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PRISE EN CHARGE DE L’AVC : FAUT-IL UNE ANESTHÉSIE ? Karl-Emmanuel Aïdan Département Anesthésie Réanimation - CHU Bicêtre – 78, rue du Général Leclerc - 94275 Le Kremlin-Bicêtre Cedex – France. E-mail : karl.aidan@ aphp.fr INTRODUCTION L’accident vasculaire cérébral (AVC) est la seconde cause de mortalité dans le monde et la 1 ère cause de handicap acquis (séquelles neurologiques), en France, et dans le monde. On dénombre 150 000 AVC par an en France, soit 410 AVC par jour, et 80 % de ces AVC sont d’origine ischémique. La mortalité à un mois est de l’ordre de 20 %. Parmi les survivants 75 % ont des séquelles neurologiques, et 35 % d’entre eux deviennent totalement dépendants d’une aide au quotidien. La prise en charge de l’accident vasculaire ischémique cérébral a connu, en 2015, un bouleversement des pratiques [1]. Elle est marquée par la publication successive de 5 études majeures, qui prouvent l’efficacité de la thrombectomie mécanique, à la phase aiguë de l’AVC ischémique. La prise en compte des résultats de ces études, oblige les institutions hos- pitalières à modifier leur fonctionnement : des « Stroke Center » se développent associant une unité de soins intensifs de Neuro-Vasculaire (USINV) couplée à une équipe de neuroradiologie interventionnelle. Un fonctionnement en réseau se crée, pour prendre en charge tous les patients dans des délais rapides. Il y a en France 37 centres de neuroradiologie interventionnelle et 132 USINV (37 de proximité et 92 de recours). Le nombre de thrombectomies augmente en France en 2015, et est proche de 2 900 (+140 % par rapport à 2014). Historiquement, ces thrombectomies sont exclusivement réalisées sous anesthésie générale (AG), comme la plupart des gestes de neuroradiologie inter- ventionnelle, pour limiter la gêne occasionnée par les mouvements du patient. Avec le recul de plusieurs années par rapport à l’utilisation de l’anesthésie générale, celle-ci semble actuellement décriée à la phase aiguë de l’AVC, et progressivement remplacée par une sédation. Pourquoi ? Faut-il continuer à effectuer ces procédures sous anesthésie générale ? Qu’est-ce qui justifie ce changement d’attitude ? Quelles sont les recommandations actuelles et comment se positionner en 2016, pour la prise en charge anesthésique des thrombectomies ?

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PRISE EN CHARGE DE L’AVC : FAUT-IL UNE ANESTHÉSIE ?

Karl-Emmanuel AïdanDépartement Anesthésie Réanimation - CHU Bicêtre – 78, rue du Général Leclerc - 94275 Le Kremlin-Bicêtre Cedex – France. E-mail : [email protected]

INTRODUCTION

L’accident vasculaire cérébral (AVC) est la seconde cause de mortalité dans le monde et la 1ère cause de handicap acquis (séquelles neurologiques), en France, et dans le monde.

On dénombre 150 000 AVC par an en France, soit 410 AVC par jour, et 80 % de ces AVC sont d’origine ischémique. La mortalité à un mois est de l’ordre de 20 %. Parmi les survivants 75 % ont des séquelles neurologiques, et 35 % d’entre eux deviennent totalement dépendants d’une aide au quotidien.

La prise en charge de l’accident vasculaire ischémique cérébral a connu, en 2015, un bouleversement des pratiques [1]. Elle est marquée par la publication successive de 5 études majeures, qui prouvent l’efficacité de la thrombectomie mécanique, à la phase aiguë de l’AVC ischémique.

La prise en compte des résultats de ces études, oblige les institutions hos-pitalières à modifier leur fonctionnement : des « Stroke Center » se développent associant une unité de soins intensifs de Neuro-Vasculaire (USINV) couplée à une équipe de neuroradiologie interventionnelle. Un fonctionnement en réseau se crée, pour prendre en charge tous les patients dans des délais rapides. Il y a en France 37 centres de neuroradiologie interventionnelle et 132 USINV (37 de proximité et 92 de recours). Le nombre de thrombectomies augmente en France en 2015, et est proche de 2 900 (+140 % par rapport à 2014).

Historiquement, ces thrombectomies sont exclusivement réalisées sous anesthésie générale (AG), comme la plupart des gestes de neuroradiologie inter-ventionnelle, pour limiter la gêne occasionnée par les mouvements du patient. Avec le recul de plusieurs années par rapport à l’utilisation de l’anesthésie générale, celle-ci semble actuellement décriée à la phase aiguë de l’AVC, et progressivement remplacée par une sédation. Pourquoi ? Faut-il continuer à effectuer ces procédures sous anesthésie générale ? Qu’est-ce qui justifie ce changement d’attitude ? Quelles sont les recommandations actuelles et comment se positionner en 2016, pour la prise en charge anesthésique des thrombectomies ?

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1. PRÉAMBULE  :QUELQUESÉLÉMENTSÀCONNAÎTREPOURCOM-PRENDRELESENJEUX

• Historique : De 1995, à la fin 2014, seule la thrombolyse intraveineuse (avec du rtPA) [2], effectuée avant la 3ème heure, (puis étendue à 4 heures 30 [3, 4]), est effi-cace et permet d’améliorer la mortalité et le pronostic neurologique des patients. L’efficacité de ce traitement est liée à la précocité de sa mise en route d'où l’adage « Time is Brain » [5]. Néanmoins, seuls 8 % des AVC ischémiques sont traités par rtPA (délai dépassé, et contre-indications nombreuses), et cette thrombolyse n’est efficace que chez 50 % des patients. L’échec est d’autant plus fréquent que l’atteinte initiale touche un gros vaisseau cérébral : terminaison carotidienne (TC), artère cérébrale moyenne (M1, M2), ou antérieure (A1, A2).

La thrombolyse intra-artérielle d’abord (1999)  [6,  7], puis secondairement la thrombectomie, se sont donc développées au fil des années, pour pouvoir pro-poser un traitement aux patients victimes d’un AVC. La thrombectomie a montré son efficacité dans des études non contrôlées (2005) [8]. Néanmoins, plusieurs études randomisées, effectuées entre 2006 et 2012, et publiées en 2013, n’ont pas réussi à démontrer [9] l’efficacité et la supériorité de cette technique comparée à la thrombolyse, sur la mortalité ou sur l’amélioration du pronostic neurologique (MR RESCUE [10], IMS III [11], SYNTHESIS [12]).

En 2015, la publication successive entre janvier et juin, de 5 études randomi-sées, multicentriques, (MR CLEAN [13], ESCAPE [14], EXTEND-IA [15], SWIFT PRIME [16], et REVASCAT [17]), prouve enfin l’efficacité de la thrombectomie mécanique, à la phase aiguë de l’AVC ischémique, en territoire antérieur par atteinte des gros vaisseaux, effectuée dans les 6 à 8 heures qui suivent le début des signes cliniques. L’efficacité est jugée sur l’amélioration de l’état neurologique des patients à 90  jours (5  études), et sur la diminution de la mortalité (pour l’étude Escape). Les 4 études (Escape, Extend-IA , Swift prime et Revascat  ) ont été arrêtées, à la suite de la publication de la 1ère étude Mr Clean en janvier 2015, pour effectuer des analyses intermédiaires, qui ont toutes conduit à leur arrêt anticipé pour positivité. Ces 5 études seront publiées successivement dans le NEJM. Il existe un certain nombre d’éléments qui ont permis l’émergence de résultats positifs dans ces 5 nouvelles études publiées en 2015 :

- L’amélioration des délais de prise en charge. - Une meilleure sélection des patients (Score NIHSS, zone de pénombre, colla-

téralité). - Les progrès radiologiques (IRM de diffusion, Score Aspects, Mismatch). - Une amélioration des techniques de thrombectomie (émergence des Stentrie-

ver®). - Une redéfinition plus précise des indications. - Une meilleure prise en charge multidisciplinaire dépendante de l’interaction entre

les différents intervenants d’une chaîne médicale.• LeTemps : c’est la clé de la réussite de la prise en charge de ces patients. Il

faut créer un réseau pour accélérer l’accès au soin de ces patients : diagnostic précoce par les Pompiers ou le SAMU, transfert en USINV, IRM, bilan biologique précoce, thrombolyse, et transfert du patient en neuroradiologie interventionnelle pour une prise en charge rapide. Le temps reste l’un des éléments primordiaux de cette prise en charge : « TIME is BRAIN ». Toute perte de 1 heure, entraîne une destruction irréversible de 120 millions de neurones [18] (en territoire fonctionnel variable), correspondant à l’équivalent d’un vieillissement de 3,6 ans.

