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S 392 L’Encéphale, 33 : 2007, Juin, cahier 3 Signes neurologiques dans la schizophrénie Ph. NUSS (1) , F. FERRERI (1) , C. AGBOKOU (1) , C.-S. PERETTI (1) (1) Hôpital Saint-Antoine, Paris. SIGNES NEUROLOGIQUES MINEURS (NSS) – GÉNÉRALITÉS Avec une prévalence d’environ 1 % dans la population générale, la schizophrénie représente un défi thérapeuti- que majeur. Son âge de début précoce, son évolution chronique, la difficulté à traiter adéquatement les symp- tômes et leurs complications (notamment sociales et fami- liales) justifient la recherche d’indices cliniques pouvant éventuellement améliorer et guider l’approche thérapeu- tique. L’observation d’anomalies motrices, proches de celles connues dans certaines maladies neurologiques, chez des personnes présentant des troubles mentaux est ancienne. Les anomalies neurologiques sont regroupées sous plusieurs appellations. Le terme de signe neurologi- que « mineur » [neurological soft sign (NSS)] est souvent utilisé. Les NSS sont des indicateurs d’atteintes neurolo- giques non spécifiques. Ils s’opposent aux « hard signs » qui témoignent d’une atteinte cérébrale localisable. Cliniquement, les NSS se traduisent par des difficultés dans : la coordination motrice fine, l’intégration sensorielle, la réalisation de tâches motrices complexes. Les NSS sont présents de manière plus fréquente chez les patients schizophrènes, y compris jamais traités (5), et de façon pré morbide dans l’enfance (7). Leur fréquence est augmentée chez les apparentés (1). Les NSS sont transmis au sein des familles (2). La présence d’un ou plusieurs NSS a été démontrée dans la schizophrénie chez 45 à 100 % des sujets selon les études : 98 % selon Lane et al. (6) ou 50 % selon Hein- richs et Buchanan (3). L’origine vraisemblable des dispa- rités dans l’établissement de la prévalence des NSS dans la schizophrénie serait liée la diversité des échelles utili- sées, la taille des échantillons et les caractéristiques des patients inclus dans les études (premier épisode vs chro- nique, traitement antipsychotique typique vs atypique…). NSS ET PERFORMANCES COGNITIVES Les travaux de recherche sur les NSS retrouvent des indications contradictoires et laissent des problèmes non résolus. Toutefois, il est généralement admis qu’un score élevé de signes neurologiques est associé à des formes de la maladie plus sévère et une symptomatologie néga- tive et désorganisée plus marquée. Le lien entre la présence d’anomalies neurologiques chez les patients schizophrènes et les performances aux tests neuropsychologiques a été étudié par de nombreux auteurs. L’ensemble des résultats semble indiquer que la présence de NSS est associée, globalement, à un surcroît de dysfonctionnements cognitifs, notamment dans les tâches impliquant le lobe frontal (4, 8). Ainsi, les NSS pour- raient avoir une valeur prédictive sur l’évolution de la psy- chose. ACTIVITÉ CÉRÉBRALE DE PATIENTS SCHIZOPHRÈNES PRÉSENTANT DES SIGNES NEUROLOGIQUES MINEURS : ÉTUDE EN IRM FONCTIONNELLE Le texte ci-après reprend partiellement le contenu d’une présentation orale faite lors 14 e Journées de Laguiole. Le détail de la méthode et de procédure expérimentale ainsi que les résultats dans leur intégralité feront ultérieurement l’objet d’une autre publication ailleurs. Ce travail est une étude des patterns d’activation neu- rofonctionnelle chez des sujets souffrant de schizophrénie lors d’une tâche de Stroop. Il a été réalisé en collaboration avec le CHU Saint-Antoine, le CHU Reims et l’unité INSERM U483. Objectifs de l’étude L’objectif principal est d’évaluer et de comparer les dif- férences d’activation fonctionnelle préfrontales en IRM

Signes neurologiques dans la schizophrénie

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Page 1: Signes neurologiques dans la schizophrénie

S 392

L’Encéphale,

33 :

2007, Juin, cahier 3

Signes neurologiques dans la schizophrénie

Ph. NUSS

(1)

, F. FERRERI

(1)

, C. AGBOKOU

(1)

, C.-S. PERETTI

(1)

(1) Hôpital Saint-Antoine, Paris.

