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Économie rurale Agricultures, alimentations, territoires 301 | Septembre-octobre 2007 Qualité et consommateurs Une analyse de la consommation éthique. Le rôle de l’information et de l’accessibilité An analysis of ethical consumption: the role of information and accessibility Sabine Garabedian Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/economierurale/2017 DOI : 10.4000/economierurale.2017 ISSN : 2105-2581 Éditeur Société Française d'Économie Rurale (SFER) Édition imprimée Date de publication : 15 novembre 2007 Pagination : 55-74 ISSN : 0013-0559 Référence électronique Sabine Garabedian, « Une analyse de la consommation éthique. Le rôle de l’information et de l’accessibilité », Économie rurale [En ligne], 301 | Septembre-octobre 2007, mis en ligne le 15 novembre 2009, consulté le 30 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/economierurale/2017 ; DOI : 10.4000/economierurale.2017 © Tous droits réservés

Une analyse de la consommation éthique. Le rôle de l

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Économie ruraleAgricultures, alimentations, territoires

301 | Septembre-octobre 2007Qualité et consommateurs

Une analyse de la consommation éthique. Le rôlede l’information et de l’accessibilitéAn analysis of ethical consumption: the role of information and accessibility

Sabine Garabedian

Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/economierurale/2017DOI : 10.4000/economierurale.2017ISSN : 2105-2581

ÉditeurSociété Française d'Économie Rurale (SFER)

Édition impriméeDate de publication : 15 novembre 2007Pagination : 55-74ISSN : 0013-0559

Référence électroniqueSabine Garabedian, « Une analyse de la consommation éthique. Le rôle de l’information et del’accessibilité », Économie rurale [En ligne], 301 | Septembre-octobre 2007, mis en ligne le 15 novembre2009, consulté le 30 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/economierurale/2017 ; DOI :10.4000/economierurale.2017

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Introduction

L’essor des valeurs éthiques est visibledans beaucoup de domaines : finance,

affaires, science et biologie. Mais la diver-sité des interprétations rend difficile unedéfinition précise et universelle. Originel-lement, la philosophie définit l’éthiquecomme « la théorie de l’action que l’hommedoit mener pour bien conduire sa vie etparvenir au bonheur ». Si les biens deconsommation agroalimentaires ne faillis-sent pas à cet engouement, leur définition del’éthique rejoindrait plutôt la notion de qua-lité au vu des objectifs de développementdurable (protection de l’environnement et del’équité sociale). En effet, depuis la prise deconscience de la nécessité d’infléchir ledéveloppement vers un développementdurable, différents acteurs réfléchissent àla manière d’impulser cette inflexion. Ayantd’abord cherché du côté de la production vial’instauration de mesures visant la réductionde l’utilisation de matières premières,d’énergie, des résidus de la production, etc.,les études s’ouvrent aujourd’hui à lademande à travers l’analyse d’une« consommation éthique » c’est-à-dire d’uneconsommation de biens répondant aux cri-tères pour un développement durable.

La terminologie de consommation éthiqueest ici arbitraire car il n’existe actuellementpas de consensus sur l’appellation franco-phone d’un consommateur orientant saconsommation en faveur de bien plus res-pectueux de l’environnement et/ou del’équité sociale. En effet, si la certificationpermet aux entreprises d’afficher l’élargis-sement de leurs préoccupations telles que lessignes officiels de qualité, ces derniers ne

sont pas des outils adaptés aux consomma-teurs. Pourtant les préoccupations desconsommateurs tendent également à s’élar-gir pour y intégrer des valeurs nouvellescomme les origines de fabrication, le niveaud’emballage, la pollution générée lors dela fabrication, etc. Pour ce type d’agent, cetélargissement se caractérise par une déno-mination spécifique qui cherche à mettrel’accent sur le caractère responsable,altruiste, ou citoyen, de l’acte de consom-mation qui est initialement purement égoïsteau sens économique. Ces nouvelles appel-lations permettent donc de prendre encompte une nouvelle dimension du consom-mateur appelée à intégrer d’autres para-mètres que son propre niveau de consom-mation.

On trouve diverses appellations au sein dela littérature. Par analogie au développe-ment durable, on retrouve le terme deconsommation soutenable ou de consom-mation durable. Mais cette terminologie estambiguë et peut donner lieu à de mauvaiseinterprétation. En effet, ces deux termessont antinomiques puisque l’un est un acteinstantané alors que l’autre indique une per-sistance temporelle. De ce fait, il existe uneambiguïté sur l’objet qualifié par l’adjectif« durable ». Est-ce qu’il s’agit de la consom-mation qui est durable, ou est-ce les biens ?S’il qualifie la consommation, qu’impliqueune consommation qui doit durer ? S’il qua-lifie les biens, cela entraîne une autre confu-sion entre la consommation de biensdurables (biens ne se détruisant pas lors deson utilisation) et les biens de consommationdurable (biens concordant avec les objectifsde développement durable). D’autres termessont également communément utilisés tels

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Une analyse de la consommation éthiqueLe rôle de l’information et de l’accessibilitéSabine GARABEDIAN • GREDEG, Groupe de recherche en droit économie gestion, Université deNice Sophia-Antipolis, CNRS, UMR 6227

Page 3: Une analyse de la consommation éthique. Le rôle de l

que consommation engagée, éthique,citoyenne ou encore responsable. Ici, lechoix du terme d’éthique, bien qu’arbi-traire, est néanmoins réfléchit. Selonl’Unesco, l’éthique doit servir à guiderl’action en économie. Or, les objectifs dedéveloppement durable dont nous traitons,ne sont pas amoraux et constituent unevoie privilégiée du développement écono-mique. De plus, l’éthique en économie estla partie de l’éthique qui traite des com-portements et des institutions relatifs àcette sphère. Dans sa partie comporte-mentale, elle s’interroge sur la manièredont nous devons nous comporter dans lesactivités d’échange et de production (Arns-perger et Van Parijs, 2000). Ces deux défi-nitions permettent de justifier le choix de ceterme comme le plus approprié à l’ana-lyse des comportements de consommationde biens conformes aux objectifs de déve-loppement durable.

Cet article a pour finalité de proposerun cadre conceptuel et formel en vue d’ana-lyser l’impact de l’environnement infor-mationnel et structurel (accès) sur l’évo-lution de ces consommations éthiques.Nous considérons des agents hétérogènesface aux problématiques éthiques, nouspermettant d’effectuer une segmentationde la population en trois catégories. Nouspouvons alors étudier les différents sen-tiers de propagation d’une opinion éthiquelors de la modification de l’information etde l’accessibilité, et dégager des implica-tions quant aux conditions d’utilisation deces facteurs dans le but de promouvoir laconsommation éthique.

Définir l’éthique, et notamment son uti-lisation en économie, tel est l’objet de lapremière partie dans laquelle est proposéeune définition de l’éthique conforme auxobjectifs du développement durable, cequi implique d’abord l’adoption d’unevision normative. Puis, en s’appuyant surune vision plus positive sont présentéesquelques modélisations des comportementséthiques proposées en théorie économique.

Ensuite, une approche permettant d’in-tégrer l’éthique à la théorie du consom-mateur est discutée dans la deuxième par-tie. En partant de la notion decaractéristique introduite par Lancaster(1966), nous examinons dans quelle mesurel’éthique peut être considérée comme unecaractéristique pertinente. L’importancede l’environnement de consommation estégalement soulignée, en distinguant l’in-formation et l’accès dans les décisions deconsommation éthique. Sur cette base, nousproposons une formalisation du compor-tement des consommateurs éthiques quidépendent de l’opinion des consomma-teurs sur les biens éthiques et de l’envi-ronnement de consommation.

