesures d’expulsions forcées, dans la mesure où l’obligation pour les

États parties de ne pas procéder à l’expulsion forcée illégale relève d’une obligation

négative dont le respect n’est pas assujetti aux ressources disponibles de l’État partie

concerné2030. À cet égard, la protection du droit de propriété à l’égard de l’expulsion

forcée se situe au croisement des droits économiques, sociaux et des droits civils et

politiques. La référence faite par le Comité des droits économiques, sociaux et

culturels au PIDCP constitue le premier pas vers l’intensification des échanges entre

les différents organes internationaux des droits de l’homme dont les compétences se

sont artificiellement désintégrées. Ceci revient à consolider la base juridique de

l’interprétation autonome du Comité des droits de l’homme lors du traitement des

communications individuelles concernant les mesures d’expulsions forcées dans

lesquelles non seulement le droit au logement des personnes expulsées est mis en cause,

mais aussi leur droit à la garantie effective contre l’abus de pouvoir.

670. - L’indemnisation juste et la prohibition de l’abus de pouvoir en vertu du Pacte

international relatif aux droits civils et politiques sont, par leur nature, également des

garanties contre l’expropriation illégale. En dépit du fait que le droit de propriété n’est

2029 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, The right to adequate housing: forced eviction, General Comments n° 7, 20 mai 1997, § 9. 2030 Ibid., § 8.

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660

pas directement visé par le PIDCP, les garanties applicables à l’expulsion forcée –de

même qu’à l’expropriation au sens large– peuvent s’appliquer à propos de la protection

des droits civils et politiques qui sont mis en cause en cas de privation du droit de

propriété. Il faudrait que le gouvernement chinois soit bien conscient de la possibilité

d’un examen effectué par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels

concernant la protection de la propriété, susceptible de le soumettre indirectement aux

normes du PIDCP.

(2). – La préparation du gouvernement chinois pour la ratification du PIDCP

671. - De manière constante, la Chine insiste davantage sur la sauvegarde de la

souveraineté nationale que sur la protection des droits de l’homme dans ses politiques

étrangères2031. C’est la raison pour laquelle elle a refusé d’accepter les mécanismes de

contrôle dotés d’une force contraignante et institués par les instruments internationaux

des droits de l’homme, en dépit des progrès qu’elle a effectués dans son attitude envers

le droit international des droits de l’homme2032. En plus de son souci de maintenir son

indépendance, les incompatibilités du droit interne avec les normes du droit

international des droits de l’homme apparaissent également comme un obstacle aux

progrès du gouvernement chinois en la matière2033. Dès lors que le PIDCP et le

protocole facultatif n° 1 permettant les communications individuelles n’ont pas été

ratifiés par la Chine, celle-ci peut se mettre à l’abri du contrôle par le Comité des droits

de l’homme sur la situation du droit de propriété dans les cas de démolition des

bâtiments dans des zones urbaines. Néanmoins, l’absence de toute disposition relative

à la propriété dans le PIDCP n’empêche pas que le Comité des droits de l’homme

adopte des constatations sur certaines affaires relevant du droit de propriété et pour

2031 V., Jiangyu WANG, « China and universal human rights standards », 29 Syracuse J. Int’l. L. & Com. 135, p. 147. 2032 V., Sophia WOODMAN, « Human rights as ‘foreign affairs’: China’s reporting under human rights treaties », 35 Hong Kong L. J. 179, p. 184. 2033 V., XIANG Jun, «Guoji renquan gongyue yu zhongguo renquan lifa wanshan (Les Pactes internationaux des droits de l’homme et l’amélioration de la législation chinoise) », loc. cit.

Page 669: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

661

lesquelles il est compétent rationae materiae2034.

672. - Dès la signature du PIDCP, la Chine a réitéré sa volonté de le ratifier, mais à

condition que le droit interne soit ajusté afin d’éviter les éventuels conflits avec le

PIDCP2035. La Chine a donc adopté une approche préventive en adoptant ou en

modifiant des lois internes afin d’ouvrir la voie à la ratification du PIDCP. Les travaux

préparatoires entrepris par le gouvernement chinois sont l’occasion d’un recensement

systématique des incompatibilités du droit chinois au regard du Pacte. Le recensement

du droit interne pourrait produire un effet positif sur la protection de la propriété dans

certaines conditions. D’une part, le gouvernement chinois doit comprendre la possible

extension de l’applicabilité du PIDCP au droit de propriété en raison de l’interprétation

autonome faite par le Comité des droits de l’homme. D’autre part, la Chine doit avoir

l’audace de ratifier aussi le protocole facultatif permettant la communication

individuelle. Enfin, il faudrait encore que des incompatibilités du droit interne ayant

une incidence sur la protection du droit de propriété soient mises en relief afin d’être

prises en compte dans les travaux préparatoires au regard des exigences du PIDCP.

B. – L’illustration des incompatibilités du droit chinois avec le PIDCIP

en matière de protection du droit de propriété

673. - Parmi les incompatibilités du droit chinois avec le PIDCP en ce qui concerne

la protection du droit de propriété, il faut surtout remarquer le manque d’indépendance

des juges concernant la procédure de démolition des bâtiments dans des zones urbaines,

témoignant d’une lacune législative en matière d’expropriation pour l’intérêt public

d’une part (1), et, d’autre part, souligner la discrimination qui existe dans la législation

chinoise en matière de propriété (2).

2034 V., supra, n° 409 et s. 2035 Lors d’une conférence de presse en date du 30 mars 2004, M. KONG Quan, porte-parole du Ministère des affaires étrangères, a fait état que la Chine était en train de préparer la ratification du Pacte, sans pour autant indiquer d’agenda précis pour cette ratification. Le reportage du Ministère des Affaires étrangères de la Chine sur la conférence de presse est disponible sur son site officiel http://www.fmcoprc.gov.hk/chn/xwfb/fyrth/t81086.htm, consulté le 12 juin 2008.

Page 670: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

662

(1). – Le manque d’indépendance des juges dans la procédure de démolition des

bâtiments dans des zones urbaines

674. - Parmi les écarts constatés entre le droit chinois et le Pacte international des

droits civils et politiques, le manque d’indépendance des juges chinois a fait depuis

longtemps l’objet des critiques. En effet, les autorités locales et leurs officiers

interviennent dans le traitement des litiges par les cours populaires, pour sauvegarder

leurs propres intérêts, ce qui manifeste l’incompatibilité du système juridique chinois

avec l’article 14 du PIDCP d’après lequel toute personne a droit à ce que sa cause soit

entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et

impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de l’accusation dirigée

contre elle en matière pénale, soit du bien-fondé de ses contestations concernant une

atteinte à ses droits et à ses obligations de caractère civil. Le juriste chinois a bien

constaté que le système juridique chinois n’accorde qu’un statut très réduit au principe

d’indépendance, et c’est bien la raison pour laquelle les juges chinois souffrent du peu

de respect et de la faible confiance du public. « Reconstruire la confiance publique

vis-à-vis l’autorité judiciaire » devient désormais le thème central de la réforme

juridique2036. La procédure de la démolition des bâtiments dans des zones urbaines met

en relief le manque d’indépendance des juges qui est à l’origine de l’ineffectivité des

garanties du droit de propriété. Rappelons que dans les cas où l’initiateur d’une

expropriation et les expropriés ne parviennent pas à un accord sur le montant des

indemnités, c’est le gouvernement local qui adopte la décision en la matière sous forme

d’un « arbitrage administratif ». Alors que les expropriés ont le droit de soumettre la

décision administrative relative à l’indemnisation au contrôle juridictionnel2037, les

tribunaux et les cours locaux ont du mal à renverser la décision administrative du

gouvernement local 2038 . Il en résulte que la garantie du droit des expropriés à

l’indemnisation juste ne peut être pleinement réalisée. D’autre part, dès lors que

2036 XIN Chunying, Chinese courts: history and transition, Law Press China, 2004, p. 174. 2037 V., article 16, alinéa 2 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. 2038 V., WANG Cailiang (et al.), Réponses aux questions difficiles relatives à l’expropriation des biens immobiliers dans les zones urbaines (Fangwu chaiqian yinan wenti jieda), op. cit., p. 24.

Page 671: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

663

l’initiateur de l’expropriation verse l’indemnité prévue ou offre aux expropriés un

moyen de se reloger, il a droit de demander les autorités judiciaires locales à ordonner

le concours de la force publique à la mise en oeuvre de l’expulsion forcée des foyers et

à la démolition des habitations, même si les expropriés contestent la décision

administrative concernant l’indemnisation2039. Les initiateurs des expropriations, qui

entretiennent souvent de bonnes relations avec les membres du gouvernement local

–phénomène de clientélisme très critiqué– peuvent les inviter à intervenir afin d’inciter

l’autorité judiciaire à prêter son concours à l’expulsion forcée. Des gouvernements

locaux, qui ont déjà délivré à l’initiateur de l’expropriation un permis de démolir ont

presque sans doute intérêt à mettre en oeuvre l’exécution du projet de démolition. Il est

donc très fréquent que des gouvernements locaux apportent volontairement leur

concours à l’initiateur de l’expropriation afin de hâter la marche du projet de

démolition et d’expulsion forcée des foyers. L’abus de pouvoir administratif auquel se

livrent des membres du gouvernement local, sans être inquiétés par les autorités

judiciaires, est la cause principale à la violation du droit de propriété2040.

675. - Le Comité des droits de l’homme a bien souligné que l’article 14 du Pacte

s’applique non seulement aux procédures à caractère pénal, mais aussi aux contentieux

à caractère civil impliquant les droits et les obligations des individus. Dans les rapports

au Comité présentés par les États parties, ces derniers doivent indiquer les dispositions

constitutionnelles et législatives qui ont pour fonction d’assurer l’impartialité et la

compétence du juge, et notamment l’indépendance des organes juridictionnels par

rapport aux organes législatifs et exécutifs2041. Or, en Chine, le fonctionnement des

tribunaux et des cours populaires et l’exercice des compétences juridictionnelles par

les juges sont souvent soumis à l’intervention des pouvoirs administratifs, ainsi qu’au

caractère directif des politiques du PCC. En effet, le Parti communiste chinois est le

parti unique dirigeant l’État chinois, et en ce sens les cours populaires sont tributaires

2039 V., articles 16 et 17 du Règlement d’administration sur la démolition des bâtiments dans des zones urbaines. 2040 V., WANG Cailiang (et al.), Réponses aux questions difficiles relatives à l’expropriation des biens immobiliers dans les zones urbaines (Fangwu chaiqian yinan wenti jieda), op. cit., pp. 266 à 273. 2041 Comité des droits de l’homme, Equality before the courts and the right to a fair and public hearing by an independent court established by law (art. 14), General Comments n° 13, 13 avril 1984, §§ 2 et 3.

Page 672: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

664

des intérêts du PCC. « Il est donc difficile pour les juges chinois de traiter les affaires

en s’appuyant uniquement sur les règles de droit »2042. Aboutir à l’indépendance des

autorités judiciaires exige que l’on établisse une véritable séparation des pouvoirs, et

plus profondément que le système politique actuel soit réformé.

