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Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill Mardi 27 octobre 2015 | Volume 105 Numéro 6 Besoin de vacances depuis 1977

Le Délit du 27 octobre 2015

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Page 1: Le Délit du 27 octobre 2015

Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Mardi 27 octobre 2015 | Volume 105 Numéro 6 Besoin de vacances depuis 1977

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É[email protected]

Le seul journal francophone de l’Université McGill

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en men-tionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessai-rement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

Volume 105 Numéro 6

2éditorial le délit · mardi 27 octobre 2015 · delitfrancais.com

rédaction3480 rue McTavish, bureau B•24

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6784

Télécopieur : +1 514 398-8318rédactrice en chef

[email protected] Julia Denis

actualité[email protected] BeaupréThéophile Vareille

[email protected]éline FabreAmandine Hamon

Société[email protected] Perrin Tabarly

économie [email protected] Sami Meffrecoordonnateur de la production

[email protected] Baptiste Rinnercoordonnatrices visuel

[email protected] EngérantEléonore Nouel

coordonnateurs de la [email protected] BojuCôme de Grandmaison

coordonnatrice réseaux [email protected]

Inès L. DuboisMultimédias [email protected] Matilda Nottageévénements [email protected] Joseph BojuWebmestre

[email protected] Ménard

contributeurs Nouédyn Baspin, Laurence Bich-Carrière, Laurence Boorman, Théo Bourgery, Charlie, Camille Charpiat, Anne Cotte, Miruna Craciunescu, Virginie Daigle, Joachim Dos Santos, Mahaut Engérant, Chloé Francisco, Laurie Guay Coutu-Race, Paméla Lajeunesse, Rolline Laporte, Frédérique Lefort, David Leroux, Luca Loggia, Ikram Mecheri, Vincent Morréale, Chloé Mour, Vittorio Pessin, Paul Pieuchot, Hannah Raffin, Scarlett Remlinger, Amelia Rols, Gerald Sigrist, Joanna Wolfarth.couverture

Eléonore Nouel, Luce Engérant

bureau publicitaire3480 rue McTavish, bureau B•26

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6790

Télécopieur : +1 514 [email protected]

publicité et direction générale Boris Shedov

représentante en ventesLetty Matteo

photocomposition Mathieu Ménard, Lauriane Giroux,Geneviève Robert

Depereunt aucta labore

Après avoir couvert les élections fédérales, nous souhaitions nous reconnecter avec les préoccupations

les plus primaires de l’étudiant. Le sexe, l’alcool et la fête? Non les midterms, ou bien examens de mi-session pour ceux qui n’ont pas encore perdu tout leur Molière en disant plus souvent chaque jour «readings» et «library» que «manger» et «dormir».

Lancée dès le 1er octobre et achevée aux alentours de la fin novembre, cette saison d’examens de «mi-session» aura encore une fois très mal porté son nom. Plus de cinq semaines où les places assises à la bibliothèque auront été arrachées même le dimanche soir. Un mois et demi que nous promettons à nos amis qu’après «ça» on fera tout pour se voir: un verre, un dîner, une soirée, un brunch (ah non depuis ce lundi, le bacon tue selon l’OMS). Mais le vent glacial des examens finaux et autres essais se char-gera assez tôt d’achever notre vie sociale. Autant tenter de la ranimer au prochain OAP.

L’année dernière, nous avions fait une entorse à notre rythme de révisions effréné: nous avions pris quinze minutes de notre précieux temps de travail afin de remplir

un questionnaire de McGill. Le sujet? Quelques jours de vacances au semestre d’automne. Nos réponses semblent s’être perdues dans les limbes de l’administra-tion… Nous aurons sûrement une semaine de coupure quand il y aura du gazon sur le Lower Field.

McGill nous accable de travail. Certains se disent submergés par la vague, quelques-uns affirment avoir les pieds coin-cés dans une vase les empêchant d’avancer, d’autres encore se comparent à un ballon prêt à imploser ou tout simplement à se dégonfler en un couinement de fatigue.

La semaine de sensibilisation à la santé mentale nous a rappelé combien l’équili-bre des étudiants de McGill était fragile. Anxiété, dépression, burn out, nécessité mé-dicale d’interrompre sa scolarité en plein semestre, fatigue excessive, rythme déréglé, chutes de tension, crises de vertiges, malai-ses, stress extrême, troubles alimentaires, dégoût des études. Une longue liste de cas, troubles et symptômes que chacun sait être porté par un de ses amis, une de ses camara-des de première année ou un de ses compa-gnons de bibliothèque… Ou par soi-même.

McGill doit réagir, se réinvestir dans ce qui devrait être sa mission: l’excellence de ses élèves. Tout Mcgillois s’est inscrit

en connaissance de cause, chacun a signé pour travailler. Respecter nos capacités physiques et psychologiques ne fera pas de nous des fainéants indignes de nos sweats McGill. Cela nous permettra juste de rester en bonne santé, de mieux nous engager dans chacun de nos cours et de savoir apprécier notre éducation jusqu’à la graduation.

Les solutions ne sont pas à aller chercher bien loin. Il s’agit de réinvestir dans les infrastructures de santé mentale bondées, limiter le nombre de travaux de mi-session par classe, sensibiliser le corps professoral aux conséquences d’une telle charge de travail, nous offrir une semaine de pause au premier semestre en contre-partie d’une rentrée avancée – chose que d’autres universités font déjà.

Le travail et l’éducation sont censés nous libérer, nous faire grandir. C’est en tout cas ce que dit la devise de notre uni-versité: Grandescunt aucta labore.

Cependant les étudiants qui s’agglu-tinent dans leurs petits box de lecture au 5e étage de McLennan ressemblent plus à des travailleurs aliénés qu’à des hommes libérés. L’étudiant est abruti d’acharne-ment et n’est voué qu’à ingurgiter des connaissances à la chaîne. Ô Taylorisme intellectuel. x

julia denisLe Délit

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Actualité[email protected]

3actualitésle délit · mardi 27 octobre 2015 · delitfrancais.com

M. ManfrediLe nouveau v.-p. exécutif de McGill se dévoile.

entrevue

Le Délit (LD): Parlez-nous de votre parcours.

Chistopher Manfredi (CM): Je suis arrivé à McGill il y a 27 ans comme un professeur adjoint, assez jeune. Je dirais même que j’avais deux ans à l’époque, mais ce n’est pas vrai (rires)! Le programme de professeur adjoint est un pro-gramme assez spécial qui existait à l’époque et qui ressemble à celui des research fellows. J’ai passé tou-te ma vie professionnelle à McGill. J’ai fait tout ce qu’on pouvait faire à McGill en tant que professeur: j’ai été professeur adjoint, profes-seur, directeur du département de sciences politiques, doyen de la Faculté des arts et puis maintenant je suis vice-principal exécutif et vice-principal aux études. C’est un honneur pour moi d’avoir pu servir l’université dans des fonctions aussi diverses pour plus d’un quart de siècle!

LD: Quelle est votre plus gran-de fierté en tant qu’ex-doyen de la Faculté des arts?

CM: Il y en a beaucoup, mais je mentionnerais deux en particulier. Premièrement, il y a le programme des stages pour les étudiants de la Faculté des arts. Nous avons élargi le programme grâce au finance-ment externe et grâce à nos anciens diplômés qui nous ont appuyés avec leurs dons.

Deuxièmement, je suis très fier des relations que j’ai bâties avec les étudiants et plus spécifiquement avec les organisations étudiantes. Je vais continuer à bâtir ce type de relations dans ma nouvelle posi-tion. Par exemple, cet après-midi je vais tenir des heures ouvertes de bureau au AÉUM. Je souhaite le faire une à deux fois par session.

C’est une façon pour moi d’être là où les étudiants sont et d’entendre ce qui les préoccupe.

LD: Pouvez-vous nous donner une description de vos nouvelles fonctions?

CM: J’ai deux titres: vice-principal exécutif, une fonction budgétaire et technocratique, et vice-principal aux études qui me permet de m’occuper de la mission académique de l’université.

LD: Que pensez vous des décla-rations du ministre de l’Éducation

François Blais qui a affirmé dans un document obtenu par La Presse qu’il y a beaucoup de «résistance aux changements» de la part des 12 représentants de l’Association des doyens, doyennes et directeurs, di-rectrices pour l’étude et la recherche en éducation au Québec (ADEREQ), qui inclut l’université McGill?

CM: Je n’ai pas lu le document; je ne peux donc pas commenter cette controverse avec intelli-gence. Toutefois, il y a une certaine volonté de changement, mais les universités sont des institutions complexes. C’est un défi d’effectuer des changements avec autant de parties prenantes: les étudiants, les professeurs, l’effectif adminis-tratif, etc. D’un regard extérieur, le processus parait long, mais c’est le caractère même des institutions.

LD: Parlez-nous du lancement du nouveau site internet le French

Side de McGill. Vous ne trouvez pas que ça sonne plutôt français de France?

CM: Peut-être (rires)! Nous l’avons fait avec l’appui de l’Office de la langue française du Québec et ils ont beaucoup aimé notre appro-che! Avec ce site web, nous voulons démontrer l’ouverture de McGill au français du Québec. Plus de 25% de nos étudiants sont des francopho-nes du Québec. La société connaît très peu ce côté très important de McGill. Nous faisons aussi beau-coup d’efforts pour recruter des étudiants dans les cégeps franco-phones.

LD: Finalement, vous vous êtes beaucoup penché sur la question du féminisme dans vos propres tra-vaux, que pensez-vous de l’applica-tion de quotas en politique et au sein des conseils d’administration?

CM: J’ai écrit un livre sur le mouvement féministe et ses activi-tés dans les cours et les litiges sur les droits et libertés. Je suis expert sur ce petit côté du mouvement seulement. Selon moi, la chose la plus importante c’est l’action, de savoir et réaliser qu’il y a du talent partout dans la société, hommes, femmes, communautés cultu-relles, etc. Je pense que chaque institution et chaque personne doit procéder à sa propre manière. Comme doyen de la Faculté des arts par exemple, j’ai nommé huit vice-doyens et je suis fière que six de ces huit vice-doyens soient des femmes.

LD: Seulement un tiers des élus sont des femmes, avez-vous des suggestions pour augmenter la pré-sence des femmes en politique?

CM: Je pense qu’il faut d’abord augmenter l’intérêt des femmes en politique. En tant que doyen j’ai été l’un des premiers à appuyer le programme Women in House qui va bientôt fêter sont 15e anniver-saire. Ce sont des programmes comme celui-ci qui vont attirer les jeunes femmes à la politique. Par exemple, il y a une diplômée de McGill que je connais très bien, Karina Gould, qui vient d’être élue au parlement et qui avait participé au programme Women in House. De plus, plusieurs diplômées de ce programme travaillent maintenant à Ottawa comme adjointes pour les parlementaires. Comme directeur et doyen, je suis fier d’avoir appuyé ce programme-là! x

Propos recueillis parikram mecheri

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4 actualités le délit · mardi 27 octobre 2015 · delitfrancais.com

Conseil de l’AÉFAcampus

éléonore nouel

julien beaupréLe Délit

• Les budgets de la majorité des départements de la Faculté des arts ont été approuvés.

• Considérant les difficultés financières des dernières années dans l’Association, une motion a été proposée pour changer le proces-sus d’élection du v.-p. aux finances à l’avenir. Après discussion, le conseil ne s’est pas jugé prêt à voter une alternative. Un sond-age a plutôt été mené auprès de tous les membres. Cinq solutions ont été proposées et chacune a reçue au moins quelques votes. On peut s’attendre à une autre motion lors du prochain conseil.

• Une nouvelle proposition provenant de l’université pour SNAX autoriserait une péri-ode d’essai (renouvelable) de douze mois pour la vente de sandwiches et de pâtisseries sous certaines conditions, dont un contrôle des produits vendus et des inspections surprises.

• Le projet de réaménagement du bâtiment Leacock (Space project, ndlr) attend tou-jours pour une estimation de son coût total.

• Des cercles de conversation franco-phone ont lieu tous les lundi et mercredi de 16h30 à 18h30 dans le Salon des arts.

• Le budget de l’AÉFA a été approuvé. Avec un revenu total de $885,997.55 et des dépenses estimées à $873,059.83, l’Association entend faire $12,937.72 de surplus, destinés à un fond de réserve.

1. Que le v.-p. aux finances continue à être élu par élec-tion générale, comme c’est à présent le cas.

3. Que chaque candidat au poste de v.-p. aux financ-es prouve ses capacités à un comité indépendant avant d’être admissible au vote des étudiants.

4. Que le v.-p. aux finances soit uniquement élu par le conseil.

5. Que chaque candidat au poste de v.-p. aux finances prouve ses capacités au conseil avant d’être admissible au vote des étudiants.

2. Que l’AÉFA engage un aide comtable pour le v.-p. aux finances ce qui engendrerait une hausse de 3 dollars pour les étudiants par semestre.

Les points à retenir.