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Le délai entre l’apparition des symptômes et la revascularisation est un élément déterminant pour l’évolution des patients sur le plan neurologique (241 minutes dans ESCAPE [14]). La diminution de tous les délais et de tous les temps inter-médiaires est l’objectif permanent des équipes [19]. Le choix de la technique d’anesthésie, et sa réalisation (consultation, examen, installation, induction) doivent aussi se faire en phase avec cette dynamique et ne pas la ralentir.

• Lazonedepénombre : c’est une zone de souffrance cérébrale, en périphérie de la zone d’infarctus, qui est encore vascularisée grâce à une circulation collatérale. Cette zone de pénombre peut évoluer soit vers la nécrose et l’extension de l’AVC, en cas de dégradation des conditions hémodynamiques, soit redevenir normale, si une revascularisation efficace est rétablie rapidement. La prise en compte de cette zone de pénombre est une notion essentielle à prendre en compte pour optimiser la prise en charge de ces patients. Elle devient visible grâce aux progrès de l’IRM.

• Lacollatéralité : les anastomoses artérielles intracérébrales ne sont pas limitées au seul polygone de Willis. Il existe des réseaux de collatéralité entre les artères cérébrales antérieures (ACA), moyennes (ACM), et postérieurs (ACP) par des artères lepto-méningés (piales). Cette collatéralité permet de maintenir une vas-cularisation du cortex cérébral, même en cas d’occlusion proximale du vaisseau principal dont il est anatomiquement dépendant. Cela a donc pour conséquence de limiter la zone de nécrose aux artères lenticulostriées, dépendante du vaisseau occlus, qui sont-elles de type terminal. Il convient de respecter cette collatéralité en maintenant de façon très stricte une pression artérielle élevée. Par ailleurs cette collatéralité reste rarement fonctionnelle plus de 24 heures après l’AVC. Une revascularisation précoce (avant la 6ème heure) est indispensable, sous peine d’extension progressive de l’AVC, au-delà de quelques heures.

• Lesprogrèsradiologiques : la meilleure sélection des patients par les équipes de neurologie et de neuroradiologie est un élément important. Elle s’est dessinée au fil des évolutions techniques radiologiques et est liée aux avancées de l’IRM (IRM de diffusion, T2, FLAIR), et du scanner (Score de ASPECTS). Il est maintenant possible de visualiser clairement, en quelques minutes, à l’aide de séquences prédéfinies, l’atteinte proximale d’un gros vaisseau de la circulation antérieure, la zone d’infarctus de volume limité, la circulation collatérale, mais aussi la zone de pénombre. Le temps moyen de la réalisation d’une séquence radiologique complète permettant de faire le diagnostic d’un AVC, et de porter l’indication d’une thrombectomie est de l’ordre de 30 minutes.

Les éléments radiologiques peuvent aussi permettre de dater rétrospectivement par analyse comparée des séquences, l’heure de début des symptômes et de rétablir ainsi une chronologie réelle de l’AVC pour décider ou non de l’indication de la thrombolyse et/ou de la thrombectomie.

• Lesnouveauxstents : l’évolution des matériaux et des techniques de neurora-diologie interventionnelle a permis l’émergence de nouveaux cathéters (Merci®, Penumbra®.). Le développement et l’utilisation de nouveaux cathéters en 2012 (Stentrievers®), associé à la technique de thrombo-aspiration, ont permis d’améliorer le pourcentage de désobstruction artérielle et de revascularisation, et par conséquent les résultats des études. Le taux d’utilisation de ces cathéters dans les 5 études récentes, varie entre 82 et 100 %.

• LescoredeNIHSS (National Institute of Health Stroke Scale) : ce score permet d’évaluer l’importance de l’atteinte neurologique et la gravité des patients à

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l’arrivée en USINV. Il étudie en détail les fonctions neurologiques de chaque patient (11 items) en attribuant 0 point si la fonction étudiée est normale, et 1 ou plusieurs points si elle est anormale. Ce score fonctionnel, est compris entre 0 et 42 et est évolutif pendant l’hospitalisation du patient traduisant son amélioration ou sa dégradation. Il est corrélé au volume de l’infarctus. Plus l’AVC est étendu, plus le retentissement neurologique est important et plus le score est élevé. Un score supérieur à 25 traduit un AVC très étendu, et constitue une contre-indication à la thrombolyse intraveineuse car le risque de transformation hémorragique secondaire est trop important.

• LescoredeRankinmodifié : c’est le score qui permet d’apprécier l’importance des séquelles neurologiques post AVC. Ce score est compris entre 0 et 6. Un score de 0 est une récupération sans séquelle. Un score de 6 correspond à un patient décédé. Un score de 5 est un état moribond avec dépendance totale. Dans toutes les études récentes, une bonne évolution neurologique est jugée en recherchant à 90 jours, le pourcentage de patient dont le score est inférieur ou égal à 2 (soit 0,1 et 2), et en comparant le pourcentage de patients dans chacun des groupes (de 0 à 6) selon le traitement utilisé.

• Les indications  : la thrombectomie en urgence est maintenant justifiée à la phase aiguë d’un AVC (avant la 6éme heure). Elle permet de reperméabiliser les vaisseaux occlus et d’améliorer le pronostic neurologique des patients et la survie des patients. Ce geste est utile, s’il s’agit d’une atteinte antérieure proximale (TC, M1, M2, A1, A2), si le territoire initial d’infarctus n’est pas trop étendu, si le score neurologique de NIHSS est < 25, s’il existe une bonne collatéralité et une zone de pénombre importante permettant d’escompter une bonne récupération après revascularisation. Le fait que les patients aient reçu une thrombolyse ne contre-indique pas, ou ne doit pas retarder la thrombectomie.

• Ladouleur  : la survenue d’un AVC, comme la procédure de thrombectomie sont des séquences responsables de douleurs très vives chez 60  % des patients [24, 27]. L’origine de ces douleurs est probablement à la fois l’instal-lation de l’ischémie, la revascularisation, mais aussi les séquences de tractions vasculaires transmises sur la dure-mère, dont l’innervation est complexe, et dont le retentissement est parfois difficile à contrôler. Ces retours d’expériences des patients sont des éléments importants à rechercher et à prendre en compte pour améliorer les pratiques : expérience acquise lors des thrombectomies sous locale, suite à l’interrogatoire de patients à distance de l’AVC, ou pendant des interventions de « chirurgies éveillées ».

