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327 J Chir 2007,144, N°4 • © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Images en chirurgie Une tumeur stromale jéjunale, asymptomatique, parasitée ! O. Armstrong 1 , E. Cassagnau 2 , E. Fanara 1 , B. Buecher 3 , E. Frampas 4 , P.A. Lehur 1 1. Service de Chirurgie digestive et endocrinienne, Hôtel Dieu, CHU – Nantes. 2. Service d’Anatomie pathologique, Hôtel Dieu, CHU – Nantes. 3. Service d’Hépato-gastro-entérologie, Hôtel Dieu, CHU – Nantes. 4. Service de Radiologie, Hôtel Dieu, CHU – Nantes. Correspondance : O. Armstrong, Service de Chirurgie digestive et endocrinienne, Hôtel Dieu CHU de Nantes, 1 Place Alexis Ricordeau, F 44035 Nantes Cedex 1. e-mail : [email protected] Mots-clés : Grêle. Diagnostic. Tumeur stromale. GIST. Bilharziose. Un homme de 30 ans, d’origine ivoirienne, vivant en France depuis six ans, en excellent état général, consultait pour sen- sation, depuis plusieurs années, de pesanteur pelvienne sans aucune symptomatologie digestive ou urinaire. L’examen physique était normal hormis une légère tuméfaction sus pubienne. L’échographie abdominale trouvait une masse médio pelvienne de 10 cm. Le scanner précisait qu’elle était développée aux dépens d’une anse jéjunale, avec épaississe- ment pariétal, hypervasculaire, de développement ectasique, communiquant avec le jéjunum, siège de calcifications, sans retentissement d’amont ni signe d’extension péritonéale (figure 1). Ce n’est que six mois plus tard que ce patient, toujours asymptomatique, avec des examens clinique et radiologique sans changement, se décidait a être opéré. L’intervention par laparotomie médiane trans-ombilicale retrouvait cette masse hypervascularisée, notamment au niveau du grand omentum, prolabée dans le petit bassin (figure 2). Désenclavée, elle était plurilobée aux dépens de la première anse jéjunale, extra lu- minale (figure 3). Une résection de grêle permettait une exé- rèse complète de la tumeur, sans effraction tumorale, avec rétablissement immédiat de la continuité par anastomose termino-terminale. L’exploration de l’ensemble de la cavité abdominale était normale. L’examen anatomopathologique macroscopique décrivait une pièce d’exérèse comportant 6 cm de grêle sur lequel était développé une tumeur de 12 cm de grand axe, bosselée d’as- pect encapsulé, sans zone d’effraction. À la coupe on observait une tumeur blanchâtre ferme, vaguement fasciculée qui pré- sentait un centre kystique fistulisé dans le grêle (figure 4). L’examen microscopique montrait une tumeur à cellules fu- siformes adoptant un dispositif fasciculé. On dénombrait 6 mitoses pour 50 champs au grossissement 400. Il n’existait pas de territoire de nécrose. L’étude immunohistochimique montrait que les cellules tumorales étaient marquées par l’Ac anti CD 117 et anti CD 34. On observait un marquage hété- rogène avec l’anticorps anti actine muscle lisse mais pas de marquage avec les anticorps anti desmine et anti protéine S 100 permettant d’éliminer une tumeur conjonctive à diffé- renciation musculaire ou nerveuse. L’anticorps MIB1 mar- quait moins de 2 % des noyaux. Par ailleurs, au sein de la tu- Figure 1 : Coupe scanographique axiale avec injection : tumeur à paroi épaisse, hyper vascularisée, à contenu hydroaérique, prolabée dans le pelvis. Figure 2 : Vue opératoire de la tumeur enclavée dans le petit bassin. Hypervascularisation.

Une tumeur stromale jéjunale, asymptomatique, parasitée !

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J Chir 2007,144, N°4 • © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Images en chirurgie

Une tumeur stromale jéjunale, asymptomatique, parasitée !