SIGNES NEUROLOGIQUES MINEURS (NSS) – GÉNÉRALITÉS

Avec une prévalence d’environ 1 % dans la populationgénérale, la schizophrénie représente un défi thérapeuti-que majeur. Son âge de début précoce, son évolutionchronique, la difficulté à traiter adéquatement les symp-tômes et leurs complications (notamment sociales et fami-liales) justifient la recherche d’indices cliniques pouvantéventuellement améliorer et guider l’approche thérapeu-tique.

L’observation d’anomalies motrices, proches de cellesconnues dans certaines maladies neurologiques, chezdes personnes présentant des troubles mentaux estancienne. Les anomalies neurologiques sont regroupéessous plusieurs appellations. Le terme de signe neurologi-que « mineur » [

neurological soft sign

(NSS)]

est souventutilisé. Les NSS sont des indicateurs d’atteintes neurolo-giques non spécifiques. Ils s’opposent aux « hard signs »qui témoignent d’une atteinte cérébrale localisable.

Cliniquement, les NSS se traduisent par des difficultésdans :

– la coordination motrice fine,– l’intégration sensorielle,– la réalisation de tâches motrices complexes.Les NSS sont présents de manière plus fréquente chez

les patients schizophrènes, y compris jamais traités (5),et de façon pré morbide dans l’enfance (7). Leur fréquenceest augmentée chez les apparentés (1). Les NSS sonttransmis au sein des familles (2).

La présence d’un ou plusieurs NSS a été démontréedans la schizophrénie chez 45 à 100 % des sujets selonles études : 98 % selon Lane

et al.

(6) ou 50 % selon Hein-richs et Buchanan (3). L’origine vraisemblable des dispa-rités dans l’établissement de la prévalence des NSS dansla schizophrénie serait liée la diversité des échelles utili-sées, la taille des échantillons et les caractéristiques despatients inclus dans les études (premier épisode

vs

chro-nique, traitement antipsychotique typique

vs

atypique…).

NSS ET PERFORMANCES COGNITIVES

Les travaux de recherche sur les NSS retrouvent desindications contradictoires et laissent des problèmes nonrésolus. Toutefois, il est généralement admis qu’un scoreélevé de signes neurologiques est associé à des formesde la maladie plus sévère et une symptomatologie néga-tive et désorganisée plus marquée.

Le lien entre la présence d’anomalies neurologiqueschez les patients schizophrènes et les performances auxtests neuropsychologiques a été étudié par de nombreuxauteurs. L’ensemble des résultats semble indiquer que laprésence de NSS est associée, globalement, à un surcroîtde dysfonctionnements cognitifs, notamment dans lestâches impliquant le lobe frontal (4, 8). Ainsi, les NSS pour-raient avoir une valeur prédictive sur l’évolution de la psy-chose.

ACTIVITÉ CÉRÉBRALE DE PATIENTS SCHIZOPHRÈNES PRÉSENTANT DES SIGNES NEUROLOGIQUES MINEURS : ÉTUDE EN IRM FONCTIONNELLE

Le texte ci-après reprend partiellement le contenu d’uneprésentation orale faite lors 14

e

Journées de Laguiole. Ledétail de la méthode et de procédure expérimentale ainsique les résultats dans leur intégralité feront ultérieurementl’objet d’une autre publication ailleurs.

Ce travail est une étude des patterns d’activation neu-rofonctionnelle chez des sujets souffrant de schizophrénielors d’une tâche de Stroop. Il a été réalisé en collaborationavec le CHU Saint-Antoine, le CHU Reims et l’unitéINSERM U483.

