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Traitement du paludisme grave et du paludisme non compliqué à P. falciparum chez l’enfant en France Treatment of severe and uncomplicated falciparum malaria in children in France L. Pull a, * , X. Bellettre a , J.F. Michel a , O. Bouchaud b , J.Y. Siriez a a Service d’accueil des urgences pédiatriques, hôpital Robert-Debré, AP–HP, 48, boulevard Sérurier, 75019 Paris, France b Service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital Avicenne, AP–HP, 125, rue de Stalingrad, 93000 Bobigny, France Disponible sur Internet le 2 octobre 2013 Résumé Entre le XVII e siècle et le début du XX e siècle, le traitement du paludisme en Occident était la quinine. Dans la première moitié du XX e siècle, la synthèse de la chloroquine suscite l’espoir, rapidement déçu, d’éradiquer ce fléau. La résistance de Plasmodium falciparum à la chloroquine, d’abord en Asie du Sud-est puis en Afrique sub-saharienne, suscite des recherches qui aboutissent à la découverte ou à la redécouverte de l’halofantrine, de la méfloquine, de l’atovaquone-proguanil et des dérivés de l’artémisinine. À l’heure actuelle, il n’existe pas de traitement idéal du paludisme simple d’importation de l’enfant ; chaque équipe doit établir son protocole en fonction des molécules disponibles et de son expérience, sans perdre de vue la nécessité d’un suivi rigoureux à j3 ou j4 et à j28. Le traitement de l’accès grave doit désormais faire appel à l’artésunate intraveineux, plus efficace que la quinine. ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Quinine was the main treatment for malaria between 1630 and the beginning of the XXth century. In the 1940s, the synthesis of chloroquine gave rise to the hope of eliminating this plague. Falciparum resistance to chloroquine, first observed in Asia then in sub-Saharan Africa, lead researchers to discover halofantrine, mefloquine, atovaquone-proguanil and artemisinin combined therapies. There is no ideal treatment for uncomplicated imported malaria in children. Medical teams have to develop a protocol according to available drugs and their personal experience, with a special attention to follow-up at days 3–4 and day 28. From now on, severe malaria must be treated with intravenous artesunate, a more effective therapy than quinine. ß 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. 1. INTRODUCTION Le terme de paludisme, utilisé pour désigner la maladie que nous connaissons, apparaît tardivement dans la langue française, en 1867 [1]. Il est néanmoins probable que ce fléau accable l’humanité depuis des temps immémoriaux au cours desquels l’homme a tenté de le combattre. Pendant des siècles, les fièvres dont le paludisme faisait partie ont été traitées de façon empirique par de nombreux remèdes d’une efficacité discutable. Quel que soit le crédit accordé à la légende controversée de la belle comtesse Ana del Chinchon dans la découverte des vertus curatives de l’écorce de quinquina, il semble avéré que cette écorce ait été introduite en Europe par des pères Jésuites à partir de l’Amérique du Sud, au début du XVII e siècle. En 1820, deux pharmaciens français, Joseph Pelletier et Joseph- Bienaimé Caventou, découvrent l’alcaloïde du quinquina, la quinine. Archives de pédiatrie 20 (2013) 1260–1264 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (L. Pull). 0929-693X/$ see front matter ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´serve ´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2013.08.002

Traitement du paludisme grave et du paludisme non compliqué à P. falciparum chez l’enfant en France

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Traitement du paludisme grave et du paludisme noncompliqué à P. falciparum chez l’enfant en France

Treatment of severe and uncomplicated falciparummalaria in children in FranceL. Pull a,*, X. Bellettre a, J.F. Michel a, O. Bouchaud b, J.Y. Siriez a

a Service d’accueil des urgences pédiatriques, hôpital Robert-Debré, AP–HP, 48, boulevard Sérurier, 75019 Paris, Franceb Service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital Avicenne, AP–HP, 125, rue de Stalingrad, 93000 Bobigny, France