Désinvestissons McGill auprès de l’administration

Une semaine après que l’Association des Étudiants de l’univer-

sité McGill (AÉUM) ait adopté une prise de position officielle sur le changement climatique en s’alignant sur une politique écologique anti-énergies fos-siles, Désinvestissons McGill présentait son projet au Comité de Conseil sur les Affaires de Responsabilité Sociale (CCARS). Jeudi dernier donc, l’association

étudiante a pu plaider le désin-vestissement de McGill des éner-gies fossiles (investissement à hauteur de 70 millions de dollars aujourd’hui). Le comité en ques-tion est rattaché au conseil des gouverneurs et composé, entre autres, de la rectrice Suzanne Fortier et du président de l’AÉUM Kareem Ibrahim. La présentation, ouverte au public dans un souci de transparence, a surtout porté sur le gel des investissements, dans un premier temps.

Le CCARS s’est montré sen-sible au propos de Désinvestissons

McGill, s’engageant à prendre une décision sur le gel des investisse-ments avant mars 2016, déclarant toutefois vouloir consulter des observateurs indépendants sur la question auparavant. Une issue

positive selon le porte-parole de l’association, Guillaume Joseph: «Les choses avancent! Mais on ne veut surtout pas diminuer la

pression parce que c’est ça qui les fait réagir!» En effet, de nombreux diplômés de McGill ont menacé l’université de rendre leur diplôme si le désinvestissement n’était officialisé d’ici le 30 mars

2016, dans le cadre d’une nouvelle campagne «Alumni de McGill pour le désinvestissement», selon Guillaume Joseph.

Voilà un vent favorable au mouvement de désinvestissement qui souffle sur le campus, alors que les rares voix discordantes à se fai-re entendre proviennent de la fa-culté de génie. Certains ingénieurs

mcgillois, professeurs ou étudiants, sont ainsi directement impliqués dans des activités liées à l’extrac-tion des sables bitumineux. x

théophile vareilleLe Délit

«Les choses avancent! Mais on ne veut surtout pas diminuer la pression parce que c’est ça qui les fait réagir!»

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5actualitésle délit · mardi 27 octobre 2015 · delitfrancais.com

Floor fellows contre McGillLes négociations de syndicalisation avec l’administration s’embourbent.

Campus

Les floor fellows (conseillers d’étage, ndlr) mcgillois per-dent patience alors que l’ad-

ministration se montre réticente à accepter leurs demandes pendant les négociations – entamées il y a bientôt un an — d’un accord collec-tif, finalisant le processus de syndi-calisation. Ces conseillers d’étage se font papa, maman, grand frère, grande sœur, mentor et autre en-vers les étudiants en première an-née séjournant en résidence, dont ils ont la responsabilité. Gardiens de la sécurité universitaire, ils prô-nent une approche anti-oppression et anti-agression, ne se voulant pas gendarmes, mais complices, usant de la discussion et non de la punition. En violation du Code du travail

C’est pour défendre ces valeurs

que le Syndicat des employé(e)s occasionnels de l’Université McGill (SEOUM) a décidé d’aider les floor fellows à rejoindre leur sein. Le SEOUM fait lui-même partie de l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), important syndi-cat national pouvant apporter mé-

moire institutionnelle, aide légale et conseil financier. Une aide néces-saire aux floor fellows mcgillois qui ne sont pas rémunérés pour leur vingt heures de travail hebdoma-daire: une «violation du Code du travail québécois» dénoncée par le SEOUM dans une lettre ouverte à la principale Fortier. Ils ont beau recevoir le gîte et le couvert gratuitement, cela, selon Ashkaan Mohtashami – ancien floor fellow –, ne «vaut pas» le travail effectué. Et de toute façon, «McGill trouve dix façons de restreindre les [floor

fellows] pour chaque moyen de remboursement». La commission des normes du travail a récemment tranché en faveur du SEOUM, mais McGill a fait appel du jugement qui forcerait l’université à rémunérer, à titre rétroactif, de nombreux ex-floor fellows. Le SEOUM a aussi déposé un recours auprès de la Cour suprême du Canada. Non seu-lement ne sont-ils pas payés, mais, comme s’en insurge le SEOUM, les floor fellows n’ont pas de bail et peuvent être mis dehors à tout moment, ajoutant à leur précarité.

Administration: non coopérative Peu réceptive aux demandes

du SEOUM, McGill a aussi récem-ment entrepris de redéfinir le rôle des floor fellows, sans consulter les intéressés et alors que les négo-ciations sont en cours. McGill n’y serait pas autorisée selon Sadie McInnes, v.-p. floor fellow du SEOUM: «Tant que nous négo-cions l’accord collectif, McGill ne peut pas changer les conditions de travail sans l’aval du syndi-cat». Il s’agit de réduire la charge

de travail et les responsabilités, notamment en cas d’urgence — ce qui pourrait justifier une éven-tuelle non-rémunération — pour les déléguer aux gérants de vie en résidence, employés eux à plein-temps. «Il est dur d’imaginer, selon Mme McInnes, que McGill tente de séparer les floor fellows de leurs étudiants sans avoir en tête la situation des rémunérations». Des gérants de vie en résidence qui de plus, austérité oblige, ne seront pas dédommagés pour ces heures supplémentaires. Une mesure qui, selon le SEOUM, nuit tout d’abord au résident, car les floor fellows n’auront pas été formés à faire face à une situation d’urgence, mais simplement à se reposer sur leurs supérieurs. Le SEOUM conteste cette décision, prise par une administration coupée de la réalité de la vie en résidence, et qu’elle estime ingrate vis-à-vis du travail de nos chers floor fellows. Sadie McInnes nous indique que le SEOUM n’hésitera pas, si «les moyens officiels conti-nuent à prouver être inadéquat», avoir recours à «d’autres mesures pour que [ses] demandes soient entendues». On imagine des mani-festation ou des campagnes de sensibilisation sur le campus. x

théophile vareilleLe Délit

Le centre NewmanPour une vie spirituelle et intellectuelle à McGill.

Officiellement, le centre Newman est présent à McGill afin de regrouper

tous ceux et celles désirant par-ticiper à une vie catholique à la fois spirituelle et intellectuelle. La meilleure façon d’intégrer le groupe est de participer à l’un des évènements spirituels organisés par le centre. Par contre, le centre propose aussi une multitude d’activités pour les gens désirant seulement rencontrer de nouvelles person-nes aussi diverses les unes que les autres sans devoir partici-per à un évènement spirituel. Depuis le début du semestre, la programmation offre des acti-vités variées qui proposent aux participants de faire découvrir Montréal en organisant une ascension du Mont-Royal, une visite aux Jardins de lumière du Jardin botanique de Montréal, et une session remplie d’adréna-line chez Lazer Quest! Afin d’en apprendre davantage, Le Délit a rencontré la vice-présidente aux événements, Charlotte Vestner.

Le Délit (LD): Le site internet du centre offre une description générale de vos activités, mais pour une personne non informée, qu’est-ce que le centre?

Charlotte Vestner (CV): Le centre Newman de McGill a été créé afin de stimuler les efforts vers la création d’une organisation pour les étudiants catholiques dans une université séculaire. C’est une fa-çon pour les catholiques d’acquérir une formation à la fois religieuse et intellectuelle. Le centre Newman a

un club étudiant aussi connu com-me étant la Société des étudiants catholiques de Newman, un club officiel de l’Université McGill.

LD: Vous organisez plusieurs événements, mais sont-ils ouverts à tous les étudiants ou bien sont-ils exclusif aux membres du centre?

CV: Le centre s’occupe d’orga-niser des évènements sociaux toutes les semaines afin de per-mettre à de nouveaux-venus ou qui ce soit de se joindre à nous afin

de socialiser et prendre du plaisir. Nous avons également des évène-ments spirituels de prévus, mais les activités sociales n’ont norma-lement aucun lien spécifique avec la foi catholique. Auparavant, les gens qui venaient aux évènements étaient normalement des membres du centre Newman, mais cette année, en tant que vice-présidente aux activités sociales, je tente de de faire participer le plus de gens possible aux évènements, qu’ils soient catholiques ou non! Je crois

qu’il est possible d’organiser des événements qui n’impliquent pas nécessairement de sortir dans un bar. De fait, je tente de créer une programmation diversifiée qui a le potentiel de plaire à beaucoup de gens!

LD: Et comparativement à l’an passé et même aux années antérieures, comment se portent les activités?

CV: Pour être franche, les acti-vités et évènements des années pas-sées n’étaient pas très bien annon-cés, je ne savais pas moi-même ce qui se passait au centre! C’est alors difficile de comparer la réaction des gens entre cette année et les années précédentes. Je crois pourtant que les gens sont très enthousiastes à propos des événements, mais la plupart du temps, les gens se concentrent davantage sur leurs études que sur des activités. Et concernant l’extérieur de Montréal, personne ne m’a demandé jusqu’à ce jour de créer de tels événements. Je sais que par le passé il y a eu une activité d’organisée aux cueillettes, mais ce qui nous limite dans ce cas est le transport puisque la majorité des gens sont limités aux transports en commun. x

vincent morrealeLe Délit

Camille Charpiat

Vincent morreale

Page 6: Le Délit du 27 octobre 2015

6 ACTUALITÉS le délit · mardi 27 octobre 2015 · delitfrancais.com

Trois ans de poésieLe groupe d’étudiants poètes démocratise l’expression artistique sur le campus.

campus

McSWAY (McGill Spoken Word Associated Youth) —

l’association étudiante de poésie slam — a célébré son troisième anniversaire vendredi soir lors d’un événement à micro ouvert. L’association a originalement été fondée par un groupe d’amateurs de poésie, dont faisait partie la présidente actuelle, Dawn Cheung, étudiante en quatrième année à McGill. L’événement très particulier a été célébré avec des petits gâteaux soigneu-sement préparés, des bonbons, et du thé, pour tous les partici-pants. L’évènement avait lieu à 19h dans l’édifice de l’Asso-ciation des Étudiants de l’Uni-versité de McGill à la cafétéria Southside.

La soirée a débuté avec la récitation d’un poème intitulé «Rêves d’Eldorado», une critique des tendances matérialistes et individualistes de l’être humain. Par la suite, s’ensuivirent l’in-terprétation d’une chanson et diverses récitations de poésie. Un moment inusité a eu lieu au milieu de la soirée, lorsqu’un participant a décidé de jouer un morceau original à la guitare,

intitulé «Adieu virginité!» La soirée fort sympathique s’est terminée sur une note légère lorsque deux artistes ont choisi de divertir l’assemblée avec une activité d’improvisation humo-ristique.

Invitation à la francophonie

Cette année, le v.-p. aux affaires externes cherche à im-pliquer davantage les étudiants francophones dans les activités de McSWAY sur le campus de

l’université McGill. Même si McSWAY a toujours été ouvert à des performances qui n’étaient pas en anglais, les représentants du club ont réalisé que le club suscite davantage d’intérêt chez les étudiants anglophones. Ces dernières années, McSWAY transmettait les informations sur sa page Facebook unique-ment en anglais. Dorénavant, McSWAY publiera l’information concernant ses événements dans les deux langues, traduisant aus-si sa description. Pour McSWAY,

il est important d’impliquer en même temps les étudiants francophones et anglophones, notamment pour la raison évi-dente que McGill se trouve dans une province majoritairement francophone, mais aussi parce que l’Université compte un nom-bre considérable d’étudiants internationaux dont la langue maternelle est le français. Il est évident qu’une emphase supplé-mentaire sur l’importance du français serait bénéfique pour l’association, les étudiants fran-

cophones, et surtout pour popu-lariser et démocratiser la poésie autour du campus.

Expressions artistiques

À l’origine, McSWAY est une association étudiante de slam, mais le groupe ne discrimine pas d’autres types d’expression telles que le rap, la musique et la poé-sie classique, encourageant ainsi une belle diversité et un équi-libre dans les oeuvres qui sont jouées ou interprétées lors des soirées à micro ouvert. Malgré la place plus importante que donne l’organisation aux créations des participants, elle accepte aussi les récitations d’autres auteurs comme Baudelaire, Nelligan ou Frost à bras ouverts. McSWAY organise deux types d’activités: des soirées à micro ouvert et des soirées de partage de poésie. Les soirées à micro ouvert tendent à attirer autant de spectateurs que d’artistes, alors que les soirées de partage sont généralement organisées sur une base men-suelle et sont préférables pour les étudiants plus timides. Ces soirées sont dédiées à la lecture de poèmes et à la création lit-téraire en groupe de cinq ou six personnes. x

éléonore nouel

Luca Loggia

OAP et football

Cette fin de semaine a marqué le retour d’un événement prisé par les

étudiants de l’Université McGill : l’Open Air Pub (OAP, bar en plein air, ndlr). Alors que la plupart des étudiants associent cet événement à celui organisé devant l’Université McGill à la fin de l’été, cette der-nière édition s’est déroulée pour une raison spéciale. McGill organi-sait, en effet, son homecoming, ren-dez-vous annuel durant lequel un match de football opposant McGill à Concordia a pris place au stade Percival J. Molson. Le match en question n’a pas simplement attiré des étudiants, mais aussi des mem-bres du personnel ainsi que des admirateurs de football américain de tous les environs.