Objectifs de l’étude

L’objectif principal est d’évaluer et de comparer les dif-férences d’activation fonctionnelle préfrontales en IRM

Page 2: Signes neurologiques dans la schizophrénie

L’Encéphale, 2007 ;

33 :

392-4, cahier 3 Signes neurologiques dans la schizophrénie

S 393

fonctionnelle au sein de deux populations de patients souf-frant de schizophrénie se distinguant par la présence(NSS+) ou l’absence (NSS–) de NSS.

L’objectif secondaire est de comparer, sur le plan cogni-tif, les patients schizophrènes NSS–

versus

NSS+ lors dela réalisation d’une tâche impliquant le lobe frontal (tâchede Stroop).

Population

La population se compose de 14 patients schizo-phrènes

:– droitiers,– pour lesquels a été posé un diagnostic de schizo-

phrénie selon le DSM IV,– stabilisés cliniquement,– recevant un traitement antipsychotique depuis moins

de 24 mois.Les quatorze patients sont répartis en deux sous-grou-

pes selon leur score à l’examen standardisé neurologiquepour l’évaluation des signes neurologiques mineurs (5) :

– 7 patients présentant un score nul ou faible de NSS(

NSS–

),– 7 patients présentant un score élevé de NSS

(

NSS+

).D’autre part, quatorze sujets témoins appariés par

l’âge, le sexe, le niveau d’étude et la latéralité ont été éga-lement inclus.

Matériel et procédure

Les variables cliniques et diagnostiques (psychiatri-ques et neurologiques) sont évaluées en outre par :

Mini International Neuropsychiatric Interview 5.0

,–

Positive and Negative Syndrom Scale

(PANSS),–

échelle de mouvements anormaux involontaires

,–

inventaire de latéralité d’Edinburgh

.

Protocole expérimental

Nous avons utilisé une version modifiée de la tâche deSTROOP utilisant la projection de mots colorés [adaptéede la version de Zysset

et al.

(9)].Deux rangées de lettres étaient projetées sur un écran

visible par le sujet à l’intérieur de l’enceinte IRM. Le patientétait interrogé et invité à répondre par l’intermédiaire d’unboîtier de commande en fonction de la correspondanceentre la couleur du mot supérieur et le nom de la couleurécrit sur la rangée inférieure.

– Durant la condition neutre, les lettres de la rangéesupérieure sont représentées par 4 croix (XXXX) écritesen rouge, vert, bleu ou jaune et sur la rangée inférieurefigure le nom des couleurs ROUGE, VERT, BLEU etJAUNE écrit en noir.

– Dans la condition congruente, sur la ligne supérieurefigure les noms de couleurs pré-cités écrits dans la couleurcorrespondante.

– Dans la condition incongruente, l’encre dans laquellesont écrits les différents mots ne correspondaient pas àla couleur du mot (ex. : VERT écrit en rouge). Le sujet doitdonc inhiber l’automatisme de lecture des mots. Une con-dition dite d’interférence est obtenue entre l’encre utiliséepour écrire le « mot-couleur » et le nom de la couleur.

Les sujets étaient interrogés et invités à répondre parl’intermédiaire d’un boîtier de commande (pression deboutons).

L’intervalle entre deux stimulis visuels est déterminé aupréalable pour chaque sujet, lors d’une session d’entraî-nement pour s’assurer d’un taux de réponse correcte

80 % dans les trois conditions.

Résultats

Données démographiques

Entre les patients et les témoins, de même qu’entre lespatients NSS– et NSS+, il n’y a pas de différence démo-graphique statistiquement significative (âge, sexe etniveau d’étude). Les durées d’évolution de la maladie sontcomparables dans les deux groupes de patients. Par con-tre, le score global et le sous-score de la dimension néga-tive de la PANSS du groupe NSS+ sont supérieurs à ceuxdu groupe NSS– (p = 0,01).

Données comportementales du test de STROOP Patients/Contrôles

Les données comportementales au test de STROOPne montrent pas de différence statistiquement significativeentre le groupe des patients et le groupe des contrôles enterme de pourcentage de réponses correctes et d’omis-sion (le taux de réussite est supérieur à 80 % dans les2 groupes).

