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J Radiol 2010;91:816-8 © Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2010 Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés lettre ostéoarticulaire Scoliose, Chiari I et syringomyélie : une triade élémentaire à ne jamais méconnaître F Roffi (1), R Carlier (1), S Mokhtari (1), D Mompoint (1), D Safa (1), C Glorion (2), T Roujeau (3), C Le Breton (1) et C Vallée (1) IRM a un rôle essentiel dans le bi- lan préopératoire d’une scoliose notamment en cas d’anomalie neurologique révélée par l’examen (1). Nous rapportons une observation de scoli- ose juvénile associée à une malformation de Chiari de type 1 et à une volumineuse sy- ringomyélie. Ce diagnostic ne doit pas être méconnu car il modifie la prise en charge orthopédique de la scoliose, impo- sant préalablement un geste neurochirur- gical de décompression (1). Observation Nous présentons le cas d’une enfant de 5 ans, adressée pour l’exploration par IRM d’une scoliose juvénile avant sa prise en charge orthopédique. La jeune patiente n’avait pas d’antécédent particulier. L’examen clinique montrait une gibbosi- té thoracique de quinze degrés, une fai- blesse des réflexes ostéotendineux et une abolition des réflexes cutanés abdomi- naux. Les radiographies montraient une scoliose thoracique à convexité droite me- surée à 55 degrés selon la méthode de Cobb. La scoliose était indolore. Une IRM du rachis entier et de la moelle était réalisée (Philips INTERA, 1,5 Tesla) et comportait des séquences sagittales T1 TSE, sagittales STIR, coronales T2 TSE selon le système Moby Track, et axiales T2 TSE. L’IRM a permis de mettre en évidence, outre la scoliose connue, une hernie des amygdales cérébelleuses sous le foramen magnum (fig. 1) avec comble- ment de la grande citerne, associée à une volumineuse cavité de signal liquidien oc- cupant toute la hauteur du cordon mé- dullaire et élargissant celui-ci (fig. 2). Cette cavité médullaire était non commu- nicante. L’aspect de moelle hyper- trophiée, l’effacement des espaces sous arachnoïdiens, et les extrémités convexes de la cavité étaient en rapport avec l’as- pect sous tension classiquement décrit dans cette association lésionnelle. Elle présentait un contenu pulsatile avec de larges plages de faible signal en pondéra- tion STIR, témoignant de la présence de flux intra-cavitaires transmis à partir des flux de liquide cérébrospinal (LCS) à tra- vers la moelle. La décompression sous-occipitale effec- tuée quelques jours plus tard a entraîné une régression des anomalies neuro- logiques et une diminution de volume de la cavité syringomyélique (fig. 3). Discussion La scoliose juvénile survient entre 3 et 11 ans (2). Elle est dite idiopathique si elle apparaît spontanément en dehors de tout contexte pathologique reconnu (2). Ceci élimine les scolioses secondaires : malfor- matives (hémivertèbre), neurologiques (myéloméningocèle, infirmité motrice cérébrale), dysplasiques (syndrome de Marfan et Ehler-Danlos) ou liées à une tumeur rachidienne osseuse ou une tu- meur péri médullaire (neurofibrome) (2). La syringomyélie est une néo-cavité asy- métrique se développant dans la substance grise de la moelle épinière, ne communi- quant pratiquement jamais avec le canal épendymaire, ce qui la différencie de l’hy- dromyélie (dilatation du canal épendy- Key words: Scoliosis. Chiari I. Syringomyelia. MRI. Mots-clés : Scoliose. Chiari I. Syringomyélie. IRM. L’ (1) Service d’Imagerie médicale, Hôpital Raymond Poincaré, 104, boulevard Raymond Poincaré, 92380 Garches. (2) Service de Chirurgie orthopédique et trau- matologique pédiatrique, Hôpital Necker-Enfants ma- lades, 149, rue de Sèvres, 75743 PARIS cedex 15. (3) Service de Neurochirurgie pédiatrique, Hôpital Necker-Enfants malades, 149, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15. Correspondance : F Roffi E-mail : [email protected] Fig. 2 : IRM médullaire. Coupe coronale en pondération T2 TSE montrant une volumineuse cavité liqui- dienne, sous tension, occupant toute la hauteur de la moelle et élargissant celle-ci. Notez les hypo signaux hétérogènes intra- médullaires correspondant aux artefacts de flux transmis par le liquide cerébro-spinal. Fig. 1 : IRM médullaire. Coupe sagittale en séquence pondérée T1 TSE montrant une hernie des amyg- dales cérébelleuses sous le fora- men magnum associée à une volumineuse cavité intra médul- laire de signal liquidien.

