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Article original Information orale et chirurgie programmée pour pathologie tumorale bénigne de la glande thyroïde : le point de vue du chirurgien, du médecin, de l’avocat, et du magistrat Preoperative oral information prior to planned thyroid surgery: the surgeon, physician, lawyer and judge’s point of view O. Laccourreye (Professeur des universités, praticien hospitalier, otorhinolaryngologiste, expert judiciaire auprès du Tribunal de grande instance de Paris) a, *, R. Cauchois (Ancien chef de clinique, assistant des hôpitaux de Paris, praticien hospitalier consultant en otorhinolaryngologie) b , Ph. Touraine (Professeur des universités, praticien hospitalier, endocrinologue) c , A. Garay (Avocat au barreau de Paris) d , A. Bourla (Magistrat) e a Hôpital européen Georges-Pompidou, assistance publique des hôpitaux de Paris, université Paris-V, , 20–40 rue, leblanc, 75015 Paris, France b Hôpital européen Georges-Pompidou, France c Hôpital Necker–Enfants-Malades, assistance publique des hôpitaux de Paris, université Paris-V, France d Paris France e Tribunal de grande instance de Paris, 4, boulevard du Palais, 75055 Paris, France Disponible sur internet le 11 mars 2005 Communication réalisée à l’Académie nationale de chirurgie le mercredi 1 er décembre 2004 Résumé Buts de l’étude. – Analyse et commentaire par divers intervenants (chirurgien, médecin, avocat, magistrat, expert) des résultats d’une étude prospective sur la mémorisation, la perception, et les conséquences de l’information orale délivrée aux malades quant aux risques encourus lors de la chirurgie programmée pour pathologie tumorale bénigne de la glande thyroïde. Méthodes. – Étude prospective conduite dans un centre hospitalo-universitaire. Cohorte de 123 malades avec une pathologie tumorale bénigne de la glande thyroïde consécutivement informés oralement puis éventuellement opérés par le même chirurgien au décours des années 2003–2004. Analyse postopératoire immédiate des conséquences de cette information orale, du degré de mémorisation en postopératoire des risques encourus inhérents à la chirurgie de la glande thyroïde (risque vital, risque commun à tout acte chirurgical, risques spécifiques à la chirurgie de la glande thyroïde) et de la perception par le malade de cette information orale. Analyse et discussion des résultats par divers intervenants (chirurgien, médecin, avocat, magistrat, expert). Résultats. – Le pourcentage de patients refusant l’intervention en raison des risques chirurgicaux encourus est de 14,6 %. Aucun malade ne mémorisait plus de quatre des six risques encourus. 68,8 % des malades opérés mémorisaient un ou deux des risques encourus. 12,2 % des malades opérés ne mémorisaient aucun des risques encourus. Les trois catégories de risque que mémorisaient le mieux le patient sont l’immobilité laryngée unilatérale pouvant conduire à une dysphonie permanente (85,5 %), le décès au décours de l’anesthésie générale (41,1 %) et l’immobilité laryngée bilatérale pouvant conduire à la réalisation d’une trachéotomie (21,1 %). Moins de 11 % des malades mémorisaient une des trois dernières catégories de risque que sont les risques inhérents à tout geste chirurgical, l’hypocalcémie et les difficultés d’allaitement. 87,6 % des malades exprimaient une opinion positive vis-à-vis de l’information délivrée en préopératoire sur le risque encouru, 41,9 % une opinion négative et 28,4 % une opinion à la fois positive et négative. Conclusion. – L’information orale sur les risques chirurgicaux encourus déstabilise le patient et modifie la relation patient–chirurgien. La mémorisation par le patient de cette information orale est extrêmement faible. Au terme de cette information un nombre non négligeable de * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (O. Laccourreye). Annales de chirurgie 130 (2005) 458–465 http://france.elsevier.com/direct/ANNCHI/ 0003-3944/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anchir.2005.02.004

Information orale et chirurgie programmée pour pathologie tumorale bénigne de la glande thyroïde :le point de vue du chirurgien, du médecin, de l'avocat, et du magistrat

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Information orale et chirurgie programmée pour pathologie tumoralebénigne de la glande thyroïde : le point de vue du chirurgien, du médecin,

de l’avocat, et du magistrat

Preoperative oral information prior to planned thyroid surgery: thesurgeon, physician, lawyer and judge’s point of view

O. Laccourreye (Professeur des universités, praticien hospitalier, otorhinolaryngologiste, expertjudiciaire auprès du Tribunal de grande instance de Paris) a,*, R. Cauchois (Ancien chef

de clinique, assistant des hôpitaux de Paris, praticien hospitalier consultanten otorhinolaryngologie) b, Ph. Touraine (Professeur des universités, praticien hospitalier,

endocrinologue) c, A. Garay (Avocat au barreau de Paris) d, A. Bourla (Magistrat) e

a Hôpital européen Georges-Pompidou, assistance publique des hôpitaux de Paris, université Paris-V, , 20–40 rue, leblanc, 75015 Paris, Franceb Hôpital européen Georges-Pompidou, France

c Hôpital Necker–Enfants-Malades, assistance publique des hôpitaux de Paris, université Paris-V, Franced Paris France

e Tribunal de grande instance de Paris, 4, boulevard du Palais, 75055 Paris, France

Disponible sur internet le 11 mars 2005

Communication réalisée à l’Académie nationale de chirurgie le mercredi 1er décembre 2004

Résumé

Buts de l’étude. – Analyse et commentaire par divers intervenants (chirurgien, médecin, avocat, magistrat, expert) des résultats d’uneétude prospective sur la mémorisation, la perception, et les conséquences de l’information orale délivrée aux malades quant aux risquesencourus lors de la chirurgie programmée pour pathologie tumorale bénigne de la glande thyroïde.

