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MORDEFROID (J.-L.), \" Le prieuré de Gigny et l'ermitage Saint-Christophe des Buis à Cuisiat (Ain) (c. 1615-1769) \", Les Cahiers Bernon, n°5, Lons-le-Saunier, 2011, p. 105-138.pdf

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Introduction 1

Les Cahiers Bernon 2009 nous avaient offert l’opportunité de rouvrir un dossier, modeste mais instructif, de l’histoire de Gigny : celui du frère Taurin berrod (c. 1675-1755), ermite à proximité du bourg de Gigny grâce au soutien des paroissiens et de l’aumônier du prieuré. Les lignes qui suivent s’attachent à un autre ermitage, Saint-Christophe des buis, fondé par l’établissement jurassien à Cuisiat (Ain) vers 1615 et supprimé en 1769.

L’historien de Gigny, bernard Gaspard (1843 et 1858), ne mentionne que quatre documents intéressant cette solitude et ne les utilise pas ; le cher-cheur s’est toutefois rendu sur les lieux qu’une croix signalait encore. Quant à Marie-Claude Guigue (1873), elle ignore totalement Saint-Christophe. Il est vrai que les sources intéressant cette retraite comme la majeure partie des solitudes françaises, ainsi que l’a montré l’enquête sur l’érémitisme ouverte dans les diocèses français en 1950, sont souvent éparses.

1. Que Mesdames et Messieurs Florence beaume et Gérard Griesbaum (Archives départementales de l’Ain), Anne-Marie Delattre (Archives départementales du Rhône), Stéphanie Deprost (Musée d’Archéologie de Lons-le-Saunier), José-Maria Horrillo Escobar (Unité de Recherche Archéologique Cartusienne), Justo Horrillo Escobar (Service d’Archéologie de Lons-le-Saunier), Raymond Maire (Maire de Treffort-Cuisiat), nelly Prost (Service du patrimoine immobilier et mobilier du Conseil général de l’Ain), Céline, Dominique et Michel Rabant (Unité de Recherche Archéologique Cartusienne), Elisabeth Roux (Archives municipales de bourg-en-bresse) et Evelyne Tholas (Mairie de Treffort-Cuisiat) veuillent bien trouver ici nos chaleureux remerciements.

Le prieur de Gigny et l’eritage Saint-Christophe des Buis

Cuisiat (Ain)— c. 1615-1769 —

Jean-Luc MordefroidDirecteur du Musée d’Archéologie du Jura

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Puis, en 1997 dans le cadre d’une étude consacrée aux ermites de l’Ain, Catherine Santschi et Paul Cattin ont exploité cinq actes inédits, suscitant ainsi une recherche résolument monographique. Après deux ans d’enquête (2009-10), plus de 60 documents majoritairement conservés dans l’Ain, le Rhône et le Jura ont été réunis. Mis en perspective, ces matériaux autorisent une évocation plus fine du seul (?) ermitage fondé par les moines de Gigny.

Aux origines de Saint-Christophe des Buis

Un « ermitage-guet » fondé par le prieuré de Gigny vers 1615

L’ermitage Saint-Christophe paraît être fondé entre l’automne 1613 et le printemps 1616. En effet, le 14 septembre 1613 l’archevêque de Lyon Denis-Simon de Marquemont (1612-1626) procède à la visite pastorale des paroisses de Pressiat et de « Cuysia ». Le procès-verbal de celle-ci énu-mère la chapelle notre-Dame de Montfort, « mère » de l’église Saint-Laurent de Pressiat, l’église Saint-Clément de Cuisiat et, « hors ladite église et du costé de bize », la chapelle notre-Dame mais ne signale pas l’établis-sement qui nous intéresse. Toutefois, nous ne pouvons exclure une fonda-tion antérieure à 1613 car ce compte-rendu omet la chapelle Saint-Jacques, plusieurs fois mentionnée dans les comptes de la châtellenie de Treffort entre 1427 et 1475 et qui ne sera détruite qu’entre 1666 et 1773. L’existence de cette solitude est en revanche assurée deux ans plus tard car le même prélat autorise, le 10 avril 1616, « frère Pierre boyet dit Emmanuel, clerc et ermite sous la règle de Saint-Antoine » à résider en l’« ermitage Saint-Christophe des buys ».

Ce dernier texte ne mentionne pas le fondateur-collateur mais les sources postérieures, et notamment un bail du 26 juin 1618, nous assurent qu’il s’agit du prieur de Gigny. Les intentions de ce dernier, probablement Ferdinand de Rye, par ailleurs archevêque de besançon (1586-1636), sont quant à elles esquissées indirectement et avec parcimonie par la chronolo-gie, le vocable, le site et l’économie de l’établissement.

La construction de l’ermitage Saint-Christophe s’inscrirait donc dans une phase créatrice bien connue, les années 1598-1621, inspirée par un demi-siècle de malheurs publics. Localement, l’invasion de la Franche-Comté par Henri IV (1595), les « pestes » à l’état endémique (1595-1604) et la conquête

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Fig. 1 : Le site de Saint-Christophe des buis.

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de la bresse par la France (1600-01) accentuent ces derniers de manière dramatique. Le protecteur choisi rappelle implicitement ces évènements car saint Christophe, patron des voyageurs, est aussi invoqué contre la mort subite et les maladies épidémiques ; d’ailleurs, si au xviie siècle le « porte Christ » n’est le patron que de quelques solitudes, il protège de nombreuses institutions hospitalières. Comme d’autres ailleurs, le prieur de Gigny a vraisemblablement voulu honorer un saint protecteur, suprême ressource de la médecine, pour que les « pestes » cessent.

Mais le site retenu et l’économie de l’ermitage inscrivent également l’occupant de Saint-Christophe au nombre des « sonneurs publics », veillant à la sécurité d’une ville ou d’une communauté villageoise. En effet, l’éta-blissement est construit sur la pente nord du Montcel, surplombant ainsi d’une vingtaine de mètres la croisée où se fondent les « grands chemins » de Saint-Etienne-du-bois, de bourg-en-bresse et de Treffort avant d’entrer dans Cuisiat, moins de cent mètres plus loin [Fig. 1]. Le monument quant à lui ne se résume pas à une « maison », citée en 1632, mais comprend également une chapelle et une cloche ou « sonnerrie », respectivement mentionnées pour la première fois en 1632 et 1659. Au quotidien, l’« ermite campanier » sonne donc les heures. Mais ainsi posté, le guetteur sonne également le tocsin, tentant d’éloigner l’orage du vignoble, signalant un incendie ou les mouvements de troupes ennemies telles celles de 1594 :

« Les Suisses en garnison à Bourg se mirent aussi à rançonner le bonhomme Puis, ils allaient par escouades visiter les celliers du Revermont , détroussaient les passants, faisaient main basse sur tous les objets à leur portée, et regagnaient la ville. »

En somme, l’érection de Saint-Christophe procéderait très directement des « périls » des années 1595-1615. Cette sentinelle constituerait ainsi un exemple supplémentaire de ces « ermitages-guets » que les villes ou les bourgs restaurent ou érigent alors de part et d’autre de la frontière, à Lons-le-Saunier (Jura) en Franche-Comté ou à Cuiseaux (Saône-et-Loire) en France, par exemple. A Cuisiat, la fondation du prieur de Gigny contribue en outre à la sécurité d’un prieuré-cure dont l’affermage, de 1619 à 1624, procure 440 livres tournois par an au monastère jurassien.

Notre-Dame de Montaigu, la solitude concurrente

Moins d’un an après l’institution du frère Emmanuel (10 avril 1616), le seigneur de La Motte décide à son tour, par testament le 21 mars 1617,

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d’élever un ermitage et une chapelle funéraire sur ses terres. Au cours du Moyen Âge, de grands féodaux avaient fondé des abbayes. Entre 1590 et 1662, la petite noblesse multiplie les solitudes, les dote sans oublier de s’octroyer un droit de patronage et de nomination, espérant ainsi assurer le salut de son âme. En 1617, Jean-François de Lucinge, noble comman-ditaire bien de son temps, n’agit pas autrement.

Le fondateur, âgé de 62 ans et « debtenu malade en son lict », ne précise pas ses motivations mais sa personnalité et des situations similaires autorisent quelques suggestions. Ainsi quelques années plus tôt, en 1605, un ancien capitaine du château de binans (Jura) avait relevé la solitude de Conliège (Jura) ruinée lors des raids français de 1595 et quelques décennies plus tard, en 1662, un ancien capitaine et gouverneur de Gray (Haute-Saône) érigera l’ermitage de Voiteur (Jura). ne pourrions nous pas inscrire Jean-François de Lucinge au nombre de ces combattants qui, écoeurés par les « malheurs » des cinquante années passées, choisissent le « désert » et/ou multiplient les soli-tudes, espérant contribuer ainsi à la restauration de l’Eglise ?

