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Annales de pathologie (2008) 28, 246—248 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com CAS POUR DIAGNOSTIC Une tumeur rare du cœur A rare tumor of the heart Imen Chtourou, Ibticem Bahri Zouari , Lobna Ayadi, Rim Kallel, Naourez Gouiaa, Karima Abbès, Tahya Sellami Boudawara Laboratoire d’anatomie et de cytologie pathologiques, CHU Habib-Bourguiba, route El Ain, 3029 Sfax, Tunisie Accepté pour publication le 21 novembre 2007 Disponible sur Internet le 22 juillet 2008 Observation Une patiente, âgée de 31 ans, aux antécédents de pneumonie il y a 15 ans et d’anémie depuis une année était hospitalisée pour exploration d’une fièvre à 40 C avec frissons et douleurs thoraciques. L’examen clinique était sans particularité. Les sérologies virales et le bilan immunologique étaient normaux. Les explorations radiologiques (échogra- phie, scanner thoraco-abdominal et imagerie par résonance magnétique) révélaient la présence d’une masse cardiaque au niveau du ventricule droit appendue à l’apex qui mesu- rait 24 mm × 13mm évoquant un thrombus ou éventuellement une tumeur. La patiente a été mise sous un traitement anticoagulant pendant trois semaines, mais l’évolution était marquée par la persistance de la masse cardiaque. L’exploration chirurgicale révé- lait la présence, au niveau du ventricule droit, d’une tumeur gélatineuse de 3 cm × 2 cm s’étendant aux cordages et arrivant jusqu’au muscle ventriculaire. Une résection chirur- gicale complète a été réalisée emportant les cordages et le pilier de la valve tricuspide. À l’examen macroscopique, la tumeur était de consistance peu ferme et de couleur blanc jaunâtre. À l’examen histologique, elle était formée de cellules fusiformes à cytoplasme éosinophile et à noyau allongé parfois nucléolé ; ces cellules étaient mêlées à plusieurs cellules inflammatoires incluant surtout des histiocytes spumeux associés à des lympho- cytes, des plasmocytes et quelques polynucléaires éosinophiles (Fig. 1). Il existait aussi plusieurs vaisseaux sanguins à paroi peu épaisse et à endothélium régulier ainsi que des foyers de remaniement hémorragique. Il n’y avait pas d’infiltration du myocarde. Une étude immunohistochimique était réalisée avec les anticorps anti-actine musculaire lisse (AML), anaplastic large cell lymphoma kinase protein (ALK1), vimentine, protéine S100 (PS100), CD68, CD34 et CD1a. Les cellules fusiformes étaient positives pour AML et vimen- tine et négatives pour les autres anticorps (Fig. 2). Les histiocytes exprimaient le CD68 ; ils étaient négatifs pour la protéine S100 et CD1a. Auteur correspondant. Adresse e-mail : ibticem [email protected] (I.B. Zouari). 0242-6498/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annpat.2008.06.008

Une tumeur rare du cœur

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Page 1: Une tumeur rare du cœur

Annales de pathologie (2008) 28, 246—248

Disponib le en l igne sur www.sc iencedi rec t .com

CAS POUR DIAGNOSTIC

Une tumeur rare du cœur

A rare tumor of the heart

Imen Chtourou, Ibticem Bahri Zouari ∗, Lobna Ayadi,Rim Kallel, Naourez Gouiaa, Karima Abbès,Tahya Sellami Boudawara

Laboratoire d’anatomie et de cytologie pathologiques, CHU Habib-Bourguiba,route El Ain, 3029 Sfax, Tunisie

Accepté pour publication le 21 novembre 2007Disponible sur Internet le 22 juillet 2008