Méthodes. – Étude prospective conduite dans un centre hospitalo-universitaire. Cohorte de 123 malades avec une pathologie tumoralebénigne de la glande thyroïde consécutivement informés oralement puis éventuellement opérés par le même chirurgien au décours des années2003–2004. Analyse postopératoire immédiate des conséquences de cette information orale, du degré de mémorisation en postopératoire desrisques encourus inhérents à la chirurgie de la glande thyroïde (risque vital, risque commun à tout acte chirurgical, risques spécifiques à lachirurgie de la glande thyroïde) et de la perception par le malade de cette information orale. Analyse et discussion des résultats par diversintervenants (chirurgien, médecin, avocat, magistrat, expert). Résultats. – Le pourcentage de patients refusant l’intervention en raison desrisques chirurgicaux encourus est de 14,6 %. Aucun malade ne mémorisait plus de quatre des six risques encourus. 68,8 % des malades opérésmémorisaient un ou deux des risques encourus. 12,2 % des malades opérés ne mémorisaient aucun des risques encourus. Les trois catégoriesde risque que mémorisaient le mieux le patient sont l’immobilité laryngée unilatérale pouvant conduire à une dysphonie permanente (85,5 %),le décès au décours de l’anesthésie générale (41,1 %) et l’immobilité laryngée bilatérale pouvant conduire à la réalisation d’une trachéotomie(21,1 %). Moins de 11 % des malades mémorisaient une des trois dernières catégories de risque que sont les risques inhérents à tout gestechirurgical, l’hypocalcémie et les difficultés d’allaitement. 87,6 % des malades exprimaient une opinion positive vis-à-vis de l’informationdélivrée en préopératoire sur le risque encouru, 41,9 % une opinion négative et 28,4 % une opinion à la fois positive et négative.

Conclusion. – L’information orale sur les risques chirurgicaux encourus déstabilise le patient et modifie la relation patient–chirurgien. Lamémorisation par le patient de cette information orale est extrêmement faible. Au terme de cette information un nombre non négligeable de

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (O. Laccourreye).

Annales de chirurgie 130 (2005) 458–465

http://france.elsevier.com/direct/ANNCHI/

0003-3944/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.anchir.2005.02.004

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patients ne suit pas l’avis du chirurgien. Plusieurs mesures sont proposées pour améliorer cette situation car l’information sur les risquesopératoires encourus est non seulement incontournable mais aussi très fortement souhaitée par le patient.© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Objective. – Analysis of the consequence of the preoperative information delivered orally to patients requiring surgery for benign patho-logy of the thyroid gland from various perspective (head and neck surgeon, physician, judge, lawyer).

Methods. – Prospective study conducted in an academic tertiary care referral center. Inception cohort of 123 patients with benign patho-logy of the thyroid gland consecutively informed orally and by the same surgeon during the years 2003–2004. Analysis of the consequencesof the preoperative information, degree of memorization regarding the surgical related risks as well as the patient’s opinion regarding thisinformation.

Results. – Due to the information regarding the risks related to surgery 14.6% of patients refused to undergo surgery. None of the patientsremembered more than 4 out of the 6 main surgical risks. 68.8% of patients remembered only one or two surgical related risks. 12.2% ofpatients did not remember a single surgical related risk, 85.5% of patients remembered the risk of a unilateral laryngeal nerve paralysis, 41.1%the risk of death related to the completion of a general anesthesia and 21.1% the risk of a bilateral laryngeal nerve paralysis. Less than 11% ofpatients remembered the other risks (general risks related to any open field surgical approach, hypocalcemia and loss of breast feeding)Among the patients who had an opinion postoperatively, 87.6% had a positive opinion and 41.9% a negative opinion regarding the preopera-tive information related to the surgical related risks. Also, 28.4% of patients expressed simultaneously a positive and a negative opinion.

Conclusion. – Oral information of the patient regarding the surgical risks resulted in an important stress for the patient and modified therelation patient-surgeon. Due to the information, a non-neglectable group of patients elicited not to follow the advice of the surgeon. Variousmeasures are discussed since the information on the surgical related risks is a must from a legal point of view but is also highly appreciated andrequested by most of the patients.© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Glande thyroïde ; Lésions bénignes ; Information médicale préopératoire

Keywords: Thyroid gland; Benign lesions; Surgical information

1. Introduction

Jacqueline de Romilly [1], en 2001 dans une conférencelors du XXXVe congrès du collège français de pathologievasculaire, déclarait : « Il existe un art de la parole qui n’estni mensonge ni flatterie mais qui sert la vérité. Il y a unefaçon d’exposer la vérité, de l’expliquer, de la commenter,qui est le prolongement même de la connaissance la plusrigoureuse. Et cela est plus vrai que pour tout pour lamédecine qui est finalement une science de l’homme quidoit connaître la nature de l’homme...».

L’obligation faite au chirurgien d’informer la personnemalade n’est pas une notion nouvelle ; cette obligation faitpartie du contrat qui s’établit en France, devant la loi, entre lechirurgien et la personne malade. L’arrêt de la cour de cassa-tion du 25 février 1997 (arrêt Hedreul), a inversé la charge dela preuve en matière d’information médicale [2–4]. Depuiscet arrêt, il appartient au chirurgien de justifier qu’il a bienmis à la disposition de la personne malade toutes les donnéesnécessaires à forger une opinion informée [2–4]. La loi du4 mars 2002 sur le droit des personnes malades fait aussi obli-gation au chirurgien d’informer la personne malade de tousles risques encourus à l’occasion d’un geste chirurgical pro-grammé [2–4].