Quoi qu’il en soit, le projet du seigneur de La Motte, qui devra être exé-cuté par son fils René de Lucinge (1584-1648), a été mûrement réfléchi ainsi qu’en témoignent les précisions données et le souci de créer un établissement économiquement viable, et par conséquent pérenne. Ainsi, la chapelle sera construite « pres la maison forte de ladicte Motte, au coingt de sa forestz au lieu appelle Vers la Rippate », peut-être l’actuel lieudit Vers la Rippe. Celle-ci, placée sous le vocable de « notre-Dame de Montegut », abritera son « tumbeau » et un « aultel propre a y dire la messe ». Le collateur, souhaitant qu’un « pere hermitte prebtre » réside in situ, prévoit de « faire faire et construire avec ladicte chappelle une chambre jougniant a icelle, propre a y demeurer ung homme avec ung petit enfant tant seulement », et d’acheter les « abitz d’Eglise requis et nécessaire [au] prebtre, propre a dire messe ». Jean-François de Lucinge s’engage enfin à faire servir au prêtre-ermite une pension annuelle perpétuelle à la Saint-Michel (29 septembre) dont le pre-mier versement interviendra dès la présente année : 15 livres « pour chepter ung habit », 15 livres « pour son entretient et pitance », 24 coupes de froment et 2 pochons de vin.

Le même jour et si l’archevêque de Lyon y consent, le seigneur de La Motte confie la desserte de la chapelle seigneuriale Saint-Eloi, fondée par les de Gères, la famille de son épouse, en l’église de Cuisiat, et de l’ermitage

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notre-Dame de Montaigu à « messire Pierre Lestevenon, prebtre et hermitte demeurant audit Cuysia » [Fig. 2]. La présence de ce dernier confirme, s’il en était encore besoin, la qualité du projet de Jean-François de Lucinge car, contrairement aux villes et aux communautés villageoises du moment, la noblesse française peine souvent à trouver des solitaires et de nombreux ermitages privés restent désespérément vides.

Ainsi, cette fondation est quasiment achevée lorsque le seigneur de La Motte décède à la fin du mois de mars. Aussitôt, le 1er avril, sa veuve barbe de Gères présente à la chapelle Saint-Eloi le curé de Cuisiat, Jacques Millet. Le desservant, accepté par l’archevêque Denis-Simon de Marquemont trois jours plus tard, prend possession du bénéfice le 4 avril en présence de Jean Ponsard, « prêtre et sociétaire de Treffort ».

La Motte, un ermitage sacrifié au profit de Saint-Christophe

De facto, dix jours après la disparition du fondateur, sa veuve, son fils et l’Ordinaire récusent ses dispositions testamentaires. Cet ermitage-cha-pelle funéraire placé sous le vocable de notre-Dame de Montaigu « né » le 21 mars est donc « enterré » dès le 4 avril. Si les dispositions prises par les uns et les autres pénalisent le prêtre-ermite Pierre Lestevenon, elles condam-nent avant tout l’institution envisagée. Ce dernier constat est d’autant plus surprenant que les projets aussi aboutis, et notamment sur le plan écono-mique, sont alors rares voire exceptionnels.

Dans ces conditions, comment expliquer l’attitude des héritiers de Jean-François de Lucinge ? barbe de Gères désapprouve peut-être l’érection d’une deuxième chapelle funéraire familiale, proclamant trop haut le pas-sage du fief de La Motte des Gères aux Lucinge alors que son fils René a déjà relevé son matronyme. En outre, la veuve et les cinq enfants du couple redoutent sans doute le poids des charges à venir : l’investissement que nécessitera la construction et plus encore le coût d’une pension perpétuelle.

Enfin, la famille de Lucinge ne souhaite certainement pas heurter le col-lateur de Saint-Christophe, prélat de premier plan. Certes, la pension aurait dispensé le titulaire de notre-Dame de Montaigu de quêter et donc d’aug-menter la pression fiscale pesant sur les 60 feux de la paroisse [Fig. 3]. Mais immanquablement, des aumônes auraient été faites à notre-Dame de Montaigu dont la vénération, notamment en Franche-Comté et sur ses

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Fig. 2 : Signatures des ermites Lestevenon, Vacconnel, bogrand et Arparin.

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marches bressannes et bourguignonnes, ne cesse de croître entre 1610 et 1660. Or, ces dons auraient menacé la situation financière de notre-Dame de Montfort, but de pèlerinage « en danger éminent » (1613), de Saint-Clément de Cuisiat et de Saint-Christophe, bien mal doté, autant d’églises et de chapelle à la nomination de Ferdinand de Rye. En renonçant au projet de Jean-François de Lucinge et en présentant le desservant de Cuisiat à la chapelle Saint-Eloi, barbe de Gères et ses enfants préservent les relations de leur lignage avec le prieuré de Gigny. Cela dit, nous ne pouvons exclure une intervention du prieur de Gigny, archevêque de besançon, pourtant favorable à un culte réglementé des statuettes faites du bois miraculeux de Montaigu, auprès de l’Ordinaire lyonnais.

Cette concurrence érémitique, étouffée dans l’œuf, a eu l’intérêt de pointer du doigt la trop grande fragilité économique de Saint-Christophe. Initialement et à l’image de ses confrères bressans, bugistes ou franc-comtois, l’ermite du lieu jouissait des productions de son clos et de l’argent des quêtes au sujet desquels, et ce n’est pas une surprise, les archives ne disent rien. Aussi, après les événements du printemps 1617 et avant l’été 1618, le prieur de Cuisiat aug-mente ces moyens d’existence traditionnels ainsi que nous l’assure l’amodiation de « toutes diesmes et revenus » du prieuré en date du 26 juin 1618. Ce bail de six ans (1er janvier 1619-31 décembre 1624), rédigé en présence de Marc de Montagu, « prieur cloytrier, chambrier, grand vicaire » de Gigny et « vicaire général » du prieur, et des frères Jacques et Jean Millet, prêtres, signale les reve-nus qui ne sont pas concernés : la « diesme du vin » amodiée à un particulier de Saint-Amour, la dîme des vignes de la dame de La Motte et celle du curé de Cuysiat, ainsi que « les offrandes des esglises donnes en aulmosne par mon-dit seigneur le révérendissime au pere hermite dudit Cuysiat ».

Le premier de ces édifices est la chapelle de l’ermitage dont le saint patron est fêté le 25 juillet. Le deuxième, la chapelle notre-Dame de Montfort, élevée aux xiiie-xive siècles, abrite une vierge en bois polychrome du xve siècle faisant l’objet d’un pèlerinage : les uns amènent leurs enfants sujets aux frayeurs, les autres, telle la ville de bourg-en-bresse en 1504, viennent deman-der la pluie. En 1613 le prieur de Gigny « n’y fait faire autre service que dire quelquesfois messe » et la chapelle est « en danger éminent » alors qu’il « la doit entretenir ». Le lieu semble donc « abandonné », sans doute en raison de la conjoncture qui s’est accompagnée d’une baisse de la ferveur pèlerine et des dons. Dans ce contexte, l’attribution des aumônes de notre-Dame de

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Fig. 3 : L’environnement de l’ermitage Saint-Christophe.

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Montfort à l’ermite de Saint-Christophe peut différer la restauration du lieu. Mais la formule offre un double avantage : elle consolide l’économie de la solitude et elle place cette chapelle isolée sous le contrôle, certes intermittent, d’un gardien désormais intéressé à sa conservation.

Saint-Christophe, une institution confortée par Gigny et l’ermite Vacconnel

L’assise financière donnée à Saint-Christophe en 1618 perdure au cours des décennies qui suivent. Dès lors cette institution confortée peut ouvrir ses portes à des sujets de qualité et notamment à des ermites prêtres.

Le compte-rendu de la visite pastorale de « Cuysia » et « Pressia », effec-tuée le 16 septembre 1655 par l’archevêque Camille de neuville, nous assure de la permanence des dispositions prises par Gigny en 1618. Il dit en effet que le prieur « laisse » les « oblations » faites à notre-Dame de Montfort à « un hermite qui habite auprès dans un hermitage ». Mais le document ajoute que celles-ci ont été reconnues à l’établissement jurassien par « sentence » : s’agit-il d’une allusion au procès de 1618 que signale bernard Gaspard sans en dire plus ? nous ne pouvons l’affirmer, les pièces intéressant celui-ci étant a priori perdues, mais cette indication montre que certains s’opposent immédiatement à cette réorganisation. La prorogation évoquée est confirmée par un deuxième document, la permutation de deux solitaires en 1659 : Henri bogrand (c. 1639/44-1659) puis Claude Arparin (1659-† 1679) jouissent ainsi successivement des « profficts, revenues despendans dudict hermittaige et chappelle nostre-Dame de Montfort ».