Des vagues rouges pouvaient être aperçues tout au long de l’Avenue des Pins. «McGill once, McGill twice!» («McGill une fois, McGill deux fois!», ndlr), a crié une foule d’étudiants alors qu’ils entraient dans le stade Molson. Avec une entrée gratuite avant 13 heures, tout le monde s’est préci-pité à travers la porte métallique du stade pour aller se procurer le combo hamburger et bière. Mathis Schilling, simple visiteur, nous a

donné un petit résumé de ce que l’OAP représente pour lui : «Bien que je ne fréquente pas McGill, j’ai eu l’occasion de profiter non seule-ment de la nourriture et des bois-sons, mais aussi de rencontrer de nouvelles personnes et d’avoir de captivantes discussions». Gaetan Mourral, étudiant de McGill en première année, qui en était à son premier OAP, nous a confié : «On m’avait beaucoup parlé de l’OAP et je n’avais jamais eu l’opportunité d’y aller. On ne m’en avait dit que de bonnes choses, et je suis plutôt satisfait!». Il semble que l’OAP arrive à réunir une grande partie de la population mcgilloise.

Malgré l’intérêt certain pour l’OAP, l’attraction principale de la journée était bien le match de foot-ball opposant les Redmen de McGill aux Stingers de Concordia. L’enjeu lui-même était crucial étant donné que les deux équipes avaient besoin de points pour prendre la quatriè-me place de classement. En fin de compte, Concordia a pris le dessus en remportant la partie d’une cour-te marge, 43-41. Victor Alamercery, partisan des Redmen, nous a confié son impression: «On a plutôt bien joué, même si on a perdu, on a fait un bon travail d’équipe!» x

Joachim Dos SantosLe Délit

chronique visuelle

Un Français à Montréal

Paul pieuchot

Page 7: Le Délit du 27 octobre 2015

7actualitésle délit · mardi 27 octobre 2015 · delitfrancais.com

Pour la défense du journalismeDes journalistes signent un appel pour la survie du «plus beau métier du monde».

montréal

C’est à l’occasion du lan-cement du collectif «Les journalistes pour la survie

du journalisme» que la librairie Olivieri a tenu le mercredi 21 octo-bre dernier une causerie sur la situa-tion du journalisme d’aujourd’hui et de demain. La petite librairie de Côte-des-Neiges était remplie à sa pleine capacité, réunissant presque tous les collaborateurs du collectif, journalistes de profession et pro-fesseurs de journalisme, ainsi que plusieurs étudiants au Certificat en journalisme à l’Université de Montréal. Les participants de cette discussion d’environ une heure ani-mée par Pierre Cayouette, éditeur aux Éditions Québec Amérique, étaient trois figures importantes du journalisme québécois: Lise Millette, Alain Saulnier et Robert Maltais.

Une crise sans précédents

Fermetures de quotidiens, pertes d’emplois, conditions de tra-vail des journalistes à la baisse, et bien plus encore, sont aujourd’hui

les symptômes d’une crise sans précédent pour le journalisme. La révolution numérique causerait l’effritement graduel des médias tra-ditionnels. Robert Maltais, directeur du Certificat en journalisme à l’Uni-versité de Montréal, a expliqué que la trop grande quantité de médias et la surabondance d’informations nuisent à la qualité du contenu, le rendant toujours plus superficiel, et allant à l’encontre de l’essence même du métier. «Des monstres à nour-rir à la minute», déclarait Maltais,

en faisant référence aux médias d’aujourd’hui. À l’ère numérique, la course à l’information est peine perdue pour les journalistes de for-mation: les plateformes telles que Twitter permettent la production instantanée de nouvelles par quicon-que possédant un téléphone intelli-gent. Bien que ces championnes de la rapidité aient permis un accès à l’information lors de mobilisations majeures, tel que le Printemps arabe, Maltais sonne l’alarme de la désin-formation.

La lutte n’est pas perdue

Qui est journaliste? Qui ne l’est pas? Le défi des journalistes du 21e siècle est éthique: rétablir la maîtrise des sujets, la véracité de l’information et ainsi le statut de référence du métier. De son côté, Alain Saulnier, ancien directeur de l’information à Radio-Canada, a prédit que le journalisme d’enquête sera l’élément clé pour la survie du métier. Non seulement permet-il une analyse plus profonde des sujets, mais, ouvert à de nouveaux enjeux, il élargit la diversité de l’information. La solution serait, selon lui, une plus grande spécialisation des journalis-tes. Il a ajouté que ceux-ci ne doivent pas attendre l’aide financière du gou-vernement: ils doivent se battre pour conserver leur place.

Lise Millette, présidente actuelle de la Fédération profession-nelle des journalistes du Québec, demeurait la plus optimiste. «Le journalisme trouvera sa voie», a-t-elle déclaré sur un ton décidé. Bien que consciente de l’affaissement du journalisme «de terrain» suite à l’émergence de nouveaux médias, elle affirmait que l’essence du métier

n’a pas changé. L’information évo-lue, certes, mais elle est toujours présente. Le défi des journalistes d’aujourd’hui et de demain serait donc, selon elle, de s’adapter à l’ère numérique et de susciter l’intérêt des auditoires. Interrogé par Le Délit pour l’occasion, Alain Saulnier a finalement délivré une pensée sur le journalisme étudiant, également concerné par la lutte pour la survie du «métier dont la tâche consiste à témoigner de la marche de l’huma-nité». Les étudiants seraient, selon lui, des acteurs tout aussi essentiels dans l’établissement d’un journa-lisme «permettant d’acquérir un accès à la diversité d’opinions à une époque où les médias traditionnels sont menacés».

Au sortir de cette soirée, on pouvait conclure que le métier de journaliste est actuellement menacé et fait face à plusieurs défis. La détermination des conféren-ciers dans leur plaidoyer laissait toutefois l’auditoire sur une note positive. La crise actuelle n’est pas un signe de l’effondrement du métier, mais plutôt un appel à sa redéfinition nécessaire, au cœur de la révolution numérique. x

Laurie Coutu-Racette

Justin Trudeau: premiers pasDavid Leroux | Espaces Politiques

Chronique

Le 19 octobre au matin, peu pouvaient prévoir avec assu-rance le résultat du scrutin.

La seule certitude semblait être la formation d’un gouvernement minoritaire. L’enfant chéri de la dynastie Trudeau a fait oublier aux Québécois l’héritage controversé de son père et de son parti en se posi-tionnant économiquement à gauche d’un NPD en recentrage et flanqué d’un chef — Thomas Mulcair — qui n’a suscité ni animosité, ni sympa-thie. Dans la mise en marché d’un produit politique, la première jour-née est d’une importance capitale. Il faut susciter l’enthousiasme de ceux qui ne nous ont pas appuyé. On doit incarner ouverture et déter-mination et, dans le cas spécifique de cette nouvelle législature, le changement. Mission accomplie pour notre jeune premier: en moins de 24 heures, au terme d’une mise en scène particulièrement efficace, Justin Trudeau a su cristalliser son image et installer solidement dans l’esprit collectif la réelle possibilité d’un Canada 2.0. Pendant que la presse et la télévision françaises dissertaient sur « Djeustine», un premier geste politique d’envergure fût posé: un coup de téléphone à Obama pour annoncer le retrait des

F-18 canadiens des opérations de frappes contre l’État Islamique en Syrie et en Irak.

Les 1 460 autres jours

L’essentiel du règne Trudeau reste à venir. La carte de l’image lustrée et séduisante peut être jouée de deux façons: la première pour susciter un consensus écrasant lors du prochain scrutin. À cet égard, les attentes sont d’autant plus grandes que la barre est haute. Un véritable volte-face par rapport au Canada de

Harper a été annoncé, et il est rare de voir un nouveau gouvernement agir de façon concrète et significa-tive lorsque de grands changements sont promis. Les partis politiques qui arrivent en position de pouvoir se voient souvent liés à d’anciennes promesses, à devoir honorer des contrats et des engagements pris par la législature précédente et, consé-quemment, à agir de façon beaucoup plus sobre et tempérée que ce que les envolées électorales avaient laissé espérer. Le second jeu que peut dévoiler Trudeau est celui de

l’anesthésie des désillusions entraî-nées par un nouveau gouvernement qui dilue ses intentions jusqu’à ce qu’elles aient perdu toute saveur. Quoi qu’il en soit, si c’est le jeu de l’honnêteté et de l’authenticité qui est mis de l’avant, on peut d’ores et déjà parier sur une victoire écra-sante de l’Équipe Trudeau en 2019, qui saura rallier au-delà des libéraux canadiens.

Les douze travaux

Les dossiers à surveiller sont nombreux. Globalement, on nous a promis un recentrage de l’image du Canada sur la scène internationale. On s’attend donc au retour d’un Canada vecteur de paix et d’aide humanitaire et à l’abandon de la tendance plus activement guerrière adoptée depuis près de dix ans par le gouvernement conservateur. Concrètement: l’abandon de l’achat des coûteux chasseurs F-35 à la compagnie américaine Lockheed-Martin, la fin des frappes contre l’État Islamiqu et l’augmentation de l’aide humanitaire. Dans l’optique du retour d’une image plus consen-suelle du Canada à l’international, on s’attend aussi à un nouveau Canada écolo. Les yeux seront tour-

nés vers la COP21, qui débutera le 30 novembre à Paris. L’objectif de cette conférence mondiale sur les changements climatiques est ambitieux: «aboutir, pour la pre-mière fois, à un accord universel et contraignant permettant de lutter efficacement contre le dérèglement climatique et d’accélérer la transi-tion vers des sociétés et des écono-mies résilientes et sobres en car-bone». Une délégation canadienne agissant en leader à Paris serait une preuve intéressante de l’honnêteté du mandat Trudeau. Plus significati-ve encore sera la façon avec laquelle le nouveau gouvernement négociera ses engagements environnemen-taux avec l’imposante et puissante industrie pétrolière albertaine. Se tiendra-t-il debout? La liste des travaux est longue: réforme du sénat et évitement d’un potentiel gâchis constitutionnel, réinvestissement massif en culture et en science, re-valorisation de CBC/Radio-Canada, affrontement d’une récession, léga-lisation de la marijuana… Autant de déceptions potentielles pour les Canadiens, autant d’occasions de triompher pour notre nouveau jeune premier. Gageons que les pro-chaines années ne manqueront pas d’être fascinantes. x

Lauren boorman

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8 société le délit · mardi 27 octobre 2015 · delitfrancais.com

Pourquoi les jeunes

Lors du premier tour des élections municipales françaises de 2014, moins

de la moitié des jeunes entre 18 et 24 ans sont allés voter. Le Royaume-Uni pour ses élection générales de l’été dernier, et les États-Unis pour les présiden-tielles de 2012, ont constaté les mêmes résultats, à quelques points près.

Le Canada sortant lui-même à peine de ses élections fédé-rales, Élections Canada n’a pas encore publié les taux de par-ticipation par tranches démo-graphiques pour ces dernières. Cependant l’organisme a tout de même relevé un taux national de 68,49%, le plus élevé depuis les élections de 1993.

Quand on compare l’exer-cice du droit de vote chez les jeunes maintenant avec celui des jeunes des générations précédentes, il y a une claire diminution. Un article de Emily-Anne Paul pour la Revue Parlementaire Canadienne de l’été 2010 constate que: «depuis les années 1970, les chercheurs estiment que la participation électorale des jeunes est infé-rieure de 20% à celle des jeu-nes du bébé-boum nés entre 1945 et 1950». La participation électorale diminue en fait de manière générale pour toute la population, depuis une ving-taine d’années, mais la baisse est plus marquée pour les tranches démographiques jeunes.

Les chiffres relevés ces der-nières années ont plongé l’opi-nion publique dans une campa-gne contre la jeunesse, souvent qualifiée d’apathique, apolitique, flemmarde…

Avant de blâmer nos camara-des de classe, peut-être faudrait-il comprendre les sources du pro-blème. Qu’est-ce qui a vraiment changé dans notre comportement électoral depuis la génération de nos parents?

La faute à…

Louis Massicotte, professeur en Sciences Politiques à l’Univer-sité de Laval, s’est penché sur la question de la participation élec-torale des jeunes Canadiens. En entrevue téléphonique avec Le Délit, il énumère quelques causes qu’il qualifie de spéculatives. Les jeunes seraient plus individua-listes de nos temps, parce que le sentiment de lien social est en décadence. Il ajoute que les mé-dias sont de moins en moins res-pectueux des institutions politi-ques, on parle souvent et trop mal

de la «démocratie pourrie», un système bureaucratique et vieilli qui est la source des maux de la société. Par conséquent, en plus d’agir de façon égoïste, on fait de moins en moins confiance à tout l’appareil politique, et encore moins aux politiciens.

William Straw, professeur en Communication à McGill, et directeur de l’Institut de l’Uni-versité pour l’Étude du Canada, ajoute son grain de sel aux analy-ses causales. Selon lui, la crois-sante mobilité des jeunes y est pour quelque chose: «ils vont à l’université de plus en plus loin de là où leurs parents habitent, et ne s’inscrivent pas nécessaire-ment pour voter là où ils résident maintenant. C’est du coup tou-jours un peu compliqué de savoir où aller voter, comment s’inscri-re, etc.» La population étudiante tire donc profit de la récente

initiative de l’agence Élections Canada, qui installe des bureaux de votes sur les campus.