De nombreux écrits ayant trait aux conséquences de cetteévolution juridique sur la relation chirurgien–malade ont étépubliés. À l’opposé peu de travaux scientifiques se sont atta-chés à l’évaluation objective des conséquences de cette infor-

mation préopératoire. Ainsi, l’analyse bibliographique deMedline conduite sur les années 1973–2003 (base de donnéePubmed) ne retrouve aucune étude dans la littérature médi-cale scientifique indexée en langue française précisant cesdonnées dans le cadre de la pathologie tumorale bénigne dela glande thyroïde.

Ce manque de données scientifiques, alors que la chirur-gie de la pathologie tumorale bénigne de la glande thyroïde(nodules, goitres, maladie de Basedow) est une chirurgie fré-quemment réalisée en France, a motivé cette étude prospec-tive qui complète un travail préliminaire [5] réalisé au décoursde l’année 2003. Cette étude prospective est consacrée auxconséquences de l’information médicale orale sur les risqueschirurgicaux encourus. Les résultats en termes :• d’acceptation de l’intervention par le malade ;• de mémorisation par le malade de l’information délivrée

en préopératoire sur les risques encourus ;• de perception par le malade de cette information ont été

soumis à plusieurs intervenants (chirurgien, médecin, avo-cat, magistrat, expert) qui, dans la discussion, analysenten toute indépendance les données recueillies et présen-tent leur point de vue.

2. Méthodes

De janvier 2003 à août 2004, 156 malades ont été consé-cutivement adressés à l’un d’entre nous (O.L.) pour une affec-

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tion tumorale de la glande thyroïde. Seize malades avec undiagnostic préopératoire de cancer de la thyroïde, 13 mala-des qui ont souhaité programmer leur intervention postérieu-rement au mois d’août 2004 et quatre malades non opérés enraison de divers problèmes non en rapport avec l’informationmédicale (délai opératoire, considération professionnelle...)ont été exclus de cette étude prospective qui repose sur unecohorte de 123 patients consécutivement opérés par le mêmechirurgien (O.L.).

La population étudiée se compose de 31 hommes et 92 fem-mes âgés de 23 à 84 ans (médiane 52 ans). Les malades étaientadressés par un endocrinologue (72,4 %), un médecin géné-raliste (15,4 %) un spécialiste otorhinolaryngologiste (4,1 %)ou suite au conseil de l’un des proches du patient (8,1 %).

L’indication opératoire était motivée par l’existence d’unnodule froid évolutif de plus de deux centimètres de diamètre(58 %), d’un goitre modérément plongeant et/ou compressif(30 %) et d’une hyperthyroïdie par maladie de Basedow ounodule chaud non ou mal contrôlé par traitement médical(12 %). Le délai entre la première consultation médicale et laconsultation préopératoire chirurgicale variait de 1 à 360 mois(médiane 42 mois) avec un nombre de consultations qui variaitde un à trente (médiane : 6 consultations).

L’information médicale préopératoire était délivrée orale-ment au malade par le même chirurgien (O.L.) après avoireffectué un interrogatoire, réalisé un examen clinique,consulté les examens paracliniques et rédigé un dossier médi-cal. Cette information orale était délivrée en suivant lesconseils établis pour une bonne information médicale [3]. Lelangage spécifique médical et l’utilisation de pourcentagesétaient évités. La durée de la consultation (calculée par inter-valles de 5 minutes) variait de 15 à 50 minutes (histogramme1 : médiane : 25 minutes). Lors de cette consultation médi-cale préopératoire, le chirurgien précisait successivement aumalade :• que l’intervention chirurgicale était motivée pour confir-

mer le caractère bénin de la tumeur thyroïdienne, éviterune transformation maligne de cette tumeur et/ou mettrele malade à l’abri de la survenue de complications liées auvolume tumoral et/ou à l’hyperthyroïdie ;

• qu’il existait une alternative thérapeutique au geste chirur-gical envisagé (surveillance échographique ± cytoponc-tion ± traitement médical) ;

• que les risques encourus inhérents au geste chirurgicalétaient le risque vital (risque exceptionnel de décès périou postopératoire), les risques inhérents à tout acte chirur-gical (hématome, abcès, désunion cutanée) regroupés sousle même item et les risques chirurgicaux spécifiques inhé-rents à la chirurgie de la glande thyroïde (dysphonie parimmobilité laryngée unilatérale, immobilité laryngée bila-térale pouvant nécessiter la réalisation d’une trachéoto-mie, hypoparathyroïdie entraînant une hypocalcémie et dif-ficulté voire impossibilité d’avoir une montée lactée chezla femme en postpartum et donc d’allaiter en cas de thy-roïdectomie totale) ;

• que les risques de décès et de réalisation d’une trachéoto-mie secondaire à une immobilité laryngée bilatérale étaientexceptionnels ;

• que l’incidence des risques inhérents au geste chirurgicalenvisagé était très faible (de l’ordre de quelque pour cent)et globalement équivalent à l’incidence des risques liés àl’abstention thérapeutique avec mise en place d’une sur-veillance (erreur sur le caractère bénin de la tumeur, trans-formation maligne secondaire de cette tumeur, survenuede complications liées au volume tumoral et/ou à l’hyper-thyroïdie) ;

• que le geste chirurgical était un geste non urgent, program-mable.