En ce qui concerne le temps de réaction, il existe unedifférence dans la condition incongruente (p = 0,05).

Données comportementalesdu test de STROOP NSS–/NSS+

Absence de différence statistiquement significativeentre le groupe des patients NSS– et le groupe despatients NSS+ en terme de pourcentage de réponses cor-rectes et d’omissions.

En ce qui concerne le temps de réaction, il existe unedifférence significative entre les patients NSS+ et lespatients NSS– (p = 0,001).

Données d’IRM fonctionnelle – Effet d’inhibition : Condition Incongruente

versus

Neutre (I > N)

• Patients/ContrôlesPour le groupe patient, la réalisation de la tâche de

STROOP en condition incongruente est associée à uneactivation principalement dans les régions :

Page 3: Signes neurologiques dans la schizophrénie

Ph. Nuss

et al.

L’Encéphale, 2007 ;

33 :

392-4, cahier 3

S 394

– frontale gauche inférieure et médiane,– frontale supérieure droite.Pour le groupe contrôle, la réalisation de la tâche de

STROOP en condition incongruente est associée à uneactivation dans les régions frontales :

– gyrus frontal inférieur gauche,– gyrus cingulaire gauche,– gyrus frontal inférieur droit.

• NSS–/ NSS+Pour le groupe patient NSS+, la réalisation de la tâche

de STROOP en condition incongruente est associée à uneactivation des régions frontale :

– précentrale gauche,– frontale médiane droite.Dans le groupe patient NSS–, la réalisation de la tâche

de STROOP en condition incongruente est associée entreautre à une activation dans les régions frontales :

– gyrus frontal supérieur droit,– gyrus frontal supérieur gauche,– gyrus frontal médian gauche,– gyrus cingulaire droit,– gyrus frontal inférieur gauche.

Discussion

Ces résultats montrent que les patterns préfrontauxd’activation cérébrale des patients NSS+, des patientsNSS– et des témoins diffèrent.

Trois patterns d’activation cérébrale peuvent êtredistingués :

– les témoins activent principalement le cortex cingu-laire antérieur et le gyrus frontal,

– les patients NSS+ activent l’aire de Broca,– les patients NSS– activent des zones cérébrales acti-

vées dans le groupe témoins (cortex cingulaire antérieuret gyrus frontal) mais aussi et des zones plus postérieurescomme les patients NSS+ (aire de Broca)

(figure 1)

.

Cette étude met en évidence l’existence de trois profilsdifférents d’activation préfrontale avec un gradient d’acti-vation préfrontal antério-postérieur corrélé positivement àl’efficience de performance. Ce qui pose la question desstratégies mises en jeu par les patients schizophrènespour traiter une tâche (stratégie de décomposition verbalede la tâche

versus

stratégie intégrative) et des causespathophysiologiques sous-jacentes (perte neuronale ouhypoactivité des neurones préfrontaux ou dysconnexionsneuronales loco-régionales) en faveur de l’utilisationd’une stratégie plutôt qu’une autre.

CONCLUSION

Les signes neurologiques mineurs dans la schizophré-nie semblent être un indicateur clinique intéressant. Lesprofils neurologiques spécifiques pourront renseignersur :

– le profil cognitif,– l’évolution fonctionnelle,– la stratégie thérapeutique (programme de réhabilita-

tion cognitive).L’imagerie cérébrale permet l’étude de réseaux neuro-

naux dont les dysfonctionnements sont impliqués dans lamaladie.

Références

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FIG. 1. —

Trois profils d’activation cérébrale différents.

Gyrus frontal

Cingulaire antérieur

8

9

32

3 Profils d’activation cérébrale différents

NSS+ : BA 44 , BA 45 NSS– : BA 44 , BA 45 BA 8, BA 9 – BA 32 Témoins : BA 8 , BA 9 – BA 32

BROCA