Enfin, le modèle multi-agents Niveaudes opinions éthiques (NOE) est analysédans la troisième partie. Ce modèle a étéutilisé pour tester l’impact de l’environ-nement informationnel et structurel surl’évolution d’une opinion éthique en fonc-tion de l’hétérogénéité des consommateursface aux problématiques éthiques. Lescaractéristiques du modèle ainsi que lesrésultats issus des premières simulationssont présentés.

La modélisationdes comportements éthiques

1. L’éthique en économie

Les philosophes définissent l’éthique comme« la théorie de l’action que l’homme doitmener pour bien conduire sa vie et parvenirau bonheur ». Etymologiquement, éthiquevient du mot grec « ethos », qui signifie lesmœurs, les manières d’agir, la coutume,l’habitude au sens de la manière de conduiresa vie au quotidien. Pour Socrate1, l’éthiqueétait l’instrument politique qui permettaità un gouvernement de conduire les citoyensà accéder à une vie heureuse. Dans cetteoptique, la question posée par les alter mon-dialistes et les écologistes est bien celle

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Une analyse de la consommation éthique

1. 469-399 av J.-C.

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d’une vie heureuse (Bergadaà, 2004).Cependant, il faut dissocier le but à atteindre(qu’est-ce que le bonheur ?) et les moyensd’y parvenir (par quel chemin y accéder ?).Cette distinction renvoie à la relation entrel’éthique et la morale. En effet, le lien qu’en-tretiennent l’éthique et la morale est loind’être trivial. Confondu dans le sens com-mun, l’éthique et la morale se distinguentcependant dans plusieurs disciplines commela philosophie, le droit, ou la religion.

Ricoeur, s’est interrogé sur la nécessité dedistinguer la morale de l’éthique : « Faut-ildistinguer entre morale et éthique ? À vraidire, rien dans l’étymologie ou dans l’his-toire de l’emploi des mots ne l’impose :l’un vient du grec, l’autre du latin, et lesdeux renvoient à l’idée de mœurs (ethos,mores) ; on peut toutefois discerner unenuance, selon que l’on met l’accent sur cequi est estimé bon ou sur ce qui s’imposecomme obligatoire. C’est par conventionque je réserverai le terme d’« éthique »pour la visée d’une vie accomplie sous lesigne des actions estimées bonnes, et celuide « morale » pour le côté obligatoire, mar-qué par des normes, des obligations, desinterdictions caractérisées à la fois par uneexigence d’universalité et par un effet decontrainte. On reconnaîtra aisément dans ladistinction entre visée de la vie bonne etobéissance aux normes l’opposition entredeux héritages : l’héritage aristotélicien,où l’éthique est caractérisée par sa pers-pective téléologique (de telos, signifiant« fin ») ; et un héritage kantien, où la moraleest définie par le caractère d’obligation dela norme, donc par un point de vue déon-tologique (déontologique signifiant préci-sément « devoir ») » (Ricoeur, 1990)2.

Plusieurs philosophes comme Deleuze,Comte Sponville ou Giuliani, ont repris cecritère de distinction. L’éthique serait larecherche du bonheur dans le réel par laréalisation raisonnable des désirs selon des

valeurs immanentes et relatives à chacun, lebon et le mauvais (tradition d’Epicure etSpinoza) alors que la morale serait un juge-ment du réel d’après un ensemble de devoirsfondés sur le respect de valeurs considé-rées comme absolues et transcendantes, lebien et le mal (tradition de Platon et Kant).

L’éthique économique distingue égale-ment l’éthique de la morale. En simplifiantà l’extrême, Galavielle (2003), situe l’éco-nomie comme prise entre deux feux : « D’uncôté, la puissance normative de la moraletelle qu’issue de l’impératif catégoriqueKantien, revisité et modernisé par HansJonas, de l’autre une vision positive, trèstechnique, laquelle induirait sa neutralité,son “a-moralité” ». Ou comme le souligneSen (1993), l’économie est issue de deux ori-gines qui sont toutes deux liées, mais demanières différentes, à la politique : l’une,se fonde sur la « mécanique » (terme àentendre ici au sens mathématique de méca-nique rationnelle) et se consacre prioritai-rement aux problèmes de logistique tandisque l’autre, préoccupée par les fins ultimeset le « bien de l’homme », fait fond sur laréflexion éthique et est liée à une « visionmorale de la politique ». Cette distinctionamène a considéré des champs d’études dif-férents. En reprenant la définition de Ricoeur(op. cit.) selon laquelle l’éthique consiste en« la visée de la vie bonne, avec et pourautrui dans des institutions justes », lesconceptions dites « modernes » de l’éthiqueéconomique distinguent la notion de viebonne et de justice sociale pour s’intéresserplus particulièrement à cette dernière(figure 1). Ces approches modernes cher-chent à élaborer une conception de la sociétéjuste qui ne s’appuis pas sur une conceptionparticulière de la vie bonne ou, en d’autrestermes, de faire de l’éthique sans morale3

(Arnsperger et et Van Parijs, op. cit.).

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RECHERCHES

Sabine GARABEDIAN

2. Cf. page 202.

3. Même si traditionnellement ces approchesmodernes s’inscrivent dans une conception préala-blement établie de la vie bonne ou de la perfectionhumaine.

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Nous reprenons cette distinction pourdéfinir l’éthique au sein de cette étude. Dansun premier temps, il s’agit d’« admettre »une conception de la vie bonne, c’est-à-direde fixer une définition normative. Dans unsecond temps, il s’agit d’identifier et decaractériser les comportements susceptiblesde tendre vers cet objectif c’est-à-dire deretenir une définition positive. Pour évitertoute confusion entre discours normatif etdiscours positif, la règle à suivre est celleénoncée par Fleurbaey (1996), selon lequel :« Dans une perspective positive, tout peutêtre dit à propos de la relation entre unethéorie de la justice et les valeurs. C’estl’appréciation des valeurs elles-mêmes, etl’appréciation induite de la théorie, quiappartiennent au normatif ».

L’éthique économique est-elle morale ? Un glissement du normatif au positifLa vision normative de l’éthique se réfère aulien historique qui unit l’économique etl’éthique. En effet, l’économie est à l’origineune doctrine éthique qui plonge ses racineschez les penseurs de l’Antiquité tant grecqueque juive et chrétienne. L’économie sedétache, par la suite, progressivement del’éthique avec la théorisation de l’écono-mie politique et le recours à des modèles deplus en plus nettement calqués sur lessciences de la nature. Sen (op. cit.) sou-ligne d’ailleurs son étonnement sur « lecontraste entre le caractère consciemment

“non éthique” de l’économie moderne etson origine historique : l’économie moderneest pour l’essentiel issue de l’éthique ».Mais cette tendance semble à nouveau s’in-verser et l’économie paraît retrouver à nou-veau de l’intérêt pour l’éthique (Le Masne,2000)4.

Au XIIe siècle l’éthique protestante accom-pagne et stimule l’avènement de l’espritcapitaliste. L’éthique est alors le supportde la foi rationnelle en la croissance éco-nomique et, plus généralement, dans lamarche de l’Espèce humaine, elle légitimedonc l’accumulation et la valorisation ducapital (Bartoli, 2003). Il faudra attendre lanaissance de l’utilitarisme au XVIIe sièclepour voir ce lien se transformer. Selon Xéno-crate5, il existe trois parties dans la philo-sophie : la physique ou la philosophie natu-relle, l’éthique ou la philosophie morale, etla logique (Dillon, 1996). L’économie valentement glisser de la philosophie moraleà la philosophie naturelle. En effet, à la findu XVIIIe siècle, l’économie politique chercheà se rapprocher des sciences théoriques dela nature, ce qui met en cause ses relationsavec la philosophie morale. Smith reprend

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4. Le Masne P. Carl Menger et la séparation entreéthique et économie. Groupe d’études sur le déve-loppement économique et social (GEDES), Uni-versité de Poitiers, Document de travail, janvier2000.5. Xénocrate, v. 400-314 av. J. C., un élève dePlaton.