Au terme de la consultation, l’intervention était conseilléepar le chirurgien. Il était demandé au malade si les explica-tions délivrées avaient été comprises. Le choix de la date opé-ratoire était laissé à l’appréciation du malade. Un délai mini-mum de réflexions de trois semaines avant la programmationde l’intervention était respecté.

Trente-trois des 123 malades ayant consulté n’ont pas sou-haité être opéré. Ces 33 malades ont été contactés par le chi-rurgien (O.L.) pour préciser les raisons du refus de l’interven-tion. Six malades n’ont pas souhaité expliquer la raison deleur refus d’intervention. Parmi les 27 malades restants lesraisons évoquées étaient : le souhait de réfléchir plus long-temps avant de se décider (17) et/ou la crainte de survenued’une complication postopératoire (18). Aussi, globalement,dans cette étude le pourcentage de patients refusant d’inter-vention en raison des risques encourus est estimé à 14,6 %(18/123).

Pour chacun des 90 malades opérés, le chirurgien (O.L.),en postopératoire immédiat, avant la sortie du malade du ser-vice d’otorhinolaryngologie et de chirurgie cervico-faciale,notait les complications survenues, demandait au malade depréciser les risques opératoires dont il se souvenait et d’expri-mer son opinion sur l’information délivrée en préopératoire.Les résultats obtenus sont présentés et discutés en toute indé-pendance par divers intervenants (chirurgien, médecin, magis-trat, avocat et expert).

3. Résultats

Une complication est survenue en postopératoire dans7,7 % (7/90) des cas (hématome cervical : 2 – œdème laryngé :1 – immobilité laryngée unilatérale : 1 – hypocalcémie : 2 –pyélonéphrite :1–). Aucune de ces complications n’a été per-manente.

3.1. Mémorisation par le patient de l’information délivréesur les risques chirurgicaux

Le nombre de risques encourus mémorisés par le maladevariait de un à quatre (Fig. 1). Aucun malade ne mémorisaitplus de quatre des six risques encourus (Fig. 1). 68,8 % desmalades mémorisaient un ou deux des risques encourus

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(Fig. 1). 12,2 % des malades ne mémorisaient aucun des ris-ques encourus (Fig. 1).

Les trois catégories de risque opératoire que mémori-saient le mieux le patient (Fig. 2) sont l’immobilité laryngéeunilatérale pouvant conduire à une dysphonie permanente(mémorisé par 85,5 % des malades), le décès au décours del’anesthésie générale (mémorisé par 41,1 % des malades) etl’immobilité laryngée bilatérale pouvant conduire à la réali-sation d’une trachéotomie (mémorisé par 21,1 % des mala-des). Moins de 11 % des malades mémorisaient les trois der-nières catégories de risque que sont les risques chirurgicauxinhérents à tout geste chirurgical (cicatrisation, saignementet infection), l’hypocalcémie et les difficultés d’allaitement(Fig. 2).

3.2. Perception par le patient de l’information délivrée surles risques chirurgicaux

En postopératoire immédiat, neuf malades n’ont pasexprimé d’opinion quant à l’information sur les risques opé-ratoires encourus. Parmi les 81 malades restants, 87,6 % expri-maient une opinion positive vis à vis de l’information déli-vrée en préopératoire sur le risque encouru et 41,9 % uneopinion négative (Tableau 1). Dans 28,4 % (23/81) des cas,les malades exprimaient une opinion à la fois positive et néga-tive. Le Tableau 1 précise les diverses modalités que prenaitl’expression de ces sentiments quant à l’information délivrée

en pré opératoire sur les risques encourus inhérents à l’inter-vention chirurgicale proposée.

4. Discussion

La loi du 4 mars 2002 [2], relative aux droits du malade,vise à instaurer une « démocratie sanitaire » en faisant par-ticiper le malade à la décision médicale. Cette participationpasse par l’obtention d’un consentement « éclairé » quidécoule d’une information « adaptée » [2]. À la lecture de laloi du 4 mars 2002 [2], il apparaît que la réalisation de cetteinformation « adaptée » impose au praticien de préciser aumalade les différents traitements possibles, leur utilité, leururgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquentsou graves normalement prévisibles et les conséquences pré-visibles en cas de refus de traitement [2].

La pathologie tumorale bénigne de la glande thyroïde estun parfait exemple de l’importance et des difficultés que latransmission de cette information pose aux praticiens. Cettepathologie, très fréquente en France (plusieurs dizaines demilliers de nouveaux cas dépistés par an) peut en effet êtretraitée médicalement avec surveillance régulière ou par chi-rurgie. Le traitement n’est pas urgent et les risques inhérentsà chacune de ces deux approches thérapeutiques sont bienidentifiés dans la littérature médicale [4]. Le risque vital estexceptionnel quel que soit l’option thérapeutique retenue. Lesautres risques encourus diffèrent selon l’option thérapeuti-que retenue avec une incidence faible quel que soit l’appro-che thérapeutique envisagée [4]. Par ailleurs, une étudepubliée en 1999 en Allemagne fait état d’une augmentationexponentielle des litiges après chirurgie de la glande thy-roïde au décours de la période 1975–1998 [6].

L’agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé(Anaes) a rappelé, en 2000, la primauté de la communication

Fig. 1. Histogramme du nombre de risques chirurgicaux encourus mémori-sés par les patients.

Fig. 2. Histogramme du nombre de patients mémorisant chaque « catégorie« de risque chirurgical encouru (ILU : immobilité laryngée unilatérale, ILB :immobilité laryngée bilatérale HPC : hypocalcémie par hypoparathyroïdie,RCG (risques chirurgicaux généraux regroupant hématome, abcès et désu-nion cutanée), ALL : impossibilité d’allaiter après réalisation d’une thyroï-dectomie totale chez un patient de sexe féminin, AG : décès après anesthésiegénérale).

