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Gastroentérologie Clinique et Biologique (2009) 33, 518—520 OBSERVATION COMMENTÉE L’établissement du diagnostic de maladie cœliaque chez une femme jeune Diagnosis of celiac disease in a young woman J. Cosnes a,b a Service de gastroentérologie et nutrition, hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg Saint-Antoine, 75571 Paris cedex 12, France b Université Pierre-et-Marie-Curie, Paris-VI, France Disponible sur Internet le 21 mars 2009 Une jeune femme de 35 ans, secrétaire médicale, est adres- sée en consultation pour des douleurs abdominales associées à une macrocytose isolée (112 3, hémoglobine 12,8 g/dl). Elle a pour antécédents notables une glomérulopathie IgA découverte à l’âge de dix ans par la médecine scolaire devant une hématurie et deux fausses couches spontanées à 32 et 33 ans (une autre grossesse normale deux ans plus tôt). Il n’y a pas d’antécédents familiaux particuliers. Les douleurs abdominales se sont installées de fac ¸on progressive depuis six mois, à recrudescence post-prandiale, accompa- gnées de ballonnement, avec un transit variable alternant constipation et selles molles. L’état général est conservé (poids 60 kg pour 1 m 70), l’examen clinique est normal. La biologie est complétée par les dosages de ferritinémie (12 ng/ml), de folates et de vitamine B12 sériques (respec- tivement 0,5 et 0,8 fois la limite inférieure de la normale), les enzymes hépatiques (transaminases ALAT 1,5 N, le DOIs de l’article original : 10.1016/j.gcb.2009.02.018, 10.1016/j.gcb.2009.02.019. Adresse e-mail : [email protected]. reste est normal), une coagulation normale. Les anticorps antitransglutaminase IgA sont positifs à un taux élevé. Faut-il réaliser des biopsies duodénales devant un tableau clinicobiologique très caractéristique ? La signature histologique du diagnostic de maladie cœliaque est nécessaire en raison des conséquences à long terme du diagnostic (régime à vie, surveillance). Même si la spécificité des anticorps antitransglutaminase est bonne, de l’ordre de 95 %, seule la biopsie permet d’affirmer le diagnostic et constitue un élément de référence important du dossier, par exemple pour un typage lymphocytaire a pos- teriori si on discute secondairement une sprue réfractaire. Dans le cas particulier, dans le contexte d’auto-immunité (glomérulopathie), et devant une vitaminémie B12 basse, il est licite aussi de biopsier le fundus à la recherche de lésions de gastrite atrophique. La biopsie montre une atrophie villositaire partielle à subtotale avec hypertrophie cryptique et 50 lymphocytes 0399-8320/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.gcb.2009.02.021

L’établissement du diagnostic de maladie cœliaque chez une femme jeune

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a biologie est complétée par les dosages de ferritinémie12 ng/ml), de folates et de vitamine B12 sériques (respec-ivement 0,5 et 0,8 fois la limite inférieure de la normale),es enzymes hépatiques (transaminases ALAT 1,5 N, le

DOIs de l’article original : 10.1016/j.gcb.2009.02.018,0.1016/j.gcb.2009.02.019.

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intraépithéliaux pour 100 cellules épithéliales. Les biopsiesfundiques sont normales et l’hypovitaminose B12 est rappor-tée à la maladie cœliaque. L’ostéodensitométrie objectiveune discrète ostéopénie avec un T score à −1,2 au niveaudu col fémoral. L’enquête diététique note une alimentationéquilibrée apportant 2100 kcal mais pauvre en calcium dufait de l’éviction de tous les produits laitiers. Enfin, lapatiente fait part de difficultés pour avoir un second enfant,avec une période de stérilité durant depuis trois ans.

Comment prescrire le régime sans gluten ?Est-ce un traitement suffisant ?