Figure 1. Ethique et morale : une conception « moderne » de l’éthique économique

Source : conception de l’auteur.

Éthique

Morale

Obéissance aux normes Conception de lavie bonne

Institution juste

Théorie« moderne »

Sous-entendu

Amorale

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la topologie de Xénocrate et place (encore)la science politique dans la branche del’éthique ou philosophie morale. Pourtant,c’est chez cet auteur que l’on voit pour lapremière fois apparaître certaine tensionentre une dimension éthique et une dimen-sion économique notamment avec la défi-nition des relations entre intérêt privé etintérêt général (main invisible). Pour Smithl’économie politique est une science, maisen même temps elle est une discipline de laphilosophie morale et elle reste subordonnéeaux fins de cette dernière (Le Masne, 2000).

Une autre approche intéressante est cellede Cournot qui présuppose que certainschamps de l’économie répondraient à unescience théorique et d’autres à une sciencephilosophique. Toutefois Cournot consi-dère les parties de l’économie politique quipeuvent acquérir un statut de science posi-tive ne peuvent devenir l’essentiel de la dis-cipline, et subordonne ces parties théoriquesà des principes d’ordre philosophique :« Mais, en reconnaissant l’utilité et même lanécessité de l’expérimentation statistique,pour donner à certaines parties des doc-trines morales, politiques et économiques lecaractère de sciences positives, il faut segarder de réduire ces doctrines à ce qu’ellespeuvent acquérir par là de positif, et segarder même de considérer cette partie déjàrendue positive, ou susceptible de le deve-nir, comme ce qu’elles contiennent de plusimportant et de plus essentiel... Et si noussommes heureux de trouver par la statistiquedes faits positifs à l’appui des théories quisatisfont notre raison en morale et en poli-tique. » (Cournot, 1851)6

Sen considère que la tradition éthique del’économie remonte à Aristote et que Rob-bins (1932) est l’un des premiers écono-mistes à vouloir séparer l’économie del’éthique. Robbins affirme en effet que« l’économiste ne s’occupe pas des fins entant que telles. Il s’intéresse à la façon dontest limitée la poursuite des fins. Celles-ci

peuvent être nobles ou viles ». Selon LeMasne, Menger (1883), qui a influencé Rob-bins, a développé bien avant lui une argu-mentation invitant à la séparation de l’éco-nomie et de l’éthique. Menger dansUntersuchungen, explique son refus del’éthique en économie politique. Le Masnerésume la position de Menger comme uneséparation des disciplines que sont l’éthiqueet l’économie, « qui peuvent s’influencerl’une l’autre, sans qu’on puisse considérerque les influences de l’éthique sur l’écono-mie sont plus fortes que celles de l’économiesur l’éthique. Une orientation éthique del’économie théorique exacte n’a pas de senspuisque cette discipline recherche la natureexacte des phénomènes économiques, s’in-téresse à dégager des phénomènes écono-miques purs, en excluant les phénomèneséconomiques influencés par l’éthique. » (LeMasne, 2000)7

C’est ainsi qu’est apparue une visionpositive de l’économie qui se prévaut d’une« neutralité éthique » pour reprendre lestermes de Latouche (2000) selon lequell’économie serait une « science du com-portement et de l’action rationnelle, puretechnique et comme l’outil, [qui] ne serait nibonne ni mauvaise ». Cette vision « posi-tive » de l’économie encore prédominanteaujourd’hui, intègre alors l’éthique de façonuniquement descriptive. Cela consiste pourl’essentiel à faire intervenir des considéra-tions éthiques dans les préférences des indi-vidus en les différenciant des considéra-tions économiques. L’éthique apparaît ainsidans le cadre d’un individu dual, soit commeune caractéristique substituable parmid’autres dans la fonction d’utilité (préfé-rence objective et subjective), soit comme lapossibilité pour un individu de se trouverdans n’importe quelle position dans lasociété, c’est-à-dire comme un spectateurimpartial. Elle peut également apparaîtrecomme une priorité absolue dans les acteséconomiques délimitant les choix écono-

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RECHERCHES

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6. Cf . page 334. 7. Cf. page 10.

Page 7: Une analyse de la consommation éthique. Le rôle de l

miques possibles (préférence lexicogra-phique). L’objectif est ici d’établir desmodes de raisonnement qui prennent encompte des individus adoptant des com-portements éthiques.

Une définition normativePour définir plus spécifiquement l’éthiquetelle qu’elle sera utilisée ici, nous adoptonsune vision normative, c’est-à-dire reliée à lamorale. La morale signifie les règles deconduite considérées comme impérativesdans une société (notion de bien et de mal).Avoir des considérations morales signifiedonc intégrer des valeurs (non matérielles)de « bien » (ou de « mal ») dans la construc-tion de règles de vie implicites ou expli-cites. Parmi ce corpus de règles, nous en pri-vilégions une qui est de « répondre auxbesoins du présent sans compromettre lacapacité des générations futures de répondreaux leurs ». Il s’agit de la règle proposée parle développement durable. En rappelant lesobjectifs de développement durable telsqu’ils ont été définis par les différentes ins-titutions, il s’agit d’intégrer des valeursd’équité sociale et de respect de l’environ-nement dans les activités économiqued’échange et de production. Nous pouvonsproposer ici une définition de l’éthique,certes restreinte mais clairement délimitée :« L’éthique caractérise les valeurs rela-tives aux impacts sociaux et environne-mentaux de la production ». Par extension,les biens éthiques sont des biens ayant une« caractéristique sociale ou environnemen-tale positivement marquée ». Nous nousattarderons plus longuement sur son contenupar la suite.

2. Les différentes modélisations

La formalisation mathématique est ledomaine réservé de la vision positive puis-qu’elle est descriptive et qu’elle constituedonc les bases scientifiques. Dans cettevision, les diverses interprétations del’éthique ont donné lieu à différentes formesde modélisation. Une piste intéressante est

de considérer un individu dual, égoïste etrationnel d’une part, et prenant les « autres »en considération, d’autre part. Cette pistenous amène à présenter deux positionne-ments : la position d’un spectateur impartialet celle d’un individu altruiste.

Le spectateur impartialLa position du spectateur impartial suit leprincipe universel de Kant selon lequel « jedois toujours me conduire de telle sorte queje puisse aussi vouloir que ma maximedevienne une loi universelle » (Kant, 1785)8.Ce principe implique que l’individu a lafaculté de se prendre pour autrui quelle quesoit sa finalité personnelle. La représentationmathématique associée rend compte d’unindividu susceptible d’occuper, à probabilitéégale, n’importe quelles positions et d’at-teindre le niveau d’utilité lui étant associé.En s’appuyant sur l’utilité cardinaliste deMorgenstern et Von Neuman, un individuest capable de calculer son utilité espéréecomme la moyenne de tous les niveauxd’utilité individuelle dans la société(Mahieu, 1998). Nous avons alors la fonc-tion d’utilité sociale W(x) suivante :

∀x W(x) = Wi (x)

Avec 1/n la probabilité d’être dans n’importequelle position, et Wi (x) l’utilité de la per-sonne i à l’état x. Cette formalisation qui està la base des théorèmes d’équiprobabilité, adonné lieu à certaines critiques comme cellede Rawls sur le critère de l’utilité espéré, quipostule que les individus sont égaux en droitmais ne sont pas substituables ; ceciimplique que le traitement de chacun desindividus doit être impartial (Leseur, 2005).

n

∑i=1

1n

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Une analyse de la consommation éthique