À cette complication logis-tique, le professeur Straw ajoute le déracinement: «les gens sont plus mobiles qu’avant, ils se sen-tent moins attachés au lieu où ils habitent. On devrait essayer de changer le système pour affer-mir le lien entre où tu es, et où tu votes.» Selon les statistiques, on remarque d’ailleurs que les taux de participation au Canada sont souvent plus élevés aux élections provinciales qu’aux fédérales (en avril dernier, au Québec, ce taux était de 71,4%).

L’âge numérique

Le bouc émissaire de nos jours est aussi souvent l’ensem-ble des réseaux sociaux, à qui l’on reproche de représenter une

source non fiable et souvent peu pertinente d’information, de culti-ver un vrai fétichisme de la per-sonne et non de la communauté. Nous sommes branchés sans arrêt, constamment en contact avec les autres et pourtant complètement isolés. Le résultat est que l’on se détache du groupe, et que l’on perd le sentiment d’appartenance à une communauté d’individus. En somme internet, qui à sa naissance fut présenté comme le moteur de l’éducation et du développement humain, serait en train de tuer la vie politique à petit feu. Thierry Tardif, directeur des relations mé-dias pour l’application VoteNote, contredit du tout au tout cette explication. «Les jeunes discutent de beaucoup de sujets de politique et de société sur les médias so-ciaux. En fait 60 à 70% des jeunes utilisent les médias sociaux pour discuter des enjeux politiques mis en place par les partis politi-ques». On est par conséquent très politisés, très au fait des problé-matiques de société: «on doit juste apprendre à exercer notre droit.» William Straw est du même avis, les réseaux sociaux sont remplis d’appels à aller voter, ils ne sont donc pas en cause.

La politique, c’est pour les vieux?

Selon Emily Boytinck, v.-p. aux affaires externes de l’Asso-ciation Étudiante de l’Université McGill (AÉUM), et responsable du site internet McGill Vote (McGill Votes, ndlr), «la jeunesse peut facilement se sentir désen-gagée du processus politique, parce que les politiques électo-rales semblent complètement ignorer les problématiques qui nous importent. Par exemple, on a très peu discuté lors de la der-

esther perrin tabarlyLe Délit

matilda nottage

Source: Élections Canada

enquête

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Société

Pour quelques millions

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9sociétéle délit · mardi 27 octobre 2015 · delitfrancais.com

nière campagne de l’exploitation des sables bitumineux, ou de la disparition et des meurtres des femmes indigènes, ou encore de la dette étudiante.» Une réponse qu’approuve William Straw: les liens entre les jeunes et les partis politiques au Canada sont faibles, ça a toujours été le cas. On rentre inévitablement dans un cercle vicieux: les jeunes ne votent pas parce qu’ils ne se sentent pas investis, et les politiciens dont l’élection dépend par conséquent des tranches de population plus âgées vont cibler ces dernières dans leurs plateformes. Certains vont même plus loin et repro-chent aux partis politiques de profiter du manque de parti-cipation de cette tranche de la population pour se faire élire. Selon une étude du sondeur Nik Nanos, si, en 2011, les électeurs en-dessous de 45 ans avaient voté dans les mêmes proportions que leurs ainés, le parti conservateur n’aurait pas obtenu une majorité aux précédentes élections. Une conclusion qui va vite à l’encon-tre d’un argument abstentionnis-te courant: «ma voix ne fait pas de différence». Matière à réfléchir, ou «finalement, quand on ne vote pas, on vote quand même», com-me le dit M. Tardif.

Un manque critique d’informa-tions

Le problème vient aussi du fait que les jeunes ne sont pas éduqués à l’acte de voter. Selon Thierry Tardif, on sait tous qu’on devrait se présenter aux urnes, encore faut-il savoir comment, où, pour qui, quand... C’est le défi relevé par l’application pour téléphones intelligents VoteNote, qui propose un «descriptif de toutes les étapes de l’action de

voter, plus une localisation par GPS pour déterminer la circons-cription de l’intéressé». VoteNote proposait aussi aux candidats de payer un forfait pour que leur plateforme soit rendue dispo-nible sur l’application à travers tout le Canada, en français et en anglais, afin de politiser enfin les jeunes. VoteNote n’est qu’une association parmi des dizaines d’autres qui ciblent cette compo-sante de l’électorat. L’application vise particulièrement à digitali-

ser le processus démocratique et s’assurer que les jeunes «n’aient plus de raisons de rester chez eux, leur faire comprendre que leur vote est important, qu’ils ont le pouvoir de choisir le prochain gouvernement».

Il est certain que l’éducation à la citoyenneté représente un vrai manque à gagner pour les électeurs de toutes générations.

McGill, ainsi que Concordia, ont fait les frais de ce manque d’informations. Les deux univer-sités, pour la première fois cette année, faisaient office de bureaux de vote pour les étudiants. Emily Boytinck révèle qu’elle a trouvé «infiniment frustrant de tra-vailler avec Élections Canada.» L’agence aurait en effet fausse-ment informé l’AÉUM que tous les étudiants enregistrés comme électeurs dans la circonscription de Ville-Marie pourraient voter dans le bâtiment Shatner. «C’est précisément pour cette raison que j’ai commandé un bureau de vote pour Élections Canada au

début […]. Mais le jour du vote, les étudiants ont été renvoyés des urnes parce qu’apparemment, ils étaient venus au mauvais bureau de vote. L’AÉUM et McGill ont du envoyer une notification d’urgen-ce à tout le corps étudiant.» La v.-p. aux affaires externes conclut qu’il faut vraiment que le gouver-nement fasse de meilleurs efforts pour communiquer avec les asso-ciations étudiantes.

Quand l’abstention est idéolo-gique

Nota Bene! Quand certains jeunes (comprendre aussi élec-teurs au sens plus large) ne votent pas, c’est parce qu’ils considèrent en conscience exer-cer leur droit à l’abstention ou au vote nul, ou blanc, pour protes-ter contre un système politique qui à leur avis, ne les représente pas.

Au Québec, le Parti Rhinocéros, fondé d’abord en 1963, puis repris en 2006 après sa disparition en 1993, assume partiellement ce rôle d’annula-tion du vote. Reconnu comme un parti officiel depuis 2007, il a comme programme, entre autres, de remplacer les armes des sol-dats par des fusils à peinture, de construire une autre toile pour boucher le trou dans la couche d’ozone. Cela, ainsi que d’autres propositions humoristiques et absurdes, ont pour but de repré-senter une classe électorale dé-

sillusionnée quant aux program-mes plus «réalistes» des autres partis. Le Parti Rhinocéros s’en-gage principalement à ne tenir aucune de ses promesses électo-rales, sauf celle de démissionner s’il est élu. Lors des élections fédérales de la semaine dernière, il a obtenu la modique somme de 7,349 voix (soit moins de 0,1% du total des voix).

Richard-Alexandre Laniel, 27 ans, étudiant à la maîtrise en Droit à l’UQAM, pratique sou-vent l’abstention, quoi qu’il ait voté aux fédérales pour la raison précise qu’il voulait congédier le candidat bloquiste Gilles Duceppe de sa circonscription. Il considère l’abstentionnisme comme une posture politique à perspective anarchiste – aussi signifiante que l’acte de voter – qui vise à mettre en cause la légitimité des institutions de l’État. Il ajoute, cependant, que cette action doit être conjuguée avec d’autres: «il est important de publiciser cette information, à travers Facebook et les autres réseaux sociaux», ainsi que de participer à d’autres mouve-ments sociaux de grande enver-gure. Florence Moreault, diplô-mée d’un baccalauréat en travail social, dénonce le statu quo démocratique: «La campagne électorale n’est qu’une façade; d’une élection à l’autre, aucun vrai changement ne survient. Les politiciens ont eux-mêmes un pouvoir extrêmement limité, coincés entre les banques, les grosses corporations et le désir de plaire au public afin d’être réélus. Je vois donc les élections comme une parade qui nous fait miroiter l’illusion que nous avons un pouvoir de décision, alors qu’au fond, nous n’en avons aucun.»

Voter, un devoir?

Dans certains pays, il est obli-gatoire d’aller voter. La Belgique est l’exemple le plus ancien de cette législation, implantée en 1893. La sanction peut aller d’une amende d’environ 45 dollars à une interdic-tion de voter pendant dix ans. En Australie, où il est obligatoire de-puis 1924, l’abstention est passable d’une amende de 20 dollars. Dans ces pays, le taux de participation environne en moyenne les 95%.

Au Canada, le vote obliga-toire est l’un des points cités par le Parti libéral du Canada dans sa promesse de réforme électo-rale. Le professeur Straw reste dubitatif quant à cette réforme, et considère qu’il n’est pas légitime de forcer les citoyens à aller voter: «Je connais des personnes», dit-il, «qui ont de très bonnes raisons pour s’abstenir». Il donne l’exemple des populations autochtones, qui ne se sentent pas nécessairement représentées au sein du gouverne-ment fédéral. Selon le professeur Massicotte, le vote obligatoire peut être une solution, «à condition qu’il soit accompagné de sanctions adéquates». Cependant, il soutien-drait préférablement une réforme de grande envergure du système électoral canadien, afin de le rendre plus représentatif, plus sensible à l’électeur individuellement.

Il est difficile de tirer une morale de cette question de la participation électorale. Dans une société en mondialisation presque totale, les identités individuel-les ne cessent de muter et de se renouveler. Est-on vraiment sûr de pouvoir encore parler d’une seule citoyenneté? L’appartenance à un bord politique est de plus en plus compliquée à cerner, et le système politique se doit de se moderniser au même rythme.x

L’éducation à la citoyenneté repré-sente un vrai manque à gagner pour les électeurs de toutes générations.

de voix de plusne vont-ils plus voter?

Page 10: Le Délit du 27 octobre 2015

10 société le délit · mardi 27 octobre 2015 · delitfrancais.com

Quelle justice pour le Val d’Or?Retour sur les révélations d’abus de femmes autochtones.

opinions

Jeudi 22 octobre, l’émis-sion «Enquête» de Radio Canada a créé l’émoi en

mettant en lumière les violences faites aux femmes autochtones de l’Abitibi (une région au sud du Québec). Dans une succession de témoignages alarmants, les fem-mes rencontrées par «Enquête» racontent à visage découvert les sévices infligés par des policiers en charge de leur protection dans la ville de Val-d’Or. Elles racon-tent, entre autre, comment des officiers auraient régulièrement embarqué des femmes la nuit pour les conduire dans les bois, où elles étaient contraintes de performer des actes sexuels sous peine d’être violentées. Bianca Moushoun rapporte avoir reçu «100 pièces pour le service et 100 pièces pour que je ferme ma gueule». Elle avait déjà porté plainte en 2006, lorsqu’elle était mineure, car des officiers lui avaient cassé le bras. Mais sa plainte n’avait pas reçu de suite. Priscillia Papatie, elle, affirme qu’un policier aurait brisé son portable et jeté ses chaussures dans la neige avant de l’abandon-ner seule au bord de l’autoroute, à

plus d’une heure de chez elle. Les victimes sont toutes des femmes des Premières Nations.

Les allégations d’abus de pouvoir et agressions sexuelles choquent non seulement par leur gravité mais surtout par leur pri-se en charge. Ces violences se-raient perpétrées régulièrement par une poignée d’officiers depuis des années. Les dossiers exami-nés recensent des évènements arrivés entre 2002 et 2015. Douze des victimes ont porté plainte contre la Sûreté du Québec (SQ) le 15 mai 2015, le lendemain de leur rencontre avec les journa-listes. L’enquête était menée par la SQ au sein de… la SQ. Les allégations ont été rapportées au ministère de la sécurité publique, comme le veut la procédure, mais les policiers visés sont demeurés en fonction. C’est uniquement après les révélations de Radio Canada que la Ministre de la sécurité publique, Lise Thériault, est intervenue. L’enquête a été transférée au Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) et les huit policiers impliqués ont été suspendus. La direction du poste de Val-d’Or a également été confiée par intérim à la capitaine Ginette Séguin.

Malheureusement, ces faits représentent seulement la partie émergée de l’iceberg. Le Centre de l’Amitié Autochtone rapporte d’ailleurs que plus de femmes sont venues présenter de nouvelles accusations depuis la diffusion du reportage. Edith Cloutier (Directrice du Centre de l’Amitié), explique qu’il ne s’agit pas simple-ment d’un problème au niveau de certains individus. Ces incidents s’inscrivent dans un cadre plus général, dans la «culture dans

laquelle l’autorité policière intera-git avec les autochtones». En effet, les femmes autochtones violentées sont souvent des femmes préca-risées et donc vulnérables. Elles sont perçues comme non-crédibles (les agresseurs choisissent géné-ralement des femmes alcooliques ou des travailleuses du sexe) et sans réseau. Comme elles n’ont pas confiance en un système qui non seulement échoue à les protéger mais perpétue lui-même certaines violences, elles doivent trouver

d’autres manières de se défendre. Edith Cloutier souligne leur capa-cité à se lier entre elles et à briser le cycle du silence, comme le montre la vague de dénonciations cette semaine.