Cela dit, le procès-verbal de 1655 mentionne également que « le sieur Philippe d’Andelot a fondé une messe basse de nostre-Dame chaque same-dis pour 2 livres de pension annuelle ». Le bienfaiteur, fils du baron de Pressiat Claude d’Andelot († 1623) et d’Anne de Vaudrey, chevalier de Saint-Jean de Jérusalem depuis 1613, est commandeur de bellecroix et de Montaubert (Saône-et-Loire) (c. 1632). La fondation de ce « capitaine d’une compagnie de gens de pied au regiment d’infanterie d’Anguien qui a rendu des notables services à la religion », selon les termes de Samuel Guichenon (1650), soulignent le regain d’intérêt que suscite Montfort, mais non l’ampleur de celui-ci, et indirectement la probable amélioration de la situation financière de Saint-Christophe.

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En 1616, le solitaire accepté par Gigny n’était que « clerc et ermite sous la règle de Saint-Antoine ». Alors, l’archevêque attendait de lui qu’il « vive sous la règle de Saint-Antoine », « se livre au jeûne et à la prière », « porte les dignes fruits de la pénitence » ; in fine, « vive comme il convient à un ermite », mais rien de plus. La consolidation de l’assise matérielle de Saint-Christophe ouvre la voie à des occupants d’une qualité similaire à celle qu’envisageait Jean-François de Lucinge pour les titulaires de notre-Dame de Montaigu. En 1632, peut-être après le départ ou le décès du frère Emmanuel, c’est un prêtre qui occupe les lieux.

Le cursus de Jean-baptiste Vacconnel (a. 1632-p. 1637), puisque c’est de lui dont il s’agit, reste méconnu [Fig. 2]. Il pourrait être originaire de la région de Poissons (Haute-Marne) et sa présence à Cuisiat n’est assurée qu’à partir de 1632. En décembre de cette année-là, cet ermite disposant d’indéniables moyens financiers, achète et constitue deux rentes annuelles pour lui et ses successeurs à Saint-Christophe.

Le premier contrat, signé « au devant l’hermitage », est en date du 15 décembre 1632. C’est maître Georges Faguet, praticien à Rignat, un village situé à plus de 30 km de Cuisiat, qui constitue au solitaire, moyennant un capital de 200 livres tournois, une rente perpétuelle de 12 livres 10 sous qui sera versée tous les 15 décembre à compter de 1633. Celle-ci est assignée sur quatre parcelles de la paroisse du vendeur : un pré de 3 « meaux » de foing dit le Grand Prel, une vigne de 10 ouvrées en Courtilanne, une vigne de 8 ouvrées au Ravouges et une terre de 6 coupées soubz Lachast.

Le deuxième achat est effectué le lendemain, également « au devant la maison dudict hermitage ». Les vendeurs sont deux vignerons de « Cuysiat », Claude Daujat et Léonard Advocat, qui agissent « pour une moitié, esgale part et portion ». La rente de 18 livres 15 sous tournois sera délivrée tous les 16 décembre, également à partir de l’année suivante, « en la maison dudict hermitage ». Cette fois-ci, Jean-baptiste Vacconnel débourse 300 livres tournois qu’il verse en « pistoles d’Espagne, d’Itallie, escus, solz, ducatons, quart d’escus ». Cette deuxième rente est assise sur six parcelles de Cuisiat : deux vignes, l’une de 5 « homme » en la Charma et l’autre de 6 hommées ; trois terres, l’une de 3 « coppéz » en la Serrat le long du « grand chemin allant de Cuysiat a Treffort », l’autre de 1 1/2 coupée au bord du même chemin et la dernière de 2 1/2 coupées en Grand Champt jouxtant

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le « pré du prieuré dudit Cuysiat » ; et un pré de 1 « meaux » de foin à l’Estand longeant le « chemin publicq ».

L’affaire est d’importance. En effet, le solitaire dote l’ermitage, déboursant tout de même 500 livres, et se substitue donc au collateur. Par ailleurs, il assure l’entretien du lieu et de ses occupants, garantissant ainsi la pérennité de l’institution. Et effectivement, durant les neuf années qui suivent (1633-41), les 15 et 16 décembre Jean-baptiste Vacconnel reçoit 31 livres 5 sous. Mais à partir de 1642, Georges Faguet, Claude Daujat et Léonard Advocat, ou leurs héritiers respectifs, cessent les versements sans doute en raison d’une vacance des lieux, l’ermite rédigeant son testament en 1637 et n’ayant pas de successeur avant 1639 ou 1644, et de la guerre de Dix Ans (1634-44).

Ombres et lumières du xviie siècle

Un ermitage dans les turbulences d’un après-guerre

En pleine guerre de Dix Ans (1639) ou au sortir du conflit (1644), Gigny installe Henri bogrand, probablement baptisé dans la région de Saint-brieuc (Côtes-d’Armor) [Fig. 2]. L’ermite est un « religieux de l’ordre de Sainct-Francois » qui arrive après avoir obtenu « permission de ses supérieurs ».

Le nouvel occupant de Saint-Christophe investit des lieux en sursis depuis la cessation des payements. Aussi, le 4 mars 1647, il obtient du lieutenant général au bailliage et siège présidial de bresse que le notaire de Cuisiat Grefferat lui remette une copie des constitutions de rentes de 1632. Et le 13 juin, à sa demande, le présidial « interpelle » les débiteurs afin qu’ils règlent l’arriéré correspondant aux années 1642-46. Mais Georges Faguet, qui pour-tant le 29 août de l’année précédente avait fondé une messe au maître-autel et doté le luminaire de Rignat, et François Daujat ne s’exécutent pas. Le Cordelier intente alors une nouvelle action en justice le 27 septembre 1650. Un mois et demi plus tard, le présidial condamne les obligés de Saint-Christophe à lui remettre 250 livres dont 6 pour les « despens ».

Les archives ne disent rien du quotidien de Henri bogrand. Cependant, à Saint-Etienne-du-bois le 16 juillet 1657, il signe l’acte de baptême de Claude, fils de Claude bolozon et de Pierrette nepple dont les parrain et marraine sont Claude de Valleron, seigneur de Chaffoux, « capitaine com-mandant le régiment de cavalerie de Monseigneur le duc d’Espernon, gou-

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verneur pour le roy en bresse », et Claudine Mortier, épouse du notaire royal Pierre Grand. L’« hermite a Saint-Christophe en la paroisse de Cuisiat » demande-t-il alors l’aumône à Saint-Etienne-du-bois ? Ce bourg qu’une vingtaine de kilomètres sépare de Cuisiat est bien éloigné de son territoire de quête. A-t-il des liens avec l’un ou l’autre des personnages cités ? Il ne semble pas. Avec le prieur-curé ? Frêle hypothèse mais séduisant postulat car le Lyonnais Gaspard Viallier est un prédicateur fameux, auteur d’oraisons funèbres éditées à Lyon (1642) et bientôt à bourg-en-bresse (1658).

Deux ans plus tard, à Cuisiat le 15 juillet 1659, Henri bogrand se démet de l’« hermittaige et monastaire de Sainct-Christophle et la chappelle nostre-Dame de Montfort » au profit d’un autre solitaire, sans doute né vers 1603 aux abords d’Andert, Claude Arparin, « entre les mains de Reverend Pere Martin Dombes, religieux et procureur des dames religieuses du devot cou-vent et monastaire Saincte-Claire de bourg » [Fig. 2]. Cette démission est adressée au collateur, « Monsieur l’abbé Girard, prieur de Giny, a Challon » (Saône-et-Loire). Il s’agit d’Abraham Girard, originaire de Givry (Saône-et-

Fig. 4 : L’ermitage Saint-Christophe au tableau de la Vierge au scapulaire (c. 1650).

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Loire), abbé de Chalivoy (Cher) et prieur commendataire in partibus de Gigny, de facto des possessions situées hors de Franche-Comté. De 1634 au traité de nimègue en 1678, le conflit qui oppose la France au comté de bourgogne place de nombreux établissements et sujets, comme le prieuré et l’ermitage de Cuisiat et leurs titulaires depuis le décès de Ferdinand de Rye (1636), dans une situation juridique inextricable. De part et d’autre de la frontière fleurissent des procédures sans fin. En 1652, les religieux de Gigny avaient ainsi intenté un procès à « leur » abbé bourguignon « se disant prieur de Gigny ». Et en 1667, le juriste français Charles Fevret consacrera un article de son Traitte de l’abus… à cette question car « ceux de la Franche-Comté traitent encore les collateurs françois avec tant de rigueur, qu’ils ne conferent pas seulement les benefices dependans des collateurs françois sis dans la Franche-Comté mais ceux mesmes qui sont sis dans le royaume ».