8. Cf. page 8.

Page 8: Une analyse de la consommation éthique. Le rôle de l

L’individu altruisteLa position altruiste s’appuie, quant à elle,sur des fonctions d’utilité continues où l’al-truisme n’est qu’un argument supplémentairede la fonction d’utilité. Le niveau d’utilitéd’un individu dépend alors de son utilitépropre et de l’utilité d’une autre personne (oud’une autre génération). On a donc une fonc-tion « dualiste » où la fonction d’utilité dechaque individu dépend de ses préférencessubjectives donnant sa dimension indi-viduelle Ui, et de ses préférences éthiquesdonnant sa dimension sociale Us (Harsanyi,1955) :

Ui = fi (Ui ;Us)

La bienveillance s’exprime alors par : ∂Ui ∂Us

> 0

La malveillance s’exprime par : ∂Ui ∂Us

< 0

Et l’indifférence par : ∂Ui ∂Us

= 0

Un autre modèle caractéristique de cetteposition d’altruisme est le modèle de Bec-ker (1976) qui s’appuie sur le mêmeconcept. On considère deux individus h et iqui ne consomment qu’un seul bien et ser-vice agrégé. La fonction d’utilité d’une per-sonne altruiste h peut s’écrire sous la forme :

(1)U h = U h (Xh, Xi)

où Xh et Xi sont les consommations respec-tives de h et de i. La contrainte budgétaire deh est :

pXh + hi = Ih (2)

avec pXh le montant consacré à la consom-mation par h, hi la somme transférée à i, etIh le revenu de h. Si h transfère à i n’importequel gain ou perte monétaire, la quantitéreçue par i est égale à la quantité transféréepar h. La contrainte budgétaire de i seradonc :

pXi = Ii + hi (3)

où Ii est le revenu de i. Or, après une sub-stitution entre (2) et (3), la contrainte bud-gétaire de h peut être réécrite de la façon sui-vante :

pXh + pXi = Ih + Ii = Sh

où S est appelé le « revenu social » de h.

La condition de maximisation de la fonc-tion d’utilité (1) sous la contrainte du revenusocial S est donnée par :

∂U h/∂Xh = Umh = P = 1∂U h/∂Xi Umi P

Donc h pourrait transférer juste assez deressource à i pour recevoir la même utilitéde l’augmentation de son revenu ou de laconsommation de i. Inversement, h souf-frirait de la même perte d’utilité d’un petitchangement de ses propres consommationsou de celle de i.

La définition que nous avons posée del’éthique (voir la section « Une définitionnormative ») ne correspond réellement nià l’approche du spectateur impartial ni àcelle de l’altruisme. En s’inspirant de l’al-truisme, nous optons pour la représentationd’un individu dual. Cependant, les valeurséthiques ne sont pas intégrées dans la fonc-tion de choix (où apparaîtrait l’utilité ou lesconsommations d’autrui) mais sont inté-grées dans les biens eux-mêmes. Pour cefaire, nous avons choisi de nous inspirer dela formation développée dans les modèlesd’équilibre général calculable Megeveconstruit par Beaumais et Schubert (1994)ou une de ses variantes Peste (Beaumais etRagot, 1999), repris également par Jolivet(2001). Dans ces modèles construits pourl’analyse des comportements des consom-mateurs selon l’état de l’environnement, lesconsommateurs ont une consommationmixte de biens classiques et de biens ditsverts (biens ne générant ni déchets valori-sables ni déchets ultimes lors de sa pro-duction). Par analogie, nous avons construitune fonction d’utilité pour un individuéthique qui partage sa consommation entredes biens classiques et de biens éthiques.

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Sabine GARABEDIAN

Page 9: Une analyse de la consommation éthique. Le rôle de l

Nous revenons donc sur la définition desbiens éthiques, avant d’étudier l’influenceque peut avoir l’environnement sur leurniveau de consommation.

Cadre théorique

1. Les biens à caractéristique éthique

La distinction entre deux types de bienssuppose l’identification et la justificationd’un critère de différenciation. L’éthique,selon notre définition normative, cherche àrendre compte des impacts sociaux et envi-ronnementaux de la production. Nous nousintéressons plus particulièrement au mar-ché de l’agroalimentaire puisqu’il s’agit dusecteur ayant la plus grande diversité debiens répondant aux objectifs de dévelop-pement durable. Nous pouvons donc fairel’hypothèse que le consommateur doit effec-tivement faire un choix, contrairement àd’autres secteurs où la faible implantation deces biens ne le permet pas. De plus, ce sec-teur permet le recours à des produits sous« signes officiels de qualité » ce qui, commenous le verrons par la suite, est utile dans lecadre des caractéristiques de confiance.

La notion de caractéristiqueL’intégration de la différenciation des biensen théorie économique a placé la qualitécomme notion centrale dans la définitiondes produits. L’Organisation internationalede normalisation (ISO) la définit commel’« ensemble des propriétés et caractéris-tiques d’un produit, d’un processus ou d’unservice qui lui confère son aptitude à satis-faire des besoins implicites et explicites9 »(Conseil d’analyse économique, 2001).L’idée est d’établir « un classement en fonc-tion de la qualité, du prestige ou de touteautre caractéristique considérée commeimportante » (Hirschman, 1970).

La qualité se fonde principalement surla notion de caractéristique de Lancasterqui suppose qu’« un bien en soi n’a pasune utilité pour le consommateur ; il possèdedes caractéristiques et ce sont celles-ci quidéterminent l’utilité du bien » (Lancaster,op. cit.)10. L’analyse de Lancaster donne uncadre structuré pour rendre compte d’unedifférenciation verticale relative à la qualité.En effet, bien que ce soit non exclusif, laqualité se situe généralement dans le cadred’une différenciation verticale. Cette clas-sification des différentes caractéristiquespose alors un autre problème, celui de l’in-formation disponible. En effet, afin de per-mettre au consommateur d’effectuer uneclassification, il doit pouvoir préalablementévaluer toutes les caractéristiques d’un pro-duit. Or, cette contrainte est rarement satis-faite. Les travaux de Nelson (1970) suivis deceux de Darby et Karni (1973) permettent dedéfinir trois types de caractéristiques : – de recherche (observables avant l’achat), – d’expérience (observables à la consom-

mation),– de confiance (non observables).

Un signal simple est évidemment le prixdu produit, mais de nombreux autres indi-cateurs sont souvent nécessaires pour fonderla confiance du consommateur : les signes dequalité par exemple sont « un signe garan-tissant qu’un produit possède une ou plu-sieurs caractéristiques » (Coestier etMarette, 2004).

Une caractéristique éthiqueDe Ferran (2004) reprend la définition deSmith (1990) selon laquelle un bien éthiqueest un « augmented product », c’est-à-dire unbien qui offrirait un complément de bénéficesou de services au consommateur afin d’inci-ter l’achat (Carne, 2001). En interprétantcette définition dans l’espace des caractéris-tiques proposé par Lancaster, nous pouvonssouligner que les caractéristiques composant

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Une analyse de la consommation éthique

9. Les préférences implicites sont considéréescomme dues par le consommateur (relèvent d’uneréglementation) et les préférences explicites portentsur la satisfaction ou le service apporté par le pro-duit (relèvent de la volonté des professionnels). 10. Cf. page 133.

