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initial de douleurs ou de véritables poussées de pancréatite aiguë [6, 7]. C’est ce qu’il est advenu chez notre malade. Toutefois, à notre connaissance, un délai aussi long entre le traumatisme ouvert et les signes de complications tardives, n’a jamais été décrit. Les lésions pancréatiques initiales devaient être vraisemblablement mineures, car elles n’ont pas eu de traduction radiologique et elles étaient non évidentes au cours de l’exploration chirurgicale. L’étiologie post-traumatique de la pancréatite aiguë a pu être évoquée en l’absence d’autre cause classique présente, mais surtout devant une anomalie canalaire caudale détectée à l’écho-endoscopie, que nous avons rapprochée du trajet initiale- ment décrit par la balle restée en place. Compte tenu de la présence du corps étranger métallique, la pancréatographie par résonance magnétique n’était pas indiquée et la CPRE a permis de bien visualiser la sténose du canal principal en regard du trajet du projectile. La CPRE est d’ailleurs l’examen déterminant dans le diagnostic des atteintes traumatiques du canal de Wirsung (rupture, fistules, sténoses) [8], mais elle pourrait être remplacée à terme par des examens moins invasifs comme la CP-IRM et le tomodensitomètre multi-détecteur. Le traitement chirurgical d’une sténose du canal principal dans sa portion caudale n’a pas posé de problème technique et n’a entraîné aucune morbidité ni séquelle fonctionnelle. Le problème se serait posé différemment si cette sténose avait été située dans la portion céphalo-isthmique du pancréas. Dans ce cas, un traitement endoscopique par dilatation, associée ou non à la mise en place temporaire d’une endoprothèse, est théorique- ment possible. Indépendamment de l’attitude thérapeutique qui doit se discuter bien sûr au cas par cas, les conclusions que nous pouvons tirer de cette observation sont qu’un traumatisme fermé ou ouvert de la partie supérieure de l’abdomen doit faire suspecter et rechercher attentivement une atteinte parenchyma- teuse ou canalaire pancréatique. D’autre part, même si l’atteinte pancréatique initiale apparaît minime, des séquelles canalaires sont possibles et peuvent devenir symptomatiques avec un temps de latence se chiffrant en mois voire en années. Barbara BOURNET (1), Bertrand SUC (2), Jean ESCOURROU (1), Louis BUSCAIL (1) (1) Service de Gastro-entérologie et Nutrition, (2) Service de Chirurgie Digestive, CHU Rangueil, 1, avenue Jean Poulhès, TSA 50032, 31059 Toulouse Cedex 9. RE ´ FE ´ RENCES 1. Dürr HK. Pancréatite aiguë. In : Sarles H, Howat HT, eds. Le pancréas exocrine. Paris : Flammarion, 1980:341-75. 2. Cogbill TH, Moore EE, Morris JA Jr, Hoyt DB, Jurkovich GJ, Mucha P Jr, et al. Distal pancreatectomy for trauma : a multicenter experience. J Trauma 1991;31:1600-6. 3. Akhrass R,Yaffe MB, Brandt CP, Reigle M, Fallon WF Jr, Malangoni MA. Pancreatic trauma : a ten-year multi-institutional experience. Am Surg 1997;63:598-604. 4. Degiannis E, Levy RD, Velmahos GC, Potokar T, Florizoone MG, Saadia R. Gunshot injuries of the head of the pancreas : conservative approach. World J Surg 1996;20:68-71. 5. Vasquez JC, Coimbra R, Hoyt DB, Fortlage D. Management of penetrating pancreatic trauma : an 11-year experience of a level-1 trauma center. Injury 2001;32:753-9. 6. Bradley EL 3rd. Chronic obstructive pancreatitis as a delayed compli- cation of pancreatic trauma. HPB Surg 1991;5:49-59. 7. Gholson CF, Sittig K, Favrot D, McDonald JC. Chronic abdominal pain as the initial manifestation of pancreatic injury due to remote blunt trauma of the abdomen. South Med J 1994;87:902-4. 8. Telford JJ, Farrell JJ, Saltzman JR, Shields SJ, Banks PA, Lichtenstein DR, et al. Pancreatic stent placement for duct disruption. Gastrointest Endosc 2002;56:18-24. Infarctus splénique révélant une méningococcémie L es infections à méningocoque entraînent typiquement un état septique grave avec ou sans méningite et un purpura. Les manifestations digestives sont inhabituelles mais peuvent être au premier plan [1, 2]. Nous rapportons le cas d’une malade dont la méningococcémie a été révélée par des douleurs abdominales aiguës dues à un infarctus splénique. Observation Une femme de 20 ans, sans antécédent notable, était hospitalisée pour des douleurs abdominales épigastriques sans vomissement ni diarrhée et une fièvre à 39,8 °C ayant débuté douze heures auparavant. Elle prenait une contraception oestro- progestative et fumait vingt cigarettes par jour. A l’entrée, la pression artérielle était à 85/40 mm Hg, la fréquence cardiaque à 115/min, la température à 39 °C, la conscience normale. L’examen clinique constatait uniquement une douleur abdomi- nale à la palpation de l’épigastre et de l’hypochondre gauche, sans défense. Biologiquement, l’hémoglobinémie était à 14 g/dL, les leucocytes circulants à 25 G/L avec 90 % de polynucléaires neutrophiles, les plaquettes à 27 G/L, le taux de prothrombine < 10 %, le facteur V à 16 %, la fibrinogènémie à 1 g/L, le taux sérique de protéine C réactive à 78 mg/L (n < 5), la créatininémie à 195 μmol/L, l’activité sérique des ASAT à 2 fois la valeur normale supérieure (N) et l’amylasémie à 1,5 N. Le taux sanguin des HCG était bas. L’échographie abdominale montrait une rate de taille normale mais hétérogène, et un épanchement péritonéal modéré. Quelques heures après l’admission, apparaissaient des lésions purpuriques pétéchiales au niveau du visage. La nuque restait souple. L’analyse du LCR était normale. Un traitement associant la céftriaxone, un remplissage vasculaire, des transfu- sions d’unités plaquettaires et de plasma frais était immédiate- ment débuté. Une hémoculture revenait positive à Neisseria meningitidis. La malade devenait rapidement apyrétique et les troubles de l’hémostase se normalisaient, mais les douleurs abdominales persistaient. La scanographie abdominale réalisée à J2 mettait en évidence une thrombose de la veine splénique (figure 1a) et un infarctus splénique (figure 1b). L’artère spléni- que, le tronc porte, l’artère et la veine mésentérique étaient perméables. A J3, les taux d’activité de l’antithrombine III, des protéines C et S étaient respectivement à 56 %, 44 % et 38 %. Pendant huit jours, les douleurs abdominales s’accentuaient Lettres à la rédaction 197

