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Presidents de s#ance .' A. GRUSON (Arras) et M. GIRAUDBIT (Gu#ret) I. Toxicologie hospitali re Mod#rateur : P. LAFARGUE (Paris) Aspects g n raux de la toxicologie analytique hospitali re P. LAFARGUE (Paris) Introduction Tout d'abord, il nous apparait necessaire de bien definir les domaines et les disciplines dans lesquels le toxicologue ana- lyste est sollicit&. Pour l'essentiel, et en dehors de cas particuliers et ponctuels, mais qui ne sont pas exceptionnels, les analyses toxico- 10giques seront mises en oeuwe, & l'h6pital, en : - t o x i c o l o g i e hospitali&re d'urgence, - suivi therapeutique, - expertise judiciaire, - hygiene et medecine du travail, -environnement et pollution en general. De prime abord, pour le non initie, il ne pourrait s'agir que de subtilites relevant de la semantique et/ou d'une tentative de classification un peu arbitraire. Apr~s tout, une analyse est une analyse. Seules, eventuellement, l'origine et la nature des pr&levements etant de nature differente. En r~alite, le terme generique de toxicologie hospitali&re rel&ve bien d'approches tr&s differentes, ayant chacune sa particularite. Par analogie et pour bien montrer la realite de ce qui ne p0urrait para~tre que subtilites, nous pourrions prendre l'exemple des etats diabetiques en clinique. Pour un m&me malade, l'approche du praticien sera differente selon qu'il s'agit du suivi et de la prise en charge du sujet diabetique ou bien de l'arrivee en reanimation medicale du re&me patient, 10rs d'un accident toujours redout&, lie ~ un d&sequilibre de son m~tabolisme glucidique. IIen va de m&me pour la toxicologie analytique. La finalit& de l'analyse & pratiquer va re@me obliger le toxico- 10gue analyste & faire un choix methodologique car, notam- ment, la specificite de la technique mise en oeuvre, la rapi- dit&d'obtention du resultat et la quantification des composes identifies apr&s avoir ete mis en evidence, ont un interat qui d@end, stricto sensu, de la finalite du resultat de l'analyse et du contexte dans lequel celle-ci a ete demand&e. N0us allons illustrer notre propos, ~ l'aide de quelques exemples appliques & la pratique quotidienne. 1. Toxicologie hospitali~re d'urgence Pour le plus grand nombre de praticiens, soit au sein marne du laboratoire de biologie, soit aux services pharmaceu- tiques, l'analyse d'urgence constitue le "pain quotidien". Dans une etape preliminaire et afin d'eviter de partir dans un protocole de type "peche & la ligne", sterile, coQteux, inefficace et surtout dangereux, il est necessaire de disposer d'un certain nombre de renseignements tels que : - les circonstances de l'intoxication (lieu, heure...), -la decouverte ou non, par les premiers intervenants, d'informations objectives et susceptibles de permettre une orientation des choix methodologiques (botte ou flacon de medicament, lettre, odeur...), - les signes cliniques qui, outre la mise en oeuvre d'un traite- ment symptomatique ou mieux specifique, imposeront une chronologie dans l'execution des examens qui seront prati- ques et un choix des milieux biologiques & prelever. Ainsi, si un sujet est decouvert dans le coma avec une hyper- tonie spontan@ ou diffuse, des placards erythemateux et des phlyct&nes aux points de pression, voire une couleur rouge vif de la peau sans signe de cyanose, il est bien evident que, en dehors d'une reanimation d'urgence sur les lieux m&me de la decouverte, le premier examen de toxicologie qui sera realise, et qui est d'ailleurs un dosage direct, est une determination de l'oxycarbonemie. Celle-ci permettra d'apprecier, notamment, l'importance de l'hypoxemie et justifiera une oxygenotherapie hyperbare. Si un autre sujet est lui aussi decouvert inanime, mais cette fois-ci, dans un coma hypotonique, avec abolition des reflexes osteo-tendineux et si, de plus, est notee une mydriase bilaterale avec conservation des reflexes photo- moteurs, on pensera & une intoxication par les carbamates. A propos des carbamates, il est tr&s important de faire remarquer qu'un certain nombre de publications concernant les causes m&dicamenteuses d'intoxication sont pour le moins fantaisistes et denuees de tout inter~t statistique, scientifique et epidemiologique. En effet, il est frequent de constater que les carbamates ne sont meme pas cites comme molecules & l'origine d'intoxication medicamen- teuse, dans le bilan d'activite de certains laboratoires. L'explication reside dans un manque de rigueur scientifique et, surtout, une tendance ~ ne mettre en oeuvre que des techniques faisant l'objet d'une commercialisation. Comme il est evident que l'on ne peut pas trouver ce que l'on ne cherche pas, l'absence de coffrets pr&ts ~ l'emploi constitue, pour quelques-uns, un moyen infaillible d'occulter une realite et de decredibiliser l'analyse toxicologique d'urgence, en particulier aux yeux des reanimateurs, qui sont nos principaux demandeurs. Les cliniciens savent bien que les carbamates representent encore, en 1995, une source non negligeable d'intoxica- tions aigu~s volontaires ou accidentelles. Revuefranqaise des laboratoires, fevrier/mars1996, N ° 282 95