Page 10: Une analyse de la consommation éthique. Le rôle de l

les biens peuvent être de nature matérielle ouimmatérielle. Ainsi, les caractéristiquesimmatérielles, comme le sourire de la ven-deuse citée par Chamberlin (1933), influentsur la décision d’achat au même titre que lescaractéristiques matérielles. Parmi ces carac-téristiques immatérielles, certaines ont alorsune dimension symbolique qui permet auconsommateur d’exprimer ses valeurs. Parmices attributs symboliques, nous cherchons, ici,à identifier des biens ayant une caractéristique« condition de production respectueuse del’environnement et de la cohésion sociale »,puisque dans un premier temps, elle transcritl’éthique telle que nous l’avons définie d’unpoint de vu normatif et, dans un secondtemps, elle peut motiver la décision d’achatet s’intègre donc dans les « augmented pro-ducts ». En effet, les conditions de production« constituent des critères pouvant orienter leschoix, voire être assimilés à des critères dequalité lorsqu’elles comportent des aspectsde typicité ou des éléments éthique valoriséspar certains consommateurs » (Coestier etMarette, op. cit.). Effectivement, selon uneenquête du Centre de recherche pour l’étudeet l’observation des conditions de vie (CRE-DOC) (Loisel et Couvreur, 2001), cette carac-téristique a une importance non négligeablepuisque 79 % des personnes attachent « beau-coup d’importance » aux conditions de pro-duction, et seulement 4 % déclarent y êtrecomplètement indifférentes.

Nous intéressant plus finement auxConditions de Production comportant desconsidérations Ethiques (CPE), nous pou-vons souligner qu’elles ont trait à diversesdimensions. La dimension environnemen-tale, avec l’agriculture biologique, et ladimension sociale, avec le commerce équi-table, ont été les plus mises en avant dans laconstruction de la qualité agroalimentaire(Codron et al., 2002). S’il n’est pas évi-dent, de prime abord, que ces deux type debiens soient similaires aux yeux du consom-mateur en raison, d’une part de la diversitédes perceptions des consommateurs entre lesdomaines de l’environnement et l’éthique

sociale (Codron et al., 2006) et, d’autrepart, de la diversité des motivations d’achatqui peuvent exister selon les domaines (deFerran, op. cit.), nous souhaitons néanmoinsles traiter de façon équivalente. Ainsi, mal-gré des différences soulignées par l’étude deSiriex et Codron (2003) comme uneconscience plus forte pour les problèmesd’environnement que pour les problèmesd’éthique, il existe une similitude de laconsommation de produits équitables avecla consommation de produits biologiquespuisqu’elles répondent, même de manièresdifférentes, à des motivations semblables(de Ferran, op. cit.).

Quel que soit le domaine, les CPE appa-raissent comme des caractéristiques deconfiance, puisqu’elles ne sont jamais obser-vables par le consommateur. De ce fait,l’aspect informatif tient une place prépon-dérante. Dans ce cas, les signes de qualitépeuvent être utiles comme supplément d’in-formation. Deux d’entre eux confirment laprésence de cette caractéristique : – les labels « biologiques », comme le label

AB pour les impacts environnementaux, – les labels du « commerce équitable » pour

les impacts sociaux.

Actuellement, les instituts de certificationde ces signes de qualité sont de nature diffé-rente. AB est attribué par un organisme de cer-tification public (ministère de l’Agriculture etde la Pêche) et le commerce équitable relèved’organismes de certification privés commeMax Havelaar ou Artisan du monde. Néan-moins, la certification du commerce équi-table par une institution publique, commec’est le cas pour l’agriculture biologique, esten cours d’élaboration au niveau national.Il s’agit de la première initiative au niveaueuropéen. Une Commission nationale ducommerce équitable (créée par la loi du 2 août2005 dite « loi Dutreil 2 ») est chargée dereconnaître « les personnes physiques etmorales qui veillent au respect des conditionsdu commerce équitable » et un décret, élaboréaprès consultation des acteurs de ce secteur,

ÉCONOMIE RURALE 301/SEPTEMBRE-OCTOBRE 2007 • 63

RECHERCHES

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Page 11: Une analyse de la consommation éthique. Le rôle de l

doit fixer les conditions à remplir pour êtrereconnu par cette commission. Comme l’atesté l’étude de Tagbata et Sirieix (2007)11,nous pouvons imaginer un double label« bio » et « commerce équitable » pour rendreune caractéristique CPE observable par leconsommateur. En effet, en posant l’hypo-thèse que les signes de qualité constituentune information parfaite, la nature de l’or-ganisme de certification n’est plus détermi-nante, ce qui nous permet de traiter conjoin-tement ces deux caractéristiques. Cettelabellisation ne prétend alors pas à une valo-risation systématique de ce type de bien maisà une identification par le consommateur.

La caractéristique CPE, rendue obser-vable par le double label, permet de distin-guer deux types de bien sur le marché : desbiens classiques (xi,c) et des biens ayant unecaractéristique CPE marquée (xi,e), c’est-à-dire sous signe de qualité AB ou du com-merce équitable. Nous supposons que lesindividus qui constituent la population sonthétérogènes par leurs motivations d’achat.Cela implique que chaque individu i auraune répartition propre de son panier deconsommation entre ces deux types de bienet que le niveau d’utilité dépendra de l’uti-lité associée au niveau de consommation dechacun d’entre eux :

Ui (ci(xc, xe)) = ui(ci(xc)) + ui(ci(xe))

L’arbitrage entre ces deux types deconsommation ne s’effectue pas selon despréférences pour un type de bien ou l’autre.En effet, le niveau de consommation debiens éthiques va être déterminé indépen-damment, et le niveau de consommationclassique sera alors traité comme un résidu.

pxcci(xc) = R– pxe

ci(xe)

ci(xc) =R– pxe

ci(xe)pxc

2. L’importance de l’environnement

Intégrer un type de consommation particu-lier (consommation de biens éthiques), nouspermet d’analyser plus précisément les fac-teurs influençant la demande de ces biensspécifiques afin de les promouvoir. En effet,comme le souligne Sirieix et Codron (op.cit.), les produits ayant une dimension envi-ronnementale ou éthique ont en communune faible notoriété, à laquelle s’ajoute le faitque les consommateurs se sentent peuconcernés par le problème de la crédibilitédes signaux de qualité associés à ces pro-duits. Afin d’identifier les différents fac-teurs susceptibles d’influer sur le niveau dela demande des biens éthiques, nous avonsanalysé l’environnement de consommation,ce qui a induit une distinction de trois typesd’environnement : tout d’abord, l’environ-nement informationnel et l’environnementsocial, objets d’une attention régulière de lapart des économistes et enfin un environ-nement structurel que nous avons défini.

Les environnements informationnel et socialL’environnement informationnel est d’autantplus important que la qualité est inobservable.Pour les caractéristiques de confiance commeles CPE, ce défaut d’information privée peutinduire des comportements mimétiques (dusà la recherche d’information publique) etdonner lieu à des cascades informationnellescorrectes ou incorrectes. Dans le cadre desCPE, l’environnement informationnel inter-vient à deux niveaux :– au niveau macroéconomique, l’informa-tion porte sur le contexte. Le consommateurdevra être informé de la situation planétaireen matière d’environnement (niveau de pol-lution des sols, toxicité des pesticides, etc.)et de respect des travailleurs (salaire moyende certains pays, conditions de travail etd’échange, etc.) ;– au niveau microéconomique, l’informationdevra porter sur le produit lui-même : ce pro-duit contient-il les éléments éthiques queje recherche ? Les respecte-t-il vraiment ? Il

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Une analyse de la consommation éthique

11. Tagbata D., Sirieix L. Les effets des labels« bio » et « commerce équitable » sur le consente-ment à payer des chocolats. Working Paper Moïsa,n° 2/2007.

Page 12: Une analyse de la consommation éthique. Le rôle de l

s’agit donc du contenu d’information et desa crédibilité. Cependant, ayant fait l’hy-pothèse que les signes de qualité consti-tuent une information parfaite, ce niveauinformationnel n’est pas traité.