Infarctus splénique révélant une méningococcémie

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Page 1: Infarctus splénique révélant une méningococcémie

initial de douleurs ou de véritables poussées de pancréatite aiguë[6, 7].

C’est ce qu’il est advenu chez notre malade. Toutefois, à notreconnaissance, un délai aussi long entre le traumatisme ouvert etles signes de complications tardives, n’a jamais été décrit. Leslésions pancréatiques initiales devaient être vraisemblablementmineures, car elles n’ont pas eu de traduction radiologique etelles étaient non évidentes au cours de l’exploration chirurgicale.L’étiologie post-traumatique de la pancréatite aiguë a pu êtreévoquée en l’absence d’autre cause classique présente, maissurtout devant une anomalie canalaire caudale détectée àl’écho-endoscopie, que nous avons rapprochée du trajet initiale-ment décrit par la balle restée en place. Compte tenu de laprésence du corps étranger métallique, la pancréatographie parrésonance magnétique n’était pas indiquée et la CPRE a permisde bien visualiser la sténose du canal principal en regard dutrajet du projectile. La CPRE est d’ailleurs l’examen déterminantdans le diagnostic des atteintes traumatiques du canal deWirsung (rupture, fistules, sténoses) [8], mais elle pourrait êtreremplacée à terme par des examens moins invasifs comme laCP-IRM et le tomodensitomètre multi-détecteur.

Le traitement chirurgical d’une sténose du canal principaldans sa portion caudale n’a pas posé de problème technique etn’a entraîné aucune morbidité ni séquelle fonctionnelle. Leproblème se serait posé différemment si cette sténose avait étésituée dans la portion céphalo-isthmique du pancréas. Dans cecas, un traitement endoscopique par dilatation, associée ou nonà la mise en place temporaire d’une endoprothèse, est théorique-ment possible. Indépendamment de l’attitude thérapeutique quidoit se discuter bien sûr au cas par cas, les conclusions que nouspouvons tirer de cette observation sont qu’un traumatisme ferméou ouvert de la partie supérieure de l’abdomen doit fairesuspecter et rechercher attentivement une atteinte parenchyma-teuse ou canalaire pancréatique. D’autre part, même si l’atteintepancréatique initiale apparaît minime, des séquelles canalaires

sont possibles et peuvent devenir symptomatiques avec un tempsde latence se chiffrant en mois voire en années.