Disponible sur Internet le 2 octobre 2013

Résumé

Entre le XVIIe siècle et le début du XXe siècle, le traitement du paludisme en Occident était la quinine. Dans la premièremoitié du XXe siècle, la synthèse de la chloroquine suscite l’espoir, rapidement déçu, d’éradiquer ce fléau. La résistance dePlasmodium falciparum à la chloroquine, d’abord en Asie du Sud-est puis en Afrique sub-saharienne, suscite des recherchesqui aboutissent à la découverte ou à la redécouverte de l’halofantrine, de la méfloquine, de l’atovaquone-proguanil et desdérivés de l’artémisinine. À l’heure actuelle, il n’existe pas de traitement idéal du paludisme simple d’importation del’enfant ; chaque équipe doit établir son protocole en fonction des molécules disponibles et de son expérience, sans perdrede vue la nécessité d’un suivi rigoureux à j3 ou j4 et à j28. Le traitement de l’accès grave doit désormais faire appel àl’artésunate intraveineux, plus efficace que la quinine.� 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Quinine was the main treatment for malaria between 1630 and the beginning of the XXth century. In the 1940s, thesynthesis of chloroquine gave rise to the hope of eliminating this plague. Falciparum resistance to chloroquine, firstobserved in Asia then in sub-Saharan Africa, lead researchers to discover halofantrine, mefloquine, atovaquone-proguaniland artemisinin combined therapies. There is no ideal treatment for uncomplicated imported malaria in children. Medicalteams have to develop a protocol according to available drugs and their personal experience, with a special attention tofollow-up at days 3–4 and day 28. From now on, severe malaria must be treated with intravenous artesunate, a moreeffective therapy than quinine.� 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Archives de pédiatrie 20 (2013) 1260–1264

1. INTRODUCTION

Le terme de paludisme, utilisé pour désigner la maladie quenous connaissons, apparaît tardivement dans la languefrançaise, en 1867 [1]. Il est néanmoins probable que ce fléauaccable l’humanité depuis des temps immémoriaux au coursdesquels l’homme a tenté de le combattre. Pendant des siècles,

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (L. Pull).

0929-693X/$ see front matter � 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserve

http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2013.08.002

les fièvres – dont le paludisme faisait partie – ont été traitées defaçon empirique par de nombreux remèdes d’une efficacitédiscutable.

Quel que soit le crédit accordé à la légende controversée dela belle comtesse Ana del Chinchon dans la découverte desvertus curatives de l’écorce de quinquina, il semble avéré quecette écorce ait été introduite en Europe par des pères Jésuitesà partir de l’Amérique du Sud, au début du XVIIe siècle. En1820, deux pharmaciens français, Joseph Pelletier et Joseph-Bienaimé Caventou, découvrent l’alcaloïde du quinquina, laquinine.

s.

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Les premiers traitements de synthèse, les amino-8-quinoléines, apparaissent peu après la Première GuerreMondiale (plasmoquine, 1926). En 1943, les Américainsmodifient la composition chimique du Resochin (développépar une firme pharmaceutique allemande en 1934) etobtiennent la chloroquine. Un an plus tard, l’amodiaquine estdécouverte et, au début des années 1950, ce sera le tour de laprimaquine.

Apparue dans les années 1960, la résistance de P. falciparum àla chloroquine va amener plusieurs pays à proposer commetraitement de première ligne l’association sulfadoxine-pyrimé-thamine (SP) ; l’émergence d’une résistance de P. falciparum àcette association apparaît rapidement en Asie du Sud-est, plustardivement en Afrique sub-saharienne. Dans les années 1970,les Américains engagés dans la guerre du Vietnam sontconfrontés à la résistance de P. falciparum à la chloroquine ; leschimistes américains étudient la composition de nombreusesmolécules et en sélectionnent deux : l’halofantrine et laméfloquine. À la même époque, les soldats nord-vietnamienssont eux aussi décimés par le paludisme, en raison en particulierde nombreux tunnels creusés par la troupe où s’accumule l’eau,vecteur de prolifération de l’anophèle ; les chercheurs chinois,sollicités, redécouvrent une plante traditionnellement utiliséecomme fébrifuge, quinghao, dont vont être extraits les dérivésde l’artemisinine, base des traitements actuels. Alors quel’Occident hésite encore à utiliser ces dérivés et en raison de lamultirésistance de P. falciparum à plusieurs molécules utilisées,un traitement par atovaquone asssocié au proguanil est évaluéavec succès en Asie, d’abord chez l’adulte, puis chez l’enfant.