Le régime sans gluten conduit à éliminer de l’alimentationtous les aliments contenant du blé, du seigle ou de l’orge.L’avoine est théoriquement autorisée, mais les produitsalimentaires contenant de l’avoine sont très souvent conta-minés par du blé, il est donc plus prudent de l’éliminer aussidu moins dans un premier temps. Il faut expliquer qu’ils’agit en réalité d’un régime très pauvre en gluten (moinsde 10 à 20 mg par jour, alors que l’alimentation normaleapporte 10 à 20 g), que le gluten est souvent « masqué »dans les sauces, les plats préparés, les charcuteries. . .,qu’un écart même isolé, même minime, peut remettre encause des années de régime. En réalité, l’instauration durégime nécessite l’intervention d’une diététicienne bienformée, seule à même de conseiller le patient et de luifaire éviter les nombreux pièges. Il existe dans le commercedes produits alimentaires (pâtes, pain, farine, biscuits. . .)à base de céréale sans gluten ou issus du blé dans lesquelsle gluten a été extrait et éliminé. Dans ce dernier cas, laconcentration de gluten résiduel peut être variable d’unproduit à l’autre. Seuls les produits portant la mention« sans gluten » (ou le logo de l’Association francaise desintolérants au gluten [Afdiag] représentant un épi de blébarré) sont certifiés comme contenant moins de 20 ppm degluten et peuvent être absorbés sans danger. Les produitssans gluten sont remboursés par la Sécurité sociale dans lalimite forfaitaire de 45 euros par mois. Il est donc importantde déclarer la maladie sur protocole d’examen spécial,en spécifiant la demande de seule prise en charge desproduits sans gluten. La maladie cœliaque n’est pas uneaffection de longue durée reconnue et ne justifie pas uneprise en charge à 100 %. Il est par ailleurs utile d’indiquerl’adresse de l’Afdiag (15, rue d’Hauteville, 75010 Paris ;http://www.afdiag.org), qui communique remarquable-ment et donne des conseils précieux. Chez cette malade,compte tenu d’un apport calcique faible et de l’ostéopénie,il faut encourager la prise de produits laitiers et d’eauxminérales riches en calcium (Courmayeur, Contrex, Hépar).Il est même souhaitable, au moins au début du régime, deprescrire des suppléments calciques et de la vitamine D (parexemple, Uvédose®, une ampoule buvable par trimestre).Enfin, les carences en folates et en vitamine B12 doiventêtre corrigées. La supplémentation en folates doit être

ensuite maintenue compte tenu du projet de grossesse.L’antécédent de fausses couches spontanées et la stérilitésecondaire conduisent à évoquer la possible responsabilitéde la maladie cœliaque, il faut en informer la patiente carce sera un encouragement certain au suivi du régime.

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L’instauration du régime nécessitel’intervention d’une diététicienne.

omment s’assurer du suivi du régime ? Laurveillance clinique suffit-elle ? Quelrogramme de surveillance peut-onroposer ?

es symptômes digestifs ne sont pas un marqueur fiable carls ne sont pas toujours amendés par le régime, il existeouvent un fond de colopathie résiduelle. Sur le plan biolo-ique, la normalisation de la ferritinémie (en l’absence deyndrome inflammatoire) et la négativation des anticorpsntitransglutaminase, habituellement observées aprèsuelques mois, sont des indicateurs de la repousse villosi-aire mais la corrélation avec l’évolution histologique estmparfaite. La biopsie duodénale de contrôle, à faire aprèsn à deux ans de régime car l’atrophie met longtemps poure réparer, apporte les renseignements les plus fiables. Sonndication doit être discutée avec la patiente. Même souségime bien suivi, la normalisation complète de la muqueusehez l’adulte n’est observée que dans moins de la moitiées cas, il persiste souvent une hyperlymphocytose intraé-ithéliale modérée et parfois quelques zones d’atrophieartielle. Mais une muqueuse redevenue normale est lejuge de paix » témoin d’un suivi parfait du régime et de sonfficacité.

La normalisation de la muqueuse signe unsuivi parfait du regime.

Dans le cas particulier de cette patiente, l’évolutiononfirme le contrôle par le régime de la maladie, avecotamment une nouvelle grossesse. Il faut prévoir secon-airement un suivi clinique (tous les un à deux ans) etiologique (numération formule sanguine, ferritine tous lesn à deux ans, anticorps si besoin) et une ostéodensitométriee contrôle deux à trois ans après la première. Un maladeœliaque qui suit le régime doit être considéré comme unujet indemne de sur-risque particulier, mais un contactédical régulier reste indispensable pour maintenir le suiviu régime.

uelles informations donner quant auisque de maladie cœliaque chez lesnfants ? Peut-on diminuer ce risque parne introduction tardive du gluten dans

’alimentation ?

a prévalence de la maladie cœliaque chez les enfants dealades cœliaques est diversement évaluée, entre 2 et 10 %.

e danger principal d’une maladie cœliaque paucisympto-atique chez l’enfant est le retard de croissance, il faut

onc demander à la mère de tenir régulièrement une courbee croissance et de consulter si la courbe se ralentit ou sipparaît une symptomatologie digestive ou inhabituelle. Leosage des anticorps chez un enfant asymptomatique estnotre avis sans grand intérêt car un résultat négatif ne
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ignifie pas que la maladie ne va pas se développer ulté-ieurement. Le typage HLA DQ2-DQ8 permet de reconnaîtrees enfants les plus à risque, puisqu’un enfant de parentœliaque et porteur de l’antigène a un risque très élevéde l’ordre de 30 %) de développer la maladie, alors que ce

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J. Cosnes

isque est nul chez ceux non porteurs. Enfin, les pédiatresonseillent actuellement d’introduire très progressivemente gluten dans la fenêtre de tolérance immunitaire, entreinq et six mois. L’allaitement prolongé pourrait être aussin facteur de protection.