Je me rappelle une chose : je suis allongé sur une table, on me dit d’écarter bien les jambes, de ne surtout pas bouger. Je tente de rester immobile, dans la position qu’on m’a indiquée au départ, et ce n’est pas facile. L’objectif, c’était d’atteindre mon artère fémorale, pour pratiquer une thrombectomie, pour enlever le caillot.Puis j’ai ressenti une énorme douleur, pendant environ 1 minute, au niveau de mon cerveau. C’était à la limite du supportable. Je me souviens d'avoir serré les dents mais néanmoins crié. C'est comme dans le dessin animé « Ken le survivant ». C’était le sang qui revenait là où le caillot l’en avait empêché.

Témoignage d’un patient de 45 ans, après un AVC traité par thrombectomie

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• L’équipepluridisciplinaire : les « Stroke Center » reposent sur le bon fonc-tionnement en équipe de différents intervenants de la chaîne : 1 patient pour 3 médecins (neurologue, neuroradiologue et anesthésiste). Ces équipes associées dans un même lieu, n’ont pas toujours l’habitude de travailler ensemble, et n’ont pas forcément les mêmes objectifs. Ils doivent apprendre à communiquer, à se transmettre les informations utiles concernant le patient et à interagir ensemble :

ObjectifsduNeurologue : Aller vite. Sélectionner cliniquement et radiologiquement les bons patients. Récupérer des informations sur le patient. Thrombolyser le patient dès que possible en l’absence de contre-indications. L’examiner régulièrement. Pouvoir suivre en continu l’état neurologique du patient pour dépister une complication. Surveillance de l’hémodynamique. Continuer à suivre le patient après la thrombectomie. L’anesthésie générale est peu souhaitable pour lui.

ObjectifsduNeuroradiologueinterventionnel : Aller vite. Ponctionner le patient le plus tôt possible. Thrombectomiser ou thrombo-aspirer le caillot. Reperméabiliser le vaisseau occlus : (obtenir un flux TICI 3 ou TICI 2b en fin d’artériographie). Eviter une complication vasculaire (dissection, rupture, hématome, hémorragie). Préfère travailler sous anesthésie générale +++

Objectifsdel’Anesthésiste : Aller vite. Assurer au patient sécurité, confort et analgésie. Protéger ses voies aériennes en cas de nécessité. Conserver une évaluation neurologique. Choisir, proposer et induire une anesthésie ou une sédation, selon le besoin. Ne pas faire chuter la PA du patient (circulation collatérale). Ne pas utiliser des drogues délétères pour l’hémodynamique du patient, ni pour la circulation cérébrale. Extuber vite le patient. Eviter une ventilation mécanique prolongée.Pouvoir réagir vite si besoin. (passage de sédation en AG)

Ainsi une bonne connaissance des objectifs et des spécificités de travail de chacun des intervenants est une nécessité, pour développer une procédure optimale. Le travail en équipe et la connaissance élargie, bien au-delà du domaine de sa spécialité propre, est indispensable pour pouvoir bien prendre en charge ces patients en commun.

Comment concilier au sein de cette équipe multidisciplinaire la prise en charge anesthésique ? Faut-il ou non une anesthésie ? Une sédation ? Quelle est la meilleure prise en charge pour ces patients ? Enfin cette prise en charge a-t-elle une influence sur le pronostic neurologique des patients ?

2. FAUT-ILUNEANESTHÉSIEGÉNÉRALEPOURCESPATIENTS PENDANTLAPROCÉDUREDETHROMBECTOMIE ?

Pour aider à répondre de façon objective à cette question, il convient de se tourner vers l’analyse des données de la littérature de ces dernières années, en commençant par les études cliniques et comparatives entre AG et sédation, puis les recommandations de pratiques cliniques et enfin voir si les études récentes de

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2015 ont modifié la façon de prendre en charge ces patients. Enfin nous étudierons les protocoles actuels utilisés en 2016 à Bicêtre.2.1. ETUDES CLINIQUES SUR LE CHOIX DE LA TECHNIQUE D’ANESTHÉSIE

AVANT 2015Les premières thrombectomies remontent aux années 2000. Cette technique

va se développer au fil des années, sans être clairement validée dans des études contrôlées par rapport au traitement de référence que constitue la thrombolyse.

Historiquement, ces thrombectomies, du fait de la nouveauté de cette tech-nique, étaient effectuées de façon préférentielle sous anesthésie générale (comme les traitements à froid des MAV et des anévrismes), afin d’empêcher le patient de bouger et d’éviter les perforations vasculaires et les dissections. Mais déjà en 2006, certaines équipes effectuent ces gestes sous sédation, sans complication notable.

En 2010, 65 % des thrombectomies sont encore effectuées sous anesthésie générale avec pour les neuroradiologues, une impression de sécurité, et de meilleure efficacité, mais avec parfois un délai de démarrage de procédure plus long [20] (disponibilité des équipes d’anesthésie, temps d’induction.). La sédation continue de se développer et de gagner du terrain

TableauIAvantages et inconvénients de la prise en charge de ces patients sous anesthé-

sie générale avant 2015.Avantages :

Traiter et contrôler la douleur.Traiter une agitationProtections des voies aériennesContrôler les mouvements du patient pour éviter les complications vasculaires

Inconvénients :Induction en urgence, chez un patient à risque, peu évalué, non à jeunBesoin de la disponibilité d’une équipe d’anesthésieRetard de ponction (délai évaluation, induction, stabilisation)Risques liés à l’intubationHypotension liée à l’AG (terrain, patient âgé)Empêche une surveillance neurologique Difficultés d’extubation, et ventilation prolongée Transfert possible en réanimation

L’analyse détaillée de la littérature (Pub Med) des dernières années sur la comparaison de prise en charge anesthésique pour thrombectomie (anesthésie générale versus sédation), montre qu’il n’existe que des études rétrospectives, les premières débutant en 2010, avec des effectifs variables. Aucune étude randomisée prospective portant sur le choix de la technique d’anesthésie n’a été retrouvée.

Dès 2010, plusieurs études rétrospectives  [21-23] vont mettre en évidence l’existence d’un retentissement de la technique d’anesthésie sur l’évolution neu-

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rologique des patients, lors de la réalisation des procédures de thrombectomie. Ces premières études vont initier un débat qui reste encore ouvert actuellement.

L’étude avec le plus gros effectif, qui cherche à comparer sédation et anesthésie générale est celle publiée en 2010, par Abou Chebl et al. [21] : c’est une étude observationnelle rétrospective multicentrique qui repose sur 1079 patients : 428 sous AG (44 %), et 651 sous sédation, inclus entre 2005 et 2009. Il n’existe pas de différence de complications hémorragiques entre les 2 groupes. L’anesthésie générale ressort comme un facteur indépendant de mauvais pronostic neurologique (OR 2,33 95 % CI 1,63-3,44) et de mortalité (OR 1,68 95 % CI 1,23-2,30).

2 autres études importantes, publiées entre 2010 et 2012 vont dans le même sens :• Nichols et al. (81 patients) [22] : les patients avec une sédation légère ont une

bonne évolution neurologique (OR 5,7 95 % CI 1,5-12,3) et les patients qui ont eu une AG ou une sédation profonde ont une surmortalité (OR 5,0 95 % CI 1,3-18,7).

• Jumaa et al. (126 patients) [23]. La « non-intubation » est associée à une durée de séjour plus courte en réanimation (3,2 vs 6,5 jours p = 0,0008), un plus petit volume d’infarctus cérébral (OR 0,25 ; p = 0,04), une bonne évolution neurologique (OR 3,06 ; p = 0,042) et une mortalité moindre (OR 0,32 ; p = 0,011).

Bien que rétrospectives, ces 3  études alertent déjà en 2010 sur une plus mauvaise évolution neurologique des patients traités par thrombectomie sous anesthésie générale, ainsi qu’une augmentation de la mortalité dans le groupe traité sous AG. Néanmoins les avis restent très tranchés entre les équipes et les oppositions sont vives [24-26].

