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F. Bruneel 234 | La Lettre de l’Infectiologue Tome XXVII - n° 6 - novembre-décembre 2012 DOSSIER THÉMATIQUE Paludisme Paludisme grave d’importation de l’adulte : quoi de neuf ? Severe imported malaria in adults: what's up? F. Bruneel 1 , V. Laurent 1 , J.P. Bedos 1 , M. Wolff 2 1 Service de réanimation médico- chirurgicale, centre hospitalier de Versailles, hôpital André-Mignot, Le Chesnay. 2 Service de réanimation médicale et infectieuse, hôpital Bichat-Claude Bernard, Paris. L e paludisme d’importation est une infection à laquelle il faut penser devant tout symptôme évocateur (fièvre, frissons, myalgies, asthénie, troubles digestifs, céphalées, signes respiratoires, a fortiori signes de gravité) de retour d’un séjour en zone d’endémie palustre, afin de confirmer le diagnostic et d'instaurer en urgence le traitement. Nous aborderons dans cet article les principales nouveautés cliniques et thérapeutiques concernant le paludisme grave d’importation. Épidémiologie du paludisme grave : des progrès sur le plan mondial Dans ce numéro thématique, les données épidé- miologiques détaillées dans le premier article soulignent les progrès réalisés sur le plan mondial dans la lutte contre ce fléau, avec une baisse signi- ficative de la mortalité au cours des 10 dernières années (1). La grande majorité des accès palustres graves surviennent toujours lors d’une infection à Plasmodium falciparum. Néanmoins, la littérature récente souligne des cas graves à P. vivax, surtout en Asie, caractérisés par une anémie profonde chez l’en- fant et par la survenue de décès chez l’adulte, le plus souvent en rapport avec un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) [2]. Une cinquième espèce plasmodiale humaine, P. knowlesi, a été récemment décrite en Malaisie, et reste à ce jour circonscrite dans cette région du monde. Cette espèce, difficile à différencier de P. malariae à la lecture du frottis- goutte épaisse (intérêt de la PCR), peut être à l’ori- gine de cas graves (atteintes hépatique et rénale, hyperparasitémie), parfois mortels (3). Enfin, de rares cas de paludisme grave ont été décrits récemment avec P. malariae, mais les 2 patients présentaient des polymorphismes génétiques les rendant probable- ment particulièrement sensibles (4, 5). Concernant le paludisme d’importation, la France métropolitaine est le pays qui compte le plus de cas (compte tenu de nos rapports historiques avec l’Afrique subsaharienne), loin devant l’Angleterre et les États-Unis, avec environ 4 000 cas par an dont 7 % d’accès graves rapportés, en grande majorité à P. falciparum, responsable de 20 à 30 décès par an (6). Définitions du paludisme grave : de l’OMS aux recommandations françaises Les critères de gravité du paludisme, définis en 1990 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et concernant essentiellement le paludisme en zone tropicale, ont été révisés en 2000 (7), puis en 2010 (8). Le paludisme grave est ainsi défini par une parasitémie positive (formes asexuées) à P. falciparum associée à au moins 1 critère clinique ou biologique de gravité. Parallèlement aux évolutions des définitions de l’OMS, cette définition a été révisée par un groupe d’experts français en 2007 pour aboutir à l’élaboration d’une définition du paludisme grave d’importation de l’adulte, d’utilisation plus adaptée à la prise en charge des patients dans un contexte européen de soins (tableau) [6]. Cette définition française du palu- disme grave d’importation respecte la présentation de l’OMS, mais le libellé ainsi que la fréquence ou la valeur pronostique de certains critères ont été adaptés aux données récentes de la littérature concernant le paludisme d’importation (ces modifications sont en rouge dans le tableau). Selon les pays où les médecins sont susceptibles de prendre en charge des cas de paludisme d’importation, les définitions du paludisme grave peuvent varier, notamment en Europe. Cette

Paludisme grave d’importation de l’adulte : quoi de neuf · En termes de traitement curatif de l’accès palustre grave, le plus notable des progrès de ces dernières années

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F. Bruneel

234 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVII - n° 6 - novembre-décembre 2012

DOSSIER THÉMATIQUEPaludisme

Paludisme grave d’importation de l’adulte : quoi de neuf ?Severe imported malaria in adults: what's up?