(2). – La discrimination concernant la reconnaissance du droit de propriété

676. - La différence de traitement dans la reconnaissance du droit de propriété qui

tient à la dichotomie de l’urbain et du rural peut constituer une forme de discrimination

prohibée par le PIDCP, si cette distinction n’est pas raisonnable, objective et établie

pour un but légitime, selon l’observation générale n° 18 du Comité des droits de

l’homme2043. C’est notamment le droit portant sur l’usage du sol tel qu’il a été reconnu

en droit chinois qui doit être mis à l’épreuve du principe de non-discrimination. Il faut

souligner d’abord que la distinction entre droit d’usage du sol de propriété d’État d’une

part et d’autre part le droit d’usage du sol collectif sous forme d’exploitation forfaitaire

s’établit en fonction de la différence de statut entre paysan et citadin, alors que cette

différenciation est davantage consolidée par le système d’enregistrement de la

résidence (hukou). En effet, la propriété collective semble aller de pair avec le système

d’enregistrement de la résidence qui contrôle les mouvements de la population en

Chine2044 . Quant au droit d’usage du sol collectif par le contrat d’exploitation

forfaitaire, seuls les paysans membres d’une collectivité locale –le plus souvent le

village dans les zones rurales– peuvent avoir le droit d’obtenir ce droit par

l’établissement du contrat d’exploitation forfaitaire entre le foyer et la collectivité

locale. Le changement définitif de l’enregistrement de la résidence du foyer de paysans

en celui de citadins, en d’autres termes, le changement du statut d’agriculteur à celui de

non-agriculteur entraîne l’échéance du contrat d’exploitation forfaitaire du sol

collectif2045.

2042 V., XIN Chunying, Chinese Courts: history and Transition, op. cit., p. 176. 2043 Comité des droits de l’homme, Non-discrimination, General Comment n° 18, 11 octobre 1989, § 13. 2044 V., Maëlys DE LA RUPELLE, DENG Quheng, LI Shi, Thomas VENDRYES, « Insécurité foncière et flux migratoires intérieurs en Chine », Perspectives chinoises, 2008, n° 2, p. 38. 2045 V., article 26, alinéa 3 de la loi sur l’exploitation forfaitaire du sol rural.

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665

Quant à la jouissance du droit d’usage, il semble que les citadins sont davantage

rassurés que les paysans à l’égard du renouvellement du droit d’usage. Car par sa

formulation ambiguë, l’article 126, alinéa 2, de la loi sur les droits réels dispose

simplement que le titulaire du droit d’exploitation forfaitaire du sol rural peut

demander le renouvellement du contrat d’exploitation forfaitaire à son échéance, en

vertu des normes pertinentes. Ce qui est contraire à l’article 149 de la loi sur les droits

réels qui admet précisément le renouvellement automatique du droit d’usage du sol de

propriété d’État pour la construction dans les zones urbaines.

677. - Mais la différence tient notamment en ce qui concerne leur cessibilité.

L’interdiction de la conversion de l’usage du sol à but non agricole demeure la

principale limite à la libre cession du droit d’exploitation forfaitaire du sol rural2046,

alors que la transaction du droit d’usage du sol collectif pour la construction

d’habitations des paysans est également soumise aux contraintes imposées par la loi2047.

En contraste, la cessibilité du droit d’usage du sol de propriété d’État est

constitutionnellement reconnue. À cet égard, les institutions rurales chinoises semblent

former une barrière efficace contre les échanges fonciers et les mouvements de paysans,

et en conséquence contre une distribution efficace de ces facteurs de production2048.

Les paysans subissent donc un traitement inégal par rapport aux citadins, non

seulement à cause des restrictions à la cessibilité de leur droit d’usage du sol, mais

aussi au regard de l’indemnisation en cas d’expropriation. Tant que le droit d’usage du

sol de propriété d’État est librement cessible, les indemnités réservées aux citadins en

cas de démolition des bâtiments dans des zones urbaines peuvent être fixées selon le

prix vénal du droit d’usage du sol concerné, alors que ce dernier critère n’est guère

applicable aux cas d’expropriation du sol collectif qui ont lieu en dehors du domaine

commercial. En l’état actuel, la cession des droits d’usage du sol collectif est

subordonnée aux restrictions imposées par la loi qui elle-même demeure assez floue,

tout en réduisant par conséquent l’applicabilité des règles du marché. C’est la raison

pour laquelle les paysans sont encore moins bien indemnisés que les citadins en cas 2046 V., article 128 de la loi sur les droits réels 2047 V., article 153 de la loi sur les droits réels. 2048 Maëlys DE LA RUPELLE, DENG Quheng, LI Shi, Thomas VENDRYES, « Insécurité foncière et flux migratoires intérieurs en Chine », op. cit., p. 38.

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666

d’expropriation. Le professeur JIANG Ping a relevé que le motif principal mis en avant

pour justifier cette différenciation consistant à réduire la cessibilité du droit d’usage

portant sur le sol collectif est le souci du législateur chinois de préserver la propriété

publique du sol dans les zones rurales du risque de la privatisation2049. Or, ce motif

n’est pas convaincant dès lors qu’on le réfère au traitement défavorable infligé aux

paysans. En effet, la sauvegarde de la propriété d’État portant sur le sol est même un

principe constitutionnel, mais tant la Constitution que la loi affirme sans équivoque la

cessibilité du droit d’usage du sol de prpriété d’État. Le droit chinois se révèle donc

paradoxal en ce qui concerne la reconnaissance du droit de propriété avec ses

distinctions en fonction de la différence de statut entre les zones urbaine et rurale. La

distinction en matière de droits fonciers urbain et rural est d’autant plus problématique

que les paysans subissent une injustice en ce que la valeur de leurs droits d’usage du

sol collectif est systématiquement sous-estimée. C’est l’une des causes principales de

l’écart croissant du niveau de richesses entre paysans et citadins2050. Il est vrai que les

discriminations concernant les critères qui ne sont pas précisément énumérées par le

PIDCP ont été moins systématiquement condamnées. Elles sont évolutives et

correspondent au changement de la société et de la ligne politique2051, mais il ne faut

pas pour autant totalement exclure la possibilité future d’une condamnation que la

distinction de traitement en matière de droit foncier selon l’enregistrement de la

résidence est incompatible avec les normes du PIDCP, notamment à l’égard du

principe de non-discrimination.

Sous-section 2. – La problématique de l’application interne du droit de

propriété en tant que droit fondamental de l’homme

678. - Le nombre élevé de ratifications des instruments internationaux de droits de 2049 V., reportage de CHEN Min, «Wuquanfa caoan de zhuyao wenti shi caichanquan de chengxiang eryuan fen’ge (La problématique majeure du projet de la loi sur les droits réelsest la dichotomie du droit des biens urbain et rural) », Nanfang zhoumo (Weekend du Sud), 21 juillet 2005. 2050 V., Benjamin W. JAMES, « Expanding the gap: how the rural property system exacerbates China’s urban-rural gap », 20 Colum. J. Asian L. 451, pp. 453, 476 à 490. 2051 V., Rhona K. M. SMITH, Textbook on international human rights, 2e, éd., Oxford University Press, 2005, p. 202.

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667

l’homme par la Chine, ainsi que leur rapidité, ne doit cependant pas faire illusion. Pour

une assez large part, de tels phénomènes sont liés au caractère plus ou moins

contraignant des normes établies par les traités en cause et à la faiblesse des

mécanismes internationaux concernant le contrôle des engagements souscrits. Pour

l’autorité chinoise, « les droits de l’homme sont une affaire intérieure » est la formule

qui résume la ligne directrice constante de sa politique en matière des droits de

l’homme2052, qui traduit ainsi le souci de sauvegarder la souveraineté de l’État. Il en

résulte que la reconnaissance des normes internationales relevant du droit de propriété

demeure déclaratoire, leur application est principalement assurée par le mécanisme

législatif en droit interne. Alors que la référence par la Chine aux instruments

internationaux des droits de l’homme confirme ses engagements internationaux, et par

conséquent vérifie la formule selon laquelle « les droits déclaratoires peuvent ainsi

devenir normatifs »2053, il reste cependant à souligner que l’écart existant entre la

reconnaissance déclaratoire des droits de l’homme et leur effectivité demeure le

problème majeur du droit chinois2054 (§ 1). À défaut de mesures de contrôle extérieur,

l’interprétation autonome est aussi l’une des causes du risque de dénaturation de la

propriété comme droit de l’homme (§ 2).

§ 1. – L’écart entre la reconnaissance et la mise en oeuvre du droit de

propriété

679. - L’écart qui existe entre la reconnaissance et la mise en oeuvre du droit de

2052 V., L. KOCH-MIRAMOND, J. P. CABESTAN, F.AUBIN, Y. CHEVRIER (dir.), La Chine et les droits de l'homme, L’Harmattan, 1991, pp. 237 à 248. 2053 Emmanuel DECAUX, « Déclarations et conventions en droit international », loc. cit. Par exemple, dans l’accord sur le règlement politique global du conflit du Cambodge, signé à Paris le 23 octobre 1991, les droits de l’homme sont consacrés dans l’article 15 : « Toutes les personnes se trouvant au Cambodge et tous les réfugiés et personnes déplacées cambodgiens jouiront des droits et des libertés formulés par la Déclaration universelle des droits de l’homme et des autres instruments internationaux pertinents relatifs aux droits de l’homme ». Ce faisant, les États contractants, y compris la Chine, consacrent la valeur « objective » et le rôle « positif » des références mentionnées, même si le Cambodge est le seul destinataire de ces normes. 2054 V., GUO Luoji, « Human rights critique of the Chinese legal system », 9 Harv. Hum. Rts. J. 1, pp. 8, 9.

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668

propriété se révèle d’abord sur le plan normatif. L’autorité chinoise n’a pas maintenu

une ligne de conduite cohérente en ce qui concerne le nature du droit de propriété et

son rôle concernant la réalisation de l’ensemble des droits de l’homme (A). Sur le plan

judiciaire, les organes juridictionnels n’ont pas pleinement assumé leur fonction en tant

qu’acteurs principaux de la mise en oeuvre des droits de l’homme déjà affirmés en

droit chinois, de même que d’autres acteurs n’ont pas pu jouer leur rôle

complémentaire quand le droit de propriété est remis en cause dans des cas concrets

(B). Cet écart traduit le manque de conscience approfondie de la valeur du droit de

propriété en tant que droit de l’homme, alors que la racine de ce manque réside d’une

certaine manière dans l’incohérence de la reconnaissance déclaratoire du droit de

propriété.

A. – L’incohérence de la reconnaissance déclaratoire du droit de

propriété

680. - L’incohérence de la reconnaissance déclaratoire du droit de propriété par la

Chine se manifeste à l’occasion de la classification de ce droit (1), mais aussi dans

l’approche contradictoire du gouvernement chinois en ce qui concerne le maniement

de ce droit au regard de la réalisation de tous les droits de l’homme (2).

(1). – L’hésitation concernant la classification du droit de propriété

681. - Sur le plan international, le caractère inclassable du droit de propriété a été

bien connu. Ce droit est « à la fois civil et économique, individuel et collectif, à tel

point inclassable qu’il a été omis dans les deux pactes alors qu’il figurait dans la

Déclaration universelle »2055. Et dans la pratique, ce n’est qu’au fil de la jurisprudence

qu’on découvre la possibilité de construire une véritable complémentarité et

l’indivisibilité à partir de ce droit2056. Cependant, sur le plan interne chinois, loin

2055 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit: le relatif et l’universel, op. cit., p. 141. 2056 V., Ibid., pp. 141 à 145.