D’un Cordelier à l’autre

La permutation demandée est acceptée le 12 septembre 1659 par Charles Catton-Ruffin, prêtre, conseiller-clerc au présidial de bourg-en-bresse et official de bresse et bugey. Six jours plus tard, le 18 septembre, bérard Delaroche, vicaire de Saint-Etienne-du-bois et par conséquent du prieur-curé Gaspard Viallier, met le « Reverend Pere Claude Arparin, religieux du devot couvent et monastaire de l’ordre de Sainct-Francois des Cordeliers observan-tins », en possession de Saint-Christophe. Un Cordelier succède donc à un autre Cordelier. La cérémonie se déroule en présence de Henri bogrand, du notaire royal Desachins, d’Etienne Hoste, bourgeois de bourg-en-bresse, de Henri Chambard, laboureur de « Collionnat », localité disparue de la paroisse de Villemotier, et de François Monchin (?), de Roissiat. Mais si Henri bogrand abandonne « sonnerrie, charges, profficts, revenues despendans dudict hermittaige et chappelle nostre-Dame de Montfort », Claude Arparin

« sera tenu et obligé de nourrir et entretenir dans ledict hermittaige avec luy icelluy pere frere Henry Bongrand pendant et durant l’espace de temps et terme et jusques au Caresme prochain venant, et sans qu’il soit tenu ny obligé a aulcune charge que ce soit ; percepvra aussy icelluy pere Bongrand tous les arrerages des pensions escheues a ceulx qui escheuront pour tout le moys de nouvembre prochain venant sans qu’icelluy pere Claude Arparin y puisse pretendre aulcune chose pour avoir faict, par icelluy pere Bongrand, le service pendant laditte année ; comme aussy retiendra a luy, icelluy pere Bongrand, tous les meubles qui sont a présent dans ledict hermittaige pour en faire et disposer ce que bon luy semblera a sa propre vollonte sans qu’icelluy pere Claude Arparin y puisse former aulcun empeschement. »

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En fait, Henri bogrand ne quitte Saint-Christophe qu’après le terme initialement prévu de Pâques 1660. Son départ nécessite ou des préparatifs plus longs que prévus ou des modifications car, en juillet de cette année-là, il expose aux édiles de la Ville de bourg-en-bresse qu’il a « embrassé la vie solitaire et demeuré environ vingt ans en l’hermitage de Cuysiat » mais que « ses infirmites corporelles l’avroient obligés de s’approcher du Mo[nde] pour [avoir ?] le secours qui luy est necessaire et dans son aage, et qu’il ne pourroit esperer dans la solitude ». Il demande donc que la Ville permette qu’« il se rettire dans le bastiment ou on a accoustumé de rettirer les malades » ; il s’agit de la « maladière » implantée au Sud-Ouest de la ville. De telles demandes se rencontreront encore plus tard : le 6 décembre 1760 l’ermitage de Jasseron est vaquant car le « frère Jean-Simon Genevoux qui en estoit cy devant pourvû s’en est retiré depuis peu pour aller résider en l’hôpital général dit Charité de cette ville de bourg ». Si le Conseil accède à sa requête le 17 juillet, il exige la constitution d’une rente au profit de l’Hôtel-Dieu et impose de sévères conditions. Ainsi, « les reparations a faire aux deux chambres et chap-pelle seront faictes moitié par ledict pere bongrand, et l’aultre aux frais dudict Hostel-Dieu » et il jouira du « pourpris » du bâtiment sous réserve qu’il l’entretienne « au mellieur estat qu’il luy sera possible ». En outre, « en cas de malheur, de mal contagieux, il y servira de sa presence au spirituel », « celebrera la saincte messe » et assistera le « chirurgien ».

Henri bogrand accepte-t-il ces clauses et décède-t-il à bourg-en-bresse ? Ce n’est pas certain car les registres paroissiaux de la cité bressane des années 1660-69, pas plus d’ailleurs que ceux de Cuisiat, n’enregistrent pas sa sépulture. Quoi qu’il en soit, il était entré en l’ermitage dans un contexte militaire épouvantable, il en sort dans une situation juridique pour le moins confuse. Mais, comme ses contemporains, le Cordelier en partance doit également entrevoir des lumières d’espoir et d’encouragement car le pays se repeuple et se reconstruit. Et la permutation de 1659 indiquant le ver-sement des « pensions » dues à Saint-Christophe comme le témoignage de Samuel Guichenon signalant qu’« il y a grande dévotion en la chappelle de nostre-Dame » (1650) soulignent sans détour l’amélioration de la situation matérielle de la solitude. Le « tableau du Scapulaire », peint au milieu du xviie siècle et conservé en l’église de Cuisiat, dit cette renaissance convales-cente s’arc-boutant sur le château de La Motte, celui de Montfort et l’er-mitage Saint-Christophe [Fig. 4].

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Claude Arparin, « quêteur de talent » et petit propriétaire

Mais le père Henri bogrand à peine sorti, l’attitude des différents débiteurs de l’ermitage menace de nouveau sa situation matérielle. Dès décembre 1660 barbe berthaud, veuve de François Daujat, et Léonard Advocat refusent de verser les 18 livres 15 sous à son successeur. Le père Claude Arparin demande une copie de l’acte de 1632 au notaire de Cuisiat, qui la lui remet le 4 février 1661, et intente un procès aux « acheteurs ». Le Présidial lui donne raison et la vente de « tous les biens » de ces derniers le 19 décembre 1664 procure au solitaire 300 livres, montant du « principal » octroyé le 16 décembre 1632, plus 93 livres 15 sous, correspondant aux « interestz de ladite somme de cinq ans, escheue le seiziesme décembre dernier ». L’institution récupère ainsi un capital mais déséquilibre son budget qu’il va falloir abonder, d’une manière ou d’une autre. En outre, le répit est de courte durée car un an plus tard, au cours de l’hiver 1665-66, ce sont les débiteurs de la rente Faguet, « reachep-table a une seule fois avec les arrerages », qui suscitent des difficultés. Celles-ci sont réglées d’une toute autre manière puisqu’elle est transportée sur Louis de Lucinge (c. 1628-1706) le 7 mai 1670. Le notaire royal de Rignat Georges Faguet remet ainsi 200 livres en « louys et demi louis d’argent et escus d’or » au seigneur de La Motte qui l’assoit sur deux vignes sises à Treffort, l’une de 8 ouvrées es Essards et l’autre de 20 ouvrées à Montat. Depuis 1663, ces pièces sont albergées à Jean Dupiron qui verse 20 livres tournois par an au petit-fils de Jean-François de Lucinge ; désormais, c’est l’exploitant qui servira la rente de 12 livres 10 sous aux solitaires qui se succéderont à Saint-Christophe.

Le père Claude Arparin, vraisemblablement informé des problèmes ren-contrés par ces prédécesseurs depuis près de trente ans, lui-même en prise avec une irrégularité des revenus puis un budget déficitaire, tente très rapidement de trouver des ressources nouvelles et de les diversifier. Ainsi, le 22 janvier 1662 le « deservant [de] la chappelle de Sainct-Christophle » prend à bail pour six ans « tous les fonds, vigne, terres et autres revenues deppendantz » des « deux chappelles jointes et du costé de bize » de l’église de Cuisiat ; il s’agit des cha-pelles notre-Dame et Saint-Eloi, à la nomination du seigneur de La Motte. Le titulaire installé quelques heures auparavant, le prêtre Jacques Cuzin, recevra 15 livres tournois par an et le prêtre-ermite devra « deuement faire cultiver lesdits fonds et faire ou faire faire dans lesdites chappelles le service In divinis qui y est deu, a forme des fondations et tiltres d’icelles ». En janvier 1668 cette

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location n’est pas reconduite car le père Claude Arparin a l’opportunité d’amé-liorer sa situation matérielle en retenant le 11 novembre 1669, pour les six années à venir et moyennant 9 livres annuelles, un « pre clos » contenant un « meau de foin » situé à Cuysiat es Vallierre et appartenant à Louis de Lucinge.