Scoliose, Chiari I et syringomyélie : une triade élémentaire à ne jamais méconnaître

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J Radiol 2010;91:816-8© Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2010

Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés lettre ostéoarticulaire

Scoliose, Chiari I et syringomyélie : une triade élémentaire à ne jamais méconnaître

F Roffi (1), R Carlier (1), S Mokhtari (1), D Mompoint (1), D Safa (1), C Glorion (2), T Roujeau (3), C Le Breton (1) et C Vallée (1)

IRM a un rôle essentiel dans le bi-lan préopératoire d’une scoliosenotamment en cas d’anomalie

neurologique révélée par l’examen (1).Nous rapportons une observation de scoli-ose juvénile associée à une malformation deChiari de type 1 et à une volumineuse sy-ringomyélie. Ce diagnostic ne doit pasêtre méconnu car il modifie la prise encharge orthopédique de la scoliose, impo-sant préalablement un geste neurochirur-gical de décompression (1).

ObservationNous présentons le cas d’une enfant de5 ans, adressée pour l’exploration parIRM d’une scoliose juvénile avant sa priseen charge orthopédique. La jeune patienten’avait pas d’antécédent particulier.L’examen clinique montrait une gibbosi-té thoracique de quinze degrés, une fai-blesse des réflexes ostéotendineux et uneabolition des réflexes cutanés abdomi-naux. Les radiographies montraient unescoliose thoracique à convexité droite me-surée à 55 degrés selon la méthode deCobb. La scoliose était indolore. UneIRM du rachis entier et de la moelle étaitréalisée (Philips INTERA, 1,5 Tesla) etcomportait des séquences sagittales T1TSE, sagittales STIR, coronales T2 TSEselon le système Moby Track, et axialesT2 TSE. L’IRM a permis de mettre enévidence, outre la scoliose connue, une

hernie des amygdales cérébelleuses sousle foramen magnum (fig. 1) avec comble-ment de la grande citerne, associée à unevolumineuse cavité de signal liquidien oc-cupant toute la hauteur du cordon mé-dullaire et élargissant celui-ci (fig. 2).Cette cavité médullaire était non commu-nicante. L’aspect de moelle hyper-trophiée, l’effacement des espaces sousarachnoïdiens, et les extrémités convexesde la cavité étaient en rapport avec l’as-pect sous tension classiquement décritdans cette association lésionnelle. Elleprésentait un contenu pulsatile avec delarges plages de faible signal en pondéra-tion STIR, témoignant de la présence deflux intra-cavitaires transmis à partir desflux de liquide cérébrospinal (LCS) à tra-vers la moelle.La décompression sous-occipitale effec-tuée quelques jours plus tard a entraînéune régression des anomalies neuro-logiques et une diminution de volume dela cavité syringomyélique (fig. 3).