Barbara BOURNET (1), Bertrand SUC (2),Jean ESCOURROU (1), Louis BUSCAIL (1)

(1) Service de Gastro-entérologie et Nutrition,(2) Service de Chirurgie Digestive, CHU Rangueil,

1, avenue Jean Poulhès, TSA 50032, 31059 Toulouse Cedex 9.

REFERENCES

1. Dürr HK. Pancréatite aiguë. In : Sarles H, Howat HT, eds. Le pancréasexocrine. Paris : Flammarion, 1980:341-75.

2. Cogbill TH, Moore EE, Morris JA Jr, Hoyt DB, Jurkovich GJ, Mucha PJr, et al. Distal pancreatectomy for trauma : a multicenter experience. JTrauma 1991;31:1600-6.

3. Akhrass R, Yaffe MB, Brandt CP, Reigle M, Fallon WF Jr, MalangoniMA. Pancreatic trauma : a ten-year multi-institutional experience. AmSurg 1997;63:598-604.

4. Degiannis E, Levy RD, Velmahos GC, Potokar T, Florizoone MG,Saadia R. Gunshot injuries of the head of the pancreas : conservativeapproach. World J Surg 1996;20:68-71.

5. Vasquez JC, Coimbra R, Hoyt DB, Fortlage D. Management ofpenetrating pancreatic trauma : an 11-year experience of a level-1trauma center. Injury 2001;32:753-9.

6. Bradley EL 3rd. Chronic obstructive pancreatitis as a delayed compli-cation of pancreatic trauma. HPB Surg 1991;5:49-59.

7. Gholson CF, Sittig K, Favrot D, McDonald JC. Chronic abdominal painas the initial manifestation of pancreatic injury due to remote blunttrauma of the abdomen. South Med J 1994;87:902-4.

8. Telford JJ, Farrell JJ, Saltzman JR, Shields SJ, Banks PA, LichtensteinDR, et al. Pancreatic stent placement for duct disruption. GastrointestEndosc 2002;56:18-24.

Infarctus splénique révélant une méningococcémie

Les infections à méningocoque entraînent typiquement un état septique grave avec ou sansméningite et un purpura. Les manifestations digestives sont inhabituelles mais peuvent êtreau premier plan [1, 2]. Nous rapportons le cas d’une malade dont la méningococcémie a

été révélée par des douleurs abdominales aiguës dues à un infarctus splénique.

Observation

Une femme de 20 ans, sans antécédent notable, étaithospitalisée pour des douleurs abdominales épigastriques sansvomissement ni diarrhée et une fièvre à 39,8 °C ayant débutédouze heures auparavant. Elle prenait une contraception oestro-progestative et fumait vingt cigarettes par jour. A l’entrée, lapression artérielle était à 85/40 mm Hg, la fréquence cardiaqueà 115/min, la température à 39 °C, la conscience normale.L’examen clinique constatait uniquement une douleur abdomi-nale à la palpation de l’épigastre et de l’hypochondre gauche,sans défense. Biologiquement, l’hémoglobinémie était à14 g/dL, les leucocytes circulants à 25 G/L avec 90 % depolynucléaires neutrophiles, les plaquettes à 27 G/L, le taux deprothrombine < 10 %, le facteur V à 16 %, la fibrinogènémie à1 g/L, le taux sérique de protéine C réactive à 78 mg/L (n < 5),la créatininémie à 195 μmol/L, l’activité sérique des ASAT à 2fois la valeur normale supérieure (N) et l’amylasémie à 1,5 N. Le

taux sanguin des �HCG était bas. L’échographie abdominalemontrait une rate de taille normale mais hétérogène, et unépanchement péritonéal modéré.

Quelques heures après l’admission, apparaissaient deslésions purpuriques pétéchiales au niveau du visage. La nuquerestait souple. L’analyse du LCR était normale. Un traitementassociant la céftriaxone, un remplissage vasculaire, des transfu-sions d’unités plaquettaires et de plasma frais était immédiate-ment débuté. Une hémoculture revenait positive à Neisseriameningitidis. La malade devenait rapidement apyrétique et lestroubles de l’hémostase se normalisaient, mais les douleursabdominales persistaient. La scanographie abdominale réaliséeà J2 mettait en évidence une thrombose de la veine splénique(figure 1a) et un infarctus splénique (figure 1b). L’artère spléni-que, le tronc porte, l’artère et la veine mésentérique étaientperméables. A J3, les taux d’activité de l’antithrombine III, desprotéines C et S étaient respectivement à 56 %, 44 % et 38 %.Pendant huit jours, les douleurs abdominales s’accentuaient

Lettres à la rédaction

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malgré la morphine et les contrôles échographiques montraientune augmentation du volume splénique. Une splénectomie étaitréalisée à J8. L’examen anatomo-pathologique montrait unenécrose de coagulation du parenchyme splénique. Les suitesopératoires étaient simples. Au décours, l’enquête étiologiquetrouvait uniquement des anticorps anticardiolipines IgM anti-�2GP1 indépendants pendant plusieurs mois. La contraceptionœstro-progestative et l’intoxication tabagique étaient stoppées.La malade n’avait pas de nouvel accident thrombotique.