O. Armstrong

1

, E. Cassagnau

2

, E. Fanara

1

, B. Buecher

3

, E. Frampas

4

, P.A. Lehur

1

1. Service de Chirurgie digestive et endocrinienne, Hôtel Dieu, CHU – Nantes.

2. Service d’Anatomie pathologique, Hôtel Dieu, CHU – Nantes.

3. Service d’Hépato-gastro-entérologie, Hôtel Dieu, CHU – Nantes.

4. Service de Radiologie, Hôtel Dieu, CHU – Nantes.

Correspondance :

O. Armstrong, Service de Chirurgie digestive et endocrinienne, Hôtel DieuCHU de Nantes, 1 Place Alexis Ricordeau, F 44035 Nantes Cedex 1.

e-mail : [email protected]

Mots-clés :

Grêle. Diagnostic. Tumeur stromale. GIST. Bilharziose.

Un homme de 30 ans, d’origine ivoirienne, vivant en Francedepuis six ans, en excellent état général, consultait pour sen-sation, depuis plusieurs années, de pesanteur pelvienne sansaucune symptomatologie digestive ou urinaire. L’examenphysique était normal hormis une légère tuméfaction suspubienne. L’échographie abdominale trouvait une massemédio pelvienne de 10 cm. Le scanner précisait qu’elle étaitdéveloppée aux dépens d’une anse jéjunale, avec épaississe-ment pariétal, hypervasculaire, de développement ectasique,communiquant avec le jéjunum, siège de calcifications, sansretentissement d’amont ni signe d’extension péritonéale

(figure 1)

. Ce n’est que six mois plus tard que ce patient, toujoursasymptomatique, avec des examens clinique et radiologiquesans changement, se décidait a être opéré. L’intervention parlaparotomie médiane trans-ombilicale retrouvait cette massehypervascularisée, notamment au niveau du grand omentum,prolabée dans le petit bassin

(figure 2)

. Désenclavée, elle étaitplurilobée aux dépens de la première anse jéjunale, extra lu-minale

(figure 3)

. Une résection de grêle permettait une exé-rèse complète de la tumeur, sans effraction tumorale, avecrétablissement immédiat de la continuité par anastomose

termino-terminale. L’exploration de l’ensemble de la cavitéabdominale était normale.

L’examen anatomopathologique macroscopique décrivaitune pièce d’exérèse comportant 6 cm de grêle sur lequel étaitdéveloppé une tumeur de 12 cm de grand axe, bosselée d’as-pect encapsulé, sans zone d’effraction. À la coupe on observaitune tumeur blanchâtre ferme, vaguement fasciculée qui pré-sentait un centre kystique fistulisé dans le grêle

(figure 4)

.L’examen microscopique montrait une tumeur à cellules fu-siformes adoptant un dispositif fasciculé. On dénombrait6 mitoses pour 50 champs au grossissement 400. Il n’existaitpas de territoire de nécrose. L’étude immunohistochimiquemontrait que les cellules tumorales étaient marquées par l’Acanti CD 117 et anti CD 34. On observait un marquage hété-rogène avec l’anticorps anti actine muscle lisse mais pas demarquage avec les anticorps anti desmine et anti protéineS 100 permettant d’éliminer une tumeur conjonctive à diffé-renciation musculaire ou nerveuse. L’anticorps MIB1 mar-quait moins de 2 % des noyaux. Par ailleurs, au sein de la tu-

Figure 1 : Coupe scanographique axiale avec injection : tumeur à paroi épaisse, hyper vascularisée, à contenu hydroaérique, prolabée dans le pelvis.

Figure 2 : Vue opératoire de la tumeur enclavée dans le petit bassin. Hypervascularisation.

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Une tumeur stromale jéjunale, asymptomatique, parasitée !

O. Armstrong

et al.

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meur stromale on observait des œufs de bilharzie dont certainsparaissaient viables, d’autres calcifiés

(figure 5).