Aspects généraux de la toxicologie analytique hospitalière

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Page 1: Aspects généraux de la toxicologie analytique hospitalière

Presidents de s#ance .' A. GRUSON (Arras) et M. GIRAUDBIT (Gu#ret)

I. Toxicologie hospitali re Mod#rateur : P. LAFARGUE (Paris)

Aspects g n raux de la toxicologie analytique hospitali re

P. LAFARGUE (Paris)

Introduction

Tout d'abord, il nous apparait necessaire de bien definir les domaines et les disciplines dans lesquels le toxicologue ana- lyste est sollicit&. Pour l'essentiel, et en dehors de cas particuliers et ponctuels, mais qui ne sont pas exceptionnels, les analyses toxico- 10giques seront mises en oeuwe, & l'h6pital, en : - t o x i c o l o g i e hospitali&re d'urgence, - suivi therapeutique, - expertise judiciaire, - hygiene et medecine du travail, -environnement et pollution en general. De prime abord, pour le non initie, il ne pourrait s 'agir que de subtilites relevant de la semantique e t /ou d 'une tentative de classification un peu arbitraire. Apr~s tout, une analyse est une analyse. Seules, eventuellement, l 'origine et la nature des pr&levements etant de nature differente. En r~alite, le terme generique de toxicologie hospitali&re rel&ve bien d 'approches tr&s differentes, ayant chacune sa particularite. Par analogie et pour bien montrer la realite de ce qui ne p0urrait para~tre que subtilites, nous pourrions prendre l'exemple des etats diabetiques en clinique. Pour un m&me malade, l 'approche du praticien sera differente selon qu'il s'agit du suivi et de la prise en charge du sujet diabetique ou bien de l'arrivee en reanimation medicale du re&me patient, 10rs d'un accident toujours redout&, lie ~ un d&sequilibre de son m~tabolisme glucidique. II en va de m&me pour la toxicologie analytique. La finalit& de l 'analyse & pratiquer va re@me obliger le toxico- 10gue analyste & faire un choix methodologique car, notam- ment, la specificite de la technique mise en oeuvre, la rapi- dit& d'obtention du resultat et la quantification des composes identifies apr&s avoir ete mis en evidence, ont un interat qui d@end, stricto sensu, de la finalite du resultat de l 'analyse et du contexte dans lequel celle-ci a ete demand&e. N0us allons illustrer notre propos, ~ l'aide de quelques exemples appliques & la pratique quotidienne.

1. Toxicologie hospitali~re d'urgence

Pour le plus grand nombre de praticiens, soit au sein marne du laboratoire de biologie, soit aux services pharmaceu- tiques, l'analyse d 'urgence constitue le "pain quotidien".