DiscussionLa scoliose juvénile survient entre 3 et11 ans (2). Elle est dite idiopathique si elleapparaît spontanément en dehors de toutcontexte pathologique reconnu (2). Ceciélimine les scolioses secondaires : malfor-matives (hémivertèbre), neurologiques(myéloméningocèle, infirmité motricecérébrale), dysplasiques (syndrome deMarfan et Ehler-Danlos) ou liées à unetumeur rachidienne osseuse ou une tu-meur péri médullaire (neurofibrome) (2).La syringomyélie est une néo-cavité asy-métrique se développant dans la substancegrise de la moelle épinière, ne communi-quant pratiquement jamais avec le canalépendymaire, ce qui la différencie de l’hy-dromyélie (dilatation du canal épendy-

Key words: Scoliosis. Chiari I. Syringomyelia. MRI. Mots-clés : Scoliose. Chiari I. Syringomyélie. IRM.

L’

(1) Service d’Imagerie médicale, Hôpital Raymond Poincaré, 104, boulevard Raymond Poincaré, 92380 Garches. (2) Service de Chirurgie orthopédique et trau-matologique pédiatrique, Hôpital Necker-Enfants ma-lades, 149, rue de Sèvres, 75743 PARIS cedex 15. (3) Service de Neurochirurgie pédiatrique, Hôpital Necker-Enfants malades, 149, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15.Correspondance : F RoffiE-mail : [email protected]

Fig. 2 : IRM médullaire. Coupe coronale en pondération T2 TSE montrant une volumineuse cavité liqui-dienne, sous tension, occupant toute la hauteur de la moelle et élargissant celle-ci. Notez les hypo signaux hétérogènes intra-médullaires correspondant aux artefacts de flux transmis par le liquide cerébro-spinal.

Fig. 1 : IRM médullaire. Coupe sagittale en séquence pondérée T1 TSE montrant une hernie des amyg-dales cérébelleuses sous le fora-men magnum associée à une volumineuse cavité intra médul-laire de signal liquidien.

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F Roffi et al. Scoliose, Chiari I et syringomyélie 817

maire) (2). Cependant, la différenciationentre syringomyélie et hydromyélie est leplus souvent impossible en imagerie etmême parfois en histologie car le revête-ment du canal épendymaire est souventrompu, d’où le terme parfois utiliséd’hydrosyringomyélie.La malformation de Chiari de type 1 sedéfinit par une hernie des amygdales cé-rébelleuses de plus de 5 millimètres sousle foramen magnum associée à un aspecteffilé de leur pôle inférieur, un efface-ment de la grande citerne et un quatrièmeventricule en situation anatomique nor-male. Il n’y a pas de malformation supratentorielle associée (2). La malformationde Chiari de type 1 peut être isolée ou as-sociée à une syringomyélie dans environ50 % des cas (3). Le canal épendymaire estperméable chez le nouveau-né puis se sté-nose progressivement avec l’âge Dans lesconditions physiologiques, les échangesde LCS entre le canal épendymaire et lesespaces sous arachnoïdiens se font parl’intermédiaire des espaces de Virchow-Robin. En cas de malformation de Chiaride type 1, l’obstruction chronique du fo-ramen magnum empêche la circulationphysiologique du LCS dans le canal ver-tébral et crée une hyperpression dans lesespaces sous arachnoïdiens, à l’origined’une pénétration du LCS dans le canalépendymaire. Si le canal épendymaireprésente une sténose incomplète, il se di-