Une revue de la littérature publiée en 2012, par John et al. [27], analyse les 4 premières études sur ce sujet [21-23, 28]. Les 4 études vont dans le sens d’une supériorité de la sédation, en remarquant toutefois l’absence de détails sur les protocoles d’anesthésie générale et de sédation utilisés, ainsi que sur les paramètres hémodynamiques per procédure. Ils discutent certaines hypothèses expliquant la plus mauvaise évolution neurologique des groupes traités sous anesthésie générale :• L’instabilité hémodynamique peranesthésique est retenue comme l’hypothèse

la plus probable [28] mais peu de documentation chiffrée n’est disponible dans ces études.

• Du fait du caractère rétrospectif de ces études, il n’est pas possible d’éliminer complètement un biais de sélection des patients, principalement sur la gravité des patients à l’arrivée. Les patients les plus graves sont possiblement traités d’emblée sous AG et ont de fait un moins bon pronostic et une surmortalité.

Entre 2012 et 2014, 4  autres études rétrospectives sont publiées (Li  [29] Davis [28] Abou-Chebl [30], Hassan) et retrouvent elles aussi des évolutions moins favorables sur le plan neurologique chez les patients traités par thrombectomie sous anesthésie générale.

Enfin en novembre 2014, paraît une revue de la littérature associée à une méta-analyse par Brinjikji et al. [31] qui reprend toutes les études utilisables, publiées entre 2010 et mars 2014 et qui compare les 2 types d’anesthésie sur le devenir clinique et artériographique des patients. Neuf études sont retrouvées rassemblant 1956 patients (dont les 4 études déjà présentes en 2012). Le message principal qui en ressort est celui-ci :

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- Les patients ayant une anesthésie générale sont plus à risque de : Mauvaise évolution neurologique (OR = 2,59 ; 95 % CI, 1,87-3,58) D’avoir des complications respiratoires (OR = 2,09 ; 95 % CI, 1,36-3,23) - Les patients ayant une anesthésie générale sont moins à risque de : Bien évoluer sur le plan neurologique (OR = 0,43 ; 95 % CI, 0,35-0,53) Bien évoluer sur le plan angiographique (OR = 0,54 ; 95% CI, 0,37-0,80)

Enfin dans cette méta-analyse comme dans la plupart des études, les patients sous anesthésie générale ont un score NIHSS plus élevé à l’arrivée, traduisant une gravité initiale plus importante. Après analyse complémentaire et ajustement sur le score du NIHSS (pas toujours disponible dans les 9 études), la tendance à une mauvaise évolution neurologique est maintenue pour l’anesthésie générale mais n’est plus statistiquement significative. (OR = 0,38 ; 95 % CI, 0,12-1,22).

Par ailleurs, les temps de réalisation des gestes sont non significativement différents sous anesthésie générale et sous sédation : temps moyen de procédure à 104 minutes sous AG vs 89 minutes sous sédation. Aucune étude n’a montré que la sédation est associée à un plus grand nombre de complications vasculaires : dissection, perforation vasculaire ou d’hémorragie intracérébrale. Le risque de conversion per procédure de sédation en AG est très faible, de l’ordre de 3 %, le plus souvent pour agitation.

Au vu de ces études, il semble donc souhaitable de privilégier la sédation et d’éviter l’AG si elle n’est pas nécessaire, en attendant la réalisation d’études prospectives randomisées sur le type d’anesthésie.

Ces conclusions seront confirmées par une autre étude rétrospective compa-rative, conduite par McDonald et al. [32] en novembre 2014 (et publiée en 2015), à partir d’une méthodologie un peu différente. Sur un registre de 2540 patients entre 2006 et 2013, les auteurs apparient  « 1 à 1 », des patients de caractéristiques cliniques identiques et ne diffèrant que par le protocole anesthésique utilisé (séda-tion ou AG). Il y a 507 patients dans chaque groupe. Les auteurs retrouvent que les patients ayant une thrombectomie sous AG ont une mortalité plus élevée (de 25 % vs 12 %) (OR = 2,37; 95% CI, 1,68-3,37), un risque plus élevé de survenue de pneumopathie (17 % vs 9,3 %), (OR = 2,00; 95% CI, 1,35-2,99) et une durée d’hospitalisation plus longue (8 jours vs 6 jours. p < 0,0001).2.2. LES RECOMMANDATIONS D’EXPERTS ÉCRITES ET SOUMISES À VALI-

DATION EN AOÛT 2012, PUBLIÉES EN DÉCEMBRE 2013 [33].Devant le manque de données existantes pour la prise en charge anesthé-

sique de ces patients, il faut se tourner, vers les recommandations d’experts Américains [33] (anesthésistes et réanimateurs) publiées en décembre 2013 par la SNACC (Society for Neuroscience in Anesthesiology and Critical Care). Ces recommandations sont validées par la SNIS (Society of Neurointerventionnal surgery) et la NCS (Neurocritical Care Society).

Les points importants de ces recommandations d’experts sont les suivants :• Depuis 20 ans, il existe beaucoup de littérature sur les techniques de traitement

endovasculaire, mais rien sur la prise en charge anesthésique et hémodynamique de ces patients. Celle-ci est très variable d’un anesthésiste à un autre, et d’une structure à l’autre, ce qui justifie la création d’un groupe d’experts pour donner des recommandations claires sur la prise en charge anesthésique de ces patients.

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• Les patients sont souvent âgés et présentent de nombreuses comorbidités. Durant la procédure endovasculaire, les anesthésistes sont intimement associés à la procédure et sont impliqués dans la sédation, l’anesthésie, le monitorage le contrôle de l’hémodynamique, l’oxygénation la ventilation, le contrôle glycémique et la gestion des complications péri opératoires. Tous ces éléments ont un effet significatif sur le pronostic et le devenir à long terme du patient.

Ces recommandations sont divisées en 12 points : 4 seulement seront détaillés ici.

1- Latechniqueperopératoire 

Le choix de la technique est adapté au patient, et en accord avec le neuroradio-logue. Il n’existe pas de recommandation sur le choix des drogues.L’AG est préférée chez un patient agité, ou plus grave sur le plan neurologique (protection voies aériennes), ou s’il est déjà intubé, ou s’il présente un AVC du tronc basilaire (Niveau de preuve B).La sédation ou l’AG sont possibles chez un patient avec AVC carotidien, calme et protégeant ses voies aériennes. (Niveau de preuve B)Le choix des drogues et de la technique est à adapter aux caractéristiques propres du patient.Si la sédation est choisie, il faut se préparer à passer en AG à tout moment.Si l’AG est choisie, il faut chercher à obtenir une extubation précoce en fin de procédure.Il n’existe pas de différence de complication hémorragique et de perforation vasculaire entre les 2 techniques. Il n’existe pas de différence de délai de prise en charge entre les 2 techniques.On retrouve plus de pneumopathie dans le groupe AG que dans le groupe sédation.

2- OxygénatiOn et capnie

L’intubation n’est pas obligatoire si la ventilation et l’oxygénation peuvent être maintenues. L’intubation est souhaitable en cas de vomissement, d’aggravation neurologique ou s’il existe une obstruction des voies aériennes sous sédation, non réversible sous O2.L’apport d’oxygène supplémentaire est recommandé pendant la sédation  ; l’oxygénation peut être nécessaire en cas de sédation profonde (ronflement, obstruction voies aériennes).Il faut assurer une surveillance continue de la saturation et de la capnie, ainsi que de la PaO2 et la PaCO2 (si gaz du sang disponibles)La FiO2 est titrée pour obtenir une PaO2 > 60 mmHg , une saturation > 92 %. La ventilation et la sédation sont titrées pour obtenir une normocapnie (PaCO2 entre 35 et 45.)L’hyperoxie peut avoir des effets délétères et n’est pas recommandée.L’hypercapnie est vasodilatatrice et augmente le débit sanguin cérébral. L’hyper-capnie profonde doit être évitée.