Ces événements braquent une fois de plus le projecteur sur les femmes autochtones disparues ou assassinées. Depuis les révélations, la famille de Cindy Ruperthouse (qui témoigne également dans le reportage de Radio Canada) a enfin été contactée par les enquêteurs, dont elle était sans nouvelles depuis des mois. Bien que Cindy ait disparu en avril 2014, son dossier prenait depuis la poussière, comme pour des centaines d’autres fem-mes autochtones. Au cours de la semaine dernière, Justin Trudeau a promis une enquête nationale sur ces femmes disparues ou assassi-nées. Les partis québecois d’oppo-sitions (PQ et CAQ) demandent une enquête provinciale suite aux incidents de Val-d’Or. Il faut dans tout les cas que ce scandale, quel-ques jours seulement après son élection, rappelle au futur Premier ministre l’urgence de tenir ses pro-messes sur la sécurité des femmes autochtones. Il est inadmissible de tarder plus longtemps à leur rendre justice. x

chloé franciscoLe Délit

Harper était-il écolo?L’affaire des eaux usées, une incohérence politique.

Le bras de fer entre la Ministre fédérale sor-tante de l’Environnement,

Leona Aglukkaq, et le maire de Montréal, Denis Coderre, a pris fin il y a quelques jours. L’arrêté ministériel visant à empêcher temporairement le déversement ponctuel d’eaux usées dans le Saint-Laurent, et ce jusqu’à la vue de résultats d’une analyse scien-tifique complémentaire, va être respecté.

Rappelons brièvement les faits: alors qu’une conduite d’égout doit être asséchée pour continuer les travaux d’abaisse-ment de l’autoroute à Montréal, certains dénoncent l’impact environnemental du déversement des eaux usées du conduit dans le Saint Laurent. C’est ainsi que les Conservateurs ont bloqué le projet. Pourtant, l’écologie n’a jamais été la priorité de ce parti, et des déversements similaires ont lieu plus régulièrement dans d’autres villes du Canada, sans jamais avoir été dénoncés par le gouvernement.

Même après les élections, cette politique inhabituelle inter-roge. N’était elle liée qu’à la pré-

occupation grandissante des élec-teurs par rapport à la question climatique? Le maire de Montréal et le Bloc Québécois dénoncent une stratégie de campagne.

Une politique climatique négligée

Cet intérêt des conserva-teurs pour l’écologie est en effet nouveau. Sans avoir été tota-lement dépourvu de politique climatique, le gouvernement conservateur n’a pas fait du développement durable sa prio-rité. En effet, le renforcement des industries pétrolière et

gazière a plutôt tiré le Canada dans le sens contraire. C’est donc sans surprise que le Canada a quitté le protocole de Kyoto en 2012, après avoir augmenté de 18,6 % ses émissions de Gaz à Effet de Serre (GES), au lieu de les diminuer de 6% comme le prévoyait initialement le traité. De plus, l’absence du Premier ministre sortant à la Conférence des Nations Unies sur le Climat l’année dernière, alors que plus de 125 pays y participaient, s’est faite remarquer. Le gouverne-ment Harper avait tout de même, en mai 2015, établi un nouvel

objectif: diminuer de 30% les émissions de GES d’ici 2030. Si cet objectif est jugé comme honnête par les conservateurs, d’autres le considèrent comme trop peu ambitieux.

Ce faible engagement écolo-gique du gouvernement Harper nous le confirme: ce revirement soudain de ligne politique n’est pas lié à des convictions pro-fondes et ancrées dans la poli-tique conservatrice, mais est au contraire un instrument pour attirer plus d’électeurs.

Qu’en est-il du nouveau gou-vernement?

La promesse libérale

À l’aube de la conférence sur le climat qui se tiendra à Paris en décembre 2015, le nouvel élu Justin Trudeau annonce vouloir dévelop-per «une position forte» dans le changement climatique.

Bien que le gouvernement ne s’oppose pas à l’exploitation des ressources pétrolières et gazières, le nouveau parti majoritaire mise sur la science pour favoriser un chan-gement climatique. Sa future politi-que climatique s’articule en quatre points: augmenter la fréquence et la performance des évaluations envi-ronnementales, assurer une visi-bilité plus importante des travaux scientifiques sur l’environnement (ce qui s’accompagne de la création d’un poste de directeur scientifi-que au gouvernement), réinvestir dans le domaine environnemental, et plus particulièrement dans le domaine de la recherche océanogra-phique et des transports collectifs, et enfin, mettre un accent sur la protection des lacs et océans.

Cependant, le nouveau gou-vernement n’a pas annoncé de ci-ble chiffrée pour le moment. Reste à voir si Justin Trudeau tiendra ses promesses et si sa politique aura un effet concret et mesurable sur le climat. x

hannah raffin

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11économiele délit · mardi 27 octobre 2015 · delitfrancais.com

é[email protected]

Guerre ou PaixAnalyse des coûts et avantages de l’intervention russe en Syrie.

enquête

La visite du président syrien, Bachar el-Assad, à son homologue russe,

Vladimir Poutine, le mardi 20 octobre à Moscou, a fait l’objet de multiples interprétations dans la presse internationale. Il est vrai qu’elle intervient moins d’un mois après le discours du prési-dent russe devant l’Assemblée Générale des Nations Unies, au cours duquel M. Poutine a dé-voilé la politique de son pays au Moyen-Orient et tenté de justi-fier l’assistance militaire accrue qu’il porte au régime syrien. Si les avis divergent quant à la signi-fication de cette entrevue, elle confirme que Moscou se veut être un acteur incontournable dans la résolution du conflit syrien.

Comme nous l’avons vu la semaine dernière («Moscou sous haute tension – enquête sur la situation réelle de l’économie russe» dans Le Délit du 20 octo-bre), cette ambition géopolitique contraste avec la précarité de la situation économique de la Russie. La forte augmentation de ses dépenses militaires, en cette période de récession, nous avait amené à nous demander quels pouvaient être les bénéfices éco-nomiques attendus par Moscou pour compenser ces dépenses. Cette semaine, nous allons regar-der de plus près ce que coûtent concrètement à la Russie les opé-rations militaires qu’elle mène en Syrie, et essayer de comprendre les compensations économiques à court terme qu’elle peut y trou-ver.

Combien coûte la guerre?

Un chiffre particulièrement marquant, parmi ceux mention-nés dans l’article de la semaine dernière, donne une idée de l’ampleur de l’augmentation des dépenses militaires russes depuis le début de l’année: le Kremlin a dépensé la moitié de son budget de défense 2014 (qui était de 84 milliards de dollars) pendant les trois premiers mois de l’année 2015. Cela confirme que la ten-dance haussière, que l’on observe depuis plusieurs années dans les dépenses militaires du pays, se poursuit bel et bien en 2015. Ces dernières progressent bien sûr en valeur absolue, mais aussi en proportion de l’économie : entre 2007 et 2014, elles sont passées de 3,3% à 4,5% du PIB russe, creusant l’écart avec une

moyenne mondiale à 2,3% (à titre de comparaison, le Canada a dépensé 1% de son PIB pour sa défense en 2014). Mais si les dépenses militaires générales de la Russie augmentent, qu’en est-il des dépenses liées directement à son intervention en Syrie depuis la fin septembre?

Le panel d’experts londonien IHS Jane a produit une estima-tion précise de ces dépenses. Il estime à 4 millions de dollars par

jour le coût des opérations mili-taires russes en Syrie (dont 2,4 millions simplement pour main-tenir la présence actuelle, sans frappes supplémentaires). Le to-tal des dépenses depuis le 30 sep-tembre représenterait ainsi envi-ron 100 millions de dollars en bombardements, ravitaillement, infrastructures et personnel au sol, sans oublier une salve de 30 missiles de croisière Kalibr – équivalents des Tomahawks amé-ricains – à 1,2 millions de dollars l’unité (tirée le jour de l’anniver-saire de Vladimir Poutine, le 7 oc-tobre, depuis la mer Caspienne). Chaque sortie des appareils rus-ses alourdit la note: les 36 avions de combat déployés coûtent 12 000 dollars par heure de vol, et les 20 hélicoptères d’attaque, 3 000. Ensemble, ils effectuent en moyenne 40 sorties par jour de-

puis trois semaines, auxquelles il faut ajouter la présence de 1 500 à 2 000 hommes au sol, ainsi que d’une partie de la flotte de la mer Noire qui ravitaille et soutient les opérations.

Si ces coûts paraissent très importants, une comparaison avec les dépenses des puissan-ces occidentales engagées sur le même théâtre d’opérations permet de nuancer ce constat. Jusqu’à présent, l’armée russe

a utilisé assez peu de systèmes d’armes technologiquement avancés, à l’inverse, par exemple, des armements américains. Le Raptor, chasseur furtif améri-cain, coûte 60 000 dollars par heure de vol en carburant et en entretien, lorsque ce coût n’est en moyenne que de 12 000 dol-lars pour les appareils russes. La Russie fait également des économies sur les munitions, en utilisant principalement des bombes et munitions non gui-dées, conçues (et certaines même produites) pendant la période soviétique, dont elle dispose en très grande quantité. Bien entendu, ces munitions moins chères mais aussi moins précises se traduisent par un potentiel de dégâts collatéraux plus élevé, rendant les frappes russes plus coûteuses en terme de vies civi-

les. C’est un coût politique à long terme difficile à quantifier, mais qu’il faut également prendre en compte.

Bénéfices d’une invasion

Un certain nombre de béné-fices à court terme, plus ou moins quantifiables économiquement, sont à mettre de l’autre côté de la balance. D’abord, l’engagement de l’armée russe lui permet de

tester des équipements nouveaux sur le champ de bataille et, de la même manière, les troupes com-battantes gagnent en expérience. Une armée qui ne combat pas perd progressivement en capa-cité opérationnelle, ce que cette intervention permet d’éviter. Plus concrètement encore, les combats jouent un rôle démons-tratif non négligeable, en don-nant l’opportunité à l’armement russe de faire ses preuves et de convaincre de potentiels ache-teurs étrangers. Le Moscow Times rappelle que la Russie a exporté 15,5 milliards de dollars en équipement militaire en 2014, et note qu’une augmentation de 1% de ces ventes équivaudrait à un mois de bombardements en Syrie… Assez cynique, mais à prendre en compte. D’autant que la Russie n’est pas la seule à met-

tre à profit son armée pour faire la promotion de son industrie de l’armement. Pour prendre un autre exemple démontrant que la guerre peut payer, l’engagement des forces française au Mali en 2013 et 2014, puis en Irak depuis l’automne 2014, a permis aux chasseurs Rafale de l’entreprise française Dassault – qui n’en avait vendu aucun à l’étranger depuis la conception de l’appareil dans les années 1990 – de démon-trer leur efficacité, ce qui a sans aucun doute contribué à son suc-cès tardif (l’Inde, l’Égypte et le Qatar en ont commandé ensem-ble plus de 80 ces derniers mois). Cela a considérablement aidé les exportations d’équipements mili-taires français: celles-ci sont esti-mées à 16,5 milliards de dollars pour l’année 2015, c’est-à-dire deux fois la moyenne des cinq dernières années…

Il faut cependant noter que, comme l’explique l’analyste mili-taire Vadim Kozouline du panel d’experts PIR Center, les béné-fices que nous venons d’évoquer comptent surtout au début d’une campagne militaire, et devien-nent de plus en plus marginaux à mesure que durent les opéra-tions. Il est donc peu probable que l’intervention russe en Syrie ne vise à obtenir comme résultats économiques que ces bénéfices à court terme. Mais quelles sont alors les retombées économiques à long terme qu’attend la Russie?

C’est la question à laquelle nous essaierons de répondre dans le dernier article de ce dossier sur les aspects économiques de l’intervention russe en Syrie. Après avoir pris la mesure de la sévérité de la situation écono-mique dans laquelle se trouve la Russie, puis compris que les bénéfices économiques immé-diats d’une telle intervention sont insuffisants pour compenser les coûts d’un engagement pro-longé, nous nous demanderons ce que peut donc vraiment être le plan de Poutine en Syrie. Ce plan est-il crédible? Quels bénéfices économiques à long terme vise-t-il? Quels risques comporte-t-il? Et si Poutine, en essayant de surmonter les difficultés causées par sa politique ukrainienne, fai-sait en Syrie un pari plus risqué encore que celui qui l’a conduit à s’emparer de la Crimée? x

Note: Le troisième volet de cet article sera disponible dès la semaine prochaine sur le site internet du Délit (www.delitfran-cais.com).

GéRALD SIGRistLe Délit

«Une augmentation de 1% des ventes d’armes russes équi-vaudrait à un mois de bombardements en Syrie.»