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669

d’avoir accepté la complémentarité et l’indivisibilité des droits de l’homme, l’approche

de la classification traditionnelle qui porte d’une part sur les droits civils et politiques

et d’autre part sur les droits économiques, sociaux et culturels demeure prévalente dans

la ligne directrice de la politique menée par le gouvernement chinois concernant les

droits de l’homme. Le droit de propriété figure tantôt dans la catégorie des droits civils

et politiques, tantôt dans celle des droits économiques, sociaux et culturels, ce qui

traduit l’hésitation des considérations politiques concernant la valeur et la signification

du droit de propriété. Dans le premier livre blanc du gouvernement sur la situation des

droits de l’homme en Chine publié en 19912057, la protection des biens légaux des

citoyens, des biens des entreprises privées, ainsi que des droits d’usage du sol et des

ressources naturelles fut intégrée dans la partie des droits économiques, sociaux et

culturels qui eux-mêmes s’inscrivent dans le droit au développement. Cependant, dans

le livre blanc du gouvernement sur la situation des droits de l’homme en Chine publié

en 20042058, la révision constitutionnelle de 2004 proclamant les garanties des biens

privés des citoyens fut saluée comme un progrès important concernant la protection

des droits civils et politiques. Ce changement de position par lequel le droit de

propriété fut considéré comme un élément des droits civils et politiques fut

ultérieurement confirmé par le livre blanc sur la politique de démocratie publié en

20052059. Cependant, dans le livre blanc sur la construction du système juridique en

Chine publié en 20082060, la proclamation constitutionnelle du droit de propriété, ainsi

que la promulgation de la loi sur les droits réels en 2007 rentèrent dans la catégorie des

droits économiques, sociaux et culturels. D’ailleurs, dans le livre blanc sur la situation

des droits de l’homme en 2004, les efforts menés par le gouvernement central pour

mieux garantir une juste indemnisation aux paysans en cas d’expropriation du sol

collectif fut mentionnés comme faisant partie de la mesure pour la protection des droits

2057 V., Office d’information du CAE, Les droits de l’homme en Chine, novembre 1991. 2058 V., Office d’information du CAE, Le progrès de la cause des droits de l’homme en Chine en 2004, avril 2005, disponible sur le site http://french.china.org.cn/fa-book/050425/5.htm, consulté le 16 juin 2008. 2059 V., Office d’information du CAE, L’édification de la politique démocratique en Chine, octobre 2005. 2060 V., Office d’information du CAE, L’édification de la légalité en Chine, février 2008.

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670

économiques, sociaux et culturels2061. Si le gouvernement chinois retient sa position la

plus récente, la situation du droit de propriété devra être abordée dans le rapport

périodique de la Chine au Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Mais il

reste au gouvernement chinois à reconnaître que le dédoublement entre les droits civils

et politiques d’une part et d’autre part les droits économiques et sociaux est le résultat

d’un conditionnement historique, plutôt que d’une distinction de nature. D’un autre

côté, le gouvernement chinois se réserve peut-être la possibilité de se livrer à des

manipulations de la classification des droits afin de choisir librement entre

l’acceptation ou le refus du « contrôle externe » établi en droit international.

(2). – L’incohérence de la manipulation du droit de propriété concernant la sauvegarde

des droits de l’homme

682. - De manière constante, le droit de propriété a été mentionné dans les livres

blancs publiés par le gouvernement chinois en matière de droits de l’homme. Il faut

néanmoins souligner que les maniements contradictoires en matière du droit de

propriété opérés par le gouvernement chinois sont expliqués par ce dernier comme

étant des mesures nécessaires de sauvegarde des droits de l’homme. L’incohérence de

l’argumentaire du gouvernement chinois se révèle dans le cheminement chaotique du

droit de propriété privée depuis la fondation de la RPC en 1949, qui se caractérise

successivement par la privation des grands propriétaires au profit des paysans, la

socialisation puis la décentralisation de la propriété. L’évolution du statut de la

propriété privée est toujours interprétée sous l’angle de sa contribution à l’amélioration

des droits du peuple chinois. Dans un premier temps, il s’agit d’aborder la confiscation

des biens des grands propriétaires qui eut lieu dans le cadre de la réforme foncière au

début de la fondation de la RPC. Selon l’interprétation du gouvernement chinois, sous

l’ancien régime, les propriétaires fonciers et les paysans riches qui représentaient

moins de 10% de la population rurale possédaient environ 80% de la terre, tandis que

2061 Selon le gouvernement chinois, en 2004, un contrôle sur l’expropriation des terres collectives rurales a été entrepris et un montant de 14,77 milliards de yuans d’indemnités de retard a été alloué. V., Office d’information du CAE, Progrès de la cause des droits de l’homme en 2004, op. cit.

Page 679: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

671

les paysans pauvres, les ouvriers agricoles et les paysans moyens qui représentaient

plus de 90% de la population rurale, n’en possédaient que 20%. Afin de libérer les

paysans pauvres et les forces productives, la Chine entreprit, au lendemain de sa

fondation, une réforme agraire à l’échelle nationale en remplaçant la propriété des

grands propriétaires fonciers par la propriété privée des paysans, ce qui permit à 300

millions de paysans d’acquérir pour construire un foyer et à titre gratuit, 700 millions

de mu2062 de terre. La réforme foncière ainsi menée fut considérée comme l’une des

mesures permettant de sauvegarder le droit à l’existence de la majorité de la population

chinoise et marquant le tournant historique des droits de l’homme en Chine2063. Or, le

régime de propriété privée foncière dont bénéficièrent la majorité des paysans n’exista

pas longtemps à cause du mouvement de socialisation qui débuta en 1953. Au nom de

la suppression du système d’exploitation, le mouvement fit passer l’agriculture,

l’artisanat ainsi que l’industrie et le commerce à un régime socialiste, en donnant pour

la première fois au peuple entier la maîtrise des moyens de production et la propriété

des ressources du pays sous la forme de la propriété publique socialiste. Selon le

gouvernement chinois, ce remplacement de la propriété privée foncière par la propriété

du peuple entier se justifia aussi par la réalisation du droit à l’existence qu’il promut2064.

Dans un « mouvement de balancier », la propriété privée fut actuellement réintégrée au

sein des mesures politiques afin de réaliser le même droit à l’existence. Quant à la

question des droits de l’homme, le livre blanc publié en 2004, peu de temps après la

révision constitutionnelle consacrant la propriété privée, affirma que 72% des

immeubles d’habitation releva de la propriété privée jusqu’en 2002, et que 94% des

immeubles d’habitation construits en 2003 fit l’objet d’une appropriation par les

individus : preuve s’il en est de l’amélioration de la situation du droit au logement qui

est par nature un droit à l’existence2065. La création, la suppression et la réhabilitation

de la propriété privée sont toutes des mesures compatibles et exigées par la sauvegarde 2062 1 mu équivaut à 0.0667 hectare. 2063 V., Office d’information du CAE, Progrès des droits de l’homme en Chine depuis 50 ans, février 2000, disponible sur le site http://french.china.org.cn/fa-book/4/index.htm, consulté le 16 juin 2008. 2064 V., Office d’information du CAE, Les droits de l’homme en Chine, novembre 1991, disponible sur le site http://french.china.org.cn/fa-book/72.htm, consulté le 16 juin 2008. 2065 V., Office d’information du CAE, 2003 nian Zhongguo renquan shiye de jinzhan (Le progrès de la cause des droits de l’homme en Chine en 2003), mars 2004.

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672

des droits de l’homme, si l’on en suit les considérations du gouvernement chinois

retenues dans ses discours officiels. Certes, en réalité, il s’agit d’interprétations

délibérément faussées pour que les maniements politiques contradictoires apparaissent

toujours respectueux des droits de l’homme, alors que le droit de propriété n’est en

réalité pour le gouvernement chinois qu’un instrument malléable se prêtant à de

nombreuses interprétations concernant sa compatibilité avec les politiques de l’État.

L’incohérence des maniements du droit de propriété au nom de la protection des droits

de l’homme est donc un bon révélateur de l’approche instrumentaliste du

gouvernement chinois en la matière.

B. – Les acteurs de la mise en oeuvre du droit de propriété

683. - L’application directe par les tribunaux et les cours populaires chinois des

normes internationales en matière de droits de l’homme reste très rare, sinon

introuvable, mais la possibilité pour les organes juridictionnels de faire référence aux

instruments internationaux des droits de l’homme dans le traitement des affaires ne

peut pourtant pas être complètement exclue (1). Dans les cas où la propriété est mise

en cause par des opérations foncières, les acteurs privés, surtout les acteurs

économiques internationaux qui y participent, pourraient combler la faiblesse de la

mise en oeuvre du droit de propriété due à l’impuissance relative des organes

juridictionnels. Cela suppose toutefois que la responsabilité sociale de la protection des

droits de l’homme soit assumée par les acteurs civiques (2). Car ces derniers

apparaissent aujourd’hui comme des acteurs incontournables de la mise en oeuvre du

droit international, en raison de leurs ressources financières, largement supérieures aux

fonds publics, de leurs moyens techniques et de leur expertise2066.

(1). – Le rôle des organes juridictionnels

2066 Frédérique HAGNER, « Le global compact : une tentative d’implication d’une multiplicité d’acteurs dans la mise en oeuvre du droit international », in Laurence BOISSON DE CHAZOURNE, Rostane MEHDI (sous la dir. de), Une société internationale en mutation: quels acteurs pour une nouvelle gouvernance?, Bruylant, 2005, p. 44.

Page 681: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

673

684. - Une attention accrue est portée sur le rôle moteur que les juridictions internes

sont à même de jouer dans l’application effective des normes internationales relatives

aux droits de l’homme2067. Même la Commission des droits de l’homme des Nations

Unies a mis en exergue la valeur ajoutée que constitue l’option de l’ « internisation »

du droit international des droits de l’homme2068. Alors que l’intervention des organes

juridictionnels dans les affaires mettant en cause des droits de l’homme suppose la

justiciabilité de ces droits et surtout les droits économiques, sociaux et culturels, le

Comité des droits économiques, sociaux et culturels a bien indiqué que l’obligation des

États parties au PIDESC « d’assurer progressivement le plein exercice des droits

reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés » comprend « outre les

mesures législatives, celles qui prévoient des recours judiciaires au sujet de droits qui,

selon le système juridique national, sont considérés comme pouvant être invoqués

devant les tribunaux ». Le Comité a également souligné que « la jouissance des droits

reconnus, sans discrimination, est souvent réalisée de manière appropriée, en partie

grâce au fait qu’il existe des recours judiciaires ou d’autres recours utiles »2069. Quant

à la relation entre recours effectif et recours judiciaire, le Comité a indiqué que « le

droit à un recours effectif ne doit pas être systématiquement interprété comme un droit

à un recours judiciaire », mais « chaque fois qu’un droit énoncé dans le Pacte ne peut

être exercé pleinement sans une intervention des autorités judiciaires, un recours

judiciaire doit être assuré »2070. Si l’on examine le rôle des organes juridictionnels

2067 V., par ex., F. VON HOOF, « International human rights obligations for companies and domestic courts: an unlikely combination? », in Monique CASTERMANS-HOLLEMAN, Fried VAN HOOF and Jacqueline SMITH (eds.), The Role of the Nation State in the 21st century: Human rights international organisations and foreign policy: Essays in honour of Peter Baehr, Kluwer Law International, 1998, pp. 55 à 57. 2068 V., Commission des droits de l’homme, Question d’un projet de déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et de protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus, Résolution 1998/7, 3 avril 1998 ; Institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme, Résolution 1988/55, 17 avril 1998; v., aussi, Assemblée générale de l’ONU, Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnu, Résolution 53/144 du 9 décembre 1998. 2069 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, La nature des obligations des États parties, Observation générale 3, E/1991/23, 14 décembre 1990, § 5. 2070 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Questions de fond au regard de la mise en

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674

dans la protection du droit de propriété –qui est étroitement lié au droit au logement

dans les cas de démolition des bâtiments dans des zones urbaines ou d’expropriation

considérés comme relevant de l’intérêt public– au regard des exigences imposées par le

PIDESC et interprétées dans les observations générales du Comité des droits

économiques, sociaux et culturels, il est aisé de faire le constat que la Chine n’a pas

honoré ses obligations de protéger les droits par les moyens appropriés. En effet, en

matière de démolition des bâtiments dans des zones urbaines, les instances

juridictionnelles n’exercent aucun contrôle effectif sur le transfert de la propriété, du

fait que la décision administrative d’expropriation échappe souvent à la compétence

juridictionnelle, que le montant de l’indemnisation réservée aux expropriés est décidée

de manière inéquitable par le département gouvernemental compétent étant donné qu’il

privilégie les intérêts de l’initiateur de l’expropriation, et que les juges chinois annulent

ou modifient très rarement cette décision. Il en résulte que le recours aux organes

juridictionnels pour trancher les affaires relatives aux droits économiques, sociaux et

culturels tels que proclamé par le PIDESC est « une aventure difficile qui engendre des

incertitudes »2071.

