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Ann Pathol 2005 ; 25 : 403-4 © Masson, Paris, 2005 403 Cas pour diagnostic Accepté pour publication le 21 septembre 2004 Tirés à part : V. Dubé, voir adresse en début d’article. e-mail : [email protected] Une tumeur rénale inhabituelle An unusual renal neoplasm Valérie Dubé (1) , Sophie Bergeron (1) , Bruno Laroche (2) , Bertrand Fouquette (1) (1) Département d’Anatomie Pathologie, (2) Département d’Urologie, CHUQ, L’Hôtel-Dieu de Québec, 11 côte du Palais, Québec, Canada, G1R 2J6. Dubé V, Bergeron S, Laroche B, Fouquette B. Une tumeur rénale inusitée. Ann Pathol 2005 ; 25 : 403-4. Observation Une femme âgée de 58 ans a été exa- minée à la suite de deux épisodes consécutifs de douleurs lombaires subites accompagnés d’hématurie macroscopique diagnostiqués clini- quement comme coliques rénales. La scanographie a révélé la présence d’une masse rénale gauche solide et bien délimitée sans calcifications ou nécrose et sans évidence de métasta- ses ganglionnaires ou viscérales. La patiente fut traitée par néphrectomie radicale. La tumeur était située à la région médiane du rein. Elle était solide, bien délimité et atteignait 9,5 cm de dia- mètre. À la coupe, elle était de coloration hétérogène jaune, beige et rougeâtre, tout comme un carcinome à cellules claires conventionnel. L’évaluation microscopique a confirmé qu’il s’agissait d’une lésion non-encap- sulée, aux contours non-infiltrants. Elle était composée de cordons cellulaires et de tubules bordés de cellules éosi- nophiles cuboïdes monotones de grade nucléaire de Fuhrman 1 (figure 1). On constatait également des zones de prolifération cellulaire fusiforme (figure 2) et le stroma était d’aspect myxoïde microvacuolaire. Quel est votre diagnostic ? FIG. 1. — Cellules cuboïdes monomorphes au cytoplasme éosinophile et au noyau rond discrètement nucléolé for- mant des tubules et cordons dans un stroma myxoïde microvacuolaire (Hématoxyline et éosine, ×100). FIG. 1. — Monomorphic cuboid cells in the eosinophil cyto- plasm and in the rounded nucleus, slightly nucleolar, form tubules and cords in a microvacuole-like myxoid stroma (HE × 100). FIG. 2. — Composante à cellules fusiformes (Hématoxy- line et éosine, × 100). FIG. 2. — Component with spindle-shaped cells (HE × 100).

Une tumeur rénale inhabituelle

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A n n P a t h o l 2 0 0 5 ; 2 5 : 4 0 3 - 4

© M a s s o n , P a r i s , 2 0 0 5 403

Caspour diagnostic

Accepté pour publication le 21 septembre 2004

Tirés à part : V. Dubé, voir adresse en début d’article. e-mail : [email protected]

Une tumeur rénale inhabituelle

An unusual renal neoplasm

Valérie Dubé(1), Sophie Bergeron(1), Bruno Laroche(2), Bertrand Fouquette(1)

(1) Département d’Anatomie Pathologie,(2) Département d’Urologie, CHUQ, L’Hôtel-Dieu de Québec, 11 côte du Palais, Québec, Canada, G1R 2J6.

Dubé V, Bergeron S, Laroche B, Fouquette B. Une tumeur rénale inusitée. Ann Pathol 2005 ; 25 : 403-4.

Observation

Une femme âgée de 58 ans a été exa-minée à la suite de deux épisodesconsécutifs de douleurs lombairessubites accompagnés d’hématuriemacroscopique diagnostiqués clini-quement comme coliques rénales. Lascanographie a révélé la présenced’une masse rénale gauche solide etbien délimitée sans calcifications ounécrose et sans évidence de métasta-ses ganglionnaires ou viscérales. Lapatiente fut traitée par néphrectomieradicale.La tumeur était située à la régionmédiane du rein. Elle était solide, biendélimité et atteignait 9,5 cm de dia-mètre. À la coupe, elle était de colorationhétérogène jaune, beige et rougeâtre,tout comme un carcinome à cellulesclaires conventionnel.L’évaluation microscopique a confirméqu’il s’agissait d’une lésion non-encap-sulée, aux contours non-infiltrants. Elleétait composée de cordons cellulaireset de tubules bordés de cellules éosi-nophiles cuboïdes monotones degrade nucléaire de Fuhrman 1 (figure 1).On constatait également des zonesde prolifération cellulaire fusiforme(figure 2) et le stroma était d’aspectmyxoïde microvacuolaire.

Quel est votre diagnostic ?

FIG. 1. — Cellules cuboïdes monomorphes au cytoplasme éosinophile et au noyau rond discrètement nucléolé for-mant des tubules et cordons dans un stroma myxoïde microvacuolaire (Hématoxyline et éosine, ×100).

FIG. 1. — Monomorphic cuboid cells in the eosinophil cyto-plasm and in the rounded nucleus, slightly nucleolar, form tubules and cords in a microvacuole-like myxoid stroma (HE × 100).

FIG. 2. — Composante à cellules fusiformes (Hématoxy-line et éosine, × 100).

FIG. 2. — Component with spindle-shaped cells (HE × 100).