Page 12: Le Délit du 27 octobre 2015

12 Culture le délit · mardi 27 octobre 2015 · delitfrancais.com

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Chance, son d’amourLa rappeur de The Social Experiment enflamme l’Olympia.

musique

Avec son groupe de musi-ciens talentueux, The Social Experiment, Chance

the Rapper a déboulé sur la scène de l’Olympia pile à l’heure, ce mercredi 21 octobre. Sautillant comme une boule de nerfs, il a commencé par aboyer des vers en anglais, avant de se présenter. Il explique qu’il est heureux d’être à Montréal, qu’il se sent si proche du public qui se tient devant lui, qu’il a l’impression d’être en plei-nes retrouvailles familliales, d’où le nom de son spectacle: Family Matters (La famille est impor-tante, ndlr). «Pourtant», admet-il, «je n’ai jamais rencontré aucun de vous!»

Rendez-vous galant ou concert de rap?

Complice de ses fans, le rap-peur instaure dès les premières minutes un signal pour commu-niquer depuis le balcon et la fosse vers la scène: un cri aigu de loup signifira qu’on en veut encore.

Plein de bons sentiments, l’artiste offre un spectacle saturé de mes-sages d’amour. Il se met à inventer une chanson dont les seules paro-les seraient «I love you», et en-traine le public avec lui. Emporté dans son propre hymne à l’amour, Chance poursuit en déclarant ses sentiments individuellement à chaque personne du premier rang. Il consacre ainsi cinq minutes, qui paraissent un peu longues, à dire «Je t’aime» au public, avant de reprendre son bombardement rythmique. Il enchaîne alors des pas de danse désarticulés que le public suit. Le son transcendant de la trompette accompagne la voix douce de Chance, créant un mélan-ge agréable entre le rap, le hip hop, certainement une touche de jazz, et même de la soul.

Explosion visuelle

Derrière les artistes, des écrans projettent des images en mouvement perpétuel, des paysa-ges relaxants qui habillent les ef-fets sonores. Des palmiers au vent, puis des vagues bleues, le soleil, l’espace plein d’étoiles, des flam-

mes dansantes ou encore une salle de classe dessinée. Le résultat est plaisant parce que, comme un feu d’artifice, c’est une explosion de concepts, un bouquet d’ambiances. Même si Chance se trouve physi-quement au milieu de la scène, il

ne se place pas au centre de son propre spectacle. Il nous crie, à nous le public, de répéter que c’est notre spectalce. Puis il se dévoile en offrant une chanson qui parle de sa grand-mère, «Sunday Candy», peu avant de clore la soirée.

Ne me quitte pas

Tout spectacle ne se termine jamais vraiment exactement au moment où l’artiste se retire. Le public en réclame encore. Expert de l’expérimentation sociale, Chance connaît le peuple et a tout prévu. Les écrans affichent ainsi «Tu en veux encore?», question à laquelle le public acquiesce bruyamment, encourageant le rappeur à repren-dre de plus belle. Celui-ci, en extase, cède aux spectateurs sa célèbre chanson «Cocoa Butter Kisses». Mais cette fois-ci c’est la dernière et il finit par remercier ceux à qui il a déclaré son amour pendant une heure et demie.

Qu’est ce que c’est bon d’enten-dre – pour une fois – du rap qui exprime l’amour et la tendresse envers l’inconnu. Génie social et artisan du vers, Chance a su séduire ses clients, ce soir. Il remettait ça les jours suivants à Philadelphie, puis New York. Toutefois, son album est accessible gratuitement sur iTunes pour ceux qui voudraient écouter des mots doux sur rythme de rap. La preuve que ce champ musical est aussi capable de parler d’amour. x

Amandine HamonLe Délit

Ces bijoux du 20e siècleLes classiques vibrent sous la direction de Kent Negano.

Kent Nagano, directeur artistique de l’Orchestre symphonique de Montréal

(OSM) nous offre ce mercredi 21 octobre 2015, le meilleur de la musi-que du 20e siècle. De Stravinsky à Ravel, en passant par Strauss l’orchestre livre au public un recueil d’œuvres majeures de certains rois de la symphonie.

Tout commence par le brouillard. Le long frottement des archets, l’inquiétante montée des cuivres comme le vent qui hurle. L’orchestre symphonique, excep-tionnellement grand, amène son public vers l’inconnu, enchante. Puis l’histoire commence: un conte de fées où un héros chevalier, vic-time d’un terrible sorcier, ne doit sa vie qu’à un oiseau de feu. Les battements des ailes sont les disso-nances; l’amour du héros pour une princesse prisonnière engage les harmonies. Trois trompettes passe-ront à travers le public tout au long de l’œuvre: elles joueront du premier balcon, des coulisses ou encore de l’orgue, plus criantes à mesure que le héros retrouve sa liberté. Quant

au sorcier, il est ces coups d’archets hachés et répétitifs, signe distinc-tif de Stravinsky, compositeur de L’Oiseau de Feu en 1910. C’est cette même vigueur rythmique qui fera du Sacre du Printemps, du même compositeur, ce qu’il est aujourd’hui: une icône musicale. Nous sommes là dans les débuts du 20e siècle, celui des contretemps et des juxtaposi-

tions d’un tableau à l’autre, répu-diant en outre les habitudes de l’ère classique.

Après Stravinsky – qui se jouera sans ballet, mais est-ce vraiment nécessaire pour apprécier l’œuvre ? – voilà que Don Juan de Strauss nous est présenté. Don Juan, l’âme damnée si libertaire et provocatrice, condamnée à mourir pour n’avoir

jamais pu être libre. Sa mort, non pas tragique comme Molière l’eut sug-géré, se traduit en un accord pianis-simo – Don Juan meurt, si l’on veut, dans l’intimité de son hérésie.

Il faut attendre la troisième et dernière œuvre, néanmoins, pour

réaliser la puissance de la musique du 20e siècle. Ce n’est pas Bartòk et ses mesures criantes; encore moins Boulez et son «sérialisme intégral» (l’idée de rendre toute note indépen-dante l’une de l’autre sur une même partition, créant un sentiment de cacophonie entièrement codée et contrôlée). C’est tout simplement le Boléro de Ravel.

Le rythme de la caisse claire, pianissimo et inébranlable: dix-huit temps, les mêmes encore et toujours. D’abord une flûte, puis une clari-nette, puis un basson. Un peu plus

tard un cor anglais, un hautbois et un trombone. Toujours cette même mélodie qui s’accroche aux tripes, les yeux se ferment sur nos sièges. On se balance, limpides; pas d’à-coup, tou-jours la même chose, toujours plus fort, toujours plus puissant. Et aux

derniers moments des treize minu-tes de l’œuvre, quand l’orchestre atteint le fortissimo possibile, quand les cordes des violons se brisent et que les hanches des vents craquent, c’est le public entier qui est électrisé. Les murs tremblent et les poils se dressent. Il n’y a pas musique plus parfaite et entière que celle-ci.

Ravel le disait en 1928 : «Mon chef-d’œuvre? Le Boléro, voyons! Malheureusement, il est vide de musique». De vie, peut-être. Mais de puissance… Dieu, Ravel, quelle puissance! x

théo bourgeryLe Délit

«Quand les cordes des violons se brisent et que les hanches des vents craquent, c’est le public entier qui est électrisé.»

joachim dos santos

amelia rols

Page 13: Le Délit du 27 octobre 2015

13Culturele délit · mardi 27 octobre 2015 · delitfrancais.com

Force féroceThéâtre-danse sans texte, la recréation de Bagne est puissante et intense.

danse

L’homme est un fauve. Ce soir, il est encagé et cela l’enrage. L’écume lui monte

aux lèvres, l’écume lui monte au corps, il ne crie pas, il frappe, se démène, mais n’ébranle rien que lui. Ainsi, pendant une heure bien comptée, les danseurs Milan Panet-Gignon et Lael Stellick vont se jauger, se battre, se taper, marcher l’un sur l’autre, s’écraser avec sau-vagerie, sur le pan principal d’une monumentale structure métalli-que, prison-espalier, qui grince et condamne. Quelques répits atten-dent les deux danseurs encagés mais c’est surtout une animalité brute et puissante que propose Bagne re-création, version rema-niée d’un spectacle créé vingt-deux ans plus tôt par Pierre-Paul Savoie et Jeff Hall, complices depuis Duodenum (1987).

Un lourd passé

Ce que présente Danse danse cet automne n’est pas une reprise du Bagne de 1993, c’est une recréa-tion. La reprise a déjà eu lieu, en 1998. Après plus de soixante-quinze représentations originales et furieuses, à Montréal, New York et Munich, la pièce avait changé de sexe tandis que Savoie et Hall ont

cédé leur place à Sarah Williams et Carole Courtois, plus petites, plus farouches. La recréation, elle, a supposé un redécoupage, une redé-finition des thèmes, une refonte des tableaux. À la fois omniprésent et remarquable, le décor est resté – il avait valu un prix Bessie au scéno-graphe Bernard Lagacé en 2001– mais les réflexions ont été reprises,

les instincts modernisés. Les cho-régraphes originaux se sont réjouis de l’implication et de l’imagination de leurs successeurs. Le résultat, estiment-ils, est plus abouti.

La pièce demeure exigeante. Au plan physique, évidemment. Pendant une heure bien comptée, le duo se soulève, se soutient, se sus-pend, se projette, grimpe, grouille,

saute, tourbillonne. Pas d’entrechat langoureux, pas de pas de deux déli-cat; ici, on s’enfonce, on se défonce, on s’oppose. L’exercice est au croi-sement d’un combat de boxe de rue et d’une éprouvante séance de bar-res asymétriques. Ces sauts et sus-pensions sans répit expliquent que, vingt-deux ans après une tournée ponctuée de déchirures ligamentai-res, les chorégraphes-interprètes originaux aient cédé leur place à des danseurs plus jeunes.

Le saut de l’ange

Entre ces déploiements de force et cette dureté hypnotique qui sont les piliers de la pièce, trois courtes scènes viennent se glisser: un repos du guerrier ondu-lant, deux portes ouvertes sur une liberté rose et tremblante, puis une frénésie éperdue quelque part entre la Caverne de Platon et la petite fille aux allumettes. Les os n’y craquent pas, mais ce n’est qu’un sursis. Touché mais toujours tendu, comme dans ces moments de sus-pension, où les danseurs, plutôt que d’exprimer leur animalité, jouent carrément les bêtes. Stellick, per-ché sur son grillage, offre le profil crochu du vautour sur une musique digne de Sergio Leone, Panet-Gignon grouille, cul levé, crocs déchaussés, comme un babouin en colère, les deux se jaugent comme

des chiens de combat avant qu’on les démuselle.

Mais d’où vient cette anima-lité, cette colère aveugle? Et, plus troublant, où mène-t-elle? Si l’ho-moérotisme perçu de la pièce ori-ginale avait marqué certains, c’est plutôt par l’actualité que la version revisitée veut donner à réfléchir. Les barreaux sont ceux des prisons d’Abou Ghraib, de Guantanamo peut-être, et les zones d’ombre sont les œillères de la conscience publique. Les claquements qui ponctuent la bande sonore, création originale de Bernard Falaise, n’ont ni la marque des jeux amoureux ni la langueur des avanies essuyées au quotidien. Ce sont les fouets des bourreaux dans l’impunité de leurs prisons secrètes. On étouffe, on cherche les clés, un peu d’air, l’explosion qui fera sauter la porte.

En attendant, on ne peut s’empêcher de grimacer à voir les corps de Panet-Gigon et Stellick s’agiter et se fracasser comme ils le font, l’on pense peut-être, à cette Moralité de Paul Valéry: «L’homme est un animal enfermé à l’extérieur de sa cage. Il s’agite hors de soi.» x

rolline Laporte

Laurence Bich-CarrièreLe Délit

Spleen et idéalJean Leloup installe et désinstalle son Paradis City au Metropolis.

Branle-bas de combat au Metropolis depuis jeudi dernier. Jean Leloup, après

trois ans d’absence, occupe la sal-le avec son orchestre et les titres de son dernier disque, Paradis City. Chaque soir, la foule est dense et compacte, impatiente du rendez-vous avec le personnage-chanteur, car on est là pour le voir autant que pour l’entendre.

Un rideau de cabaret en carton nous sépare de la scène, un rideau pour signaler que nous somme assis dans la navette du temps, et que lorsque le concert aura débuté, c’est dans une galaxie lointaine, très lointaine que nous serons transportés. Rideau, donc. À peine le temps d’apercevoir un décor fait de gigantesques fleurs suspendues autour d’un soleil d’or que le chanteur, juché en haut d’une passerelle d’argent, démarre sur les chapeaux de roue. «Isabelle» puis «Barcelone», et puis d’autres encore, succès sur succès, la première partie

du concert se déroule dans une ambiance électrique.

Dans cette soirée conçue comme un feu d’artifice Jean Leloup fait office de chef d’orches-

tre. Violons, violoncelle et contre-basse lui répondent à l’œil. Pas de pause entre les chansons, sinon un mouvement d’épaule ou de main du coryphée, décidant des

transitions musicales. Les arran-gements pour cordes se fondent dans cette musique comme si elle avait été composée pour et avec eux. L’inédit est naturel, comme à chaque concert du Roi Ponpon, et la musique n’en n’est que plus belle, la guitare surtout. Car Jean Leloup ce n’est pas que Mick

Jagger, c’est aussi Keith Richards, comprendre un guitariste hors-pair. Armé de sa Fender Thinline, le sauvage est imprenable, capa-ble de tenir la ligne rythmique et mélodique à la fois, capable de chanter et sur son chant, d’offrir des variations.