685. - Il faut toutefois souligner que les juges chinois ne sont pas privés de la

possibilité d’appliquer les normes internationales des droits de l’homme. En effet,

aucun principe de droit interne n’interdit la référence aux instruments juridiques

internationaux, mais par-dessus tout, la loi de procédure civile prévoit clairement que

dans les contentieux de droit international privé, au cas où les dispositions de droit

interne enteraient en conflit avec les dispositions des traités internationaux que la

Chine a conclus ou auxquels elle a adhérées, les dispositions de droit international

s’appliquent, sauf celles faisant l’objet de réserves2072. Selon l’avis d’interprétation de

la Cour populaire suprême, les contentieux de droit international privé comportent trois

cas de figure. Premièrement, l’une ou les deux parties au contentieux sont des

oeuvre du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale n°9, E/C.12/1998/24, 28 décembre 1998, § 9. 2071 Leïla CHOUKROUNE, « Justifiability of social, economic and cultural rights: the UN committee on economic, social and cultural rights’ review of China’s first periodic report on the implementation of the international covenant on economic, social and cultural rights », 19 Colum. J. Asian L. 30, p. 47. 2072 V., article 236 de la loi de procédure civile.

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675

personnes physiques ou morales de nationalité étrangère ou sans nationalité.

Deuxièmement, la relation juridique entre les parties a été établie ou modifiée en

dehors du territoire chinois. Et troisièmement, les biens faisant l’objet du contentieux

se trouvent en dehors du territoire chinois2073. À cet égard, la loi de procédure civile est

discriminatoire dans la mesure où elle ne prévoit la primauté du droit international que

dans le contentieux de droit international privé, sans pour autant l’étendre à tous les

contentieux civils, et d’autant moins aux contentieux administratifs. De toute façon, la

loi de procédure civile n’interdit pas l’application des traités internationaux aux

contentieux civils de nature pleinement interne. S’il est vrai que la réticence des juges

chinois à faire référence aux normes internationales est partiellement liée à leur

connaissance très restreinte des instruments internationaux, leur volonté d’être fidèles

aux normes internes et d’éviter de les ébranler en faisant référence à des normes

internationales reste un élément non négligeable2074. Contrairement à la tendance de la

formation d’une communauté des juges par la réception du droit international2075, les

juges chinois sont pourtant isolés pour son refus d’application directe des normes

internationales2076. Ainsi, il reste à inciter le juge chinois à plus volontairement

assumer leur fonction dans la garantie juridictionnelle des droits de l’homme, y

compris le droit de propriété.

2073 Cour populaire suprême, Avis d’interprétation sur la mise en oeuvre de la loi de procédure civile, adopté le 14 juillet 1992, § 304. 2074 Rappelons que dans l’affaire des « semences de Luoyang », la juge LI Huijuan a été sanctionnée pour l’annulation d’un règlement local en contradiction avec la loi nationale. V., supra, n° 298. Dans le contexte où l’indépendance du juge n’est pas institutionnalisée, la responsabilité personnelle du juge serait vraisemblablement engagée s’il renverse dans son jugement la loi interne par l’application directe des normes de droit international. 2075 V., Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (III) : la refondation des pouvoirs, op. cit., pp. 42, 43. 2076 Dans le cadre de l’OMC, l’Accord sur les ADPIC est considéré comme n’ayant pas d’effet direct sur le droit chinois, les organes juridictionnels ne pouvent pas s’y référer dans leurs jugements. V., LIU Chuntian, « Yu maoyi youguan de zhishi chanquan xiedong jiqi xiugai de youguan falü wenti (Problèmes juridiques relatifs à l’Accord sur les ADPIC et ses amendements) », texte d’un discours devant le Comité permanent de l’APN, 25 octobre 2007, disponible sur le site http://npc.people.com.cn/GB/15097/6433945.html, consulté le 17 juin 2008.

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676

(2). – Le rôle des acteurs économiques internationaux

686. - Dans le contexte de la globalisation économique, la responsabilité concernant

la protection des droits de l’homme n’engage pas seulement les États, mais aussi les

acteurs non étatiques 2077 . Car, avec « l’autonomisation croissante des acteurs

économiques, et notamment des entreprises multinationales, se pose en termes

nouveaux ou renouvelés la question de leur responsabilité éthique ou juridique »2078. Il

en est ainsi du Pacte mondial proposé par l’ONU dont l’idée consiste à dépasser le

stade de la collecte de fonds pour engager le secteur privé. Ainsi, les entreprises sont

invitées « à veiller à ce que leurs propres compagnies ne se rendent pas complices de

violations des droits de l’homme »2079. Dans le domaine des investissements étrangers,

la Chine a bien ouvert l’accès du marché foncier aux acteurs économiques

internationaux, ces derniers pouvant acquérir le droit d’usage du sol d’État par

l’établissement d’un contrat de concession comme les opérateurs domestiques.

Cependant, du fait de leur accès à la justice internationale, avec notamment la

naissance du CIRDI par la Convention de Washington ratifiée également par la Chine,

ces acteurs économiques privés se sont vus octroyés une personnalité internationale.

L’accession à la sphère du droit international public des personnes privées et des

investisseurs est d’« une importance comparable à celle des personnes

privées/investisseurs dans le droit international des droits de l’homme »2080. Imposer la

responsabilité des droits de l’homme aux acteurs économiques internationaux est donc

exigé dans un souci de rééquilibrage face à la prépondérance des acteurs

économiques2081.

Il faut ainsi souligner qu’en matière d’exploitation foncière les gouvernements

2077 V., Commission des droits de l’homme, Norms on the responsibilities of transnational corporations and other business enterprises with regard to human rights, E/CN.4/Sub.2/2003/12/Rev.2, 16 août 2003. 2078 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (III) : la refondation des pouvoirs, op. cit., p. 140. 2079 Les dix principes du Pacte Mondial, point 2. 2080 Charle LEBEN, « Entreprises multinationales et droit international économique », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2005, n°4, p. 786. 2081 V., Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (III) : la refondation des pouvoirs, op. cit., p. 151.

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677

locaux qui furent dénués de fonds privilégièrent les investissements des acteurs

économiques internationaux pour financier leurs projets de renouvellement urbain.

Parmi les mesures d’incitation fiscale et financière favorisant les investisseurs

étrangers, l’abaissement de la prime de concession fut l’ une des mesures les plus

souvent usitées. Le rapport du Bureau National d’Audit publié en juin 2008 a relevé

que certains gouvernements locaux ont concédé aux investisseurs étrangers le droit

d’usage du sol d’État par « zéro prime», comme mesure d’incitation2082. Or les

ressources budgétaires des gouvernements locaux provenant de la concession du droit

d’usage du sol d’État doivent être utilisées pour indemniser les expropriés, notamment

dans les cas où les parcelles de terrains faisant l’objet d’une concession sont occupées

par des résidents urbains ou des paysans. Dans les cas concernés, la démolition des

bâtiments dans des zones urbaines ou l’expropriation des terres collectives au nom de

l’intérêt public constitue normalement l’étape précédant la concession du droit d’usage

du sol aux investisseurs étrangers. La réduction ou l’exemption de la prime de

concession ne peut que diminuer la capacité financière des gouvernements locaux en

matière d’indemnisation, et conduit ces derniers à abaisser le montant des indemnités

versées aux expropriés en abusant de leur pouvoir. Les avantages financiers concédés

aux investisseurs étrangers par la réduction ou l’exemption de la prime de concession

se firent donc au détriment des occupants du sol faisant l’objet de ce type de

concession. Il est vrai que les investisseurs étrangers n’ont pas directement porté

atteinte aux droits des habitants ou des paysans relatifs à l’usage du sol, mais leur

responsabilité au regard des droits de l’homme –le droit au logement pour les habitants

subissant des mesures d’indemnisation injustes, ou le droit à l’existence des paysans

privés de leur moyen de production à cause de l’expropriation des terres cultivables–

exige de leur part qu’ils prennent conscience des effets pervers résultant des opérations

du type de concession par « zéro prime » et adaptent, par un « durcissement de

l’éthique »2083, leurs stratégies commerciales ou d’investissement afin de prévenir la

dégradation des droits fonciers des personnes qui ne bénéficient pas d’une position 2082 Office national d’audit, Résultat de l’audit sur la prime de concession du droit d’usage du sol étatique, précité. 2083 V., Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (III) : la refondation des pouvoirs, op. cit., p. 153.

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678

aussi importante que la leur auprès des autorités gouvernementales. La prise en compte

par les entreprises des normes relatives à la responsabilité sociale se révélerait

également être un avantage au regard de leurs personnels comme de leurs actionnaires

et plus généralement de l’opinion publique qui sont de plus en plus soucieux de «

l’image » des entreprises2084.

§ 2. – Le statut problématique du droit de propriété dans la mise en ordre des

droits de l’homme

687. - Étant donné que les droits de l’homme dans un système juridique sont

consacrés par des inspirations diverses, la question qui se pose est de savoir comment

ordonner les droits afin de les mettre en cohérence2085. C’est dans ce contexte de mise

en ordre qu’il faut souligner la complexité du droit chinois en ce qui concerne la place

de la propriété dans sa relation avec d’autres droits fondamentaux dans l’ensemble de

son système juridique (A), mais aussi insister sur les problèmes réels ou potentiels qui

sont susceptibles de survenir lors de la mise en oeuvre des garanties de la propriété

comme droit de l’homme (B).

A. – La complexité de la question relative à la place du droit de

propriété dans sa relation avec les autres droits fondamentaux

688. - Ni la constitution, ni le discours officiel du gouvernement n’ont pu préciser la

place de la propriété dans la hiérarchie des droits de l’homme. La complexité du

problème tient au fait que la propriété semble être à la fois considérée comme un

instrument juridique au service du droit au développement dont la priorité fut

constamment mise en avant par le gouvernement chinois (1), mais aussi à l’inverse

surprotégée au détriment d’autres droits humains qui sont pourtant plus fondamentaux

2084 Emmanuel DECAUX, « La responsabilité des sociétés transnationales en matière de droits de l’homme », Revue de science criminelle, 2005, p. 804. 2085 V., Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginante du droit (suite) : vers une communauté de valeurs, les droits fondamentaux, Cours du 6 mai 2008 au Collège de France, disponible sur le site http://podcast.college-de-france.fr/droitcdf.xml, consulté le 22 juin 2008.

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679

(2). En témoigne l’exemple de la peine de mort prévue par la loi pénale en ce qui

concerne la criminalité économique touchant les biens.

