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Ann Dermatol Venereol2007;134:68-71Articles scientifiques
Cas clinique
Sclérodermie en plaques et linéaire avec hémiatrophie faciale et extra-faciale et atteinte œsophagienneH. MÉGARBANÉ, R. TOMB, E. MAKHOUL
Résumé
Introduction. L’association de la sclérodermie à une hémiatrophie est
rare. L’originalité du cas rapporté réside dans la coexistence chez une
même malade de plusieurs types de sclérodermie et d’une hémiatrophie
faciale et extra-faciale.
Observation. Chez une femme, âgée de 38 ans, atteinte d’une
sclérodermie en plaques survenait un trouble moteur de l’œsophage
et du côté droit : une hémiatrophie progressive de la face, du muscle
sterno-cléido-mastoïdien, du pouce et de l’éminence thénar.
Une hyperpigmentation linéaire au membre supérieur droit et un aspect
en coup de sabre du front étaient également notés.
Discussion. Les hémiatrophies faciales et extra-faciales sont en règle
rapportées dans la littérature en association avec, ou secondaire à, une
sclérodermie localisée de type linéaire. Seulement deux cas d’atteinte
systémique ont été rapportés, associés à une hémiatrophie localisée
uniquement au visage. Notre observation se distingue par son mode de
début à type de sclérodermie en plaques, par l’atteinte œsophagienne,
et par l’association d’une atteinte linéaire et d’une hémiatrophie faciale
et extra-faciale. Cette observation soulève le problème des rapports
entre l’hémiatrophie faciale de Romberg et les atrophies faciales
des sclérodermies localisées.
Conclusion. L’association de plusieurs types de sclérodermie et d’une
hémiatrophie faciale et extra-faciale chez une même malade pourrait
correspondre à une même entité nosologique dont la pathogénie,
commune mais multifactorielle, aboutirait à différents tableaux cliniques.
Summary
Background. Association of scleroderma with hemiatrophy is rare.
The case we describe is unusual because of the combination in the same
patient of several sub-types of scleroderma with oesophageal
involvement and facial and extra-facial hemiatrophy.
Case report. A 38-year-old women suffering from plaque-type morphea
presented oesophageal dysfunction during the course of her disease with
positive anti-Scl70-antibodies and progressive right-sided hemiatrophy
of the face, sternocleidomastoid, thumb and thenar eminence. Linear
hyperpigmentation of the right arm and a “coup de sabre” appearance on
the face were also noted.
Discussion. Facial and extra-facial hemiatrophies are usually associated
with or originate secondary to linear scleroderma. Only two cases with
systemic involvement have been reported but hemiatrophy was localised
to the face. The present case is unusual because of its onset as morphea
in plaque form, because of the oesophageal involvement and the
additional association of morphea in a linear form and facial and extra
facial hemiatrophy. The relationship between sclerodermic facial
hemiatrophy and Romberg facial hemiatrophy is also discussed.
Conclusion. The combination of several sub-types of scleroderma and
facial and extra-facial hemiatrophy in the same patient may indicate that
these entities actually represent different spectra of the same disease.
association d’une sclérodermie à une hémiatrophie
faciale (avec ou sans une hémiatrophie corporelle)
est rare. Quelques cas ont été décrits dans la littératu-
re. Il s’agit, dans la majorité des observations, d’une scléroder-
mie localisée de type linéaire compliquée d’une hémiatrophie
de la face et parfois d’une hémiatrophie extra-faciale [1-4].
L’originalité du cas rapporté réside dans la juxtaposition chez
une même malade d’une hémiatrophie faciale et extra-faciale
droite et d’une sclérodermie de type linéaire et en plaques
compliquée d’une atteinte œsophagienne.