Dans une etape preliminaire et afin d'eviter de partir dans un protocole de type "peche & la ligne", sterile, coQteux, inefficace et surtout dangereux, il est necessaire de disposer d 'un certain nombre de renseignements tels que : - les circonstances de l 'intoxication (lieu, heure...), - l a decouverte ou non, par les premiers intervenants, d ' informations objectives et susceptibles de permettre une orientation des choix methodologiques (botte ou flacon de medicament, lettre, odeur...), - les signes cliniques qui, outre la mise en oeuvre d 'un traite- ment symptomatique ou mieux specifique, imposeront une chronologie dans l 'execution des examens qui seront prati- ques et un choix des milieux biologiques & prelever. Ainsi, si un sujet est decouvert dans le coma avec une hyper- tonie spontan@ ou diffuse, des placards erythemateux et des phlyct&nes aux points de pression, voire une couleur rouge vif de la peau sans signe de cyanose, il est bien evident que, en dehors d 'une reanimation d 'urgence sur les lieux m&me de la decouverte, le premier examen de toxicologie qui sera realise, et qui est d'ailleurs un dosage direct, est une determination de l 'oxycarbonemie. Celle-ci permet t ra d 'apprecier , notamment , l ' importance de l 'hypoxemie et justifiera une oxygenotherapie hyperbare. Si un autre sujet est lui aussi decouvert inanime, mais cette fois-ci, dans un coma hypotonique, avec abolition des reflexes osteo-tendineux et si, de plus, est notee une mydriase bilaterale avec conservation des reflexes photo- moteurs, on pensera & une intoxication par les carbamates. A propos des carbamates, il est tr&s important de faire remarquer qu'un certain nombre de publications concernant les causes m&dicamenteuses d'intoxication sont pour le moins fantaisistes et denuees de tout inter~t statistique, scientifique et epidemiologique. En effet, il est frequent de constater que les carbamates ne sont m e m e pas cites c o m m e molecules & l'origine d'intoxication medicamen- teuse, dans le bilan d'activite de certains laboratoires. L'explication reside dans un manque de rigueur scientifique et, surtout, une tendance ~ ne mettre en oeuvre que des techniques faisant l'objet d 'une commercialisation. C o m m e il est evident que l 'on ne peut pas trouver ce que l 'on ne cherche pas, l 'absence de coffrets pr&ts ~ l 'emploi constitue, pour quelques-uns, un moyen infaillible d'occulter une realite et de decredibiliser l 'analyse toxicologique d'urgence, en particulier aux yeux des reanimateurs, qui sont nos principaux demandeurs. Les cliniciens savent bien que les carbamates representent encore, en 1995, une source non negligeable d'intoxica- tions aigu~s volontaires ou accidentelles.

Revue franqaise des laboratoires, fevrier/mars1996, N ° 282 95

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Lorsque l'on a opere avec rigueur et methode et que, de ce fait, on a trouve la molecule susceptible d'expliquer le tableau clinique, le travail est-il termine pour autant ? Bien evidemment non. Chacun sait que, tres souvent, les intoxications sont polymedicamenteuses. Aussi, il va falloir, apr&s avoir recherche, identifie et eventuellement quantifie le ou la famille de toxiques qui sont les principaux respon- sables du tableau clinique observe, ou dont l'expression est la plus precoce, mettre en oeuvre une methodologie ration- nelle et systematique, pour rechercher les autres toxiques eventuellement presents et qui peuvent avoir un effet poten- tialisateur ou poser probleme au niveau de la reanimation et/ou de la prescription therapeutique. Seuls, les laboratoires bien organises, suffisamment equipes et disposant d'un personnel de permanence bien forme, peuvent pretendre pratiquer une toxicologie d'urgence digne de ce nora. En effet, si l'analyse se resume, de fagon tres restrictive, & la seule mise en oeuvre de techniques commercialisees, le res- ponsable du laboratoire s'expose ~ de serieux deboires et, plus grave, risque non seulement de se discrediter scientifi- quement, mais aussi de devenir dangereux. L'analyse toxicologique d'urgence ne se justifie, en effet, que si le reanimateur accorde credit ~ la fiabilite des resultats ren- dus par le laboratoire, que ce soit pour l'aider dans son diag- nostic ou pour confirmer, voire infirmer celui-ci. Si les demarches analytiques doivent toujours etre rigou- reuses et sensiblement identiques, les techniques & mettre en oeuvre doivent, en revanche, tenir compte de l'inter&t cli- nique des resultats qui seront obtenus. Or, l'identification univoque d'un compose medicamenteux depend de la famille & laquelle il appartient. En effet, s'il est interessant d'identifier un derive barbiturique pour connaftre sa rapidite d'action et celle de son elimina- tion, celles-ci pouvant intervenir au niveau du geste thera- peutique, en revanche, les phenothiazines, les dibenzoaze- pines ou les benzodiazepines, pour ne citer que ces quelques familles medicamenteuses, presentent, de fagon schema- tique, une toxicite identique pour chacune des molecules qui composent ces trois series chimiques. Ainsi, pour le premier groupe de composes, il faudra dispo- ser de techniques qui permettre une bonne s@aration, pour une identification certaine de la molecule responsable de l'intoxication. Dans le second cas, une simple reaction de groupe sera suf- fisante, ce qui ne signifie pas, contrairement & ce que cer- tains pensent, que ce type de reaction peut manquer de spe- cificite. La reaction de groupe ne permet pas d'identifier les differents composes qui appartiennent au groupe, mais doit &tre bien evidemment specifique du groupe.