(1). – Le droit de propriété face à la primauté du droit au développement du peuple

689. - Au plan international, le droit au développement émane d’une conception

globale qui opère une conciliation entre les droits politiques d’une part et d’autre part

les droits économiques et sociaux et dont la reconnaissance implique la recherche

simultanée de leur réalisation2086. Par la Déclaration sur le droit au développement, a

été réaffirmée l’importance du respect au droit de propriété et de sa fonction sociale

pour la réalisation du droit au développement2087. Selon la Déclaration de Vienne, le

droit au développement est un droit universel et inaliénable, faisant partie intégrante

des droits fondamentaux de la personne humaine2088. Et « il n’y a donc plus de

2086 Jean-Jacques ISRAËL, « Le droit au développement », Revenue générale de droit international public, 1983, n° 6, p. 39. 2087 L’article 8, alinéa 1er de la Déclaration sur le droit au développement proclame que « Les États doivent prendre, sur le plan national, toutes les mesures nécessaires pour la réalisation du droit au développement et qu’ils assureront notamment l’égalité des chances de tous dans l’accès aux ressources de base, à l’éducation, aux services de santé, à l’alimentation, au logement, à l’emploi et à une répartition équitable du revenu. Des mesures efficaces doivent être prises pour assurer une participation active des femmes au processus de développement. Il faut procéder à des réformes économiques et sociales appropriées en vue d’éliminer toutes les injustices sociales ». 2088 La Déclaration et le Programme d’action de Vienne, adoptés par la Conférence mondiale sur les droits de l’homme le 25 juin 1993, UN Doc., A/CONF. 157/24, para. 10. En analysant le texte de la Déclaration du droit au développement, l’expert indépendant désigné par l’ancienne Commission des droits de l’homme, a résumé le droit au développement comme le droit à un processus de développement dont les éléments essentiels sont : « a) que les intéressés participent effectivement, pleinement et utilement à toutes les étapes de la prise de décision ; b) que les individus aient des chances égales dans l’accès aux ressources ; c) les individus aient droit à une répartition équitable du revenu et des avantages du développement ; d) que les États s’acquittent de leurs responsabilités de façon à ce que le processus de développement se matérialise par des politiques nationales et internationales appropriées (articles 3 et 4) ; e) que la coopération entre les États (et les institutions internationales) facilite la réalisation du droit au développement; et enfin et surtout, f) que toutes les activités entreprises soient accompagnées du plein respect des droits civils et politiques et des droits économiques, sociaux et culturels ». V., Commission des droits de l’homme, Etude sur l’état actuel des progrès dans la mise en oeuvre du droit au développement, présentée par M. Arjun K. SENGUPTA, expert indépendant, conformément à la résolution 1998/72 de la Commission et à la résolution 53/155 de l’Assemblée générale, E/CN.4/1999/WG.18/2, 27 juillet 1999, § 46.

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680

hiérarchisation artificielle entre les droits humains »2089. Au niveau mondial, le lien

entre le droit de propriété et le droit au développement fut longtemps reconnue. En

effet, la Déclaration de 1969 sur le progrès et le développement dans le domaine

social2090 a traité du rôle de la propriété dans le développement, en disposant dans son

article 6 que « le progrès et le développement dans le domaine social exigent la

participation de tous les membres de la société à un travail productif et socialement

utile et l’établissement, conformément aux droits de l’homme et aux libertés

fondamentales, ainsi qu’aux principes de la justice et de la fonction sociale de la

propriété, de modes de propriété de la terre et des moyens de production propres à

exclure toute forme d’exploitation de l’homme, à assurer à tous les être humains un

droit égal à la propriété et à créer des conditions qui conduisent à l’établissement entre

eux d’une égalité véritable ». La deuxième conférence internationale sur la réforme

agraire et le développement rural qui a eu lieu en 2006, initiée par l’ONU pour

l’alimentation et l’agriculture, a adopté la Déclaration finale dans laquelle elle a

proposé des politiques de développement rural qui doivent être, entre autres, basées sur

les propriétés individuelles, communales et collectives sécurisées2091. D’ailleurs, les

gouvernements sont invités à promouvoir des mécanismes pratiques, simples,

économiques et accessibles pour sécuriser les droits fonciers, en prenant

particulièrement en considération les groupes marginalisés2092. Il en découle que le

respect du droit de propriété est considéré comme l’une des conditions à la réalisation

du droit au développement.

690. - Cependant, la consistance du droit au développement renvoie aux objectifs

nationaux à atteindre qui reposent principalement sur les obligations et les devoirs des

États2093. Il est également reconnu, quant au sujet de l’élaboration d’un « pacte pour le

développement », que l’État dispose d’une marge de manoeuvre conséquente afin de 2089 Azzouz KERDOUN, « Le droit au développement en tant que droit de l’homme : portée et limites », Revue québécoise de droit international, 2004, n° 17.1, p. 79. 2090 Proclamée par l’Assemblée générale de l’ONU le 11 décembre 1969, résolution 2542 (XXIV). 2091 Conférence internationale sur la réforme agraire et le développement rural, Déclaration finale, Porto Alegre, 7-10 mars 2006, point 28. 2092 Ibid, point 29. 2093 Article 4 de la Déclaration du droit au développement. V., Assemblée Générale de l’ONU, Rapport de l’expert indépendant sur le droit au développement, A/55/306, 17 août 2000, §§ 4 et s.

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681

s’adapter « aux priorités et aux réalités de chaque pays »2094. C’est dans ce contexte

que le gouvernement chinois a accordé la priorité aux droits économiques, sociaux et

culturels, désormais intégrés dans le droit au développement qui a été officiellement

reconnu comme un « droit primordial de l’homme »2095. Selon le professeur GUO

Daohui, le droit au développement est plus important que le droit à la subsistance dont

la réalisation dans les pratiques n’est plus prioritaire désormais étant donné que le

peuple chinois vit déjà dans l’aisance2096. Toutefois, le droit au développement du

peuple, comme son droit à la subsistance, tel qu’il est retenu dans le discours officiel

signifie plutôt un droit collectif qu’individuel, alors qu’au plan international la notion

de droit au développement reste ambiguë à l’égard de ses sujets et son contenu2097. Les

livres blancs successivement publiés n’ont de cesse d’affirmer que la Chine est le pays

en voie de développement le plus grand du monde et que par conséquent, ce qui est le

plus important aux yeux du peuple chinois c’est de disposer d’assez de nourriture, de

vêtements chauds, de bénéficier des soins médicaux et d’une bonne éducation. Le plus

urgent est donc d’améliorer les conditions de vie du peuple. Ainsi, c’est le droit au

développement de l’État qui est primordial et qui doit l’emporter sur tous les autres

droits. L’idée qui sous-tend la priorité donnée à ce droit tient au fait que les autres

droits de l’homme ne peuvent qu’être secondaires et au service de l’État en quête de

développement. Sur le plan juridique, le droit au développement n’est pas justiciable,

l’État, représenté par le gouvernement, demeure libre d’exécuter les mesures concrètes

qu’il considère appropriées pour atteindre l’objectif de développement2098. De manière

constante, les livres blancs publiés par le gouvernement chinois font allusion à la

réussite des politiques gouvernementales en matière de droit de propriété, soit en

2094 V., Résolution adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU, A/RES/56/150, 8 février 2002, point 4. 2095 V., Office d’information du CAE, Progrès de la cause des droits de l’homme en Chine en 2004, Beijing, avril 2005 ; Progrès des droits de l’homme en Chine depuis 50 ans, Beijing, février 2000. 2096 GUO Daohui, « Renquan lilun de kunhuo yu zhiyi : gunayu renquan, zhuquan, shengcunquan zhuwenti de tantao (La perplexité et l’interrogation sur la théorie des droits de l’homme : discussion sur les droits de l’homme, la souveraineté, le droit à la subsistance) », Yuelufaxue pinglun (Revue de droit Yuelu), 2002, Vol. 2, pp. 133, 134. 2097 V., Maurice KAMTO, « Retour sur le ‘droit au développement » sur le plan international : Droit au développement des États ? », Revue universelle des droits de l’homme, 1999, n° 1-3, pp. 4 à 7. 2098 V., Jiangyu WANG, « China and universal human rights standards », 29 Syracuse J. Int'l L. & Com. 135, p. 146.

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682

réalisant l’égalité des richesses entre les citoyens 2099 , soit en promouvant le

développement économique et le bien-être du peuple2100. L’approche du gouvernement

chinois consiste donc à insister sur la hiérarchie des droits de l’homme, en mettant en

avant le caractère primordial du droit au développement du peuple chinois. Or, il n’est

« ni souhaitable ni faisable d’essayer de définir les priorités d’une manière abstraite et

générale, en vue d’altérer la force ou le niveau des normes internationales

existantes »2101, car, « s’agissant d’une substance commune, chaque droit de l’homme

se voit, dans son essence, porteur de la détermination globale. Bien plus, la substance

de chaque droit, ne peut être interprétée qu’à la lumière de cette surdétermination »2102.

Le véritable risque qui sous-tend la préférence pour le droit au développement par la

Chine consiste à ce que l’État peut limiter, voire supprimer, certains droits de l’homme,

au nom de la réalisation de certains droits qui se disent prioritaires. En témoigne le

destin chaotique de la propriété privée depuis la fondation de la nouvelle Chine.

(2). – La surprotection du droit de propriété au regard des sanctions prises à

l’encontre de la criminalité économique

691. - Bien que le droit de propriété soit considéré comme inférieur au droit au

développement, il est toutefois surprotégé dans d’autres domaines, notamment celui du

droit pénal. Alors que la valeur patrimoniale est légalement garantie comme étant

l’élément indispensable du droit de propriété, la loi pénale chinoise a maintenu des

sanctions très sévères à l’égard des infractions, de sorte que le maintien des intérêts des

titulaires des biens peut aboutir à nier des droits de l’homme autrement plus

2099 V., Office d’information du CAE, Les droits de l’homme en Chine, op. cit. ; Progrès des droits de l’homme en Chine depuis 50 ans, op. cit. 2100 V., Office d’information du CAE, 2003 nian Zhongguo renquan shiye de jinzhan (Le progrès de la cause des droits de l’homme en Chine en 2003), op. cit. ; Le progrès de la cause des droits de l’homme en Chine en 2004, op. cit. 2101 Klaus SAMSON, « Le ‘noyau intangible des droits de l’homme’, notion utile ou illusion simpliste ? », in Patrice MEYER-BISCH (éd.), Le noyau intangible des droits de l’homme, Éditions universitaires Fribourg Suisse, 1991, p. 50. 2102 Patrice MEYER-BISCH, « Le problème des délimitations du noyau intangible des droits et d’un droit de l’homme », in Le noyau intangible des droits de l’homme, op. cit., p. 108.

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683

fondamentaux, à savoir la liberté physique et le droit à la vie. Il en est ainsi des délits

qui mettent en cause les biens et qui atteignent un certain seuil de gravité. Ces délits

sont passibles de la réclusion à perpétuité ou à la peine de mort, surtout si ce sont des

biens publics qui ont été touchés. Dans la loi pénale révisée en 1997, on peut recenser

beaucoup de crimes motivés par des raisons économiques qui sont sanctionnés par la

peine de mort2103. Les infractions qui concernent des biens sont considérées par le droit

et la pratique judiciaire en Chine comme constituant des atteintes très graves aux

intérêts de l’État 2104 . La doctrine dominante chinoise considère que les crimes

économiques tels que la corruption, la falsification des monnaies, la contrefaçon et la

contrebande constituent un grand préjudice pour l’ordre économique et les biens

légitimes d’autrui, causent de graves pertes aux biens de l’État, et par conséquent

justifient le renforcement des mesures répressives2105. Il est vrai que le maintien de la

peine de mort pour de nombreuses infractions est l’un des aspects pour lesquels la

Chine est très critiquée, malgré la nouvelle loi pénale chinoise qui traduit un réel effort

d’harmonisation du droit pénal chinois par rapport aux principes internationaux2106. Il

est néanmoins d’autant plus surprenant que les condamnations à mort ont

significativement augmenté en matière de crimes économiques et de crimes qui portent

atteinte aux biens. Selon l’étude d’un juriste chinois, la loi pénale chinoise, modifiée en

1997, qualifie à l’aide de huit classes d’infractions pénales –dont la majorité prévoit la

peine de mort si les cas sont graves2107– les crimes portant atteinte à l’ordre de

l’économie de marché socialiste. Ces crimes constituent plus du quart de l’ensemble

2103 V., LI Qinglan, « La peine de mort dans la Chine contemporaine : étude de cas », R. S. C., juillet-août 2008, p. 526. 2104 V., Aliette DESGRANGES, « Les réformes pénales en Chine : des avancées en trompe-l’oeil ? », L’Astrée, 1999, n° 9, p. 14. 2105 V., GAO Mingxuan (Sous la dir.), Criminalité économique et atteintes à la dignité de la personne : vers des principes directeurs internationaux de droit pénal, Vol. III, Asie, Éditions de la maison des sciences de l’homme, 1996, pp. 9, 69. 2106 V., Mireille DELMAS-MARTY, « Le droit pénal en Chine : avancées des textes et résistance des pratiques », Gazette du Palais, 2000, n° 186, p. 34. 2107 Il s’agit des délits de fabrication de produits frauduleux ou de mauvaise qualité (dont l’article 141 prévoit la peine de mort), de la contrebande (dont l’article 151 prévoit la peine de mort), des atteintes à l’ordre de l’administration financière (dont l’article 170 prévoit la peine de mort), des fraudes financières (dont l’article 199 prévoit la peine de mort), des atteintes à la collecte et à l’administration des impôts (dont les articles 205 et 206 prévoient la peine de mort),

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684

des crimes pour lesquels la peine de mort peut être infligée en vertu de la loi pénale2108.