Entracte. Une lune remplace le soleil de la première partie et la splendeur de Paradis City fait pla-ce à la langueur. Des belles filles du «paradis perdu» de la première partie aux amours sans pitié de la seconde, c’est une catabase progressive. On y joue surtout le dernier album, puisque «tous

les chemins mènent en enfer» à Paradis City. Le spectacle se fait plus intime, plus démoniaque, il y aurait d’ailleurs une étude à faire sur les liens entre Jean Leloup et Baudelaire (même fascination pour la beauté du mal, même engouement pour le «maître Edgard»).

Deux rappels plus tard, le sauvage, clope au bec, guitare à la main, est assis en haut de sa pas-serelle. Celle-ci a pivotée de 180° —clou du spectacle —, au-dessus des fronts de la foule, si bien que Leloup «joue de la guitare» com-me un pierrot pêcherait des rimes, assis sur son croissant de lune. Il faut croire qu’il est fin pêcheur: la foule chante, et lui, sourit. x

joseph bojuLe Délit

Bagne: re-création Du 21 au 31 octobre 2015

Cinquième Salle, Place des Arts. Rencontre avec les artistes

le 30 octobre 2015.

«L’inédit est naturel, comme à chaque concert du Roi Ponpon.»

Jean LeloupMétropolis

Les 29 et 30 octobre, ainsi que le 7 novembre 2015 .

paméla lajeunesse

musique

Page 14: Le Délit du 27 octobre 2015

Culture le délit · mardi 27 octobre 2015 · delitfrancais.com

Sandwich impromptuLes artistes Louis Bouvier et Hank Bull détonnent à la galerie de l’UQAM.

thÉâtre

Louis Bouvier est un Montréalais en maîtrise d’arts visuels et médiatiques à

l’UQAM. «Des rencontres improba-bles entre différents objets et images provenant d’époques et de cultures variées», c’est ainsi que l’artiste défi-nit son exposition TOUT n’est pas un sandwich, qui côtoie les œuvres de l’installation Connexion, du cana-dien Hank Bull, dans un ensemble artistique présenté par la galerie de l’UQAM jusqu’au 5 décembre.

L’unique pièce de l’exposition de Louis Bouvier comporte des objets divers: photo-dessins, sculptures, un tableau lumineux... Cependant, leurs dispositions et contenus sont surpre-nants. Les tableaux sont à terre, les photos-dessins placées derrières des étagères où sont posés d’autres objets plus communs, ce qui semble aller à l’encontre de la conception que nous avons des œuvres d’art comme étant «précieuses».

Louis Bouvier utilise des moyens classiques pour transmettre son message, mais la façon dont ils sont disposés sort de l’ordinaire. En effet, nous remarquons certaines références artistiques, comme par exemple un objet qui se présente comme une des horloges de La per-sistance de la mémoire de Salvador

Dali, coulant sur le bord d’une éta-gère. Mais l’objet est petit, placé dans un coin et n’est pas très esthétique. L’artiste utilise également des réfé-rences de la pop-culture colorée des années 1960 en juxtaposition avec des objets plus classiques et sombres. Dommage qu’aucune explication ne soit fournie mis à part une phrase

expliquant l’essence de l’exposition à l’entrée, ce qui rend la compréhen-sion de certains objets très difficile pour les dilettantes.

L’exposition Connexion

Hank Bull, artiste canadien originaire d’Alberta, était membre

d’un réseau mondial d’artistes produisant des œuvres collectives à distance dans les années 1970. Il fait aujourd’hui partie d’organis-mes dédiés à la diffusion de l’art contemporain. Ainsi, nous sentons dans son art des influences cultu-relles, artistiques et même poli-tiques asiatiques mais également

polonaises. L’exposition Connexion présente de nombreux objets en tous genres: des photographies, des affiches et piles de journaux, des vidéos et divers objets de com-munication des années 1970, entre autres, mais aussi des sons et des ombres chinoises. À travers de nombreuses collaborations avec des artistes du monde entier, l’objet semble être la mise en valeur d’un réseau artistique international. Hank Bull utilise les moyens de communication comme forme d’art.

Nous découvrons tout d’abord un mur de photographies, affiches et dessins plutôt organisé dans une pièce où les œuvres sont disposées de manière épurée. Ensuite, nous nous retrouvons face à un bureau très chargé et rempli de «désor-dre organisé» avec des sons, dont celui de la fameuse vidéo Chaise à porteurs embouteillée HP. La disposition des objets est parfois surprenante, mais reflète bien le fait qu’il s’agit d’archives et que de nombreuses œuvres sont le résultat d’un travail collectif. Il est important de noter que toutes ces collaborations ont eu lieu bien avant l’avènement d’internet. Les moyens de communication expo-sés apparaissent ainsi comme une forme d’art, notamment par le fait qu’ils sont obsolètes. x

Joanna WolfarthLe Délit

scarlett remlingerLe Délit

exposition

À l’occasion des soixante ans du Théâtre des Quat’Sous, le directeur artistique

général Eric Jean ambitionne de faire revivre les temps fort de cette institution du théâtre québécois en revisitant une pièce montée par Pierre Bernard en 1996. Variations sur un temps doit son texte d’ori-gine à David Ives dont la traduction de l’anglais est exceptionnelle. On assistera à cinq tableaux, ou varia-tions, rythmés par des répliques pointues qui s’enchainent les unes derrières les autres jusqu’à ce que la pression tombe et mette fin à la pièce.

Le premier tableau s’ouvre sur ce qui semble être un vestiaire sportif. De gauche à droite, des casiers habillent le décor. En haut à gauche, une horloge, un chrono, un compte à rebours. Les mots de présentation se hâtent d’être pro-noncés avant que la machine ne se mette en marche et que le temps se mette à fuir sous les yeux des spectateurs. Nul besoin de coups de théâtre, le coup de départ est lancé.

Un homme et une femme entrent en scène, ouvrent un des casiers pour en sortir deux clubs de golf. Nous sommes en date au mini-putt. Saviez-vous qu’avant l’ère humaine la terre était peuplée par des nains et que la seule chose qui nous reste de leur civilisation est le mini-putt? Swing lancé, balle rentrée, fin du jeu. Un homme et une femme entrent sur scène, ouvrent un casier, en sortent deux clubs de golf. Deux couples sur scène, deux dates, deux swings lan-cés, deux balles rentrées, fin du jeu. Un troisième couple entre en scène pourra se livrer à la même partie de mini-putt, pendant que les deux autres — sont-ce les mêmes d’ailleurs? — continuent de jouer et de se tourner autour. Jeux de dédoublement, répétitions, renvois de balle, le premier tableau est une délicieuse polyphonie.

Une femme assise dans un café est en pleine lecture de la Recherche de Proust. Un homme l’aborde et dans le style d’un jeu vidéo tente de franchir les obstacles qui mèneront à sa conquête, avec des checkpoints, ou sauvegardes automatiques, pour l’aider dans sa partie de séduction.

Niveau un: tenter de briser la glace. Première tentative échouée, retour à la case départ. Niveau deux: il arrive à s’asseoir. Essayer d’engager une conversation. Échec, il se relè-ve. Niveau trois: lui plaire. Parler de Proust comme d’un vieux snob? Échec. Dire qu’il trouve ses phra-ses longues et épuisantes? Échec. Partager avec cette belle demoiselle comment Proust a changé sa vie? Bonne réponse. Derrière la drôle-rie de la scène, David Ives pose la question du hasard de la rencontre amoureuse, et la terreur qu’inspire le caractère irrémédiable du temps.

Avez-vous déjà été coincé dans un Drummondville? Un Drummondville (un Philadelphie dans la version originale américai-ne), c’est un espace-temps où rien ne va pour vous. Commandez un sandwich à la viande fumée dans un delicatessen, c’est une poutine qui vous sera servie. Essayez de pren-dre un taxi pour vous rendre en centre-ville, le chauffeur ne se rend qu’à Brossard. C’est ce qui arrive au personnage du troisième tableau.

Et si vous saviez la date et les conditions dans lesquelles vous alliez mourir mais pas l’heure

exacte, comment réagiriez-vous? Si vous aviez l’occasion de revivre votre dernier moment encore et encore et encore, que diriez-vous? C’est ce qui arrive à Trotsky, une hache plantée dans le crâne, lisant dans une encyclopédie sa notice biographique.

Le compte à rebours défile encore sous les rires des specta-

teurs ébahis par la maitrise du timing comique des acteurs qui ne cessent de courir dans tous les sens. Plus que quelques minutes avant la fin et des nuages de farine voltigent dans la face des personnages. Enfin, si cette pièce a mis tout le monde d’accord il y a vingt ans, le consen-sus reste le même: à mourir de rire et à voir absolument! x

Horloge théatrâleLe Théâtre de Quat’Sous remet à neuf la pièce Variations sur un temps.

adrien baudet

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15Culturele délit · mardi 27 octobre 2015 · delitfrancais.com

Une virée entre potesBoogie, le récit d’une crise de la quarantaine sur fond de crise économique.

cinema

Vendredi dernier, dans le cadre du cycle «La Roumanie vue par ses

films», qui se déroule du 24 septembre au 30 octobre 2015, la Cinémathèque québécoise a diffusé le film Boogie de Radu Muntean (2008). C’est ce troisiè-me long-métrage qui a permis à ce réalisateur de s’imposer comme l’une des figures centrales de la Nouvelle Vague roumaine, un phénomène qui semble devoir son nom à un certain «minimalisme» imposé par des contraintes budgé-taires plutôt qu’à l’existence d’un mouvement artistique à propre-ment parler.

Et pourtant, on ne peut s’empêcher de remarquer une parenté entre les films de cette «nouvelle vague» pour peu que l’on compare quelques titres issus d’une production qui a connu une véritable reconnaissance interna-tionale, tels que La Mort de Dante

Lazarescu (2005), California dreamin’ (2007) et le plus célèbre 4 mois, 3 semaines, 2 jours (2007).

Est-ce pour compenser la sobriété des décors que les répli-ques sont traversées de pointes de sarcasme souvent désopilantes, au point où les personnages ne semblent plus pouvoir s’échanger des banalités avant le petit déjeu-ner sans s’engueuler un peu? Ce type d’humour est certainement présent dans Boogie. Le titre du film se réfère au surnom que le protagoniste Bogdan (Dragos Bucur), avait reçu de la part de ses camarades de lycée. Bourreau de travail, ce dernier croise inopi-nément des amis qu’il n’avait pas revu depuis des années dans une station balnéaire où il célébrait la fête du travail en compagnie de sa femme enceinte et de son fils de quatre ans. Cette rencontre suffit à provoquer une dispute conju-gale lorsque son épouse lui repro-che de passer l’un de ses rares moments de détente à boire avec ses copains plutôt qu’à s’occuper

d’elle et de son fils. Par la suite, ses critiques acerbes incitent Boogie à rejoindre de nouveau ses amis dans une boîte de nuit, où l’un d’entre eux réussit à trouver une prostituée qui accepte de passer le reste de la nuit en leur compagnie.

L’inconvénient d’une telle présentation est qu’elle a pour effet de mettre l’accent sur le ca-ractère stéréotypé des situations, sans parvenir à capturer cepen-dant la façon dont les personna-ges s’approprient ces stéréotypes pour mieux les détourner. On pense par exemple au moment où Bogdan reproche à sa femme de se comporter en «épouse», ce qu’elle se défend d’être («s’il te plaît, ne m’appelle pas épouse»). Ou encore aux propos anodins que Boogie échange avec son ami Penescu pendant que Lordache fait ce qu’il a à faire avec la prostituée, et vice-versa. En fin de compte, c’est sans doute ces déviations, ainsi que le naturel de ces scènes, qui font l’intérêt de Boogie. x

Hymne à la mémoireLe réalisateur Atom Agoyan part à la poursuite du passé avec le film Souviens-toi.

De grandes respirations, ses paupières s’ouvrent doucement, sa conscience

s’éveille et, déboussolé, Zev ap-pelle sa femme, Ruth, qu’il ne voit plus à ses côtés. C’est par ce pre-mier cri du sentiment que le film Souviens-toi, du réalisateur armé-nien Atom Agoyan, nous présente un octogénaire atteint de démence et d’une forme d’Alzheimer. Grâce à une projection du cinéma Excentris le vendredi 21 octobre, le public découvre alors comment Max (Martin Landau), un autre in-terné de l’hospice de Zev – incarné brillamment par un Christopher Plummer au regard profondément juste – va l’entraîner dans un voya-ge à travers les États-Unis et le Canada. Ils partent à la recherche d’Otto Wallish, un ancien membre de la Schutzstaffel (SS) – le service de police du troisième Reich alle-mand – qui aurait assassiné leurs familles à Auschwitz et émigré après la guerre en Amérique sous un autre nom: Rudy Kolander.