Observation
Une femme âgée de 38 ans, se plaignait depuis 5 ans d’une
dyschromie à type de taches hyper et hypopigmentées, associée
à des plaques de morphée sur le corps. L’examen histologique
Plaque-type scleroderma associated with linear and oesophageal featuresand facial and extra-facial hemiatrophy.H. MÉGARBANÉ, R. TOMB, E. MAKHOULAnn Dermatol Venereol 2007;134:68-71
Service de Dermatologie, Hôtel-Dieu de France, Beyrouth, Liban.
Tirés à part : E. MAKHOUL, Service de Dermatologie,
CHU Hôtel-Dieu de France, Beyrouth, Liban.
E-mail : edmakhoul@hotmail.com
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Ann Dermatol Venereol2007;134:68-71
Sclérodermie en plaques et linéaire avec hémiatrophie faciale et extra-faciale
d’une biopsie cutanée montrait un épiderme aminci, une cou-
che basale pigmentée, un infiltrat lymphohistiocytaire du der-
me ainsi qu’un collagène dermique densifié. Peu de temps
après, la malade signalait des troubles de la déglutition puis
une dysphagie aux aliments solides. L’interrogatoire ne mettait
en évidence aucun autre signe d’atteinte systémique, notam-
ment il n’y avait pas de dyspnée ni de phénomène de Raynaud.
La numération formule sanguine montrait une hémoglobine
à 10,8 g/l. La vitesse de sédimentation, la fibrinémie, la créati-
nine plasmatique étaient normales. Les anticorps antinucléai-
res dosés à plusieurs reprises par la technique ELISA
étaient tantôt négatifs tantôt intermédiaires avec des valeurs
autour 1,48 (négatif < 1, positif > 2). Les anticorps anti Scl70
étaient positifs à 1,12 (normale < 1). Les dosages du complé-
ment, la recherche de cellules LE et du facteur rhumatoïde,
l’électrophorèse des protéines sériques, l’examen des urines,
la radiographie thoracique et l’échographie abdominale ne
montraient aucune anomalie. Une manométrie œsophagien-
ne mettait en évidence une relaxation partielle du sphincter
inférieur de l’œsophage évaluée à 40 p. 100 ainsi qu’un
apéristaltisme des 2/3 inférieurs de l’œsophage. La gastros-
copie était refusée par la malade.
Une corticothérapie orale pendant 6 mois à raison de
0,8 mg/kg/j en dose d’attaque le premier mois puis à des do-
ses progressivement dégressives était instituée. Une amélio-
ration des lésions cutanées et des troubles œsophagiens était
notée. Une substitution en fer corrigeait l’anémie.
Deux ans plus tard, la malade signalait une faiblesse du
membre supérieur droit accompagnée d’une sensation de rai-
deur de tout le bras et d’arthralgies diffuses. Des épisodes de
torticolis, de contractures douloureuses involontaires du mas-
séter et du pouce droits complétaient secondairement le ta-
bleau. Progressivement s’installait une atrophie de l’hémiface
et du pouce droits. L’examen clinique montrait alors une asy-
métrie du visage secondaire à une atrophie de toute l’hémifa-
ce droite (fig. 1). Il existait une atrophie de l’hémilangue
droite. Deux dépressions cutanées linéaires sur les lignes mé-
diane et paramédiane gauche du front formaient une bande
ébauchant un aspect en « coup de sabre » (fig. 1). La peau du
visage n’était pas scléreuse. Quelques taches d’hypopigmen-
tation sur la lèvre inférieure, le menton et le cou à droite ainsi
qu’une dépigmentation paramédiane gauche d’une mèche de
cheveux et de la peau en regard étaient notées (fig. 1).
L’examen clinique révélait des taches d’hyper et d’hypopig-
mentation dispersées sur tout le corps, quelques plaques de
morphée, ainsi qu’une hyperpigmentation linéaire en bande
s’étendant de l’avant-bras droit jusqu’au dos du pouce
(fig. 2, 3). On relevait, toujours à droite, une atrophie du mus-
cle sterno-cléido-mastoïdien, des parties molles en regard de
la clavicule, du pouce et de l’éminence thénar (fig. 1, 3).L’examen neurologique mettait en évidence un déficit mo-
teur partiel de l’hémiface droite et du membre supérieur
droit plus marqué au pouce. La sensibilité était normale et sy-
métrique. La recherche du signe de Babinski était négative.