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3- priseenchargehémodynamique 

Surveillance hémodynamique constante et monitorage précoce de la pression artérielle, de la FC et du rythme cardiaque (prise de PA toutes les 2 minutes).Pression artérielle systolique > 140  mmHg et <  180  mmHg (avec ou sans thrombolyse) et pression artérielle diastolique < 105 mm Hg (Niveau de preuve B).Traiter, explorer et contrôler les causes d’hypotension.Une pression artérielle systolique < 140 mm Hg durant l’induction d’une anesthésie n’est pas permise. Remplissage et utilisation de vasopresseurs doivent permettre de rester dans les recommandations de pression. Le choix du vasopresseur est à adapter à la situation clinique.Les objectifs de tension peuvent être revus à la baisse avec les neuroradiologues en cas de succès de la thrombectomie, pour éviter une transformation hémor-ragique secondaire.

4- cOmpOsitiOn de l’équipe qui prend en charge l’anesthésie.

La présence d’un neurologue spécifique pour le « Stroke center » et d’un réani-mateur en USINV, permet d’améliorer le pronostic des patients. Il n’existe pas de données aussi claires dans la littérature, sur le pronostic du patient pour valider la présence de l’anesthésiste pendant la procédure de thrombectomie.L’anesthésiste doit être impliqué dans la prise en charge du patient, dès le début au sein d’une équipe dédiée, mise en place par la structure hospitalière.La prise en charge des patients est multidisciplinaire avec des équipes (urgentistes, neurologues, neuroradiologues, anesthésistes et réanimateurs) qui se succèdent auprès du patient, obligeant à une communication exemplaire.Le besoin de gérer l’hémodynamique, la sédation, l’analgésie, la ventilation, la glycémie et les complications possibles de la procédure, implique la présence d’un anesthésiste (et d’une équipe) sur place pendant la thrombectomie.Si une AG est choisie, la présence de l’anesthésiste et de l’équipe d’anesthésie est obligatoire.Si une sédation est choisie, la présence de l’anesthésiste responsable sur place est vivement souhaitable pour gérer le patient, l’hémodynamique, et les complications possibles. Cette dernière recommandation peut varier d’un pays à l’autre : en effet, il n’y a pas en France, contrairement aux USA, d’infirmiers pouvant gérer seuls une sédation, donc l’anesthésiste doit être présent sur place pendant une sédation.

Ces recommandations sont-elles encore valides depuis la parution des nou-velles études randomisées ?2.3. LES 5 NOUVELLES ÉTUDES PUBLIÉES EN 2015 [13-17]

On retire plusieurs points de l’analyse de ces études récentes :• Dans ces 5 études, nous n’avons que très peu d’informations sur la prise en

charge anesthésique, des patients  lors de la thrombectomie ; uniquement un pourcentage de geste sous anesthésie générale.

• Il n’est fait aucune mention dans ces études : - du protocole d’anesthésie ou de sédation utilisé pour le déroulement de la

thrombectomie. - de l’équipe responsable de la prise en charge anesthésique (anesthésiste seul,

équipe d’anesthésie ou infirmier seul)

Prise en charge de l'accident vasculaire ischémique en 2016 149

- de l’hémodynamique peropératoire, du support par catécholamines pour le maintien de la PA ou même des objectifs de PA.

- de description de l’algorithme sur le choix du protocole d’anesthésie - des délais de prise en charge anesthésique.• Aucun anesthésiste ne semble associé à la rédaction de ces articles.• Par ailleurs on constate de moins en moins « d’anesthésies générales » utilisées

au fil des années, toutes ces études ont débuté en 2012 et se finissent en octobre 2014. Le nombre d’anesthésie générale varie dans les 5 études entre 7 % et 38 % (37,8 %, 9 %, 36 %, 37 % et 6,7 %). C’est beaucoup plus bas que dans les années précédentes ou le taux d’anesthésie générale était proche de 70 %. La thrombectomie est faisable sous sédation (entre 62 % et 93 % des cas).

• Aucune étude en sous-groupe n’a été prévue sur le type d’anesthésie utilisé et sur le pronostic en fonction de ce type d’anesthésie, alors qu’existent déjà depuis 2010, des études rétrospectives qui alertent sur le fait que l’anesthésie générale serait associée à un risque relatif de surmortalité et de mauvais pronostic neurologique.

Ainsi, en mars 2015, la question posée par le Dr. Freeman, aux auteurs de l’étude « Mr Clean », sur l’existence d’une analyse en sous-groupe selon le type d’anesthésie reçu, a relancé le débat sur le choix sur la technique d’anesthésie dans la prise en charge de l’AVC, et sur le fait que cela puisse avoir une influence sur la nature des résultats retrouvés. La réponse de Berkhemer et al. [13] survient en 3 parties :

• La 1ère partie de la réponse est l’absence de résultats disponibles car « non analy-sés » témoignant de la non prise en compte de cette problématique initialement.

• La 2ème partie de la réponse fut de publier une étude rétrospective, comparant l’évolution neurologique selon le type d’anesthésie, sur les 10 dernières années précédant l’inclusion dans Mr Clean (aux Pays-Bas), dans les mêmes centres que ceux de l’étude. C’est l’étude publiée par Van den Berg et al. [34] en mars 2015 portant sur 348 patients entre 2002 et 2013. La conclusion est identique à celle retrouvée dans la plupart des études rétrospectives. Les patients présentant un accident vasculaire ischémique sur la vascularisation antérieure, recevant un traitement endovasculaire sous sédation, ont une plus grande probabilité de bonne évolution neurologique, par rapport à ceux qui ont une anesthésie générale (OR 2,1 ; 95 % CI 1,02-4,31). Néanmoins dans cette étude, les scores NIHSS des patients dans les 2 groupes à l’arrivée sont identiques, ce qui apporte un élément nouveau et important : la différence de pronostic n’est pas liée à une différence de gravité des patients à l’arrivée.

• La 3ème partie de la réponse est venue de la publication des résultats des analyses complémentaires, fournies par l’équipe de Mr Clean [13] lors de « l’international stroke conférence » en 2015. Cette étude incluait 216 patients pour thrombec-tomie (79 sous AG et 137 sous Sédation). Le score NIHSS était comparable dans les 2 groupes. Il n’existe pas de différence significative sur le temps de revascularisation, mais une différence en termes de délai d’initiation du traitement (28 minutes + rapide pour le groupe « Sédation »). Dans cette étude, on retrouve 4 % de conversion de sédation en AG.

Le pronostic neurologique des 79 patients traités par thrombectomie sous AG n’est pas différent des 267 patients du groupe contrôle, (OR, 1,09 ; 95 % CI 0,69-1,71). Mais, les 137 patients qui ont été traités par thrombectomie sous sédation

MAPAR 2016150

ont un meilleur pronostic neurologique à 3 mois que dans le groupe contrôle (OR, 2,13 ; 95 % CI 1,46-3,11).Ainsi il apparaît, par l’étude Mr Clean et par son analyse complémentaire que «  le bénéfice du traitement endovasculaire est perdu dans le groupe traité par anesthésie générale (2015 International stroke conférence, Nashville, Tennessee). 