Après d’abondantes critiques négatives de The Captive, le dernier film d’Atom Agoyan (également connu pour Chloe, Exotica, De Beaux Lendemains), nombreuses étaient les attentes d’un public mitigé. L’urgence de la sortie de Souviens-toi, peut être expliquée par le fait qu’il n’y aura bientôt plus aucun survivant de cette tranche

historique qu’est l’Holocauste. Agoyan saisit ce moment pour nous rattacher à un phénomène passé tout en l’ancrant habilement dans le présent. Si le suspense est au coeur de ce scénario hitchcockien écrit par Benjamin August, une autre trame s’ajoute à celle de la quête de vengeance: celle du désespoir d’un homme seul et aliéné dans un mon-

de où il n’a même plus de contrôle sur ses propres souvenirs. De plus, le périple qu’effectue Zev tout au long de l’intrigue est également ren-forcé par une représentation réa-liste de la société nord-américaine moderne, construite à la manière de Maupassant à travers une série de portraits d’enfants, de vendeurs, de réceptionnistes, d’aides-soignantes et même de douaniers.

Souviens-toi est un véritable hymne à la mémoire. Dans un premier temps, la mémoire est au centre du scénario puisque le handicap mental du protagoniste lui fait revivre encore et encore l’acceptation de la mort de sa fem-me et le lot de douleur qui s’ensuit. Zev, qui se retrouve à chaque éveil dans une situation d’incompré-

hension totale, décide d’écrire sur son bras un rappel «regarder la lettre» dans laquelle son ami Max lui a donné toutes les informations et explications nécessaires pour le rattacher au contexte présent. Si l’on découvre également qu’il por-te un numéro tatoué datant de ses années de prisonnier à Auschwitz, on ne peut s’empêcher de faire un lien entre ce tatouage douloureux

ancré à lui et ce rappel, marque d’un passé qu’il ne peut renier.

À la manière de cet individu qui doit revivre plusieurs fois la difficulté du deuil et de son péri-ple, on peut faire un parallèle à une plus grande échelle avec l’histoire qui se répète, comme une mise en abyme d’un oubli collectif de périodes marquantes de l’histoire qu’il ne faudrait impérativement, selon Agoyan, laisser de côté. Ce thriller a comme thème la Shoah mais il pourrait très bien traiter d’autres génocides passés; la na-tionalité arménienne du réalisa-

teur et son intérêt pour l’histoire de ce pays a pu être à l’origine son envie de choisir ce thème.

Une des scènes les plus tou-chantes de ce film s’orchestre autour d’une fillette à qui Zev demande de lire la lettre de Max à voix haute, l’innocence de ce personnage contraste dangereu-sement avec une période noire de l’histoire. «C’est quoi, un nazi?», demande la jeune fille entre deux phrases lues, et nous comprenons alors, nous spectateurs, l’impor-tance de transmettre ces souve-nirs aux générations futures.

En somme, malgré le scé-nario très complet de la quête d’identité d’un homme déses-péré, on ne peut s’empêcher de

regretter les mises en scènes légèrement prévisibles et le man-que d’insistance sur la sphère psychologique de cet ancien pri-sonnier d’Auschwitz. Cependant, le fait d’avoir en première scène un personnage principal de cet âge, interprété avec brio par Christopher Plummer, relève la plausibilité du scénario et nous inspire de l’émoi.

On retrouve des influences de This Must Be The Place de Paolo Sorrentino, à travers cette chasse au nazi, et de Memento de Christopher Nolan dans les

fréquentes phases d’oubli et de réappropriation du présent. La bande originale du film, produite par Mychael Danna, accompa-gnée d’une transcendance du protagoniste par la musique, donnent au scénario une sensi-bilité supplémentaire. La projec-tion se clôt sur un dénouement inattendu remettant en cause tous nos a priori. Alors que le cheminement de souffrance du personnage résonne encore dans nos esprits, l’écume de souvenirs vacillants nous submerge. x

Sophie Giraud

Anne Cotte

«Le suspense est au coeur de ce scénario hitchcokien»

Jusqu’au 29 octobre au cinéma Excentris.

miruna craciunescuLe Délit

Page 16: Le Délit du 27 octobre 2015

16 entrevue le délit · mardi 27 octobre 2015 · delitfrancais.com

EntrevueSafia Nolin, révélation québécoiseTrois mois après la parution de Limoilou, la chanteuse prépare sa tournée européenne.

On a d’abord parlé d’Harry Potter pendant 40 minutes. Mon fond d’écran est une réfé-

rence au Hitchhicker’s Guide to the Galaxy (Guide du voyageur galactique, ndlr) écri-vant en grosses lettres oranges DON’T PANIC. Safia m’interroge en voyant la citation et je la lui explique en comparant le livre de Douglas Adams à Doctor Who. Safia me dit qu’elle est plus Harry Potter que science-fiction. Je suis excitée et je ne peux pas m’empêcher de lui dire qu’on vient d’annoncer les acteurs pour le film Fantastic Beasts and Where to Find Them (Les animaux fantastiques, ndlr) tiré de l’univers magique de J.K. Rowling. Tout d’un coup on a beaucoup de choses urgentes à discuter avant de commencer cette his-toire d’entrevue. J’ai vingt-deux questions écrites dans les notes de mon iPad mais elle a un tatouage des reliques de la mort sur le coude et c’est plus important.

Lorsqu’on arrive finalement au but de notre rencontre, Safia Nolin parle de sa musique sans excès de formalité. C’est qu’elle y est arrivée presque par hasard, sans trop s’y attendre.

Le Délit (LD): Peux-tu résumer ton parcours musical jusqu’à maintenant?

Safia Nolin (SN): Quand j’avais 15-16 ans j’ai lâché le secondaire parce que la vie ça allait pas full bien, parce que j’avais pas l’impression que la vie ça pouvait aller… en tout cas. Pour des raisons personnelles. Pis t’sais quand t’as comme 15-16 ans pis que tu te retrouves chez vous t’as du temps en criss, pis là j’fumais juste pleins de bats pis j’écoutais Fresh Prince [of Bel-Air]… pis à un moment donné j’étais comme «C’t’un petit peu long là». Fait que j’ai demandé à mon frère de me trouver une guit’ parce que c’était toujours quelque chose que j’avais vu de loin, que j’avais vraiment envie de faire. Pis là y’est arrivé avec une guit’ toute pétée, j’ai appris à jouer sur internet. J’ai comme «googlé» «How to play guitar», pis là j’ai commencé en apprenant des covers. Pis là pendant un ou deux ans j’ai fait des covers, pis là j’ai arrêté de jouer de la guit’ pendant un an et demi.

Mais d’un coup j’ai eu envie d’écrire une toune parce que ça allait pas bien dans ma vie. Pis là j’ai écrit une toune, pis là j’étais comme «Fuck, c’est possible.» J’ai écrit ma première toune en février 2012 pis en avril 2012 ma mère a vu dans le jour-nal une espèce de pub pour un concours à Granby pour la chanson, fait que elle m’a dit «Inscris-toi!». On n’avait pas beaucoup de cash pis c’était quand même 60 piasses tsais? T’envoyais trois tounes pis là si ils te prenaient t’allais en audition pis c’était un autre 60 piasses.

Finalement ils m’ont appelé pour dire que je faisais l’audition. Ils m’ont rappelé

pour dire que je faisais le festival. Moi j’étais comme «What the fuck… j’ai jamais fait de show de ma vie, je comprends rien». Je suis arrivée là-bas, j’ai rencontré le band, eux-autres m’ont donné un démo en sortant de là, l’ont envoyé à quelques maisons de disques pis euh… je me suis trouvé un label. Pis là c’est ça.

LD: Qu’est-ce qui t’as donné envie de composer ta première chanson «Igloo»?

SN: Ça allait vraiment pas bien. Lâcher l’école c’est plate à la limite fait que j’avais rien à faire. Je me souviens, je revenais de la bibliothèque, on avait pas internet fait que j’étais allée genre «downloader» un film. Pis là je marchais pis la journée était juste dégueulasse. En février il fait frais mais en même temps il fait un peu chaud. L’eau avait toute fondue pis mes pieds étaient tou-tes trempés, ça m’a fait vraiment chier. J’étais juste comme «Tant qu’à rien crisser je vais essayer d’écrire une toune tsé.»

Cette chanson, «Igloo», a remporté à Granby en 2012 le Prix SOCAN de la chanson primée. Les paroles expriment une solitude profonde et une dépression hivernale qui frôle l’angoisse. «Les nua-ges s’écroulent sur ma tête / La mer avale mes pieds / Le vent comme un sale traî-tre.» S’amuse à me faire plier» disent les paroles. Safia se situe un peu nulle part dans cet univers musical québécois où elle s’est nichée une belle place depuis cette victoire inattendue.

LD: Est-ce que c’est spécial d’être auto-didacte dans ce domaine?

SN: [Au début] y’a tellement d’affaires que je comprenais rien. Maintenant je com-prends les termes. Au début je capotais, je faisais de l’angoisse. J’avais peur de faire mes soundchecks je m’en souviens. Pour vrai, avant, tout me traumatisait pis à l’éco-

le (de la chanson), j’ai «droppé». Pis eux ils étaient full pas d’accord avec moi que ça s’apprend sur le tas. J’ai «droppé» comme deux fois, j’ai même pas mon secondaire! Double dropout (Double décrochage, ndlr), c’était ça qu’y’était censé être le nom de mon album (rires). C’est quand même drôle.

Là j’écoute Klô (Pelgag), j’écoute Philippe Brach… Mais c’est juste weird par-ce que c’est tellement un petit milieu que tous ces gens-là c’est mes amis, pis on dirait que je me sens pas comme complètement objective. Quand j’écoute les tounes de Klô ou Phil ou de tout ce monde-là, j’entends la voix de mes amis pis ça me touche. Avant y’avait Karkwa pis Malajube pis Marie-Pierre Arthur, je sais pas si j’aurais trippé de la même façon si je les avais connu. Comme là les Sœurs Boulay avant de les connaitre j’écoutais leur album pis y’avait des tounes que j’aimais full pis y’avait des tounes que j’aimais moins. Pis là leur nou-vel album, les tounes que j’aimais moins du premier, elles me font brailler [dans le deuxième] parce que je comprends à quel point c’est vrai, c’est toutes des affaires qu’elles m’ont raconté. Je comprends à quel point c’est véritable, à quel point c’est pas

faux. C’est de l’honnêteté et ça m’a fuckin touché. Je sais pas à quel point le monde il peut catcher ça, y’a pas beaucoup d’artistes ici qui sont pas honnêtes.

LD: Est-ce que ça peut être un pro-blème que le milieu soit à ce point petit au Québec?

SN: À la limite oui. Je commence à trouver ça plate un peu parce que c’est full incestueux, tout le monde travaille avec tout le monde. J’ai trois-quatre amis qui ont le même soundman, mon guitariste joue avec moi en ce moment, mais avant il jouait avec d’autre monde. Tout le monde a le même band. Mais en même temps c’est l’fun parce que tu travailles tout le temps avec tes amis.

LD: Et c’est quoi pour toi ton premier album, Limoilou?

SN: C’est genre un ramassis de plein de choses. Ton premier album c’est comme un ramassis de toutes les tounes que t’as écrites dans ta vie. Je sais que quand tu lances un premier album ça instaure un ton pour le reste de ta carrière. Pis il faut que ton deuxième album prenne une notch (cran, ndlr) de plus. Limoilou c’est comme l’album d’une adolescente tourmentée. Je pense que c’est pas tant des problèmes d’adolescent mais le fait que je les vivais comme une adolescente. Juste comme l’angoisse généralisée de vivre là (rires). C’est comme l’album de quelqu’un qui a droppé le secondaire pis qui sait pas où il s’en va dans la vie. Je savais pas où j’allais pantoute. La musique, je suis chanceuse de l’avoir trouvée.

Je lui demande pourquoi un épaulard orne sa pochette d’album. C’est son animal préféré et on parle de documentaires sur les killer whales sur Netflix, de Mon ami Willy et de Titanic, encore un peu de Doctor Who, Peut-être qu’il me reste des questions dans mon iPad mais je n’y pense plus, on analyse un peu à savoir si Sirius et Lupin entrete-naient une relation amoureuse…x

Propos recueillis parvirginie daigle

Le Délit

«Ton premier album c’est comme un ramassis de toutes les tounes que t’as écrites dans ta vie»

«C’est l’fun parce que tu travailles tout le

temps avec tes amis.»

Chanteuse, auteure et compositrice de vingt-trois ans, originaire du Québec, Safia Nolin a lancé son premier album le 11 septembre 2015. L’artiste s’est formée toute seule, apprenant à jouer de la guitare sur son ordinateur, et écrivant ses vers lors de ses moments difficiles. Nommée comme Révélation de l’année au GAMIQ 2015 (Gala alternatif de la musique indépendante), Safia sera en représentation au Lion d’Or le 10 novembre 2015. Elle prépare aussi actuellement sa prmière tournée outre-mer, qui se composera de treize spectacles en Europe. Au programme, elle sera

notamment tête d’affiche aux Trois Baudets, à Paris.

«Limoilou c’est comme l’album d’une adoles-

cente tourmentée»

LimoilouSafia Nolin

Label BonsoundEn concert au Lion d’or

le 10 novembre 2015

«La musique, je suis chanceuse de l’avoir

trouvée.»

bonsound