En France, en 1999, l’halofantrine est maintenue entraitement curatif de première ligne dans le paludismed’importation de l’enfant malgré une toxicité cardiaqueobservée chez l’adulte, puis à moindre degré chez l’enfant,quelques années plus tôt [2]. Deux articles [3,4] confirment en2002 et 2004 cette utilisation en première intention chezl’enfant (22/26 services interrogés) ; toutefois, ce produitn’étant plus guère prescrit qu’en cure unique, les auteursnotent un risque de rechute élevé. La méfloquine, trois fois plusutilisée qu’en 1997, n’existe que sous forme de comprimés qui,écrasés, ont un goût amer rendant sa prise difficile chezl’enfant ; contre-indiquée sur la notion d’antécédents psychia-triques ou de convulsions, cette molécule expose à desvomissements fréquents, surtout avant l’âge de 5 ans, parfoissource d’échec thérapeutique précoce. En 2007, la révision dela Conférence de consensus de 1999 [5] précise que lesmédicaments de première ligne chez l’enfant sont laméfloquine, l’atovaquone-proguanil et l’artéméther-luméfan-trine. L’halofantrine, compte-tenu de sa cardiotoxicité et durisque de rechute après une cure unique, est désormais untraitement de seconde ligne.

2. ÉPIDÉMIOLOGIE DU PALUDISMED’IMPORTATION EN FRANCE

Bien que le nombre de cas diminue en France depuis 2000,notre pays compte néanmoins en 2012 le plus grand nombre depaludismes importés en Europe : 3514 cas estimés par le

Centre national de référence du paludisme, adultes et enfantsconfondus, dont 274 cas rapportés chez les enfants de moins de15 ans [6]. Parmi les 17 pays de contamination les plus cités en2012, quatre d’entre-eux étaient responsables d’environcinquante pour cent des cas de paludisme d’importationobservés en France à tout âge : la Côte d’Ivoire (22,3 %), le Mali(11,5 %), le Cameroun (9,8 %) et la Guinée (7,7 %). En 2012, lesenfants âgés de deux ans ou moins présentaient un accèspalustre grave dans 12,5 % des cas ; ce pourcentage était plusfaible (9,2 %) chez les enfants âgés de 3 à 14 ans. La mêmeannée, les huit décès formellement attribuables à un paludismed’importation en France métropolitaine concernaient tous desadultes. Le contrôle parasitologique des accès palustres àP. falciparum montrait la présence de trophozoites dans 19,5 %des cas à j3–j4 (50,6 % de prélèvements non réalisés ou derésultat inconnu) et dans 0,5 % des cas à j28 (81,2 % deprélèvements non réalisés ou de résultat inconnu). Les échecscliniques et thérapeutiques tardifs à l’atovaquone-proguanilétaient en 2012 au nombre de neuf (sur 856 patients traités),dont trois enfants. Ils étaient tous rapportés à une résistanceparasitaire génotypique à l’atovaquone et au cycloguanil,favorisés dans un cas par un mauvais respect de la prescriptionet dans un autre cas par le surpoids du patient et la prise à jeundu produit [6].

3. PALUDISME GRAVE ET TRAITEMENT PARARTÉSUNATE INTRAVEINEUX (I.V.)

La diminution de la sensibilité de P. falciparum à la quinineen Asie du Sud-est [7] et les effets secondaires, notammentles hypoglycémies, rapportés sous ce traitement [8],confèrent un intérêt majeur aux dérivés de l’artémisinineévalués dans le traitement du paludisme grave [9]. Unpremier essai chez des adultes comparant l’artésunate i.v. etla quinine i.v. montre un net gain en mortalité au bénéfice del’artésunate : la mortalité est de 12 % versus 22 % chez lespatients traités par quinine [10]. En 2005, l’étude Seaquamat[11] réalisée en Asie montre une réduction de la mortalitéde 34,7 % chez les patients traités par artésunate i.v. L’étudeAquamat [12], publiée en 2010, rapporte des résultatscomparables chez les enfants.