Tableau 1Sentiment exprimé par les patients quant à l’information médicale délivréeen préopératoire sur les risques encourus (à partir des 81 patients ayantexprimé une opinion). Les totaux dépassent 100 % car plusieurs patients ontexprimé simultanément diverses opinions (Nb : nombre)

Sentiment du patient vis à vis de l’information délivréeen préopératoire (évalué sur 81 des 90 patients opérés)

% (Nb)

Opinions « positives » 87,6 (71)Permet une bonne information 86,4 (70)Rassurant 12,3 (10)Permet de mieux se préparer 7,4 (6)Met en confiance avant la chirurgie 4.9 (4)Témoigne du sérieux du chirurgien 1,1 (2)

Opinions « négatives » 41,9 (34)Inquiétant (peur, angoisse) 33,3 (27)Stressant 9,8 (8)À failli refuser l’intervention 6,1 (5)Non adapté à la psychologie du malade 1,1 (2)Met mal à l’aise le chirurgien 1,1 (2)Sadisme de la part du chirurgien 0,5 (1)Gêne le chirurgien dans sa prise en charge 0,5 (1)Inutile car refuse de savoir les risques 0,5 (1)Inquiète la famille 0,5 (1)Croyait qu’il n’y avait pas de risques 0,5 (1)

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orale entre le chirurgien et le malade lors de l’information dece dernier [3]. Cependant, dans le cadre de la pathologie tumo-rale bénigne de la glande thyroïde, il n’existe pas, à notreconnaissance, d’études publiées en langue française ayant éva-lué les conséquences de l’information médicale orale en ter-mes d’acceptation de l’intervention chirurgicale, de mémori-sation par le malade de cette information et de perception parle malade de cette information orale sur les risques chirurgi-caux encourus.

Ce manque de données objectives est l’élément qui aconduit à la réalisation de ce travail prospectif qui complèteune étude préliminaire [5] réalisée au décours de l’année 2003.Les paragraphes qui suivent présentent au lecteur le point devue divers intervenants (chirurgien, médecin, avocat, magis-trat, expert) qui ont analysé, en toute indépendance, les résul-tats obtenus.

5. Le point de vue du chirurgien (O.L. – R.C.)

Cette étude prospective, ayant inclus tous les malades avecune pathologie tumorale bénigne de la glande thyroïde consé-cutivement adressée au même chirurgien, au décours desannées 2003–2004 confirme les données obtenues dans uneétude préliminaire [5]. Ainsi, parmi les malades opérés ayantexprimé une opinion sur l’information orale délivrée en préo-pératoire sur les risques inhérent au geste chirurgical conseillépar le chirurgien, 87,6 % expriment une opinion positive visà vis de celle-ci avec comme principal motif de satisfactionle simple fait d’avoir été informé (Tableau 1). À premièrevue ce très fort pourcentage de satisfaction devrait encoura-ger les chirurgiens qui réalisent, comme leur demande la loi–– et comme cela a été réalisé dans cette étude prospec-tive — une information « claire, loyale, et adaptée ». Cepen-dant plusieurs éléments viennent tempérer cette premièreimpression positive.

Au terme de la consultation préopératoire 14,6 % des mala-des ont refusé l’intervention conseillée par le chirurgien enraison de l’information délivrée sur les risques encourus. Cechiffre est inquiétant ; est-il en rapport avec un délai de consul-tation trop court ? Une mauvaise compréhension –– ou unrefus d’entendre la vérité –– de la part du patient ? une mau-vaise présentation des risques opératoires par le médecin ?De plus, parmi les malades ayant souhaité exprimer en pos-topératoire une opinion quant à l’information sur les risquesencourus, 28,4 % expriment une opinion à la fois positive etnégative et 41,9 % expriment une opinion négative, un maladeallant même jusqu’à évoquer une forme de sadisme de la partdu chirurgien (Tableau 1) et ce malgré un taux de complica-tion postopératoire immédiat faible et l’absence de survenuede complications définitives. Ces chiffres nous amènent à pen-ser tout comme l’écrivait récemment Emmanuel Hirsch [7],professeur d’éthique médicale, que « Responsabiliser la per-sonne malade dans les décisions qui la concernent équivautparfois à la solitude face aux dilemmes et à l’incompréhen-sion ».

Par ailleurs, la mémorisation par le malade de l’informa-tion délivrée en préopératoire sur les risques chirurgicauxencourus est extrêmement faible ; 68,8 % des malades mémo-risent seulement un ou deux risques encourus et 12,2 % despatients ne mémorisent aucun des risques encourus (Fig. 1).Enfin, en termes de risques encourus (Fig. 2), si 85,5 % desmalades mémorisent le risque encouru propre à la chirurgiede la glande thyroïde le plus fréquent (l’immobilité laryngéeunilatérale responsable de dysphonie), seulement 21,1 % desmalades mémorisent le risque encouru le plus rare mais leplus grave au plan fonctionnel (la paralysie laryngée bilaté-rale pouvant conduire à la réalisation d’une trachéotomie).