late globalement. Si le canal épendymaireest totalement sténosé, le LCS s’accumulealors dans le parenchyme médullaire, en-traînant un état pré-syringomyéliquepuis une cavité syringomyélique (3, 4). Se-lon les séries, 20 à 70 % des syringomyé-lies s’accompagnent d’une scoliose et 4 %des scolioses de plus de 20° s’associent àune syringomyélie, suggérant ainsi unerelation entre la scoliose et la syringomyé-lie (4). On ignore cependant la raison fon-damentale de cette interrelation et à cejour la question suivante reste encore sansréponse : la syringomyélie est-elle la causede la scoliose, ou la scoliose peut-elle êtreà l’inverse la cause de la syringomyélie(4) ? Certains signes cliniques peuventfaire suspecter l’existence d’une syringo-myélie d’où la nécessité d’un examen cli-nique et neurologique complet devanttoute scoliose même d’allure idiopathique.Ces signes sont souvent subtils. L’absenceisolée, totale ou unilatérale des réflexescutanés abdominaux est révélatrice d’unesyringomyélie sous-jacente dans 25 % descas (5). On explique leur absence par lefait que la propagation ascendante del’arc réflexe est perturbée par la dilacéra-tion médullaire (5). L’absence des réflexescutanés abdominaux peut être le seulsigne révélateur d’une syringomyélie sousjacente, ce qui était le cas dans notre ob-servation (5). Par ailleurs, la scoliose est« suspecte » ou à risque de syringomyéliesi elle est de type infantile (en dessous de3 ans), juvénile (en dessous de 10 ans),thoracique gauche, si elle s’aggrave avecl’âge ou si elle est douloureuse (5, 6). Lediagnostic de ce trépied lésionnel reposesur l’examen IRM qui doit explorer la to-talité de la moelle et de la fosse postérieureafin de ne pas méconnaître une extensionvers le haut à type de syringobulbie (7).L’IRM permet de visualiser et de localiserla cavité syringomyélique, et de mettre enévidence la malformation de Chiari asso-ciée (6, 7). Les coupes axiales sont indis-pensables pour affirmer l’existence d’unepetite cavité syringomyélique méconnuedans le plan sagittal. L’injection de Gado-linium en présence d’une syringomyélieest inutile dès lors que la malformation deChiari est associée. Elle est systématiquedans tous les autres cas, à la recherched’une tumeur (6, 7).Une exploration par IRM n’est pas systé-matique en cas de scoliose de découverterécente. Cet examen est indiqué si l’examenneurologique est anormal (en particulier encas d’abolition des réflexes cutanés abdomi-

naux), si le siège est atypique (thoraciquegauche), si un traitement chirurgical ouune traction vertébrale sont envisagés (7).Certains auteurs préconisent de réalisersystématiquement une IRM de la fossepostérieure et du rachis chez tous les en-fants de moins 11 ans porteurs d’une sco-liose à la recherche d’une lésion neuro-logique sous-jacente qui relèverait d’untraitement spécifique.La syringomyélie augmente considérable-ment le risque de complications neuro-logiques lors de la chirurgie réparatriced’une scoliose (1, 6, 7). Le traitement neu-rochirurgical d’une syringomyélie soustension doit donc absolument précéder letraitement de correction de la scoliose. Letraitement de la syringomyélie elle-mêmepeut stabiliser et améliorer la symptomato-logie neurologique liée à la syringomyélieet à la scoliose (8). Le traitement neurochi-rurgical comporte une décompression dela base du crâne par élargissement du trouoccipital, une craniectomie occipitale etune laminectomie de Cl le plus souvent (1,6, 7). Ce cas illustre la nécessité de ne pasméconnaître le trépied lésionnel-scoliose,Chiari 1 et syringomyélie. La présenced’une malformation de Chiari de type 1 as-sociée à une syringomyélie modifie la priseen charge thérapeutique avec un premiertemps neurochirurgical obligatoire de dé-compression précédant une éventuelle cor-rection orthopédique. Ce cas nous permeten outre de rappeler les indications del’IRM devant une scoliose apparemmentidiopathique.

Conflits d’intérêtPas de conflit d’intérêt chez les auteurs del’article.

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4. Ozerdemoglu RA, Denis F, TransfeldtEE. Scoliosis associated with syringo-

Fig. 3 : IRM postopératoire de la fosse postérieure et de la jonction cranio-rachidienne. Coupe sagit-tale en pondération T1 TSE mon-trant un aspect postopératoire satisfaisant associant une posi-tion normale des amygdales cérébelleuses et une diminution significative de cavité liquidienne médullaire. Notez la néo grande citerne postopératoire.

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myelia: clinical and radiologic correla-tion. Spine 2003;28:1410-17.

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