Indéniablement, le « religieux chappellain a Sainct-Christophle » par-vient ainsi à réunir des fonds qui, joints au produit des « questes et aul-mosnes de ses voisins », l’autorisent ensuite à acquérir, à titre privé, quelques biens « pour s’en servir dans sa conduicte d’aage et continuelles maladies » selon les termes d’un acte du 26 juin 1677 dont nous reparlerons infra. La fréquentation de Louis de Lucinge, « estimé riche d’environ IIII9 livres de rente », a certainement facilité cette entreprise. Les contacts entre les deux hommes sont nombreux dès 1662 et leur relation est placée sous le sceau de la confiance. A l’ermitage le 28 décembre 1671, par exemple, le père Claude Arparin remet 200 livres à un cordonnier de Saint-Rambert, Jean Raffin ; le solitaire agit comme « procureur du seigneur de La Motte auquel l’homme avait vendu le 19 février 1668 « certaînes parcelles de bois et une maison situes au village de Lucinges ».

Et c’est justement dans ce village de la paroisse de Treffort, situé à 7 kilo-mètres environ à l’Ouest de Cuisiat, que le solitaire possède des « terres labourables ». Le 25 octobre 1671, il les laisse pour quatre ans à mi-fruit à un laboureur du lieu, Claude Vulliaud, à condition qu’il fasse « sa residence actuelle avec genz et suffisant dans les bastimenz desdiz biens ». Les clauses intéressant les cultures, le troupeau que le « preneur » recevra d’ici le 11 novembre, la fourniture des semences par le « laisseur » ou le partage des coûts de la moisson relèvent d’un registre traditionnel. En revanche, les perceptions annuelles qu’effectue le père Claude Arparin éclairent très concrè-tement les aspects matériels de son quotidien en l’ermitage : 2 « charretées » (18 quintaux) de foin, « au temps d’este six vingt oeuf pour six poulles et un coc qui luy seront remises », 2 poulets à chaque Saint-Christophe (25 juillet), un demi porc d’un an et 2 « chappons palliet », qui n’ont donc pas encore été mis en cage pour être engraissés, à la Saint-Martin d’hiver (11 novembre), entre autres [Fig. 5].

En 1677, le solitaire détient également « une parcelle de bois a present en partie defrichee et reduitte en terre labourable, contenant en tout envi-ron quarante coppe, appellee aux Douvroz, situee riesre la grande forest du Revermont » au bord du « chemin public » allant au château de La Motte.

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Il s’agit d’une pièce achetée à un couple de Cuisiat, benoît Rux et benoîte Gay, qu’il a fait « defricher en partie et cloure de fosses alentour ; le prix de la vente et lesdites reparations revenant a la somme de six vingt livres ».

Un Cordelier charitable, un ermite inhumé ad sanctos

Prêtre-ermite et petit propriétaire, le père Claude Arparin l’est incon-testablement. « Quêteur de talent » et bon gestionnaire, le Cordelier l’est très certainement. Cela dit, ses actes et ses contemporains attestent sa qualité spirituelle. En 1666-69 déjà, l’intendant de bourgogne Claude bouchu écrit qu’à Saint-Christophe « le sieur prieur de Gigny a establi un Cordelier pour chapelain contre lequel il n’y a aucune plainte et passe pour un homme fort charitable ». Ce trait de personnalité du solitaire se vérifie encore le 26 juin 1677 lorsqu’il donne aux pauvres de l’Hôtel-Dieu de bourg-en-bresse, par « un pur zele de charité et confiance a la providence divine », son bois des Douvroz, bordant le « grand chemin tendant de Chevigniat a bourg » ; l’homme, âgé et malade, conserve toutefois « la jouissance des fruits du susdit fond pendant sa vie, pour survenir a partie de ses necessite ».

Après une vingtaine d’années passées en son ermitage, le père Claude Arparin s’éteint en ces murs le 1er janvier 1679, âgé d’environ 75 ans. Le lendemain, le curé de Cuisiat Severin Genod l’inhume dans la « chapelle » en présence de deux habitants de la paroisse, Henri et Joseph blaffard. A priori, le Cordelier est la première et la dernière personne ensevelie à « Saint-Christophle des buys ».

Au Siècle des Lumières, éclipse et disparition de Saint-Christophe

Un ermitage en sommeil

Au décès du père Claude Arparin, après à peine 60 ans d’occupation, l’ermitage Saint-Christophe est déserté. Il faut attendre 1752, date de l’institution du frère Martial Dumont, pour que la solitude se réveille. Ces 75 ans de sommeil présentent encore bien des zones d’ombre.

A première vue, l’absence d’occupant ne peut être imputée aux autorités ecclésiastiques car celles-ci montrent un intérêt certain pour cette forme de vie. Depuis 1654 en effet, l’archevêque de Lyon soutient les solitaires de

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Fig. 5 : Les revenus de l’ermitage et du père Claude Arparin (1659-† 1679).

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l’Institut de Saint-Jean-Baptiste, issus de la réforme sabinienne, et ceux-ci se sont même implantés dans le diocèse de besançon dès 1662. Les collateurs de la région, quant à eux, ne font pas preuve d’hostilité envers les ermites, indépendants ou membres de la congrégation évoquée, ainsi qu’en témoigne la constante occupation des solitudes de L’Abergement-Clemenciat, Jasseron ou Montagneux, pour ne citer qu’elles. Et Gigny ? Le prieur Abraham de Thesut (1663-1721), « neveu à la mode de bourgogne » d’Abraham Girard, et la communauté monastique ne paraissent pas défavorables à l’érémitisme puisque Gigny contribue à l’installation du frère Taurin berrod aux portes du prieuré en 1715. Mais incontestablement cette attitude trahit aussi les préférences de la communauté monastique pour des solitaires indépendants même si l’attribution de Saint-Christophe à l’Institut pourrait sauvegarder le lieu. Parce qu’informé de ce qui se passe dans le diocèse de Lyon, en 1679 le prieur de Gigny se méfie sans doute déjà des pratiques des Sabiniens. L’abbé de Saint-Vincent à besançon résumera, en 1687, les reproches des collateurs monastiques à ces ermites, réformés et conquérants : « ils ont ja cy devant plaidé les patrons des chapelles et hermitages qu’on leur at confiez voulant s’approprier les drois des revenus en deppendans ».

ne trouvant pas de sujet intéressé, sans doute en raison de revenus qui se résument désormais aux produits du clos et à une rente annuelle de 12 livres 10 sous, et refusant de « livrer » cette solitude à des occu-pants tels que les Sabiniens, Gigny confie Saint-Christophe au curé de Cuisiat. Cette formule d’attente n’est ni nouvelle, ni exceptionnelle : en 1693, François-Philippe-Elzeard de Levy attribuera « la chapelle et hermitage de Seyzerieu, vacante par le decedz de frere Claude Guerin, dernier titulaire », au curé du lieu. En outre, le desservant qui en 1666-69 précisait qu’« il n’a[vait] pas suffisammant de revenu pour entretenir un vicaire qu’il doit », pourra désormais respecter ses obligations en affermant Saint-Christophe. Au curé Jean Poncet, décédé le 7 mai 1699, succèdent Pierre Laure, inhumé le 12 juin 1706, puis Jean-François Fleur, tous nommés, rappelons le, par le prieur de Gigny. Le curé Jean-François Fleur a toute la confiance des moines jurassiens qui le connais-sent bien car il arrive de Gigny dont il était le vicaire depuis 1700 [Fig. 6]. Il préside aux destinées de la paroisse de Cuisiat durant quarante-six ans (1706-52). Le 22 novembre 1752, dans le cadre d’une enquête que nous évoquerons infra, des vignerons du lieu, Pierre Pyon et Jean

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Pomathiod, confirmeront que le curé jouissait alors de « tous les fonds dépendant dudit hermitage et du clos comme ayant este nommé par Monsieur l’abé de Gigny ». Et leur confrère, Jean Thiod, précisera que le domaine était affermé : « tout le clos qui est présentement autour de l’hermitage a este possédé par les héritiers de Monsieur Jean-François Fleur qui ont possedé ces fonds par le pouvoir que leur en avoit donné leur oncle ». L’ancien vicaire de Gigny s’éteint à Cuisiat le 16 mai 1752, à l’âge de 82 ans. Il est inhumé le lendemain par son vicaire, Mayet, en présence des curés de Treffort, Germagnat et Priay, d’un chanoine de Varambon, du châtelain et de bourgeois de Cuisiat.

En 1752, et contrairement à l’usage depuis 75 ans, Gigny ne confie pas Saint-Christophe à son jeune successeur, Pierre-François Cattin (c. 1713-† 1759). Et les neveux du curé Jean-François Fleur, Joseph Louis et Vital Maurier, de Cuisiat, doivent quitter les lieux. Et pour cause, un solitaire se propose de les occuper !