F. Bruneel1, V. Laurent1, J.P. Bedos1, M. Wolff2

1 Service de réanimation médico-chirurgicale, centre hospitalier de Versailles, hôpital André-Mignot, Le Chesnay. 2 Service de réanimation médicale et infectieuse, hôpital Bichat-Claude Bernard, Paris.

Le paludisme d’importation est une infection à laquelle il faut penser devant tout symptôme évocateur (fièvre, frissons, myalgies, asthénie,

troubles digestifs, céphalées, signes respiratoires, a fortiori signes de gravité) de retour d’un séjour en zone d’endémie palustre, afin de confirmer le diagnostic et d'instaurer en urgence le traitement. Nous aborderons dans cet article les principales nouveautés cliniques et thérapeutiques concernant le paludisme grave d’importation.

Épidémiologie du paludisme grave : des progrès sur le plan mondialDans ce numéro thématique, les données épidé-miologiques détaillées dans le premier article soulignent les progrès réalisés sur le plan mondial dans la lutte contre ce fléau, avec une baisse signi-ficative de la mortalité au cours des 10 dernières années (1). La grande majorité des accès palustres graves surviennent toujours lors d’une infection à Plasmodium falciparum. Néanmoins, la littérature récente souligne des cas graves à P. vivax, surtout en Asie, caractérisés par une anémie profonde chez l’en-fant et par la survenue de décès chez l’adulte, le plus souvent en rapport avec un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) [2]. Une cinquième espèce plasmodiale humaine, P. knowlesi, a été récemment décrite en Malaisie, et reste à ce jour circonscrite dans cette région du monde. Cette espèce, difficile à différencier de P. malariae à la lecture du frottis-goutte épaisse (intérêt de la PCR), peut être à l’ori-gine de cas graves (atteintes hépatique et rénale, hyperparasitémie), parfois mortels (3). Enfin, de rares cas de paludisme grave ont été décrits récemment avec P. malariae, mais les 2 patients présentaient des

polymorphismes génétiques les rendant probable-ment particulièrement sensibles (4, 5). Concernant le paludisme d’importation, la France métropolitaine est le pays qui compte le plus de cas (compte tenu de nos rapports historiques avec l’Afrique subsaharienne), loin devant l’Angleterre et les États-Unis, avec environ 4 000 cas par an dont 7 % d’accès graves rapportés, en grande majorité à P. falciparum, responsable de 20 à 30 décès par an (6).

Définitions du paludisme grave : de l’OMS aux recommandations françaisesLes critères de gravité du paludisme, définis en 1990 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et concernant essentiellement le paludisme en zone tropicale, ont été révisés en 2000 (7), puis en 2010 (8). Le paludisme grave est ainsi défini par une parasitémie positive (formes asexuées) à P. falciparum associée à au moins 1 critère clinique ou biologique de gravité. Parallèlement aux évolutions des définitions de l’OMS, cette définition a été révisée par un groupe d’experts français en 2007 pour aboutir à l’élaboration d’une définition du paludisme grave d’importation de l’adulte, d’utilisation plus adaptée à la prise en charge des patients dans un contexte européen de soins (tableau) [6]. Cette définition française du palu-disme grave d’importation respecte la présentation de l’OMS, mais le libellé ainsi que la fréquence ou la valeur pronostique de certains critères ont été adaptés aux données récentes de la littérature concernant le paludisme d’importation (ces modifications sont en rouge dans le tableau). Selon les pays où les médecins sont susceptibles de prendre en charge des cas de paludisme d’importation, les définitions du paludisme grave peuvent varier, notamment en Europe. Cette

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La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVII - n° 6 - novembre-décembre 2012 | 235

Points forts » Le paludisme grave d’importation est une infection potentiellement fatale, en grande majorité liée à

Plasmodium falciparum. » La définition du paludisme grave d’importation, tant chez l’adulte que chez l’enfant, a été actualisée et

adaptée au contexte européen en 2007, puis publiée en 2008 dans le cadre des recommandations françaises pour la prise en charge du paludisme d’importation.

» Au moindre doute d’accès palustre grave, la situation doit être évaluée avec un réanimateur pour décider des modalités de la prise en charge, le plus souvent en réanimation.