Cette publication, lors de ce congrès, ainsi que l’étude rétrospective de Van den Berg et al. [34] apportent des éléments de réponse récents et importants, à la question qui nous préoccupe sur l’influence d’une anesthésie générale lors de la prise en charge des patients pour thrombectomie. Toutefois dans cette étude, aucune randomisation n’a été faite initialement sur le type d’anesthésie.2.4. LES MÉTA-ANALYSES SUR CES 5 ÉTUDES [35, 36]

Les premières méta-analyses reprenant les 1 287 patients de ces 5 études, confirment l’intérêt et l’utilité de la thrombectomie. Par ailleurs, elles rappellent la nécessité d’une prise en charge rapide, et sur l’utilité de la sélection radiologique des patients.

Concernant la prise en charge anesthésique :La thrombectomie est faisable sous sédation. (92 % dans ESCAPE) [14] Il n’y a pas de différence significative de délai de ponction et de revascularisation entre les groupes AG et sédation.Il n’y a pas de risque plus élevé d’hémorragie, de perforation vasculaire, de dissection et de thrombose vasculaire sous sédation, Le taux de conversion de sédation en AG est de l’ordre de 4% à 8% Enfin les résultats dépendant de la motivation des équipes et de l’expérience de l’opérateur.

2.5. MISE À JOUR DES RECOMMANDATIONS INTERNATIONALES [36-38]Depuis juin 2015, les différentes sociétés savantes de neuroradiologie ont mis

à jour leurs dernières recommandations, suite à la publication de ces 5 études validant la thrombectomie comme traitement efficace, et de certaines publications émettant des réserves sur le choix de la technique d’anesthésie. Elles diffèrent d’une institution à une autre.

Recommandations de juin 2015 de l’AHA/ASA (American Heart association/Ame-rican Stroke Association.) Update of the 2013 guidelines for the early Management of patients With Acute Ischemic Stroke Regarding Endovascular Treatment [37]. « Il semble raisonnable de favoriser la sédation par rapport à l’anesthésie générale pour le traitement endovasculaire de l’AVC. Mais quoi qu’il en soit, le choix définitif de la technique anesthésique doit être personnalisé en fonction des facteurs de risque du patient, de la tolérance de la procédure et d’autres critères cliniques. Des études randomisées sont nécessaires. (Force de la recommandation : IIb (faible), Niveau de preuve :C) ».

Prise en charge de l'accident vasculaire ischémique en 2016 151

Recommandation de l’European Stroke Organisation (ESO) Nov 2014/(mise à jour du 15 mai 2015 ; publication en Septembre 2015) [36]. Elle nee modifie pas les recommandations concernant l’anesthésie malgré les études récentes, considère que le niveau de preuve de ces études rétrospectives est trop faible et rappelle les recommandations de 2013  [33]. «  Le choix de l’anesthésie dépend de la situation individuelle du patient et tout doit être fait pour ne pas perdre de temps ».

Recommandation de la Society of Neuro Interventionnal Surgery (SNIS) (juillet 2015) [38]« L’utilisation en routine de l’anesthésie générale pour les procédures de traitement endovasculaire doit être évitée au possible ». Faire une thrombectomie sous sédation est possible : « Dans l’étude ESCAPE, l’anesthésie générale était découragée au maximum et n’a été nécessaire que dans moins de 10 % des cas »  «  La thrombectomie doit être effectuée sous sédation ou anesthésie surveillée. L’anesthésie générale avec intubation doit être proposée uniquement aux patients qui ne protègent pas leurs voies aériennes, ou qui sont « non coopérant » pour le déroulement de la procédure. (Force de la recommandation : IIb (faible), Niveau de preuve :C) ».

2.6. LES EXPLICATIONS SUR LES VARIATIONS DE PRONOSTIC NEUROLO-GIQUEDans la littérature récente publiée par des équipes d’anesthésie, on retient

2  revues générales et des études de physiologie cérébrale plus anciennes sur les effets des drogues anesthésiques (halogénés, hypnotiques, morphiniques) et 2 études récentes publiées en fin 2015, qui cherchent à comprendre les différences de pronostic neurologique constatées selon la technique anesthésique choisie.

La 1ère revue générale est celle publiée par Anastasian et al. [39] qui insiste sur l’absence d’études de qualité disponibles, faites par des équipes d’anesthésie, en dehors des recommandations publiées en 2013 par un groupe d’expert. Il n’y a pas, ou peu, de données disponibles sur les protocoles anesthésiques utilisés dans les études récemment publiées sur la prise en charge des patients avec un AVC. Toutes ces études rétrospectives tirent des conclusions avec des données très floues sur l’anesthésie.

La 2ème étude est plus ancienne et publiée par Froehler et al.  [40] (équipe pluridisciplinaire). Ils insistent sur la physiopathologie cérébrale de l’accident vasculaire ischémique à la phase toute initiale, qui est bien différente des prises en charge connues du traumatisé crânien, ou de l’hypertension intracrânienne. Il n’y a pas encore d’HTIC à la phase initiale de l’AVC et les objectifs principaux sont le maintien de la PAM, de la PPC et de la vasodilatation cérébrale pour préserver une circulation collatérale fonctionnelle et efficace.

Dans ces 2  études, les auteurs redonnent des idées directrices pour une prise en charge anesthésique de bonne qualité, en émettant des hypothèses plus centrées sur des considérations « anesthésiques » pour expliquer les différences de pronostic neurologique rencontrées dans les études rétrospectives entre les groupes « Sédation » et « Anesthésie générale ».

Les hypothèses envisagées par ces auteurs sont les suivantes :

MAPAR 2016152

• L’hypotension lors de l’induction d’une anesthésie est inéluctable (de 5 à 99 % des AG) [41, 42]. Cette fluctuation de PA met en péril la circulation collatérale dans la zone de pénombre. Le système d’autorégulation cérébrale peut être dépassé. Les variations de PA pendant la phase aiguë de l’AVC sont des éléments de mauvais pronostic. Une chute de PAM de 40 % est un facteur prédictif indépendant de mauvaise évolution neurologique (P = 0,032) [43]. Cela survient pendant au moins 20 minutes, chez 70 % des patients ayant une mauvaise évolution neurologique. Une PAS inférieure à 140 mmHg pendant la procédure est aussi un facteur de mauvais pronostic [28].

• Tous les médicaments utilisés en anesthésie ont des effets au niveau de la circulation cérébrale qui sont importants et très variables d’un produit à l’autre : vasoconstriction, vasodilatation, modification de la pression de perfusion cérébrale, de la PIC, du débit sanguin cérébral, du volume sanguin cérébral, du couplage perfusion et métabolisme, de l’autorégulation cérébro-vasculaire et de la réactivité au CO2. Certaines drogues anesthésiques sans être « neurotoxiques », peuvent devenir « neuro-délétères » sur la vascularisation cérébrale à la phase aiguë de l’AVC ischémique. Ainsi celles qui sont vaso-constrictrices au niveau cérébral, ou qui diminuent la pression de perfusion cérébrale et le débit sanguin cérébral, peuvent être des drogues contre-indiquées pour ces patients, ou à utiliser en tentant d’atténuer leurs effets délétères (avec vasopresseurs) [40, 44-48].

TableauIIAction des drogues anesthésiques au niveau cérébral.

Action sur Vx Cérébraux

Pression de perfusionCérébrale

Autorégu-lation

cérébrale

RéactivitéauCO2

Propofol vasoconstriction variable conservée normaleThiopental vasoconstriction variable conservée normaleDesflurane vasodilatation diminution perturbée normaleSevoflurane (<1 MAC)

vasodilatation diminution conservée (<1Mac)

normale

Ketamine vasodilatation augmentation conservée normaleDexmé-dethomidine

vasoconstriction diminution conservée normale

Rémifentanil faibledose

vasodilatation Peu modifiée conservée normale

• Les modifications de la capnie (PaCO2), chez des patients placés sous anesthésie générale ont aussi des conséquences. La ventilation mécanique et les réglages des paramètres de ventilation, modifient la vasomotricité cérébrale, par vaso-constriction ou vasodilatation. Ainsi l’hyperventilation entraîne une hypocapnie qui est un puissant vasoconstricteur cérébral.