L’IRM cérébrale était normale. Une mesure de la vitesse de
conduction nerveuse des nerfs facial, médian et cubital droits
permettait d’éliminer une atteinte neurogène. La malade était
traitée par colchicine pendant 6 mois à raison de 1 mg par
jour avec une régression des douleurs articulaires en 5 mois.
Une stabilité des séquelles atrophiques et scléreuses et
l’absence d’apparition de nouvelles lésions cutanées ou de
complications systémiques étaient constatées durant un sui-
vi clinique de 3 ans.
Discussion
Notre observation est originale par son mode de début à type
de sclérodermie en plaques, par l’atteinte œsophagienne, et
par l’association d’une hémiatrophie faciale et extra-faciale.
De plus, l’aspect en coup de sabre du front, l’hyperpigmenta-
tion linéaire de l’avant-bras droit ainsi que l’atrophie linéaire
Fig. 1. Asymétrie du visage secondaire à une atrophie de l’hémiface droite, aspect encoup de sabre du front et dépigmentation paramédiane gauche d’une mèche decheveux et de la peau en regard.
Fig. 2. Hypopigmentation abdominale et plaques de morphée.
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du pouce et de l’éminence thénar évoquent la juxtaposition
d’une sclérodermie en bandes. Il s’agit apparemment du pre-
mier cas regroupant chez un même malade tous ces aspects.
Les hémiatrophies faciales et extra-faciales sont en règle
rapportées dans la littérature en association avec, ou secondai-
re à, une sclérodermie linéaire [1-3, 5, 6]. En 1966, Tuffanelli
et al. ont rapporté pour la première fois un cas qui comportait
en plus de l’atteinte linéaire et de l’hémiatrophie faciale, une
atteinte œsophagienne et pulmonaire [7]. En 1984, Nomura
et al. ont décrit un cas de sclérodermie systémique de type
acrosclérose compliquée d’une hémiatrophie faciale mais
sans atteinte linéaire [6]. Dans l’observation que nous rap-
portons, il n’existe pas suffisamment de critères cliniques
pour parler de sclérodermie systémique. Cependant, l’attein-
te œsophagienne, l’atteinte articulaire à type d’arthralgies
diffuses et la positivité des anticorps anti Scl70 pourraient
constituer les éléments préliminaires d’une évolution systé-
mique ou une forme intermédiaire dont la pathogénie reste
à préciser.
De plus, notre observation pose le problème tant débattu
des relations entre l’hémiatrophie faciale progressive secon-
daire à une sclérodermie et l’hémiatrophie de Romberg qui
est une atrophie acquise de l’hémiface, de pathogenèse in-
connue, intéressant la peau, le tissu sous-cutané et parfois
l’os sous-jacent [8]. Certains auteurs ont essayé de préciser
les différences sémiologiques entre ces deux affections [3].
Dans la sclérodermie de la face, on trouve, à la période initia-
le, une sclérose de la peau. L’atrophie débute en un point lo-
calisé de la face pour s’étendre secondairement sur le reste
du visage et en profondeur vers les tissus sous-cutanés. La li-
mite de l’atrophie est sur la ligne paramédiane, « en coup de
sabre », et il s’y associe souvent une alopécie en bande. En re-
vanche, dans l’hémiatrophie faciale idiopathique on ne trou-
ve pas la notion de lésion cutanée initiale. L’atrophie débute
d’abord dans le tissu sous-cutané, les muscles, voire l’os
avant de toucher la peau qui reste mobile sur les plans pro-
fonds. L’atrophie est homogène avec une limite floue sur la
ligne médiane ou paramédiane. Elle touche essentiellement
la partie inférieure du visage ; on ne note pas d’alopécie.