2. Expertise judiciaire

Nous ne prendrons qu'un exemple pour illustrer la com- plexite de l'approche intellectuelle accompagnant les ana- lyses toxicologiques et la necessite de les situer dans "leur contexte. En reanimation medicale, il importe peu de savoir precise- ment quel est le compose qui est & l'origine d'une intoxica- tion de type morphinique. En effet, l'ensemble des mole- cules morphiniques (antalgiques, antitussifs) est responsable d'une depression respiratoire, qui represente le risque majeur de ce type d'intoxication. Aussi, le geste therapeutique essentiel consiste en une reani- mation respiratoire qui s'impose toujours et l'administration d'antagonistes comme la nalorphine ou la pentazocine qui aident & combattre la depression respiratoire. En toxicologie hospitaliere d'urgence, la mise en oeuvre d'une reaction de groupe est suffisante. Le plus souvent, on utilise une methode immunologique, dans laquelle l'anti- corps reconna~t l'ensemble des structures morphiniques.

En revanche, dans le cadre du d@istage ou de la confirma- tion d'une toxicomanie, il est fondamental de pouvoir identi- fier le compose present dans les milieux biologiques. La pre- sence de 6-monoacetylmorphine n'a, bien entendu, pas la m&me signification que celle de codeine ou de codethyline. Sans envisager les difficultes d'interpretation liees aux bio- transformations des antitussifs de structure morphinique, on mesure donc l'importance du choix methodologique qui doit preceder l'analyse toxicologique proprement dite. Ainsi, pour l'herdfne, l'identification du compose peut ne presenter que peu d'interet en reanimation medicale, alors qu'elle est fondamentale pour confirmer une toxicomanie. Rappelons, & ce sujet, que la presence de derives morphi- niques dans les milieux biologiques ne permet, en aucun cas, de conclure & la prise d'hero'fne, s'il est impossible de mettre en evidence de la 6-monoacetylmorphine. On pourra tou- jours avoir des doutes dus & la presence de traces multiples d'injections et d'un myosis serre, mais il sera impossible de conclure & une toxicomanie, lice ~ la consommation d'herd/ne.

3. Le suivi th6rapeutique

En clinique et en dehors des programmes methadone, l'ana- lyste doit mettre en oeuvre des techniques specifiques, sen- sibles et quantitatives. Rappelons que la posologie est adap- tee au rendu des resultats, ce qui justifie l'importance grandissante de ce type d'activite. L'inter&t etant perqu par l'ensemble des parties prenantes, y compris les industriels, on comprend des Iors que ces der- niers proposent et commercialisent des methologies qui donnent satisfaction. Pour ce qui concerne les autres domaines de l'analyse toxi- cologique, & savoir : l'hygi~ne, la medecine du travail, l'envi- ronnement, etc., s'il existe des difficultes d'ordre strictement analytique, liees en particulier aux faibles concentrations ou

la complexite des matrices, les analystes appeles & les rea- liser, dans le cadre normal de l'activite de leurs laboratoires, sont suffisamment experimentes et organises, pour ne pas &tre pris au depourvu et se trouver dans des situations diffi- ciles.

Conclusion

Pour respecter, autant que faire ce peut, le temps qui m'a ete imparti, j'arreterai l& les exemples qui illustrent le quoti- dien de l'activite des laboratoires de toxicologie hospitaliere. Si, bien entendu, je n'ai dresse qu'un tableau partiel et donc incomplet', celui-ci est cependant suffisamment eloquent pour faire prendre conscience aux responsables, y compris de l'administration et de l'enseignement, que la toxicologie analytique est une discipline & part entiere, qui ne peut que se developper, compte tenu des domaines dans lesquels elle est appelee/~ s'exercer. A c e titre, elle merite donc d'etre reconnue comme telle et fait partie integrante des sciences pharmaceutiques et biologiques. Elle justifie donc pleine- ment un enseignement universitaire digne de ce nom, adapte & sa specificite et qu'il est urgent de realiser. L'expe- rience montre, par le truchement de l'evaluation exteme de la qualite, qu'en toxicologie analytique, m&me hospitaliere, n'importe qui peut faire n'importe quoi et, malheureuse- ment, quelques-uns ne s'en privent pas. II ne s'agit, en aucun cas, de propos provocateurs ou pessi- mistes, mais simplement d'une constatation, & savoir que la seule bonne volonte ne suffit plus pour pratiquer l'analyse toxicologique au niveau qu'elle merite. La science infuse n'existant pas, il faut donc oeuvrer pour que tous ceux qui, nombreux, motives, competents et qui le desirent, puissent acquerir, autrement que par le bouche ~ oreille, l'ensemble des connaissances theoriques et pratiques devenues indis- pensables & l'exercice de l'analyse toxicologique hospitaliere.

96 Revue frangaise des laboratoires, f~vrier/mare1996, N ° 282