DiscussionUne dizaine d’observations de méningococcocémie avec

douleurs abdominales inaugurales sont rapportées dans lalittérature. Il s’agit de douleurs diffuses ou localisées à l’hypo-chondre droit, de douleurs pelviennes avec syndrome de Fitz-Hugh-Curtis, de gastroentérites [1, 2]. Les lésions purpuriquesévocatrices peuvent être absentes ou apparaître secondairement[1]. La symptomatologie douloureuse régresse sous antibiothéra-pie.

Notre malade a eu une douleur abdominale aiguë due à uninfarctus splénique. Trois cas de méningococcémies avec descomplications spléniques ont été rapportés : deux observationsd’infarctus splénique chez un enfant de 8 mois et un adulte de 23ans [3, 4], un cas de rupture splénique chez un enfant de 13 ans[5]. Dans notre observation, l’infarctus splénique était lié à unethrombose de la veine splénique. Cette complication n’a jamaisété rapportée à notre connaissance au cours d’infections àméningocoque. Le principal facteur étiologique est la coagulationintravasculaire disséminée (CIVD) déclenchée par l’infection à N.meningitidis. La CIVD se caractérise par une génération explo-sive de thrombine, l’effondrement des anticoagulants naturels(antithrombine III, protéines C et S) entraînant des thrombosesdisséminées des moyens et petits vaisseaux [6]. Notre maladeavait également comme facteur de risque la prise d’oestropro-gestatifs impliqués dans 9 à 18 % des cas de thrombose veineusemésentérique [7]. En revanche, elle n’avait pas de facteur localde thrombose et les anticorps anticardiolipines anti-�2GP1

indépendants découverts au cours d’un sepsis sont habituelle-ment considérés comme non pathogènes.

En conclusion, les méningococcémies peuvent se manifesterinitialement par des douleurs abdominales aiguës. L’apparitiondes lésions purpuriques permet d’évoquer le diagnostic. L’originede la symptomatologie douloureuse peut être un infarctussplénique secondaire à la CIVD.

Philippe CORNE (1), Frédéric BORIE (2), Benoît GALLIX (3),Liliane LANDREAU (1), Bertrand MILLAT (2),

Olivier JONQUET (1)

(1) Service de Réanimation Médicale Assistance Respiratoire,Hôpital Gui de Chauliac, Montpellier ; (2) Service de Chirurgie Digestive A,

Hôpital Saint-Eloi, Montpellier ; (3) Service d’Imagerie Médicale,Hôpital Saint-Eloi, Montpellier.

REFERENCES

1. Demeter A, Gelfand MS. Abdominal pain and fever-an unusualpresentation of meningococcemia. Clin Infect Dis 1999;28:1327.

2. Schmid ML. Acute abdomen as an atypical presentation of meningo-coccal septicaemia. Scand J Infect Dis 1998;30:629-30.

3. Smolska I, Rewicka D, Perdeus P, Murawski M. Splenic necrosis duringmeningococcal sepsis treated with splenectomy. Pediatr Pol 1995;70:607-11.

4. Hatakeyama S, Kimura A, Kashiyama T. Meningococcocemia compli-cated by disseminated intravascular coagulation, splenic infarction andpulmonary thromboembolism in a young adult : case report. Kansens-hogaku Zasshi 2001;75:345-9.

5. Buist MD, Power RG, Keeley SR, Matthews NT. Severe meningococcalsepticaemia associated with splenic rupture. Med J Aust 1991;155:713-4.

6. Levi M, Ten Cate H. Disseminated intravascular coagulation. N Engl JMed 1999;341:586-92.

7. Kumar S, Sarr MG, Kamath PS. Mesenteric venous thrombosis. N EnglJ Med 2001;345:1683-8.

Fig. 1 − Tomodensitométrie abdominale avec injection iodée : (a) Les coupes passant par la veine splénique au temps portal montrent une thrombose veineuse(flèche) et (b) l’absence de rehaussement du parenchyme splénique témoignant d’un infarctus splénique (flèches).

Contrast abdominal CT scan showing (a) splenic vein thrombosis during portal phase (arrow) and (b) the large infarction of the spleen (arrows).

a b

Gastroenterol Clin Biol, 2004,

198