Observation

Une patiente, âgée de 31 ans, aux antécédents de pneumonie il y a 15 ans et d’anémiedepuis une année était hospitalisée pour exploration d’une fièvre à 40 ◦C avec frissons etdouleurs thoraciques. L’examen clinique était sans particularité. Les sérologies viraleset le bilan immunologique étaient normaux. Les explorations radiologiques (échogra-phie, scanner thoraco-abdominal et imagerie par résonance magnétique) révélaient laprésence d’une masse cardiaque au niveau du ventricule droit appendue à l’apex qui mesu-rait 24 mm × 13 mm évoquant un thrombus ou éventuellement une tumeur. La patientea été mise sous un traitement anticoagulant pendant trois semaines, mais l’évolutionétait marquée par la persistance de la masse cardiaque. L’exploration chirurgicale révé-lait la présence, au niveau du ventricule droit, d’une tumeur gélatineuse de 3 cm × 2 cms’étendant aux cordages et arrivant jusqu’au muscle ventriculaire. Une résection chirur-gicale complète a été réalisée emportant les cordages et le pilier de la valve tricuspide.À l’examen macroscopique, la tumeur était de consistance peu ferme et de couleur blancjaunâtre. À l’examen histologique, elle était formée de cellules fusiformes à cytoplasmeéosinophile et à noyau allongé parfois nucléolé ; ces cellules étaient mêlées à plusieurscellules inflammatoires incluant surtout des histiocytes spumeux associés à des lympho-cytes, des plasmocytes et quelques polynucléaires éosinophiles (Fig. 1). Il existait aussiplusieurs vaisseaux sanguins à paroi peu épaisse et à endothélium régulier ainsi que desfoyers de remaniement hémorragique. Il n’y avait pas d’infiltration du myocarde. Uneétude immunohistochimique était réalisée avec les anticorps anti-actine musculaire lisse(AML), anaplastic large cell lymphoma kinase protein (ALK1), vimentine, protéine S100(PS100), CD68, CD34 et CD1a. Les cellules fusiformes étaient positives pour AML et vimen-tine et négatives pour les autres anticorps (Fig. 2). Les histiocytes exprimaient le CD68 ;ils étaient négatifs pour la protéine S100 et CD1a.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : ibticem [email protected] (I.B. Zouari).

0242-6498/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.annpat.2008.06.008

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Une tumeur rare du cœur

Figure 1. Cellules fusiformes à cytoplasme éosinophile et ànoyau allongé parfois nucléolé mêlées à des cellules inflammatoires(HE × 200).Spindle shaped cells with eosinophilic cytoplasm and elongatedbland nuclei accompanied by a variable number of inflammatorycells (HE × 200).

Figure 2. Immunomarquage positif pour AML (× 200).Diffuse expression of smooth muscle actin by tumor cells (× 200).

Quel est votre diagnostic ?

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iagnostic : pseudotumeur inflammatoireu coeur ou tumeur myofibroblastique

nflammatoire

a pseudotumeur inflammatoire (PTI) ou encore tumeuryofibroblastique inflammatoire est une lésion souventénigne décrite pour la première fois en 1939, au niveauu poumon qui en constitue la localisation la plus fréquente1]. La localisation cardiaque est extrêmement rare. À notreonnaissance, seulement 14 cas sporadiques ont été rappor-és au niveau du cœur. Selon notre revue de la littérature,es deux sexes sont touchés à égalité. L’âge des patientsarie de deux mois à 72 ans. Cette tumeur survient essen-iellement chez les enfants ; en effet, seulement quatrearmi les cas rapportés sont des adultes ; notre patiente estgée de 31 ans. La taille de la tumeur varie de 1,5 à 6,5 cm.a localisation au niveau du ventricule droit (comme chezotre patiente) est décrite dans 35,7 % des cas. Les autresocalisations sont par ordre décroissant : l’oreillette droite,e ventricule gauche, les artères coronaires, l’oreilletteauche et l’artère pulmonaire. La présentation clinique estariable ; il peut s’agir d’une fièvre, d’anémie, comme pourotre patiente, de thrombose vasculaire, de vascularite oue polyarthrite. Les explorations radiologiques (échographieardiaque, imagerie par résonance magnétique) permettent

e préciser la localisation tumorale mais le diagnostic défi-itif ne peut être qu’histologique [2]. Pour notre patiente,es explorations radiologiques plaidaient en premier lieu enaveur d’un thrombus intracardiaque. À l’examen histolo-ique, la tumeur est formée de cellules fusiformes régulièresunies d’un nucléole proéminent. Ces cellules sont