Selon un rapport du Haut conseil de la santé publique du 1er

février 2013 [13], « l’artésunate i.v. doit être maintenant letraitement de première intention du paludisme grave del’enfant âgé de 18 mois à 15 ans, défini selon les critères OMS2000. Le groupe de travail considère que la quinine oul’artésunate peuvent indifféremment être utilisés dans letraitement du paludisme grave avant 18 mois ». Cettemolécule est disponible sous forme d’une autorisationtemporaire d’utilisation à validation rétrospective depuismai 2011 sous le nom de Malacef1. Immédiatement aprèsreconstitution de la solution (6 mL contenant 10 mg/mLd’artésunate) ou dans un délai maximum de 6 h, on injecte2,4 mg/kg du produit à H1, H12, H24, H48 et H72 à la vitesse de3 mL/min. Un relais par voie orale peut être envisagé après3 doses au moins de Malacef1. Ce relais est pris per os depréférence par une bithérapie comprenant un dérivé de

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l’artémisinine (artémether-luméfantrine ou dihydroartémisi-nine-pipéraquine) administré en cure complète.

Depuis que le Malacef1 est disponible en Europe, plusieurspublications ont révélé l’apparition retardée d’épisodesd’anémie hémolytique – dont un chez un enfant – survenantentre le 7e et le 31e j après le début du traitement [14–18]. Laphysiopathologie de ces épisodes est pour le momentincomprise. Compte-tenu des effets indésirables hématologi-ques potentiels du Malacef1, doivent être contrôlés à j3, j7, j14,j21 et j28 une numération formule sanguine ainsi qu’un taux deréticulocytes, de LDH et d’haptoglobine. En cas d’anémie, unbilan étiologique doit être réalisé.

4. LES NOUVEAUX TRAITEMENTS DUPALUDISME NON COMPLIQUÉ

4.1. Atovaquone-proguanil (AP)

L’atovaquone est une hydroxynaphtoquinone possédant unlarge spectre d’activité antimicrobienne in vitro, couvrant enparticulier Pneumocystis carinii et Toxoplasma gondii. Cettemolécule agit sur P. falciparum en bloquant la chaîne de transfertd’électrons au niveau de la dihydroorate déshydrogénase,entraînant une inhibition de la fabrication des bases pyrimidi-ques. L’utilisation de l’atovaquone isolément induit néanmoinsrapidement l’apparition de résistance. En combinaison avec leproguanil, on observe en revanche une synergie d’action grâce àune inhibition séquentielle de la synthèse des pyrimidines [19].De nombreuses études cliniques rapportent une efficacitésatisfaisante de l’AP comparée à d’autres molécules anti-palustres chez l’adulte au Gabon, au Brésil, aux Philippines, enThaïlande, en Zambie et en France [20]. Un essai conduit chez32 enfants thaïlandais montre une efficacité d’AP dans 100 %des cas ; les auteurs rapportent des vomissements dans 19 %des cas [21]. L’année suivante, une étude portant sur156 enfants au Kenya et comparant l’atovaquone-proguanil àl’halofantrine conclut à une efficacité comparable des deuxtraitements [22]. Cependant, des vomissements sont notésdeux fois plus souvent chez les enfants traités par l’AP, ce quiamène à redonner le médicament dans 13 cas ; par ailleurs, laclairance parasitaire est significativement plus courte avecl’halofantrine (11,7 vs 20,8 h, p < 0,0001). Une étude rétros-pective réalisée en France chez 48 enfants traités par APrapporte un taux de vomissements de 8 %, conduisant danstrois cas à un changement de traitement ; aucun échecthérapeutique tardif n’est observé chez les 24 enfants évaluésun mois après l’initialisation du traitement [23]. L’AP est en2012 la molécule la plus prescrite chez l’enfant en France dansle traitement curatif du paludisme d’importation (45,1 %, [6]),mais le risque de vomissements et la lenteur relative de laclairance parasitaire font préférer à certaines équipes l’utilisa-tion des dérivés de l’artémisinine.