L’environnement social et historique faitréférence à un aspect plus sociologique del’économie comme la consommationostentatoire (Veblen, 1899). Dans un cadresocial donné, la consommation est unmoyen « d’afficher » son appartenance à ungroupe social (ou la volonté d’y appartenir).La perception d’un bien est alors altéréepar le positionnement social qu’il implique.Les autocollants militants au dos des auto-mobiles en sont un bon exemple. Ils n’ap-portent aucun surplus objectif (améliora-tion des performances du véhicule), ils ontun surplus subjectif limité (l’aspect esthé-tique est généralement faible), ils n’ont doncqu’une « valeur » par la signalisation del’appartenance à un mouvement ou le cau-tionnement d’idées. L’environnement social intervient dans lepositionnement des individus face aucontexte. Cela suppose donc un niveau deconnaissances défini sur ce contexte (envi-ronnement informationnel du premier niveaufixé). L’individu doit alors se situer dansun groupe par rapport à son opinion sur lesbiens éthiques : de très mauvaise à trèsbonne (voir la figure 2).

L’environnement structurelCet environnement n’a pas suscité beau-coup d’intérêt chez les économistes jusqu’àprésent, mais il représente le degré d’ac-cessibilité des biens éthiques. Pourtant selonune étude du CSA/Agence Bio (2003)12

« 87 % des consommateurs [...] de produitbiologique disent qu’ils consommeraient

davantage de produits bio s’ils étaient plusfacilement disponibles dans leurs magasinshabituels ». Si cette réponse pouvait, deprime abord, s’expliquer par une réactiondes consommateurs face à une situation dedissonance cognitive, cherchant alors à jus-tifier une action inverse à leurs préoccupa-tions éthiques et ainsi réduire l’ampleur dela dissonance, on peut également avancerd’autres explications.

Incontestablement, il existe une diffé-rence significative et facilement observableentre le niveau accru de conscience éthiquedéclaré et les comportements effectifsd’achats éthiques. Cette différence, souli-gnée notamment par Tollontire et al. (2001),est expliquée par Hurtado (1998) pardiverses raisons dont une inadéquation entreles attributs des produits (prix, qualité, acces-sibilité) et les préférences des consomma-teurs.

Si les associations de consommateurs,les ONG et certaines associations orientéesvers l’éthique évoquent depuis un certaintemps l’accessibilité des biens éthiquescomme facteur déterminant, les études aca-démiques l’incluant commencent à peine àfaire leur apparition.

Une enquête de Shaw et al. (2005), parexemple, montre que les Français ressen-tent davantage de barrières à l’achat desproduits issus du commerce équitable dontl’accessibilité, la localisation et le prixcomme étant les principaux facteurs expli-catifs. En Suisse, par contraste, la percep-tion d’obstacles à l’achat est faible. Le faitque les deux chaînes nationales de super-marchés distribuent et promeuvent les pro-duits certifiés Max Havelaar simplifie lechoix de produits équitables dans la majo-rité des supermarchés. En France, il estmoins facile de trouver ces produits dansles points de vente usuels et un plus grandeffort est donc nécessaire pour les acqué-rir. Cette étude souligne ainsi l’importancede l’accessibilité dans la diffusion de bienséthiques comme ceux issus du commerceéquitable.

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12. CSA/AgenceBIO. Baromètre de perception etde consommation des produits biologiques enFrance, 2003. http://agencebio.systonic.com/upload/pagesEdito/fichiers/dossier_presse_barometre_conso_2003.pdf

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La question qui se pose alors est de savoircomment appréhender cette accessibilité ?S’agit-il d’un environnement structurel aumême titre que l’information et le cadresocial, ou n’est-il qu’une caractéristiquesupplémentaire ? Roger (2000) classe ladisponibilité (ou l’accessibilité) comme leprincipal attribut traditionnel de la qualitédes aliments. Il s’agirait donc pour lui d’unecaractéristique. Pourtant, si l’on conçoit quel’appellation « caractéristique » renvoie auxpropriétés des produits influant sur le niveaude satisfaction, et l’appellation « environ-nement » à celles influant sur le niveau desconsommations, l’accessibilité s’apparenteplutôt à un environnement. En effet, l’en-vironnement structurel modifie les com-portements de consommation, puisqu’enrendant les produits plus ou moins acces-sibles, il joue sur les coûts de recherche etsur les phénomènes d’achats opportunistes.En effet, d’une part l’accessibilité peut êtreinterprétée par la théorie des coûts de dépla-cement puisqu’en jouant sur l’accessibilitédes produits, il est possible d’influer sur lescoûts de recherche du consommateur13.D’autre part, les comportements d’achatopportuniste peuvent modifier les compor-tements des consommateurs en favorisant ladiffusion des produits nouveaux (Chandonet Laurent, 1998). Influant sur le niveau desconsommations, nous pouvons alors consi-dérer que le niveau d’accessibilité qui com-pose la structure d’accès aux produits consti-tue un environnement structurel.

Néanmoins, il faut souligner que l’envi-ronnement structurel n’est pas indépendantdes autres. Premièrement, l’accessibilité d’unproduit peut représenter une informationpublique susceptible d’engendrer une cascadeinformationnelle pour les consommateurs.Les biens, présents et bien placés dans denombreux magasins, envoient un signal deproduits facilement vendables, donc de bonne

qualité. Deuxièmement, l’accessibilité peutêtre un indicateur du groupe auquel renvoieimplicitement le bien (je choisis de consommerdes biens spécifiques ou de grande consom-mation). Si l’augmentation de l’accessibilitédevait accroître le niveau des consommationsde biens à CPE via la réduction des coûts derecherche et les consommations opportunistes,certains individus, ayant une utilité positive àun coût de déplacement fort, pourraient lestrouver moins attractifs s’ils ne se position-naient plus sur une niche particulière puis-qu’ils perdraient le signal « différenciateur »recherché. Comme on peut le voir dans lafigure 2, l’information publique (signe de qua-lité) et le phénomène de niches expliquentune partie des phénomènes de mode ou deschangements d’habitude de consommation.

Pour introduire ces environnements et leursdiverses influences dans notre modèle, nouseffectuons une scission afin d’intégrer l’en-vironnement sur deux paramètres distincts :• Les environnements informationnel et

structurel (notés Fk) ont trait à l’environ-nement dans le sens du contexte général(l’environnement au sens de la modélisa-tion individus-centrés) puisqu’ils s’adres-sent uniformément à tous les individus ;

• L’environnement social, lui, apparaît dis-tinctement puisqu’il est propre à chaque indi-vidu et constitue donc un attribut de l’indi-vidu. Il s’agit l’opinion sur les biens éthiquespropre à chaque individu i (noté βi,xe

).Le niveau de consommation d’un indi-

vidu i dépend in fine de son opinion sur unbien contenant une caractéristique CPE et del’environnement.

ci(xe) = fi (βi,xe,Fk)

Le modèle multi-agents : NOÉ

Considérant la consommation d’un type debien unique, nous avons construit un modèleoù la consommation ne dépend plus despréférences mais de l’opinion que leconsommateur porte sur les biens conte-nant une caractéristique éthique. L’analyse

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Une analyse de la consommation éthique

13. En référence à la mobilité spatiale sur les travauxfondateurs de Launhardt (1885), Hotelling (1929),et Kaldor (1935).

Page 14: Une analyse de la consommation éthique. Le rôle de l

de la dynamique de l’utilité des individussous l’influence des niveaux d’informationet d’accessibilité passe donc par l’explora-tion de l’évolution des opinions éthiques etdes consommations qui lui sont associées.Pour ce faire, nous avons recours à unmodèle multi-agents simulant l’évolutiondes Niveaux d’opinions éthiques (NOE)dans une population hétérogène confrontéeà divers scenarii d’envoi d’information etd’accessibilité.

Le modèle NOE s’inscrit au croisementdes travaux d’Amblard (2003) et des tra-vaux issus du projet IMAGES (Deffuant,2001)14 qui ont développé un modèle indi-vidus-centrés de propagation de l’innova-tion (Deffuant et al, 2003). Nous avonsutilisé leur hypothèse d’interaction, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un modèle d’accordrelatif où l’influence d’un individu sur unautre dépend de leur niveau d’opinion etd’incertitude. Nous y avons ajouté l’hy-pothèse selon laquelle la population estscindée en différents groupes. Chaquegroupe est caractérisé par un niveau dediscussion qui lui est propre et des réactionsspécifiques face à l’envoi d’information etd’accès.