» En France et en Europe, le traitement classique de référence du paludisme grave était la quinine i.v. » Nous disposons en France, depuis mai 2011 (en ATU), de l’artésunate i.v. qui est supérieur à la quinine au

cours du paludisme grave. Soumis à une pharmacovigilance stricte, ce traitement va supplanter la quinine.

Mots-clésPaludisme gravePlasmodium falciparumRéanimationArtésunateQuinine

Highlights » Severe imported malaria,

mostly related to Plasmodium falciparum, is potentially fatal.

» The definition of severe imported malaria, in adults and children, has been actual-ized and adapted to European context in 2007, then published in 2008 in the French guide-lines for the management of imported malaria.

» I f seve re ma la r ia i s suspected, the patient must be evaluated by a critical care specialist to determine how and where he should be managed - most frequently in the ICU.

» In France and Europe, quinine i.v. has been the gold standard for treatment of severe malaria until 2011.

» Since May 2011, in France, artesunate i.v. is available on request (temporary authori-zation of use), and has been demonstrated to be superior to quinine in terms of mortality. Artesunate is expected to gradually replace quinine for treatment of severe malaria.

KeywordsSevere Malaria

Plasmodium falciparum

Critical Care

Artesunate

Quinine

constatation fait souligner l’importance d’une homo-généisation du diagnostic et de la prise en charge du paludisme d’importation au niveau européen (9). Concernant le diagnostic parasitologique, celui-ci doit être réalisé en priorité par frottis mince et goutte épaisse (6). En effet, même si les tests de diagnostic rapide se développent et deviennent de plus en plus performants (10), ils ne permettent pas actuellement d’évaluer la parasitémie et peuvent se révéler faussement négatifs en cas de parasitémie élevée et lors d’accès à P. ovale ou P. knowlesi (11).Compte tenu des données de la littérature concer-nant le paludisme grave d’importation, les critères OMS les plus pertinents dans notre contexte de soins sont l’atteinte neurologique, l’état de choc, la détresse respiratoire et l’acidose métabolique.

Les critères comme l’insuffisance rénale, l’hyperpa-rasitémie (aux seuils de 2, 4 ou 5 %), l’ictère et le saignement anormal sont fréquents mais de moindre valeur pronostique. Enfin, les critères d’hypoglycémie, d’anémie, et d’hémoglobinurie macroscopique sont peu fréquents et moins pertinents sur le plan pronos-tique (6, 12). La valeur de ces différents critères a été renforcée et précisée par une étude récente, qui a pu colliger 400 cas de paludisme grave de l’adulte pris en charge en France dans 45 centres de réanimation, ce qui représente à ce jour la plus importante série de paludisme grave d’importation de l’adulte. En analyse multivariée, les facteurs prédictifs de la mortalité à l’admission en réanimation étaient : l’âge, la profon-deur de l’atteinte neurologique et la parasitémie (13). Concernant cette dernière, le risque était augmenté

Tableau. Paludisme grave d’importation de l’adulte : définition en France métropolitaine (6).

Pronostic Critères de gravité Fréquence

+++* Toute défaillance neurologique incluant : obnubilation, confusion, somnolence, prostrationComa avec score de Glasgow < 11

+++

+++ Toute défaillance respiratoire incluant : si VM ou VNI : PaO2/FiO2 < 300 mmHg Si non ventilé PaO2 < 60 mmHg et/ou SpO2 < 90 % en air ambiant et/ou FR > 32/mn Signes radiologiques : images interstitielles et/ou alvéolaires

+

+++ Toute défaillance cardiocirculatoire incluant : pression artérielle systolique < 80 mmHg en présence de signes périphériques d’insuf-fisance circulatoire Patient recevant des drogues vasoactives quel que soit le chiffre de pression artérielle Signes périphériques d’insuffisance circulatoire sans hypotension

++

++ Convulsions répétées : au moins 2 par 24 h +

++ Hémorragie : définition purement clinique +

+ Ictère : clinique ou bilirubine totale > 50 µmol/l +++

+ Hémoglobinurie macroscopique +

+ Anémie profonde : hémoglobine < 7 g/dl, hématocrite < 20 % +

+ Hypoglycémie : glycémie < 2,2 mmol/l +

+++ Acidose : bicarbonates plasmatiques < 15 mmol/l ou acidémie avec pH < 7,35 (surveillance rapprochée dès que bicarbonates < 18 mmol/l)