Cependant, aucune de ces particularités sémiologiques n’ap-
paraît spécifique et les séquelles atrophiques d’une scléro-
dermie de la face peuvent être en tout point similaires à une
atrophie faciale idiopathique [3, 4, 8]. Même l’examen histo-
logique ne permet pas une différenciation formelle entre les
deux entités [3, 4, 8]. L’extension extra-faciale de l’atrophie
n’est pas non plus un caractère différentiel car on peut l’ob-
server aussi bien dans la sclérodermie que dans l’hémiatro-
phie de Romberg [3, 5, 6, 8]. Elle est plutôt de topographie
linéaire dans la première et plus diffuse dans la seconde [3].
Chez notre malade, l’absence de sclérose initiale de la peau,
l’atteinte inférieure de l’hémiface et l’absence d’alopécie
seraient plus en faveur d’une hémiatrophie de Romberg.
Cependant, l’atrophie linéaire du pouce et de l’éminence thé-
nar ainsi que l’aspect en coup de sabre du visage seraient plu-
tôt en faveur d’une sclérodermie linéaire en involution.
Sur le plan sémiologique, il faut souligner l’existence de
crampes musculaires particulières par leur topographie (uni-
quement dans le territoire touché par le processus atrophi-
que), par leur intensité, par leur chronologie. Elles précèdent
l’apparition de l’atrophie et diminuent de fréquence au fur et
à mesure que celle-ci progresse. Cette symptomatologie a
déjà été décrite par Lapresle et al. à propos d’un cas de scléro-
dermie avec hémiatrophie faciale et extra-faciale croisée et a
été attribuée à des remaniements inflammatoires musculai-
res constatés à la biopsie [3]. L’association de crampes ou de
spasmes du masséter à l’hémiatrophie faciale progressive a
déjà été rapportée et serait causée par la compression ou
l’élongation de la branche distale du nerf mandibulaire se-
condaire aux remaniements des tissus profonds engendrés
par l’hémiatrophie [3, 9].
Récemment, Blaszczyk et al., en accord avec un précèdent
article de Malandrini et al., concluaient que les différentes al-
térations histologiques des tissus sous-cutanés observées sur
les différentes biopsies des zones atrophiques ne pouvaient
être expliquées par la sclérodermie concomitante seulement
et impliquaient donc un autre processus physiopathologique
[5, 10]. La juxtaposition, dans notre observation de plusieurs
types de sclérodermie et d’une hémiatrophie faciale et extra-
faciale pourrait correspondre à une même entité nosologique
dont la pathogénie, commune mais multifactorielle, abouti-
rait à différents tableaux cliniques.
Références
1. Duteille F, Duport G, Dufour X, Larregue M. Atrophie hémifaciale.À propos d’un cas dans une sclérodermie en bandes. Ann Chir PlastEsthet 1997;42:344-9.
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4. Gambichler T, Kreuter A, Hoffmann K, Bechara FG, Altmeyer P, Jansen T.Bilateral linear scleroderma “en coup de sabre” associated with facialatrophy and neurological complications. BMC Dermatol 2001;1:9.
Fig. 3. Hyperpigmentation linéaire s’étendant de l’avant-bras droit jusqu’au dos dupouce avec atrophie du pouce.
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Ann Dermatol Venereol2007;134:68-71
Sclérodermie en plaques et linéaire avec hémiatrophie faciale et extra-faciale
5. Malandrini A, Dotti MT, Federico A. Selective ipsilateral neuromuscularinvolvement in a case of facial and somatic hemiatrophy. Muscle Nerve1997;20:890-2.
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10. Blaszczyk M, Krysicka-Janiger K, Jablonska S. Primary atrophic pro-found linear scleroderma. Report of three cases. Dermatology 2000;200:63-6.
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