Pour les chirurgiens, ces données ne sont pas réellementnouvelles. Ainsi Roque et al. [8], dans une étude récente surla mémorisation du risque encouru lors de la réalisation d’uneendoscopie digestive, précisaient que l’information était consi-dérée comme angoissante dans 19,4 % des cas et comme unedécharge du médecin de ses responsabilités dans 41,1 % descas. Par ailleurs, le taux global moyen de mémorisation del’information sur les risques encourus varie de 27 % dans lachirurgie endoscopique digestive [8] à 29 % dans la chirurgiethoracique [9], 35 % dans la chirurgie plastique esthétique[10], 50,3 % dans la chirurgie des glandes thyroïdes et paro-tide [11], pour atteindre 57 % dans la chirurgie ophtalmolo-gique [12].

Au vu de ces données, il apparaît clairement que la réali-sation d’une information préopératoire sur les risques chirur-gicaux encourus « claire, loyale et adaptée » utilisant la com-munication orale met à l’heure actuelle le chirurgien spécialisédans la chirurgie de la glande thyroïde –– et par extension latrès grande majorité des chirurgiens –– dans une position trèsinconfortable dès lors que le geste chirurgical envisagé n’estni urgent ni indispensable mais simplement « conseillé » et« programmable ». En raison de cet inconfort le risque devoir évoluer la relation chirurgien-malade, classiquementhumaniste en France, vers une relation beaucoup plus consu-mériste de type nord-américain voire même défensive de lapart des chirurgiens nous semble loin d’être négligeable.Verrons-nous des chirurgiens renoncer à une indication opé-ratoire s’ils n’ont pas la certitude d’avoir été compris ?

Une telle évolution doit être combattue et plusieurs mesu-res peuvent être envisagées. La réalisation par le chirurgiende deux consultations en préopératoire est une option intéres-sante, permettant au patient de rediscuter « a froid » lors de ladeuxième consultation les risques et les avantages de l’optionthérapeutique proposée par le chirurgien, mais non dénuéed’un certain coût. L’apport et la pratique de l’informationécrite préopératoire doit être étudiés, diffusés et encouragés(une fiche d’information pouvant être distribuée lors de lapremière consultation puis discutée par le chirurgien lors dela seconde consultation en se laissant guider par les ques-tions du malade). Cette information écrite ne doit cependantpas être considérée comme la panacée. En effet Roque et al.[8], dans une étude publiée en 2003 évaluant l’opinion desmalades sur la formalisation du consentement éclairé par ladistribution d’une fiche écrite d’information avant la réalisa-

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tion d’une endoscopie digestive, notaient que la remise d’undocument écrit préalablement à la réalisation d’une endosco-pie digestive apparaissait « étonnante » à 22,2 % des maladeset « angoissante » à 18,5 % d’entre eux. Aussi, il nous sembleque les médecins –– et en particulier le médecin référent oule médecin de famille –– qui gèrent les patients en amont eten aval de l’intervention devraient participer à l’informationsur les risques chirurgicaux afin de tout faire pour réduirestress et angoisses induits le jour de la consultation préopé-ratoire lorsque le chirurgien aborde le risque geste chirurgi-cal. L’amélioration de la situation actuelle passe aussi par untrès important effort d’information qui doit porter sur tous lesacteurs de la santé (médecins, chirurgiens, enseignants, étu-diants, acteurs politiques, magistrats, avocats, experts, assu-reurs, journalistes, administratifs...). Cet effort d’informa-tion sur l’information médicale doit développer dans le grandpublic la notion que la chirurgie n’est pas un acte anodin etque la pratique d’une information préopératoire sur les ris-ques encourus témoigne de la qualité du chirurgien et de sonhonnêteté, d’une formation adaptée avec un haut niveau deconnaissances et non d’une attitude défensive voire perverse.Simultanément, et au vu de la très grande facilité d’accèsactuels à l’information médicale (internet), le malade devraitêtre maintenant considéré par tous –– y compris par lui-même –– comme un acteur responsable à part entière dans leprocessus qui conduit à la prise d’une décision thérapeutiquele concernant.

6. Le point de vue du médecin (Ph.T.)

L’étude réalisée dans le service d’otorhinolaryngologie etde chirurgie cervicofaciale de l’hôpital européen Georges-Pompidou repose sur une large cohorte (123 patients) adres-sée au même chirurgien pour un geste chirurgical pro-grammé non urgent au niveau de la glande thyroïde au décoursd’une longue période (18 mois). Ces données et le caractèreprospectif de ce travail sont intéressants. Cependant, commedans toute étude, plusieurs biais existent et doivent rendreprudent dans l’interprétation des résultats. Il convient ainside souligner l’hétérogénéité des médecins ayant adressé lespatients (endocrinologue : 72,4 %, médecin généraliste :15,4 % ; oto-rhino-laryngologiste : 4,1 %) ainsi que la trèsgrande variabilité du délai par rapport à la première consul-tation médicale (1 à 360 mois ; médiane 42 mois) et du nom-bre de consultations médicales (1 à 30 consultations ;médiane : 6 consultations) réalisées préalablement à l’entre-tien entre le chirurgien et le malade. Ces éléments conduisentà une grande variabilité dans la mémorisation initiale del’information et la réceptivité ultérieure au discours du chi-rurgien. De même, cette étude fait apparaître une grande varia-bilité quant à la durée de la consultation préopératoire (15 à50 minutes, médiane 25 minutes) qui ne peut qu’influer surle degré de mémorisation de l’information délivrée au patientpar le chirurgien. C’est à partir de ce constat que doivent êtreanalysés les résultats de ce travail.