692. - La Chine est donc un pays peu commun étant donné qu’elle sanctionne un

nombre très grand de crimes économiques par la peine de mort. Cependant, si l’on y

regarde de plus près, les crimes économiques qui sont sanctionnés de la peine de mort

sont liés à la protection des biens publics davantage qu’à celle des biens privés. Ce sont

essentiellement des cas de contrebande ou d’atteintes à la perception des impôts et à

l’administration fiscale. Il en est de même pour le vol des fonds des institutions

financières, le vol des objets archéologiques précieux, pour lesquels la peine de mort

peut être infligée si l’infraction est jugée très grave ou si la valeur des objets volés

s’élève au-delà d’un certain montant2109. En plus du vol à main armée, les crimes avec

usage de la violence commis à l’encontre des biens privés peuvent être soumis à la

peine capitale, mais seulement s’ils sont graves2110, ainsi que les délits non violents

commis par des personnes physiques, comme la corruption essentiellement 2111 .

Concernant le principe de proportionnalité des peines, les juristes chinois ont bien

relevé que la Chine est bien inspirée de mettre davantage en application la peine

d’amende et que l’individualisation des peines ne doit pas aller trop loin2112.

D’autre part, dans le contexte où les autorités chinoises mènent un combat pour

l’assainissement du monde des affaires autant sur le plan international que sur le plan

interne, le durcissement de la répression pénale concernant les atteintes au droit de

propriété, conçu comme un élément de production, va nécessairement apparaître

comme une nouvelle menace aux yeux des partenaires étrangers dans les relations

d’affaires2113. Mais c’est pour rendre le droit pénal chinois plus humain que la question

de l’abolition de la peine de mort concernant les crimes économiques, surtout la peine

2108 V., ZHANG Guoxuan, « Sur l’application concrète de la peine de mort, par la comparaison entre l’ancienne et la nouvelle loi pénale chinoise (Lun sixing de juti shiyong, jiandui xinjiu xingfa zhong de sixing shiyong zuoyi bijiao) », Zhongguo xingshifa zazhi (Revue chinoise de droit pénal), 1999, n°1, pp. 40 à 44. 2109 V., article 264 de la loi pénale révisée en 1997. 2110 V., article 263 de la loi pénale révisée en 1997. 2111 V., article 383 de la loi pénale révisée en 1997. 2112 V., HAN Xiaoying, SHI Renlin, LIU Xiaopeng, « Réflexions sur le droit pénal chinois depuis la mise en oeuvre du code pénal chinois de 1997 », Gazette du Palais, 2004, n° 199, p. 29. 2113 V., Daniel Arthur LAPRÈS, « Le risque pénal dans les relations d’affaires avec la République Populaire de Chine », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires, n° 11, 2007, 1341.

Page 693: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

685

de mort en cas de vol, a été mise en avant2114. Même sans prendre en compte la peine

de mort, la sanction pénale est comparativement plus lourde en Chine que dans les

autres pays relativement aux infractions commises à l’encontre de la propriété

intellectuelle. Le professeur chinois ZHAO Bingzhi a bien souligné que dans les pays

industriels, la peine la plus sévère concernant la propriété intellectuelle est

normalement d’un emprisonnement de trois ans au maximum, alors qu’en Chine, la

sanction la plus importante relève d’un emprisonnement de sept ans. Cette peine

extrêmement sévère n’est pas conforme à la tendance internationale du droit pénal2115.

Encore faut-il souligner que la surprotection de la propriété, surtout de la propriété

publique, par le droit pénal, révèle le problème du droit chinois dans le traitement de la

relation entre la propriété d’une part et d’autre part d’autres droits aussi fondamentaux,

à savoir, la liberté et le droit à la vie. Ce qui nous amène à analyser l’approche du droit

chinois dans la mise en ordre des droits de l’homme.

B. – Des instrumentalisations du processus de mise en ordre des droits

de l’homme

693. - Alors que la Chine affirme toujours que le droit au développement et le droit à

l’existence sont les droits de l’homme les plus importants, ses pratiques ont cependant

largement dénaturé la finalité de ces droits, surtout celle du droit au développement.

Car, c’est au nom du droit au développement pourtant assimilé au « droit du

développement » (1) que le droit de propriété a fait l’objet de manipulations politiques.

L’inégalité de la jouissance de la propriété, délibérément imposée pour répondre à

l’exigence du droit du développement, constitue le cas concret par excellence de ce

type de manipulations des travaux de hiérarchisation des droits de l’homme (2).

2114 V., HAN Xiaoying, « Sur les sanctions pénales chinoises », L’Astrée, 2001, n° 16, p.26 ; v. aussi, ZHU Zhengfu, « Jianshao qinfan caichanquanzui de sixing (Plaidoyer pour la réduction des peines de mort pour les infractions contre la propriété)», disponible sur le site http://www.usqiaobao.com/2008-03/11/content_82841.htm, consulté le 20 juin 2008. 2115 V., Bingzhi ZHAO, Yuanhang ZHANG, « La contrefaçon en droit chinois de la propriété intellectuelle », Revue internationale de droit comparé, 2007, n°2, p. 375.

Page 694: la protection de la propri©t© en chine : transformation du droit interne et influence du droit

686

(1). – L’assimilation du droit au développement au « droit du développement » et son

influence

694. - En mettant constamment l’accent sur le développement économique et le

succès de ses mesures politiques en la matière 2116 , le gouvernement chinois a

délibérément établi la confusion du « droit au développement » et du « droit du

développement ». Il faut rappeler que le droit au développement intègre les droits et les

libertés publiques. De même, selon « l’approche basée sur les droits », l’indivisibilité

de tous les droits de l’homme et la responsabilité de tous les acteurs publics et privés

sont les principes fondamentaux du droit au développement2117. « La double qualité du

droit au développement n’implique aucune priorité, mais au contraire, une réalisation

parallèle du droit individuel et du droit collectif qui se conditionnent

mutuellement »2118. Or, le droit du développement est une technique juridique et un

ensemble de méthodes de législation qui sous-tendent le développement économique et

social. Il s’agit d’un « droit de promotion » qui attire et pousse vers le développement

économique et social en combattant les routines ancestrales qui figent les sociétés

traditionnelles. Il s’éloigne du libéralisme classique, pour construire un contexte

socio-politique dans lequel les droits des individus sont provisoirement limités au

profit de l’intérêt général. Dans sa fonction, le droit du développement peut toucher le

droit au développement parce qu’il sollicite le droit sur les moyens de développement

–qu’il s’agisse des biens ou des personnes– mais ne se confond pas avec lui2119. En

2116 En témoigne le Livre blanc « Progrès de la cause des droits de l’homme en Chine en 2004 ». Dans ce document officiel du gouvernement central, l’Office d’information du CAE fait l’éloge, en s’appuyant sur divers indices d’accroissement, des succès obtenus par le gouvernement dans la promotion de l’économie nationale pour mesurer le progrès des « droits du peuple à l’existence et au développement ». 2117 V., Patrick TWOMEY, « Human rights-based approaches to development: towards accountability », in Mashood A. BADERIN, Robert MCCORQUODALE (ed.), Economic, Social and Cultural Rights in Action, Oxford University Press, 2007, pp. 50, 54. 2118 Robert CHARVIN, L’investissement international et le droit au développement, L’Harmattan, 2002, p. 114 ; Cf., aussi, CAO-Huy Thuan, « Sociétés transnationales et droits de l’homme, essai de synthèse sur les travaux des Nations Unies », in Multinationales et droits de l’homme, P.U.F., 1984. 2119 Kéba M’BAYE, « Le droit au développement », in René-Jean DUPUY (ed.), Le droit au développement au plan international, Colloque la Haye, 16-18 Octobre 1979, SIJHOFF & NOORDHOFF, 1980, p. 73.

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687

témoigne l’expérience du droit chinois. En effet, ce fut dans une conception de droit du

développement que le droit foncier des individus fut instrumentalisé par les

maniements politiques successifs. Il s’agit dans un premier temps de mettre en place un

régime foncier égalitaire par la confiscation des biens des grands propriétaires et par la

redistribution, puis de supprimer la propriété privée par le mouvement de socialisation

et enfin de la réhabiliter par une réforme économique. Selon les discours officiels du

gouvernement chinois, l’amélioration du droit de propriété, comme celle de tous les

droits de l’homme, économiques, sociaux et culturels ou civils et politiques, ne sont

que des résultantes du processus de développement mené par le gouvernement. À cet

égard, la position du gouvernement chinois consiste à renverser le lien de

subordination entre les droits de l’homme individuel et le droit du développement de

l’État, alors que le véritable développement implique l’absence de répression et celle

de graves violations des droits des individus2120.

695. - Sur le plan international, le Programme des Nations Unis pour le

développement (PNUD) met en avant depuis 1990 la notion de développement humain,

affirmant par-là que c’est l’homme qui est au centre du développement et non les

performances économiques. Depuis la conférence de Rio de 1992 sur l’environnement

et le développement, est apparue à son tour la notion de « développement durable » qui

implique un modèle de développement écologiquement rationnel et qui prend en

compte les besoins des générations actuelles sans pour autant oublier ceux des

générations futures. On aboutit ainsi, dans le cadre du PNUD, à la notion de

« développement humain durable ». Or, la notion renouvelée de développement telle

qu’elle est présentée par la communauté internationale n’a pas été véritablement

intégrée dans l’idée de droits de l’homme retenue par le gouvernement chinois, à

l’instar de la conception fondée sur les principes fondamentaux de l’indivisibilité de

tous les droits de l’homme et de la responsabilité de tous les acteurs publics et

privés2121. Contrairement à la constatation de Amartya SEN selon laquelle les facteurs

2120 V., Amartya SEN, Un nouveau modèle économique : développement, justice, liberté, Éditions Odile Jacob, 2000, p. 183. 2121 V., Patrick TWOMEY, « Human rights-based approaches to development: towards accountability », in Mashood A. BADERIN, Robert MCCORQUODALE (ed.), Economic, social and cultural rights in action, Oxford University Press, 2007, pp. 50, 54.

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688

humains tels que la liberté publique, la démocratie, etc., sont « à la fois l’objectif

principal et le moyen premier du développement »2122, la Chine a mis l’accent sur le

taux de croissance qui n’a pas toutefois pas pleinement tenu en compte les valeurs non

économiques néanmoins réelles comme la liberté et la démocratie. Le développement

chinois a été critiqué par certains comme « faux développement »2123, dans la mesure

où il a délibérément laissé les inégalités à se creuser, y compris l’inégalité de la

jouissance de la propriété privée.

(2). – L’inégalité en matière de droit de propriété privée face au droit du

développement

696. - La quête de l’accroissement économique par le gouvernement chinois, au nom

de la priorité du droit du développement du peuple, traduit d’une certaine manière

l’ « ethnocentrisme » qu’impose l’État chinois au reste de la communauté

internationale2124. Elle a un double effet sur le droit de propriété : d’une part, le

développement économique en Chine s’accompagne de mesures politiques qui

admettent et encouragent l’existence et la croissance des entités économiques privées,

conduisant à la reconnaissance du statut légal de la propriété privée et, d’autre part, si

les biens privés sont juridiquement admis, ils sont pourtant souvent assujettis à

l’exigence de développement économique et donc sacrifiés pour atteindre l’objectif de

croissance.