Un traitement antiparasitaire par Praziquantel – Biltricide*de principe fut entrepris pour traiter cette bilharziose diges-tive à

Schistosoma Mansoni

, a priori non évolutive chez ce pa-tient qui n’est pas retourné en Afrique depuis six ans, ainsiqu’un déparasitage systématiquement entrepris (Ivermectine– Stromectol*). Les examens parasitologiques des selles et desurines étaient négatifs. Une anémie microcytaire avec un petitsyndrome inflammatoire était noté, en postopératoire, pourlaquelle un traitement par Tardyferon* était institué appor-tant une amélioration rapide. Une électrophorèse de l’hémo-globine, à la recherche d’une thalassémie, était normale.

Les suites opératoires étaient simples et le patient quittaitle service au septième jour.

Cette tumeur stromale gastro intestinale (GIST) étaitdonc de localisation jéjunale (20 à 30 % des cas), chez un

homme jeune (alors que l’âge médian de survenue se situeentre 55 et 65 ans, rarement avant 40 ans, avec un sex ratiovoisin de 1), isolée, totalement asymptomatique (dans 2/3 descas il existe des douleurs abdominales ou peuvent être décou-vertes fortuitement lors d’un examen radiologique ou par unehémorragie digestive dans 40 % des cas). Radiologiquementc’est l’examen tomodensitométrique qui prend, dans ces loca-lisations iléales, tout son intérêt. Certains caractères seraienttrès évocateurs de GIST : la taille volumineuse de la masse, àcentre nécrotique, avec rehaussement périphérique, à déve-loppement plutôt extra luminal [1]. Ainsi plusieurs hypothèsesont été éliminées : lymphome digestif, adénocarcinome, di-verticule géant du grêle. Une résection segmentaire de l’in-testin est appropriée dans cette forme simple, unique, nonavancée, sans effraction tumorale et respectant des zones sai-nes, un curage lymphatique n’est pas nécessaire [2]. L’examenanatomopathologique a confirmé l’exérèse complète, sanseffraction, de la masse encapsulée, multilobaire, avec deszones de résection saines. Le diagnostic de tumeur stromaleest confirmé par l’étude immuno histochimique [3]. Elle estde type fusiforme dans 70 % des cas, non associée à des « fi-bres en écheveau » (

skenoïdes fibers

), avec la présence d’oeufsde bilharziose expliquée aisément par la fistulisation du centrekystique dans le grêle.

Si l’évolution était satisfaisante à court terme tant d’unpoint de vue chirurgical, que parasitaire (le problème de labilharziose à

Schistosoma Mansoni

, qui n’a pas d’atteinte uri-naire, étant réglé, et sans rapport avec la survenue de cettelésion [4], le risque majeur est l’apparition de récidive.

L’intérêt d’un traitement adjuvant par Imatinib Mesylate(Glivec *) dans une telle situation est actuellement explorédans le cadre d’un vaste essai clinique international mais lepatient a refusé d’être inclus dans un protocole.

Références

1. Burkill GJ, Badran M, Al-Muderis M

et al.

Malignant gastrointes-tinal stromal tumors: distribution, imaging features and pattern ofmetastatic spread. Radiology 2003;226:527-532.

Figure 3 : Tumeur libérée, développée aux dépens de la pre-mière anse jéjunale, en extra luminal.

Figure 4 : Coupe de la pièce montrant la fistulisation du centre kystique de la tumeur dans la lumière jéjunale.

Figure 5 : Aspect microscopique (HPS × 100). Prolifération de cellules fusiformes organisées en faisceaux entrecroisés. Œuf de bilharziose.

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Images en chirurgie

J Chir 2007,144, N°4 • © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

2. Rouquie D, Bonvalot S. Chirurgie des tumeurs stromales gastro-intestinales aux stades localisé et métastatique. Bull Cancer2006;93:S167-S172.

3. Doucet L. Définition, données récentes en anatomopathologie etbiologie moléculaire des tumeurs stromales gastro-intestinales. BullCancer 2006;93:S157-S165.

4. Qiu DC, Hubbard AE, Zhong B, Zhang Y, Spear RC. A matched,case-control study of the association between schistosoma japoni-cum and liver and colon cancers, in rural China. Ann Trop MedParasitol 2005;99:47-52.

5. Blay JY, Landi B, Bonvalot S

et al.

Recommendations for the ma-nagement of GIST patients. Bull Cancer 2005;92:907-918.