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EDITORIAL Int r t de I'angiographie c r brale pr coce dans les infarctus c r braux des sujets jeunes F. LISOVOSKI*, P. ROUSSEAUX** Rev Med Interne 1992 ; 13 : 339-340. On ~value I'incidence des infarctus c(~r~braux (IC) ~ environ 150/100000 habitants/an. Celle-ci varie de fa~on notable en fonction de la g~ographie et des ethnies. Les tranches d'~ge les plus ~lev~es sont les plus touch~es mais 3 % des IC surviennent chez des sujets jeunes (1). La r~partition ~tiologique des IC (2-4) et leur profil ~volutif varient selon I'~ge des malades justifiant que I'enqu~te ~tiologique soit men~e de fa~on diff~rente chez les sujets jeunes et les patients ~.g~s.De fair, chez les malades les plus jeunes se pose fr~quemment le probl~me d'une exploration angiographique c~r~brale. Mais I'imparfaite connaissance de I'int~r&t et du risque de cet examen en g?~neparfois I'indication. La question du d~lai de sa r~alisation apr~s I'IC a de Iongue date ~t~ soulev~e sans que puisse se d~gager un consensus parmi les partisans d'une exploration diff~r~e arguant d'une possible aggra- vation clinique secondaire et les adeptes d'une angiographie pr~coce. INTER/:T DE L'ANGIOGRAPHIE Ci~RI~BRALE Une grande h~t6rog~n6it6 6tiologique caract6rise les IC des sujets jeunes (5-8). La part revenant ~ des causes sanctionn~es par une th6rapeutique sp6cifique telles que des causes cardiaques, h~matologiques se r~v?~leplus importante chez ces malades (4) et ce fait incite ~ penser que les m~canismes pathog~niques en cause varient selon I'~ge. L'angiographie n'a que peu d'int~r~t Iorsque la cause de I'IC parait d'embl6e ~vidente. Toutefois, cette situation est moins fr~quente que I'on pourrait le supposer de prime abord. La proportion d'lC de sujets jeunes restant de cause ind~termin~e est ~valu~e ~ environ 20 % selon les 6tudes (2-4) et d6pend d'une part de la nature des investigations r~alis~es, d'autre part, des crit~res ~tiologiques retenus pour classer les malades. Ces crit?~resne sont pas standardis(~set peuvent diff~rer d'une 6tude ~ I'autre. Dans une s~rie publi~e de 148 patients de moins de 40 ans, une art6riographie c6r6brale r~alis6e dans tous les cas (4), s'est r~v~l~e anormale dans 98 cas (66,2 %). La classification des I~sions art~rielles a ~t~ 6tab[ie en fonction de * Clinique Neurologique Paul Castaigne (Pr DEHEN) ; H6pital Beaujon 100, Boulevard du G#n~ral Leclerc ; 92110 CLICHY. ** Service de Neurochirurgie (Pr GUYOT) ; H~pital Maison Blanche 45, Rue Cognacq-Jay ; 51092 REIMS C#dex. Correspondance : Dr F. LISOVOSKI ; Clinique Neurologique Paul Castaigne H6pital Beaujon ; 100, Boulevard du G~n~ral Leclerc ; 92110 CLICHY. leur aspect angiographique. Les embolies, I~sions les plus fr~- quemment rencontr6es, ont 6t6 identifi6es dans 38 cas (39 %). Les thrombosesont~t~ authentifi~esdans 28 cas(29 %), les an6vrismes diss6quants dans 15 cas (15 %) et I'ath~roscl~rose dans 17 cas (17 %). Ainsi, Iorsque la cause n'apparait pas ~vidente d~s le d~part, les donn~es angiographiques permettent dans 2/3 des cas soit led iagnostic ~tiologique en mettant en 6vidence uned issection art~rielle ou un ath~rome c~r~bral d iffus, soit u ne orientation vers une cause d'embolies ou de thromboses c~r~brales. LE DI~LAI DE RI~ALISATION DE L'ANGIOGRAPHIE CERI~BRALE Les images angiograph iques d'embolie sont parfois fugaces et peuvent donner lieu ~ une recanalisation secondaire de I'art~re. Ainsi, la rentabilit~ de cet examen d6pend en partie de sa pr~co- cit~ et une angiographie c6r6brale retard~e peut se r~v~ler n~gative par d6faut. L'embolie c~r~brale ~tant la I~sion la plus fr~quemment rencontr6e, il convient donc de proposer I'angio- graphie rapidement apr~s la survenue de I'accident. Cependant, un scanner c6r6bral constitue un pr~alable indispensable dans la mesure otJ il peut, s'il est tr~s pr6coce, mettre en 6vidence une occlusion art6rielle avec une sensibilit6 de l'ordre de 30 % (9). Dans l'~tude consid6r6e, 114 angiographies (77 %) ont 6t~ r6ali- s6es dans les 3 jours suivant I'IC, 146 (98,6 %) dans les 8 jours. LE RISQUE DE L'ANGIOGRAPHIE CI~RI~BRALE PRISCOCE La pratique d'un examen de contraste peu apr~s la survenue d'un IC a ~t~, et est encore jug6e dangereuse. Le risque est l i~ dans I'esprit de chacun d'une part ~ I'agressionvasculaire que repr~sente la ponction d'une art?~re de gros calibre, d'autre part ~ I'effet toxique potentiel du produit de contraste sur la I~sion isch~mique et plus particuli~rement sur la zone de p6nombre. Cette zone, dans laquelle existe souvent une perfusion dite de mis~re avec d~bit sanguin effondr6, est situ~e autour du foyer de n~crose. Des cellules nerveuses non d~truites mais d~pourvues d'activit~ ~lectrique y survivent. Ces cellules peuvent r~cup~rer cette fonction si la perfusion c~r~brale est r6tablie. C'est la crainte de Re~u le 23-3-1992 Renvoi pourcorrectionle 25-5-1992 Acceptationd6finitive le 03-7-1992 1992 - Tome Xlll Int£r~t de l'angiographie c~r~brale pr£coce clans les infarctus c~rdbraux des sujets jeunes 339 Num~ro 5