L’effet pervers que produit la conception idéologique du droit du développement

sur le droit de propriété fut présent dans l’histoire du droit de propriété depuis la

fondation de la RPC. Il se manifeste aussi dans des pratiques concrètes et actuelles. Il

en est ainsi du processus du renouvellement urbain mené au nom du développement

par les gouvernements locaux sous l’approbation tacite du gouvernement central. Les

gouvernements locaux, qui sont motivés par des intérêts financiers relatifs à

l’exploitation foncière découlant du renouvellement urbain, procèdent ou participent à 2122 Amartya SEN, Un nouveau modèle économique : développement, justice, liberté, op. cit., p. 61. 2123 V., Guy SORMAN, L’année du coq, Chinois et rebelles, Fayard, 2006, pp. 170 à 173. 2124 V., Steve CHAN, « Human rights in China and the United States: competing visions and discrepant performances », Human Rights Quarterly, 24 (2002), pp. 1035 à 1053.

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689

la démolition forcée des habitations sans offrir de garantie juridique suffisante ni

d’indemnisations équitables2125, en s’abritant derrière le prétexte de la poursuite du

développement économique local. Il est vrai que l’exploitation foncière a contribué à la

croissance des richesses au niveau local, mais les habitants qui ont été expulsés et

privés de leurs maisons n’en sont pas les bénéficiaires, mais au contraire des victimes

du « développement » économique. Dans les réponses qu’a données la Chine aux

questions posées par le Comité des droits économiques sociaux et culturels lors de

l’examen du premier rapport présenté par la Chine, celle-ci accuse le développement

d’être la cause des atteintes aux droits et intérêts légaux des habitants concernant leurs

logements. Il est vrai que l’envergure et le rythme de la démolition ont été sans

précédent en Chine. L’urbanisation a produit une amélioration des infrastructures des

villes et a nourri le développement économique, mais elle a aussi son revers de la

médaille. En effet, l’irrégularité des opérations de démolition, le versement tardif et

insuffisant des indemnités aux personnes expulsées2126 sont les causes des atteintes au

droit de propriété au nom du développement. D’ailleurs, la réalité est encore bien plus

grave, car au nom de la recherche du développement économique, les membres du

gouvernement local procèdent souvent à des mesures de démolition et d’expulsion

forcée des résidents urbains en ne respectant intentionnellement pas les règles de

garantie qui doivent s’appliquer aux expropriés dans les cas de privation de leur droit

de propriété concernant leur logement. En prêtant le concours de la force publique aux

promoteurs immobiliers dans leur logique d’appropriation des terres à des prix

dérisoires, les membres du gouvernement local bénéficient en contrepartie de la

croissance de leur recette budgétaire résultant des bénéfices engrangés par les

promoteurs fonciers. Ce mode de « développement » se caractérise par

2125 Par ex., la construction des gymnases à Pékin pour les Jeux Olympiques de 2008, s’accompagne de la destruction forcée et massive d’habitations sous l’égide de la municipalité de Pékin. Les citoyens victimes des mesures de démolitions et de déplacement forcés contestent, parmi d’autres, l’injustice du projet d’indemnisation édicté par le gouvernement local de Pékin, sans pour autant réussir à faire entendre leur cause. V., Theresa H. WANG, « Trading the people’s homes for the people’s Olympics: the property regime in China », 15 Pac. Rim L. & Pol’y J. 599, juin 2006. 2126 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Implementation of the International Covenant on Economic, Social et Cultural Rights, Replies by the Government of the People’s Republic of China, CESCR/NONE/2004/10, p. 58.

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690

l’enrichissement des propriétaires de certaines catégories –les grands promoteurs

fonciers et les fonctionnaires locaux– mais en même temps par l’appauvrissement des

catégories les plus modestes qui sont les petits propriétaires résidents, ce qui a pour

conséquence de conduire à l’aggravation des inégalités sociales.

Dans un contexte plus large, considérant le droit de propriété comme un simple

outil et étant contraint par la rareté des sources, le gouvernement chinois ne peut que

distinguer différents secteurs de production en fonction de leur efficacité économique

et de leur degré de contribution à l’accroissement de l’économie nationale ou locale, et

ce, afin de distribuer les éléments de production. Ce traitement différentiel caractérisé

par le phénomène de « catégorisation » conduit nécessairement à l’inégalité2127. Ainsi,

le gouvernement chinois a abandonné au nom de l’efficacité le principe d’égalité dans

la jouissance de la propriété. En témoigne la dichotomie urbaine et rurale en matière de

droit d’usage du sol de propriété publique.

697. - La préoccupation sur le creusement des inégalités fut la cause principale des

critiques apparus lors de l’élaboration de la loi sur les droits réels. Les auteurs des

critiques ont mis en avant l’aggravation des inégalités sociales résultant de la

reconnaissance de la propriété privée qui elle-même s’inscrit dans le processus de

développement économique. Selon le professeur GONG Xiantian, la protection légale

de la propriété privée ne bénéficierait qu’aux grands propriétaires, ce qui ferait

obstacle à la réduction des écarts des richesses, en d’autres temres, « seuls les grands

propriétaires auront un intérêt substantiel à l’élaboration de la loi sur les droits

réels»2128. Cette hypothèse ne fut pas reçue par le Comité permanent de l’APN.

Néanmoins, au-delà du débat politique et social, on peut se demander si la croissance

des inégalités n’affecte pas la croissance tout court. Dans ce contexte, l’action en

faveur de la réduction des inégalités et d’une meilleure répartition des revenus ne

relève pas seulement d’un objectif de justice sociale, mais de la viabilité économique,

et conditionne la poursuite de l’expansion, aujourd’hui menacée par « le piège des

2127 V., Feng WANG, Tianfu WANG, « Bringing categories back in: institutional factors of income inequality in urban China », document de travail du Centre for the Study of Democracy, disponible sur le site http://repositories.cdlib.org/csd/03-01, consulté le 25 septembre 2004; Jean Louis PIN, L’ouverture économique de la Chine (1978-1999): au profit de qui?, La Documentation française, 2000. 2128 V., supra, n° 138.

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691

inégalités » 2129 . Dans les années récentes, le gouvernement chinois a déjà été

sensibilisé par les inégalités de revenu entraînées par le développement économique. Il

entend remédier à cette situation par la mise en place d’un système de protection

sociale plus viable en vue de répondre à la proposition selon laquelle « le mode de

développement devrait être ajusté en renforçant le système de protection sociale, afin

de maintenir l’équilibre entre l’égalité et la croissance économique »2130. Cependant,

au lieu d’accepter de plein gré la « bonne gouvernance »2131, le gouvernement chinois a

développé sa propre théorie résumée par l’expression « mettre l’homme au centre des

pensées». Cette théorie a été fondée comme principe directeur que doivent suivre les

membres du gouvernement à tous les niveaux, « afin que toute la population puisse

participer, sur un pied d’égalité, au développement et au partage des progrès du

développement »2132. Les mesures mises en place comme l’aide à la (ré)insertion

professionnelle et le contrôle du chômage, ainsi que l’assurance sociale ont été

renforcées2133. Mais il reste à souligner que l’indivisibilité et l’interdépendance de tous

les droits de l’homme exigent que les politiques sociales visant à rétablir l’égalité

doivent aller de pair avec la garantie des autres droits aussi fondamentaux.

L’expérience de la Chine a bien montré que les atteintes à la propriété –résultant des

faiblesses de l’ensemble du système juridique chinois– constituent aussi l’une des

origines essentielles de l’inégalité. Ainsi, renforcer la garantie du droit de propriété est

nécessaire pour réduire l’inégalité. Surtout, l’inégalité du statut et l’inégalité des

garanties juridiques des différentes catégories de propriétés doivent être éliminées, afin

que la mise en oeuvre des politiques sociales ne perde pas son sens et puisse produire

les effets attendus.

2129 Cf., Chine : le piège des inégalités, Dossier constitué par Guilhem FABRE, La Documentation française, 2000. 2130 V., World Bank, China, An evaluation of World Bank assistance 2005, disponible sur le site http://worldbank.org/oed, consulté le 23 juillet 2006. Promoting growth with equity: country economic memorandum, 15 septembre 2003, p. 11. 2131 V., Résolution de la Commission des droits de l’homme 2002/69, le droit au développement. 2132 Office d’information du CAE, Progrès de la cause des droits de l’homme en Chine en 2004, op. cit. 2133 Le projet de loi sur la sécurité sociale élaboré par le Comité permanent de l’APN a été publié le 28 décembre 2008, en vue de solliciter l’opinion publique.

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692

CONCLUSION DU CHAPITRE

698. - « Le droit international économique occupe désormais une place

prédominante dans les relations internationales auxquelles participe la Chine»2134.

L’intégration de la Chine dans l’ordre international économique, notamment par son

accession à l’OMC, a conduit le droit chinois à s’adapter en prenant sérieusement en

compte les règles du marché. En effet, le renforcement des conditions générales

nécessaires à un fonctionnement efficient du marché intérieur est dans les politiques

des institutions internationales de nature économique ou financière. Il s’agit non

seulement de simples propositions résultant du dialogue entre la Chine et les

institutions internationales2135, mais parfois aussi de conditions connexes établies par

les institutions internationales dans leurs relations avec la Chine. Clarifier le droit de

propriété, renforcer le jeu de la concurrence, et soutenir la réforme en améliorant

l’indépendance du système judiciaire ainsi que ses moyens de faire appliquer la loi,

figure dans la liste des priorités du gouvernement chinois fixée par les institutions

internationales. On notera que l’influence des institutions internationales économiques

et financières consiste non pas à protéger le droit de propriété des individus, mais à

établir un régime juridique de propriété, conçu comme un élément central d’une

gouvernance répondant aux exigences de l’économie de marché. En revanche,

l’influence des droits de l’homme sur la protection de la propriété en Chine a rencontré

d’importantes résistances. Étant donné que l’influence des instruments internationaux

des droits de l’homme s’impose par l’intégration des normes internationales en droit

interne, mais aussi par l’exercice des mécanismes de contrôle sur le plan international,

l’acceptation sélective de la Chine entre le PIDESC et le PIDCP, et la réticence à se

soumettre au contrôle international sur le respect des droits de l’homme, constituent la

faiblesse de l’adaptation du droit chinois au droit international pour consolider la

protection de la propriété.

2134 V., Jacques DELISLE, « Battering rams, and building permits: five lessons about international economic law from Sino-U. S. trade and investment relations », 17 U. Pa. J. Int’l Econ. L. 513, p. 516. 2135 V., par ex., OECD, Coopération OCDE-Chine : dix ans déjà, précité, novembre 2005 ; La gouvernance en Chine, 2005.

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693

CONCLUSION DU TITRE

699. - La différence de rythme du développement entre droit du commerce et droits

de l’homme caractérise aussi l’influence du droit international sur la protection de la

propriété en droit interne chinois. Soumis au mécanisme de contrôle établi par le droit

de l’OMC, la Chine est davantage contrainte de tenir ses engagements. Ce qui produit

directement ou indirectement des effets sur le droit de propriété à l’égard non

seulement du contenu de ce droit, mais aussi de la mise en oeuvre des garanties. Or,

dans le domaine des droits de l’homme, à l’absence de mécanismes de contrôle

juridique aussi contraignants que dans le domaine commercial, s’ajoute l’autonomie

prudente du gouvernement chinois. Tous ces facteurs expliquent les pratiques

problématiques rencontrées lors de l’application des normes des droits de l’homme à la

protection de la propriété en Chine. L’expérience du droit chinois invite à tempérer

l’autonomie de l’État par l’articulation entre les niveaux national et international. S’il

est vrai que l’accession de la Chine à l’OMC peut contribuer à la construction d’un

État de droit et participer à une synchronisation indirecte entre droit du commerce et

les droits de l’homme, cet effet « par ricochet » demande encore à être avalisé par

d’autres acteurs, non seulement publics tels que les juges nationaux, mais aussi privés,

qui « apprendraient à utiliser les nouveaux instruments de la sphère internationale,

même quand ils ne sont pas contraignants »2136. Tous ces efforts mèneraient à « la

refondation des pouvoirs institués»2137, sur la base de laquelle peut s’instaurer un

nouvel ordre par l’harmonisation. De par sa situation au confluent du droit des droits

de l’homme et du droit du commerce, le droit de propriété est un sujet idéal à partir

duquel peut s’esquisser une synchronisation fondée sur de bonnes articulations2138.