4.2. Dérivés de l’artémisinine

La redécouverte du qhingaoshu en Chine [24] et l’utilisationde ses dérivés de synthèse (artéméther et artésunate) en

association avec une autre molécule a généré beaucoupd’enthousiasme du fait d’une grande efficacité renforcée parune activité très rapide et d’un effet sur la chaîne detransmission (action sur les formes sexuées). L’émergencerécente et inattendue, en Asie du Sud-est, d’une résistance dePlasmodium falciparum à ces produits génère toutefois desinquiétudes justifiées [25]. Il existe de nombreuses bithérapies àbase de dérivés de l’artémisinine dans le monde, parmilesquelles on peut citer l’artémether-luméfantrine, la dihy-droartémisinine-pipéraquine, la dihydroartémisinine-pipéra-quine triméthoprime, la dihydroartémisinine-naphtoquine,l’artésunate-amodiaquine, l’artésunate- méfloquine, l’artésu-nate-pyriméthamine-sulfaméthoxypyraxine, l’artésunate-pyronaridine ; seules les deux premières associations sontdisponibles en France dans le traitement du paludismed’importation non compliqué de l’enfant.

4.2.1. Artéméther-luméfantrineEndoperoxyde du groupe des sesquiterpènes-lactones,

l’artéméther entraîne une inhibition du métabolisme duparasite par des radicaux libres toxiques et une inhibitionirréversible d’une enzyme membranaire du parasite PfATP6. Lepic de concentration plasmatique est obtenu très rapidement(1 à 2 h) et la demi-vie est courte (2 à 3 h). La biodisponibilité dela molécule est multipliée par deux grâce à une prise de lipidesconcomitante. La luméfantrine est un aryl-amino-alcool quiinhibe la polymérisation de l’hème et entraîne un blocage de lasynthèse des acides nucléiques du parasite. Sa demi-vie est de4 à 5 j, et la biodisponibilité est multipliée par 16 en présenced’une prise alimentaire (absorption inférieure à dix pour cent àjeun). Les comprimés (120 mg artéméther/20 mg luméfantrine)se dissolvent assez facilement dans un peu d’eau. Ils sont donnésà H1, entre H8 et H12, puis à H24, H36, H48 et H60. Pourchaque prise, le nombre de comprimés (cp) est fonction dupoids : 5–15 kg : 1 cp ; 16–25 kg : 2 cps ; 26–35 kg : 3 cps ;> 35 kg : 4 cps. Les effets secondaires (douleurs abdominales,vomissements, céphalées, vertiges) sont rares et peu sévères.L’efficacité de cette association est démontrée depuis unequinzaine d’années chez l’enfant en zone d’endémie. Un articlerécent rapporte une efficacité qui reste globalement très bonne(95,4 % à j28) même si les moins bons résultats obtenus en zonede savane (90,4 % à j28) peuvent laisser craindre l’émergenced’allèles résistants [26].

4.2.2. Dihydroartémisinine-pipéraquine (40/320 mg) (DP)

Cette association a obtenu une autorisation de mise sur lemarché en France en juin 2012. Une première étude [27],réalisée en comparaison avec l’artéméther-luméfantrine sur1553 enfants en Afrique sub-Saharienne, a montré une non-infériorité de la DP à j28 et un taux de réinfection des enfantssignificativement plus bas, suggérant un rôle prophylactique dela DP (demi-vie longue de la pipéraquine). Une deuxième étude[28] effectuée en Asie sur 1150 adultes et enfants encomparaison avec l’artésunate-méfloquine a montré unenon-infériorité à j63. Dans ces deux études pivot a été notéeune augmentation du QTc sur l’électrocardiogramme dans tous