• L’existence de médicaments neuroprotecteurs ou neurotoxiques. Malgré des études animales concluantes, aucun médicament ou aucune drogue anesthésique n’a pu prouver une action neuroprotectrice en pratique clinique [40, 49]. Certaines études récentes mettent même plutôt en alerte sur la toxicité de certains agents anesthésiques aux âges extrêmes de la vie : enfants de moins de 3 ans [50] et sujets âgés [51]. Plusieurs études rapportent même des syndromes confusionnels

Prise en charge de l'accident vasculaire ischémique en 2016 153

postopératoires, chez les patients âgés, survenant après une anesthésie générale dont l’étiologie n’est pas clairement définie [52].

• Un possible retard de démarrage de la thrombectomie serait lié au temps nécessaire à la prise en charge anesthésique. Tout gain de 15 minutes dans la revascularisation entraîne une amélioration de pronostic neurologique de 34 patients sur 1000 [19, 18].

Enfin 2 études récentes viennent confirmer certaines de ces hypothèses :Dans une 1ere étude rétrospective récente, publiée en août 2015 par Jagani

et al.  [53] sur 99  patients entre 2008 et 2015, les auteurs se concentrent sur les paramètres hémodynamiques per procédure et l’évolution neurologique des patients en fonction de l’hémodynamique. Les patients sous AG (38 %) ont de façon significative (P < 0,00001) une PAS maximum et minimum plus basse, une PAM minimum plus basse et une PAD minimum plus basse. La sédation est associée à une meilleure évolution neurologique (P = 0,02) et enfin les patients avec une bonne évolution neurologique sont ceux qui sont le moins fluctuants sur la PAS (p = 0,01) et sur la PAM (P = 0,03).

Enfin, la deuxième étude rétrospective sur 88 patients, est publiée en novembre 2015 par Sivasankar et al. [54]. Les auteurs ont cherché à rentrer plus en détail dans les protocoles anesthésiques utilisés, et veulent montrer qu’il ne faut pas considérer « l’AG » comme une entité unique. Ils ont comparé différents protocoles « d’anesthésie générale » entre eux. Ils ont séparé les groupes de patients selon le mode d’entretien de l’anesthésie (entre sédation seule, AG avec entretien par agents intraveineux seuls, AG et agents volatils seuls ou AG avec agents volatils et intraveineux.). Le taux d’utilisation de l’AG est de 91 % (81 patients) et 9 % de sédation (7 patients). Les patients sous AG sont presque tous sous vasopresseur (95 %) contre 14 %, dans le groupe sédation. Les protocoles de sédation sont très hétérogènes.

Ils remarquent que les patients évoluent aussi différemment selon le type d’anesthésie générale reçu.

Parmi ces patients, ceux traités sous anesthésie générale avec entretien par des agents volatils seuls (35 patients - Desflurane® < à 0,5 Mac) et avec un soutien par vasopresseurs, évoluent mieux (mRs score < = 2 à 43 % (p < 0,05)) que tous les autres groupes. Mais ce résultat demandera confirmation dans d’autres études.2.7. LES PERSPECTIVES

Plusieurs études randomisées comparant anesthésie générale et sédation sont en cours, ou vont débuter, et permettront probablement de répondre en prospectif, à la question de la meilleure prise en charge anesthésique pour la réalisation de la thrombectomie. Toutes ne sont malheureusement pas faites avec l’aide d’anesthésistes-réanimateurs. Ces études randomisées sont au nombre de quatre : SIESTA [55], GOLIATH, COMET et ANSTROKE [43].

En attendant, pour uniformiser les pratiques, il convient d’essayer, dans chaque centre de NRI, de rédiger un protocole  «  type  » de sédation, et un protocole « type » d’anesthésie générale » avec exigence stricte de maintien de la pression artérielle, et de choix des drogues anesthésiques, et de tenter de l’appliquer pour tous les patients. Il faudrait colliger, dans un registre, tous les cas traités et les protocoles utilisés pour permettre des analyses de résultats dans chaque hôpital, rendre les centres comparables et standardiser la prise en charge de ces patients,

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de jour, comme de garde. Enfin, la publication de ces protocoles et des résultats pourrait permettre d’améliorer les pratiques cliniques dans les différents centres de neuroradiologie.

3. UNEXEMPLEDEPROTOCOLE  : LEPROTOCOLEDEBICÊTREENNEURORADIOLOGIEINTERVENTIONNELLE.

Nous proposons depuis 5 ans, un protocole de prise en charge pour throm-bectomie, aux patients présentant un AVC, basé sur l’utilisation en 1ère intention de la sédation. Cela permet de conserver une surveillance neurologique clinique, d’offrir une analgésie et une sédation modérée, suffisante pour rester calme et supporter l’artériographie et la thrombectomie sans bouger.

• Sédation en 1ère intention : rémifentanil, utilisation en IVSE + Bolus.• AG sans hypotension, avec maintien strict de la PA en seconde intention avec support par catécholamines, (noradrénaline ou néosynephrine IVSE) quasi systématique et entretien par halogènes et rémifentanil.

• La sédation est proposée à tous les patients en 1ère intention, sauf si le patient est déjà sous AG à l’arrivée, ou qu’il s’agit d’un AVC du tronc basilaire, s’il pré-sente d’emblée des troubles de conscience ou des troubles de déglutition trop importants.

• Les patients sont pris en charge en urgence, avec un interrogatoire souvent difficile (troubles phasiques), une évaluation cardiovasculaire souvent non disponible, et la famille rarement présente sur place (patient transféré en urgence par le Samu). Le terrain polyvasculaire est fréquent. La consultation d’anesthésie est souvent difficile à conduire, et l’urgence de la désobstruction artérielle limite les possibilités d’explorations complémentaires (geste devant être fait avant 6 h). La consultation est effectuée avec l’aide du neurologue qui a vu et reçu le patient (H0 des symptômes, siège de l’AVC, score NIHSS, ATCD, thrombolyse ou pas, TA à l’arrivée, ECG, biologie, traitement du patient, voir scanner et IRM). L’examen clinique du patient se focalisera sur le contrôle de la déglutition et de la conscience, ainsi que sur son niveau de compréhension et sur l’importance du déficit neurologique et sa localisation.

• Le patient est installé confortablement, sur une table avec réchauffement et contention modérée sur les jambes, le thorax et le bras gauche avec la VVP. Mise sous oxygène, à l’aide d’un CAPNO2mask®. Le sondage urinaire est parfois nécessaire dès l’arrivée.

• Le neuroradiologue effectue une anesthésie locale soignée de la zone de ponction (pli fémoral).

• La sédation est effectuée par rémifentanil seul en IVSE sur une VVP avec une valve anti retour, ou sur une des voies d’une VVP multivoies Octopus®.

- Le choix du rémifentanil repose sur son effet analgésique puissant et quasi immédiat, son absence d’accumulation, son absence d’action sur l’hémody-namique globale et sur la vascularisation cérébrale, son effet sédatif modéré et son élimination rapide [40, 46, 47, 56]. Des études faites chez le volontaire sain montrent qu’à très faible dose, le rémifentanil procure une sensation de chaleur, d’apaisement et de bien-être, une absence de vomissement, et pourrait aug-menter le débit sanguin cérébral dans certaines régions cérébrales (pariétales, et

Prise en charge de l'accident vasculaire ischémique en 2016 155

frontales) [57, 58]. Par ailleurs, il n’a qu’une très faible action sur la pression de perfusion cérébrale, le débit sanguin cérébral, et sur l’hémodynamique systémique (à faible dose).