2136 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (II) : le pluralisme ordonné, op. cit., p. 224. 2137 Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (III) : la refondation des pouvoirs, op. cit., p. 33. 2138 V., Mireille DELMAS-MARTY, Mireille DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit (II) : le pluralisme ordonné, op. cit., pp. 220 et s.

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694

CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE

700. - Se situant entre le domaine économique et celui des droits de l’homme,

les mesures prises en Chine afin d’améliorer la législation relative au droit de propriété

se caractérisent par des déséquilibres. Les avancées sont les plus remarquables dans le

domaine économique où la propriété déploie ses fonctions comme moyen de

production indispensable à la croissance économique, tandis que dans le domaine des

droits de l’homme le respect du droit de propriété des individus se heurte à

l’insuffisance des garanties juridiques. Entre droits civils et politiques d’une part mais

relative aussi aux droits économiques, sociaux et culturels d’autre part, la spécificité du

droit chinois en matière de propriété consiste à une hésitation entre « une variante

‘libérale’, qui admettrait l’opposabilité des droits civils et politiques aux acteurs

politiques et peut-être, progressivement, aux acteurs économiques, mais se contenterait

d’une sous-protection des droits économiques, sociaux et culturels » et « une variante

‘autoritaire’ qui, à l’inverse, privilégie ces derniers mais renonce à garantir les droits

civils et politiques » 2139 . L’approche sélective de la Chine va à l’encontre de

l’indivisibilité et de l’interdépendance des droits de l’homme, et manque par

conséquent à son obligation de protection de la propriété qui se situe au confluent des

droits civils et politiques et des droits économiques, sociaux et culturels. Cette

approche qui consiste à choisir entre droit international économique et droits de

l’homme s’oppose aussi à la réalité dans laquelle les garanties du droit de propriété

sont visées aussi bien par les instruments juridiques de droit international économique

que par les normes internationales des droits de l’homme. L’abandon de l’approche

sélective demeure une étape importante à franchir pour réunifier tous les droits

fondamentaux de l’homme, mais aussi pour établir une synergie entre droit

international économique et droit des droits de l’homme, et ce, en vue de rétablir

l’équilibre et de renforcer l’effectivité de la protection de la propriété en droit chinois. 2139 Mireille DELMAS-MARTY, « La construction d’un État de droit en Chine dans le contexte de la mondialisation », op. cit., p. 575.

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695

CONCLUSION GÉNÉRALE

701. - Comme « la propriété individuelle est défendue parce qu’elle est la source de

l’ordre et de la sécurité »2140, dès lors que l’État ne respecte plus le contenu de la

propriété, le désordre social se produit. Sur le plan juridico-politique, « la garantie des

libertés et du droit de propriété est la marque des démocraties libérales respectueuses

du principe de la prééminence du droit »2141. Avec la révision constitutionnelle de 2004

proclamant l’inviolabilité des biens privés des citoyens, ainsi que la promulgation de la

loi sur les droits réels en 2007, la propriété privée a conquis une place plus importante

dans le système du droit chinois. Cette avancée marque aussi une nouvelle étape vers une

certaine démocratisation du droit chinois. Sans nier, ni exagérer la signification de la

révision constitutionnelle et celle des travaux législatifs qui fondent le régime juridique

de la propriété, il faut reconnaître que ce droit produit des « effets de système » sur la

transformation du droit chinois (I). Ces effets de système sur la transformation du droit

chinois sont masqués, d’une part, par la réforme des institutions et des procédures et,

d’autre part, par l’apparition dans la population chinoise d’une sorte de conscience

juridique2142 et d’une dynamique d’action. Ces deux aspects contribuent finalement à

l’effectivité du droit de propriété qui est au coeur des exigences de l’État de droit.

L’internationalisation du droit chinois qui se trouve de plus en plus mise en évidence,

ne serait-ce qu’avec l’entrée de la Chine dans l’OMC, fait que ces effets de système

trouvent une intensité complémentaire dans la mesure où le droit international

constitue à la fois une référence et une dynamique incontournables pour la

transformation du droit chinois. L’intégration du droit international, conduit non

seulement à l’acculturation juridique en matière de propriété, mais complète aussi les

sources juridiques qui sont indispensables à l’amélioration de la protection de ce droit.

En consolidant les effets de système de la reconnaissance du droit de propriété, le droit

international renforce la transformation du droit en Chine (II).

2140 Georges RIPERT, Les forces créatrices du droit, Librairie général de droit et de jurisprudence, 1955, § 96. 2141 L. FAVOREU, Droit des libertés fondamentales, op. cit., § 73. 2142 V., Mireille DELMAS-MARTY, « Le laboratoire chinois », op. cit., p. 803.

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I. – LES EFFETS DE SYSTÈME DE LA RECONNAISSANCE DU DROIT DE

PROPRIÉTÉ

702. - Les effets de système entraînés par la reconnaissance du droit de propriété se

comprennent mieux à travers une réinterprétation de la tradition chinoise. En effet, s’il

existe dans la tradition chinoise certains éléments d’une véritable science juridique2143,

il existe pourtant les limites très importantes au développement systématique de cette

science dans la mesure où elle renvoie davantage à la légalité qu’à la garantie judiciaire.

La proclamation constitutionnelle de la propriété privée et les travaux législatifs

contribuant à compléter le régime juridique de la propriété ont pour effet d’améliorer la

légalité mais encore d’inciter à une réforme du droit vers l’indépendance de la sphère

juridique afin de répondre aux attentes concernant la garantie effective de ce droit.

Encore faut-il souligner que la propriété privée contribue à l’épanouissement de la

société civile et stimule par conséquent le processus de constitutionnalisation en Chine.

A. – L’amélioration de la légalité

703. - L’émergence et la croissance des biens privés résultaient directement de la

mise en place de la politique de réforme et d’ouverture. Néanmoins, la Chine n’a pas

d’expérience concernant la privatisation systématique des biens étatiques. La stratégie

progressive des réformes économique et politique détermine le caractère évolutif de la

réforme juridique. La révision constitutionnelle de 2004 affirmant la protection des

biens privés comme principe constitutionnel a pour effet de conduire le droit chinois

vers une plus grande légalité. Si la politique du PCC apparaît souvent supérieure au

droit, la proclamation constitutionnelle de l’inviolabilité de la propriété privée est tout

au moins symbolique, dans la mesure où elle fixe la politique par la « force du

droit »2144. Le caractère opportun de la révision constitutionnelle de 2004 consiste

2143 V., Jérôme BOURGON, « Principe de légalité et règle de droit dans la tradition juridique chinoise », in Mireille DELMAS-MARTY, Pierre-Étienne WILL (sous la dir. de), La Chine et la démocratie, op. cit., pp. 157 à 176. 2144 Cf., Pierre BOURDIEU, « La force du droit : élément pour une sociologie du champ juridique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 64, 1986, pp. 3 à 19.

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697

également en ce qu’elle pose des principes applicables à l’expropriation des biens, qui

répondent à des problèmes actuels urgents : la nécessité d’un contrôle des diverses

formes de privation se fait de plus en plus pressante étant donné la multiplication du

nombre de cas de spoliations. En brisant les résistances idéologiques, la révision

constitutionnelle de 2004 constitue le fondement de la protection du droit de propriété

en droit chinois et ouvre la voie aux travaux législatifs qui ont pour vocation d’élaborer

des règles plus précises selon l’exigence de la légalité.

704. - La promulgation en 2007 de la loi sur les droits réels marque donc une étape

importante vers la construction du régime juridique de la propriété. Alors que les

dispositions de droit des biens contenues dans les Principes généraux du droit civil sont

encore en vigueur, il ne fait guère de doute que la loi sur les droits réels promulguée en

2007 devienne désormais le droit commun des biens en Chine, en réunissant dans un

texte législatif les règles respectivement relatives à la propriété, à l’usufruit, à la sûreté,

à la possession, avec un titre indépendant en tête qui comporte les règles générales.

Force est de constater que la loi sur les droits réels garde les traces de la spécificité de

l’économie chinoise qui se caractérise par la domination théorique du mode

d’appropriation publique. Car la loi de 2007 réaffirme le principe de la protection des

biens publics et de prévoir des règles précise relatives à la propriété d’État et à la

propriété collective. Ce point révèle que l’administration et la gestion des biens publics

ne font plus seulement l’objet d’opérations politiques, mais entrent désormais dans le

domaine du droit. La promulgation en 2008 de la loi sur les actifs d’État des

entreprises renforce la tendance à la légalité selon laquelle les actes gouvernementaux

en matière de biens publics sont plus que jamais encadrés par le droit. Le renforcement

de la légalité par la législation systématique, qui concerne non seulement la propriété

privée mais aussi la propriété publique, n’est accompli qu’avec la mise en oeuvre

effective des règles de droit. Or, en l’état actuel, le problème de l’indépendance

juridique demeure l’obstacle majeur à l’application du droit en Chine.

B. – L’incitation à la réforme vers l’indépendance juridique

705. - La violation flagrante des lois, mais surtout les atteintes aux biens privés,

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mettent en relief l’obstacle majeur à la garantie effective du droit de propriété que

constitue le manque d’indépendance juridique. Cet obstacle se traduit d’abord par la

marginalisation de la compétence législative en matière de propriété à cause de

l’extension des pouvoirs réglementaires nationaux ou locaux. Les règles législatives

sont souvent contournées par des dispositions réglementaires nationales ou locales

dans l’application du droit. En l’absence d’un mécanisme efficace de contrôle sur la

conformité des textes réglementaires à la loi nationale, c’est la politique du

gouvernement central et local qui détermine au final la mise en oeuvre des garanties du

droit de propriété. Les effets pervers qu’induise le manque d’indépendance juridique se

révèlent encore plus nettement dans le cadre de la démolition des bâtiments dans les

zones urbaines. Car, qu’ils soient directement ou indirectement impliqués dans le

projet d’exploitation des terrains qui entraîne l’expropriation des habitations

concernées, les autorités locales sont à la fois celles qui prévoient les règles relatives à

la démolition qui seront applicables dans les territoires sous leur juridiction mais aussi

celles qui les appliquent. À la fois juges et parties, les autorités locales ne peuvent que

contribuer à vider le sens des principes constitutionnels et législatifs concernant

l’expropriation des biens privés dans les pratiques de démolition des bâtiments dans les

zones urbaines. In fine, non seulement le motif avancé de l’intérêt général, mais aussi

les critères d’indemnisation, sont soumis à l’arbitraire des autorités locales qui

manifestent dans la plupart des cas une grande complaisance avec les entrepreneurs qui

initient les expropriations.

706. - Quant à l’autorité judiciaire, les limites fixées à la compétence juridictionnelle

et aux moyens d’actions empêchent les juges d’exercer un véritable contrôle sur les

mesures d’expropriation décidées par les autorités locales. Étant donné que

l’indépendance du juge n’est pas véritablement garantie dans le droit chinois, comme

en témoigne l’ingérence des organes locaux du PCC et des autorités locales dans le

traitement des affaires par les tribunaux, il n’est guère difficile de prévoir le sort qui est

réservé aux plaintes déposées devant les juridictions. Celles-ci ne répondent pas le plus

souvent aux attentes des victimes. Néanmoins, les victimes ne sont pas dupes de

l’existence d’une « législation locale » et des recours juridictionnels inéquitables. La

revendication des droits de type « lettre et visite » ou les manifestations violentes sont

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