++

+++ Toute hyperlactatémie : dès que la limite supérieure de la normale est dépassée. A fortiori si lactate plasmatique > 5 mmol/l

++

+ Hyperparasitémie : dès que parasitémie > 4 %, notamment chez le non-immun (selon les contextes, les seuils de gravité varient de 4 à 20 %)

+++

++ Insuffisance rénale : créatininémie > 265 µmol/l ou urée sanguine > 17 mmol/l, et diurèse < 400 ml/24 h malgré la réhydratation

+++

FR : fréquence respiratoire ; VM : ventilation mécanique ; VNI : ventilation non invasive.*Les caractères en rouge signalent les modifications des recommandations françaises  (6) par rapport aux recommandations de l’OMS (7, 8).

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Paludisme grave d’importation de l’adulte : quoi de neuf ?DOSSIER THÉMATIQUE

Paludisme

de 1,4 fois pour chaque accroissement de 5 %, et le seuil le plus pertinent pour prédire la mortalité était celui de 15 % (13). La valeur-seuil de la parasitémie pour définir la gravité fait l’objet d’un débat important. En effet, les dernières recommandations de l’OMS stipulent le seuil de 2 % chez le sujet non immun et celui de 5 % chez le semi-immun (8), et il est vrai que des cas d’évolution fatale ont pu être décrits avec des parasitémies faibles à l’admission (6).

Savoir orienter un adulte suspect de paludisme graveC’est un des progrès des recommandations fran-çaises récentes (6) que d’avoir codifié l’orientation des patients suspects de paludisme grave, afin d’opti-miser leur prise en charge initiale, notamment dans les services d’urgence, moment critique qui ne doit pas laisser de place aux tergiversations. Tout paludisme à P. falciparum de l’adulte qui présente au moins 1 des critères du tableau doit être évalué avec le réanimateur pour envisager l’orien-tation et commencer rapidement le traitement (6).En unité de réanimation seront initialement pris en charge les patients présentant : coma (score de Glasgow < 11), convulsions répétées, défaillance respira-toire, défaillance cardiocirculatoire, acidose métabolique et/ou hyperlactatémie, hémorragie grave requérant la transfusion sanguine, insuffisance rénale imposant l’hémodialyse, hyperparasitémie isolée > 15 % (6).En unité de surveillance continue de réanimation seront pris en charge les patients moins sévères mais à risque d’aggravation rapide : simple confusion/obnubilation, convulsion isolée, hémorragie mineure (épistaxis non compliquée), ictère franc isolé, hyperparasitémie isolée (en règle de 10 à 15 %), insuffisance rénale modérée, anémie isolée bien tolérée. Dans ce type d’unité pour-ront aussi être pris en charge initialement les patients sans signe de gravité stricto sensu mais fragiles : patients âgés, avec comorbidités, présentant une infection bacté-rienne associée, voire patients nécessitant un traitement par quinine i.v., notamment les femmes enceintes (6).

Traitement du paludisme grave

Traitement curatif : l’avènement de l’artésunate i.v.

Le traitement curatif du paludisme grave impose une molécule “parasiticide” et la voie intraveineuse durant les premiers jours.