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Diagnostic : carcinome tubulo-mucineux et fusiforme de bas grade de malignité

Le carcinome tubulo-mucineux et fusiformede bas grade de malignité est une entité rare etdistincte décrite récemment ; les premiers casont été rapportés d’abord par MacLennan et al.[1] en 1997, puis par Srigley et al. [2] en 1999.Les caractères clinico-pathologiques indivi-dualisant cette tumeur sont sa prévalence chezles femmes [2-4], sa localisation médullaire [1,3], ses rebords bien délimités refoulant le tissuavoisinant [1, 3, 4] et son histologie particulière[1-5]. De façon caractéristique, cette tumeur secompose d’une association de différentscontingents tumoraux. On y retrouve des cel-lules éosinophiles cuboïdes et monotonesavec des noyaux ronds parfois discrètementnucléolés qui bordent des tubules au sein des-quels certaines de ces cellules prennent mêmeun aspect en « clou de tapissier ». Les cellulesse disposent également en cordons atteignantune telle complexité qu’ils sont qualifiés depatron « en empreinte digitale » dans la littéra-ture anglo-saxonne. Parallèlement, on observedes zones de prolifération cellulaire fusiforme.Quant au stroma, il est distinctement myxoïdeet marqué intensément par les colorations his-tochimiques au Bleu d’Alcian et au PeriodicAcid Shiff. Il ne contient pas d’infiltrat inflam-matoire notable, mais peut renfermer desamas de macrophages spumeux. Le profilimmunohistochimique rapporté dans la littéra-ture est variable, mais l’antigène des membra-nes épithéliales (EMA), la cytokératine 7 etcelles de faible poids moléculaire (CAM5.2)sont fréquemment exprimés. De plus, la cyto-kératine 20, le CD15 et l’antigène carcino-embryonnaire (CEA) semblent fidèlementnégatifs [1-5]. Quant au CD10 et à l’Ulex, ilssont d’expression variable. Récemment, desanomalies génétiques distinctes (perte deschromosomes 1, 4, 6, 8, 9, 13, 14, 15 et 22) sem-blent avoir été identifiées [4].Certains auteurs attribuent à cette tumeurune origine dans l’anse de Henle étantdonné sa localisation médullaire, la morpho-logie cuboïde de ses cellules, son absenced’expression du marqueur de différenciationtubulaire proximal CD15, ainsi que la démons-tration de micro-villosités en microscopie élec-tronique [2-5]. Son évolution clinique estindolente ; seulement deux cas ont présentéune maladie métastatique [2, 5]. Elle ne doitdonc pas être confondue avec d’autres entitésau pronostic plus sombre. Tout d’abord, le car-cinome des canaux collecteurs se distingue parses contours infiltrants et son architecturetubulo-papillaire bordée de cellules pléomor-

phes dans un stroma desmoplasique. Ensuite,la composante à cellules fusiformes peut évo-quer un carcinome sarcomatoïde, mais celui-cise reconnaît par ses mitoses et son pléomor-phisme. Quant aux formes compactes de carci-nomes tubulo-papillaires, elles peuvent êtredifficiles à distinguer si leur composante papil-laire est peu abondante et si les atypies cellulai-res sont minimes ; leur aspect macroscopiquebeige brunâtre et friable est alors distinctif. Desentités bénignes s’insèrent également dans lespectre du diagnostic différentiel. L’architec-ture tubulaire, la délimitation nette et le faiblegrade nucléaire peuvent évoquer un adénomemétanéphrique (néphrome néphrogène), maiscelui-ci est dépourvu de cellules fusiformes,son stroma est très peu abondant, il peut ren-fermer des structures papillaires et il n’exprimejamais l’EMA. Finalement, les cellules fusi-formes et le stroma microvacuolaire mimantdes adipocytes peuvent suggérer un angiomyo-lipome ; cette tumeur renferme cependant desvaisseaux et exprime l’actine musculaire lisse, ladesmine et l’HMB45. Il est primordial que lespathologistes et les cliniciens sachent reconnaî-tre le carcinome tubulo-mucineux et fusiformede bas grade de malignité en raison de son évo-lution tout à fait favorable. Quant à notrepatiente, elle demeure vivante sans récidive nimétastase deux ans après sa chirurgie. ■Key words: renal carcinoma, Henle loop, myxoid, spindle, lowgrade.

Mots-clés : carcinome rénal, anse de Henle, tubulo-mucineux,fusiforme, bas grade.

Références

[1] MacLennan GT, Farrow GM, Bostwick DG. Low-grade collecting duct carcinoma of the kidney : reportof 13 cases of low-grade mucinous tubulocystic renalcarcinoma of possible collecting duct origin. Urology1997 ; 50 : 679-84.

[2] Srigley JR, Eble JN, Grignon DJ, Hartwick RWJ.Unusual renal cell carcinoma (RCC) with prominentspindle cell change possibly related to the loop of henle(abstract). Mod Pathol 1999 ; 12 : 107a.

[3] Parwani AV, Husain AN, Epstein JI, Beckwith JB,Argani P. Low-grade myxoid renal epithelial neo-plasms with distal nephron differentiation. HumPathol 2001 ; 32 : 506-12.

[4] Rakozy C, Schmahl GE, Bogner S, Störkel S. Low-grade tubular-mucinous renal neoplasms : morpholo-gic, immunohistochemical and genetic features. ModPathol 2002 ; 15 : 1162-71.

[5] Hes O, Hora M, Perez-Montiel DM, Suster S, Curik R,Sokol L et al. Spindle and cuboidal renal cell carcinoma,a tumour having frequent association with nephrolithia-sis : report of 11 cases including a case with hybridconventional renal cell carcinoma/spindle and cuboidalrenal cell carcinoma components. Histopathology 2002 ;41 : 549-55.