1. L’initialisation du modèle

Le modèle NOE est constitué d’un envi-ronnement caractérisé par une institutionqui a la possibilité d’envoyer des flux d’in-formation via des campagnes publicitairesou de modifier l’accès via des incitations surles réseaux de distribution. La population estconstituée d’individus hétérogènes reliésentre eux par un réseau social qui vontconfronter leur opinion à travers des dis-cussions.

Individu et groupeOn a un ensemble A composé de N indivi-dus Ai : |A|=|{Ai}|=N.

Vecteur d’état (Xi) de Ai :

Chaque individu Ai est caractérisé par uneopinion sur les biens éthiques βi et un niveaud’incertitude associé αi.On a : Xi = {βi, αi}. On postule une distri-bution uniforme des opinions sur [– 1 ; +1](Deffuant et al, 2002). Le générateur denombre aléatoire utilisé est un générateur àrécurrences multiples développé parL’Ecuyer (1999). La distribution de l’in-certitude suit elle, une loi normale sur [0 ; 1]car on postule qu’il y a plus d’individusmodérés que d’individus ayant des convic-tions polaires. L’opinion éthique d’un indi-vidu i est donc représentée par un segmentd’opinion µi défini comme suit :

µi = [βi – αi, βi + αi]

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14. Deffuant G. (2001). Improving Agri-environ-mental Policies: a simulation approach to the cogni-tive properties of farmers and institutions. Finalreport of project FAIR 3 CT 2092. http://wwwlisc.clermont.cemagref.fr/ImagesProject/freport.pdf

Figure 2. Interactions des différents environnements de consommation pour un bien à caractéristique CPE

Source : conception de l’auteur.

2.A.

2.B.

Informationmacroéconomique

Environnement

Informationnel

Informationmicroéconomique

Phénomène de mode

Page 15: Une analyse de la consommation éthique. Le rôle de l

à varier en fonction de l’évolution de l’opi-nion, le réseau social lui reste fixe. Le grouped’appartenance conditionne les réactionsde l’individu face aux modifications de l’en-vironnement et son taux de discussion avecles membres de son réseau pour faire appa-raître une plus grande tendance des militantsà transmettre un message positif surl’éthique.

2. La dynamique du modèle

La dynamique du modèle qui permet le pas-sage, pour un individu, d’un état t à un étatt +1 passe par deux processus : un proces-sus de modification de l’opinion et un pro-cessus de décision. L’opinion est modifiée,d’une part, après l’envoi du flux d’infor-mation ou d’accès et, d’autre part, lors desdiscussions. Une fois l’opinion établie, l’in-dividu calcule alors la proportion de sonrevenu qu’il alloue à la consommation debiens éthiques.

Le processus de modification d’opinionL’opinion éthique d’un individu se modifievia l’envoi séquentiel de flux d’un des deuxfacteurs environnementaux (information ouaccès) au sein d’une dynamique de discus-sions effectuées avec les membres du réseausocial.

En ce qui concerne le processus de dis-cussion, la confrontation des opinionséthiques s’effectue par le biais de discus-sions par paire d’individus (cardinalité del’influence 1-1). Le processus suit le modèled’accord relatif (Amblard, op. cit. ; Def-fuant et al, 2002), où la transmission del’information au sein de la population via unréseau de discussions dépend des opinionset de l’incertitude de chacun des deux inter-locuteurs. Les accords répondent à une dyna-mique d’attraction (Amblard, op. cit.) oùles individus influencés ont tendance à serapprocher si leurs états remplissent unedistance minimum. L’accord est alors carac-térisé par la différence entre la partie recou-verte et la partie non recouverte (Deffuant etal, op. cit.) comme le représente la figure 3.

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Une analyse de la consommation éthique

La segmentation de la population : L’hypothèse économique d’hétérogénéitédes individus a été posée pour faire appa-raître une diversité des comportements.Nous avons identifié trois types de com-portements spécifiques, en fonction desmotivations d’achat, donnant lieu à troisgroupes au sein de la population : les mili-tants, les médians, et les anti-conformistes.L’appartenance d’un individu i à l’un deces groupes dépend de la position de sonopinion et de son incertitude par rapport acelles des autres membres de la population.Soitβ la valeur moyenne des opinions, −α lavaleur moyenne des incertitudes, et σ l’écart-type de la distribution des incertitudes, défi-nis respectivement par :

β =

βj

; −α =

αj

N N

σ = � 1N–1

(α j –−α)2

les groupes se constituent comme suit :• Un individu i est militant si son opinion

éthique se situe au-dessus de la moyenne dela population (βi >β ) et que son incertitudese situe dans la frange « haute » des incer-titudes de la population (α i <

−α – σ ) ;• Un individu i est anti-conformiste si son opi-

nion éthique se situe au-dessus de la moyennede la population (βi >β ) et que son incertitudese situe dans la frange « basse » des incerti-tudes de la population (α i >

−α + σ ) ;• Enfin les autres individus constituent les

médians. Un individu i est médian si son opi-nion éthique se situe au-dessous de lamoyenne de la population (βi <β ) quel quesoit son niveau d’incertitude, ou si son opi-nion éthique se situe au-dessus de la moyenne(βi >β ) et que son incertitude se situe dans lafrange « moyenne » (−α –σ > α i >

−α + σ ) ;

Groupe et réseau socialLe groupe d’appartenance de chaque indi-vidu ainsi que son réseau social est définilors de l’initialisation. Si le groupe est appelé

N

∑j=0

N

∑j=0

N

∑j=0

Page 16: Une analyse de la consommation éthique. Le rôle de l

L’individu j influence l’individu i (res-pectivement d’opinions βj et βi et d’incerti-tudes αj et αi), hij est le recouvrement desegments µj =[βj –αj, βj +αj] et µi =[βi –αi,βi +αi], et 2ui – hij est la partie de µi nonrecouverte avec µj. Cela signifie que l’indi-vidu i va se rapprocher de l’opinion de l’in-dividu j à une vitesse proportionnelle à leurdegré de similitude, si toutefois les deuxvecteurs ne sont pas « trop » éloignés c’est-à-dire que les opinions ne soient pas trop dif-férentes.

Sur cette dynamique, nous introduisonsun processus de modification induit par lavariation de l’information ou de l’accessi-bilité. Des flux sont envoyés ponctuelle-ment à des dates et à des niveaux qui sontvariables. Le but étant ici d’analyser l’in-fluence de ces deux facteurs et leur conditiond’efficacité. Ces flux vont jouer sur les coûtsde transaction. L’envoi d’informationsrevient à une diminution des coûts derecherche d’information et l’envoi d’acces-sibilité à une diminution des coûts de dépla-cement. La principale différence dans l’im-pact de ces flux tient à la proportion de lapopulation touchée lors de la modification del’environnement. En effet, le flux d’infor-mations est un message publicitaire assi-milable à une campagne d’informationpublique sur le développement durable.Tous les individus de la société n’y ontdonc pas accès simultanément puisque tousles individus ne lisent pas les mêmes jour-naux ou ne sont pas présents au même

moment devant leur télévision. Il existedonc une proportion de la population qui esttouchée par l’envoi d’information, laquelleest appelée à varier en nombre et en cible.Quant aux flux d’accessibilité, il s’agit d’unemodification du placement et du degré deprésence des biens dans les réseaux de dis-tribution. Celle-ci est donc observable partous, même si les réactions face à cettemodification varient selon le groupe. Eneffet, les différentes modifications de l’opi-nion tiennent uniquement ici à la perceptionque les individus ont de cet accès selonleurs opinions et incertitudes préalables.