ssociées en des proportions variables à des cellules inflam-atoires à type de lymphocytes, d’histiocytes et de polynu-

léaires éosinophiles [3]. La combinaison de ces différentsypes de cellules est à l’origine de la variabilité de l’aspectorphologique d’un cas à l’autre. Dans notre observation,

es cellules inflammatoires, en particulier les histiocytespumeux étaient prédominants. À l’étude immunohistochi-ique, l’AML et la vimentine sont fortement exprimées par

es cellules fusiformes confirmant leur nature fibroblastiquet myofibroblastique [3]. Le diagnostic différentiel histolo-ique se pose essentiellement avec un myxome cardiaque enarticulier quand la PTI est gélatineuse, comme dans notrebservation. En effet, il s’agit aussi d’une tumeur endocavi-aire, souvent associée à un syndrome inflammatoire et quiontient de facon non exceptionnelle des cellules inflam-atoires. Cependant, les cellules dans le myxome forment

ouvent des manchons périvasculaires et la tumeur estecouverte en surface par un revêtement endothélial qu’one trouve pas dans la PTI. À l’étude immunohistochimique,es cellules présentent une différenciation endothéliale

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I. Chtourou et al.

rouvée par l’expression de CD34 alors que l’AML est rare-ent exprimée [3]. Plus rarement, le diagnostic différentieleut se poser avec un fibrome cardiaque qui est de locali-ation myocardique et non endocavitaire. Il est formé parne prolifération en faisceaux enchevêtrés faite de cellulesusiformes à noyau ovale sans nucléole visible au sein d’untroma collagène abundant ; ces cellules sont de taille plusetite que les cellules fusiformes de la PTI qui sont souventnoyau nucléolé. Comme pour la PTI, les cellules expriment

’AML et la vimentine et sont négatives pour la desmine, leD34 et PS100. Des myocytes incorporés dans le fibrome sontarqués par PS100 et la desmine ; ce fait ne s’observe pasans la PTI [3]. Le traitement est essentiellement chirurgi-al consistant en une excision complète de la tumeur [2].’évolution est souvent bonne, une régression spontanée dea tumeur a été notée dans un cas [4]. Seul un cas de réci-ive a été rapporté [5]. L’évolution peut être fatale en cas deocalisation critique telle que la valve mitrale ou les artèresoronaires [6]. La pathogénie des PTI est encore obscure ;n effet, la plupart des auteurs considèrent cette lésionomme la conséquence d’une inflammation, une infectionu un traumatisme. Cependant, d’autres auteurs la consi-èrent comme un fibrosarcome de bas grade qui est richen cellules inflammatoires ; cette idée est soutenue par laossibilité d’un comportement local agressif de cette lésion,a multifocalité ainsi que la possibilité de métastase à

istance [7].

éférences

1] Brunn H. Two interesting benign lung tumors of contradictoryhistopathology. Remarks on the necessity for maintaining chesttumor registry. J Thorac Surg 1939;9:119—31.

2] Tian JT, Cheng LC, Yung TC. Multiple cardiac inflammatory myo-fibroblastic tumors in the right ventricle in an infant. Ann ThoracSurg 2006;82:1531—5.

3] Thomas de Montpréville V, Serraf A, Aznag H, NashashibiN, Planché C, Dulmet E. Fibroma and inflammatory myo-fibroblastic tumor of the heart. Ann Diagn Pathol 2001;5:335—42.

4] Pearson PJ, Smithson WA, Driscoll DJ, Banks PM, Ehman RE.Inoperable plasma cell granuloma of the heart: spontaneousdecrease in size during an 11-month period. Mayo Clin Proc1988;63:1022—5.

5] Hartyansky IL, Kadar K, Hubay M. Rapid recurrence of an inflam-matory myofibroblastic tumor in the right ventricular outflowtract. Cardiol Young 2000;10:271—4.

6] Rose AG, McCormick S, Cooper K, Titus JL. Inflammatory pseu-dotumor (plasma cell granuloma) of the heart. Arch Pathol LabMed 1996;120:549—54.

7] Narla LD, Newman B, Spottswood SS, Narla S, Kolli R. Inflamma-tory pseudotumor. Radiographics 2003;23:719—29.