En France, jusqu’en 2011, le traitement de référence du paludisme grave reposait sur la quinine i.v. Le schéma thérapeutique par quinine chlorhydrate i.v. comprend une dose de charge initiale de 16 mg/kg en 4 heures, suivie d’une interruption de 4 heures, puis le relais est pris en i.v. en continu à la dose de 24 mg/kg/j. La durée du traitement est de 7 jours chez le sujet non immun. Les modalités détaillées d’utilisation de la quinine sont exposées dans les recommandations françaises (6).En termes de traitement curatif de l’accès palustre grave, le plus notable des progrès de ces dernières années est sans aucun doute la disponibilité en France, depuis mai 2011, de l’artésunate i.v. (14) actuellement en autorisation temporaire d’utilisation (ATU). Sa disponibilité en France (cf. article “Traitement par l’artésunate i.v. en France”), mais aussi dans plusieurs pays d’Europe (9) et aux États-Unis, devrait permettre de progresser, particulièrement dans la prise en charge des accès palustres les plus graves. Cette molécule est la plus performante parmi les différents dérivés de l’artémisinine, et 2 grandes études menées en zone d’endémie ont montré sa supériorité sur la quinine, ainsi qu’une meilleure tolérance et une plus grande facilité d’utilisation (15, 16). Dans une mise à jour datée d’avril 2011, les recommandations thérapeutiques de l’OMS ont donc clairement placé l’artésunate i.v. en première ligne devant la quinine, tant chez l’adulte que chez l’enfant (17). Au cours du paludisme grave d’importation, les données récem-ment publiées en Europe et aux États-Unis rapportent 121 patients dont 4 décès (3,3 %) [18-22]. Il est clair que le nombre de patients traités par artésunate i.v. pour un paludisme grave va maintenant augmenter rapidement en Europe, et particulièrement en France. Dans ce contexte, la mortalité sera évaluée de façon plus pertinente, et probablement un peu plus élevée, de l’ordre de 5 %. Par ailleurs, il faut préciser que les 2 dernières études (21, 22) soulignent néanmoins la survenue d’anémies hémolytiques retardées dans 13 cas (16 %). Ces données seront abordées plus largement dans l’article “Traitement par l’artésu-nate i.v. en France”. En France, l’artésunate i.v. est disponible sous la forme de flacons de 60 mg. Cette prescription ne concerne que le paludisme grave de l’adulte et de l’enfant (selon la définition française) [tableau, p. 235], et est encadrée par un protocole d’utilisation thérapeutique et de recueil d’informa-tion (PUT), disponible sur les sites de l'Agence natio-nale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) [http://ansm.sante.fr/]ou du Centre national de référence du paludisme (CNR paludisme) [www.cnrpalu-france.org]. L’idéal est de commencer

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DOSSIER THÉMATIQUE

d’emblée le traitement de l’accès palustre grave par l’artésunate i.v. Le schéma thérapeutique est de 2,4 mg/kg à H0, H12, H24, H48 et H72. Si l’arté-sunate n’est pas disponible immédiatement, il faut instaurer le traitement classique par la quinine et discuter d’un relais par l’artésunate i.v. au cas par cas, mais surtout dans les 24 à 48 premières heures. Sur le plan national, une amélioration de la disponi-bilité rapide de ce traitement est une priorité. Après les 3 premiers jours de traitement, si seule la voie i.v. est disponible, le traitement sera poursuivi par l’artésunate à 2,4 mg/kg/j pour un total de 7 jours ; mais si la voie digestive est utilisable, le relais doit être pris par un traitement complet par artéme-ther-luméfantrine ou pipéraquine-dihydroartémi-sinine (disponible en France depuis juin 2012) ou atovaquone-proguanil (6, 17). La surveillance de ce traitement en ATU est primordiale : suivi neurolo-gique, numération formule sanguine hebdomadaire durant le premier mois, frottis/goutte épaisse (J3 ; J7 ; J28) [17]. Les premières données concernant l’utilisa-tion en France de l’artésunate i.v. sont détaillées dans un article spécifique de ce numéro spécial.

Modalités du traitement symptomatique en réanimation

La prise en charge symptomatique est primordiale, notamment au cours des formes les plus sévères. Néanmoins, il existe très peu d’études évaluant ces modalités au cours du paludisme grave. Sur le plan neurologique, le coma est fréquent et grave (6, 8, 13). Devant un coma brutal sous quinine, il faut éliminer en premier une hypoglycémie. Il faut intuber précocement les patients ayant des troubles de la conscience. Toutes les mesures de neuroprotection utilisées en routine pour la gestion des traumatismes crâniens ou des accidents vascu-laires cérébraux graves devraient être appliquées. Un traitement anticonvulsivant systématique n’est pas recommandé. L’imagerie cérébrale par TDM ou IRM est assez souvent anormale (infarctus, œdème, hémorragies) et devrait être systématiquement proposée en cas de neuropaludisme avec coma (23). La neurosurveillance pourrait être améliorée, notam-ment par l’utilisation de l’EEG continu et/ou du doppler transcrânien. En revanche, la mesure inva-sive de la pression intracrânienne présente un risque hémorragique qui ne permet pas de la recommander en routine (6), mais elle peut se discuter au cas par cas, notamment en présence d’un œdème cérébral menaçant le pronostic vital.