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les cas mais avec une tendance (selon la méthode de calcul duQTc utilisée) à un plus fort allongement dans le bras DP).Néanmoins, aucune traduction clinique n’a été à ce jourobservée et seuls de très rares allongements au-delà de500 msec ont été rapportés. En zone d’endémie, plusieursétudes rapportent un taux d’infection récurrente àj28 significativement plus bas avec DP comparée à l’artémé-ther-luméfantrine ou à la quinine orale ; cette différencepourrait être expliquée par la longue demi-vie de la pipéraquine(2–3 semaines) et pourrait paradoxalement (mais ce risque neconcernerait que les zones d’endémie) conduire à l’émergencede souches résistantes de parasites, en raison de tauxthérapeutiques bas de pipéraquine observés de façon pro-longée chez les patients traités [29,30]. La posologie est d’uneprise quotidienne à jeun (3 h avant et après la prise) pendant3 j ; le nombre de comprimés (cp) par prise est fonction dupoids :� 7–< 13 kg : ½ cp ;� 13–< 24 kg : 1 cp ;� 24–< 36 kg : 2 cps ;� 36–< 75 kg : 3 cps ;� 75–100 kg : 4 cps.

5. CONCLUSION

En France, six médicaments sont à notre disposition pour letraitement curatif du paludisme d’importation de l’enfant sanscaractère de gravité. La quinine par voie orale n’est guèreutilisée (traitement long, effets secondaires pouvant conduire àun arrêt prématuré du traitement). La méfloquine expose à desvomissements fréquents chez l’enfant de moins de 5 ans et,parfois, à des convulsions. L’atovaquone-proguanil est untraitement plus long (48 h) qui peut également provoquer desvomissements ; la clairance parasitaire est significativement pluslongue que celle observée avec l’halofantrine ou les dérivés del’artémisinine. L’halofantrine, efficace et bien acceptée par lepetit enfant nauséeux (sirop au bon goût) entraîne unedestruction rapide des parasites et le traitement est court(12 h) ; à condition que les contre-indications soientrespectées, la cardiotoxicité chez l’enfant se résume en généralà un allongement transitoire du QT corrigé, le vrai problèmeétant les rechutes (10 à 20 % des cas). L’artéméther-luméfantrine est un traitement rapidement efficace mais avecun schéma d’administration relativement complexe (6 prises),nécessitant deux prises quotidiennes (possible réveil nocturnede l’enfant) et une prise alimentaire. La dihydroartémisinine-pipéraquine, aussi efficace que l’association précédente, a ledouble avantage d’une posologie simple et d’être prescrite àjeun, ce qui peut être une aide chez l’enfant impaludé, souventnauséeux. Artéméther-luméfantrine et dihydroartémisinine-pipéraquine partagent le risque d’un allongement de QTc qui nesemble pas cliniquement significatif mais justifie la vigilance. Autotal, il n’existe pas de traitement idéal du paludismed’importation de l’enfant. Chaque équipe doit établir sonprotocole en fonction des molécules disponibles, de sonexpérience et des données de la recherche, la nécessité d’unsuivi rigoureux à j3 ou j4 et à j28 restant fondamentale.

En zone d’endémie, les dérivés de l’artémisinine, enassociation à d’autres molécules à plus longue demi-vie,représentent actuellement le traitement de première ligne ycompris chez l’enfant. L’émergence préoccupante d’unerésistance de P. falciparum à ces associations en Asie du sud-est a conduit à la mise en place en 2011 sous la responsabilité del’OMS d’un Plan mondial destiné à contenir l’émergence de cessouches résistantes [31]. Le développement de formes plussimples d’utilisation reste cependant d’actualité avec parexemple celui d’une nouvelle association (artémisinine-naph-toquine) qui a montré son efficacité chez l’adulte et chezl’enfant avec deux doses données en une seule journée [32,33].

Enfin, dans le traitement de l’accès grave, la quinine i.v. doitmaintenant être remplacée par l’artésunate i.v., plus efficace etmieux toléré. La possible survenue d’anémie hémolytiquetardive nécessite une surveillance à distance mais la balancebénéfice-risque reste largement en faveur de l’artésunate parrapport à la quinine.

DÉCLARATION D’INTÉRÊTS

L. Pull, X. Bellettre, J.F. Michel, J.Y. Siriez déclarent ne pasavoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. O.Bouchaud : laboratoire Sigma-Tau.

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