- L’injection du rémifentanil se fait soit en AIVOC avec des cibles « très » basses, soit le plus souvent en débit massique réglé sur la fréquence respiratoire, le score de sédation et l’état de conscience du patient en ventilation spontanée. Cette dernière méthode permet la réalisation de bolus ciblés et précis. Les patients sont souvent âgés et il est nécessaire de très fortement diminuer les doses de rémifentanil utilisées. La dilution utilisée dans notre protocole est du 5 µg/ml. Les vitesses d’entretiens sont variables (de 0,02 µg/kg/min à 0,04 µg/kg/min) à adapter à chaque patient mais sont souvent comprise entre 75 µg/h et 150 µg/h IVSE (soit une vitesse de 15 à 30 ml/h avec notre dilution).

• Les temps douloureux de la thrombectomie sont la ponction (malgré l’anesthésie locale), le démarrage de l’artériographie (montée ou changement de cathéters), la période de thrombo-aspiration, les tractions exercées au déploiement du stent et à la phase de traction du stent lors du retrait du caillot (tractions dure-mériennes douloureuses). Ces temps douloureux doivent être anticipés et gérés par un bolus de rémifentanil (10 à 20 µg en IVD), injecté 2 minutes avant la stimulation nociceptive. Cela implique une bonne communication avec le neuroradiologue et une synchronisation des actions.

• La surveillance est principalement clinique (conscience, pupilles, ventilation), auprès du patient et s’associe à une surveillance sur le scope, grâce au CAPNO-2mask®. Les éléments essentiels sont la fréquence respiratoire du patient, l’EtCO2, la saturation, la pression artérielle et la fréquence cardiaque. Enfin l’évolution de l’état de conscience et la réactivité du patient sous sédation doivent être vérifiées fréquemment (fermeture des yeux, réactivité à la stimulation). Si la thrombectomie se prolonge, un GDS peut être utile, pour contrôler le niveau de la PaCO2, et peut être prélevé par le neuroradiologue.

• Il convient de traiter toutes les causes d’agitation surajoutée qui pourraient être responsables de mouvements du patient et gêner le bon déroulement de l’artério-graphie. L’agitation est souvent due à une cause curable et accessible. En dehors d’un état confusionnel préexistant retrouvé à l’interrogatoire, le diagnostic de la cause de l’agitation, est souvent la clé du succès de la sédation et il faut profiter de la période de l’installation du patient sur la table d’artériographie, pour tenter d’en faire un diagnostic précis (douleur+++, globe urinaire, céphalées, désorientation, froid, gêne respiratoire, peur, hypotension, hypertension, bradycardie, mydriase, HTIC sur saignement, convulsion, frisson, diffusion de perfusion).

• Détendre, calmer et rassurer le patient et les équipes est une autre partie impor-tante de la prise en charge. Certaines équipes n’ont pas encore l’habitude de faire une thrombectomie en aigu sur des patients conscients ou sous sédation. L’expérience des intervenants (neuroradiologue, anesthésiste) est un élément déterminant qui peut limiter le recours à une anesthésie générale non obligatoire.

• Enfin il est indispensable de savoir sortir du protocole si le patient reste trop agité ou trop déficitaire sur le plan respiratoire ou neurologique (AVC étendu, AVC du tronc basilaire ou aggravation neurologique per procédure). Si c’est le cas, il faut convertir rapidement la sédation en anesthésie générale, avec un contrôle perma-nent sur l’hémodynamique du patient, augmenter la PA (au niveau de la PA avant le début de l’AG) avec des catécholamines (néosynephrine ou noradrénaline), soit sur la VVP, soit sur un KTc possiblement mis en fémoral par le neuroradiologue.

MAPAR 2016156

Le choix du protocole anesthésique d’entretien est aussi important (halogénés et rémifentanil). Dans notre expérience ces conversions sont rares et ont lieu dans moins de 10 % des cas.

• L’arrêt de la SE de rémifentanil en fin de procédure, s’accompagne d’une élimi-nation rapide, et donc d’une récupération de la conscience quasi instantanée, permettant une évaluation neurologique immédiate sur table. Le retour en USINV est envisageable après compression du point de ponction, évaluation neurolo-gique, scanner de contrôle si besoin, et remise dans le lit.

• Si le patient reste déficitaire, ou inquiétant sur le plan neurologique ou respiratoire, ou s’il est encore intubé-ventilé et/ou non extubable, il convient de le transférer en réanimation.

• Quelques articles récents attirent l’attention sur l’intérêt de la Dexmedetomidine en sédation qui pourrait être une alternative au rémifentanil, pour des patients plus agités, mais cette molécule a un retentissement hémodynamique et cérébral plus important, qu’il faut prendre en compte [59, 60]. Cela nécessite des évaluations complémentaires.

CONCLUSION

Ce sujet est en évolution permanente, et à l'origine de nombreuses publica-tions. L’optimisation de la prise en charge anesthésique et réanimatoire pendant la thrombectomie est très certainement l’une des futures voies d’amélioration de la prise en charge des patients présentant un AVC à la phase aiguë.

Faut-iluneanesthésie ?• Non, pas forcément une anesthésie générale;• Mais une sédation basée sur une drogue à forte action analgésique, légèrement

sédative, modifiant peu la vascularisation cérébrale, et rapidement éliminable, si elle est possible est à privilégier, avec une attention de chaque instant, au maintien de la PA du patient, à son état de conscience et à sa fréquence respiratoire.

• Des études de comparaison de protocole de sédation sont à effectuer, ainsi que des études randomisées comparant des protocoles choisis d’AG et de sédation.

• Si une sédation est choisie, il faut rester prêt à pouvoir passer rapidement en AG si les conditions le nécessitaient (4 à 8 % des cas).

• Si une anesthésie générale est déjà en cours, ou non évitable, il faut savoir effectuer cette anesthésie avec un contrôle absolu de la PA, avec le support de catécho-lamines pour maintenir la PA dans les objectifs voulus, en utilisant les drogues anesthésiques les moins délétères (donc les moins vasoconstrictrices au niveau cérébral) et en réglant une ventilation mécanique adaptée (pas d’hypocapnie). Si cela est possible, il convient de tenter de favoriser une extubation précoce, en fin de procédure pour évaluer le patient sur le plan neurologique.Faut-ilunanesthésiste/réanimateur présentauprèsdupatient ?

• Oui, dans les blocs de NRI, et avec une équipe complète (anesthésiste et IADE), dès le début de la prise en charge, et qui fait le lien entre le patient, le neurologue, le neuro-radiologue et le réanimateur, et qui s’occupe pendant la procédure de la sédation, de la réanimation de ces patients, selon les recommandations en cours, et qui assure une sérénité de prise en charge, à l’ensemble de l’équipe.

• Oui, en réanimation pour gérer ces patients en post thrombectomie si nécessaire.Enfin les équipes d’anesthésie doivent aussi participer aux grandes études

randomisées et multicentriques sur le sujet. Les protocoles d’anesthésie et de

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sédation utilisés, les paramètres hémodynamiques des patients doivent maintenant être détaillés. Arrêtons de parler d’« AG » ou de « sédation » comme d’une entité unique sans distinction des protocoles utilisés, ou d’employer l’oxymore « conscious sédation » pour parler de sédation. Soyons plutôt, nous, tous « conscients » des répercussions du choix de la technique et des drogues utilisées sur le pronostic neurologique des patients.

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