Sur le plan cardiocirculatoire, l’hypovolémie est fréquente à l’admission et requiert une réhydrata-tion adéquate par sérum physiologique. Si l’état de choc persiste, le remplissage vasculaire est impor-tant mais doit être maîtrisé, notamment du fait du risque d’aggravation pulmonaire. Une étude récente chez l’enfant africain a ainsi montré que des bolus de remplissage pourraient même s’avérer délétères (24). L’albumine 4 % semble intéressante chez l’enfant, mais on manque de données pour la recommander chez l’adulte (6, 25). Si le choc persiste, il faut intro-duire les vasopresseurs car le profil hémodynamique le plus fréquent est celui du choc septique, et un monitoring hémodynamique est alors souhaitable. En cas d’état de choc et/ou d’acidose métabolique marquée, il faut suspecter systématiquement une infection bactérienne associée (6, 26), et instaurer dans l’heure une antibiothérapie i.v. associant une ß-lactamine de spectre large plus un aminoside ou une quinolone. Les co-infections bactériennes sont fréquentes puisqu’elles concernent environ ¼ des patients, qu’il s’agisse d’infections communautaires – dans environ 1/3 des cas – ou d’infections nosoco-miales – dans 2/3 des cas (13). Il faut rappeler que les patients pris en charge initialement en zone d’endémie et rapatriés secondairement en France ont un risque élevé de colonisation à germes multirésistants (6). Au cours du paludisme grave, le poumon est parti-culièrement fragile et de nombreux facteurs parti-cipent à l’hypoxémie : œdème lésionnel induit par le parasite, excès de remplissage en cas de choc, apports hydrosodés excessifs en cas d’anurie, pneu-mopathie bactérienne ou d’inhalation, œdème lésionnel associé à une bactériémie (6, 8, 27). Un SDRA est présent dans près de 10 % des cas. La prise en charge de ce SDRA n’est pas spécifique et repose sur les recommandations récentes, qui font largement consensus (28), en veillant à contrôler les apports hydrosodés (“versant sec”).

Autres traitements

L’indication des antibiotiques (doxycycline 100 mg x 2/j pendant 7 jours ou clindamycine 10 mg/kg x 3/j pendant 3 à 7 jours) en association avec l’artésunate ou la quinine i.v. fait débat, et les pratiques sont très différentes selon les différents pays européens. En effet, ces antibiotiques ont une action lente, et ne sont que “parasitostatiques”. Néanmoins, ils suscitent un regain d’intérêt en association avec l’artésunate i.v. afin de diminuer le risque d’émer-gence de résistance.

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Paludisme grave d’importation de l’adulte : quoi de neuf ?DOSSIER THÉMATIQUE

Paludisme

L’exsanguino-transfusion peut apparaître séduisante en première analyse, mais cette technique n’a jamais fait la preuve de son intérêt (29). En conséquence, l’OMS considère qu’aucune recommandation ne peut être donnée en faveur de ce traitement (8). Aucun traitement adjuvant (pentoxifylline, anticorps anti-TNF, déféroxamine, immunoglobulines, cyclosporine A, N-acétylcystéine) n’a prouvé son efficacité (6, 8). De nouveaux traitements adjuvants (lévamisole, immunomodulateurs, arginine, oxyde nitrique inhalé, érythropoïétine, etc.) sont en cours d’évaluation (30). Enfin, sur le plan curatif, une toute nouvelle classe thérapeutique, les spiroindolones, semble très effi-cace dans un modèle murin de paludisme (31).

Conclusion

En France, la mortalité due au paludisme grave d’importation reste de l’ordre de 5 à 10 % malgré des moyens optimaux (6, 13). Pour diminuer la mortalité dans notre contexte, les axes prioritaires sont l’amélioration de la prévention, l’optimisation de la prise en charge du paludisme simple, l’utili-sation de l’artésunate i.v. au cours du paludisme grave et l’optimisation de la prise en charge en réanimation des cas les plus sévères. Enfin, une homogénéisation de la prise en charge du paludisme d’importation au niveau européen serait rapidement souhaitable (9). ■

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Références bibliographiques