Intérêt de l'angiographie cérébrale précoce dans les infarctus cérébraux des sujets jeunes

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Page 1: Intérêt de l'angiographie cérébrale précoce dans les infarctus cérébraux des sujets jeunes

E D I T O R I A L

Int r t de I'angiographie c r brale pr coce dans les infarctus c r braux des sujets jeunes F. LISOVOSKI*, P. ROUSSEAUX**

Rev Med Interne 1992 ; 13 : 339-340.

On ~value I'incidence des infarctus c(~r~braux (IC) ~ environ 150/100000 habitants/an. Celle-ci varie de fa~on notable en fonction de la g~ographie et des ethnies. Les tranches d'~ge les plus ~lev~es sont les plus touch~es mais 3 % des IC surviennent chez des sujets jeunes (1). La r~partition ~tiologique des IC (2-4) et leur profil ~volutif varient selon I'~ge des malades justifiant que I'enqu~te ~tiologique soit men~e de fa~on diff~rente chez les sujets jeunes et les patients ~.g~s. De fair, chez les malades les plus jeunes se pose fr~quemment le probl~me d'une exploration angiographique c~r~brale. Mais I'imparfaite connaissance de I'int~r&t et du risque de cet examen en g?~ne parfois I'indication. La question du d~lai de sa r~alisation apr~s I'IC a de Iongue date ~t~ soulev~e sans que puisse se d~gager un consensus parmi les partisans d'une exploration diff~r~e arguant d'une possible aggra- vation clinique secondaire et les adeptes d'une angiographie pr~coce.

INTER/:T DE L'ANGIOGRAPHIE Ci~RI~BRALE Une grande h~t6rog~n6it6 6tiologique caract6rise les IC des

sujets jeunes (5-8). La part revenant ~ des causes sanctionn~es par une th6rapeutique sp6cifique telles que des causes cardiaques, h~matologiques se r~v?~le plus importante chez ces malades (4) et ce fait incite ~ penser que les m~canismes pathog~niques en cause varient selon I'~ge. L'angiographie n'a que peu d'int~r~t Iorsque la cause de I'IC parait d'embl6e ~vidente. Toutefois, cette situation est moins fr~quente que I'on pourrait le supposer de prime abord. La proportion d'lC de sujets jeunes restant de cause ind~termin~e est ~valu~e ~ environ 20 % selon les 6tudes (2-4) et d6pend d'une part de la nature des investigations r~alis~es, d'autre part, des crit~res ~tiologiques retenus pour classer les malades. Ces crit?~res ne sont pas standardis(~s et peuvent diff~rer d'une 6tude ~ I'autre. Dans une s~rie publi~e de 148 patients de moins de 40 ans, une art6riographie c6r6brale r~alis6e dans tous les cas (4), s'est r~v~l~e anormale dans 98 cas (66,2 %). La classification des I~sions art~rielles a ~t~ 6tab[ie en fonction de

* Clinique Neurologique Paul Castaigne (Pr DEHEN) ; H6pital Beaujon 100, Boulevard du G#n~ral Leclerc ; 92110 CLICHY. ** Service de Neurochirurgie (Pr GUYOT) ; H~pital Maison Blanche 45, Rue Cognacq-Jay ; 51092 REIMS C#dex.

Correspondance : Dr F. LISOVOSKI ; Clinique Neurologique Paul Castaigne H6pital Beaujon ; 100, Boulevard du G~n~ral Leclerc ; 92110 CLICHY.

leur aspect angiographique. Les embolies, I~sions les plus fr~- quemment rencontr6es, ont 6t6 identifi6es dans 38 cas (39 %). Les thrombosesont~t~ authentifi~esdans 28 cas(29 %), les an6vrismes diss6quants dans 15 cas (15 %) et I'ath~roscl~rose dans 17 cas (17 %). Ainsi, Iorsque la cause n'apparait pas ~vidente d~s le d~part, les donn~es angiographiques permettent dans 2/3 des cas soit led iagnostic ~tiologique en mettant en 6vidence u ned issection art~rielle ou un ath~rome c~r~bral d iffus, soit u ne orientation vers une cause d'embolies ou de thromboses c~r~brales.