Le chiffre de 14,6 % de refus de l’intervention en raisonde l’information sur les risques opératoires encourus est pré-occupant. L’existence d’une solution alterne qu’est la sur-veillance, la nouveauté que constitue cette approche pour lechirurgien (formé à une attitude beaucoup plus paternalistedu style « tout va bien se passer »), voire même des difficul-tés de communication chirurgien-patient sont des explica-tions qui peuvent être avancées pour expliquer ce pourcen-tage. Cependant, dans la recherche d’une explication au faitque près de un patient sur sept n’accepte pas le traitementproposé par le médecin et le chirurgien, en raison de l’infor-mation sur les risques chirurgicaux encourus, il convient sur-tout de prendre en compte le caractère extrêmement déstabi-lisant pour le patient de l’information délivrée par lechirurgien. Cette notion est objectivée par le fait que 41,9 %des patients opérés exprimaient en post-opératoire immédiatune perception négative (Tableau 1) quant à l’information déli-vrée en pré opératoire avec comme principal élément expriméla peur et/ou le stress généré par l’explication quant aux diversrisques encourus. Ces données sont contrebalancées par lefort pourcentage de perception positive quant à la l’informa-tion réalisés en préopératoire sur les risques inhérents à l’actechirurgical exprimée par les patients opérés qui atteint 87,6 %avec comme principal élément exprimée le souci d’êtreinformé (Tableau 1).

Au vu de cette apparente contradiction il convient de sedemander si l’opportunité ne serait pas de proposer la réali-sation d’une information en deux ou plusieurs temps. Il nefaut pas sous-estimer que la première démarche provient dumédecin référent, qui délivre déjà une information sur le plandes conséquences possibles sur le plan thérapeutique (« Doc-teur, vais-je devoir prendre un traitement médicamenteux parla suite ? »). Ne pourrait-on pas imaginer une notice d’infor-mation délivrée par le médecin pour que le patient la relisechez lui et qu’elle soit rediscutée dans un second temps avecle chirurgien ? Cette attitude favoriserait par ailleurs un réeltravail en équipe pour le plus grand bénéfice du patient. En cesens la question initiale fondamentale concerne le support del’information. Certes, il est important que le dialogue, doncla forme orale, existe et perdure mais on doit légitimement sedemander si le support écrit sous la forme d’une fiche d’infor-mation au malade ne devrait pas servir dans le futur de réfé-rent systématique à conserver à la fois par le chirurgien et lepatient.

7. Le point de vue de l’avocat (A.G.)

Le « point de vue » d’un avocat ici importe peu s’il secontente de soutenir une thèse, d’organiser une défense ou dedispenser des conseils. Il peut rester acceptable s’il fait abs-traction d’une démarche clientéliste (en défense des intérêtsd’un malade, d’un praticien, d’un établissement de soins,d’une société d’assurance ...). Il devient pertinent, si campantsur une position scientifique, aux antipodes des « discours »professionnels convenus, l’observation à partir d’une expé-

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rience déterminée de la relation juridique qui se noue entreles acteurs de soins médicaux est soumise aux exigences del’expertise [13,14].

Or, les constatations reproduites dans cette étude invitentl’expérience et l’expertise d’un praticien du droit qui, commed’autres, déplore un déficit d’informations sur l’informationliée aux actes de soins en général et en chirurgie en particu-lier. L’étude réalisée met en exergue le caractère anxiogèneet les insuffisances des modalités de transmission et de récep-tion de l’information sur une séquence chirurgicale fré-quente en France (chirurgie programmée pour pathologietumorale bénigne de la glande thyroïde). Appréhension etlacunes de la part des soignés et des soignants dès lors quedésormais une obligation de moyens liée aux informationsdues aux malades incombe au chirurgien : comment expli-quer, simplement, des gestes et un savoir technique alors quel’exercice de la chirurgie, difficile et exigeant, est tout à lafois facteur de risque et de guérison ? Que faut-il « mention-ner » au malade, comment et quand ? La modalité écrite est-elle indispensable et/ou accessoire, contraignante et/ou condi-tion du renforcement de la qualité des soins dès lors que l’actede soin ne se réduit pas à la mise en œuvre d’un simple savoiret d’une technique désincarnée ?

Chacun fait l’expérience du vertige de ces questions dèslors qu’il fait l’effort de prendre la mesure d’une incontesta-ble mutation des conditions d’exercice juridique de la méde-cine et de la chirurgie.

Aux nouveaux progrès de ces disciplines correspond unrenforcement des exigences en matière d’informations sur lesrisques. L’ensemble doit contribuer à l’amélioration de la qua-lité du système de santé et ne résume pas à un sentiment lar-gement entretenu d’une prétendue « dérive consumériste »de la médecine française. On relèvera que le titre exact de laloi no 2002–303 du 4 mars 2002 dite « loi des droits des mala-des » est « loi relative aux droits des malades et à la qualitédu système de santé » [2]. L’exercice de droits s’inscrit dansun « système qualitatif » au nom de garanties et de responsa-bilités renforcées qui incombent à tous les acteurs de la rela-tions de soins. L’article 11 de la dite loi, ignoré de la grandemajorité, dispose que « ...Les droits reconnus aux usagerss’accompagnent des responsabilités de nature à garantir lapérennité du système de santé et des principes sur lesquelsil repose... » [2].