L’algorithme proposé pour effectuer lesmodifications d’opinion est commun auxdeux facteurs environnementaux. Seules lesréactions des individus VFk,Gr sont propres àchaque facteur Fk (k = information, accessi-bilité) et à chaque groupe Gr (Gr = militants,médians, anti-conformistes). On a alors :

(1–βi,t).∆Fk,Gr .αi si βi –β< ∆Fkβi,t+1= βi,t sinon

La condition initiale transcrit l’existenced’un seuil à partir duquel un individu vaprendre en compte la variation de l’envi-ronnement pour caractériser qu’un individuayant déjà un niveau d’opinion fort est insen-sible à une variation faible de l’informa-tion ou de l’accès. La variation de l’opi-nion dépend alors de son niveau d’opinionéthique initial (βi,t), de la variation du facteur(∆ Fk), de ses réactions (VFk,Gr), et de sonniveau de incertitude (αi).

ÉCONOMIE RURALE 301/SEPTEMBRE-OCTOBRE 2007 • 69

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Figure 3. Méthode de convergence d’opinion par attraction-répulsion

Source : Deffuant et al, op. cit.

Page 17: Une analyse de la consommation éthique. Le rôle de l

Le processus de décisionLe processus de décision consiste à allouerune partie des dépenses alimentaires auxbiens éthiques. Cette décision dépend duniveau d’opinion de chaque individu et dudifférentiel de prix entre les biens classiqueset les biens éthiques. Soit pe le prix du bienéthique, pc le prix du bien classique, on peutnoter :

pe = (1 + s)pc

avec s le différentiel de prix.Si l’individu a une opinion négative il

n’achètera pas de biens éthiques. Enrevanche, s’il a une opinion positive, ilconsacrera une part de son budget à laconsommation de biens éthiques. Cette pro-portion du budget notée b se définit de lafaçon suivant :

100b =1 + s

βi

Le différentiel de prix à une tendancedécroissante du nombre de consommateursde biens éthiques pour caractériser les éco-nomies d’échelle rendu possibles dans unmarché émergent. Cependant, il existe unseuil s au-delà duquel le différentiel ne peutpas descendre pour indiquer le surplus decoûts supporté par les producteurs des bienséthiques. L’évolution du différentiel s’écritde la façon suivante :

Pop – w st si st > s

st+1= Popst sinon

avec w le nombre de consommateurs desbiens éthiques (un individu est considérécomme consommateur de biens éthiqueslorsque il alloue au minimum 30 % de sonbudget alimentaire à ce type de biens), etPop la taille de la population totale.

3. Premiers résultats

Les premiers résultats tiennent principale-ment au fonctionnement du modèle. La prin-

cipale spécificité de ce modèle tient à laprésence d’anticonformistes qui ont uneévolution de leurs opinions antagoniste àcelle du reste de la population. D’une façongénérale, cette spécificité a pour but demettre en évidence des comportementscontraires au sein d’une même populationcomme des individus qui consommeraientdes biens éthiques par simple effet de modepour leur aspect « différenciateur ».

Dans ces premières simulations, les inter-actions entre les individus sont aléatoires cequi constitue un référentiel. Nous effec-tuons une comparaison entre l’influence del’information et celle de l’accès sur la pro-pagation d’une opinion éthique.

Pour ce faire, nous augmentons progres-sivement l’information et l’accès dans dessimulations indépendantes pour observer lesspécificités de leur influence propre. Nousconsidérons une population de faible taillepour analyser le comportement de chacundes individus avant d’effectuer des simula-tions sur un échantillon plus important.

Variation de l’informationLes simulations traitant de l’informationfont apparaître des variations d’opinionpar pallier du fait que tous les individus nesont pas amenés à revoir leur opinion àchaque période. Il existe des structures enescalier comme le montre la figure 4. Cer-taines de ces variations peuvent être trèsimportantes qui s’explique, premièrement,par le fait qu’il s’agit d’un individu rece-vant initialement l’information de l’insti-tution, et deuxièmement, par sa forteappropriation de celle-ci en raison d’unfort niveau de conviction initial. Auxétapes suivantes, cet individu discute avecd’autres membres de la population, les« tirant » ainsi à leur tour, vers une opinionéthique plus importante.

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Une analyse de la consommation éthique

Page 18: Une analyse de la consommation éthique. Le rôle de l

Variation de l’accessibilitéPour ce qui est de la variation de l’opinion duà une variation de l’accessibilité (figure 5), onpeut remarquer qu’il existe deux types detrajectoire d’évolution possible. Une partiedes individus ont une opinion éthique crois-sante avec l’augmentation du niveau d’ac-cessibilité et ceux de façon régulière. Uneautre partie des individus ont une opinionstagnante, voire quelque peu décroissantepour certains. Cela caractérise bien le faitqu’une partie de la population n’a une opinionéthique positive que par effet « différencia-teur ». Le nombre de consommateurs deve-nant important ils se détournent de leurs

valeurs éthiques. On observe deux pôles deconvergence possibles : l’un vers une opinionéthique forte et l’autre vers une opinionéthique inchangée, voir décroissante.

En comparant les deux types de trajec-toire, nous pouvons souligner que la diffu-sion discrète (« en escalier ») due à l’infor-mation s’explique par l’exposition partiellede la population alors que la diffusion conti-nue due à l’accès s’explique par une expo-sition totale. Nous pouvons égalementremarquer l’apparition d’une situation deverrouillage dans le cas de l’accès qu’ilserait intéressant d’analyser plus attentive-ment dans la suite de ces travaux.

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RECHERCHES

Sabine GARABEDIAN

Figure 4. Évolution des opinions due aux variations de l’information

Source : conception de l’auteur.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

4,5

4,0

3,5

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2,5

2,0

1,5

1,0

0,5

0,0

Figure 5. Evolution des opinions due aux variations de l’accessibilité

Source : conception de l’auteur.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

6

5

4

3

2

1

0

-1

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Conclusion et perspective

En présentant l’éthique au sein de la théorieéconomique nous avons pu faire la distinc-tion entre une approche positive et uneapproche normative. Cette distinction nousa permis, dans un cadre normatif, de poserla notion de « vie bonne » qui guide cetteétude comme la poursuite des objectifs dedéveloppement durable. À travers l’aspectpositif, nous avons présenté quelques modé-lisations issues de la théorie moderne del’éthique économique, à partir desquellesnous avons proposé une approche distin-guant la consommation éthique de laconsommation classique.

Après avoir défini la caractéristiqueéthique permettant la différenciation de cesdeux types de consommation, nous avonsidentifié les facteurs susceptibles d’influersur les consommations et plus spécifique-ment sur les consommations de type éthique.La mise en évidence de l’importance del’environnement de consommation a per-mis de mieux appréhender l’influence de

l’information et de l’accessibilité sur leniveau des consommations. Plus particu-lièrement, l’intégration de l’environnementstructurel dans l’analyse de la qualité a misen évidence certaines spécificités, commel’importance de la visibilité des produitséthiques. Nous avons donc formalisé unefonction d’utilité prenant en compte cesparamètres afin d’évaluer l’impact de cesdeux facteurs environnementaux sur lesniveaux d’opinion éthique.

Afin de tester ce modèle théorique, nousavons construit le modèle multi-agentsNOE qui simule l’évolution d’une opi-nion éthique dans une population seg-mentée en groupes. Les premières simu-lations proposées ont eut pour objectifd’observer l’influence des différents fac-teurs environnementaux. Ainsi, nous avonspu remarquer qu’il existait une situation deverrouillage dans le cas de l’accessibilité,facteur de diffusion des biens éthiques,que la suite de ces travaux tentera d’ex-pliquer, notamment à travers le rôle desgroupes. �

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Une analyse de la consommation éthique

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