Fig. 6 : Signature et acte de sépulture du curé Fleur, titulaire de l’ermitage († 1752).

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Frère Martial Dumont, maître chirurgien, ou le renouveau de Saint-Christophe

Par acte enregistré par le notaire de Gigny, Jean-baptiste Gaspard, entre le 17 mai et le 22 novembre 1752, le haut-doyen de Gigny Jean-François de Faletans, « comme procureur général et spécial de Monsieur l’abbé de La Farre », installe en effet le frère Martial (olim Honoré) Dumont (c. 1713-† 1782) [Fig. 7]. Celui-ci pourrait être originaire de Varennes-Saint-Sauveur (Saône-et-Loire) dont les dîmes sont régulièrement affermées, avant et après cette date, par Hyacinthe de belot de Larrians, grand-prieur de Gigny (1727-51), à plusieurs membres d’une famille Dumont. L’acte d’institution de 1752 n’ayant pas été retrouvé, l’appartenance du nouvel occupant de Saint-Christophe au tiers-ordre de Saint-François n’est pas assurée.

Cet ermite, dont nous ne connaissons pas le cursus avant 1752, « hérite » d’une solitude oubliée de son patron et négligée par ses titulaires successifs. L’état des lieux le contraint à entamer plusieurs procédures. Le 22 novembre 1752, après une ordonnance délivrée par l’intendant de bourgogne et de bresse quatre jours plus tôt, le seigneur de La Motte, le châtelain de Cuisiat, cinq bourgeois du lieu et les deux syndics de la paroisse doivent enregistrer des témoignages, et notamment ceux d’habitants âgés de plus de 80 ans, permettant d’identifier « les fonds qui dépendent de l’hermitage ». Cinq jours plus tard, le 27 novembre, le solitaire, épaulé par le curé Pierre-François Cattin, règle les questions intéressant les édifices car « il sera tenu ou ses héritiers de mettre lesdits bâtiments dans le mesme état ou il les aura trouvé » le jour où il quittera les lieux. Or ceux-ci sont en « en mauvais ordre » et les arbres du clos ont été coupés. Le solitaire exige donc des deux neveux et héritiers du curé Jean-François Fleur qu’ils effectuent les répara-tions qui leurs incombent. Mais seul Joseph Louis comparait et s’engage à livrer « trois tonneaux de vin rouge et un tonneau vuide aux festes de noël prochain, quatres voytures pour la conduite des matériaux nécessaires aux réparations » qu’il effectuera lui-même.

Manifestement, les produits du clos et la rente annuelle de 12 livres 10 sous ne répondent pas à toutes les nécessités du frère Martial Dumont. A priori, il doit exercer la profession qui a été la sienne : le 13 mars 1769, il est présenté comme « maître chirurgien et hermite en l’hermitage de Cuisiat, y résidant ». En outre, le solitaire est contraint à louer des terres.

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Fig. 7 : Signature du frère Martial Dumont, de Honoré Dumont et de Jeanne-Marie Germain.

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Le 18 décembre 1767, associé à trois laboureurs-vignerons de Cuisiat, Etienne blaffard, Denis Sibelle et Clément Rasurel, il prend à ferme 52 coupées de terre, soit environ 3 hectares et 60 ares, correspondant à 15 parcelles d’une 1/2 coupée à 7 1/2 coupées et demi, et 1 coupée de « che-nevier ». Le montant annuel de cette location de neuf ans, qui a débuté à la Saint-Martin d’hiver (11 novembre) 1767, est de 141 livres 3 sols. Le premier versement s’effectuera entre les mains de Claude Gros, laboureur de Saint-Etienne-du-bois et créancier du bailleur, le garçon chirurgien Claude-François Macard. Les amodiateurs percevront la moitié des « bleds » et des « navettes » ensemencés avant le bail, soit 13 et 1 ½ coupées. Sur la récolte future, ils retiendront les semences nécessaires, soit 22 ½ coupes de froment, à la mesure de Treffort. Ils couperont les « tronches en cheine et solles » qui envahissent les terres de la Clay et du Closelet et « auront le bois pour leurs peines ». Afin d’améliorer les parcelles baillées, ils prendront de la terre dans un petit pré situé au Combe ; en contrepartie, le bailleur leur abandonne le foin et le produit des noyers de ce pré. Enfin, la dernière année les amodiateurs laisseront la même quantité de terres ensemencées de froment, soit 26 coupées.

En 1769, après avoir été replanté et régulièrement entretenu au cours des dix-sept années écoulées, le clos doit avoir belle allure. Il contient notamment une vigne d’une ouvrée et ceinte d’une « haye vive » jouxtant à l’Est les « cours et batiments dudit hermitage », à l’Ouest et au nord les « communes » de Cuisiat ainsi qu’« une terre nouvellement défrichée » dans celles-ci par Aimé blaffard. Malheureusement, au cours de ces travaux le vigneron de Cuisiat a « approché de trop près ladite haye, en a enlevé la terre et mesme deraciné une partie des plands, et par ce moyen fait des creux pour attirer la terre de ladite vigne dans sa défrichée ». « Pour arretter le cours des manœuvres », le frère Martial Dumont fait assigner Aimé blaffard devant le bailliage de bresse le 2 mars 1769 ; finalement, ce dernier accepte que le litige soit réglé par des experts, tous vignerons à Cuisiat, le 13 du même mois. L’ermite nomme Clément et Joseph Rasurel, et le vigneron désigne Joseph Rossillier et Joseph Louis. Ceux-ci reconnaissent les dégâts et Aimé blaffard s’oblige sous huitaine à faire « un mur sec a grosse pierre d’épaisseur de deux pieds et un pied et demy d’hauteur au dehors du buisson et le joignant et tout au long de la haye endommagée et terre enlevée en observant de ne point porter préjudice aux racines dudit buisson de valleur de dix livres », et à verser une indemnité de

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18 livres. Le vigneron s’engage en outre à « ne point jetter de pierre dans le chemin tendant à Treffort qui est en bas de ladite défrichée et de le laisser libre, et de ne point défricher le surplus du terrein joignant la défrichée du côté du vent ».

L’ermite poussé à la démission, le « fidèle » de Gigny

Moins de trois mois après ces événements, le 22 mai 1769, en l’étude de Jean-Claude Carron, notaire royal à Saint-Amour et en présence de Jean-baptiste Gaspard, notaire royal à Gigny, et de Joseph Pelletier, « grand postillon du sieur Charle Muguet, maitre des poste à Saint-Amour », le frère Martial Dumont, « hermite de Saint-Cristophle, scitué à Cuisiat, bresse », effectue la déclaration suivante [Fig. 7] :

« Ayant été nommé audit hermitage, honneur, revenu, drois et prérogatives en dépen-dant…, il se seroit determiné d’autant plus que Monseigneur l’archeveque de Lyon, d’ou dépend ledit hermitage, ne vouloit dorsenavant souffrir dans son dioceze aucun hermite, et que meme il les auroit déjà en partie apele à se démettre, comm’il fait par les presentes pure-ment en faveur de Messieurs les doyen, chanoines et chapitre de Saint-Loüis de Gigny dudit hermitage pour pour eux faire, user et disposer dudit hermitage et dépendances en faveur de qui et comm’il trouveront convenir, tel et de la maniere qu’il auroient pût faire avant sa nomination, consentans même que les presente leur soient nottiffié pour plus grande assurance, se démettant dèz ce jourdhuy et à toujours du tout en leur faveur, sans induction, force ny violence, soumettant & obligeant & renonceant, &a. »

En 1755, l’ermite de Gigny n’avait pas eu de successeur parce que l’évêque de Saint-Claude, Jean-baptiste-Joseph de Méallet de Fargues (1742-85), « ne souffre point d’hermites dans son diocèse » selon l’expres-sion du capucin et historien Joseph-Marie Dunand (1719-1790). bien des années plus tard, en 1782, ce motif condamnera également la solitude de Sainte-Anne à Saint-Claude (Jura). En 1769, le même état d’esprit anime Antoine de Malvin de Montazet (1758-† 1788) puisqu’il exige des solitaires de l’archevêché de Lyon qu’ils se démettent. En l’espace de quinze ans, les ermitages de Gigny et de Cuisiat se vident alors qu’à proximité, dans le diocèse de besançon, les archevêques favorisent l’expansion de la Congrégation des ermites de Saint-Jean-Baptiste.

Les décisions du prélat lyonnais portent un coup mortel aux dispositions prises par le prieuré de Gigny pour la paroisse de Cuisiat. Elles lui imposent une réorganisation dont l’ex solitaire profite pleinement. De facto, les

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« compensations » dont il bénéficie esquissent le portrait d’un « fidèle », dans l’acceptation médiévale du terme, de l’établissement jurassien.