LE DI~LAI DE RI~ALISATION DE L'ANGIOGRAPHIE CERI~BRALE

Les images angiograph iques d'embolie sont parfois fugaces et peuvent donner lieu ~ une recanalisation secondaire de I'art~re. Ainsi, la rentabilit~ de cet examen d6pend en partie de sa pr~co- cit~ et une angiographie c6r6brale retard~e peut se r~v~ler n~gative par d6faut. L'embolie c~r~brale ~tant la I~sion la plus fr~quemment rencontr6e, il convient donc de proposer I'angio- graphie rapidement apr~s la survenue de I'accident. Cependant, un scanner c6r6bral constitue un pr~alable indispensable dans la mesure otJ il peut, s'il est tr~s pr6coce, mettre en 6vidence une occlusion art6rielle avec une sensibilit6 de l'ordre de 30 % (9). Dans l'~tude consid6r6e, 114 angiographies (77 %) ont 6t~ r6ali- s6es dans les 3 jours suivant I'IC, 146 (98,6 %) dans les 8 jours.

LE RISQUE DE L'ANGIOGRAPHIE CI~RI~BRALE PRISCOCE

La pratique d'un examen de contraste peu apr~s la survenue d'un IC a ~t~, et est encore jug6e dangereuse. Le risque est l i~ dans I'esprit de chacun d'une part ~ I'agression vascu laire que repr~sente la ponction d'une art?~re de gros calibre, d'autre part ~ I'effet toxique potentiel du produit de contraste sur la I~sion isch~mique et plus particuli~rement sur la zone de p6nombre. Cette zone, dans laquelle existe souvent une perfusion dite de mis~re avec d~bit sanguin effondr6, est situ~e autour du foyer de n~crose. Des cellules nerveuses non d~truites mais d~pourvues d'activit~ ~lectrique y survivent. Ces cellules peuvent r~cup~rer cette fonction si la perfusion c~r~brale est r6tablie. C'est la crainte de

Re~u le 23-3-1992 Renvoi pour correction le 25-5-1992 Acceptation d6finitive le 03-7-1992

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transformer cette zone de p6nombre en foyer de n6crose qui fait fr6quemment diff6rer I'exploration angiographique. L'angio-lRM repr6sente une alternative int6ressante. Cependant, elle n'a pas encore acquis la r6solution spatiale, la s6lectivit6 et le caract&e dynamique que procure I'angiographie conventionnelle ou num6ris6e. Elle ne permet pas actuellement de surseoir ~ celle- ci (10) mais constitue une technique prometteuse pour I'avenir.

Parmi les 148 angiographies, 140 6taient des art6riographies dites conventionnelles r6alis6es par ponction carotidienne directe et/ou ponction hum6rale. Les 8 autres 6taient des angiographies digitalis6es effectu~es par voie art6rielle. Ces examens ont 6t6 r6alis6s pr6cocement mais en dehors du contexte de I'urgence susceptible d'en augmenter la morbidit6 par un manque de pr6paration ou des probl6mes d'ordre anesth6sique. Aucun accident li6 ~ I'angiographie n'a 6t6 ~ d6plorer dans cette s6rie. Aucune aggravation du d6ficit pr6existant n'a 6t6 constat6e dans les suites de I'examen. I1 est impossible de d6terminer indivi- duellement si le potentiel de r6cup6ration du d6ficit a 6t6 alt6r6 par la pr6cocit6de I'angiographie mais, une r6cup6ration fonction-

nelle compl6te ou la persistance d'un d6ficit mod6r6 compatible avec une vie autonome 6taient observ6s chez 66 % des patients au terme d'une moyenne de 27 mois de suivi 6volutif.

EN PRATIQUE

La connaissancede donn6es chiffr6es peut faciliter la conduite Menir concernant I'indication de I'angiographie c6r6brale devant un IC du sujet jeune. Celle-ci peut ~tre r6sum6e en 3 points :

1 ) Compte-tenu de [a grande h6t6rog6n6it6 6tiologique des IC du sujetjeune etde la proportion d'accidents demeurant de cause inconnue, I'angiographie c6r6brale repr6sente une 6tape diagnostique importante.

2) Elle doit ~tre r6alis6e pr6cocement apr6s la survenue de I'accident afin de ne pas m6connaRre des 16sions parfois fugaces et doit constamment ~tre pr6c6d6e d'un scanner c6r6bral.

3) L'existenced'un iC r6cent n'augmente pas sp6cifiquement le risque de I'art~riographie c6r6brale.

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340 F. LISOVOSKI et coll. La Revue de M~decine Interne Septembre - Octobre