Les exigences nouvelles qui pèsent sur les chirurgiens tel-les qu’elles résultent de la loi précitée du 4 mars 2002 et de lajurisprudence établie présentent un aspect éminemment théo-rique dès lors que le texte de loi lui-même fait abstraction descontraintes en termes de délivrance et de perception par lemalade de l’information médicale technique, de mémorisa-tion et d’évaluation. La loi a posé un principe général et imper-sonnel. Telle est par nature sa fonction sociale et politique,instrument de régulation des règles et des pratiques dans unétat de droit. Elle apparaît dès lors fort imparfaite au chirur-gien soumis à l’ordre des contingences scientifiques et maté-rielles qui ne réduisent pas à une équation théorique mais à lacasuistique, à la relation interpersonnelle avec le malade à

une pesée constante entre différents paramètres notammentrelationnels : degré de compréhension, qualité relationnelle,contraintes temporelles et économiques de l’exercice de lachirurgie ... La loi du 4 mars 2002 a prudemment renvoyé àl’Anaes. la question de l’évaluation des obligations qu’elleimpose aux soignants en matière d’information médicale :«... Des recommandations de bonne pratique sur la déli-vrance de l’information sont établies par l’Anaes et homo-loguées par arrêté du ministre du ministre de la santé...»[2]. De sorte que la voie est ainsi tracée d’une standardisationou d’une modélisation des procédures de « délivrance » del’information en la matière. Le cadre ainsi annoncé en 2002 estconforme aux recommandations que l’expertise et l’expé-rience commandaient. À savoir que tel que l’exprime l’Anaes[3] le recours à la procédure écrite s’il n’est pas obligatoireau sens légal du terme constitue un complément utile et idoine(l’article 11 de la loi [2], sur le seul terrain de la « preuve dela délivrance de l’information » et non de la pratique médi-cale et relationnelle, pose le principe suivant lequel cettepreuve peut être apportée par « tout moyen »). Le cadre de ladélivrance de l’information dite médicale est, en effet, tout àla fois :• une modalité relationnelle, au sens interpersonnel ;• un moyen de preuve, au sens juridique.

Cette dualité peut être source de confusion et/ou d’ambiguïtépratique. L’évolution des pratiques et des cadres procédu-raux pourrait donc conduire les chirurgiens à renforcer la qua-lité de leurs interventions sous forme :• d’entretiens personnalisés et d’échanges en continu d’infor-

mations dont la délivrance leur incombe ;• d’explications personnalisées portant sur des documents

écrits.Parce que la qualité de la pratique de la chirurgie est enjeu deprogrès et d’amélioration de la relations de soins. Parce qu’iln’est pas de « bonne chirurgie » sans une « bonne informa-tion » en amont et en aval de l’intervention technique.

8. Le point de vue du magistrat (A.B.)

Le grand intérêt de cette étude conduite en milieu hospitalo-universitaire réside dans le fait qu’elle est une parfaitedémonstration de l’extrême difficulté pour un médecin de rem-plir l’obligation d’information que la loi, la jurisprudence, etle code de déontologie font peser sur lui et dont le non-respect peut entraîner la mise en jeu de sa responsabilité pro-fessionnelle. Pourquoi une telle difficulté ? Probablementparce que l’obligation en cause implique la participation réci-proque de deux personnes radicalement différentes, par leurlangage, leur formation, leur vécu, leur psychologie : le méde-cin et le patient.

L’obligation d’informer qui pèse sur le seul praticien impli-que, pour être valablement remplie, l’indispensable partici-pation –– active et volontaire –– du patient, élément essentielque le médecin a le pouvoir de susciter, mais pas de maîtriser.Non seulement le praticien doit délivrer une information

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loyale, claire, précise, adaptée au niveau social et intellectuelde son patient –– ce qui exige de lui outre du temps, unefaculté d’expression qui n’est pas donnée à tous et une psy-chologie assez fine pour appréhender la personnalité de soninterlocuteur –– mais encore cette information doit être com-prise par le patient, ce qui exige de lui, outre la compréhen-sion du langage employé, une écoute attentive, la volontéd’être informé, la maîtrise d’une légitime émotivité, uneimportante faculté de mémorisation, tous éléments exté-rieurs au médecin et dont l’absence peut rendre vains sesefforts les plus méritoires de communication. Pour qu’uneinformation remplisse son plein objet, il faut qu’elle soit vala-blement donnée, mais aussi –– et surtout –– qu’elle soit vala-blement reçue, ce qui implique qu’elle soit acceptée, com-prise, assimilée, retenue, qu’elle ne constitue pas un élémentde perturbation pour le patient et qu’elle lui permette de for-muler en toute connaissance de cause le « consentement libreet éclairé » exigé par la loi, la jurisprudence et le code dedéontologie.

Lourde tâche ainsi pour le médecin que de remplir l’obli-gation d’information qui lui incombe et qui cristallise sur elletoutes les difficultés et tous les problèmes de communicationentre les praticiens et leurs patients, à une époque ou –– parles effets conjugués de la jurisprudence, du changement desmentalités et de la loi –– les rapports entre médecin et patientont, en quelques années, radicalement changé, jusqu’à fairede ce dernier, non plus l’objet qu’il était hier encore trop sou-vent, mais bien le sujet qui, comme le stipule la loi du 4 mars2002 [2] « prend avec le professionnel de santé et comptetenu des informations et des préconisations qu’il lui four-nit, les décisions concernant sa santé ».

Pour tenter de remplir cette obligation d’information, aussilourde qu’essentielle, qui pèse sur lui, il m’apparaît en conclu-sion que le praticien doit impérativement associer, à l’irrem-plaçable « entretien individuel » visé par la loi du 4 mars20022, une information complémentaire écrite –– par lui ou,de manière plus générale, par tout organisme professionnel

compétent ––, aussi complète, précise, intelligible par tous,que possible, avant que de pouvoir valablement recueillir–– après le temps de la réflexion –– le consentement vérita-blement réfléchi du patient, auquel doit toujours être recon-nue l’absolue maîtrise de son corps et de sa vie.

Références

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mandations pour la pratique clinique. Information des patients –Recommandations destinées aux médecins. Mars. 2000.

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