En effet, le jour même de la démission le « sechal du chapitre Saint-Louis de Gigny », Jean-bernard de Moyria, afferme pour neuf ans, commençant le 1er janvier 1772, au « sieur Honoré Dumont, maitre chirurgien demeu-rant à Cuisia en bresse », les « dixmes et revenus tant en rentes qu’autres droits dépendants du prieuré dudit Gigny riere les villages dudit Cuisia, Preciat et Chevignat ». La rédaction de l’acte, confiée au notaire royal de Gigny Jean-baptiste Gaspard, confirme que le prieuré a préparé le départ de l’ermite. Le cautionnaire est en effet Marie-Joseph-Claude-François Favre, chevalier, seigneur de Longry et du Collombier. Il demeure à bourg-en-bresse, mais possède une maison à Cuisiat dans le quartier de Vallière, et sa fortune permet de garantir un versement annuel conséquent puisqu’il s’élève à la somme de 1 600 livres, plus 6 chapons gras payables à la Saint-Martin d’hiver (11 novembre). Le « preneur » entretiendra « les maisons, cuves, pressoirs, portes et fenetres des bâtiments dépendants dudit prieuré » et à sa « sortie », il rendra « un carneau ou manuel de recette contenant article part article le nom des débiteurs et la qualité du cens qu’ils doivent, avec un état de tous les revenus compris audit bail ». Trois semaines plus tard, le 13 juin, le même notaire enregistre un deuxième bail à ferme en présence du prêtre benoît Gaspard. Cette fois-ci, c’est l’ouvrier de Gigny, François-Gabriel de Jouffroy-Gonsans, qui donne à Honoré Dumont le droit de mareille de Cuisiat et Pressiat pour six ans, commençant le 1er janvier 1771, moyennant 30 livres et 2 poulardes grasses et fines.

Mais ce jour-là, le doyen Jean-François de Falletans et le séchal Jean-bernard de Moyria organisent encore l’avenir de l’ancien ermitage Saint-Christophe. Ils afferment à l’ancien solitaire « les revenus dépendants de l’hermitage dudit Cuisia réuny audit chapitre en conséquence de la démis-sion qu’en a donné ledit sieur Dumont consistants… en maison, un clos planté en vigne, un verger et jardin aussi clos, avec une rente annuelle de douze livre 10 sols sur les nommés Claude, François et Jean-baptiste bernard, vignerons demeurant à Treffort ». Ce bail de six années débutant le jour même est consenti moyennant 60 livres par an.

Ainsi qu’il l’avait fait lors de son institution à Saint-Christophe en 1752, Honoré Dumont demande en 1771 qu’un « acte d’état » du prieuré soit dressé. Les fermiers du moment, Antoine-César bondet, chirurgien à

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Pressiat, et Jacques bonnardel, marchand à bourg-en-bresse, nomment leur expert : Jacques novarina, « maître entrepreneur » à Saint-Amour. L’ancien ermite désigne les siens : Antoine bouveyron et François Perrin, charpentiers à Cuisiat. La visite se déroule le 21 octobre 1771 en présence du notaire royal Jean-baptiste Gaspard, « ayant charge de MM. les cha-noines et doyens du noble chapitre de Giny ». Ils visitent ce bâtiment attenant à l’église et s’attardent plus particulièrement au pressoir, dans la maison d’habitation et la cuverie et dressent un état des maçonneries, des plafonds, planchers et huisseries, des charpentes, des toitures et des chemi-nées. Au final, le « prieuré » s’avère être dans un état assez déplorable et nécessite une restauration coûteuse.

Honoré Dumont, fermier de Gigny et petit propriétaire

Entre le 22 mai et le 13 juin 1769, Gigny baille ainsi à Honoré Dumont, « bourgeois de Cuisiat », le prieuré de Cuisiat (1772-80), la mareille de Cuisiat et de Pressiat (1771-76) et l’ermitage Saint-Christophe (1769-75). De 1772 à 1775, le solitaire démissionné débourse pas moins de 1 690 livres, 6 chapons et 2 poulardes par an au profit de Gigny. L’investissement consenti de 1769 à 1780 est considérable mais lui permet de réaliser de substantiels profits. Ceux-ci l’autorisent entre 1771 et 1774 à effectuer des transactions, complémentaires et opportunes, portant sur des propriétés foncières situées, sauf mention contraire, à Cuisiat mais également à Domsure et à bourg-en-bresse.

Le 30 novembre 1771, il achète au vigneron Vital Jouvray, un bois-taillis de 3 coupées sis aux Caravettes, moyennant 110 livres dont 107 livres seront versées à Dominique Gromier, créancier du vendeur ; avec le même, il échange deux terres d’une coupée et 115 livres, en argent et en « denrées », contre un « chenevier » d’une coupée bordant « le grand chemin tendant à l’eglise de Cuisiat ». Un an plus tard, le 26 février 1773, il acquiert de Claude-François Macard et Louise Perrin, son épouse, des biens valant 1 000 livres ; 400 seront payées à la sœur du vendeur pour « droits dotaux » dus. Il s’agit d’un « prez closel » de 3 « maux » au Pré de Saint-Jacques, jouxtant à l’Ouest le « chenevier ou estoit autrefois la chapelle de Saint-Jaque », et d’une terre d’une demie coupée en l’Hopital. Et le 13 décembre 1773, il achète à Henri Aimard une partie d’un « chenevier », longeant le

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« chemin tendant a l’eglise dudit Cuisiat » moyennant 30 livres. Cette acquisition est augmentée le 10 mars de l’année suivante par l’achat d’un autre « chenevier » d’un tiers de coupée appartenant au notaire Etienne Poncet, et pour lequel le maître chirurgien débourse 60 livres.

En 1774, « désirants profiter de l’edit des clotures et se faire des clos », Honoré Dumont procède à de judicieux échanges avec ses voisins, Marie Jouvray, Jean-Louis Rasurel et Marie berthod, de manière à agrandir son « chenevier » de Vallière. Entre le 10 mars et le 15 mai trois parcelles évaluées à 270 livres changent ainsi de mains.

A contrario, ventes et emprunts semblent rares et n’interviennent qu’au cours de la même année 1774. Le 10 mars de cette année-là, Honoré Dumont et son épouse, dont nous reparlerons, empruntent 500 livres à un vigneron de Cuisiat, Aimé Rasurel ; ils rembourseront 200 livres le 1er mai suivant et 300 livres « dans trois ans, datte de ce jour, le tout avec interests au denier vingt ». Et le 21 décembre 1774, il se sépare d’une coupée de terre et de 2 ouvrées de vigne sises en Combe Devau au profit du vigneron Antoine Maillet qui lui remet 160 livres.

Quelques biens « éloignés » de ce patrimoine sont donnés à bail. Le 13 décembre 1773, le maître chirurgien de Cuisiat afferme à Jean Pillion, laboureur à Domsure, un « pré closel » de 10 chars de foin « outre le regain » et une terre de 26 coupées sis dans ce lieu, à la Grande Terre, « le tout joint et contigu et clos de quatre bon buissons ». Le bail de neuf ans court depuis la Saint-Martin d’hiver passée (11 novembre 1773). Tous les ans, le « pre-neur » payera 166 livres, 83 livres le 11 novembre et 83 livres « dans le courant de dêcembre », deux chapons gras à noël et quatre poules « dans le courant de chaque année ». En outre, il entretiendra « touts ponts, chaussée, chemins aboutissants servant a l’entretien et desserte des fonds », relèvera « les chintres de ladite terre pour en porter la terre dans les endroits le plus necessaires », récurera les fossés et « plissera les buissons en temps du pour les rendre a la fin du present bail en bon estat de cloture ». Mais Jean Pillion aura « le bois croissant sur lesdites terres ». A l’issue de l’amo-diation, il ne laissera « ny semence, ny pailles, ny foin, ny regain attendu que lesdites terres sont vuides » à l’exception de 4 1/2 coupées ensemencées par Denis Flechon, laboureur à Cormoz, dont les fruits seront également partagés entre le bailleur et le « preneur ». Il n’est pas inintéressant de noter que le bien baillé a été acquis de Marie-Joseph-Claude-François Favre de

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Longry, le même qui le 22 mai 1769 s’était prêté caution pour Honoré Dumont vraisemblablement à la demande du prieuré de Gigny.

Une seule fois, le 8 juillet 1774, le bourgeois de Cuisiat afferme une parcelle située dans cette paroisse. Ce jour-là, il remet aux vignerons Claude Aimard et Claude-Joseph Sibelle un pré de deux chars de foin sis au Pouté « non compris le regain qui appartiendra auxdits preneurs pendant que l’édit des clotures sera observé ; et dans le cas où il n’auroit pas lieu, le bailleur faira un rabais annuel auxdits preneurs sur le prix de ce bail de six livres. Si ces derniers veulent profiter du regain, ils seront tenuts declare l’edit… et de se conformer entierement a tout ce qui est prescrit par ledit edit des clotures ». En outre, les « preneurs » devront creuser « les rigolles ou canaux necessaires pour abrever ledit pré de ses eaux ordinaires ». Ce bail est consenti pour six ans, commençant à la prochaine Saint-Martin d’hiver (11 novembre 1774), et les deux vignerons s’engagent à verser tous les ans 66 livres et 4 poules au même terme.

Enfin, Honoré Dumont investit également dans la pierre mais à bourg-en-bresse le 3 décembre 1773. Le 10 juillet de l’année suivante, la maison achetée aux marchands bon et billon fait l’objet d’un « acte d’état » dressé par Dominique balay et Antoine bouveyron, respectivement maître maçon-tailleur de pierres et charpentier, tous deux de Cuisiat. Celui-ci décrit un bâtiment nécessitant une réhabilitation complète. Les fondations de la cave sont mauvaises mais la voûte est en bon état. Les deux pièces du rez-de-chaussée ne sont ni plâtrées ni blanchies ; le galandage séparant la cuisine, carrelée de briques usées, d’une petite chambre à cheminée est constitué de très mauvaises planches ; la fenêtre est « antique » avec de vieux volets et châssis en papier ; la porte d’entrée et les serrures en bois sont usées et hors de service, et l’évier n’a pas de fenêtre. Quant aux maçonneries, elles ne valent pas mieux : le mur ouest de la maison, sur lequel s’appuie un « tenaillier », menace ruine et le mur ouest de la cuverie a disparu. Enfin, la charpente est « ruineuse » et il manque un quart des tuiles au couvert

Un ermitage en péril, un ancien solitaire marié

L’homme qui se constitue un tel patrimoine foncier et bâti est encore amodiateur de Saint-Christophe (1769-75) lorsqu’un projet de démolition de l’ermitage survient au cours de l’année 1774. En 1772, le curé Pierre

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bonot avait réclamé une expertise de l’église et du presbytère de Cuisiat en raison de leur état de délabrement. Les habitants avaient fini par accepter de contribuer aux travaux à hauteur de 50 livres mais le budget nécessaire était autrement plus élevé. Aussi, en juin 1774 ceux-ci demandent au sub-délégué Jean-baptiste Chossat de Montessuy l’autorisation de « vendre au plus offrant les matériaux de leur hermitage et en amodier le sol pour le prix en provenant être employé aux réparations de l’église ». En août, après s’être informé, le subdélégué s’interroge :

« Ces habitants s’imaginent que parce que Monseigneur l’archeveque [de Lyon] a interdit l’hermite et qu’il n’en veut plus a l’avenir que ils sont en droit de vendre l’hermitage, mais Messieurs de Gigny prétendent qu’il dépend d’eux et qu’ils en sont seuls les maitres en qualité de hauts décimateurs. Ainsi, je pense qu’il faut qu’ils fassent décider cette difficulté avant que de penser à le vendre. Au surplus c’est une maison qui vaudroit au plus sept ou huit cent livres de la façon dont j’en ai entendû parler et dont on tireroit aisément vingt quatre à trente livres d’amodiation. »

En décembre 1774, ses doutes sont dissipés par le lieutenant-général criminel au présidial de bourg-en-bresse qui le mois précédant s’était rendu sur place : « l’hermitage dont les habitans demandoient les matheriaux appartenoient à Messieurs les chanoines du noble chapitre de Gigny ». Pour l’heure, Saint-Christophe est donc sauvé.

La documentation contemporaine de ces événements révèle un autre volet de la personnalité de Honoré Dumont. En effet, celui n’agit plus seul à compter de 1774 : l’emprunt évoqué supra, en date du 10 mars de cette année-là, est contracté par Honoré Dumont, « bourgeois » de Cuisiat, et son épouse, Jeanne-Marie Germain (c. 1738-1818). Le couple s’est donc uni dans une paroisse, non identifiée, entre l’été 1769 et l’hiver 1773-74 ; l’ancien solitaire avait près de 60 ans et son épouse environ 35 ans. Il était tout à fait licite à cet ermite laïc démissionnaire de se marier et la situation n’est ni scabreuse ni rare : à l’Epoque moderne, la plupart des ermites de Sommerécourt et nijon (Haute-Marne) sont ou ont été mariés. Le nom de Jeanne-Marie Germain figure ensuite plusieurs fois dans les registres paroissiaux de Cuisiat. Le couple est notamment invité au baptême de deux des enfants de Mamert Seysiriat et de Marie-Victoire Ravet : le 5 août 1777, la famille Seysiriat étant « actuellement dans leur maison de campagne a Cuisiat », et le 23 mars 1780 ; Jeanne-Marie Germain signe respectivement les actes « Dumont » et « Germain Dumont » [Fig. 7]. Le père des nouveaux nés est notaire royal et châtelain de Treffort mais le parrain, François-Xavier-Marie Seysiriat est

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« docteur en médecine ». Quelques années auparavant, le 13 mai 1771, Honoré Dumont avait assisté à l’inhumation du curé de Cuisiat, Jacques-François billoz. Le prêtre, docteur en théologie, et son frère, André-François billoz, avocat au parlement de besançon et châtelain de La Motte, fréquen-taient notamment le « chirurgien rhabilleur » Claude-Marie Filliaux († 1762) et le chirurgien Pierre-Marie Gesnard. Telle est la société dans laquelle évo-luent Honoré Dumont et Jeanne-Marie Germain et qu’esquissent les registres paroissiaux de Cuisiat. Cette dernière décède bien des années après son mari, à Cuisiat le 19 janvier 1818 ; elle est dite rentière et âgée de 79 ans environ.

Conclusion : trépas d’un homme et destruction d’un lieu

De pénibles événements jalonnent les sept dernières années de l’ancien ermite. En 1775, Gigny ne paraît pas renouveler le bail de Saint-Christophe, livrant les lieux aux herbes folles et aux pilleurs. En outre, le 31 décembre 1779 les séchaux Jean-bernard de Moyria et Hermenfroid d’Eternoz accor-dent la ferme du prieuré de Cuisiat (1781-89) au notaire royal de Saint-Etienne-du-bois, Anselme Picquet, et à un bourgeois de Treffort, Jean-François bouveiron qui jouiront des perceptions considérées comme « a jouit ou du jouir le sieur Dumont, fermier actuel desdits revenus ». Enfin, dès leur première année les nouveaux amodiateurs suscitent des difficultés à leur prédécesseur et une bataille d’experts s’engage.

Honoré Dumont n’en voit pas le terme car il s’éteint le 17 mai 1782, à l’âge de 68 ans. Il est inhumé le lendemain dans le cimetière de Cuisiat par le curé Pierre bonot et son vicaire en présence des sieurs Grefferat et Poncet, bourgeois, des vignerons Claude Suhard et Jean Maréchal.

L’ermitage Saint-Christophe, quant à lui, est démoli un peu avant ou un peu après la disparition de son dernier occupant. L’érudit Jean-bernard Riboud consigne en effet que « Monsieur le prieur de Gigny l’a fait démo-lir en 1780 ou environ et l’on est debarassé de l’hermite ». A contrario, les 483 francs que l’établissement jurassien consacre à la restauration de la maison priorale en 1785 pourraient provenir de la vente des matériaux de la solitude. Et le témoignage d’un maire de Cuisiat, en date du 8 mars 1863, établi d’après les « ouï dire de quelques vieillards », ne tranche pas la question : « vingt communes environnantes venaient en dévotion pour

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préserver leurs récoltes de la grêle à cette chapelle le 25 juillet et l’affluence était tellement grande qu’elle durait deux jours. La chapelle étant tombée en ruine lors de la Révolution, la dévotion a dû cesser ». Quoi qu’il en soit, à l’heure où les bénédictins de Molesmes conservent et louent l’ancien ermitage de Grancey-sur-Ource (Côte-d’Or), alors qu’il ne leur rapporte que 10 livres, « Messieurs les doyen, chanoines et chapitre de Saint-Loüis de Gigny » sacrifient une solitude fondée par leurs prédécesseurs à l’aube du xviie siècle.

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Sources et orientation bibliographique

Sources

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Archives départementales de la Côte-d’Or. b 10227

Archives départementales du Jura. 4 E 15/367 et 388 ; 4 E 10040

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